Bible chrétienne Evang. - § 222. Avertissement à Jérusalem: Lc 13,34-35; (Mt 23,37-39)

§ 222. Avertissement à Jérusalem: Lc 13,34-35; (Mt 23,37-39)


Lc 13,34-35 Mt 23,37-39


-Située par Mt entre Rameaux et Passion, en conclusion des invectives du Christ contre les scribes et Pharisiens (§ 287 -289), cette apostrophe à Jérusalem y vient donc logiquement à la suite de l'accusation des persécutions et crimes commis dans la Ville Sainte. Par contre, Luc a déjà cité ces invectives et accusations au § 202 . Il en a donc séparé cette finale, préférant la rattacher à la prédiction du v. 33. Et de ce fait, les nombreux meurtres de prophètes antécédents (v. 34 a — cf. § 288 ) — Mt 23,34-35) apparaissant comme la pré-figure de la mort du Christ, cela explique pourquoi il convenait que le Prophète qui les accomplit tous périsse lui aussi à Jérusalem. — Commentaire de ce paragraphe au § 289 .

§ 223 -226. Ces 4 paragraphes regroupent autour d'un même repas (14,1) 1 guérison et 3 paraboles par où le Christ fait la leçon, d'abord aux invités, (v. 7) puis à son hôte lui-même (v. 12), enfin à « l'un des convives » (v. 15). La mention du repas revient d'ailleurs aux v. 8.12.15-16.24) — comme celle du pain revenait en Mt et Mc dans les § 146 à 182 (voir Introd. à ces §). C'est donc un nouvel exemple de la composition des Evangiles, beaucoup moins soucieuse de la stricte succession chronologique des dits et faits de la vie de Jésus, que de leur donner < sens > et convergence, sans dédaigner même les ressources formelles des genres littéraires reçus à l'époque (Sur ce point, cf. x. de MEEUS : Composition de Lc 14 et genre symposiaque, dans etl 1961, p. 847-870. Plus généralement, cf. b. STANDAERT : L'Év. selon Marc).

Si par ailleurs, on se réfère tant aux nombreux conseils donnés par les Sapientiaux sur la bonne conduite, à table, qu'aux coutumes contemporaines de Jésus (strack-billerbeck, IV, 2P 611-639), on mesure à quel point la perspective évangélique leur est transcendante.



§ 223. Guérison de l'Hydropique: Lc 14,1-6; (Mt 12,9-14 Mc 3,1-6)


(Lc 14,1-6 Mt 12,9-14 Mc 3,1-6)

— Ce miracle en jour de sabbat est parallèle non seulement à celui de la femme courbée du § 217 * — dont il diffère précisément par le cadre du repas (v. 1) — mais à celui fait par le Christ en faveur de l'homme à la main desséchée (§ 45 ) — Lc 6,6-11*). Ce miracle est commun à Mt et Mc (reproduits ici en //), mais on a bien montré comment Lc 6,6-11 se rattache plutôt à Mc 3,1-6, tandis que la guérison de l'hydropique ressemble plus directement à Mt 12,9-14 (cf. Rec. Cerfaux 1P 440).



§ 224. Sur le choix des places : Lc 14,7-11


(Lc 14,7-11)

— Sur leur répartition et leur honorabilité respective, cf. f. prat, dans Rech. sr 1925, p. 512-522. Nous retrouverons cette question à la Cène (§ 317 *).

// Pr 25,6-7 — Le conseil est le même que celui du Christ. Mais au lieu d'une simple précaution d'amour-propre, Lc 14,11 l'élève jusqu'à en faire une parabole de l'humilité évangélique, ainsi que le confirmera le v. 11. Et comme toujours, ce qu'il enseigne, Jésus en donnera le premier l'exemple, suivant l'exclamation de l'abbé Huvelin: « Vous avez tellement pris la dernière place que jamais personne n'avait pu vous la ravir ». On sait comment le Père de Foucauld s'en inspira toute sa vie : « J'ai une répugnance extrême pour tout ce qui tendrait à m'éloigner de cette dernière place que je suis venu chercher (à la Trappe), dans cette abjection dans laquelle je désire m'enfoncer toujours plus à la suite de Notre Seigneur (1891)... Descendons le plus possible, comme le Verbe, comme Jésus; établissons définitivement, sur la terre, notre place parmi les plus petits ; à la dernière place. Mettons, comme le Verbe, nos délices à être avec les plus petits (1896) », etc. (Cf. J-F. six : Itinéraire spirituel de Ch. de Foucauld, Table des Thèmes, p. 453).

Lc 14,11; (Mt 18,4) // Pr 8,13 Pr 29,23 Ps 113,5-8 (et Ez 21,31, en // au § 287 ) — C'est un autre avertissement du < retournement évangélique > annoncé dès le Magnificat. Reviendra encore en Lc 18,14 (§ 245 *) et Mt 23,12 Mt 23, commentaire au § 174 in fine.

p. 470

§ 225. Sur le choix des invités : Lc 14,12-14 // Dt 14,28 2S 9,6-13


(Lc 14,12-14) // Dt 14,28 2S 9,6-13)

— Ce désintéressement était donc demandé et pratiqué dès l’A.T. À plus forte raison est-ce une simple application de l'Évangile du Sermon sur la montagne : « Prêtez sans rien attendre en retour, et vous serez les Fils du Très Haut... Père des miséricordes » (§ 59 ) — Lc 6,32-36).

Lc 14,14 // Si 11,26 Pr 24,12 (et Si 12,2 en // au § 59 ) — La visée d'une récompense n'est pas exclue par l'Évangile; et comment pourrait-elle l'être quand son objet n'est autre que l'accomplissement de l'amour, par union au Christ et à Dieu (§ 25 *) ? Mais cette charité n'en est pas moins si désintéressée qu'elle s'exerce tout aussi bien même si « l'on ne savait pas », au moment même, reconnaître en tous ces pauvres qu'on accueille, le Christ qui s'en est fait solidaire (§ 307 *).

à la résurrection des justes: La vraie résurrection, c'est celle des justes (dans le même sens, cf. § 285 ) — Lc 20,35-36*). Ce n'est pas dire qu'il n'y aurait pas de résurrection pour les injustes (Ac 24,15 ou Mt 25,31-46). Mais cette dernière est < par malheur > ; le dessein de Dieu, c'est la résurrection pour la vie et la béatitude divine, éternelle.



§ 226. Les invités au festin : (Lc 14,15-24); (Mt 22,1-10)


(Lc 14,15-24 Mt 22,1-10)

— Commentaire et // Complémentaires au § 282 .



§ 227-228. Sur le renoncement.


 Le cadre du repas cède à celui de la route, leitmotiv de ces § 183 -245. Ce qu'y ajoute le v. 25, c'est la mention de ces foules nombreuses qui continuent donc de « le suivre »*. Commentaire du § 227 et de ses // au § 103 . Voir à Lc 14,33* son rapport avec les v. 26-27.

Lc 14,28-33 — Paraboles accouplées, comme il est fréquent (Lc 5,36-38 Lc 13,18-21 Lc 14,4-10 Liste complète dans J. JEREMIAS : Les paraboles..., p. 94-96). Ici, elles indiquent deux aspects complémentaires de notre vie chrétienne : à construire, à défendre...

Si courtes soient-elles, ces paraboles comportent deux temps : au préalable, une réflexion sur les moyens à mettre en oeuvre (v. 28 et 31-32); puis, une fois l'oeuvre entreprise, le ridicule de celui qui, faute de moyens, n'atteindrait pas le but (v. 29-30). Le v. 33 répondra surtout à ce 2° aspect.

// 2Ch 32,5-8 2M 8,12-18 2M 10,25-30 2M 11,6-9 2M 11,13-15 Ps 18,10 — Ézéchias conjugue lui aussi reconstruction et défense de Jérusalem. Mais il sait surtout, comme Judas Maccabée, ce qu'enseigne toute l'Histoire Sainte: c'est que, pour se construire et se défendre, le peuple élu a mieux encore que ses propres ressources: il peut et doit compter avant tout sur Dieu. Telle est bien, et plus encore, l'espérance chrétienne : pour une oeuvre humainement impossible (surnaturelle = au-dessus de toutes forces d'homme), nous avons une < ressource > infaillible : celle du « plus fort » (§ 21 ) — Mt 3,11*).

Lc 14,33 — Verset construit sur le même modèle que les v. 25-26, avec lesquels il fait donc inclusion* des deux paraboles précédentes. Ce sont en effet trois conditionnelles, sine qua non : « s'il ne renonce... il ne peut être mon disciple ». Dans le // de Mt 10,37-39, il y a aussi trois conditions, dont les deux premières correspondent à celles de Luc. La troisième, qui est de « perdre sa vie à cause de moi » (v. 39), trouve son correspondant en Luc 14,26, où l'Évangéliste ajoute qu'il fallait « haïr jusqu'à sa propre vie ». Toujours la correspondance des Evangiles à travers leurs différences — fût-ce au risque de surcharger le bel équilibre du balancement deux par deux de la formule matthéenne (au v. 37).

Mais Luc prend soin de rattacher plus directement ce v. 33 aux deux paraboles qu'il a insérées entre 27 et 33 : « Ainsi chacun de vous... » Étudiant ce verset (nrt 1971, p. 561-582), J. Dupont montre d'une part que l'on ne peut trouver d'échappatoire à la claire affirmation de l'Évangile que cette condition s'impose non seulement à quelques disciples choisis (par exemple aux religieux), mais à chacun des disciples du Christ, y compris ceux qui restent « dans la foule » (v. 25) — c'est-à-dire, par définition, les < laïcs >.

D'autre part, on ne peut échapper non plus à la netteté de l'affirmation : l'exigence porte sur le renoncement à tous ses biens, ce qui correspond à ce que nous lisons par ailleurs en Lc 5,11 ; 18,22; 21,4; Ac 2,44; 4,32. Va dans le même sens la mise en garde contre le danger des richesses : Lc 12,13-34) — cf. Introd. aux § 205 -207; 16,1-13.19-31 ; 18,24-30. Enfin, ici même, Luc vient de renchérir sur Mt en allongeant la liste des proches qu'il faut savoir faire passer après le Christ : non seulement père et mère, et enfants, mais femme, frères et soeurs, et soi-même (comparer Mt 10,37 à Lc 14,26).

Mais tout cela n'empêche que, dans Ac 5,4) — c'est-à-dire au moment même où l'on vient d'affirmer qu'entre chrétiens, tout était mis en commun (4,34) — Pierre tient à reconnaître expressément au disciple du Christ la liberté de disposer de ses biens « à son gré ». Si l'on ne veut pas tomber dans la contradiction entre ce « chacun doit renoncer à tous ses biens » et la pratique de l'Eglise dès les premiers jours, il semble qu'il faille donc bien comprendre que le Christ ne fait pas tant de cette déclaration finale la conclusion des paroles au sens où il s'agit de réflexion et de renoncement préalables pour (et donc avant de) venir à Lui comme disciples — renoncement à tous leurs biens que les appelés à la vie religieuse n'hésitent pas à consentir effectivement, d'emblée. Le Christ viserait plutôt ici, pour tout le monde, la disposition d'esprit (= le détachement = la pauvreté dans l'Esprit) d'avoir à « être vraiment disciples de Jésus en se montrant prêts à renoncer à tous leurs biens plutôt que de ne pas mener à bonne fin l'entreprise dans laquelle ils se sont engagés : plutôt que d'échouer dans l'obtention d'un but qui ne peut être ici que leur salut... Les formes peuvent être diverses, suivant les circonstances et les vocations personnelles. Il ne sera pas demandé à tous les croyants de verser leur sang pour leur foi, et on ne saurait prendre la déclaration de Lc 14,33 comme une prescription légale sans tomber dans un nouveau Pharisaïsme. Il reste vrai cependant que le sacrifice de la vie (Lc 9,24 Lc 14,26 Lc 17,33) et le renoncement à tous les biens terrestres entrent dans la définition d'un disciple du Messie crucifié... Celui qui n'est pas capable d'entrer dans ces dispositions ne peut se croire vrai disciple du Christ (art. cit. p. 576 et 582).

p. 471

§ 229. « Si le sel s’affadit... » : Lc 14,34-35; (Mt 5,13 Mc 9,50)


(Lc 14,34-35 Mt 5,13 Mc 9,50)

–commentaire au § 51 .



§ 230-232. Jésus, manifestation de la miséricorde


En regroupant ces 3 paraboles — dont la première, seule, nous est connue par ailleurs (Mt 18,12-14 — au centre de la section de « La montée à Jérusalem » (§ 183 -245) — Introd.), et plus généralement, de tout son Évangile, Luc montre ce qui est à ses yeux le sens même de la mission du Christ. D'où l'importance de bien comprendre cet ensemble. Il a été heureusement fort bien étudié par w.r. farmer, dans nts 8 (1961-62), p. 301-316; e. rasco, dans BETL 25, p. 165-183; P. bonnard, dans « Cah. bibliques de Foi et Vie » n° 12 (1973), p. 25-37 et 72-79; J. Dupont, dans « Gregorianum » (cf. § 178 *), BETL 40 (cf. § 230 *), et Ass. S. n, 55 et 17 (24° D. Ord. et 4° D. Carême) et I, 29, (2° D. de Carême); R. WAELKENS : Analyse structurale, dans rtl 1977, p. 160-169, etc.

Composition : Elle est du même type qu'en Lc 13,1-9 (et, de façon moins complète, Lc 14,25 Lc 14,28-32 ou Lc 16,14 Lc 16,19-32) : une courte introduction provoque la réponse du Christ, procédant par questions symboliques jumelées, reprise en une troisième parabole, plus développée.

Thème : Davantage qu'à exalter la miséricorde et la grâce prévenante de Dieu (v. 4*.8.20*), ou bien à exhorter ses auditeurs à la pénitence (v. 7*. 10.17-20*), le Christ invite par ces paraboles à se réjouir avec Dieu de ce qu'est retrouvé ce qui était perdu (v. 4-6.8-9.23-24.32).

« Perdu-retrouvé » nous rappelle cet autre couple < chercher-trouver > (§ 18 ) — Lc 2,45* et § 70 ) — Mt 7,7-8*), mais avec cette différence que le sujet, cette fois, n'est plus l'homme en quête de Dieu, mais bien Dieu en quête de l'homme — ce qui est une définition du Christ, envoyé par le Père nous chercher et nous sauver, par son Incarnation rédemptrice (cf. § 230 , in fine). D'où son attirance pour les pécheurs (§ 41 -42) — Lc 5,27-32* et § 269 ) — Lc 19,1-10*), manifestant ainsi qu'en la Personne de Jésus, le Royaume est à notre portée, pourvu que nous nous convertissions en croyant à la Bonne Nouvelle (§ 28 *). Toutefois, ici, le Christ présente ce qui est donc le Kérygme* lui-même, en tenant compte des carences propres à ses interlocuteurs (v. 1-3*).

p. 472

§ 230. La brebis perdue : Lc 15,1-7; (Mt 18,12-14)


(Lc 15,1-7 Mt 18,12-14)

— Tous les publicains et les pécheurs : La situation est du même type que lors de la conversion de Lévi (§ 41 -42) — Lc 5,27-32), à ceci près que cette fois, ce n'est pas tant Jésus qui vient parmi les publicains que les pécheurs qui s'approchent de Lui pour l'entendre (ce qui est l'attitude même de la foi).

— Mais pourquoi : Tous ? alors surtout que les paraboles vont jouer sur une seule des brebis, ou des drachmes, et le seul fils prodigue? Faudrait-il en conclure que ces premiers versets cadrent mal avec les paraboles qu'ils introduisent, et seraient une jonction (mal faite ?) due à l'invention de Luc ? (bonnard, p. 32). Mais d'une part, ce « tous » ne figure pas dans tous les mss. et d'autre part, n'y aurait-il pas là une précision voulue ?

C'est qu'il s'agit de l'amour du Père, comme du Christ qu'il envoie : nous sommes donc bien aimés, chacun personnellement, « par ton nom », en ce que nous avons d'unique, autant que si « nous étions seuls au monde ». Mais ce qui est donné à chacun, « tous l'ont tout entier » ; car « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,4). Et < tous > ont à se reconnaître pécheurs, donc à se tenir pour les bénéficiaires de ces 3 paraboles...

Lc 15,2) — Les Pharisiens et les scribes murmuraient : C'est précisément ce que fera le fils aîné ; on peut donc déjà pressentir que cette seconde partie de la 3° parabole vise plus directement ces Pharisiens (cf. v. 28-32*).

« Celui-ci reçoit les pécheurs » : Tout l’A.T. appelle au repentir et au < Retour >* les pécheurs. Mais ils n'étaient réadmis dans la communauté sainte d'Israël qu'après s'être < rachetés > par une effective < pénitence >. Alors que Jésus peut les admettre d'emblée, puisqu'il sait que cette < rédemption >, il s'en chargera — ce que ses interlocuteurs étaient excusables de ne pas savoir encore, mais que les paraboles vont annoncer. En tous cas, gardons-nous de mépriser tous ces Pharisiens, caricaturés pour mieux les rejeter : ce serait justement faire comme eux, dont le tort est surtout de condamner les autres (A. Maillot : Les paraboles..., p. 125).

et Il mange avec eux: Ce thème du repas sera repris aux v. 23-24 et 32. Il nous renvoie au repas chez Lévi ou Zachée (§ 42 * et § 269 *), mais aussi au chapitre précédent, qui était précisément sur le thème du festin, offert à tous, et en particulier aux pauvres (§ 223 -226*).

Lc 15,4-7; (Mt 18,12-14 — Voir le commentaire général au § 178 . Revenons seulement sur quelques points particuliers à Luc : Alors que Mt jouait sur un balancement égal entre les deux aspects de la sollicitude divine : « si un homme perd une brebis... il part... ; s'il la retrouve... joie », Luc rompt l'équilibre, d'une part en liant les deux parties par le verbe-crochet « trouver » (v. 4-5) — cf. J. Dupont, betl, p. 334-35), et de l'autre en développant surtout cette seconde partie: image évocatrice de la brebis portée sur les épaules (// Is 40,11), triple mention de la joie aux v. 5.6.7.

de retour à la maison : < Maison > est moins en situation à ce v. 5 qu'aux v. 8 et 25. Serait-ce pour souligner par cette triple mention qu'à chaque parabole, il s'agit bien de la même réintégration du pécheur dans l’Église !

On peut en effet hésiter sur l'identification de ceux que représentent la brebis, la drachme ou le fils perdus : mais qu'il s'agisse des païens appelés à la première conversion, ou des chrétiens qui auraient à s'amender, les uns comme les autres sont appelés à être « de la maison de Dieu, concitoyens des saints » (Ep 2,19-20, en // au § 173 ).

il assemble amis et voisins... : « Réjouissez-vous avec moi »: C'est l'essentiel de la réponse aux murmures des Pharisiens (v. 2), fils aînés de la 3° parabole qui se refusent à entrer dans la maison où le prodigue vient d'être reçu (v. 28) ; mais cette invitation ne vise pas moins les chrétiens rigoristes des premiers siècles, opposés à une trop facile réconciliation de leurs frères, pécheurs. « De toutes manières, le chapitre dénonce une attitude d'ostracisme, inséparable de la tendance à constituer des groupes choisis d'hommes d'élite, foyers d'intolérance, fermés sur eux-mêmes, incapables d'amour à l'égard des gens qu'on méprise » (J. Dupont: Ass. S. II, 24° D., p. 76 et 78).

de la joie... plus que pour 99 justes : Litt. ce « plus » n'existe qu'en Mt 18,13; en Lc, il est sous-entendu, aussi pourrait-on traduire également: « de la joie... pour un seul pécheur et non pour les 99 justes » (rasco, p. 175) — Cf. Lc 5,32 : « pas les justes mais les pécheurs »). Même alors, bien entendu, il ne s'agirait pas d'une exclusion des justes ! mais simplement de ce que la parabole répond seulement à la question concrète posée, qui ne vise que les pécheurs, sans traiter du cas des justes (J. Dupont, betl 40, p. 345, n. 38).

qui n'ont pas besoin de pénitence: En donnant à cette expression le sens ironique de: « qui croient n'avoir pas besoin de pénitence », non seulement on expliciterait ce qui est tout au plus suggéré, mais on affaiblirait la parabole. Que Dieu se réjouisse d'une vraie conversion plus que de la suffisance d'un faux-juste, cela va de soi. Mais qu'il mette sa sollicitude et sa joie dans la conversion des pécheurs plus que dans les vrais justes, voilà bien la merveille inouïe (rasco, p. 177) !

dans le ciel: Cela peut être une façon de désigner Dieu sans le nommer, par respect pour le Nom ineffable (Tob, qui cite: Da 4,23 1M 3,18 et dans Lc, ici même aux v. Lc 18 et Lc 21, ou Lc 20,4) ; mais le // Du v. 10 montre que cette joie est bien partagée par « les anges du ciel » et tous les saints.

En tous cas, dans la double version de Lc (brebis et drachme) non moins que dans celle de Mt, c'est bien « le Père des cieux » qui a toute l'initiative, de la sollicitude comme de la joie: « Si un homme... et s'il réussit... » La pénitence ne sera mentionnée que plus tard, incidemment et en conclusion (v. 7) : « Dieu nous a aimés le premier » (1Jn 4,19); Il a envoyé son Fils à notre recherche avant que nous ayons à revenir vers Lui, comme le fils prodigue.

Mais plus précisément ; Jésus répond ici aux murmures des Pharisiens sur sa propre conduite. En invoquant celle de Dieu, Il ne se borne pas à la donner comme son modèle justificateur — ce qui vaut pour n'importe quel homme : « Soyez miséricodieux comme votre Père est miséricodieux » (Lc 6,36). En réalité, c'est Lui-même qui, de par son Envoi (son Incarnation), est la divine Miséricorde venue à notre recherche; et quant Il < oeuvre >* — par exorcismes, miracles, pardon des péchés, évangélisation des pauvres (§ 106 ) — Mt 11,5-6*) — c'est son Père qui est à l'oeuvre, en Lui, comme à juste titre on attribue l'action du bras ou de la main à celui qui les met en mouvement. Si bien qu'à travers la conduite de Jésus, se manifestent les façons d'agir de son Père : « Philippe, qui m'a vu a vu le Père... Cela même que fait le Père, c'est cela également que fait le Fils » (Jn 14,9 et 5,19* au § 149 ). Pour être dite moins expressément que dans Saint-Jean, c'est bien la même révélation de l'unité du Père et du Fils : « // Y a identification concrète entre la conduite de Dieu et celle de Jésus, écrit Dom 3. dupont- Par Jésus, c'est Dieu lui-même qui tente un dernier effort pour sauver les pécheurs et leur accorder les bienfaits de son Règne... En Jésus, c'est Dieu qui agit » (Les implications christologiques de la parabole de la brebis perdue, dans art. cit. BETL 40, p. 346-350). « Jésus est dans son ministère celui par qui la joie et la miséricorde divine se manifestent à nous » (rasco, P- 182).

péguy a chanté dans Le Mystère du Porche de la Deuxième Vertu ces trois «paraboles de l'espérance. Ensemble. Soeurs également chères, également secrètes. Et comme plus intérieures que toutes les autres. Répondant à une voix intérieure plus profonde... » (Pléiade, p. 621) :

Par cette brebis égarée Jésus a connu la crainte dans l'amour.

Et ce que la divine espérance met de tremblement dans la charité même.

Et Dieu a eu peur d'avoir à la condamner... (p. 569).

Effrayant amour, effrayante charité,

Effrayante espérance, responsabilité vraiment effrayante,

Le Créateur a besoin de sa créature, s'est mis à avoir besoin de sa créature.

Il ne peut rien faire sans elle... (p. 613).

Nous pouvons lui manquer.

Ne pas répondre à son appel.

Ne pas répondre à son espérance. Faire défaut. Manquer. Ne pas être là.

Effrayant pouvoir... (p. 614).

Mais le lyrisme des Pères est tellement plus riche d'allusions à toute l'histoire du Salut ! (Pour mieux le faire sentir, nous ajoutons les références) :

ambroise : Sur le Ps 119, sermon 22 (PL 15, 1520-21) : Sur le v. 176 et dernier : « J'errais comme brebis perdue : cherche ton serviteur, car je n'ai pas oublié ta Parole » — « Viens Seigneur Jésus, cherche ta brebis lasse ! Elle s'est égarée pendant que tu tardais, toi qui résides sur les montagnes (Ps 121,1) ...Les montagnes ! n'hésite pas à y laisser tes quatre-vingt-dix-neuf brebis : dans les montagnes (du ciel) les loups rapaces (Ac 20,29) ne pouvant les attaquer: une seule fois, le serpent a pu nuire dans le Paradis; sa proie qu'il y trouva une fois, il ne l'y trouve plus depuis qu'Adam fut chassé de là (Gn 3). Viens à moi, qui supporte les attaques des loups. Viens à moi qui me suis égaré loin de tes brebis d'en haut : tu ne les attristeras pas, elles se réjouiront, elles aussi, du retour du pécheur (Lc 15,7). Trouve-moi, prends-moi, emporte-moi : pour le médecin, il y a encore en moi un espoir de guérison (Mt 9,12).

Viens ! Tu feras le Salut sur la terre (Ps 74,12) et la joie dans le ciel. Prends-moi dans cette chair qui, en Adam, tomba. Reçois-moi, non de Sara (Gn 21) mais de Marie : il faut que tu me reçoives d'une vierge pure (2Co 11,2 — et même d'une Vierge exemptée par grâce, de toute tache de péché... »

p. 474

§ 231. La drachme perdue : Lc 15,8-10


(Lc 15,8-10)

— Il y a parallélisme, membre à membre, avec la parabole de la brebis perdue. Mais comme pour surenchérir : car plus encore que la brebis, la drachme est inerte, soit dans la perte, soit dans la recherche pour la retrouver : tout est encore plus uniquement du fait de Dieu. Et son amour provient encore moins de la valeur de cette pièce (1 drachme = 1 denier romain = 1 journée de travail d'un ouvrier agricole) : même si l'homme ne vaut pas cher, Dieu y tient, et c'est cela qui fait sa valeur, source de la véritable égalité entre les hommes (A. Maillot : Les paraboles..., p. 132-134) — cf. i.f. goerres, citée au § 174 ) — Mt 18,5*).

h.b. kossen (nt 1956, p. 75-80), voit dans la succession des trois paraboles de Lc 15 un // avec le triple oracle consolateur de Jérémie au ch. 31 : v. 10, Yahvé comme un pasteur qui rassemble Israël dispersé (en // au § 230 ); v. 15-17, Rachel, mère inconsolable à qui récompense est promise, se retrouverait en la femme de Lc 15,8, à la recherche de sa drachme (?) ; v. 18-20, Éphraïm qui demande à « revenir », et pour lequel Yahvé sent « frémir ses entrailles », peut en effet rappeler le fils prodigue et son père (Jr 31,16-20 est en // au § 16 ).

p. 475

§ 232. Un homme avait deux fils… Lc 15,11-32


(Lc 15,11-32)

— Il ne s'agit pas seulement de « l'Enfant prodigue », mais plus fondamentalement des rapports entre Père et fils. On est donc au point central, non seulement de la < religion > des hommes avec Dieu, mais de la relation de Jésus avec son Père. Aussi, la définition de ces rapports, que le Père du prodigue donnera au fils aîné est celle même de la vie divine, trinitaire : « Tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi » (v. 31) — unité d'être, d'où s'ensuit parfaite communication de tout Y avoir familial. C'est exactement ce que dit Saint-Jean : « Au Principe le Verbe était face à Dieu (1,1)... Croyez-moi : je suis dans le Père et le Père est en moi (14,11)... Tout ce qui est à moi, Père, est à toi, et tout ce qui est à toi est à moi » (17,10). Il y a identité littérale entre cette simple parabole et ce qui passe à juste titre pour la plus haute révélation du Quatrième Evangile.

C'est donc en premier lieu Jésus lui-même qui est le vrai Fils aîné. Loin de céder à la jalousie, comme celui de la parabole, c'est Lui qui est parti à la recherche des fils-brebis égarés, pour nous restituer l'Esprit filial et l'héritage perdu, de sorte qu'il soit « l'aîné d'une multitude de frères » (Rm 8,17-29) : « Comme toi-même, Père, tu es en moi et moi en toi, qu'eux aussi soient en nous... Un comme nous sommes Un, moi en eux et toi en moi » (Jn 17,21-23). On est bien au coeur de l'Evangile, du Royaume, de l'Église, du Mystère de la parfaite Communion éternelle des saints dans la sainte Trinité !

Or, ce que précise la parabole, c'est que l'éternel Dessein divin se réalise à travers, et mieux encore : au moyen des péchés de tous les hommes (cf. § 230 ) — Lc 15,1*), qu'ils soient infidèles comme le prodigue, ou mal fidèles comme l'aîné. L'un et l'autre cas viennent successivement en scène, comme dans une pièce bien montée, conclus l'un et l'autre par le refrain qui est aussi celui de tout le chapitre (v. 24.32.6.9).

Lc 15,11-12) — Et Il dit : Le « et » (en grec : < dé >) annonce que cette 3° parabole vient à la fois en prolongement et en contrepartie des deux premières. Mais ce premier verset est surtout capital en ce qu'il indique ce qui est en question : non pas d'abord « l'Enfant prodigue », qui ne prend l'initiative qu'au v. 12, mais « un homme et ses deux fils » — tout comme, dans les 2 paraboles précédentes, l'initiative était au Berger ou à la Ménagère. Le tort primordial du plus jeune est de n'avoir pas pris conscience du privilège qui était le sien, de naissance, d'être de la famille de ce père. Il n'en veut que l'avoir (ceci a été bien vu par P. Grelot, dans RB 1977, p. 321-348 et 538-565). Que le Père ne s'y oppose pas, accepte le partage demandé, et laisse partir le cadet, révèle déjà de quelle sorte est cet amour : non seulement de don total — « tout ce qu'il avait acquis » — mais laissant liberté entière aux fils de choisir à leur gré le type de rapports qu'ils entendent garder avec le Père : soit d'un Dieu tirelire, soit d'une < vie-avec >.

Lc 15,13 // Gn 4,9 Gn 4,12 Gn 4,16 — Caïn joue en réalité davantage le rôle du fils aîné, jaloux de son frère. Mais tous les pécheurs se ressemblent en ceci qu'ils s'éloignent, de par leur péché même (cf. v. 17* et 28*).

Peu de temps après : Le temps de « réaliser » son avoir. S'il l'avait réclamé, c'était pour prendre, non pas sa liberté (qu'il avait déjà), mais plutôt une autonomie incontrolée vis-à-vis de son Père, comme Adam : « Ce n’est pas par hasard si Jésus, dans la parabole de l’enfant prodigue qui est une explication du péché originel, présente l’enfant prodigue demandant à son Père : « Père, donne-moi ma part d'héritage », c'est-à-dire donne-moi la création, mais la création sans toi, pour que je l'utilise, que j'en bénéficie par moi-même et pour moi-même, loin de toi... Le drame du péché réside dans le mot : « la part » ; car Dieu voulait donner tout... mais tout donner dans la communion, dans l'héritage partagé, non pas au sens où l'on découpe, mais au sens où l'on goûte ensemble. Il voulait pouvoir dire au fils prodigue ce qu'il dira au fils fidèle : « mon enfant, tu es toujours avec moi... » (J.M. Garrigues : Dieu sans idée du mal, p. 25 et 56).

Il s'en alla dans une région lointaine : Traduction spatiale de l'éloignement du péché, et de l'appauvrissement qui en résulte:

Quand le pécheur s'éloigne de Dieu, mon enfant,

A mesure qu'il s'éloigne, à mesure qu'il s'enfonce dans les pays perdus,

à mesure qu'il se perd.

Il jette au bord du chemin, dans les ronces et dans les pierres

Comme inutiles et embarrassantes et qui l'embêtent les biens les plus précieux.


Les biens les plus sacrés... (PEGUY : Pléiade, p. 624-25).

dissipa... en dépenses folles : C'est le fils aîné qui parle de « courtisanes », au v. 30 ; mais son dépit rend son accusation suspecte de grossir ce qui n'est désigné en ce v. 13 que par un adverbe de prodigalité. « Inconduite » (BJ) ou « Vie de désordre » (Tob) forcent déjà la note. Le titre traditionnel de la parabole est sur ce point plus exact : « il mène une vie de prodigue » (Osty).

// Pr 29,3; Si 9,3-4 Si 9,6 Lc 11,23 — La Sagesse de la Bible comme des nations met en garde contre cette voie de « dissipation » : image de cette « prostitution » plus essentielle, qui est d'abandonner l'Alliance de Yahvé pour chercher l'eau de notre soif dans les citernes qui ne gardent pas le peu d'eau amassée (Jr 2,5 Jr 2,13 Jr 2,18). À l'inverse, on pourrait citer les conseils du vieux Tobit à son fils, pour un voyage qui ne soit pas éloignement et rupture, mais enrichissant et réparateur (Tb 4). Étant donné la signification tout à fait générale de la parabole, applicable à tout homme, c'est encore la sentence évangélique du // Lc 11,23 que ce début de la parabole vérifie le mieux.

Lc 15,14-16) — Comme lors du péché originel, et de tout péché, résultat inverse de ce qui était escompté : au lieu de l'abondance, le dénuement; au lieu de l'autonomie, la dépendance d'un travail au surplus dégradant (par le contact avec les porcs, bêtes impures : Lv 11,7 Dt 14,8), et qui ne nourrit même pas son homme; au lieu de la vie familiale, la solitude (v. 16 : « personne »).

Même si l'on renonce aux déterminations allégoriques discutables, on ne peut tout à fait oublier le démoniaque gérasénien dont la < légion > d'esprits impurs cherche refuge dans un troupeau de porcs (§ 142 ) — Lc 8,31-33*). Quant à se remplir le ventre de caroubes, s'il n'y a plus lieu d'y voir une condamnation de la rhétorique creuse classique (Origène, Jérôme, Ambroise) ou de la « curiositas », cette boulimie de l'esprit (Augustin), comment ne pas opposer le symbole plus générique et variable des < nourritures terrestres > trompe-la-faim, au Pain de Vie dont le Christ nourrit ses disciples (§ 163 ) — Jn 6,27) ? Sur cette question, cf. b. BLUMENKRANZ : Siliquoe porcorum, dans Me/. Halphen 1951, p. 11-17.

Lc 15,17-19 // Ba 2,30-35 — De la < prostitution > des cultes idolâtriques et de l'Exil, Israël est < revenu >, en effet, avec une fidélité accrue, dont les effets se sont prolongés jusque dans les cercles des Pharisiens auxquels répond ici le Christ (Lc 15,1-2* — cf. D. Barsotti: Esdras et Néhémie, Téqui 1980). S'ils jouent actuellement le fils aîné, leurs ancêtres ont donc eu à bénéficier de la divine miséricorde. Ainsi est-il possible à chacun de nous de se conduire, suivant l'occasion, comme le prodigue ou comme le fils aîné...


Les exégètes auraient tendance à minimiser le repentir du prodigue, dont ils soulignent le côté intéressé (en ce v. 17 spécialement). Réaction elle-même excessive à l'exaltation habituelle de cette < contrition >. Mais dans sa concision, la parabole fait justement un tableau théologiquement équilibré, dont il importe de remarquer la triple composante :

- 1) Rentrant en lui-même : « Chaque fois que nous sommes tirés hors de nous-même par le bouillonnement de nos préoccupations, nous sommes bien encore nous, mais nous ne sommes plus avec nous-même, parce que nous nous perdons de vue, errant ailleurs. Dirons-nous qu'il était avec lui-même, ce fils prodigue qui s'en alla dans une région lointaine...

Que dit l’Écriture ? Que « revenu en lui-même », il se dit... S'il avait habité avec lui-même, d'où serait-il revenu à lui ?

... Il y a deux manières dont nous pouvons être entraînés hors de nous : ou bien nous tombons plus bas que nous-même par la faute de cet excès de préoccupation, ou bien nous sommes soulevés au-dessus de nous-même par la grâce de la contemplation. Ce malheureux qui paissait les pourceaux tomba au-dessous de lui-même par un errement de son esprit. L'Apôtre Pierre au contraire, qu'un ange délia, emportant son esprit dans l'extase, fut bien hors de lui, mais au-dessus de lui. L'un et l'autre revinrent à soi: le premier se chercha et se reprit parmi l'erreur de son action ; le second revint des cimes de la contemplation à ce qu'il était auparavant dans son intelligence ordinaire » (Grégoire le Grand: Dialogues, n,3) — Pl 66, 136-138; trad. E. de Solms dans La vie et la Règle de saint Benoît, p. 59-61).


Le péché ne nous éloigne de Dieu que dans la mesure où il nous divise contre nous-même (Augustin : Les confessions v, n, 2), à la recherche d'un fallacieux divertissement (Pascal), nous détournant de notre vraie vocation et de notre identité la plus personnelle. C'est le premier trait du parallèle que J. alonso diaz a relevé entre cette parabole et l'histoire — elle-même parabolique — de Jonas : celui-ci commence par tourner le dos à Ninive, pour fuir sa mission (« Biblica » 1954, p. 632-640) — cf. plus loin, Lc 15,32 // Jon 4). Extraverti, dispersé à tous vents, comment pourrait-on rejoindre Dieu qui se trouve non seulement devant nous mais en nous ? La toute première démarche de l'examen de conscience, on l'oublie trop, c'est de se re-cueillir, pour retrouver son âme profonde, et la Vérité de Dieu : « Beaucoup d'hommes n'engagent jamais leur être, leur sincérité profonde. Ils vivent à la surface d'eux-mêmes, et le sol humain est si riche que cette mince couche superficielle suffit pour une maigre moisson, qui donne l'illusion d'une véritable destinée... Combien d'hommes n'auront jamais la moindre idée de l'héroïsme surnaturel, sans quoi il n'est pas de vie intérieure ! Et c'est justement sur cette vie-là qu'ils seront jugés... » (Bernanos : Journal d'un curé de campagne, Pléiade, p. 1115).

— 2) Les journaliers ont du pain... et moi, je meurs de faim : Il est vrai que ce premier motif est assez intéressé : réalisme de l'Évangile. Mais apparaît déjà la mention du père : « Chez mon père... »

- 3) Je me lèverai (v. 18 // Pr 20,11 Is 55,7 Jr 3,12-13 et Ps 51, plus loin) : Sursum corda ! C'est l'espérance qui commence à lever. J'iral'. C'est le < Retour > de la conversion-pénitence (// Is et Jr). Je lui dirai : C'est le propos de < Confession >. Celle-ci est aveu non seulement de la culpabilité personnelle («j'ai péché »), mais de la blessure infligée à « toi » — que ce soit Dieu (« le ciel ») ou bien tout « homme »: cf. // Ps 51,6 et Jr 3,13 Jr 3, surmonté. l. pirot n'a sans doute pas tort de conclure : « L'attrition (détestation et regret du péché pour le mal qu'il nous fait) devient contrition (détestation et regret du péché pour le mal qu'il fait à la personne aimée) » — dans « L'année théol. » 1947, p. 264 dans l'Évangile, n'autorise à déprécier cet aveu, en le taxant d'être « une belle phrase ». Pas plus que la belle prière du publicain de la parabole (§ 245 ) — Lc 18,13), que l'on a raison de mettre en parallèle.

— 4) Je ne suis plus digne d'être appelé : Le nom, c'est l'être. Traite-moi comme un journalier : C'est en rester à des rapports mercenaires à'avoir (salaire, nourriture), sans aller jusqu'à rêver un rétablissement des rapports paternels et filiaux, qui viennent de l'être. Du moins, l'essentiel y est : « Il a eu assez confiance en son père pour se présenter devant lui, malgré son indignité » (J. Dupont; dans Ass. S. I, n° 29, p. 61).

Lc 15,20-21 // 2S 18,5-7 19,l; Tb 11,5-19 Is 49,14-15 Is 54,8 Ps 51,3-14

- Tout, désormais, souligne la gratuité de l'amour du père. Et si, menacé par la révolte de son fils, David ne se montre préoccupé que de sauver « mon fils Absalom » (2S 18,12 2S 18,32), combien plus passionnément Dieu cherche-t-il à nous épargner, et à nous réconcilier avec Lui.

Quand il était encore loin, son père le vit : Au retour de Tobie, c'est la mère qui attendait ainsi : Dieu nous est plus attaché qu'une mère (// Is 49). Il nous aime toujours (puisqu'il est l'Éternel), et son par-don (sa < Hésed >*), ne dépend donc pas de la valeur de notre contribution-confession, ni de nos mérites éventuels (v. 29*), mais de sa seule Fidélité, donc préalable et incassable. Là est le fondement de notre espérance, en tous les cas...

Ému de compassion : Cf. § 39 ) — Mc 1,41*; et ici : // Is 54,8 Is 54,

Il courut : Comme la mère de Tobie. La dignité de l'allure cède à l'empressement de l'amour. Se jeta au cou : prévenant la prosternation normale du prodigue repenti, le père ne prend même pas le temps de pardonner : c'est déjà fait. Ne reste que la jonction de l'amour. Mais il est d'autant plus notable qu'ensuite, l'Évangile laisse le repenti faire ce qu'il y a de juste dans sa < confession > (v. 21), l'interrompant seulement au moment où il va formuler son désir insuffisant d'être traité en journalier: car Dieu va au-delà de nos espérances...

Lc 15,22-23 // Za 3,4-5 Gn 18,1 Gn 18,6-8 — Vite : Encore l'empressement de l'amour, si remarquable dans le // D'Abraham recevant son Dieu.

Sortez la première robe : Litt. On interprète souvent : « la plus belle robe », et < première > peut avoir ce sens. Mais J. Duncan m. derrett rappelle que cela pourrait être une allusion au vêtement qu'Adam et Eve reçoivent de Yahvé après le péché originel (Gn 3,21 — cf. BC I*, p. 64-65). C'est bien dans l'esprit des < Midrashim > de la tradition juive ; et l'on se demande une fois de plus si < l’allégorisme > tant décrié des Pères n'était pas plus conforme à l'esprit juif des Évangiles que nos interprétations rationalistes (st. P. x, 1970, p. 219-224). P. Grelot admet d'ailleurs ce qu'il y a de manque à gagner dans les exclusives de l'exégèse contemporaine (RB 1977, p. 539). L'histoire d'Israël non moins que ses prophètes nous donne bien d'autres exemples de ces « vêtures » symboliques d’ennoblissement : de Joseph honoré par Pharaon (Gn 41,42, en // au § 210 ) à Mardochée (Est 6,8-9, en // Au § 210 ), et d'Isaïe 61,10 (en // au § 6 ) — Lc 1,47) au // de Za 3,4-5 Za 3,

L'anneau : Également remis à Joseph et à Mardochée. Il porte le sceau qui donne l'autorité du souverain lui-même (Est 3,10-13 Est 8,2). Mais c'est, mieux encore, la marque distinctive des élus : Ez 9,4; cf. § 163 ) — Jn 6,27-29* et // .

des chaussures aux pieds: « Tenue de l'homme libre, par opposition à l'esclave » (Tob). Mais l'expression est celle de la tenue pour le repas de la première Pâque (Ex 12,11). Comment ne pas voir que chaque détail vise un retour en grâce, transformant l'être même du fils repenti, pour une restauration de l'Alliance, que va sceller, comme toujours, le repas sacrificiel (« tuez le veau gras » // Gn 18,7):


TERTULLIEN : De Paenitentia, ch. 8 (PL 1, 1242-43; SC 316, p. 178): Je pense à ce père qui attend son fils prodigue, qui l'accueille avec joie quand la misère le lui ramène repentant: il tue le veau gras, il veut pour son allégresse la parure d'un festin. Pourquoi ? Son fils perdu et retrouvé lui devenait plus cher parce que regagné. Mais ce père, qui est-ce ? C'est Dieu. Un père plus père que Dieu, il n'y en a pas ; un plus tendre, il n'y en a pas. Toi, donc, qui es son fils, sache que même si tu le quittes après qu'il t'ait adopté, même si tu reviens nu, il te recevra : il se réjouira de te voir revenir, plus encore que de voir les autres rester bien sages.

Lc 15,25-28 // Gn 27,30-36 Ga 4,29 — Second acte de la parabole, désormais relative au fils aîné. On a imaginé que ce nouvel épisode serait de l'invention de Lc : mais c'est une « reconstruction artificielle dont aucun argument n'est déterminant » (p. GRELOT : rb 1977, p. 543). La composition est en effet d'un seul tenant, dès que l'on en respecte l'énoncé initial : « Un homme avait deux fils », chacun d'eux illustrant à sa façon ce qu'est la filiation véritable.

La situation n'est pas sans rapport avec la rivalité d'Ésaü et Jacob (//) : ici comme là, le cadet devance l'aîné, qui se retrouve lésé : tandis que le prodigue est rentré dans la maison, le grand frère est dehors. Et quand il ne veut pas entrer, à sa manière il fait comme avait fait le cadet, comme lui à ses dépens : le voici par sa faute exclu de la vie familiale.

Son père sortit : C'est la parabole de la centième brebis. Le père laisse le fils nouvellement réconcilié, pour appeler le récalcitrant : Dieu nous aime tous (v. 1*), et nous sommes tous invités au festin (§ 226 ).

Lc 15,28-30 // Ga 4,29 Lc 15,2 Ez 18,27-30 — On a raison de souligner que le plaidoyer de l'aîné n'a rien de caricatural. C'est vrai qu'il a été fidèle « depuis tant d'années », et que le prodigue peut sembler lui être injustement préféré :

Jamais je n'ai transgressé ton commandement : Ce vocabulaire typiquement religieux convient spécialement à la fidélité envers la Loi dont s'honoraient les Pharisiens, si bien que les interlocuteurs du Christ peuvent s'y reconnaître, et comprendre en quel sens la parabole répond à leurs murmures (v. 2*). Leur mérite est donc indéniable. Leur tort serait seulement de penser que Dieu se conduise premièrement d'après notre conduite, alors que tout vient de son Amour, qui demeure quelle que soit notre conduite.

Ton fils que voilà: Comme le Pharisien le fait du publicain en Lc 18,11, l'aîné montre du doigt le prodigue; et pour mieux marquer la distance, il dit: « ton fils ». Le père des deux rétablira la vérité en disant : « ton frère » (v. 32*).

qui a dévoré: L'accusation est trop réelle pour que l'aîné ne se juge pas fort de son bon droit. Pas même un chevreau... le veau gras : comme une brebis égarée vaut plus de joie que 99 justes. Il a raison : du point de vue de la rétribution, ce n'est pas juste (Ez 18 — cf. péguy, Pléiade, p. 605). Seulement, c'est raisonner comme un < mercenaire >, ne jugeant que d'après le salaire comme les Ouvriers de la première heure contre ceux de la onzième (§ 252 *). Lui non plus n'a pas encore réalisé ce que c'est qu'être fils.

R. GUARDINI : Le Seigneur I, p. 293-94 : La justice est bonne, elle est le fondement de l'existence. Mais il y a quelque chose au-dessus de la justice, c'est la bonté d'un coeur s'ouvrant tout grand et librement. La justice est transparente, mais un pas de plus et elle devient froide. La bonté, au contraire, à condition qu'elle soit authentique, cordiale, fruit du caractère, réchauffe et libère. La justice met en ordre, mais la bonté crée...

Regardons la chose de plus près. Le reproche de la justice n'est-il pas fait proprement à la conversion elle-même ? L'homme ankylosé dans la justice approuve-t-il au fond que le pécheur se convertisse ? N'a-t-il pas le sentiment qu'en se convertissant celui-ci sort de l'ordre établi ? Ne serait-ce pas tout à fait correct que cet individu qui a fauté soit définitivement enfermé dans sa faute et contraint d'en porter les conséquences?... Qu'est-ce que cela signifie que ce vaurien, après avoir tout gaspillé, devienne maintenant vertueux et se tire ainsi d'affaire ?... Oui, vraiment, plus on réfléchit, plus on comprend clairement que pour le simple sens de la justice, la conversion est un scandale. Mais cette justice court le risque de ne pas voir qu'au-dessus d'elle, il y a le royaume de la liberté et de l'amour créateur, de la force novatrice du coeur, et de la grâce. Malheur à l'homme qui ne voudrait vivre que dans la justice ! Malheur au monde où ne régnerait que la justice !

Lc 15,31-32 // Jn 17,1-10 Jon 4,9-11 Ps 73,21-26 — La réponse du père est en deux temps : 1) il remet en place la vérité des relations entre père et fils : être-avec, dans la communauté des biens (voir Introd. à ce paragraphe). 2) Sur la base de cette réconciliation — pas moins nécessaire de l'aîné avec son père qu'elle ne l'avait été pour le prodigue — peut être proposée la réconciliation complémentaire avec « ton frère », et l'invitation à partager la joie rayonnante de Dieu, leitmotiv du chapitre, offerte non seulement à l'aîné, mais à tous les familiers (v. 23-24), aux amis et voisins (v. 9), aux concitoyens (// Tb 11,18), et même aux anges du ciel (v. 7 et 10). Parce que, ce qui était en jeu dans ce quadruple drame du perdu-retrouvé (brebis, drachme, prodigue, aîné), c'était de re-vivre à notre vocation sur-naturelle de fils de Dieu, par-delà toutes les morts : que ce soit celle du péché prodigue, d'une religion du devoir trop mercenaire, ou des purifications de la foi et de l'espérance (// Ps 73). Nous sauver de toutes ces perditions, c'est la joie de Dieu, parce qu'il tient à nous, comme le pasteur à sa brebis, la ménagère à sa drachme, et le père surtout à l'un et l'autre de ses deux fils. l’A.T. l'avait déjà révélé, à Jonas par la parabole vivante du ricin (// Jon 4), et plus généralement par l'histoire entière de Jonas (cf. J. alonso diaz, cité à Lc 15,17-19*).

Le fils aîné cédera-t-il à cet appel, et entrera-t-il « dans la maison » familiale ? — La parabole ne le dit pas, puisque c'est aux Pharisiens de l'Évangile (Lc 15,1) comme à chacun de nous de répondre à cette < interpellation >. On trouvera dans a. MAILLOT : Les paraboles, p. 136-157, de pertinentes applications à l'histoire — schisme d'Israël et de Juda, judéo-chrétiens et païens, catholiques et protestants en perspective d'oecuménisme — mais plus généralement encore à la condition de l'homme, d'abord tenté par F« ailleurs et le demain » d'une illusion d'indépendance où il a perdu son père et sa maison, sa cause et son but; si, par la valeur pédagogique de l'épreuve, on en est revenu, attention que de fils cadet, on ne redevienne bien vite fils aîné de la parabole !...

e. rasco : Les paraboles de Lc 15, conclusion (betl 25, p. 182-83): Les paroles de Jésus sont un < Sprachgeschehen >, un événement. Elles nous font sortir de notre suffisance et de notre inertie ; elles nous engagent dans un dialogue vivant et existentiel. Même si nous nous dérobons, notre confiance ne peut plus être la même : elle demeure dans l'inquiétude créée par la présence du problème... Après avoir compris la joie indicible de Dieu, la vraie question nous concerne nous-mêmes : acceptons-nous de toute notre âme de nous réjouir, avec Dieu et avec son Christ, de l'entrée au Royaume de notre frère pécheur ? L'engagement total dans cette réponse nous fait entrer dans le coeur du Christ et, par lui, nous unit au Père qui offre à tous son amour.

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Bible chrétienne Evang. - § 222. Avertissement à Jérusalem: Lc 13,34-35; (Mt 23,37-39)