Bible chrétienne Pentat. 1323

1323

DESTRUCTION DE SODOME, ET SALUT DE LOT

Gn 19)


 — AUGUSTIN: De Civ. Dei xvi, 30 (PL 41,509): Sous une pluie de feu venant du ciel, toute la région de cette ville impie fut réduite en cendres. Ce supplice des mauvais fut un exemple du futur jugement divin.

Rupert de Deutz: De Trinitate VI, / (PL 167,403): La promesse ou l'avènement du Christ Fils de Dieu annonce la miséricorde pour les élus, mais la vindicte pour les réprouvés. C'est pourquoi Celui dont l'Évangile devait révéler à la fois la grâce et la colère démontre d'avance l'une et l'autre en figure. Près de la tente des justes, il favorise la joie innocente, il rit presque avec ceux qui rient, multiplie la matière de leur joie, et confirme qu'il apporte la cause du rire éternel; puis se tournant vers Sodome il fait pleuvoir le feu de sa colère en image du feu éternel. Ainsi, Dieu fait entrevoir d'un côté la mansuétude de son Fils, de l'autre sa vérité et sa justice.

Le matin, à l'heure même où les anges prenaient Lot par la main pour le faire sortir de Sodome, Abraham se leva et se tint devant le Seigneur, à l'endroit même où il avait intercédé auprès du Seigneur, c'est-à-dire dans la même intention du coeur, continuant son ministère digne et efficace d'intercesseur. Et, alors que le Seigneur détruisait les villes de cette région, « il se souvint d'Abraham » et délivra Lot. En d'autres termes: C'est parce qu'Abraham persévéra dans sa prière devant le Seigneur que le Seigneur se souvint d'Abraham et délivra Lot.

bède LE vénérable: Hexaemeron iv (PL 91,175): D'une manière générale, l'incendie et la ruine de Sodome, dont Lot fut sauvé, fait allusion au supplice qui suivra le dernier jugement: Quand le nombre des élus étant complet à la fin des siècles, tous les impies seront abandonnés au feu. Le Seigneur l'a expliqué en disant: « Il en sera comme aux jours de Lot: Ils mangeaient et buvaient, achetaient et vendaient, plantaient et bâtissaient ; mais le jour où Lot sortit de Sodome une pluie de feu tomba du ciel et les perdit tous. Ainsi arrivera-t-il le jour de l’apocalypse du Fils de l'homme (Lc 17,28 // ). L'Apôtre Jude l'atteste lui aussi: Sodome et Gomorrhe et les cités voisines sont devenues un exemple en souffrant la peine du feu éternel (Jud 7 I Oo-Op). Le Seigneur nous enseigne : « Que celui qui est sur la terrasse, ayant ses affaires dans sa maison, ne descende pas les prendre ; que celui qui est aux champs ne revienne pas chez lui: Souvenez-vous de la femme de Lot. » (// 17,31).

Gn 19,1Les deux anges: Pour la première fois, ils sont expressément appelés des ‘anges’ (comparer avec 18,1 et 16 : les hommes), et cette fois ils ne sont que deux : Yahvé est resté avec Abraham ( 18,22). De même, l'Apocalypse et à sa suite la tradition chrétienne délèguent aux anges le soin de mettre fin à l'empire de « l'antique serpent » et de Babylone, sa Cité (Ap 18 et 20). Mais c'est le Christ qui mène « les armées du ciel » dans cette bataille (Ap 19), pour qu'enfin « Dieu soit tout en tous » (1Co 15,28). Dieu est le Dieu des anges et des saints. Le malheur et le châtiment du démon et des pécheurs qui ont refusé de faire pénitence, c'est justement de s'être exclus de cette Béatitude éternelle.

Gn 19,1-2, Lot les vit, se leva... se prosterna... Entrez vous laver les pieds... puis poursuivez votre route: En parallèle exact avec l'hospitalité d'Abraham, Gn 18,2-5

Gn 19,4-5Le péché de Sodome est donc d'abord nettement caractérisé. Il en a gardé le nom de ’sodomie'. S'il réclame de nos jours plus de compréhension pour les difficultés des homosexuels, et même s'il était prouvé que c'est une maladie, cela n'empêcherait pas que dans ’maladie' il y ait ’mal', et que la charité soit non d'abdiquer mais d'aider à lutter contre, comme le pape l'a fermement rappelé.

Chacun sait d'ailleurs que si la loi de Dieu interdit comme mortelles ces pratiques (Lv 20,13), les cités terrestres de l'Antiquité les admettaient largement, notamment chez les Grecs et les Romains de la décadence. Les progrès du christianisme en avaient réduit la contagion, comme la déchristianisation actuelle voit leur multiplication, suivant ce qu'annonçait saint Paul, précisément au début de sa Lettre aux Romains: l'oubli ou la 'négation de Dieu mène à la contre nature, que ce soit par homosexualité ( 1,24-27), violence, déloyauté ou manque de coeur (1,28-31).

Aussi le vrai péché de la cité mauvaise, tel que le définit Ézéchiel, est beaucoup plus général: « Voilà ce que fut la faute de Sodome: orgueilleuse, repue, tranquillement insouciante... mais la main du malheureux et du pauvre, elle ne la raffermissait pas » (Ez 16,49). Qui ne reconnaîtrait ici le tableau des civilisations décadentes, de par leur opulence même?

L'invective du prophète s'adresse d'ailleurs moins à Sodome, définitivement disparue, qu'à Jérusalem devenue « soeur de Sodome », et pire qu'elle (v. 44 et 48). Ainsi l'on est soi-même « de la vigne de Sodome » (Dt 32,32) dès que l'on pèche. Et plus on a reçu de Dieu, comme nous, chrétiens, plus est grave l'endurcissement (cf. // Mt 11,23-24, au début de ce chapitre).

Gn 19,12-15 // Lc 17,28-33 Mt 24,15-22 — La lecture de la fin de Sodome comme annonce des catastrophes annonçant la Parousie est donc expressément justifiée, recommandée par l'Évangile même. Mais vaut pour tous les temps, comme saint Pierre et saint Jude nous en avertissent à leur tour (// 2P 2,6-10, ou Jude 7 / Oo-Op).

Gn 19,16-17Comme il tardait : // Lc 17,31 Lc 17,

Ils prirent par la main... parce que Yahvé avait pitié de lui: toujours la sollicitude divine, qui avait soigneusement fermé la porte de l'arche sur Noé (7,16). De même plus tard, « par la main de Moïse et d'Aaron c'est encore Dieu qui conduisait son peuple... par la prudence de ses mains » (Ps 77,21 Ps 78,72). Au besoin, même, « Il a mandé à ses anges... : sur leurs paumes ils t'élèveront, pour que ton pied ne heurte la pierre » (Ps 91,11-12).

Ils le firent sortir... à l'extérieur... Sauve-toi: Renouvelle pour Lot l'ordre fait à Abramen 12,1 *, avec seulement une urgence accrue. Si le mal triomphe, il faut savoir « sortir hors de la cité, à la suite du Christ qui, lui aussi, pour sauver le monde, est sorti hors de Jérusalem, vers le Golgotha » (He 13,12-13). Pour sauver sa vie, au besoin il faut tout abandonner (// Lc 17,33). Surtout, ne pas pactiser avec la Bête (// Ap 14,9-11).

Ne regarde pas derrière toi: « Quiconque a mis la main à la charrue et regarde en arrière est impropre au Royaume de Dieu » (Lc 9,62).

Gn 19,18-22 — bède le vénérable: Hexaemeron iv (PL 91,177): «L'ange lui dit: Je t'accorde encore cela, et je ne détruirai pas la ville en faveur de laquelle tu as parlé (etc)». Ô tendresse de la divine bonté! Non seulement elle sauve le juste au milieu de la ruine des impies, mais à cause du salut de ce juste elle accorde à plusieurs pécheurs la vie qu'ils ne méritaient pas, afin de montrer en ceux qui périssent quel est le châtiment de l'impiété, et en ceux qui survivent combien l'intercession des justes a de poids devant Dieu. Çoar — Çai'r — ‘petite’.

Je ne puis agir, jusqu'à.. . : cf. Ap 7,3: « Ne sévissez pas.. .jusqu'à ce que nous ayons marqué au front les serviteurs de Dieu » (autre image, // cette fois à Ex 12,13). Ainsi tout l'Ancien Testament fait jeu de miroirs pour illustrer notre situation chrétienne, suspendue en « entre-deux » (Gn 12,6-9*), jusqu'à ce que les générations successives ayant été sauvées à travers l'ensevelissement et la résurrection du baptême, le Christ puisse l'emporter définitivement, et nous avec Lui !

Gn 19,26 // — La femme de Lot: Encore la condamnation du regard en arrière (v. 17*), parce que la foi se fie non à ce que l'homme peut voir et comprendre, mais aux indications de Dieu, qu'elle s'efforce àzsuivre*).

Gn 19,27 — chrysostome: Hom. 44 sur , Au lever du soleil, le patriarche ému de pitié pour les pécheurs et soucieux du sort du juste vint voir ce qui était arrivé, « et voici qu'une flamme montait de la terre comme d'une fournaise ». De ce lieu même où il avait parlé au Seigneur, il voyait les effets du cataclysme, et il voulait savoir quelque chose sur le juste, car c'est l'habitude des saints d'être émus de compassion.

« Le Seigneur se souvint d'Abraham, et arracha Lot à l'incendie ». — Mais, dira-t-on, pourquoi le juste a-t-il été sauvé à cause de la prière du patriarche, et non à cause de sa propre justice? — Oui! Il a été sauvé à cause de la prière du patriarche! Car quand nous faisons ce que nous pouvons, l'intercession des saints y ajoute un grand secours.

Gn 19,29 // Am 4,11-13 Am 5,6 — Ainsi le malheur de Sodome nous avertit de l'épreuve redoutable que c'est pour l'homme pécheur de ‘rencontrer son Dieu\ même à l'intérieur de l'Alliance (v. 12). Craignons la présomption, par exemple de s'approcher sans préparation à la communion eucharistique, pour ne pas « manger et boire sa propre condamnation » (1Co 11,29), mais en nous souvenant plus encore que « Dieu ne veut pas la mort du pécheur mais qu'il vive », et qu'à Sodome même — ou à Judas — Dieu aurait pardonné s'ils s'étaient repentis (// Mt 11,23-24), comme Ninive à la prédication de Jonas.

isaac et ismaël (Gn 21) — Le renvoi d'Agar et d'Ismaël recoupe en partie l'épisode relaté au ch. 16,1-4: jalousie de Sara, fuite d'Agar au désert, intervention de l'Ange et découverte du puits. Les variations de détail s'expliquent par les différences inévitables entre plusieurs témoignages rapportant un même événement, surtout lorsqu'il est si lointain. Mais le sens, convergent pour l'essentiel et s'appuyant sur des détails communs bien concrets, est la meilleure garantie du fonds historique auquel puisent ces traditions. Au surplus, considérées comme sacrées, nul n'aurait osé y changer même seulement quelques mots...

Gn 21,1Visita: cf. 18,21 *. Insiste sur le rôle personnel pris par Yahvé à cette naissance miraculeuse.

Comme IL l'avait promis ; si tardivement que cela nous semble, Dieu tient sa Promesse — et à ’son Heure', comme le Christ aussi aura son Heure (Jn 2,4 Jn 7,6 etc... — cf. plus généralement // Ga 4,4). C'est précisé à la fin de ce même v. 2: «Au temps que Dieu avait annoncé » (comparer avec 18,10.14).

Gn 21,6 — Augustin: De Civ. Deixvi, 21 (PL 41,510): Le nom d'Isaac signifie en hébreu « Rire ». En effet, son père avait ri, dans son étonnement et sa joie quand il lui fut promis ; sa mère avait ri, joyeuse mais n'osant y croire, quand il fut promis par les trois hommes — encore que l'Ange lui ait reproché ce rire, qui était un rire de joie mais non un rire de pleine foi (Gn 18,12-15). Dans la suite cependant, Sara fut confirmée dans sa foi par le même Ange, et montra bien que son rire n'était pas de raillerie mais d'exultation, quand elle dit: « Le Seigneur m'a fait rire de joie! Et tous ceux qui l’apprendront riront avec moi! »

Basile de séleucie : Oratio 7 (pg 85,104): Dieu donna à Abraham le fils qu'il désirait; Abraham le reçut, se réjouit. L'enfant vint au monde, il était matière à exercer la foi: Il ouvrait une vaste carrière à l'amour d'Abraham pour Dieu.

Rupert de Deutz: De Trinitate VI, 17 (PL 167,417): Sara enfanta un fils, salaire de la foi, joie de ses parents, ornement de sa maison, honneur de sa lignée, espoir de sa race. « Le Seigneur visita Sara comme il l'avait promis »: La visite de Dieu, c'est le don généreux de sa grâce.

Le Seigneur visita la femme libre qui est notre mère à tous, qui est d'en haut, quand le véritable Isaac qui est notre vraie joie, le Christ, le Fils de Dieu, naquit selon la chair. C'est pourquoi le cantique de Zacharie dit: « Le Seigneur a visité son peuple, et il a fait la rédemption ». Et l'Apôtre: « Toutes les promesses de Dieu sont « Oui » en Lui, et c'est par Lui que nous disons « Oui » à Dieu pour sa gloire » (2Co 1,20).

Sara l'enfanta au temps annoncé par Dieu. En effet, Jacob avait prédit: « Le sceptre ne sera pas enlevé de Juda jusqu'à ce que vienne Celui qui doit être envoyé, et Celui-là est l'attente des nations » (Gn 49). Il en fut ainsi, car Juda venait de perdre le sceptre, passé à Hérode l'étranger, quand le Christ naquit de la Vierge Marie.

D. Barsotti: Il Dio di Abramo (p. 240): La mystique d'Abraham est essentiellement liée à cette naissance miraculeuse qui, après le malheur d'Eve, est le premier retour de la joie dans le monde. Elle est le signe que le châtiment est comme passé. Il semble que la Genèse non seulement souligne le nom de l'enfant, pour souligner le passage de la douleur à la joie, mais insiste sur l'impossibilité de cette naissance pour attirer l'attention sur son caractère miraculeux. La Sainte Écriture nous parle de plusieurs naissances inespérées, mais jamais le miracle n'est aussi grand et multiple qu'ici (la bénédiction d'Abraham semblera passer à ses descendants : Rébecca est stérile, Rachel également...) La grandeur de l événement se mesure ici au caractère multiple du miracle.

En quelque manière la naissance d'Isaac — où Dieu intervient — répète la création de l'homme, et préfigure la naissance de Jésus.

La naissance d'Isaac est dans la Genèse le signe d'une libération de la concupiscence. Ici la concupiscence est exclue (cf. Gn Gn 18,12). Le fils n'est pas dû « au sang ni à la volonté de la chair » (Jn 1,13), mais à la volonté de Celui qui est tout-puissant.

La concupiscence de l'homme recèle le mal qui submerge le monde; mais dans la conception d'Isaac, la concupiscence est exclue: Cest pourquoi quand il naît, tout est rire. Abraham rit (17,17), Sara rit (18,12), tout le monde rit (21,6), et le fils donné par Dieu est lui-même « Rire ».... Isaac est le gage et la prophétie d'une postérité nombreuse comme les étoiles du ciel. La promesse de Dieu est déjà accomplie en figure: Toutes les nations seront bénies, parce qu'en ce fils qui naît d'Abraham elles sont toutes assumées. Toutes les nations ne seront qu un seul fils : Celui qui se dira « le Fils de l'homme ».

Gn 21,9-20 — Revient donc sur la diversité des vocations et bénédictions entre Ismaël et Israël, que ce soit en leurs descendances directes — arabes, hébreux — ou bien entre l'Ancienne et la Nouvelle Alliance dont ils sont la figure (Ga 4,22-27 / Bq).

// Ga 4,4-7 Ga 4,28-30 Ga 3,26-29 Jn 8,31-37 — On voit que la différence entre les deux descendances n'est pas une affaire de race, ni même d'Alliance, mais de l'accueil fait au Christ, Parole vivante de Dieu (Jn 8,37), si nous traduisons à dessein par: « n'a pas accès en vous » ce qui peut être aussi rendu par: « n'entre pas en vous », c'est pour mieux marquer que cela dépend de la liberté de chacun.

Cette volonté, cet engagement, se marque initialement par le baptême. C'est lui qui est désigné en Ga 3,26 par: « Vous qui avez été plongés dans le Christ, vous êtes entrés dans le Christ ». Notre traduction vise en effet à ce que ressorte l'intériorité de cette union au Christ, bien indiquée dans le grec par le ’m' et l'accusatif: « eis Xriston ».

/ Ga 4,28 — Le fils né selon la chair persécutait... : C'est donner un sens manifestement péjoratif à Gn 21,9. Le verbe jouer ne signifie pas toujours des jeux innocents. Il se retrouve en Gn 39,14, où Madame Putiphar en accuse Joseph. Cf. aussi, en Ex 32,6 (le veau d'or): « Ils se levèrent pour jouer... » Mais surtout, saint Paul réinterprète l’'en ce temps-là' en fonction du ‘maintenant encore'. De fait, il n'y a eu que trop de persécutions mutuelles entre les trois descendances d'Abraham, juive, chrétienne et musulmane, comme d'ailleurs en chacun de nous :

Origène: Hom 1 sur Gn (SC 7bis, p. 198-200): Comme l'enfant de la chair persécutait l'enfant de la promesse, ainsi en est-il aujourd'hui (Ga 4,29) Si nous cherchons en nous-même, nous trouvons que la chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair (Ga 5,17)... Si tu as en toi le fruit de l'Esprit de Dieu, qui est joie, charité, paix, patience, tu peux être Isaac, tu peux être fils de la promesse. Et alors on pourra l'appliquer cette sentence de l'Apôtre qui dit: « Vous, vous n'êtes pas dans la chair, vous êtes dans l'esprit... Héritiers de Dieu, cohéritiers du Christ » (Rm 8,9).

Le fils de l'esclave reçoit des dons, il n'est pas renvoyé les mains vides, il reçoit lui aussi une bénédiction — mais le fils de la femme libre reçoit la Promesse. L'un devient simplement un grand peuple, l'autre devient le peuple de l'adoption.

Dans la perspective de la Genèse, en effet, il ne s'agissait pas d'un rejet d'Ismaël. Seulement, la Promesse proprement dite n'était pas pour lui.

Origène: Hom. 10 sur Gn (SC 7bis, p. 254): «Isaac grandissait et se fortifiait », dit l'Écriture, ce qui signifie que la joie d'Abraham grandissait, car il avait les yeux fixés non sur les choses qui se voient mais sur celles qui ne se voient pas ... Veux-tu savoir ce qui faisait la joie d'Abraham? Ecoute le Seigneur disant aux Juifs: « Abraham votre père a désiré d'un grand désir voir mon jour: Il l'a vu, et s'est réjoui! » Isaac grandissait donc, parce que la vision d'Abraham, dans laquelle il contemplait « le jour du Christ », et l'espérance qu'il plaçait en Lui, le comblaient de joie.

C'est vrai que du Christ aussi, il est dit qu'« il grandissait, se développait et se remplissait de Sagesse... » (Lc 2,40,52).

D. barsotti : Il Dio di Abramo (p. 276): L'amour paternel est visible chez Abraham quand il doit se séparer d'Ismaël que Sara veut chasser: « Cette parole déplut beaucoup aux yeux d'Abraham à cause de son amour pour son fils », dit la Sainte Écriture. Dieu lui-même doit le réconforter, et l'amener à éloigner Agar et Ismaël, en promettant qu'il protégera le fils de l'esclave. C'est seulement après cette promesse qu'Abraham se lève de bon matin, prend le pain et l'outre...

Gn 21,10-21 — Dieu se soucie de tous. Même pour ceux qui ne sont pas de la Descendance du Fils de la Promesse (v. 12), le « Dominus vobiscum » n'est pas exclu (v. 20: Dieu fut avec lui, Ismaël)... Cf. Gn 26,3-5* et 28,10-12*.

Gn 21,17Entendit: c'est le sens du nom ’Isma-El' (16,13-15*). Un ange de Dieu: 16,7*. Ne crains pas: 15,1*.

Origène : Hom. 9 sur Gn (SC 7 bis, p. 208): Ce n'est pas la soif de l'eau, qui tourmente Ismaël, mais la soif du Verbe de Dieu (Am 8,11). L'Apôtre dit de ce mystère: « L'aveuglement a frappé en partie Israël jusqu'à ce que soit entrée la plénitude des gentils, et alors tout Israël sera sauvé ». Agar est donc aveuglée, jusqu'à ce que le voile de la lettre soit enlevé par l'Évangile, et qu'elle voie l'eau vive.

Rupert de Deutz: De Tntùtatt vi, 23 (PL 167,422): Un jour viendra où l'ange du Grand Conseil appellera la Synagogue: « Que fais-tu, Agar? » Elle se tournera vers lui, il lui ouvrira les yeux, enlèvera le voile posé sur son coeur: elle verra le puits des Saintes Écritures, le verra avec une vraie intelligence, et donnera à boire à ses fils.

le sacrifice d'abraham (ch. 22) — Comme, dans l'Évangile, la Transfiguration éclaire l'annonce de la Passion, qui l'encadre (Lc 9,28-36, entre 9,22-26 et 9,44-45), et dont il est même fait mention au coeur même de la gloire du Christ (9,31), ainsi après les mystères joyeux des ch. 18 et 21, Abraham doit lui aussi passer par l'épreuve du sacrifice d'Isaac, qui est d'abord le sien.

C'est la plus dure épreuve de la foi: elle transperce Abraham non seulement dans son amour paternel pour ’son Unique', mais dans sa foi en Dieu Lui-même, qui semblerait à première vue renier sa Promesse, en lui enlevant le gage tardif de réalisation que laissait espérer Isaac. On pense à la prophétie du vieillard Siméon à la mère de Jésus, qui dut passer par la même épreuve, en bien pire, au Golgotha: « Un glaive te transpercera l'âme » (Lc 2,35).

Toute la tradition chrétienne, à commencer par le N.T. (// He 11,17-19 Jc 2,20-23 / Cn) s'est donc plu à méditer ce chapitre, plus qu'aucun autre, en deux sens convergents: D'une part, on cherche davantage à lire ce qui pouvait se passer dans le coeur d'Abraham, c'est-à-dire l'épreuve de la foi (cf. par exemple chrysostome) — et il faut ici, d'un point de vue littéraire, souligner à quel point, dans son extrême pudeur, chaque mot porte comme un coup de couteau; mais plus fréquemment encore, on souligne le parallélisme étroit entre les deux sacrifices d'Isaac et du Christ, pour lire en ces chapitres « une parabole de l'amour de Dieu le Père pour le monde ». En somme, les deux sens complémentaires: tropologique (moral) et messianique (cf. Introd. générale), le passage de l'un à l'autre étant constant.

Plus qu'ailleurs, il suffira donc d'éclairer la lecture de la Genèse et des parallèles par celle des textes patristiques, avec un minimum de notations complémentaires:

Origène: Hom. 8 sur Gn (SC 7 bis, p. 216 et 222): Ce fut à propos d'Isaac que la foi en la résurrection se manifesta pour la première fois. Abraham savait qu'il figurait d'avance l'image de la vérité à venir, il savait que le Christ naîtrait de sa descendance pour être offert en victime et ressusciter le troisième jour, pour le salut du monde entier...

Isaac porte lui-même le bois de l'holocauste; c'est là une figure du Christ qui porta lui-même sa croix — bien que porter le bois de l'holocauste soit l'office du prêtre. Mais le Christ est à la fois la victime et le prêtre. « Et ils allaient tous deux ensemble» se rapporte au même mystère: Tandis qu'Abraham s'apprêtant à sacrifier porte le feu et le couteau, Isaac ne marche pas derrière lui mais avec lui, montrant qu'il remplit lui aussi la fonction sacerdotale...

Pourquoi déclarer qu'Abraham craint Dieu? — Parce qu'il n'a pas épargné son propre fils. Et l'Apôtre écrit à son tour: « Dieu n'a pas épargné son propre Fils, mais il l'a livré pour nous tous ». Voyez avec quelle magnifique générosité Dieu rivalise avec les hommes !

Rupert de Deutz: De Trinitate VI, 30 et 32 (PL 167,428-430): Dans la surabondance de sa miséricorde, Dieu s'était proposé de conduire à bien, par le Christ, le jugement du genre humain prononcé contre Adam. Mais faire miséricorde sans jugement ni justice ne convenait pas à la Majesté divine; Dieu chercha donc une prestation après laquelle lui-même pourrait être tenu à juste titre comme débiteur. Il chercha, dis-je, un homme qui lui offrirait son fils unique, afin que lui-même fût tenu de donner à l'homme son Fils...

Il est admirable qu'aujourd'hui encore, et sans cesse dans la Sainte Église Catholique, le même Fils de Dieu est offert à son Père et cependant demeure immortel et impassible. On peut comparer à ce sacrifice de la messe celui du saint patriarche. ... Le Christ est immolé, et cependant il demeure impassible et vivant, de même qu'Isaac fut immolé, mais que le glaive ne l'atteignit pas.

cyrille d'alexandrie: Sur Gn m (pg 69,146): Abraham était dans de telles dispositions, et son esprit était si prêt, qu'il ne tint pas compte de son amour pour son fils et n'hésita pas à le sacrifier. Et ce qu'il y a de plus admirable, c'est qu'il ne cessa pas d'espérer qu'en ce même fils il deviendrait le père d'une multitude de nations; car il savait que Dieu ne peut mentir. Il conduisit donc son fils au sacrifice, ne doutant pas de la vérité des promesses, s'en remettant à Dieu de la manière dont celui-ci tiendrait son serment. Une épreuve si dure ne resta pas sans fruit, car il y apprit ce qui arriverait dans le futur: L'extraordinaire miracle de la résurrection, qui dépasse toute raison humaine, et le grand et vénérable mystère de l'Incarnation du Fils Unique. Saint Paul écrit: « Par la foi, Abraham offrit Isaac son Fils unique, en qui il avait reçu les promesses : il crut que Dieu est assez puissant pour relever même d'entre les morts; c'est pourquoi Dieu lui rendit lsaac, en fait, et à titre de parabole ». Parce que Dieu le Père, en effet, avait l'intention de démontrer, le temps venu, qu'Abraham était la souche et le principe de nations innombrables moyennant la mort de l'Emmanuel, le patriarche apprit l'immense et ineffable amour de Dieu le Père, qui pour nous n'a pas épargné son propre Fils.

Car s'il est permis de parler humainement, je dirai que l'ordre de sacrifier son fils fut terrible pour Abraham ... Le miracle de ce juste est grand, et sa piété au-dessus de toute louange: il offrit le « sacrifice spirituel », il dépassa les lois de la nature et plaça l'amour de Dieu avant toutes les choses terrestres. C'est pourquoi il fut glorifié et appelé « ami de Dieu » ; et enfin, ce qu'il avait «espéré contre toute espérance » se réalisa: car il devint le père d'innombrables nations dans le Christ, par qui et avec qui gloire soit à Dieu le Père ainsi qu'au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles.

ambroise: De Caïn et Abel, 8 (PL 14,33 \): Abraham n'attendit pas, si ce n'est le temps d'écouter l'oracle de Dieu et d'assumer toute l'obéissance. Accompagné de deux vertus, la foi et l'espérance, il conduisit la victime, certain de la puissance de Dieu et sûr de sa bonté.

Il avait reçu tardivement son fils bien-aimé, il l'offrit sans tarder. L'enfant l'appela: « Père! », il répondit: « Mon fils! », et la tendresse de ces noms ne le détourna pas de sa résolution; car ces mots sont le gage de chères affections, mais plus chers encore sont les préceptes de Dieu. Les coeurs souffraient,mais la volonté persévérait...

Le père offrit son fils; mais Dieu veut le mouvement du coeur, et non le sang: il désigna dans un buisson un agneau qui serait échangé contre l'homme: ainsi le Seigneur rendait le fils à son père; mais la victime ne manquerait pas au prêtre. Abraham en eut la vision prophétique.

Augustin: Sur le psaume 30 (pl 36,214-215): Par la foi, Abraham reçut dans sa vieillesse le fils qui lui avait été promis: Isaac, né de Sara l'épouse stérile (Gn 21,2). Il reçut l'ordre d'immoler ce même fils: il n'hésita pas, ne discuta pas, ne supposa pas que le Souverainement Bon pût commander un mal. Il pensa: Dieu qui a donné un fils à des vieillards peut le ramener d'entre les morts. Il conduisit son fils à l'immolation, plaça sur son épaule le bois du sacrifice, parvint au lieu indiqué, leva la main pour frapper — et sur l'ordre de Dieu, laissa tomber ce bras qu'il avait levé également sur son ordre. Il obéissait en frappant, il obéit en épargnant. Toujours obéissant, jamais pusillanime. Cependant, pour que le sacrifice fût accompli et que le patriarche ne se retirât pas sans effusion de sang, un bélier se trouva pris par les cornes dans les épines: il fut immolé, et ainsi le sacrifice fut achevé. Tout ceci est figure du Christ, figure enveloppée de mystère... Isaac, fils unique et bien-aimé, est figure du Christ; il porte lui-même le bois du supplice, comme le Christ porta sa croix (Jn 19,17). Le bélier représente encore le Christ, car être pris aux cornes, c'est être crucifié. Après cela, il fallait préfigurer l'Église: car on ne peut annoncer le Chef sans le Corps. Dieu, l'Esprit de Dieu, annonça donc à Abraham: « Parce que tu as écouté ma voix, et qu'à cause de moi tu n'as pas épargné ton fils bien-aimé, je te comblerai de bénédictions, et je multiplierai ta descendance comme les étoiles du ciel et comme le sable de la mer; et toutes les nations de la terre seront bénies dans ta descendance » (Gn 22,16).

Grégoire de nysse : De Deitate Filii et Spiritus Sancti (SC 46,572): Lequel admirer le plus? Le père, qui par amour pour Dieu porte la main sur son fils, ou le fils qui obéit à son père jusqu'à la mort? Ils rivalisent: le père s'élève au-dessus de la nature; le fils juge que résister à son père serait plus atroce que la mort.

pierre chrysologue: Sermo 1" (PL 52,216): Abraham s'immolait lui-même dans son fils, sacrifiait son intelligence, réjouissait sa foi, de sorte qu'il était lui-même victime et pontife, prêtre et sacrifice. Là où le fils était immolé, la passion du père était totale. De la passion du père, le fils remportait la palme du martyre, de la lutte de son père la couronne. Enfin la droite du père fut arrêtée, le glaive du père fut détourné, car Dieu ne cherchait pas la mort du fils mais éprouvait la charité du père: il n'attendait pas le sang du fils, alors que toute la victime consistait dans l'amour du père.

chrysostome: Hom. 47 sur Gn (pg 54,428-432): Toute la promesse de Dieu tendait à ce qu'un grand peuple naisse d'Isaac. Abraham vivait de cette espérance. Après tant d'épreuves et de tristesses, il la vit enfin réalisée, et désormais il jouissait de cette assurance, ayant sous les yeux son héritier et recevant de cet enfant d'immenses consolations. Mais Celui qui connaît les secrets des coeurs voulut nous révéler la vertu de ce juste, et le grand amour qu'il portait à son Seigneur ... Isaac était dans la fleur de l'adolescence; l'amour paternel ne faisait que croître. C'est alors que Dieu éprouva Abraham. Il l'appela: «Abraham ! Abraham! » Pourquoi deux fois? Pour annoncer quelque chose de grand. Abraham répondit: « Me voici ». Et Dieu dit: « Prends ton fils, ton unique, Isaac, que tu aimes, et va dans le haut pays, et offre-le en holocauste sur la montagne que je te montrerai ». Vois combien chaque mot allume un plus grand feu, et excite plus véhémentement la fournaise de l'amour que ce juste avait pour son fils. Un seul de ces mots suffisait pour blesser son âme! Dieu ne dit pas simplement « Isaac », mais il ajoute « ton fils » — que tu as reçu dans ta vieillesse contre toute espérance — ton fils « unique », si longtemps désiré, que tu aimes sans mesure, que tu attends comme successeur, par qui j'ai promis de multiplier ta race au point qu'elle soit nombreuse comme les étoiles du ciel et comme le sable de la mer. Celui-là, oui, prends-le, et offre-le en holocauste sur la montagne que je te dirai. On se demande comment Abraham a pu supporter d'entendre cela. Devant cet ordre stupéfiant, il ne raisonne pas. Il n'objecte pas: Comment alors s'accompliront les promesses? Suivant la raison de l'homme, c'est une chose impossible: mais si Dieu le veut, tout est possible.

Comme un serviteur qui doit tout à son maître, il tourna le dos à tout motif humain, ne voyant qu'une chose: réaliser par l'acte l'ordre reçu. Et comme s'il était devenu étranger à la nature humaine, soumettant toutes ses affections au commandement divin, Il se hâta d'obéir.

¦ . . Abraham arriva le troisième jour au lieu que le Seigneur lui désigna. Vois! Le Seigneur bon et clément a éprouvé la vertu du juste pendant tout ce voyage: pense à ce qu'ont dû être pour lui ces trois journées, quand il ne pouvait détacher son esprit de l'holocauste qu'il allait offrir, mais ne communiquait ses pensées à personne. Le sens religieux de ce juste, et en même temps la sagesse dont il fait preuve, ont quelque chose qui coupe le souffle. Son agonie fut solitaire.

Il dit aux serviteurs: «Attendez ici. Moi et l'enfant nous irons jusque là-bas, et après avoir adoré nous reviendrons vers vous ». Sachant que son sacrifice était nouveau et inouï, il le cachait aux serviteurs. Il ignorait que ses paroles se réaliseraient en vérité; et il prophétisa, mais sans le savoir. Abraham posa le bois sur l'épaule de son fils; il prit le feu et le glaive; et ils allaient tous deux ensemble. Quel regard jetait-il sur l'enfant, chargé du bois de son immolation ! Comment lui-même put-il porter le feu et le glaive? Un autre feu, intérieur celui-là, enflammait son esprit, consumait ses réactions humaines, le persuadait que Celui qui lui avait donné un fils dans des conditions dépassant la nature pouvait maintenant encore agir d'une manière qui dépasserait la nature. Isaac lui dit: « Père! », et ce nom de père dut être lancinant pour Abraham. Il répondit: « Qu'ya-t-il, mon fils? » (Tu m'appelles «père », alors que bientôt je n'aurai plus d'enfant!) — Tu portes le feu et moi le bois, mais où est la victime, la brebis pour l'holocauste? » Considère ce père crucifié! Comment put-il répondre? Mais vois quelle âme forte, quel esprit souverain: «Dieu pourvoira lui-même à la brebis, mon fils ». Cette fois encore, Abraham prophétise sans le savoir. Le fils fut apaisé, mais la douleur s'enfonça dans le coeur du père : il regardait la grâce de l'enfant : unfils unique et si aimable! — pensait à sa beauté intérieure, à son obéissance ... Et ils arrivèrent au lieu indiqué, et Abraham étendit la main.

Que faut-il admirer le plus? La force d'âme du patriarche, ou l'obéissance de l'enfant? Il se coucha sur l'autel, comme un agneau, attendant le coup. Vraiment, l'âme paternelle consomma le sacrifice, et n'en omit rien. Mais Dieu ne voulait pas la mort de l'enfant. Il accepta ce sacrifice « consommé dans l'esprit », couronna la volonté du juste, et fit connaître sa bénignité: « Abraham, Abraham ! » Là encore, il fallait le dire deux fois, pour arrêter le bras du père: Je ne veux pas que tu immoles ton fils, mais je veux que ton obéissance soit connue de tous. Ce que tu as fait sera un enseignement, à jamais. Maintenant reçois ton fils, racheté par ton obéissance; et vont s'accomplir tes paroles «Après avoir adoré, nous reviendrons », et «Dieu pourvoira à la victime ». J'ai vu ton âme religieuse, et j'ai préparé ce que tu avais annoncé à l'enfant — et Abraham vit un bélier pris par les cornes dans les épines; il l'offrit en holocauste à la place de son fils. Le sacrifice fut donc accompli, et Abraham revint chargé d'innombrables couronnes.

Or, tout cela était figure de la croix. Aussi le Christ dit-il aux Juifs: «Abraham votre père a exulté en pensant qu'il verrait mon jour: il l'a vu, et il a été comblé de joie » (Jn 8,56). Comment l'a-t-il vu, si longtemps d'avance? En figure, en ombre. Car, de même qu'un bélier fut immolé pour Isaac, ainsi l'Agneau spirituel fut immolé pour le monde. Il fallait que la vérité fût d'avance écrite et signifiée par l'ombre. Vois donc: de part et d'autre, unfils unique; de part et d'autre, un bien-aimé; car: « Voici mon Fils bien-aimé en qui je me complais » (Mt 3,17). L'un est offert en holocauste par son père, l'autre est livré par son Père: « Il n'a pas épargné son propre Fils, il l'a livré pour nous tous » (Rm 8,32).

Et Abraham appela ce lieu: « Le Seigneur a vu », voulant par cette appellation dresser pour ainsi dire en ce lieu un mémorial de la visite du Seigneur.

D. Barsotti : Il Dio di Abramo (p. 244 ss): L'histoire d'Abraham répète toujours le même motif: le retour de l'homme en Éden. Chaque événement de sa vie peut être pris isolément, il a le même sens et la même valeur que toute l'histoire.

Le retour en Éden est le retour à la joie. C'est ce que souligne la naissance d'Isaac, qui est « Rire ». Mais le retour en Éden est aussi un passage de ce monde profane au monde de Dieu — et ce passage exige une mort. La vocation d'Abraham comporte un sacrifice, une épreuve, spécialement dans le sacrifice d'Isaac ... Les paroles étonnantes de l'Épître aux Hébreux nous disent que la vie des élus de Dieu est une vie à travers la mort: « Abraham mis à l'épreuve offrit Isaac son fils unique ... Il estimait que Dieu est assez puissant pour ressusciter même les morts. Aussi le recouvra-t-il, comme en figure» (He 11,17-19).

Le thème de l'épreuve est le thème central de toute la Révélation divine, le noeud qui détermine tout le processus ... l'épreuve accompagne la vocation divine. Dieu met à l'épreuve celui qu'il appelle: celui qui surmonte l'épreuve est élu. Adam ne la surmonta pas ... Abraham la surmonta ... Jésus la surmontera et ramènera toute la création dans le sein de Dieu.

Dans le sacrifice d'Isaac, la vie religieuse d'Abraham a sa plus haute expression. Il semble que toute l'histoire d'Abraham, telle qu'elle est relatée dans la Genèse, ne soit qu'une préparation à ce sacrifice.

L'auteur de l'Épître aux Hébreux a compris la valeur de ce récit — alors que certains critiques, qui veulent être doctes, font preuve de naïveté. Parla foi, Abraham mis à l'épreuve offrit Isaac son fils unique. Celui qui avait reçu les promesses et à qui il avait été dit: «C'est d'Isaac que naîtra ta postérité », estima que Dieu peut ressusciter même les morts. En toute vérité, Abraham n'a pas refusé son fils unique: l'holocauste a été accompli.

Il faut reconnaître la valeur de l'exégèse de Kierkegaard: la vie chrétienne est infiniment plus que l'obéissance à une morale: la vie chrétienne est la réponse de l'homme à l'appel personnel de Dieu.

Le renoncement, le sacrifice de tout ce qui est nôtre, n'est pas inspiré par le mépris de ce que l'on possède, mais plutôt par le grand prix de ce qui va être sacrifié. Abraham offre son fils parce qu'il l'aime... C'est proprement dans le sacrifice que les biens humains acquièrent une valeur dans l'ordre de la grâce où Dieu élève l'homme. La sainteté d'Abraham est une sainteté chrétienne: la sainteté de la Croix. Une sainteté qui se mesure à la grandeur du sacrifice, à la plénitude du don.

... Quand l'homme aura répondu, sans aucune question, sans aucune réserve, à la volonté de Dieu qui semble commander la mort, il s'apercevra que dans l'obéissance il y a au contraire la vie. Abraham recouvrera Isaac, mais le recouvrera « comme de la mort », ainsi que le dit l'auteur de l'Épître aux Hébreux. Et non seulement de la mort d'Isaac, mais de sa mort à lui: mort de son intelligence, mort de son coeur, qui n'auront opposé aucune objection. Dans le sacrifice d'Isaac, Abraham n'immole pas son fils, il s'immole lui-même.

Que l'humilité du récit ne nous trompe pas: elle ne peut nous cacher le drame de l'âme d'Abraham. En ce cas plus qu'en tout autre, Abraham est le type de ’l'homme' dans sa vie religieuse: « Me voici ». À Dieu qui l'appelle, l'homme ne peut donner une autre réponse. On ne considère pas « Qu'est-ce que Dieu demande? », mais « Qui est-ce, qui demande? ».

L'obéissance n'aurait pas été une épreuve, si Abraham n'était resté un homme capable de souffrir. La Genèse nous fait connaître son âme avec ses dons naturels exquis, d'hospitalité, de générosité, de fine courtoisie, d'amour de la paix, de profonde affection pour ses fils. La fidélité d'Abraham en cette épreuve suprême lui coûte la mort. Le martyre de son coeur se laisse voir dans la délicate pudeur du père qui veut être seul, et dit à ses serviteurs: « Restez ici ».

Pour être une espérance divine, l'espérance d'Abraham ne devait s'appuyer sur rien. Au terme de son voyage il était seul, seul devant Dieu. Le prix était cette pureté absolue d'une foi qui vaincrait finalement le silence de Dieu. Dieu lui demandait maintenant son fils. Il ne lui restait que Dieu. Cette solitude surhumaine est déjà la présence de Dieu sur la terre.

Gn 22,1À l'épreuve (cf. D. Barsotti). De fait, Dieu apparaît souvent comme Celui qui met le croyant à l'épreuve (Ex 16,4 Ex 20,20 Dt 8,2 Jb 7,18 Ps 81,8 Pr 17,3 Jr 17,10 et Jr 20,12 Jn 6,6).

Au premier abord, cette épreuve choque violemment notre sensibilité. Pourtant, c'est la vérité: non seulement Dieu, s'il est Dieu, a tous les droits — à commencer par celui de nous faire être et de nous donner avec la vie le principe de tout bien — mais Dieu est en Lui-même totalité parfaite et indivisible. Avec Lui, ce ne peut être que le tout ou rien.

Dieu demande tout. Pas seulement à notre père Abraham: « Qui aime son fils ou sa fille plus que moi, n'est pas digne de Moi » (// Mt 10,37). Mais Jésus ajoute aussitôt (v. 38): « Quiconque ne prend pas sa croix et ne suit pas derrière Moi n'est pas digne de Moi ».

Car ce qu'il nous demande, c'est de suivre la voie où II s'engage le premier. C'est ce qu'il y a de bouleversant à lire ce chapitre 22 de la Genèse: quand II paraît demander le sacrifice d'Isaac, Dieu sait qu'en réalité, le Père qui doit livrer son propre Fils à la mort, c'est Lui ! — et sans échappatoire, cette fois, comme il aura la tendresse de l'accepter dans le cas d'Abraham (ou le nôtre).

Gn 22,2 — Cette arrière-pensée (éternelle) de Dieu est sensible dans la façon même dont il renchérit pour désigner la victime: « Ton fils, ton unique, que tu aimes »... Celui qui se profile, déjà, c'est l'Unique, Unigenitus, qu'il désignera aux moments les plus solennels de la vie du Christ (Baptême et Transfiguration) comme celui en qui II se complaît au point qu'entre Père et Fils, l'unité est totale — donc totale aussi la déchirure et le’sacrifice', quand

Père et Fils auront à se sacrifier, à se donner pour sauver l'homme, leur créature.

Totalitaire', ce Dieu-là? — Oui, mais totalement par le don de soi-même! Et si le drame d'Abraham nous émeut, aux yeux de la foi il rappelle surtout la noblesse primordiale de l'homme, qui est d'être « à l'image et à la ressemblance de Dieu », si bien que dans l'image du déchirement d'Abraham, c'est l'absolu du don que Dieu nous fait dans son Fils qui devrait nous devenir sensible. Nous assistons si souvent à la messe, insensibles, sans comprendre que notre pauvre ébauche d"offertoire' s'y mue en ’sacrifice de Dieu’, auquel nous sommes surtout invités à communier, pour’ 'suivre derrière Lui’, et nous donner à notre tour, pour sauver nos frères...

Au pays de Moriyya: Même si l'assimilation avec l'aire du Temple, à Jérusalem, est tardive (2 Ch 2Ch 3,1), elle témoigne déjà du même souci de rapprocher, jusque dans le lieu, la rencontre avec Dieu dans le sacrifice. Tout comme plus tard on assimilera le Golgotha — comme son nom même y portait — au lieu de sépulture du Premier Homme, pour mieux ’rapprocher' ainsi les 2 Adam, le sacrifice du second venant sauver le premier de la mort, conséquence de sa faute.

En outre, on a pu jouer sur le sens (supposé) du nom de Moryya:

Rupert de Deutz: De Trinitate VI, 27, (PL 167,427): « Va sur la terre de la Vision »: là où nous avons « la terre de la vision », l'hébreu porte « Moriyya » ... Abraham appela ce lieu «le Seigneur voit ». Et l'on comprend facilement pourquoi Abraham, débordant de joie et d'action de grâces, appela ce lieu de sa joie « le Mont de la Vision », car il put confesser en toute vérité que le Seigneur l'avait vu.

Offre ton fils en holocauste: coutume païenne, à laquelle céderont parfois les hébreux (2R 16,3, etc...). Le refus de ces monstruosités par Dieu est clair tout au long de l’A.T.(Lv 18,21 Jr 7,31 — cf. // Mi 6,7). L'ordre donné ici ne saurait donc paraître barbare qu'à une lecture superficielle. Nous en avons été prévenus dès le 1° verset: il s'agit seulement d'une’épreuve'; ce qui sera confirmé aux v. 12-13 par la substitution du bouc à Isaac. Dieu ne sacrifiera effectivement que son propre Fils — pour nous! (// Jn 3,16).

Gn 22,3-8 — Abraham ne discute pas, si insensé que paraisse l'ordre de Dieu: il obéit aussitôt. Sa seule réponse est: «Me voici », comme la Vierge Marie (cf. y. fauquet, à 2,18-23*), et pour bien le marquer, la Genèse le lui fait répéter par trois fois(v. 1,7-11). Il ne cherche pas une solution à l'inadmissible: « Dieu saura voir ou pourvoir », répond-il à Isaac (v. 8). C'est ce qui est à ses yeux l'essentiel, puisque tel est le sens du nom dont il appelle la montagne du sacrifice (v. 14). Telle est bien l'attitude que nous demande le Christ: « Ne vous inquiétez pas... Votre père céleste sait... À chaque jour suffit sa peine » (Mt 6,25-34). L'omniscience et même l'omnipotence divines se révèlent au croyant la seule garantie qui soit absolue, car Dieu nous est parfaitement et immuablement bienveillant.

/ Mt 26; Lc 22; Jn 19 — Le parallélisme joue jusque dans le détail (porter le bois du sacrifice), mais surtout dans le rapport pathétique de la Victime et de son Père.

/ Jn 1,29; Is 53 — Même innocence, même soumission muette de l'agneau, en Isaac et en Jésus, pour nous, « brebis perdues » (Ps 119,176 Lc 15,1-7).

Mi 6,8 — Aimer la Miséricorde : c'est la ‘hésèd’, c'est-à-dire la fidélité de Dieu à son Alliance, qui surmontera même nos pires infidélités, par sa Miséricorde. « Bienheureux qui aime la miséricorde»: non seulement «il obtiendra miséricorde » (Mt 5,7), mais il en sera, comme Abraham, assimilé au’ 'Père de toute miséricorde'.

Michée poursuit en effet: « et de marcher humblement avec ton Dieu ». C'était déjà le programme de 17,1*. Nous rappelions alors que c'est le fondement même de l'humilité. Ici, la Genèse ajoute que si ’marcher avec son Dieu' est l'humilité même, c'est que pour accompagner Dieu ainsi, l'homme doit donc participer à ’l'humilité de Dieu' (au sens où Il nous sauve par l'humiliation, la ’kénôse' de son Fils: Ph 2,6 / Gd). C'est bien l'expérience que fait Abraham, cheminant à côté d'Isaac, vers la mort du sacrifice (Gn 22,8).

Gn 22,9-12 // He 11,17-19C'est pourquoi il recouvra son fils: On paraphraserait à peine en traduisant: « Il le reçut comme d'entre les morts ». La conjonction grecque ‘othen', généralement traduite par ’c'est pourquoi', l'admettrait en son sens premier, localisant, et qui référerait en ce cas normalement à ce qui précède: « assez puissant pour ressusciter même les morts » — « d'où Abraham aurait donc ainsi reçu son fils ». La ’parabole' dont il est question n'en serait que plus claire, pour nous faire voir en Isaac la figure du « premier né entre les morts » (Col 1,18).

Gn 22,15-18Une seconde fois: réfère évidemment au 1er appel de l'Ange, celui du v. 11. Origène cependant cherche ce qu'il y a de plus dans cette nouvelle Promesse que dans celles qui l'ont précédée, voire même que la toute première bénédiction reçue par Adam dès sa création (1,28):

Origène: Hom 9 sur Gn (SC 7bis, p. 238): Si Abraham avait été seulement le père du peuple qu'il engendra dans la chair, il aurait suffi d'une seule promesse. Mais pour montrer qu'il devait être d'abord le père des circoncis de chair, il reçoit au temps de sa propre circoncision une promesse concernant le peuple de la circoncision ; puis, comme il devait être aussi le père de ceux qui « appartiennent à la foi » et obtiennent l'héritage par la Passion du Christ, il reçoit, au temps de la passion d'Isaac, une promesse concernant le peuple sauvé par la Passion et la Résurrection du Christ...

(\b\â.p. 246): « Je multiplierai ta descendance ...» Cette vérité avait été préfigurée au commencement du monde, quand Dieu avait dit à Adam: « Croissez et multipliez-vous »,car c'est de cela que ï Apôtre affirme: « Ce fut dit par rapport au Christ et à l'Église » (Ep 5,32).



Bible chrétienne Pentat. 1323