Bible chrétienne Pentat. 1312

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LA GÉNÉROSITÉ D'ABRAHAM

Gn 13)


 — Gn 13, 1-12 // 1Co 6, 1-2. 7-8; Lc 12,13; Ph 2,4 — Qu'il y ait eu éducation morale, que la révélation elle-même ait été progressive, en ce domaine comme dans l'annonce du Messie, c'est vrai pour une part. Mais la conduite d'Abram n'en est pas moins déjà conforme à ce que l'Evangile a de plus élevé: « A qui veut te faire un procès, et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau » (Mt 5,40). Car le Christ n'est pas venu régler nos procès en justice, mais plutôt enlever leur raison d'être préventivement, en faisant appel à une charité plus grande. Cela ne supprime pourtant pas les droits de la justice et de la vérité, comme Jésus lui-même l'a réclamé au coeur même de sa Passion (Jn 18,22-23).

CHRYSOSTOME : hom. 33 sur Gn (pg 53,308): Quelle modestie, quelle haute philosophie ! Celui qui est l'aîné par l'âge et par la dignité, appelle «frère » son neveu, l'élevant à son niveau. Voyez comment il accomplit déjà le commandement de l'Apôtre: « Vous avez des procès entre vous? Pourquoi ne pas accepter plutôt l'injustice et supporter un dommage? »

L'Ecriture a pris soin de nous dire que les Cananéens et les Périzzites habitaient le pays. Abraham avait donc le devoir, lui qui était envoyé comme docteur de sagesse à tous les habitants de la Palestine, de ne donner aucun scandale, pas la moindre prise à la critique. Pour éduquer les peuples, et les amener à imiter sa vertu, la douceur de sa conduite valait la trompette du héraut.

ambroise: De Abraham i, 3 (PL 14,425): Abraham savait que les disputes des serviteurs peuvent troubler la concorde des maîtres. Il trancha la fibre de discorde, pour que la contagion ne gagnât pas. Mieux valait supprimer l'occasion du litige que de supprimer l'amitié.

Mais quand il y a partage, comment faut-il partager? Le patriarche nous l'enseigne: Que le plus fort fasse les parts, et que le plus faible choisisse. Ayant choisi, il ne pourra se plaindre; et l'aîné ne sera pas lésé.

C'est le vice du siècle, que la terre ne soit jamais assez grande pour les riches. Abraham était-il de ce genre? Non. Mais au début il était imparfait. Car le Christ n'était pas encore venu pour dire: « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres, et viens, suis-moi » (Mt 19,21). Mais on voit bien qu'il n'était pas avare, quand il laisse le choix à son neveu.

Lot, trompé par le désir naturel des choses agréables, choisit la part la plus riante; mais celle-ci, par son agrément même, attira vite l'envie des brigands (cf. ch. 14).

Gn 13,9Si tu prends à gauche, j'irai à droite... : D'où Abraham tient-il cette liberté du coeur? Mais de sa vocation même! Pour qui est appelé par Dieu, l'enjeu est si total, il polarise si bien toute recherche, il est tellement transcendant à tous les petits moyens de l'existence qu'ils en deviennent comme indifférents. Si « tous les chemins mènent à Rome », il n'est pas si important de prendre par la gauche ou par la droite. Sur l'appel de Dieu, Abram a quitté son pays et sa parenté : il ne va pas maintenant se raccrocher à telle ou telle contrée, ni même à son neveu. Il continue dans le même sens de renoncement: « Sépare-toi de moi », conseille-t-il...

Gn 13,13Les hommes de Sodome étaient mauvais: Lot a choisi sur la fertilité de la région, et non sur la conduite des habitants au milieu desquels il aurait à vivre. Politique à courte vue qui se retourne contre lui; car le pays verdoyant sera ravagé d'abord par les roitelets coalisés du ch. 14, avant de devenir Mer Morte (ch. 19). Surtout, Lot et ses descendants y auront perdu l'héritage spirituel de la Bénédiction d'Abraham.

Gn 13,14-17 — Par contre, Dieu va confirmer ses Promesses, de façon toujours plus expresse, bien qu'en différant toujours leur plein accomplissement. C'est vraiment la ligne de faîte de cette vie d'Abraham: la liste des références en est à elle seule éloquente (cette liste se trouve à Gn 12,3 /Be). Ici, la promesse initiale d'être père d'une nation qui s'établirait sur la terre de Canaan, s'élargit sans mesure, à perte de vue (v. 14) et sans compter, « comme la poussière de la terre » (v. 16).

// Mt 8,11 Ga 3,16 — Mais la réalisation dépassera encore la promesse, et doublement: car elle s'étendra à toutes les nations des quatre points cardinaux; en même temps, elle ne se perdra pas dans l'anonymat désagrégé de la ’poussière' (Gn 3,19*), mais se trouvera réunie dans le Christ, comme en le Nouvel Adam (1Co 15,45-48 /Z, ).

Gn 13,18 — cf. 12,7-8*.

1314 Gn 14,1-16 — Dans le prolongement du ch. 13, sur la générosité d'Abram (cf. plus encore 14,21-23), cette histoire sert surtout de prélude à la rencontre d'Abram et de Melchisédech.

melchisédech (Gn 14,17-20) — Gn 14,17 — Entre Abram vainqueur et le roi de Sodome, bénéficiaire de la victoire d'Abram, apparaît ce Melchisédech, de Shalem — première mention de la future Jérusalem. Or, par un double relais, ce Melchisédech nous est donné comme figure du Christ :

Le Psaume 110 en effet — certainement messianique, et revendiqué comme tel par le Christ lui-même (Mt 22,44) — annonce l'avènement d'un roi et prêtre « pour l'éternité, selon l'ordre de Melchisédech » ;

L'Épître aux Hébreux (ch. 7) en conclut que « l'Écriture même (par le Ps 110) réfère ce Melchisédech au Christ, Fils de Dieu ». C'est donc une confirmation marquante de la perspective messianique suivant laquelle la Tradition chrétienne apprit à lire l’a.t.

chrysostome : Hom. 12 sur l'Épître aux Hébreux (pg 63,97) : saint Paul veut montrer la supériorité de la Nouvelle Alliance sur l'Ancienne. Nous avons déjà dit qu'il utilise le type comme un élément de crédibilité en faveur de la vérité, le passé confirmant le présent pour aider la foi des auditeurs. Le plus admirable est que le type lui-même, la simple figure de ce qui devait venir, l'emporte déjà sur les faits du premier Testament. L'apôtre écrit donc: « Ce Melchisédech, Roi de Shalem, prêtre du Dieu Très-Haut, qui vint au-devant d'Abraham et le bénit, Abraham lui offrit la dîme de tout ».

Ayant ainsi résumé l'historique, saint Paul contemple le mystère, et commence par scruter le nom même de Melchisédech. D'abord, ce nom veut dire « Roi de Justice ». Mais qui est le Roi de Justice, sinon Jésus-Christ notre Seigneur? Melchisédech est aussi Roi de Shalem, le nom de sa ville: donc Roi de la Paix, puisque Shalem signifie « Paix ». Ceci s'applique encore au Christ, car c'est lui qui nous a justifiés et qui a pacifié le ciel et la terre. Y en a-t-il un autre, que l'on puisse appeler « Roi de justice et de paix »? Ensuite l'Apôtre signale différentes caractéristiques : Sans père, sans mère, sans généalogie, n'ayant ni commencement de jours ni fin de sa vie, assimilé au Fils de Dieu, il demeure prêtre pour l'éternité.

... De Melchisédech, nous ignorons le commencement de ses jours et la fin de sa vie, parce qu'ils ne sont pas mentionnés dans l'Écriture. Nous ignorons aussi le commencement et la fin du Christ, mais pas pour la même raison: Melchisédech est la figure, son commencement et sa fin ne sont pas écrits dans le Livre; Jésus est la Vérité, et simplement il n'a pas de commencement, ni de fin.

De même les noms: Pour Melchisédech, Roi de Justice et Roi de Paix ne sont que des appellations ; en Jésus au contraire, nous avons la Vérité des choses.

Le Fils n'a pas de commencement. Il a un Père — sinon comment serait-il Fils? Mais il n'a ni commencement ni fin.

« Et il bénit le dépositaire de la Promesse ». Comme la promesse était pour les Juifs le comble de l'honneur, saint Paul montre que la logique et le sens commun donnent le pas à Melchisédech sur Abraham : Sans contredit, c'est le supérieur qui bénit l'inférieur. Donc la simple figure du Christ est au-dessus même d'Abraham.

Gn 14,18-20 // He 7 — En somme, la figure de Melchisédech, telle que la dégage l'Épître aux Hébreux, éclaire notre compréhension du Christ lui-même sur les points suivants, qui sont essentiels :

I ) Le Christ est en même temps Roi (le ‘Seigneur’ dont l'avènement est annoncé au Ps 110,1-2) et Prêtre « selon l'ordre de Melchisédech » (Ps 110,4):

2) Le pain et le vin préfigurent son sacrifice: Le Christ exerce son sacerdoce selon l'ordre de Melchisédech, car il offrit le pain et le vin en disant: « Ceci est mon corps, ceci est mon sang ». Et ainsi il s'offrit lui-même en véritable sacrifice, pour Abraham l'homme de la foi, et il le bénit: Car c'est par son sang qu'il acquit la bénédiction, c'est-à-dire la rémission des péchés, pour Abraham et pour tous les élus qui l'attendaient depuis l'origine du monde. (Rupert de Deutz: De Trinitate v, 12 (PL 167, 378).

II est vrai que l'hébreu, traduit par « il offrit du pain et du vin », signifie plus littéralement: «fait sortir»: ce que certains interprètent aujourd'hui comme si Melchisédech avait seulement /ô«/-«f (tob) nourriture et boisson aux quelque 300 membres de la tribu patriarcale (Gn 14,14). Mais pourquoi donc le rédacteur de la Genèse éprouverait-il le besoin de préciser, sitôt après: « Il était prêtre du Très Haut », sinon pour expliquer l'acte proprement sacerdotal d'offrir le sacrifice? Ajoutons que, si l'on y tient, le Christ est figuré par Melchisédech en cela aussi que Lui-même a fourni la nourriture, lors de la Multiplication des pains. Mais ce miracle était justement signe du « vrai pain descendu du ciel » qu'il était lui-même, et donnerait à communier de par le sacrifice où II serait non seulement le prêtre et l'offrant, mais la victime (Jn 6).

3) La religion de Melchisédech est la même que celle d'Abram, s'adressant au même Dieu universel, créateur du ciel et de la terre (Gn 1), et elle s'exprime en une même prière de Bénédiction.

Si en effet Gn 12,2-3* nous a révélé la bénédiction de Dieu, que nous avons héritée d'Abraham (et qui nous est en définitive donnée dans le Christ), Melchisédech nous enseigne comment l'homme peut et doit, en retour, bénir Dieu et bénir les autres.

Déjà Noé ancrait sa bénédiction de Sem dans la bénédiction à Yahvé, « Dieu de Sem » (9,26). Ces deux bénédictions se commandent en effet, l'une l'autre, comme le double précepte de la charité.

Béni est le Dieu Très Haut qui a livré tes ennemis entre tes mains. L'impiété fondamentale est de prétendre ne rien devoir qu'à soi-même. De surcroît, c'est manifestement faux, car il a bien fallu recevoir d'abord au moins la vie, et, avec elle, tout le reste: « Qu'as-tu que tu n'aies reçu; et si tu as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu n'avais pas reçu? » (1Co 4,7). Mensonge toujours séduisant, depuis le Paradis terrestre jusqu'à aujourd'hui...

À l'inverse, l'homme religieux se plaît à reconnaître sa condition de créature: ’reconnaître' au sens à la fois de se voir dans le vrai et à celui de remercier Dieu. C'est cette action de grâces qui s'exprime dans la prière juive type, que ce soit celle du Birkat Ha-Mazon (action de grâces après le repas) ou la plus solennelle Haggadah de la Pâque: « Béni sois-Tu, Seigneur, qui nous as donné ...» Dans les psaumes, cf. par excellence les Ps 103 et 104, et Da 3,52-90. Il est heureux que cette forme de prière soit aujourd'hui largement reprise par les chrétiens — qui l'avaient en tout temps gardée au moins dans les Préfaces à la grande Prière eucharistique.

S'ouvrant ainsi à la bénédiction de Dieu, l'homme religieux en est assez plein pour faire déborder cette bénédiction de Dieu sur les autres. Tel Abraham, avons-nous vu (12,3*), tel ici Melchisédech: Béni soit Abram par le Dieu Très Haut ! (La forme solennelle et rituelle d'une telle bénédiction sera confiée aux prêtres de l'Ancienne Alliance en Nb 6,22-27): de même que l'amour de Dieu porte à l'amour du prochain, et vice versa, de même bénir Dieu prépare à bénir l'autre, nous ouvrant plus grand, par là même, à la bénédiction de Dieu: « Bénissez, écrit saint Pierre, car c'est à cela que vous avez été appelés (bénir, c'est notre vocation), afin d'hériter la bénédiction »(1P 3,9).

Être religieux, c'est vivre en bénissant, recevant tout de Dieu dans la confiance et la joie filiale, avec le même passage de la bénédiction à la bienveillance que nous avions déjà rencontrée en Dieu: cf. 12,2-3*.

4) Abram lui donna la dîme de tout: « Toute dîme des produits de la terre appartient à Yavhé » (Lv 27,30-33). Mais « aux fils de Lévi, JE donne pour héritage toute dîme perçue en Israël » (Nb 18,21). La dîme est donc reconnaissance de suzeraineté à Dieu, ou aux prêtres ses représentants. En Melchisédech, en n'importe quel de nos prêtres, c'est Jésus-Christ que, tel Abram, nous reconnaissons comme le Prêtre et le Seigneur par excellence.

ambroise: De Abraham i, 3 (PL 14,427): Le vainqueur ne doit pas se glorifier de la victoire, mais la rapporter à Dieu. C'est ce que nous enseigne Abraham: Non seulement le triomphe ne le rend pas orgueilleux, mais il le rend encore plus humble qu'il n'était: Il offre un sacrifice, offre des dîmes, et c'est pourquoi Melchisédech « Roi de Justice, Roi de Paix », le bénit. « Il était Prêtre du Dieu Très Haut », dit l'Écriture: Qui donc est Roi de Justice et Prêtre de Dieu, sinon celui à qui le psaume déclare: « Tu es prêtre pour l'éternité, selon l'ordre de Melchisédech » ? C’est-à-dire le Fils de Dieu, Prêtre du Père, qui par le sacrifice de son corps, obtint de son Père le pardon de nos péchés?

C'est du Seigneur lui-même qu’Abraham veut recevoir sa récompense...

Mais en Abram c'est Lévi, Aaron et tout le sacerdoce de l'Ancienne Alliance qui s'incline devant le sacerdoce de Melchisédech, donc a fortiori devant celui du Christ et de ses prêtres pour la Nouvelle et Éternelle Alliance: voir le raisonnement du // He 7,4-14, ainsi commenté par raban maur: Sur Gn il, 16 (PL 107,540) : Saint Paul revendique Melchisédech pour le Christ, et à travers le Christ pour l'Église des gentils; car toute gloire de la tête appartient aussi aux membres: Melchisédech, le prêtre incirconcis, a béni Abraham, père de la circoncision, et en Abraham Lévi, et par Lévi Aaron, souche de la lignée sacerdotale. D'où il ressort que le sacerdoce de l'Église incirconcise a béni le sacerdoce circoncis de la Synagogue.

5) Prêtre pour l’éternité (Ps 110): bien mieux que Melchisédech, qui apparaît et disparaît en météore — dans cette Genèse où l'on insiste tant au contraire sur les généalogies — le Christ est l'Éternel, et demeure donc « toujours vivant pour intercéder en notre faveur » (He 7,15-25).

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La foi D'ABRAHAM

Gn 15,1-6)


 (Gn 15,1 — L'importance de ce chapitre se marque d'emblée par une triple insistance: 1) au lieu du simple: « Dieu dit... » (12,1 etc...), il y a: La Parole de Yahvé se fit entendre, formule plus solennelle d'introduction aux oracles prophétiques ; 2) à la Parole se joint cette fois la vision; 3) c'est une déclaration, une Parole où Dieu s'engage.

Ne crains pas: c'est la première Parole, nécessaire pour rassurer qui se voit en présence de Dieu, ou chargé d'une mission surnaturelle : Ex 20,20 ; Jos 1,9 ; Lc 1,30; Mt 1,20; 14,27; Lc 24,36. À Jaïre qui, devant la mort de sa fille, pense inutile de faire venir le Maître, Jésus répond: « Ne crains pas: crois seulement » (Lc 8,50). D'Abraham à nous, c'est l'attitude à laquelle est invité l'homme, par Dieu ...

Gn 15,1 // Ps 28,7Ton bouclier: cf. aussi Dt 33,29, fréquente, Psaume de la confiance à mettre en Dieu; car, mieux encore qu'un bouclier « Il nous couvre de ses ailes, comme une poule ses poussins », à ses risques et périls ainsi qu'on le verra dans le Christ, s'offrant à notre place en victime pour nos péchés. En Ep 6,16, c'est la foi elle-même qui sert de bouclier, dans la mesure même où elle nous appuie sur Dieu.

Ta récompense sera grande: « Yahvé porte avec lui-même sa récompense » (Is 40,10) : oui, car c'est l'Amour même qui est récompense de l'amour.

ambroise : De Abraham l, 3 (PL 14,427-428) : C'est du Seigneur lui-même qu'Abraham veut recevoir sa récompense. Que demande-t-il? Ni richesse, ni longueur de vie, ni puissance, mais un digne héritier de ses labeurs. « Je m'en vais sans enfants... »

Écoute la réponse divine : « Il ne sera pas héritier celui-ci ! Mais un autre, issu de toi ». Quel autre? Ce n'est pas d'Ismaël que parle ici le Seigneur: Il parle d'Isaac, le fils qui sera saint. Et par Isaac, nous pouvons entendre le véritable héritier, notre Seigneur Jésus-Christ, « Fils d'Abraham » selon l'Évangile de saint Mathieu (1,1), qui se montra véritable héritier d'Abraham en illuminant la succession de son Père. C'est par lui qu'Abraham regarda au ciel, et sut que la splendeur de sa postérité ne serait pas moindre que celle des étoiles. Comme une étoile diffère de l'autre en clarté, ainsi la résurrection des morts (1Co 15,41)

«Abraham crut Dieu » (Rm 4,3). Qu'a-t-il cru? — Que le Christ serait son héritier, en prenant un corps. Et pour que tu saches que c'est bien cela qu'il a cru, le Seigneur a dit dans l'Évangile: « Abraham a désiré voir mon jour, il l'a vu et s'est réjoui » (Jn 8,56).

Cyrille d'alexandrie: Sur Gn m (pg 69,113): Abraham est donc dit «père d'une multitude de peuples », parce qu'il est le père des croyants qui, rassemblés de toutes les villes et régions, sont incorporés au Christ.

Rupert de Deutz: De Trinitate v, 17 (PL 167,382): «... Je m'en vais sans enfants » n'est pas la parole d'une âme défiante, mais d'un coeur brisé et humilié, et qui interroge Dieu avec une très grande humilité: Il frappe à la porte avec cette plainte nostalgique, pour que Dieu réponde quelque chose de certain sur la promesse d'une descendance nombreuse comme le sable de la mer ... « Celui qui sortira de ton sein, celui-là sera l'héritier... Compte les étoiles, si tu peux... » C'est le ciel, qu'il prépare comme récompense très grande pour Abraham, et pour tous ceux qui à son exemple suivront leur Seigneur qui leur dit: « Oublie ton peuple et la maison de ton père » (Ps 44). Ils seront tous comme les étoiles du ciel, nombreux certes, mais comptés, connus et appelés par leur nom.

Gn 15,2-5 — Cette fois encore pourtant, Dieu a parlé au futur; d'où la réponse d'Abram: en l'absence d'un fils, il imagine une solution humaine de transmission indirecte de l'héritage au fidèle serviteur, Éliézer, (que nous retrouverons au ch. 24). Dieu coupe court à cette plainte, invitant à nouveau Abram à un acte de pure foi, de remise sans condition à la Parole de Dieu, si humainement incroyable soit-elle.

Ce n'est pas de la part de Dieu, cruauté de « se faire attendre », ni de la part de l'homme, imprudence à s'engager sans garantie. Car tous ces délais ne viennent pas de Dieu. Pour lui, dire c'est faire (Gn 1); donc promettre c'est tenir. C'est ce que nous affirmons en le nommant l'Éternel: tout est donc pour Lui au présent. Il n'y a pas pour Lui de ’plus tard', où il remettrait de réaliser ce qu'il a dit, et par conséquent on ne saurait craindre qu'entre la promesse et l'accomplissement Dieu se repente ou se dédise. Cet ’entre-deux' n'existe pas pour Lui.

Notre assurance est donc basée sur la nature même de Dieu, et doublement : Vérité même, il promet ’pour de vrai’ ; Éternel, il est tout d'une pièce et ne change pas, ne se reprend pas: « Dieu n'est pas un homme, dira-t-il vertement par la bouche du prophète Balaam, pour qu'il mente, ni un fils d'Adam pour qu'il se rétracte. Dit-il une parole pour ne pas l'exécuter? » (Nb 23,19).

Dieu ne retient donc pas sa promesse. Si elle met du temps à se réaliser, c'est uniquement parce que nous, nous sommes dans le temps, et qu'il ne nous arrive rien que suivant notre mode d'existence, donc temporellement, c'est-à-dire successivement, progressivement — en passant par Isaac, Jacob et les douze tribus d'Israël, Jessé, David et finalement le Christ, réalisation enfin totale de la Promesse.

C'est comme tel que le saluera tout le Nouveau Testament: «Ainsi avait-il promis à nos pères, Abraham... » (Magnificat); « Ainsi se souvint-il du serment juré à notre Père Abraham... » (Benedictus); et nous (les Apôtres), « nous vous annonçons la Bonne Nouvelle: la Promesse faite à nos pères, Dieu l'a accomplie en notre faveur » (Ac 13,23-33, avec rappel d'Abraham et de David); car « en Lui, Jésus, toutes les promesses de Dieu ont leur Amen (15,6*), et c'est par Lui aussi que nous pouvons répondre en donnant notre. Amen à la gloire de Dieu » (2Co 1,20).

Même pour les chrétiens, la Promesse n'aura porté tous ses fruits pour chacun de nous qu'à notre mort, et pour l'humanité tout entière qu'à la fin des temps. Alors nous entrerons dans la Terre et le Royaume enfin réalisés.

L'Alliance n'est en effet que la Promesse, c'est-à-dire le Don, c'est-à-dire l'Amour, mais vécu en toute liberté et réciprocité (9,9-10*). Car un ‘testament' ne dépend que de la générosité du donateur; mais l'Alliance ne peut exister qu'entre deux parties, traitant sur un pied de quasi égalité. Tel est donc le respect de Dieu pour nous : même si nous sommes sa créature, et de ce fait à son entière discrétion, Il nous aime et par le fait, se met à notre discrétion.

Gn 15,6Foi — Justice: Tout l'essentiel est si bien entre promesse et confiance que, sitôt posé l'acte de foi d'Abraham, l'Alliance est acquise de plein droit: « Il crut, et pour cela, Dieu le considéra comme juste », c'est-à-dire comme répondant tout juste à ce qu'il en attendait. C'est sur ce verset que saint Paul fondera son enseignement inspiré sur la justification par la foi: voir Ga 3 et 4, et Rm 4, que l'on trouvera ici en // , répartis suivant l'histoire d'Abraham.

La foi: « De même origine que le mot Amen, le terme traduit par la foi exprime aussi la vérité, la fidélité, la fermeté » (tob). Tout cela se trouve d'abord du côté de Dieu: Amen (2Co 1,20 déjà cité), Vérité, Fidélité, Constance. Il n'y a du reste en hébreu qu'un seul mot pour exprimer la vérité — fidélité de Dieu. Sous cet angle encore, l'engagement de l'homme ne fait que répondre à celui de Dieu.

La Justice: dans la Bible, elle déborde largement la vertu cardinale de justice, ou cette justice distributive et rétributive que réclament nos contemporains quand ils souhaitent « un monde où il y ait plus de justice ». L'homme est reconnu par Dieu pour ’juste' comme on le dirait d'un poids ’juste' (c'est-à-dire ’faisant bonne mesure' ou comme on dit aujourd'hui ’faisant le poids'). Être ’juste', c'est être conforme à ce que Dieu a mis en nous de possibilités, conforme au destin qu'il nous offre, en particulier par ses promesses. Et comme il est rare que l'homme corresponde entièrement à la grâce, Dieu fera au besoin l'appoint, en justifiant, en rendant ’juste’ ce qui était déficitaire, que ce soit par faiblesse ou par péché proprement dit.

Par conséquent, lorsqu'elle se dit de Dieu, la Justice n'est pas seulement dans une exacte rétribution: cf. la parabole des ouvriers de la onzième heure. Cette justice donne plus; elle comble nos manques. C'est une Justice divine, une Justice créatrice, une Justice justifiante. Comme le proclame non seulement le psalmiste mais l'Ancien comme le Nouveau Testament : « Il nous rend justes ! » C'est la merveille pour laquelle le Christ est mort et ressuscité (Ps 22,32).

Encore faut-il que l'homme s'ouvre par la confiance à cette grâce: dans cette foi même, il sera justifié. C'est ce qui est dit d'Abram, c'est ce modèle que saint Paul nous donne, renversant ainsi la prétention des pharisiens de son temps. Pour eux, les pratiques étaient premières, et procuraient par elles-mêmes cette justification qui permettrait d'avoir confiance devant Dieu, et certitude qu'il nous exauce (cf. la parabole du pharisien et du publicain). En réalité, ce qui est premier, c'est la religion, le lien, l'Alliance, où Dieu et l'homme se lient l'un à l'autre en se donnant leur foi, réciproquement. La morale n'est qu'une conséquence: ce n'est que plus tard, au ch. 17, que Dieu enseigne à Abraham la conduite qui découle de cette Alliance, comme une suite logique plutôt que comme un préalable: « Marche en ma présence, et sois parfait » conclut Dieu en un raccourci admirable, avant de donner le signe de la circoncision, qui marquera l'Alliance jusque dans la chair d'Abraham. De même au Sinaï, tout un code liturgique et moral découlera du renouvellement de l'Alliance. De même pour nous, la Nouvelle Alliance va de pair avec la loi évangélique du Sermon sur la Montagne (Mt 5-7 — Cf l'introduction au Lévitique*).

C'est capital, car si la pratique de la morale n'est pas cause mais seulement suite logique de l'Alliance, alors nos infidélités même ne la rompront s, et nous pourrons retrouver le Dieu de l'Alliance, le Dieu d'Abraham, le 3ère du Christ, notre Dieu et Père, dès que nous voudrons revenir à Lui.

Cet engagement de Dieu lui-même dans l'Alliance, irrévocablement, nous est garanti non seulement par sa Promesse, mais par cette sorte de redoublement de sa Parole que constitue le serment par lequel II a voulu lui-même se lier. À l'orée du N.T. Zacharie se réfère toujours à cette « Parole jurée qu'à notre père Abraham il jura de nous donner» (Lc 1,73); et l'Epître aux Hébreux tablera, elle aussi, sur cet engagement solennel (6,13-18 / Cp).

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Le sacrifice de l'alliance

Gn 15,7-21)


Gn 15,7-8 — Avec la promesse de la Descendance, la promesse de la Terre (cf. 12,2-7). Même difficulté d'Abram, même engagement de Dieu.

Rupert de Deutz: De Trinitate v', 22 (PL 167,384): « Comment saurai-je que je la posséderai? » Il n'a pas douté, comme un incrédule qui aurait une faible foi. Mais comme un bon père, il a prévu pour ses enfants à venir: S'ils venaient à pécher, Dieu ne se repentirait-il pas de sa promesse? C’est pourquoi il souhaita que la donation fût confirmée par serment. Et le Seigneur Dieu offrit aussitôt ce que l'ami fidèle souhaitait sans oser le demander: « Prends une génisse... »

Ce pacte fut un serment par lequel le Seigneur se lia comme l'homme le voulut; de telle sorte que Dieu pouvait être tenu en justice comme débiteur, si, le péché survenant, il voulait lever la main et faire quelque chose contre ce qu'il avait promis... Moïse se souvint de ce serment quand il dit: « Souviens-toi, Seigneur, d'Abraham. Isaac et Jacob à qui tu as juré... » Toutes les fois que nous avons dans l'Écriture un traité ou un pacte, ce n'est pas encore l'Alliance de la réconciliation des hommes: C'est la promesse ferme de l'Alliance future, c'est l'ébauche prophétique de l'unique Alliance par laquelle Dieu s'est réconcilié les hommes dans le Christ seul.

Gn 15,9-10 // Jr 34,18-20 — Réponse de Dieu à la question d'Abram (v. 8): « Moi, je m'y engage par contrat d'Alliance». L'initiative est donc bien de Dieu : « Va me chercher... » Car « c'est par le sacrifice que se scelle une alliance » (Ps 50,5 He 9,16-22, se référant à l'Alliance du Sinaï, Ex 24).

Le rite de ce sacrifice s'explique par la mention qu'en fait Jérémie(/): les animaux sont partagés en symbole (ou sacrement) du ’partage' des responsabilités entre les deux contractants de l'Alliance (Jr 34,18). S'ils ne tiennent pas « les paroles de l'Alliance », ils subiront le sort des victimes.

Gn 15,11Les vautours s'abattaient sur les cadavres, mais Abraham les chassa: De même Riçpa ne laisse pas les rapaces ni les fauves toucher aux cadavres des fils qu'elle avait eus de Saul (2S 21) — scène qui n'est pas sans rappeler Antigone. Or ils ont été immolés puis exposés comme victimes d'une sorte de sacrifice réparateur, que les Gabaonites ont exigé parce que Saul n'avait pas respecté l'alliance qui avait été jurée par serment entre Israël et eux (Jos 9). Alliance (à conclure ou à renouer), sacrifice, exposition des victimes, vautours chassés, le parallèle est frappant. Certes, circonstances et mobiles sont bien différents, et l'on ne doit pas retenir ce qu'il y a de trop humain dans la vengeance des Gabaonites. Mais tout cela, y compris la persévérance de Riçpa à éloigner des prédateurs « depuis la moisson des orges jusqu'à ce qu’il tombe sur les cadavres la pluie du ciel » (en signe d'absolution), tout cela fait image: nous ne saurions tenir pour moins grave, réel et durable (jusqu'à nous) l'engagement que prend Abraham par son sacrifice d'Alliance, et la fidélité avec laquelle doit être chassé tout ce qui mordrait sur son intégrité.

Gn 15,12 // Mc 14,33-34 Mc 14,40 Ce rapprochement aide à comprendre qu'il ne s'agit pas seulement d'une « torpeur » pour Abram (bj) ou de ne pouvoir s'empêcher de dormir, pour les Apôtres à Gethsémani comme à la Transfiguration (Lc 9,32), mais bien de cette défaillance surnaturelle qui saisit tout homme à la rencontre de la grandeur de Dieu, que « nul ne peut voir en cette vie sans mourir. »

D. Barsotti: Il Dio di Abramo (p. 218): L'Alliance avec Yahvé produit immédiatement l'angoisse: Dieu conclut avec l'homme un pacte de sang — s'unir à Dieu, voudra dire pour l'homme être réservé à la Passion. La mystique d'Abraham est déjà une mystique de la Croix.

L'enseignement de cette page est vraiment divin. Israël pourra ne pas comprendre, mais le Mysterium Crucis est déjà présent dans les premières pages de la Genèse, dans cette première ’conversion’ de l'homme vers le paradis perdu. L'angoisse qui oppresse le coeur d'Abraham a une origine toute surnaturelle, un caractère mystérieux. Abraham tombe dans un profond sommeil: À l'extase joyeuse d'Adam en Eden, correspond l'extase douloureuse de celui que Dieu a choisi pour être le nouveau père de ceux qu'il veut sauver en les reprenant à la terre de malédiction et les appelant à la Terre Promise. A cette extase d'Abraham — liée à un sacrifice — répondra l'extase infiniment plus mystérieuse de Jésus, qui meurt en sacrifice sur la croix. Et en cette extase, d'une angoisse infiniment plus grande que celle d'Abraham, l'Église naîtra de son côté percé.

« Comme le soleil se couchait, un profond sommeil tomba sur Abraham : Une angoisse, une obscurité profonde tombèrent sur lui »: La théophanie de l'Alliance contient les caractères communs à toutes les théophanies vétéro-testamentaires (Ex 3,2 Ex 19,18-20 1R 18,38) — mise à part l'apparition de Mambré qui est unique dans la Sainte Écriture. Dieu passe, et son passage est un passage de feu. Si toute théophanie répète ces caractères, c'est parce que toute l'histoire de la Révélation divine est ce passage. La création n'est que la matière du sacrifice que Dieu consume en passant au milieu.

Gn 15,13-15 — Prédiction qui est dans le même ton d'avertissement que celle du Christ annonçant aux Apôtres son Mystère pascal (Mt 16,21). Comme sa résurrection n'interviendrait pas sans qu'il soit passé par la passion et sa mort, ainsi la Terre promise ne serait donnée à Israël que par-delà l'exil prolongé en Egypte, suivi de l'Exode.

Gn 15,16 — Comme pour le Déluge (6,5-7), comme pour Sodome (18,20), comme plus tard pour les royaumes d'Israël et de Juda (2R 17,7-23 2R 24,20), il y a une relation entre inconduite généralisée et ruine, entre mal et malheur. Mais il ne faut pas trop raidir cette relation en conséquence simpliste et linéaire de cause à effet, surtout dans les cas particuliers (par exemple dans le cas de Job, ou celui de l'aveugle-né, Jn 9,2-3). Cf. Psautier Chrétien m, p. 72-73.

Gn 15,17-18 // Mc 15,33 — De même qu'au v. 12*, par delà le phénomène naturel du coucher de soleil, il s'agit de ’l'obscurité' ou des ’ténèbres' que Jean de la Croix analyse dans « La nuit obscure ». C'est dans l'apparente déréliction — « Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné? » — condition d'une foi totalement nue, que se réalise l'Alliance, l'union à Dieu et la plus immédiate présence de Dieu. Dans sa Transcendance absolue en effet, « Dieu est feu consumant » (Dt 4,24 Is 33,14 He 12,18-29). Et l'on comprend pourquoi toute Alliance avec lui implique le sacrifice d'holocauste (8,20-22*). Mais en contrepartie, Dieu s'engage (v. 18).

Cyrille d'alexandrie: Sur Gn m (pg 69,120): Les Chaldéens avaient coutume de prêter serment en passant au milieu d'animaux partagés. Comme Abraham avait quitté la Chaldée récemment, Dieu usa de la même coutume ... Une flamme de feu et une fournaise ardente passèrent au milieu des animaux divisés. Sous l'apparence du feu, comprenons que c'est Dieu qui passe, confirmant son serment. C'est pourquoi saint Paul a écrit: Dieu ne pouvant jurer par plus grand que Lui, jura par Lui-même (He 6,13-18 /Cp).

Gn 15,17-18 // Lc 1,68-73 Jn 8,56-57 — L'accomplissement définitif du sacrifice d'Alliance d'Abraham par le sacrifice rédempteur du Christ, fondant la Nouvelle et éternelle Alliance, se trouve prophétisé, au seuil de l'Evangile, par Zacharie (comme d'ailleurs par Marie, dans son ’Magnificat'). Relation si profonde, si directe, si essentielle qu'elle efface pour ainsi dire les 1700 ans qui séparent les deux événements, au point que Jésus ose parler d'Abraham comme de son contemporain. Les Pères insistent à maintes reprises sur la leçon que Jésus nous donne ainsi que, pour bien lire l'Histoire Sainte, la chronologie n'est que secondaire, tandis que l'important est dans rapport incessant entre les deux Testaments, où se joue notre Salut (Lc 1,69).



sara et agar

(Gn 16)

Gn 16,1-3 — L'initiative vient, comme il se doit, de Saraï, suivant une coutume autorisée par le droit en Mésopotamie (leur patrie d'origine). S'en autoriseront encore Rachel (30-1,6), puis Lia elle-même (30,9-13).

Mais on se souvient que, comme déjà pour Adam et Eve, ce qui est en cause n'est pas seulement d'ordre juridique (droit polygamique), ni même moral, mais religieux (cf. Gn 3,6* D. debuisson): « Le fruit de la Promesse ne devait-il pas être reçu comme un don gratuit de Dieu? Mais Abraham se laisse tenter: il écoute la voix de Sara, il va vers Agar. Au lieu de recevoir des mains de Dieu et à son Heure l'enfant promis, on prend ce fruit, on s'en empare. Il devient oeuvre propre, et aussi pomme de discorde... »

Gn 16,4-9 // Ga 4,22-27 Ga 5,1 Ga 5,13 1P 2,18-20 — Scène de famille si naturelle! Mais le Nouveau Testament en tire un double enseignement spirituel: 1) messianique, sur le rapport entre l'Ancienne et la Nouvelle Alliance: l'Alliance étant engagement mutuel d'amour dans la liberté (9,9-10*), meilleure est l'Alliance, plus réelle en sera la liberté (// Ga 4,22) mais aussi moral, car cette liberté d'esprit se joue dans la foi, donc dans l'obéissance, démasquant par là sa contrefaçon diabolique en révolte, prétention d'autonomie, égoïsme (// Ga 5 et 1P 2).

Rupert de Deutz: De Trinitate, v, 24, (PL 167,387): Suivant l'autorité de l'Apôtre, reconnaissons en Sara la loi de la foi par laquelle Abraham fut justifié (Rm 4), en Agar la loi des oeuvres, qui n'a rien conduit à la perfection (He 7). C'est comme si la femme libre, notre mère qui est d'en haut, disait: Le temps n'est pas encore venu, pour que les hommes reçoivent par le Christ l'esprit d'adoption des fils. En attendant, Israël reçoit l'esprit du service dans la crainte, pour faire au moins quelques oeuvres justes ... Jusqu'au jour où le monde entier trouvera la véritable justice, c'est-à-dire l'éternelle rédemption, par le sang du Christ.

Gn 16,7L'Ange de Yahvé: l'envoyé représente si bien celui qui l'envoie, qu'à travers l'Ange du Seigneur c'est la Parole de Dieu même que l'on accueille ou non. Ce qui sera vrai par excellence du Christ, Verbe de Dieu et Envoyé de Dieu (Jn 13,20), l'est déjà des cas où apparaît ce mystérieux’Ange de Yahvé'. Agar le reconnaît au v. 13: c'est Dieu même qui lui a parlé. De même Abraham aux ch. 18 et 22 :

hilaire: De Trinitate iv, 23-24 (PL 10,113-115): Sara s'émut. La maîtresse stérile envia la fécondité de la servante; et celle-ci s'enfuit. Voici ce que dit l'Écriture à ce sujet: « L'ange du Seigneur dit: Agar, retourne auprès de ta maîtresse, et humilie-toi sous sa main. Et l'ange du Seigneur lui dit : Je multiplierai immensément ta postérité; on ne pourra la compter, tant elle sera nombreuse »(Gn 16,9-10). Et plus loin: « Et elle appela le Seigneur qui parlait avec elle du nom de « Toi, Dieu qui m'as vue » (ib. 13). ’L'ange de Dieu' parle; mais ’l'ange de Dieu' a une double signification: Celui qui est là, et celui de qui il vient. Et il dit des choses qui n'appartiennent pas à son ministère; car il dit: « Je multiplierai immensément ta postérité, et on ne pourra la compter tant elle sera nombreuse ». Le pouvoir de multiplier les nations dépasse le ministère de l'ange. Mais qu'atteste donc l'Écriture, sur celui qui étant ’l'ange de Dieu’ dit des choses qui appartiennent à Dieu seul? « Et elle appela le Seigneur qui parlait avec elle du nom de « Toi, Dieu qui m'as vue ». D'abord il est ange de Dieu, ensuite le Seigneur; car « elle appela le Seigneur qui parlait avec elle »; enfin la troisième fois il est Dieu: « Toi, Dieu qui m'as vue ». Celui qui est appelé ’ange de Dieu’, celui-là même est Seigneur et Dieu. Or, suivant la prophétie, le Fils de Dieu est « l'ange du grand Conseil » (Is 9,6 suiv. lxx). Pour distinguer les Personnes, on l'a appelé « ange de Dieu », car celui qui est Dieu de Dieu est aussi l'envoyé de Dieu. Mais pour lui rendre l'honneur qui lui est dû, on le proclame encore Seigneur et Dieu.

Car celui qui est l'envoyé de Dieu est Dieu, né de Dieu. Mais on l'appelle ’Ange de Dieu' parce qu'il est l'Ange du grand conseil. Aussitôt après, l'Ecriture démontre qu'il est Dieu, afin que nous ne prenions pas Dieu pour un ange: L'ange du Seigneur a parlé à Agar — le même parle à Abraham, et il est Dieu. À l'un et à l'autre, c'est le même qui adresse la parole. Ismaël est béni, et Dieu promet de le multiplier en un peuple immense.

Gn 16,10-12 — La Promesse est à la fois différente de la Bénédiction d'Abraham, puisqu'elle annonce la destinée d'Ismaël comme opposée à celle d'Isaac et d'Israël, et pourtant c'est la même Promesse de descendance innombrable (v. 10), curieusement parallèle à l'annonce faite à Marie (v. 11 // Lc 1,30-31). Car Dieu n'a qu'une Promesse; elle sera seulement vécue autrement par Israël établi en Terre promise, et Ismaël père des arabes nomades et indépendants comme l'onagre. Dieu en est fier aussi comme de sa créature (Jb 39,5-8), même s'il n'admettra pas que, plus tard, Israël se conduise en onagre (Jr 2,23-24). En ces deux versets nous sont donc indiqués obscurément deux types de destinées différentes mais qui entrent toutes deux dans le dessein de Dieu. Saint Paul les a appliqués à la Synagogue et à l'Église, mais ils ne seraient pas moins à méditer pour définir les rapports entre christianisme et Islam dans le plan divin.

Gn 16,13-15El Roï = ‘un Dieu qui voit’ (cf. 4,4 *), comme Ishma-El =‘un Dieu qui entend'. Proximité de Dieu aux pires moments, lorsque l'humiliation ré-apprend à l'homme la vérité de sa condition de créature modelée par Dieu avec l'humus terrestre (2,7). C'est un point de plus où la destinée d'Agar recoupe celle de Marie (// Lc 1,48).


Bible chrétienne Pentat. 1312