Bible chrétienne Evang. - § 246. Sur le divorce : Mt 19,1 -9 ; Mc 10,1-12

§ 246. Sur le divorce : Mt 19,1 -9 ; Mc 10,1-12


(Mt 19,1-9 Mc 10,1-12)

— Le Sermon sur la Montagne avait déjà tranché § 56Mt 5,31-32*). Ce qu'y ajoute le présent paragraphe, c'est d'une part la question posée par les Pharisiens, de l'autre le motif donné par le Christ à son intransigeance.

Mt 19,3 Mc 10,3 // Dt 24,1 — Le Deutéronome étant formel, la seule question discutée entre rabbins était de savoir pour quel motif la répudiation devenait légitime. L'expression de Dt 24,1 étant peu précise — voir au § 56 les significations possibles de ce « défaut déplaisant » — celui-ci pouvait s'interpréter soit au sens fort d'une conduite déshonorante (école de Shammaï), soit au sens large (école de Hillel), « pour n'importe quel motif » (selon les termes de Mt). Selon Mc, ce serait plus directement « une épreuve » pour mettre Jésus, dont la position devait être connue, en contradiction avec Moïse, sur la légitimité ou non de toute répudiation.

Mt 19,4-6 Mc 10,6-9 // Gn 1,26 Gn 5,1-2 Gn 2,22-24 — Réponse conforme à l'Esprit qui anime Jésus, venu pour accomplir le Dessein du Père. Le Christ en effet ne cherche pas à délimiter la Loi, mais à rentrer dans la Pensée d'amour initiale de Dieu, en créant le monde :

au commencement: réfère non seulement à la création d'Adam mais, comme dans le Prologue de Saint-Jean, à son « Principe » absolu, éternel : notre élection dans le Christ, dès avant la fondation du monde, pour que nous soyons, à l'image de la Trinité, « hommes et femmes » saints et immaculés devant Lui, dans la Charité (Ep 1,4; cf. § 1Jn 1,1*).

les fit homme et femme (// Gn 1,26 Gn 5,1-2): L'éternel Dessein de Dieu prend corps dans la constitution même du couple humain. Sa Volonté est donc inscrite au plus profond de notre nature, jusque dans notre constitution morphologique.

C'est pourquoi (// Gn 2,24) — cité plus complètement par Mt) : C'est une conséquence, et qui doit être permanente à travers la diversité des temps et des civilisations, non moins que la nature humaine sortie des mains de Dieu.

Mt 19,6 b-8; Mc 10,3-5) — En regard de ces réalités primordiales, c'est la Loi de Moïse elle-même qui devient < de circonstance >, et donc transitoire. Transcendance du Christ, qui ne se rattache pas à l'Ancienne Alliance ni au sacerdoce d'Aaron, mais apporte en Lui-même une Alliance nouvelle et meilleure, « selon l'ordre de Melchisédech », « prêtre du Très-Haut » (Gn 14,18, développé par l'Épître aux Hébreux, notamment au ch. 7) — cf. BC I / Bk, et I*, p. 92-93).

L'histoire du peuple hébreu, de Moïse à Jean-Baptiste, n'est qu'une phase, latérale et encore « sous tutelle » (Ga 3,19-4,31), un moyen temporaire, d'une Histoire de Salut voulue par Dieu pour tout homme, dès Adam, Noé, Abraham — et que Jésus vient rendre à cette vocation universelle.

Ce que Dieu a uni, que l'homme... : Cette indissolubilité du lien de couple est de droit divin. Elle est donc proprement < sacrée >. L'homme n'a pas le droit d'en légiférer. Toute loi autorisant le divorce est non seulement illégitime, mais impie; et nulle, au regard de la conscience, car il n'appartient pas à l'homme d'aller contre le dessein de Dieu — tout comme aucun homme ni pouvoir humain n'a le droit d'attenter par le viol ou la torture à la liberté donnée et respectée par Dieu même; ni de disposer, par euthanasie, de la vie qui est à Dieu.

C'est à cause de la dureté de votre coeur : Le terme est lourd de sens. Sur < l'endurcissement du coeur >, cf. § 45 — Mc 3,5 a*. Avec les images parallèles du < coeur de pierre > ou du < coeur incirconcis > (cf. § suivant), l'expression, chère aux prophètes, désigne la tentation perpétuelle de l'homme, depuis le Péché d’Adam : au lieu d'être, « à la ressemblance de Dieu », un Coeur aimant et fidèle, se raidir dans une autonomie égoïste, que ce soit contre « la femme de ta jeunesse, l'épouse de ton alliance », ou contre le Dieu de l'Alliance. Il est révélateur que ces deux alliances soient mises en parallèle dans la grande prophétie où Malachie annonce que « Yahvé hait la répudiation » (Ml 2,10-16, en // au § 56 ) — Mt 5,32, mais cité plus complètement en BC I / Eg).

// 1S 50,1 Jr 3,1 Is 54,6-8 — Comme le mariage est le grand sacrement de notre Alliance avec Dieu dans le Christ (Ep 5,25-33), ainsi le divorce est une image des ruptures d'Alliance qu'Israël a multipliées au cours de son histoire, en se « prostituant » aux cultes idolâtriques (nous allons précisément trouver mention de « prostitution » au v. 9 de Mt). Cela confirme qu'à travers la répudiation d'un conjoint, Dieu voit un autre cas de cette multiforme infidélité qui éloigne les hommes de Lui — de Lui qui est l'Unité indissoluble dans la Trinité des Personnes, la Plénitude intégralement communiquée, le Bonheur sans faille, éternellement partagé. C'est pour faire apparaître le drame de désalliance d'avec Dieu qui se profile dans les divorces familiaux, que sont mises en // Ici les prophéties d'Isaïe et de Jérémie. Mais elles sont faites surtout pour garantir notre espérance que, quand bien même Dieu aurait répudié Israël « notre mère », durant le temps de l'Exil (// Is 50,1), Il fera ce qu'un homme hésiterait à consentir : il reprendra l'infidèle, fût-elle «prostituée» (// Jr 3,1 Is 54,6-8 — cf. la parabole du mariage d'Osée, ch. 1-3).

Mt 19,9 Mc 10,10-11 — C'est la conséquence pratique, tirée de ce qui précède. Sur le sens de l'incise de Mt : « hormis le cas de prostitution », cf. au § 56 — Mt 5,32* / 4. Après avoir étudié les différentes interprétations, dans le livre entier qu'il consacre à Mt 19,3-12 et parallèles, Dom J. Dupont peut conclure : « La déclaration est parfaitement nette ; peu importe la forme dans laquelle on la lit dans les quatre passages de l'Evangile qui nous l'ont transmise, ou dans le texte où Paul lui fait écho (= en plus des présents versets, Mt 5,31-32 Lc 16,18 1Co 7,10-11). En taxant d'adultère tout mariage nouveau, Jésus refuse de reconnaître à la répudiation son principal effet. Il n'admet pas que le divorce puisse dissoudre le mariage; les divorcés n'ayant pas retrouvé leur liberté, sont incapables de contracter un nouveau mariage légitime » (Mariage et divorce dans l'Évangile, p. 75). En somme, les déclarations de l'Évangile portent sur 3 points :

1) Le divorce est-il permis ? — Le mariage tel que le Créateur l'a institué est indissoluble; le divorce est donc condamnable (réponse aux Pharisiens).

2) Effets du divorce - - Le divorce ne dissout pas le mariage ; un nouveau mariage contracté par une personne divorcée serait adultère (explication aux disciples).

3) Le divorce est-il toujours interdit ? — En cas d'inconduite, le mari peut répudier sa femme sans encourir la responsabilité de l'adultère qu'elle commettrait en se remariant (Mt 5,32) ; mais pas plus qu'elle, il ne peut se remarier sans commettre un adultère (19,9). L'exception consentie par rapport à 1) ne constitue pas une exception par rapport à 2). La Loi évangélique n'admet plus de divorce au sens normal de ce terme (Ibid., p. 157).

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§ 247. La continence volontaire: Mt 19,10-12



(Mt 19,10-12)

— Ce n'est en fait qu'un second corollaire, joint par Mt seul, au premier corollaire, commun à Mt-Mc, sur l'illégitimité du remariage des divorcés. Le cadre indiqué par Mt au v. 10 est d'ailleurs le même que celui de Mc 10, 10 : après la réponse publique aux Pharisiens, les disciples revenus entre eux, « à la maison* » (Mc), obtiennent de leur Maître des éclaircissements supplémentaires. Leur réflexion dénote d'ailleurs en Mt un point de vue typiquement masculin « de l'homme envers la femme », alors que, suivant la réponse du Christ dans Mc 10,11-12, il devrait être réciproque. Et le propos qu'à prendre les choses comme vient de les redéfinir l'Évangile, « mieux vaut ne pas se marier », est une réaction d'égoïsme.

La formule de Mc 10,12 admettant que l'initiative de répudiation puisse venir de la femme comme de l'homme suppose un droit « quasiment exclu des milieux palestiniens », mais reconnu par les gréco-romains. Ainsi, Saint-Marc « témoigne d'une attention spéciale à la portée universelle du message évangélique » (Cf. f. gils, dans RB 1962, p. 518).

Mt 19,11-12) — Tous ne comprennent pas ce mystère : Litt. « cette Parole ». S'il s'agissait seulement de la réflexion désabusée des disciples qui précède immédiatement (v. 10), l'explication qui suit ne viserait que ceux qui renoncent au mariage, et l'on y a vu communément un encouragement évangélique adressé à ceux qui se consacrent à Dieu par le voeu de chasteté. Mais il semble plus obvie de prendre au sens fort cette < Parole >, donc de l'entendre de ce qui est dit par le Christ au paragraphe précédent, et notamment au v, 9 : même une répudiation ne rend pas libre d'avoir de nouveaux rapports conjugaux (J. Dupont: Mariage et divorce, ch. 7). « Ce mystère » va dans ce sens, en même temps qu'il rappelle la valeur sacramentelle du mariage (Ep 5), renforçant sa valeur d'Alliance indissoluble.

Tous ne comprennent pas... Que celui qui peut comprendre... : Le verbe grec signifie fondamentalement : « avoir de la place, posséder une certaine capacité ou contenance »; d’où : « donner place dans son intelligence, comprendre ». On rejoint ici Mt 13,11 : « À vous, il a été donné de connaître les mystères du Royaume » § 127 *). Il s'agit bien du Don d'Intelligence § 18 — // Jn 7,15* ; et § 155 — Mt 15,16*), auquel doivent répondre les efforts des disciples (d'où l'appel final en Mt 19,12 b, mais aussi 11,15; 13,9.43; 24,15): « Partout, c'est la même conception: < comprendre > est une prérogative des disciples, par opposition à ceux du dehors ; une prérogative, mais aussi un devoir: il faut qu'ils comprennent. Jésus les y conduit par ses explications, sans les dispenser cependant d'un certain effort d'attention et de réflexion. Mais < comprendre > n'est jamais conçu comme « un don particulier », qui avantagerait certains disciples à l'exclusion d'autres... C'est un don divin, certes, mais qui distingue les disciples de ceux qui ne le sont pas... Il s'agit de choses que l'on doit comprendre, si l'on est véritablement disciple... » (J. Dupont: Ibid., p. 189-190).

Mt 19,12 // Dt 23,2 Is 56,3-5 Sg 3,13-14 Col 2,11-13 — Si les eunuques n'étaient pas admis dans l'assemblée liturgique d'Israël (// Dt 23,2), c'était parce que participer aux célébrations implique « d'offrir son corps comme une oblation vivante, sainte, agréable à Dieu, en sacrifice spirituel » (Rm 12,1), et que la victime du sacrifice doit être sans tare ni défaut (Ml 1,6-14). Mais, bien entendu, les déficiences physiologiques de l'homme ou de la femme ne sont aux yeux de Dieu qu'une pauvreté à combler, dès lors que le coeur de ces malheureux s'est tourné vers Lui (// Is 56 et Sg 3). Et le Christ les donne ici en exemple comme il déclare « bienheureux les pauvres qui le sont dans l'Esprit ».

Ce v. 12 est en effet un < Mâshâl > = un procédé littéraire à base de comparaison (cf. BC I*, p. 331). Les deux premiers types d'eunuques, de naissance ou par mutilation, servent d'image forte et réaliste pour signifier la force et le réalisme avec lesquels doit être entendue la transposition spirituelle du sacrifice de ce pouvoir génésique, soit que les circonstances l'imposent comme dans le cas du paragraphe précédent (où une séparation effective d'avec le conjoint n'autorisait pas pour autant à se remarier), soit par une vocation religieuse consacrant uniquement à Dieu toutes les sortes de pouvoirs d'aimer. C'est le même genre d'exigence que l'amputation de la main, du pied ou de l'oeil s'ils devenaient occasion de péché § 176 — Mt 18,8-9*), et en particulier instruments de l'adultère § 55 — Mt 5,28-30) — donc dans le même contexte qu'ici). C'est en ce sens que saint Paul demandera la « circoncision du coeur » (Rm 2,25-29), laquelle n'est d'ailleurs pas à pratiquer par soi-même, mais par une intégration baptismale au Christ (// Col 2,11-13). On voit le véritable contresens qu'il y aurait à prendre ce < mâshâl > pour une prescription à exécuter physiquement, alors qu'il est révélateur de la réalité < mystique > de notre union sacramentelle au Christ-Époux.

en vue du Royaume des cieux : Tel est bien le but, seul assez total pour exiger et légitimer tous les sacrifices. C'est une application de la parabole du trésor ou de la perle § 137 — Mt 13,44-46), « soit pour entrer plus aisément dans ce Royaume, soit pour travailler au Règne de Dieu » (Lagrange), comme dans le cas des prêtres se libérant des charges familiales pour être plus entièrement donnés à leur ministère (J. Dupont, dont nous suivons par ailleurs l'exégèse, ne retient que le premier de ces deux buts. Mais pourquoi le premier, certainement plus fondamental, exclurait-il le second ?).

// 1Co 7,1 1Co 7,9 1Co 7,7 1Co 7,17 — Même si la Parole du Christ est à « comprendre » de tous ses disciples, chacun ayant à garder la chasteté propre à son état : dans le mariage, dans les cas malheureux où il a fallu se séparer du conjoint... à plus forte raison s'adresse-t-elle à ceux et celles qui sont appelés à vouer leur virginité même au Christ, comme saint Paul y encourage dans ce ch. 7 de la 1° aux Corinthiens. La Tradition n'a donc pas eu tort de voir en ce verset le fondement évangélique qui donne à la chasteté sacerdotale ou religieuse leur valeur pleinement humaine de vies consacrées à un plus total et divin Amour:

dietrich von Hildebrand : Defence of purity, p. 192-195 : La sainteté de la personne rend à Dieu une gloire beaucoup plus grande que l'état de virginité consacrée comme tel. La sainteté est le but suprême, commun à tous : nous entendons par là la réelle et complète transformation d'un homme dans et par la puissance du Christ, la lumière et le reflet de Jésus dont la ressemblance rayonne de nous quand « ce n'est plus nous qui vivons, mais le Christ en nous ». Le mariage intérieur avec Jésus, la plus haute mesure d'amour surnaturel pour Lui, et pour toutes les créatures en Lui, devient notre principe de vie, la souveraineté indiscutée de cette vie divine que nous a donnée le baptême : tel est le but essentiel proposé à tout homme sans exception, la mission de tout être humain, dont l'accomplissement donne à Dieu une gloire plus grande que n'importe quel état de vie, si élevé soit-il, ou l'acte héroïque par lequel cet état est choisi. « La volonté de Dieu, c'est votre sanctification » (1Th 4,3-8). C'est seulement par la sainteté que l'on est membre pleinement du Corps mystique du Christ. Plus nous sommes saints, plus notre personnalité tout entière participe à la vie divine du Christ et glorifie Dieu avec Lui et en Lui.

Si élevé que soit l'honneur de la virginité consacrée, on peut lui appliquer ce que saint Paul dit du don de prophétie ou de la foi qui transporte les montagnes: l'homme qui la possède sans amour, n'est rien...

Un plus grand amour : voilà donc ce que doit présenter la vie de l'épouse du Christ: un plus grand amour de Jésus qui est la Source de l'amour, mais aussi une plus grande participation à l'amour de Jésus pour toutes les créatures. L'amour de la vierge consacrée doit embrasser aussi les créatures ; et pas seulement « le prochain » en général, mais particulièrement les personnes qu'elle doit aimer dans leur individualité concrète...

Il n'y a de restriction que sur le mode : l'épouse du Christ n'a le droit d'aimer qu'en Jésus, avec Jésus et par Jésus. Mais pour cette raison même, son amour est beaucoup plus pur et plus profond, de même qu'il est plus grand que tous les amours purement naturels, parce qu'il est à un plus haut degré une participation à l'amour de Jésus, l'Homme-Dieu, pour ses créatures...


Il y a là un « mystère » (v. 11), fruit < mystique > du < sacrement > baptismal et eucharistique. Le traduire, comme on l'a fait, en termes psychanalytiques de < sublimation >, serait le trahir (cf. R. Guardini: Le Seigneur 1P 314). « Comprenne » qui aura assez de foi pour entrer dans ce mystère d'Amour. Il est d'une telle plénitude (sur-naturelle puisque divine) que nulle de ses exigences ne saurait paraître excessive !

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§ 248-255. Accueillir le royaume


Entre les § 248 à 255, il y a sinon continuité, du moins tonalité commune: le Royaume étant le Don gratuit de Dieu, y sont plus aptes ceux qui, ne pouvant compter sur eux-mêmes, sont prêts à l'accueillir avec humilité et gratitude: le publicain attendant sa justification de Dieu, l'eunuque volontaire « en vue du Royaume », les petits enfants, le riche même à condition qu'il ne s'accroche pas à son avoir, mais s'en remette au « Dieu de l'impossible » § 250 — Mt 19,26*), ceux qui ont tout quitté pour suivre le Christ § 251 , et les Ouvriers de la onzième heure qui n'ont pas gagné leur journée § 252 . Les prérogatives mêmes des Apôtres doivent se fonder sur une plus grande disponibilité § 251 et 254-55).



§ 248. Les petits enfants : Mt 19,13-15; Mc 10,13-16; Lc 18,15-17


(Mt 19,13-15 Mc 10,13-16 Lc 18,15-17)

— Comme d'habitude, en Mc la scène est plus sentie : on voudrait que Jésus touche les enfants; et Il se fâche contre ses disciples... Mt, lui, souligne la transcendance sacrée du Christ en traduisant : imposer les mains en priant. Mais ici et là, c'est le même mystère sacramentel et sauveur du contact avec l'humanité du Dieu incarné, dont l'hémorroïsse ou le sourd-muet nous ont montré les effets § 143 et § 157 -158*).

Mt 19,14 b; Mc 10,14 b; Lc 18,16 b // Ps 8,3 Ps 78,3 Dt 11,18-19 1S 2,18 1S 2,26 1S 3,10 — Il ne faudrait pas insister trop exclusivement sur l'idée négative que les auditeurs du Christ pouvaient avoir de l'enfance comme d'un âge «imparfait, négligeable, dépourvu d'intelligence et de raison° (J. Dupont: Béatitudes n, p. 145-151 et 160) : témoins les // tirés des psaumes, ou l'exemple de Samuel, auquel on pourrait ajouter celui de Daniel. L'enfant devait au contraire être instruit très tôt, du Nom de Dieu (cf. le commentaire du P. Tournat sur le Ps 8,3, dans RB 1971, p. 25-26), ou de l'Alliance (// Dt 11,18); Voir ce que Robert Aron dit de cette éducation, dans Les années obscures de Jésus, ch. 2, 3, 4, p. 47-116). Mieux vaudrait dire qu'il y a correspondance entre une certaine innocence et simplicité de l'enfant, et l'attirance de Dieu pour les < petits > et les humbles § 110Mt 11,25*). Non certes au sens que leurs qualités propres mériteraient aux enfants le Royaume, mais parce qu'ils sont disposés à mieux répondre à l'initiative de Dieu, comme l'indique la suite de cet Évangile :

Le Royaume de Dieu leur appartient : C'est la formule même de la 1° Béatitude § 50Mt 5,3, celle des pauvres, auxquels se trouvent donc équiparés ici les enfants. Leur incapacité à se suffire leur évite de se fier à eux-mêmes, et les rend aptes à recevoir le Don de Dieu § 81Jn 4,10.

à ceux qui leur ressemblent: // Ep 5,1 Ph 2,15 — À cette Béatitude sont donc invités plus directement ici tous ceux qui entrent dans cet < esprit d'enfance > — si bien remis en honneur par Thérèse de Lisieux. Voie d'humilité (sur laquelle reviendront les § 254 -55*). Il n'y a pas à se forcer : dans le mystère chrétien, nous sommes tous « enfants de Dieu » (voir les //), « nouvellement nés » à cette vie du Royaume que l'Église doit être toujours mieux (1P 2,2 Jn 3,5-8).

Mc 10,15 Lc 18,17 Mt 18,3 // Ps 116,6 — Confirme et précise le verset précédent : le point sur lequel Jésus demande à ses disciples de ressembler aux enfants, c'est de recevoir le Royaume. Avec la nuance qu'indique le verbe grec : « recevoir avec empressement, en réponse à l'initiative bien intentionnée d'autrui, réponse qui établit une relation personnelle entre celui qui donne et celui qui accueille ». C'est le verbe habituellement employé pour l'accueil de la Parole de Dieu (Lc 8,13 Ac 8,14 Ac 11,1 Ac 17,11 1Th 1,6 Jc 1,21) ou de « l'Évangile » (2Co 11,4), donc de « la grâce de Dieu » dont cet Évangile est l'annonce (2Co 6,1 — cf. J. Dupont : Ibid. p. 174). Cet accueil, qui conditionne l'entrée dans le Royaume, montre bien que le Royaume est en réalité déjà là, du fait de l'Incarnation rédemptrice du Christ, « Enfant du Père », mais que notre liberté reste entière de le recevoir, et par le fait, d'y entrer.

comme un enfant: non pas : comme [on reçoit] un enfant, mais : comme un enfant [le reçoit] — avec la même simplicité et empressement (précision ajoutée, comme d'habitude, entre crochets). J. Dupont donne et préfère un autre sens : « comme [si l'on était] un petit enfant ».

Mc 10,16 — Il les embrassait : Quelle précieuse marque de la tendresse du Seigneur pour tous ses « enfants » ! Leur imposait les mains : donc Mt n'inventait rien; seulement il précise d'emblée ce que Mc n'ajoute qu'in extremis. Et les bénissait : R. Guardini a noté que l'Évangile rapporte seulement 3 bénédictions du Christ: outre celle-ci, la grande < bénédiction > de la prière consécratoire eucharistique § 318 *), et celle du départ, au moment même de l'Ascension § 374 ). Sur la Bénédiction, cf. BC I*, p. 87-88 ; 93-94; 305. « La bénédiction va à la vie. Les choses inanimées ont leur mesure d'être; elles restent comme elles sont. Le vivant, au contraire, possède une source en lui. Il y a en lui le mystère d'un commencement. Il grandit et se multiplie. C'est à ce mystère que s'adresse la bénédiction, qu'il s'agisse de la vie du corps, du coeur, de l'oeuvre ou de l'action. Elle remue les profondeurs intérieures, dégage la source, fait surgir, grandir, donner la vie. La bénédiction peut être donnée à tout ce qui possède une vie immanente. La malédiction, au contraire, c'est la stérilité, elle rend le vivant semblable à l'inanimé... La bénédiction est une puissance qui se penche sur le vivant, pour lui accorder la fécondité et l'accomplissement. Celui-là seul en dispose, qui est capable de créer... Quand Jésus bénit les enfants, la profondeur que remue sa bénédiction est au-delà de ce qui fait grandir les corps, réchauffe le coeur... : Que les enfants des hommes deviennent des enfants de Dieu, des fils et des filles du Père céleste, que la fécondité humaine se prolonge dans la fécondité céleste, que les travaux et les combats de la terre et de l'histoire aboutissent aux granges éternelles... voilà ce que poursuit la bénédiction du Christ » (Le Seigneur I, p. 326-328).

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§ 249. Le jeune homme riche : Mt 19,16-22; Mc 10,17-22; Lc 18,18-23


(Mt 19,16-22 Mc 10,17-22 Lc 18,18-23)

- Tel est le titre que lui donne la Tradition, d'après Mt 19,20. Mais d'après Mc, où l'épisode est tellement mieux pris sur le vif, cet homme parle de sa jeunesse comme point de départ dont il semble s'être quelque peu éloigné, pour devenir le « notable » de Lc 18,18. En tous cas, par son abord même, il témoigne de la jeunesse de sa ferveur (Mc 10,17).

Comme Jésus se mettait en route (Mc) : Correspond aux refrains de la grande incise de Lc (cf. Introd. aux § 183 -245). Mais le vocabulaire montre que cette précision vient bien de Marc lui-même. Et ce rappel de la condition itinérante du Christ et de ses disciples prépare l'appel du Maître à cet homme : « Viens avec moi » (v. 21*).

Mt 19,16-17a; Mc 10,17-18 Lc 18,18-19 /7 Ps 109,21 Tt 3,4-7) — Dès le premier mot, est indiqué ce qui va être mis en question : c'est le bien, le bon, la bonté, le bonheur : Bon Maître... il s'en alla tout triste, car il avait de grands biens. Mais la dénégation du Christ est surprenante : « Nul n'est bon, que Dieu seul ». Ne sait-Il pas qu'il est lui-même Dieu ? Ou bien dirait-il ici qu'il n'est pas Dieu, comme l'hérésie arienne le prétendra en s'appuyant précisément sur cette Parole et sur une autre, plus formelle encore : « Le Père est plus grand que moi » § 328 — Jn 14,28*) ? Ne serait-ce pas pour prévenir cette objection que, dès l'Évangile de Saint-Matthieu, on a déplacé l'épithète du nom au verbe : au lieu de « Bon Maître, que ferai-je... ? » (Mc-Lc), « Maître, que ferai-je de bien ! ».

À cette dernière question, les exégètes répondent généralement par l'affirmative. Mais peut-être Mt voulait-il simplement rendre plus rigoureuse l'opposition du Bien cherché, et des biens, de ces richesses qui vont entraver cet homme ? Car il devrait rester entendu que la question de la divinité du Christ n'est même pas posée ici. Ce que cherche cet homme (et nous tous), c'est de posséder la vie éternelle : en Mt, verbe « avoir »; en Mc-Lc, expression traditionnelle dans le Judaïsme : « hériter la vie éternelle ». Que l'origine en soit l'acquisition ou l'héritage (= thème du < Royaume-Don >, au § précédent), la vie éternelle est désirée comme possession. Cet homme riche imagine tout en termes d’avoir : ses biens terrestres, le bien qui donne le ciel; et s'il appelle Jésus « bon Maître », c'est qu'il espère gagner ce bonheur éternel par ce bon < guru >.

Comme d'habitude, le Christ cherche à élever ce désir encore trop naturel aux perspectives sur-naturelles qui sont celles de la foi : le Bon, le Bien, le Bonheur, le Ciel s'identifient à Dieu, car tous ces noms, que la philosophie qualifie de < Transcendantaux >, comme le Vrai ou le Beau, désignent des qualités inhérentes à l’être. Il y a identité absolue entre le Dieu qui se nomme « je suis » et la Vérité, la Bonté, la Beauté. Cela n'exclut ni que Jésus — qui s'appellera aussi « je suis » § 260 -61) — Jn 8,24*) et s'affirmera « la Vérité et la Vie » § 326 - Jn 14,6) — soit la révélation vivante de la Bonté salvatrice et de l'Amour divin pour les hommes (// Tt 3,4-7), ni même que les hommes puissent être bons, justes, et même parfaits (Mt 5,45 Mt 5,48 Mt 22,10 Lc 6,45). Mais l'insistance porte ici sur « Dieu seul », en correspondance avec « une seule chose te manque », soulignant l'opposition entre le bien, unique, qui fait le Bonheur éternel du ciel, et la multiplicité radicalement insuffisante des richesses.

Or il arrive qu'il devienne nécessaire de choisir entre Dieu et Mammon § 233 ; et c'est à un tel choix — celui du Trésor, ou de la Perle auxquels on sacrifie tout le reste — que Jésus prépare cet homme riche, comme il avait félicité Marie, contre les récriminations de sa soeur Marthe : « il suffit de peu, ou même d'une seule » — si l'on a bien choisi « la meilleure part » § 192 *).

Mt 19,17 b-19; Mc 10,19 Lc 18,20 // Lv 18,4-5 Sg 6,18 — Première réponse de Dieu à la quête insatiable du Bonheur par les hommes : le respect du Décalogue, conforme à la nature suivant laquelle Dieu nous a créés. Il est notable pourtant que Jésus ne cite que les 5°, 6°, 7°, 8°, et enfin 4° commandements, sans rien dire des 1°, 2°, 3° concernant Dieu — tout comme, en Mt 25,31-46, pour entrer dans la vie éternelle (= Mt 19,17c) les élus n'auront à répondre que de leur charité envers le prochain.

Tu ne feras de tort à personne (Mc) : Cette addition au Décalogue proprement dit (Ex 20) n'en est pas moins dans la ligne de l'Ancienne Alliance: en témoignent les // Dt 24,14 et Si 34,21-22, où se retrouve le même verbe stigmatisant « l'acte par lequel on prive le pauvre du nécessaire, parfois le salarié de son dû » (S. Légasse: L'appel du riche, p. 39) — mais tout ce livre est une étude du présent paragraphe, comme « contribution à l'étude des fondements scripturaires de l'état religieux »).

entrer dans la vie éternelle : Comme au § précédent, « entrer dans le Royaume ». Cela répond à la question posée initialement (v. 16 de Mt). Elle était relativement nouvelle puisque, si longtemps, le Peuple élu ne s'était fait qu'une image vague et peu attirante de l'Au-Delà, comme une existence d'ombres dans le < Shéol > (BC I*, p. 183-84).

Mt 19,20-21 Mc 10,20-21 Lc 18,21-22 — Jésus ne dénie pas que cet homme soit un fidèle observateur des commandements, y compris de l'amour du prochain (Mt). Mais s'il est vrai qu'il n'y a rien au-dessus, pourquoi demander : « Qu'y a-t-il encore (Mt) ?» — Parce que c'est le propre de l'amour de vouloir toujours en faire plus ! Ainsi l'Amour de Dieu, comblé en sa Trinité, n'en a pas moins voulu déborder encore dans la création, suscitée comme capacité d'accueil à ce Don inépuisable. Ainsi la vie spirituelle qui se satisferait de son acquis signerait son arrêt de mort, car elle ne peut se poursuivre qu'en allant « de sommet en sommet » (Ps 84,8), comme Grégoire de Nysse l'a montré dans sa Vie de Moïse. Ainsi Vincent de Paul témoigne, par son propre exemple, que « l'amour est inventif à l'infini ».

Jésus, fixant sur lui son regard (Mc) : C'est de ce même regard que Jésus a vu en Simon la pierre sur laquelle Il bâtirait son Église § 25Jn 1,42*). Ce n'est pas un regard de découverte, car l'initiative vient de Dieu ; et c'est Lui qui a, de toujours, « discerné d'un regard éternel, appelé, justifié » ses disciples (Rm 8,29-30, en // au § 41 ; Jn 15,16). Comme le Christ avait admiré la loyauté de Nathanaël ou la foi du centurion § 25Jn 1,47 ; § 84Mt 8,10), Il est sensible, humainement et divinement sensible, à cette jeune ferveur qui s'accorde si bien avec la sienne. Son regard est celui de la Rencontre entre cet Amour éternel et l'être éphémère qu'il a suscité et qu'il éternisera lui-même. Comme dans l'amour humain on parle de < coup de foudre >, un lien vient de naître, « plus fort que la mort » — et que le refus...

Il l'aima: C'est le verbe de l'Agapè: « Il exprime d'abord un jugement d'estime qui peut aller jusqu'à l'admiration », ainsi qu'une « hospitalité », un accueil cordial se manifestant « dans sa physionomie, le ton de sa voix, son attitude... son visage dut s'éclairer d'un sourire d'approbation et de bienveillance » (C. Spicq: Agapè 1P 81-84). Mais c'est aussi un appel : « élection — » dilection — » vocation à la sainteté », qui est aussi séparation (Col 3,12 Rm 1,7 — cf. BC I*, p. 298-99).

« Une seule chose te manque » (Mc-Lc) : À relation nouvelle, exigence nouvelle. Ce n'est pas la Loi qui aurait à être complétée, mais l'intimité nouvelle avec le Christ (« viens avec moi ») demande qu'on y sacrifie au besoin tout ce qui l'empêcherait. « Si tu veux être parfait » (Mt) : La perfection, c'est Dieu. Le Sermon sur la Montagne est un appel à être parfait comme Lui, c'est-à-dire : Amour-Don, illimité (Mt 5,44-48). Mais par conséquent, c'est aussi une invitation au détachement, et plus encore à la confiance, à la remise totale entre les mains de l'Aimé qu'impliqué ce détachement (S. Legasse : Ibid. p. 147-183).

Va, vends tout ce que tu as, et donne-le... : Nous avons déjà rencontré cette injonction au § 228Lc 14,33*, et expliqué que, si elle vaut en principe pour tout disciple, comme une exigence possible à laquelle il faut être prêt, elle ne s'impose de fait qu'à titre personnel, et comme une vocation particulière, bien déterminée. Zachée ne sera pas blâmé de se proposer à donner « la moitié de ses biens » § 269Lc 19,8-9). Mais dans le cas présent, c'est cet appel que Jésus adresse expressément à cet homme, entre tous: «une seule chose te manque.. » Plus précisément encore, Il s'adresse à sa liberté, expression de ce que cet homme a de plus intime : « Si tu veux... » (Mt).

donne-le aux pauvres: C'est Luc surtout qui avait, jusqu'à présent, insisté sur ce devoir de l'aumône (Lc 11,41 Lc 12,33 Lc 14,33). Mais ici, les trois Synoptiques se rejoignent, comme étant ce que le Christ demande à ceux qu'il appelle plus particulièrement. Et par là, il est donc juste que cet Evangile fonde le voeu religieux de pauvreté, comme celui de chasteté l'était au § 247 *.

tu auras un trésor dans le ciel: Non seulement prévoyance, comme à propos de l'Économe infidèle § 233Lc 16,9*), mais réponse à la question initiale : Que faire pour entrer dès maintenant dans la vie éternelle ? — Vends tout pour ce Trésor qu'est le Royaume § 137Mt 13,44, car « là où est ton trésor, là sera aussi ton coeur » § 64Mt 6,21.

et viens avec moi: C'est la définition même du disciple: § 25Jn 1,37* et § 41 * in fine. Rien que dans ce ch. 10 de Mc, on retrouve « suivre » aux v. Mc 10,28 Mc 10,32 Mc 10,52. Et telle est bien la vocation particulière que Jésus propose à cet homme — qu'il aime et qui cherche la vie éternelle, c'est-à-dire « la vie avec Lui », pour toujours. Les sacrifices demandés s'éclairent par là, comme par l'adoption de la vie itinérante, toute donnée à l'évangélisation et au salut d'Israël puis du monde entier, qui est celle de Jésus et de ses Apôtres (Mc 10,17a). N'ont-ils pas eux-mêmes tout quitté pour le suivre § 31 , § 41 et § 251 ? Voir aussi, au § 184 , l'intransigeance du Christ, et en //, celle d'Élie pour la vocation d'Elisée.

Mt 19,22 Mc 10,22 Lc 18,23 // Is 35,10 — Le Bonheur, c'est Dieu, donc d'aller vers Lui, à la suite du Christ. « Il n'y a qu'une tristesse, c'est de n'être pas des saints », disait Léon Bloy. En se laissant retenir par ses grands biens, cet homme nous montre la raison même pour laquelle Dieu demande ce sacrifice : non par une exigence arbitraire et tyrannique, mais comme la condition nécessaire à notre propre libération. C'est difficile § 250 ; mais heureux qui répond à cette vocation d'apôtre et d'intime du Christ § 251 , et // Is 35,10, prophétisant l'ère messianique).

Luc le miséricodieux ne nous dit même pas que le < jeune homme > s'en alla ; et de toute manière, l'Évangile se tait sur les suites de cette vocation manquée. Mais Roland Cailleux imagine bien que, même si notre liberté répond mal, la Rencontre avec le Christ continue de travailler ceux qu'il a ainsi appelés ; car « les dons et la vocation de Dieu sont sans repentance » (Rm 11,29).

C'est le jeune homme riche qui monologue : « Au fond, il ne nous demande pas de nous améliorer mais de nous transformer. Ce qu'il veut, c'est un nouvel homme... Maintenant, je vis seul, mais le pire, c'est que je ne tire plus aucune joie de ma fortune. Chaque fois que je fais une aumône, elle me paraît insuffisante, si large soit-elle... Mes terres et mes champs ne me paraissent pas réels... C'est comme si je tenais à une chose à laquelle je ne tiens pas » (La religion du coeur, p. 91-92).

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Bible chrétienne Evang. - § 246. Sur le divorce : Mt 19,1 -9 ; Mc 10,1-12