Bible chrétienne Evang. - § 236. Le mauvais riche et le pauvre Lazare : Lc 16,19-31


§ 237-240. Instructions aux apôtres


§ 237. Scandale des petits : Lc 17,1-3 a


(Lc 17,1-3a)

— Commentaire au § 176 ) — Mt 18,6-7. // Ex 32,1-21 1R 12,3-30 Ps 106,36 Tb 1,4-6 — Le plus grand Bien est la charité, la communion avec Dieu et entre frères. Le plus grand Mal est donc la rupture avec Dieu ou bien entre frères d’Alliance : d'où l'énormité du scandale suscité par le Veau d'Or (// Ex 32), le schisme d'Israël et les idoles de Samarie (// 1R 12). En de telles circonstances, à chacun de « prendre garde à soi » (Lc 17,3a) selon sa conscience, en rompant au besoin avec l'engouement général qui se fie aux mauvais pasteurs, le grand prêtre Aaron et le roi Jéroboam.



§ 238. Correction fraternelle et pardon : Lc 17,3 b-4


(Lc 17,3-4)

— Commentaire aux § 179 et § 181 ) — Mt 18,15 Mt 18,21-22.

// 2S 19,20-24 Si 28,7 Pr 24,16 — Tout au long de cette révolte d'Absalom, David est une vivante figure du Christ: lui aussi passe par le mont des Oliviers, qu'il gravit comme un Calvaire (2S ch. 15-16, en // aux § 338 et § 351 ), est trahi par l'un de ses conseillers, Ahitophel (ch. 16-17, cité au § 233 ), ne pense qu'à sauver son fils rebelle et à pleurer sa mort (ch. 18-19, en // au § 232 ). Enfin, une fois de retour à Jérusalem, David pardonne à ce Shiméï, proche de Saül, qui l'avait insulté lors de sa < Passion > (// 2S 19,20-24).



§ 239. Puissance de la foi : Lc 17,5-6


(Lc 17,5-6)

— Commentaire au § 171 - Mt 17,20. Ce qui, dans la version // de Mc (au même § 171 ) était dit par le père de l'épileptique, marquant mieux les deux degrés de la foi : « Je crois ! Viens en aide à mon incrédulité » (Mc 9,28-29*), Luc le met donc dans la bouche non seulement des disciples, mais précise-t-il « des Apôtres », adressant leur demande au « Seigneur ». C'est souligner combien les Douze, qui ont à être témoins du Christ, doivent tout les premiers être solides sur leur foi — et plus encore qu'eux tous, Simon Pierre (§ 323 ) — Lc 22,32*). Mais c'est dire aussi qu'ils croient déjà, puisque non seulement ils donnent à Jésus ce titre divin de < Seigneur >*, mais lui demandent d'augmenter leur foi, ce que Dieu seul peut faire (sur ce point, cf. I. de la Potterie : Mél. B. Rigaux, p. 134-137; et A. George : Ass. S. n, n° 58, p. 69).

// 2R 2,8-14 Da 6,24 He 10,38-39 2Th 1,3-4 — Comme Elisée, muni du manteau d'Elie, refait le miracle du grand prophète qui l'a pris pour son successeur, ainsi les disciples du Christ, munis de la foi, « feront-ils les mêmes oeuvres que Lui, et même de plus grandes » (§ 326 ) — Jn 14,12*). Par exemple Maur, disciple de saint Benoît, marchant sur les eaux pour sauver le petit Placide (Grégoire le Grand: Dialogues n,7).

Quant à Daniel, c'est sa fidélité intrépide à ne vouloir < servir >* que Yahvé qui, par deux fois, le condamne à mort: d'abord dans la fournaise (Da 3,17-18) puis dans la fosse aux lions (Da 6,11-12). Sans qu'il ait même seulement demandé un miracle, Dieu qui n'est pas moins fidèle « envoie son Ange » pour « le rafraîchir » dans le feu (à l'inverse du Riche en enfer, au § 236 ), et « fermer la gueule des lions » (Da 3,50 — suiv. lxx — et 6,23).




§ 240. Nous sommes des serviteurs à qui l'on ne doit rien : Lc 17,7-10


(Lc 17,7-10)

— Toute la difficulté de cette parabole est dans le sens de l’expression : « serviteurs inutiles ». Si l'on reste dans la logique de l'anecdote, le serviteur est d'autant moins < inutile > que son service est plus divers et indéfini. Par contre il est vrai, — surtout si l'on tient compte du statut de l'esclave d'alors, propriété de son maître — que celui-ci ne leur doit rien : voir par exemple Si 33,25-30, complété par Si 7,20. On sait que les Apôtres — auxquels s'adresse la parabole comme les avis précédents (v. 10 : « Ainsi vous-mêmes... ») — tiendront ce titre à honneur, vu le Maître et le Seigneur* qui les a (librement) appelés à « prendre son joug » (§ 111 ) — Mt 11,29*), et se dévoueront totalement à son service comme des esclaves (le mot y est en Ac 4,29 Ac 16,17 Rm 1,1 Ga 1,10).

Mais il faut tenir compte aussi de la transposition qu'implique toute parabole, du domaine matériel où se passe l'histoire à la réalité mystique du Royaume qui est enjeu. Le Christ n'est pas tant venu régler les questions sociales (§ 205 ) — Lc 12,13*) qu'instaurer le Règne de Dieu, c'est-à-dire de l'amour-don (qui réglerait radicalement, il est vrai, les difficultés entre les hommes). De ce point de vue, il est évident qu'il n'y a pas plus de limites qu'il n'y en a dans le don de Dieu se faisant notre < Serviteur >, < livré >* à nous, corps et âme jusqu'à la mort et la mort de la croix (supplice réservé aux esclaves). En retour, comment l'homme aurait-il à se mettre moins entièrement au service de Dieu et de ses frères ? Déjà, par le fait de la création, nous tenons jusqu'à notre être, de Dieu; et, comme tous les êtres créés n'ajoutent rien à son Être total, toutes leurs actions n'enlèvent rien à la totalité de l'action de sa bienveillante Providence. En ce sens, il est métaphysiquement exact que nous sommes inutiles, et que Dieu ne serait pas en peine de se passer de nos services. Encore moins nous « devrait-il » rétribution ou même reconnaissance puisque ce que nous sommes et faisons, c'est encore Lui qui nous l'a donné, y compris de le faire librement. Il n'a pas de dettes envers nous : c'est nous qui Lui devons tout, sans même parler de la dette de nos fautes.

Le paradoxe est justement qu'à partir de cette < inutilité > fondamentale, Dieu n'a pas moins voulu nous donner d'être, et d'être quelqu'un de libre, de pouvoir exercer par conséquent une action réelle, décisive même, non seulement au service du Cosmos (Gn 2,15), mais des âmes (comme les Apôtres en particulier), et de Lui-même. C'est ainsi que « Dieu a (voulu avoir) besoin des hommes ». Inutiles, en rigueur de termes, c'est vrai, mais non moins vraiment serviteurs, efficaces jusque dans la transmission de la vie divine par les sacrements : « Ce que vous remettrez sera remis au ciel ». À cela, Dieu qui serait en droit de l'exiger, ne nous force pas, puisque nous sommes libres de nous y refuser. Et s'il « ne nous doit rien », Il ne nous en est pas moins reconnaissant comme Dieu seul peut l'être : infiniment, éternellement : « En tous ces pauvres (Lazare) que je vous ai laissé soulager, c'est moi que vous avez servi » (§ 307 ) — Mt 25,35-46).

// 2S 17,24-29 2S 19,32-37 Jb 22,2-3 Jb 35,7 Ps 19,14 Ps 123,2 — Cette humilité du serviteur, l’A.T. en donne de beaux exemples, même vis-à-vis d'un simple roitelet comme David (2S 17-19), a fortiori face à Dieu, comme Job ou le psalmiste. Se tenir à sa place exacte de serviteur, inutile certes, mais serviteur d'autant plus honoré d'y être « invité », quelle profonde spiritualité !

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§ 241. La guér1son des dix lépreux : Lc 17,11-19


(Lc 17,11-19)

Après cette série de recommandations aux Apôtres (§ 237 -240) concluant la grande section pédagogique des 3 chapitres 14-15-16, reprise du thème de la marche vers Jérusalem, que nous n'avions plus trouvé depuis le § 221 - Lc 13,33-35*. C'est la dernière mention, avant la véritable « montée » de Jéricho à l'entrée solennelle des Rameaux (voir Introd. aux § 253 -275).

Or une fois de plus, nous sommes avertis de ne pas prendre cette < route > en un sens matériellement topographique: Alors que le voyage a commencé en Lc 9,51, et qu'au § 192 ) — Lc 10,38-42, Jésus se trouvait déjà aux portes de Jérusalem, le voici à présent revenu presqu'au départ: « à la limite de la Samarie et de la Galilée », à l'orée d'un village traditionnellement situé à Djénin (ou Jénin), à 18 km seulement au Sud d'Afula, centre de la grande plaine galiléenne de Yizréel. Si pourtant Luc a mis toute cette III° partie de son Évangile sous le signe de la montée à Jérusalem, c'est qu'elle donnait sens et convergence - comme on dit le sens ou la pente d'une vallée — à ce que les multiples enseignements intégrés au cours de ce voyage auraient eu, en soi, de disparate.

Évidemment, comme dans tout < pèlerinage > (Lc 9,53), le but polarise tout le trajet; et dans le cas présent, il le dramatise puisqu'on sait bien qu'à Jérusalem, Jésus vient pour y « accomplir son Exode » (§ 169 ) — Lc 9,31*). Mais pourquoi cette mort et cette résurrection, prévue et annoncée dès auparavant (§ 166 ), sinon pour cette définitive < ascension > vers le Père, et l'effusion de la Pentecôte, qui pourra s'ensuivre alors et alors seulement (§ 258 ) — Jn 7,37-39*). Voilà vers quoi tend l'itinéraire (mystique), la mission et le désir du Christ (§ 212 ) — Lc 12,49-50*). Donc le but réel vers lequel chemine Jésus, c'est en définitive l'effusion de l'Esprit Saint, l'ouverture de la voie d'accès du Royaume (de l'Église) à tous les hommes (Sur ce point, cf. A. Denaux, bien résumé par E. Samain, dans Cah. de « Foi et Vie » n° 12, juin 1973, p. 3-24). Caractéristique de cette orientation < théologique > du voyage, l'attitude de Jésus envers les Samaritains. S'ils ont refusé de le recevoir, Jésus n'a pas voulu qu'il leur en soit tenu rigueur (§ 183 ); et par contre, ici comme dans la parabole du bon Samaritain, l'Évangile souligne évidemment à dessein que, des dix lépreux, c'est le < païen > qui a le beau rôle.

se tenant à distance... Allez vous montrer aux prêtres : conformément à la législation du Lévitique (Lv 13,46 Lv 14,2, en // au § 39 ). Le titre de « Maître » (Vg. « praeceptor ») est insolite en dehors du cercle des disciples du Christ. Serait-ce que même les lépreux y sont appelés aussi ? Ou bien, avec les Pères de l'Église, faut-il y voir le signe que le mal des lépreux n'était pas seulement physique, mais bien plus encore d'être comme « des brebis sans pasteur » ?

pendant qu'ils y allaient : Donc pas immédiatement, mais après avoir commencé d'obéir: sur la seule Parole du Christ, ils ont fait l'acte de foi de partir se présenter (comme guéris) au prêtre, avant d'avoir constaté qu'ils étaient effectivement «purifiés ».

glorifiant Dieu à haute voix: Cf. Lc 2,20 Lc 5,25-26 Lc 7,16 etc. C'est le principe même des < Laudes > : Dieu se chante ! Tomber face contre terre : adoration.

// Ps 116,1-9 Ps 116,12-13 — Les // du Lv sur les lépreux ou l'exemple de Miryam, Nb 12,10-14, se trouvant aux § 39 et § 83 , ces deux psaumes illustrent plutôt le thème de l'action de grâces. Car même si la leçon principale de cet Évangile est bien : « or c'était un Samaritain », l'Église doit continuer d'entendre la plainte du Sauveur que pour dix demandes, il n'y ait qu'un merci : c'est bien pourquoi elle fait de son < eucharistie > une obligation morale à tous ses enfants (// Ps 116,12-13).

Lève-toi, ta foi t'a sauvé : Elle n'a pas moins guéri les 9 autres. Seulement, le Samaritain nous apprend que, pour aller jusqu'au bout, la foi doit s'extérioriser pour chanter le don de Dieu — et se mettre en route, elle aussi : « Va! »

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§ 242-244. Proximité du royaume : Lc 17,20 à 18,8


(Lc 17,20 Lc 18,8)

— Ces 3 paragraphes précisent ce qui est le premier point de la prédication du Christ, donc de l’Évangile : « Les temps sont accomplis, et le Règne de Dieu est proche », à votre portée § 28Mc 1,15*).

Lc 17,20-21) — Quand viendra... ? La question est double, portant sur le temps, mais aussi sur la manière dont « viendra » ce Règne — autrement dit : les signes permettant de le reconnaître. Jésus répond d'abord à ce dernier point par le terme technique de l'observation, soit des symptômes des maladies, soit des astres ou des augures: non, le Royaume n'est ni observable ni localisable « ici ou là ». Les deux « voici » confirment que ce Royaume n'est pas un lieu, matériel, mais un événement, « l'irruption soudaine » du Don de Dieu.

Le Royaume est au-dedans de vous : C'est la traduction littérale, définissant ce Règne par l'intériorité. Mais cela ne signifie pas qu'il soit exclusif d'aspects plus extérieurs, ni purement individuel, comme l'ont montré plusieurs paraboles. Aussi préfère-t-on souvent traduire aujourd’hui : « ...est parmi vous. » En tous cas, il faut tenir compte de ce que, la question portant sur le temps, la « venue » du Règne est un < événement >.

Influencés par l'eschatologisme*, de nombreux exégètes ont vu dans ce verset, comme dans l'ensemble de ces 3 paragraphes, une confirmation que Jésus y aurait annoncé une prochaine Fin du monde. Dans l'étude qu'il a consacrée à tout ce passage, A. Feuillet a montré comment il y a une nuance de futur en ce v. 20 b, de par son rapprochement avec la formule identique des v. 23-24 qui, elle, vise expressément le « Jour du Fils de l'homme » (voir au § 243 *: Cf. Rech. sr 1948, p. 544-565. En fait, comme à chaque fois qu'il est question de la venue du Royaume, il y a ici flottement entre le « pas encore » et le « déjà-là »*. Car même si reste encore à venir l'extension puis la confirmation définitive du Règne de Dieu, celui-ci a commencé avec la présence de Jésus « au milieu de nous » comme l'annonçait précisément Jean-Baptiste § 22 — Jn 1,26*), et comme le prouvaient les < signes > miraculeux multipliés par le Christ : § 197 ) — Lc 11,20) — et ici même, puisque ce qui précède immédiatement cette Parole sur le Règne, c'est la guérison des dix lépreux. Le Royaume est si bien à portée de ses interlocuteurs que Jésus les presse d'y entrer et d'y travailler : Lc 14,15, provoquant la parabole des invités au festin, v. 16-24; et 19,11 également suivi d'une parabole, v. 12-27 (cf. A. george: Sur Luc, p. 297-298).

Évangile de Thomas (apocryphe) : Ses disciples lui dirent : « Quel jour le Royaume viendra-t-il ? — // Ne viendra pas quand on l'attendra. On ne dira pas : < Voici qu'il est ici >, ou : < Voyez, il est là >, mais le Royaume du Père est répandu sur la terre et les hommes ne le voient point ».

// Nb 2,2-25 Is 12,6 So 3,16-18 — Dès l’A.T. la Présence divine avait été accordée à Israël : c'est la < Shékinah >*, l'accompagnement par Yahvé des douze tribus durant leur Exode vers la Terre Promise, sous le signe de « la Tente de la Rencontre » (Nb 2,2), et plus tard du Temple de Jérusalem. Par la suite, les prophètes insisteront eux aussi sur l'intériorité de cette inhabitation de Dieu en son Peuple (// Is 12,6 et So 3,16-18). Mieux encore ce Règne s'instaurera sous la Nouvelle Alliance « au-dedans de nous », non pas seulement individuellement mais < en Église >, avec le Don de l'Esprit Saint, à la Pentecôte. Là comme en tous points, le Christ accomplit ce que figurait déjà l'Ancienne Alliance, et déjà le Saint Esprit nous travaille :

Grégoire de Nysse : De instituto christiano (Jaeger vm, 1P 79): Quel est ce Royaume au-dedans de nous ? Et que pourrait-il être d'autre que ce bonheur qui, « d'en haut », naît dans les âmes par l’Esprit ? Il n'est en effet que l'image, les arrhes, le signe, de la félicité éternelle dont jouiront les âmes des saints dans l'éternité... «Il nous console, dit l'Écriture, en toutes nos tribulations... ». Et: « C'est comme un festin que mon âme savoure ». Tout ceci nous suggère en symboles la joie et la consolation qui viennent de l'Esprit. (Trad. fr'e, p. 53).

p. 491

§ 243. L’avènement du fils de l’homme : Lc 17,22-37


(Lc 17,22-37)

— Ce n'est pas la suite immédiate du § 242 mais, comme il arrive si souvent, l'explication donnée par Jésus lui-même à ses disciples, de la parole précédente aux Pharisiens, énigmatique de par sa concision même : la venue du Règne est celle du Fils de l'homme, qui l'instaure.

Lc 17,22) — Voir un seul jour... et ne le verrez pas : L'insistance porte sur le < pas visible >, comme au v. 20 sur le < pas observable >. Pourrait être une mise en garde contre la nostalgie des « jours » où le Christ était visiblement « parmi ses disciples » — ce qui serait illusion puisqu'« il vous importe que je m'en aille », pour être avec vous d'une présence plus intériorisée dans l'Esprit Saint § 331 — Jn 16,7*; cf. 2 Cp5,16). Mais plutôt, semble-t-il, Jésus vise-t-il ici le temps où, persécutés, ses disciples seraient tentés de désirer que, fût-ce un seul jour, la Gloire du Royaume éclate visiblement (A. Feuillet : Art. cit. p. 549-550). Cet exorde, de circonstance, est propre à Luc.

Lc 17,23-37) — L'ensemble de ces versets, par contre, se retrouve en Mt ou en Mc, comme le montre la synopse de ce paragraphe. Préférant regrouper ce qui concerne les annonces diverses des Evangiles sur l'Avènement du Fils de l'homme aux § 291 -307 (voir l'Introd. à ces § ), renvoyons :

- les commentaires de Lc 17,23-24.26-27.34-37 : aux § 296 et § 302

— commentaire du v. 25 (= annonce de la Passion): au § 166 - du v. 31: au § 294

— du v. 33 (= perdre ou gagner sa vie): au § 168

- Restent les seuls versets 28-30 et 32, simple redoublement de l'exemple du Déluge (v. 26-27) par celui de Sodome (comme en 2P 2,4-9).



§ 244. Parabole du juge et de la veuve : Lc 18,1-8


(Lc 18,1-8)

— Sur la ténacité dans la prière, comme la parabole de l'ami importuné § 194 — Lc 11,5-8). Toutefois le contexte, différent, eschatologique § 242 -43), lui imprime un sens plus particulier : la demande est cette fois de justice (v. 3.5.7) — mais qui reste en suspens, puisque c'est celle du Jugement < dernier >. D'où la comparaison cette fois d'un juge ; et d'une veuve, comme de ce qu'il y a de plus seul et faible et pauvre, incapable de faire pression par influences ou cadeaux corrupteurs, et surtout spécialement confié à la Justice de Yahvé (// Dt 10,17-18 Ps 68,6 Dt 24,17-20 Ps 10,17-18 Ps 146,9 Pr 15,25 Is 1,17 Is 1,23 Jr 49,11).

Lc 18,1 // 1Th 5,17 Ex 17,8-13 — La parabole insistera sur la persévérance. Mais le « priez toujours », dont saint Paul donne l'exemple (Rm 1,10 Ph 1,4 Col 1,3 2Th 1,11) a été entendu de la tradition chrétienne, spécialement des moines, au point de susciter aux V° et VI° siècles les < acémètes > (du grec: sans sommeil), pour assurer en se succédant la < Laus perennis >, ou encore l'incessante < prière du coeur > de la Philocalie, ou l'adoration perpétuelle, etc. — mais on le voit, dans une spiritualité plus laudative que suppliante. Dans le De instituto christiano, où il se réfère par ailleurs à Lc 18,1 (Jaeger vm, 1P 57), Grégoire de Nysse explique comment, d'elle-même, la prière tend à se perpétuer (Joeger, p. 78): « Persévérons dans la prière, car elle est le coryphée du choeur des vertus, et c'est encore par elle que nous demandons à Dieu toutes les autres. Celui qui persévère dans la prière communie à Dieu : il lui est uni par une consécration mystique, une force spirituelle, une disposition qu'on ne peut exprimer. Car désormais, prenant l'Esprit pour guide et pour soutien, il brûle de la charité du Seigneur et bouillonne de désir, ne pouvant se rassasier de prière. De plus en plus, il s'enflamme de l'amour du bien et ravive la ferveur de son âme, selon cette Parole de l’Écriture : « Ceux qui me mangent auront encore faim, ceux qui me boivent auront encore soif » (Jn 4,14 et 6,34)... Et ailleurs : « Le Royaume des cieux est au-dedans de vous » (Lc 17,21) (Trad. fr", p. 52).

ne jamais se lasser : Dans le sens paulinien de : ne pas « relâcher la poursuite d'un effort, perdre coeur au milieu des difficultés (notamment eschatologiques), lâcher prise avant d'avoir atteint le but, abandonner la lutte »: cf. 2Co 4,1.16; Ga 6,9 ; Ep 3,13 ; 2Th 3,13. Nous suivons, dans ce paragraphe, C. Spicq, dans RB 1961, p. 68-90. C'est Moïse qui demeure l'exemple même d'une prière soutenue, pour soutenir le combat d'Israël (// Ex 17).

Lc 18,2-5) — Ne respectait ni Dieu, ni l'homme: L'expression: < Sans foi ni loi > le constatait déjà. Mais l'évidence contemporaine a fait un lieu commun de cette corrélation : comme charité envers Dieu et le prochain vont de pair, la perte du sens de Dieu (si mal nommée : < la mort de Dieu >) entraîne celle du sens et du respect de l'homme lui-même.

une veuve venait le trouver: « Imparfait d'habitude et de répétition »; pendant longtemps: C'est l'essentiel de la parabole: il tarde.

Après quoi : « Marque l'écart, la séparation plutôt que la séquence ». Il y a rupture avec l'inertie précédente.

Je rendrai justice parce que... : Souligne que le juge en reste à son point de vue égoïste : son mobile n'est pas Dieu, ni la cause de cette veuve — bref : la justice - mais sa propre tranquillité.

Lc 18,6-7 // Si 35,12-19, — Et le Seigneur : C'est nommément le Christ, mais ce pourrait être aussi bien Dieu se révélant à travers Lui. De toutes façons, ce titre solennise la réponse, de même que le «je vous le dis » du v. 8.

C'est l'application de la parabole : Dieu est juge, mais son jugement tarde, et plus encore puisqu'il viendra en dernier. Il y a bien entendu « antithèse et a fortiori » (v. 7 = « combien plus... ») avec l'iniquité du juge de la parabole (A. Feuillet: Rech. sr 1948, p. 561), comme le déclare fortement le // Si 35,12-19 Si 35, précisément, Si 35,19 conclut que «le Seigneur ne tardera pas », alors que toute la parabole est faite pour nous prémunir contre les apparences: car Dieu semble ne pas réagir davantage que le juge inique; devant ce monde d'injustice, on dirait qu'il ne bronche pas...

Le réalisme de l'Évangile ne dénie pas l'éprouvant < silence de Dieu >, mais le souligne au contraire, non seulement par la comparaison (audacieuse) avec la conduite du juge inique, mais par la conjonction introduisant l'explication du v. 7 b : celle-ci « comporte la nuance de < réellement, en fait > » ; Dieu fera bien justice (v. 7 a), « alors qu'en fait Il tarde à répondre, en dépit de son abstention, quand même Il fait la sourde oreille » (Spicq, p. 81).

C'est le thème de la patience de Dieu, « lent à la colère... qui supporte l'iniquité, le crime et le péché », même s'il ne le laissera pas finalement impuni : révélation suprême faite à Moïse de ce Nom de Dieu, qui est Miséricorde (Ex 34,6-7 — BC I*, p. 272) — cf. Vtb < Patience de Dieu >). Le N.T.n'exalte pas moins ce « retard » : loin d'être désintéressement égoïste des souffrances de l'homme, cette patience est miséricorDieuse longanimité pour laisser le temps, aux pécheurs de se repentir, et d'autre part au nombre des élus d'être enfin complet: // 2P 3,9-15 Ap 6,9-12 Rm 3,25-26, traduisons par conséquent, suivant le littéral, « même si, au-dessus d'eux, Il fait preuve de longanimité » — « au-dessus d'eux » pouvant signifier soit que Dieu, voyant de plus haut, voit aussi plus loin que nous, soit qu'il garde la paix céleste, inaltérable et bienveillante à laquelle, en toute circonstance, nous pouvons toujours recourir. Et ce recours, c'est l'espérance même !

Mais cette patience de Dieu demande aux élus de s'en accommoder en patientant, eux aussi (// Ap 6,11); et Lc 18,7 b pourrait se traduire également : «pendant qu'il les fait patienter». Patience active toutefois, parce que suppliante :

Ils crient vers Dieu jour et nuit : « exprime la prière sous sa forme la plus intense, le cri de l'homme qui périt ». Sous son impassibilité apparente, Dieu en souffre et en tient compte, puisque notre prière et notre attente « hâtent la Parousie » (// 2P 3,12). Bien plus, Dieu est déjà venu nous soulager, en la personne de son Fils, « Agneau qui porte le péché et la souffrance du monde ». À notre tour, gardons-nous d'oublier qu'avec Lui, nous avons à être responsables et solidaires, par cette prière inlassable, spécialement pour ceux qui ont à souffrir tribulation et persécutions pour leur fidélité au Christ (puisque c'est précisément de cette situation qu'il est question dans ces § 242 -244). Et de même, prions pour ceux qui en sont à l'ultime combat de F< agonie > :

dostoïevski: Les frères Karamazov, VI, 3 g (Pléïade, p. 343): Jeune homme, n'oublie pas la prière. Chaque fois que tu pries, si tu es sincère, il s'élève de ta prière comme une étincelle, un sentiment nouveau, une pensée nouvelle qu'auparavant tu ne connaissais pas, et qui te donne un courage nouveau. Tu comprendras que la prière est une éducation. Retiens encore ceci : chaque jour, à tout instant où tu le peux, répète en toi-même : « Seigneur, aie pitié de tous ceux qui paraissent devant toi en ce jour ». Car à toute heure et à tout instant des milliers d'hommes terminent leur vie sur la terre, et leur âme se présente devant le Seigneur. Et combien d'entre eux ont quitté ce monde seuls, ignorés de tous, tristes et angoissés — et personne n'avait pitié d'eux; on ne savait pas même s'ils étaient morts ou vivants. Et peut-être qu'à l'autre bout de la terre, ta prière pour ce délaissé montera devant le Seigneur, bien que tu ne le connaisses pas du tout et que lui ne te connaisse pas non plus. Quand il se tiendra plein de crainte devant le Seigneur, quelle tendresse envahira son âme, dépenser qu'il y a quelqu'un qui prie pour lui — qu'il a laissé sur terre un être humain qui l'aime. Dieu même vous regardera tous deux avec plus de miséricorde. Car si toi, tu as pitié de cette âme, il aura pitié davantage encore, lui dont la miséricorde et l'amour sont infinis. Et il pardonnera à cause de toi.


Lc 18,8 a — Soudain : Ne signifie pas une venue prochaine du Jugement dernier : ce serait aller contre le sens même de la parabole. Mais le P. Spicq montre que l'expression, tout en pouvant signifier « promptement, vite, sans délai », prend suivant le contexte bien d'autres nuances : « inopinément, impromptu » (1Tm 5,22), ou: « soudainement », et encore: « complètement, immanquablement, à coup sûr... En qualifiant cette Justice de rapide ou de prompte, les écrivains sacrés pensaient moins à sa proximité, qu'à la hâte du zèle, la spontanéité d'une ferveur, la décision résolue d'une volonté souverainement efficace », de telle sorte qu'elle soit « certaine, totale, surprenante » (Art. cit. p. 81-84). Encore renforcé par le solennel : « Je vous le dis... »

Lc 18,8 b // 2Th 2,3 Mt 24,12 — Cette finale souligne la gravité de la situation d'apostasie généralisée que « le Seigneur » abrégera, « à cause des élus » § 294 — Mc 13,20). Mais n'en faisons pas le propre de notre siècle :


cyprien: De unitate Ecclesioe 26 (PL 4,518-520): C'est en regardant de loin notre temps, que le Seigneur a dit cette parole. Nous voyons s'accomplir ce qu'il a prédit : dans l'honneur rendu à Dieu, dans la justice, dans l'amour, dans l'action, il n'y a plus de foi. Personne ne craint « le Jour du Seigneur » ni les tourments qui attendent les impies. Ce que notre conscience craindrait si elle y croyait, elle ne le craint pas du tout, parce qu'elle n'y croit plus...

p. 494

§ 245. Le pharisien et le publicain : Lc 18,9-14


(Lc 18,9-14)

— Dans le prolongement du reproche de Lc 16,15* § 234 , mais plus radicalement. Car si les Pharisiens cherchent à « passer pour justes devant les hommes » — et même à leurs propres yeux comme ici — c'est par un orgueil dont la double illusion est ici dénoncée :

1) confiance en soi, comme si tout ne venait pas de Dieu — et par là même l'orgueilleux n'est pas < juste >, puisqu'il vole Dieu de l'honneur qui lui est dû, comme le geai qui s'attribuerait les plumes de paon dont il se pare (sans compter qu'il est bien imprudent de se fier à soi-même quand on est si fragile) ;


2) comparaison flatteuse avec les autres, qui n'est pas plus < juste >, mais nécessairement partiale, faussée, puisqu'on ne peut être à la fois partie et juge. À l'inverse, saint Benoît : « Honorer tous les hommes » (Règle, ch. 4). La vérité, c'est l'humilité de se reconnaître pour redevable à Dieu de tout ce qu'il y a de bon en nous, et confiant en Dieu qui justifie les pécheurs (Lc 5,32 Lc 15,7), comme Il va le faire pour ce publicain.

Augustin: S. 115,2 (PL 38,656; Vives 17,190): Qu a-t-il demandé à Dieu, ce Pharisien ? Cherche dans ses paroles, tu ne trouveras rien. Il monta prier — mais il ne désirait pas supplier le Seigneur : plutôt se louer soi-même. Ne pas louer Dieu, se louer soi-même, c'était encore trop peu : en plus, il exprima son mépris pour celui qui priait.

Quant au publicain, il se tenait debout, à distance — et pourtant, il était, lui, proche de Dieu. La conscience de son coeur l'émouvait, mais un sentiment filial l'attachait au Seigneur. « Le publicain se tenait là, de loin », dit l'Écriture — mais Dieu Vécoutait de près. Car le Seigneur est « le Très-Haut », mais « il regarde les humbles choses », et « il connaît de loin les grands », tels que ce Pharisien. Il y a des élévations que Dieu connaît, de loin, mais ne pardonne pas.

Écoute encore, l'humilité du publicain : « il se tenait à distance » — c'est trop peu : « il n'osait pas même lever les yeux au ciel » : pour qu'on daignât jeter sur lui un regard, il ne regardait pas. Il n'osait pas regarder en haut : sa conscience l'écrasait, son espérance le soulevait. Écoute encore : « il se frappait la poitrine ». Le châtiment, il en était l'exécuteur sur lui-même. C'est pourquoi le Seigneur faisait miséricorde au pécheur qui confessait la faute. « Le publicain se frappait la poitrine en disant : < Seigneur, aie pitié de moi qui suis un pécheur >. Voilà quelqu'un qui prie ! Quoi d'étonnant si Dieu ne connaît plus la faute quand le pécheur la reconnaît (« Quid miraris, si Deus ignoscit, quando ipse agnoscit »).

À condition toutefois que le publicain n'aille pas, comme on le voit de nos jours, se glorifier de « n'être pas comme ces Pharisiens qui ont bonne conscience de pratiquer leur religion, et l'aumône, etc. » — car ce serait perdre ce qui vaut au publicain d'être pardonné et justifié par Dieu (v. 14 a), en cumulant avec les manques du publicain un orgueil pire que celui du Pharisien (qui lui, du moins, avait fait quelque chose pour Dieu et pour les autres...).

// 2S 7,18-26 — Ayant déjà donné en // L'humble prière des psaumes (cf. les références, dans la marge), choisissons cette fois pour modèle l'humble reconnaissance de David, non seulement pour la promesse qu'il vient de recevoir à titre personnel que le Messie naîtrait de sa Descendance, mais plus fondamentalement pour l'élection initiale et gratuite d'Israël par Yahvé. Ainsi, la Gloire de toute cette Histoire de notre Salut est bien rendue à son Auteur divin (v. 26).

Lc 18,14 a — Justifié : au sens fort de < rendu juste* >, Dieu remettant à ce publicain ses dettes*, et comblant gratuitement ses manques, défauts et péchés. Cf. § 80 — Jn 3,33-34*; cf. aussi à Rémission* et Rédemption*. C'est pour cette oeuvre-là que le Christ est venu § 42 ). L'erreur du Pharisien était précisément de croire pouvoir la gagner par ses oeuvres, alors que cette justification est Don de Dieu.

Lc 18,14b // Ps 147,6 — Même sentence qu'en Lc 14,11* § 224 , où l'on trouvera les principales références.

Grégoire de Nysse : De Instituto Christiano (Joeger vin, /, p. 66): C'est ici le sommet de la « philosophie » : que celui qui est grand par les oeuvres s'abaisse dans son coeur et condamne sa vie, la crainte de Dieu faisant tomber l'opinion qu'il a de lui-même. Ainsi il jouira de la promesse dans la mesure où il a cru et où il a aimé ; non dans la mesure où il a travaillé et s'est fatigué. Car les dons sont trop grands pour qu'on puisse trouver des labeurs qui en soient dignes. Ce qu'il faut, c'est une grande foi et une grande espérance; alors, la récompense sera mesurée à ces deux vertus, et non aux exercices. Et le support de la foi, c’est la pauvreté selon l'Esprit, et l’amour de Dieu sans mesure. (Trad. fi-, p. 39).


p. 496


3. MINISTERE EN JUDEE [§ 246>246]-278).



Après la grande incise de Saint-Luc (voir Introduction aux § 183 -245), nous retrouvons Mt et Mc. Dès leur premier verset, ils rejoignent Lc à l'arrivée de Jésus en Judée, par le Jourdain et Jéricho, d'où il montera pour sa triomphale entrée à Jérusalem § 268 -278). Entre deux s'insèrent les controverses et miracles à Jérusalem et Béthanie, que Saint-Jean est le seul à nous rapporter § 256 -267).





Bible chrétienne Evang. - § 236. Le mauvais riche et le pauvre Lazare : Lc 16,19-31