Bible chrétienne Evang. - § 212-216. Le jugement à l’oeuvre : Lc 12,49; 13,9

§ 212-216. Le jugement à l’oeuvre : Lc 12,49; 13,9


(Lc 12,49 Lc 13,9)

— C'est le second versant de l'ensemble eschatologique en cours depuis le § 205 * : l'exhortation à se convertir (§ 213 -216). Mais une fois de plus, ce 2° article du < Kérygme > se voit précédé d'un émouvant appel au Mystère pascal qui le fonde (§ 212 ) — qui est donc à la jonction des deux versants).

Lc 12,49 — Propre à Luc. C'est une des rares occasions où, dans les Synoptiques, Jésus nous fait part de ce qu'a été sa vie intérieure. Auparavant, il y avait eu le § 110 *, manifestant l'intimité de Jésus à son Père. Y répondra la prière de Gethsémani, où le Christ maintiendra son union à la volonté divine de Rédemption des hommes, « jusqu'à la mort et la mort de la croix » (§ 337 * ; Ph 2,6-11). Or ces versets 49-50 de Lc 12 confirment que Jésus a vécu « tendu dans une attente ardente » de sa Passion-Glorification, comme le révélait déjà implicitement sa première Parole, à 12 ans (§ 18 ) — Lc 2,49*), visant le même « Exode » vers lequel Il aspire en sa Transfiguration (§ 169 ) — Lc 9,31*).

Je suis venu : Confirmation que « la venue » du Maître, dans les paraboles précédentes, n'était pas seulement celle de la Fin des temps. Il est déjà là, incarné, « venu » pour la rédemption des pécheurs (§ 42 * et § 255 *), même si sa mort est encore à venir, comme le disent précisément ces versets 49-50.

jeter un feu : Quel feu ? — A été exclu, au § 183 ) — Lc 9,54, le feu vengeur de la foudre. Encore moins Jésus pourrait-il désirer le feu de la Géhenne ! Ce n'est pas non plus une métaphore évoquant les ravages des divisions annoncées aux v. 51-53, auxquels correspond bien plus normalement l'image du glaive, que l'on trouve précisément dans la version parallèle de Mt 10,34 (ou dans la prophétie de Syméon: § 11 ) — Lc 2,34-35*). C'est sans doute le feu annoncé déjà par Jean-Baptiste : non pas tant le feu du Jugement dernier (Lc 3,9), que celui qui est lié au baptême du Christ — comme ici, en ces v. 49-50, le feu et le baptême vont de pair : « Lui, Il vous baptisera dans l'Esprit Saint et le Feu » (§ 22 - Lc 3,16. Et ceci porte à conclure, avec A. Feuillet, que l'attente du Christ portait sur la Pentecôte à venir, où l'Esprit sera donné précisément sous forme de langues de feu (Baptême et Tentation... p. 67-68).

Origène (Hom 20 sur Jr — PG 13,532) et L'Évangile de Thomas (n° 86) rapportent l'un et l'autre une Parole du Christ que J. Jérémias pense pouvoir être authentique (Paroles inconnues... p. 66-73) : « Qui est près de moi est près du feu ; qui est loin de moi est loin du Royaume ». En ce sens, le feu serait fonction de la proximité, donc de la venue du Christ, provoquant l'alternative annoncée aux v. 51-53: ou brûler avec Lui, ou s'exclure du Royaume.

// Gn 22,6 Ex 19,16 1R 18,36-38 Dt 4,24 Ml 3,2-3 — Sur le symbolisme du < Feu >, cf. § 20 in fine. Dans ta. T., Dieu « prend pour serviteur le feu dévorant » (Ps 104,4), soit pour châtier l'impiété de Sodome (Gn 19,24), de l'Egypte (Ex 9,24), ou de Nadab et Abihu (Lv 10,2), etc... (2R 1,10 2R 1,12 Am 1,4 Am 1,7 Am 1, Am 1, ), comme un avertissement de l'enfer (Is 66,15-16 Ez 38,22 Ez 39,6 Ml 3,19), soit pour purifier ses élus de toutes leurs impuretés (outre le // Ml 3,2-3 Si 2,5 Is 4,4 Za 13,9 — comme en un purgatoire ? — soit encore pour consumer en holocauste les victimes des sacrifices et sceller par là son Alliance avec Abraham, l'Israël du Sinaï, ou le peuple infidèle, rudement sommé de revenir à Yahvé par Elie (voir les //). Mais si cet embrasement tient à la nature du Tout de Dieu (// Dt 4,24), qu'on ne peut donc prendre à moitié, il est impossible que son approche, même incarnée, ne soit consumante...

quelle est ma volonté sinon qu'il flambe ? — Même sous cette forme interrogative, cette exclamation est un souhait. Aussi beaucoup traduisent : « Comme je voudrais qu'il soit déjà allumé », qui paraît plus parallèle au v. 50 : « combien je suis angoissé jusqu'à... » Mais justement, le parallélisme n'est pas exact :

Lc 12,50 // Mc 10,38 Rm 6,3-5 — Mais : Traduit le < dé > grec, marquant sinon une opposition (A. George, dans Ass. S. 2° D. ord, p. 64 n. 7), du moins une < distanciation > et une répartition. Si désireux que soit le Christ de voir le Feu de l'Esprit Saint communiquer sa ferveur au monde, il sait bien que la Pentecôte ne pourra venir qu'une fois « accompli le baptême » de sa Passion-Résurrection. C'est bien « un préalable » (A. George).

j'ai à être baptisé d'un baptême: Dans le // Mc 10,38, le Christ emploiera la même image, sous la même forme redoublée: « Pour Jésus comme pour ses auditeurs, ce terme signifie une ablution de purification (cf. § 202 ) — Lc 11,38, où nous avons effectivement traduit par < faire des ablutions > le verbe < Baptizein >). Jésus doit entendre par là sa mort (cf. § 254 ) — Lc 10,38*) comme jugement de purification pour son peuple (le jugement par l'eau est lié comme ici au jugement par le feu en 17,26-29 et en 2P 2,5-6 2P 3,6-7). Le comprend sans doute ce baptême de Jésus comme l'origine du baptême chrétien pour le pardon des péchés (Ac 2,38 Ac 22,16) ». Note de la Tob. Ainsi, la théologie du sacrement du baptême n'est pas, comme on l'a dit, de l'invention de saint Paul, mais trouve son principe dans les Paroles mêmes du Christ (Sur ce point, cf. l'exposé et les références d'A. FEUILLET : Baptême et Tentation... p. 68-69) — qui conclut) :

« Nous penserions volontiers que la relation entre Baptême et Passion n'est encore qu'implicite, non seulement chez Matthieu, mais encore chez Marc, en dépit de Mc 10,38-39. Mais Luc a explicité ce rapport. Chez lui, tous les événements de la vie publique de Jésus, à partir du Baptême inclusivement, sont conçus comme une marche religieuse vers la ville sainte et vers la mort. Replacée dans son contexte, la sentence de Lc 12,49-50 opère la liaison entre le baptême qui ouvre la carrière terrestre de Jésus et le baptême douloureux qui la termine... » (Ac). C'est encore étendre le sens et l'importance de la grande section, propre à Luc, de « La montée vers Jérusalem » (Cf. Introd. aux § 183 -245).

et combien je suis angoissé: Ce verbe exprime davantage qu'une simple anxiété subjective: il explique d'où vient cette oppression intime. « Comme chez les Septante, quand Luc emploie le verbe < Sunéchein >, c'est pour marquer: à l'actif, une pression ou une contrainte physique (Lc 8,45 Lc 19,43 Lc 22,63 Ac 7,57) ; au passif, l'action dominatrice de la maladie (Lc 4,38 Ac 28,8), de la crainte (Lc 8,37), de la parole évangélique (Ac 18,5). Il veut donc dire ici que Jésus se trouve face à une obligation qui s'impose impérieusement à Lui (Vg. < Coarctor >). Cette déclaration équivaut à celles où Jésus annonce qu'« Il faut que le Fils de l'homme souffre » (Lc 9,22 Lc 17,25 Lc 22,37 Lc 24,7 Lc 24,26 Lc 24,44) ». A. GEORGE : art. cit. p. 66).

Lc 12,51-53 Mt 10,34-36) // Lc 2,34, au § 102 *.

p. 463

§ 213. Les signes des temps : Lc 12,54-56 ; (Mt 16,2-3)


(Lc 12,54-56 Mt 16,2-3)

— « Premier élément de cette section (ce que nous avons appelé < second versant > dans l'introduction à ces § 212 -216), sur la décision à prendre sans délai ».

À présent, Jésus s'adresse « à la foule » des auditeurs « qui n'ont pas su discerner l'événement que constitue sa présence... dernier délai offert à Israël pour accéder au salut : cette année de grâce que Jésus proclamait dans sa prédication inaugurale à Nazareth» (§ 30 ) — Lc 4,18-19*). A. GEORGE : Interpréter ce temps, dans bvc juillet 1965, p. 18-23.

Commentaire de ce § 213 à la fin du § 120 . Hypocrites : cf. Introd. au § 60 . Ici, plutôt que simulateurs ou même pervers, signifie surtout : aveugles.



§ 214. Se réconcilier avant le jugement: Lc 12,57-59; (Mt 5,25-26)


(Lc 12,57-59 Mt 5,25-26)

— Commentaire au § 54 . Le v. 57, de transition, est en rapport avec le verset précédent : devant des signes si nombreux, comment n'en tirez-vous pas les conséquences pratiques ? Le sens eschatologique et pratique de la parabole se trouve donc accentué, davantage que dans Saint-Matthieu, par le contexte antécédent et subséquent de Saint-Luc.

Les // Suggèrent que, se réconcilier exigeant que l'on se concilie l'adversaire, s'il faut y mettre de nous-même il ne convient pas moins de mettre aussi Dieu en jeu, Lui qui peut agir sur le coeur des autres, comme sur le nôtre.



§ 215. « Si vous ne faites pénitence... » : Lc 13,1-5 // 2M 5,11-12


(Lc 13,1-5 // 2M 5,11-12)

—Pour une fois, Jésus en appelle non à des paraboles de son invention, mais à des « faits divers », soit qu'ils dépendent des hommes (v. 1-2), soit purement accidentels (v. 4). L'histoire confirme que Pilate n'hésitait pas à verser le sang pour étouffer toute tentative de soulèvement. Cela explique sans l'excuser, la crainte de Caïphe (§ 267 ) — Jn 11,47-50*).

Lc 13,2.4 // Jb 6,2 — Plus grands pêcheurs... plus lourd sur la conscience (Litt. < plus endettés >, de la dette dont nous sommes bien insolvables : cf. § 182 ) — Mt 18,24-25*) : Mais le plus ou le moins ne joue précisément pas ici entre les différents hommes: la question posée porte plus généralement sur le rapport interne entre la méchanceté et le malheur, comme déjà dans le cas exemplaire de Job. Ici comme au § 262 ) — Jn 9,2-3*, l'Évangile dénie l'individualisation de cette relation mystérieuse : non, il est impossible d'établir un lien direct et unilatéral d'effet à cause entre ce que nous avons à souffrir et nos propres actes (ou ceux de nos parents, dans le cas de l'aveugle-né). Certes ils jouent, mais dans un ensemble indissociable où chacun cause et subit tout à la fois les effets produits par tous, et par l'ensemble de la société dont nous sommes membres. Si bien que certains peuvent avoir à payer plus ou moins que leurs fautes propres, et porter les conséquences des carences d'autrui — de même que nous bénéficions aussi tous plus ou moins de ce que les autres ont apporté à l'amélioration de la société. Ce n'est < injuste > que d'un point de vue individualiste, abstrait; mais concrètement, c'est la traduction de ce fait que justement « nul n'est une île », et que toute destinée est à la fois personnelle mais solidaire des autres.

Cette solidarité naturelle, sociale, se redouble dans l'ordre surnaturel, du Royaume, où « nous sommes tous membres les uns des autres, chacun pour sa part » (Rm 12,4-5 1Co 12,12-27). C'est le mystère de la Communion des saints, et de « la réversibilité des mérites », si justement chère à Léon Bloy, car c'est par elle que s'opère notre Rédemption par un Autre. « Une âme qui s'élève, c'est le monde entier qu'elle élève » (Elisabeth Leseur).

Le Livre de Job, dans son ensemble, vise plutôt une spiritualité de confiance, qui s'en remet à la Sagesse providentielle de Dieu pour < justifier > (rendre justes) ces disparités du sort, dont Job est particulièrement accablé. Il en ressortira, comme dans le cas de l'Aveugle-né de Jn 9, le bienfait de la manifestation éclatante de la Gloire de Dieu et de la fidélité de Job, qui répare et surpasse toutes ces < injustices > temporaires. Mais ce n'est pas une raison pour s'aplatir et nier l'évidence du manque de proportion entre les souffrances de Job et sa conduite antérieure. D'où les rectifications indignées de Job au simplisme de ses 3 « amis », notamment dans ces en. 6-7 et 9-10, dont l'essentiel est repris par l'Église dans son Office pro defunctis, pour y reconnaître un des plus bouleversants témoignages de la condition humaine, et de son appel au Dieu qui rend justice. (Nous donnons ce // Jb 6,2 suivant la version de la Vulgate qui, dans sa logique, souligne bien l'écart entre malheur et mal).

Partant de là, l'Évangile en tire la leçon : si les malheurs subis ne proviennent pas exclusivement de ceux qui en sont accablés, mais de tous, alors chacun doit faire pénitence, sous peine que tous finalement périssent également -comme on l'a vu dans les catastrophes qui ont marqué la fin des Royaumes d'Israël et de Juda (2R 17,7 2R 17,23 cf. 2R 24,20); comme on le verra en 70 après Jésus-Christ. Comment le même avertissement ne vaudrait-il pas, à plus forte raison encore pour les chrétiens, membres du Royaume de la Communion des saints? Et de fait, c'est cet évangile de l'urgence qu'il y aurait à faire pénitence par solidarité avec le genre humain, que répètent spectaculairement les apparitions de La Salette, Lourdes ou Fatima.

Faites pénitence : Traduit le verbe < Métanoeïn > = convertissez-vous = Revenez à Dieu (cf. § 19 ) — Mt 3,2*). Mais ici comme dans la prédication de Jean-Baptiste, l'invitation porte avant tout sur l'urgence de produire « un digne fruit de pénitence » (§ 20 ) — Mt 3,8*). L'aspect < Retour > sera mis en valeur par l'Enfant prodigue (§ 232 ) — Lc 15,17-20*).

// Jr 4,1-4 Jr 14,7-9 — L'appel à la pénitence est la fonction essentielle de tous les prophètes : qu'on se rappelle Jonas, ou le bilan général de la prédication prophétique rappelé par Jr 23,1-13, avec la même insistance pour prévenir la catastrophe autrement inévitable (cf. A. Uleyn : Fonction prophétique, ch. 1e). Cet appel n'est pas moins au coeur de l'Évangile, comme le 2° point du < Kérygme >.


p. 464

§ 216. Parabole du figuier stérile : Lc 13,6-9


(Lc 13,6-9)


— Dans la ligne générale de ces paragraphes (voir l’Introd. aux § 212 -216), cette parabole vise à faire comprendre qu'il reste encore présentement le temps, mais limité, de « produire un digne fruit de pénitence » (§ 20 ) — Mt 3,8*). Par la suite, entre Rameaux et Passion, Mt et Mc parleront d'un figuier effectivement maudit, et du jour au lendemain, desséché (§ 276 et § 278 *), parce que dès lors, « le temps de la visite » où il était encore possible de reconnaître le Christ et de revenir à Dieu par la Foi en son Envoyé, sera pratiquement passé.

Autant « demeurer sous sa vigne et son figuier », comme Nathanaël avant sa vocation, était signe de paix et de bien-être, non seulement physique ou social, mais spirituel par la méditation nourrissante des Écritures (§ 25 -Jn 1,48*), autant le dessèchement de cet arbre devait paraître symbole redoutable des malheurs d'Israël qu'annonçaient les prophètes par cette image (voir // Os 9,10-16 et Ha 3,17, en // au § 276 ; cf. en outre Is 34,4 Jr5,17; Is 8,13 Os 2,14 Jl 1,7 Jl 1,12 Am 4,9 etc. ). Mais, en conclusion de cette section (§ 205 -216), l'avertissement vaut pour toutes les générations qui ont à se dépêcher de reconnaître le Christ et à se convertir, avant que vienne la fin.

p. 465

§ 217-229. Le royaume et son festin


Scandée par deux miracles de même type (§ 217 et § 223 ), double série de paraboles, sur le Royaume (§ 218 -220) et sur le Repas (§ 224 -229), centrée sur un double paragraphe prophétique (§ 221 -222). Venant après une autre section (§ 205 -216) également unifiée autour du paragraphe concernant aussi la prochaine Passion (§ 212 *), on a peine à penser que de telles compositions soient purement fortuites, et n'aient pas elles aussi un but, un sens, à chercher. D'autant plus que le groupement ne semble guère s'imposer comme un ordre historique: par leur cadre comme par leurs thèmes, les § 217 à 223 se rattachent au ministère en Galilée, tandis qu'au moins le § 226 est dans le ton, propre à la dernière semaine, du divorce déjà pratiquement opéré entre Jésus et les Pharisiens (cf. l'Introd. aux § 276 -289, paragraphes parmi lesquels a situé la parabole des Invités au festin (§ 282 ), et qui se terminent par l'apostrophe à Jérusalem donnée par Lc au § 222 ).



§ 217. Guérison de la femme courbée : Lc 13,10-17


(Lc 13,10-17)

— // Enseignait dans une synagogue : Nous revoilà dans le cadre galiléen (Lc 4,15 Lc 4,28 Lc 4,33 Lc 4,38 Lc 4,44 Lc 6,6). Un jour de sabbat : Idem (Lc 4,16 Lc 4,31 Lc 6,6). Le miracle, accompli malgré le sabbat, suivi de la controverse avec les Pharisiens, est également du type de Lc 6,6-11 (ainsi que de Lc 14,1-6, dans la présente section).

Lc 13,11-12 // Gn 4,5 Qo 1,15 Pr 18,14 Ps 57,7 Rm 11,9-10 = Ps 69,24 Ps 119,28 — Qui avait un esprit d’infirmité : Ne vise pas tant la cause (démoniaque ?) du mal, que ses effets, sa portée spirituelle. Les // En témoignent, car on y trouve un constant symbolisme, passant de la posture physique à une attitude d'âme. Aller « tête baissée » (Gn 4,6) est mauvais signe. Être courbé, tordu, est une des images du péché dans l’A.T., l'autre étant celle du manque, au sens de ce qui « défaut » (qui n'a pas ce qu'il faut) et par conséquent rate la cible (cf. A. GELIN : Le péché dans /'A.T., dans Théologie du péché, Desclée et Cie 1960, p. 23-47) : le // Qo 1,15 met en parallélisme les deux images. Ce mal n'atteint donc pas seulement la colonne vertébrale de l'homme, mais « son échine » morale aussi (// Rm 11,10). Et quand le moral est abattu, comment soutiendrait-il la vie de l'homme (// Pr 18,14)? Dans notre itinéraire spirituel, nous avons à nous « redresser » comme l'aurait fait, paraît-il, notre lointain ancêtre « homo erectus », d'où seraient venus les développements de l'activité manuelle et des capacités du cerveau: l'action et la contemplation. D'où la régression du péché. D'où la valeur symbolique du présent miracle : en guérissant cette femme, le Christ donne l'image du redressement de l'humanité qu'il vient opérer. C'est sans doute pourquoi aussi, Jésus prend l'initiative: c'est Lui qui appelle cette fille d'Eve, en lui donnant son beau titre de « Femme » -représentant non seulement toutes ses congénères, mais tous les descendants de « la Mère des vivants » — et en nommant sa guérison une « délivrance ».

Lc 13,13 // Ps 146,8 Ps 113,7 Ps 30,2-3 Ba 2,18 — Il lui imposa les mains : § 35 ) — Lc 4,40* ; § 143 ) — Lc 8,41*. À l'instant même : Rien ne résiste à cette divine Toute-Puissance. Elle se redressa : Litt. « elle fut redressée », < passivum divinum >*. Elle rendait gloire à Dieu : Comme souvent, à la suite des miracles, notamment dans Saint-Luc : 5,25.26; 7,16; cf. 17,15.18; 18,43. Jn 11,4(§ 266 ) nous dira qu'outre leur rôle de signes, les miracles du Christ comme toute sa vie et sa mort même, ont pour but cette gloire* qui vient à Dieu de ce qu'il sauve l'homme de son mal, et lui donne de « redresser la tête » (§ 297 ) — Lc 21,28). Les // Ici tirés des psaumes et de Baruch rendent grâces à Dieu de cette gloire.

Lc 13,14-16) — La controverse (parallèle à celle du § 223 ) — Lc 14,5). Non seulement les Pharisiens considéraient ce < travail > de guérison comme interdit, mais les Esséniens de Qumrân déniaient formellement l'exemple du boeuf à tirer du puits (Doc. de Damas, Constitutions, III, n° 13-14) — dans Textes de Qumrân n, p. 194). Ne nous moquons pas de ces étroitesses du passé : il y a seulement deux ans, tel médecin débordé par l'afflux des malades, dut néanmoins réduire le temps de ses soins pour ne pas s'attirer d'ennui des Pharisiens sociaux d'aujourd'hui, en outrepassant le nombre d'heures légalement autorisées.

Il y a six jours I le sabbat : Rappel du sens religieux de l’interdiction : garder le rythme divin du Créateur (Gn 2,1-3 et Ex 31,13-17, que l'on trouvera en // au § 44 , avec son commentaire).

Le Seigneur lui répondit :I- de la potterie observe que, dans la réponse toute parallèle, en Lc 14,3 (§ 223 ), il y a seulement: « Jésus dit... » « À première vue, aucune différence entre les deux récits, et l'utilisation de < o Kurios > en 13,15 et de < o lèsous > en 14,3 peut sembler plus ou moins fortuite et dépourvue de signification. Mais à y regarder de près, on constate que, dans le cas de l'hydropique (14,3), Jésus parle avant défaire le miracle et soumet simplement aux Pharisiens et aux légistes un problème de morale. Dans le cas de la femme courbée, Jésus parle à deux reprises: quand l'Évangéliste rapporte ses paroles à la femme (13,12) ou qu'il décrit l'indignation du chef de la synagogue (v. 14), il utilise encore le nom « Jésus » ; mais après l'intervention publique du chef de la synagogue, lorsque Luc veut décrire la réaction véhémente que cette prise de position provoqua chez Jésus (v. 15-16), il s'exprime autrement: c'est maintenant « le Seigneur » qui réplique (v. 15a) ... affirmant son entière liberté et son autorité vis-à-vis des prescriptions de la Loi» (Le titre de Kurios..., p. 133-134).

Hypocrite* : Peut être ici doublement reproche d'une simulation: d'une part en effet, sous prétexte de faire la leçon à la foule, c'est Jésus qu'en réalité vise le chef de la synagogue ; d'autre part et surtout, il y a hiatus entre le rigorisme prêché ici par ce dernier, et la conduite effective de chacun, lorsque l'intérêt de ses bêtes entre en jeu.

cette fille d'Abraham: Nous disions plus haut < fille d'Eve >. Mais comme descendante d'Abraham, cette femme est au surplus une coreligionnaire méritant la sympathie et l'aide du Pharisien; mieux encore, ce titre suggère sans doute que c'est une croyante, et qu'une fois de plus, le miracle est réponse à la foi, comme pour Zachée, qui méritera d'être appelé, lui aussi, « fils d'Abraham » (§ 269 ) — Lc 19,9*).

Lc 13,17 // Ps 70,4-5 Ps 71,24 — Bilan : les adversaires I le peuple...

p. 466

§ 218-220. Paraboles du sénevé, du levain, et de la porte étroite : Lc 13,18-30


(Lc 13,18-30)

— La première parabole (et la seconde, pour Mt), se trouve déjà dans le en. 13 de Mt et le ch. 4 de Mc (§ 133 *-134*, auxquels on se reportera donc pour le commentaire, y compris pour le sens des // Du § 219 ).

La 3° parabole (§ 220 ) regroupe plusieurs Paroles que l'on retrouve dispersées en Mt — avec leur commentaire, pour ce qui est commun à Luc et à Mt.

Lc 13,22-23 — Reprise du leitmotiv de < La montée à Jérusalem > (Introd. aux § 183 -245). Il va être dramatiquement scandé aux § 221 -222, centre de la section des § 217 -229 : ainsi, ce refrain n'est-il pas seulement procédé artificiel, mais bien ce qui donne à la diversité des Paroles en tous ces paragraphes, leur < sens > et leur tonalité propre, dure et tendue.

Comme pour la parabole du bon Samaritain, ou celle du trou de l'aiguille (§ 191 * et § 250 *), c'est une réponse à la question posée. Ici : le plus ou moins grand nombre des sauvés. Y répondra plus directement encore la parabole des Invités au festin qui, dans Saint-Luc, se trouve précisément à la fin de la présente section (§ 226 * — mais voir surtout la formulation plus expresse, dans la version de Mt 22,14*, au § 282 ) : S'il y a peu d'élus, ce n'est pas que tous ne soient pas appelés, c'est que peu y répondent. Et s'il y en a peu à répondre, c'est qu'il faut passer par la Porte étroite du sacrifice (§ 227 -28*, faisant donc suite à la parabole des Invités). D'où l'exhortation, ici : « Faites l'effort » nécessaire (dans le même sens, Lc 16,16 — commentaire au § 107 ).

Lc 13,24 // Gn 28,12-17 Jn 1,51 Ap 4,1 Ap 21,25 Ps 24,6-10 Ps 118,19-21 Ps 9,14-15 — Commentaire général au § 72 *. // Sur l'image de « la porte du ciel ». Celle-ci est vraiment < à notre porte >, invisible mais présente comme le songe l'a révélée à Jacob (// Gn 28,17), et aussi < à notre portée >, comme le Royaume sur qui elle est désormais ouverte (// Jn 1,51§ 25 *), et reste ouverte (// Ap) depuis que « Le Vaillant », notre Rédempteur, y est entré, nous entraînant à sa suite (// Ps 24,6-10 Ps 118,19-21, etc.).

Lc 13,25-30 — Commentaire du v. 25 au § 305 ) — Mt 25,10-12* ;v. Lc 13,26-27 au § 74 *; v. 28-29 au § 84 *.

// Ps 6,9 Ps 6,11 — Éloignez-vous de moi : Le rejet n'est pas (pas encore) définitif, tant qu'il est possible de « changer de voie », pour passer la Porte étroite; mais ne s'en profile pas moins le Jugement dernier. Luc l'attribue au « Père de famille » (Lc 13,25)... « Il Vous dira... » Dans Mt 7,23, parlant à la première personne, Jésus dit : « Je leur déclarerai... » : Le Jugement est au Fils comme à son Père. Par un tout autre biais, les Synoptiques n'en concordent pas moins avec Jn 5,22-30* (§ 149 )...

Il y a des premiers qui seront des derniers (Lc 13,30) : Venant à la suite de l'annonce du transfert de l'élection d'Israël à toutes les nations ex-païennes (Lc 13,28-29) — sur ce mystère, cf. § 84 *), cette Parole s'applique à ce même drame. Mais il est notable que la formule en soit seulement partitive : « il y a des premiers... » laissant place à d'autres premiers (d'autres Israélites de race) qui, par leur adhésion au Christ, resteront des premiers. De même que les derniers (païens) ne seront pas tous automatiquement greffés sur l'Alliance d'Abraham. En Mt et Marc, un contexte différent donne à cette même Parole un sens plus général (cf. § 251 et 252) — Mt 19,30 et Mt 20,16*).

p. 467

§ 221. Mourir à Jérusalem : Lc 13,31-33


(Lc 13,31-33)

— Sur le sens et la structure de ce paragraphe, cf. A. Denaux, dans BETL 32, p. 245-285.

Lc 13,31) — En cette heure-là : Relie volontairement l'épisode à ce qui précède, et nous donne un premier indice de sa signification : au § 220 , Jésus était précisément « en route » vers Jérusalem (Lc 13,22*). Le conseil des Pharisiens au v. 31 n'est donc pas à l'origine de cette montée, même si elle va favoriser leur ténébreux dessein.

certains Pharisiens s'approchèrent: Ceux-là lui seraient-ils favorables, et leur conseil, de bonne foi ? Beaucoup de commentateurs le prennent ainsi. Mais on ne comprendrait alors, ni l'ambiguïté de la réponse, ni surtout le ton hostile, et encore moins la violence des v. 34-35 qui, suivant Saint-Luc, font bien partie de la réponse du Christ. Même si Le est moins totalement négatif que Mt à l'égard des Pharisiens, il a mis en garde contre leur hypocrisie, au § 203 ) — Lc 12,1. Au surplus, on ne voit pas dans les Évangiles qu'Hérode ait voulu la mort du Christ, mais plutôt qu'il était curieux de voir ce faiseur de miracles (§ 146 et § 348 ). En mettant faussement Jésus en garde contre Hérode, le but des Pharisiens ne serait-il pas surtout — comme l'indique la mise en avant du verbe redoublé, à l'impératif: « Sors et pars d'ici » — de lui faire abandonner son ministère galiléen, où la sympathie du peuple lui était un rempart (cf. § 312 ) — Lc 22,2), et même peut-être de l'attirer en Judée, où il serait plus vulnérable?... La réponse de Jésus se fait en 2 versets, dont A. Denaux a montré la structure parallèle, correspondant à la double allégation des Pharisiens.

Lc 13,32) — Répond à : « Hérode veut te tuer ». Dites à ce renard : À l'opposé du lion, redoutable, le renard n'est qu'un tyran, subalterne, fuyard et méprisable. Par ce seul mot, le Christ a déjà témoigné que le vrai danger ne vient pas d'Hérode, et qu'il le sait bien. Par contre, en répliquant : « dites-le... », il laisse entendre qu'il tient ces Pharisiens doucereux comme étant du même parti, contre Lui.

// Ne 6,10-13 — Mieux encore que Néhémie, Jésus n'est pas homme à se laisser impressionner par la menace, même s'il a déjà une fois choisi de se retirer pour se dérober à la dangereuse curiosité d'Hérode (cf. Introd. aux § 146 -182), en allant évangéliser les terres païennes du côté de Tyr et Sidon ou de la Décapole. Les Pharisiens, qui ne devaient pas l'ignorer, pouvaient tenter de provoquer un nouveau retrait. Mais Néhémie préfigurait surtout le Christ en refusant de même le piège qui lui était tendu, pour ne pas interrompre son travail de restauration de Jérusalem et d'Israël (Ne 4,15 et 6,3, en // au § 148 in fine).

Voici : Le ton change, annonçant l'irruption de l'événement où éclatera la Toute-Puissante Sagesse — vraiment impérative celle-là — de Dieu en son Dessein de Salut (cf. BC I*, p. 42-43).

aujourd'hui et demain I le troisième jour : // Ex 19,10-11 ; Os 6,1-2 — Il y a ici opposition entre < aujourd'hui et demain > (= encore quelque temps), où Jésus poursuivra son action bienfaisante comme par le passé, et ce < troisième jour >* — expression qui est pour nous, plus encore qu'au temps de Moïse ou des prophètes (// Ex et Os), évocateur de sa < Passion > et Résurrection. C'est leur transcendance que le « Voici » initial annonçait.

je suis consommé: « Le verbe < téléioun > signifie à l'actif < rendre quelqu'un parfait > (< téléios >), et au passif < devenir ou être parfait > ». Mais en outre, « il y a contamination avec < téléin > : à l'actif < faire venir au terme > (< télos >), au passif < atteindre le but >. En soi donc, le verbe < téléiousthaï > peut indiquer soit (a) l'accomplissement, la consommation, la perfection, soit (b) le but, la fin, le terme ». Ici, la forme passive porte à entendre, plutôt que < j'atteins le but >, < je suis conduit au terme ; je suis porté au point de consommation > ; cela veut dire que le sujet de l'action est Dieu [= passivum divinum*] ; c'est Lui qui mettra un terme à l'activité de Jésus ; c'est Lui qui définit quand et comment la mission de Jésus sera accomplie ». En somme aux projets d'Hérode (ou de ces Pharisiens), Jésus oppose la volonté de Dieu, qui le mène, comme le confirme le « Il faut » du v. 33 (A. Denaux, p. 271-272).

On se souvient que ce thème de l'accomplissement* caractérise l'oeuvre du Christ. Il annonce présentement que le réalisera et sa mort rédemptrice (§ 355 ) — Jn 19,30*), et sa résurrection (« le troisième jour »). On voit comme est atterrante la traduction de la TOB : « le troisième jour, c'est fini ».

Lc 13,33) — Mais: oppose le v. 33 moins au v. 32 qu'à l'impératif des Pharisiens: « Sors, pars d'ici », auquel le Christ répond maintenant: s'il faut qu'il aille se jeter dans la gueule du lion, à Jérusalem, ce n'est pas par crainte du renard (qui n'y avait pas juridiction), ni en se fiant naïvement au conseil hypocrite des Pharisiens, mais bien de par le < Il faut > du dessein divin de Salut (§ 18 - Lc 2,49* et § 78 ) — Jn 3,14*).

Il n'y a en effet pas lieu de voir une contradiction entre « aujourd'hui et demain je chasse les démons » (v. 32) et « aujourd'hui et demain, je vais vers Jérusalem » (v. 33), puisque Jésus a fait tant de miracles justement sur la route. Mais il est vrai par contre, qu'en ce v. 33, il n'y a plus d'opposition comme au v. 32 entre « aujourd'hui et demain / le troisième jour » : c'est bien plutôt une succession linéaire de son cheminement, « aujourd'hui, demain et le jour suivant », car c'est bien vers cette mort que toute la volonté salvatrice du Père, donc toute l'obéissance rédemptrice du Fils, est tendue (§ 212 ) — Lc 12,49-50*). « En poursuivant sa route, Jésus semble tomber dans le piège que lui tendent ses adversaires. En réalité, leurs manoeuvres aboutissent, sans qu'ils s'en doutent, à réaliser le plan divin » (A. Denaux, p. 285).

Il ne peut se faire qu'un prophète : // 1R 19,1-3 — Implicitement, Jésus se reconnaît donc prophète ; et peut-être Le le met-il intentionnellement en // avec Élie, averti lui aussi que la Reine voulait sa mort, ce qui le fait fuir. Car, en tous cas, il semble que le troisième Évangile aime à présenter le Christ comme le Prophète, complémentairement à Mt qui soulignerait plutôt le // avec Moïse (Références et bibliographie dans A. Denaux, p. 282-84 et n. 114).

périsse hors Jérusalem: Transition vers l'apostrophe du § 222 . Mais plus profondément, transparaît ici l'aimantation de Jésus vers Jérusalem, remarquée dès le § 11 ) — Lc 2,38*, et au § 169 ) — Lc 9,31*. Cf. encore Lc 9,51.53; 13,22; 17,11 ; 18,31. Car c'est là que tout doit s'accomplir* : § 253 ) — Lc 18,31*.

Mais ce que Lc 13,32-33 nous fait sentir, quasi physiquement, c'est à quel point Jésus vit comme un homme « dont les jours sont comptés... Mystère de dépendance et de pauvreté... Une des formes de la richesse est d' < avoir du temps devant soi >, de pouvoir à son aise disposer des moments qui viennent... Pour nous, < le temps est toujours bon > (Jn 7,6), tissu indifférencié que nous employons à tous les usages. Mais Jésus n'a point le choix, il n'a jamais qu'une heure, et ne peut jamais faire autre chose que ce que le Père lui demande. Parce qu'il est constamment attentif, rien ne lui échappe des minutes que le Père lui donne... » (J. GUILLET : Jésus-Christ..., p. 98-100).

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Bible chrétienne Evang. - § 212-216. Le jugement à l’oeuvre : Lc 12,49; 13,9