Bible chrétienne Evang. - § 311. Jésus, lumière, parole, vie éternelle : Jn 12,44-50


2. LA DERNIÈRE CÈNE [§ 312>312]-334).


§ 312. Le complot des chefs des juifs contre Jésus : Mt 26,1-5; Mc 14,1-2; Lc 22,1 -2


(Mt 26,1-5 Mc 14,1-2 Lc 22,1-2)

— Nous sommes à la charnière : Quand il eut achevé tous ces discours renvoie en effet, par-delà le discours eschatologique (Mt 24-25) et même les dernières controverses (Mt 22-23), à toutes ces « paroles » (< Logous >) que Mt a regroupées en < discours >, à commencer par le Sermon sur la montagne; tandis que « dans deux jours ce sera la Pâque » (commun à Mt-Mc-Lc) ouvre la double section de la Cène et de la Passion-Résurrection, en la plaçant, d'emblée, sous le signe de Pâques.

// Ex 12,1-13 — Instituant la première Pâque, pour libérer son peuple de l'esclavage en Egypte, Yahvé en détermine les rites et la réalité: l'agneau, son immolation, sa manducation, l'exposition de son sang, sur les montants de la porte; toutes figures dont le Père sait qu'elles annoncent le sacrifice du Christ, à la fois rituellement célébré lors de la Cène, et « accompli »* sur la croix (rapport entre croix et porte: Romanos le Mélodeau § 353 .

les Azymes (Mc-Lc): // Ex 12,8 Ex 12,14-17 et 1Co 5,6-8, en // au § 315 . Sur le symbolisme, cf. BC I*, p. 225-26.

Le Fils de l'homme sera livré pour être crucifié (Mt) : À la triple prédiction antécédente § 166 , 172, 253), Mt ajoute celle-ci, présentée cette fois comme imminente. Livré*, fait allusion à la trahison de Judas § 314 . Jésus a parfaitement conscience* de la situation. Non seulement Il la sait, mais Il la détermine, car c'est bien Lui qui mène le jeu. L'Évangile nous le suggère, doublement. D'une part, le « alors » du v. 3 de Mt doit s'entendre mieux encore que d'une suite seulement chronologique, d'une conséquence théologique : suivant le Dessein salvifique éternel de Dieu, les événements se mettent en place — complot du Sanhédrin, trahison de Judas (avec même « alors » en 26,14 qu'en 26,3). D'autre part, contre les projets des hommes, c'est à la date significative choisie par Dieu que se déroulera la Passion (Mt 26,5* in fine).

Mt 26,3-5 ; Mc 14, lb-2 ; Lc 22,2) — Il est vrai que cette décision de faire mourir le Christ ne date pas seulement de cet « alors » : cf. § 45 et § 277 - Mc 3,6 et 11,18; § 267 — Jn 11,47-54. Mais depuis lors jusqu'à maintenant, la difficulté était dans le « comment » (Mc-Lc), vu sa popularité (Mc 11,18).

// Ps 2,1-6rupert cite aussi en // Le testament de Jacob : « Siméon et Lévi... que mon âme n'entre pas dans leur conseil » (Gn 49,6). Comme le Ps 2 parle des « nations », et des « rois de la terre » qui se réconcilient « contre le Christ », la Tradition en a vu, à plus juste titre, l'accomplissement dans la réconciliation entre Pilate et Hérode § 348 où ce Ps 2 est également donné en //). Mais il s'applique déjà ici, où l'on voit que « Dieu se rit » des fausses prudences des hommes :

« Pas pendant la fête », ont décidé les chefs. — Mais si ! vient d'annoncer le Christ: c'est justement durant cette Pâque — « il le faut »* — que l'Agneau de Dieu portant le péché du monde sera crucifié. Car Il sait aussi le « comment » : Judas va le livrer § 314 — Mt 26,14).



§ 313. L’onction de Béthanie : Mt 26,6-13; Mc 14,3-9; (Jn 12,1-8)


(Mt 26,6-13 Mc 14,3-9 Jn 12,1-8)

« Quelle image ! Le parfum odorant versé, parmi les convives du banquet, sur la mort, par les mains de l'amour » (R. Guardini: Le Seigneur I p 257). Voir au § 272 le commentaire.

calendrier: Jean 12,1 écrivait: « Six jours avant la Pâque » § 272 . Mt-Mc : « à deux jours de la Pâque ». Cette divergence s'explique, au moins en partie, si l'on admet l'hypothèse d'Annie Jaubert (dans La date de la Cène), d'un double calendrier : celui, traditionnel, dont « Le Livre des Jubilés » nous montre qu'il restait en usage à Qumran, et ailleurs ; et celui que suivaient les pharisiens, d'origine païenne (ce pour quoi, sans doute, il était refusé par ceux qui, comme les Esséniens, restaient fidèles à l'ancien calendrier). Or tandis que ce dernier fixait la Pâque toujours un mardi soir, celui, plus officiel, adopté par les pharisiens, laissait la fête à un jour variable, si bien que, cette année-là (de la mort du Christ), la Pâque débutait seulement le vendredi soir. Cet écart du mardi au vendredi expliquerait que Jean, se basant sur le calendrier officiel, parle de « six jours avant la Pâque » (du vendredi), et dise que la Passion du Christ eut lieu de justesse avant la célébration de la Pâque (le vendredi soir — Jn 18,28 Jn 19,14 Jn 19,31); tandis que les Synoptiques comptent d'après le calendrier traditionnel « deux jours avant la Pâque » (du mardi), et rapportent la Cène comme un repas pascal (ce mardi soir). Une fois de plus on aurait ici la preuve inattendue de la véracité des Évangiles par la < Concordantia discordantium >*. En outre, cette différence de calendrier permet d'étaler le procès du Christ, autrement contracté à l'extrême, entre jeudi soir et vendredi matin.

Mais il est vrai que, par contre, si la Cène se situe dès le mardi soir, ce sont les événements et discours entre les Rameaux et la Cène § 273 à 315) qu'il devient difficile de faire tenir entre le dimanche et le mardi. Aussi le calendrier liturgique, fixant la Cène au jeudi soir, garde-t-il sa valeur. La course contre la montre que deviennent alors le double procès devant le Sanhédrin, Pilate, Hérode, Pilate et le Chemin de Croix s'explique par la nécessité d'en finir avant l'ouverture de la Pâque, le vendredi soir, à l'arraché (Voir le chronométrage de Jean aulagnier, dans Avec Jésus au jour le jour, p. 229-240).

Cette imprécision du calendrier n'implique évidemment pas que les événements seraient inventés — c'est en ce cas au contraire qu'un récit fictif se devrait de ménager la vraisemblance — mais ce doit être pour nous le rappel qu'en nous racontant ces faits, les Evangélistes visent à bien davantage qu'à la matérialité de la chronologie : ce qu'ils ont à nous révéler par les faits, c'est comment et pour quoi le Christ a souffert. C'est cela surtout qui nous intéresse, et dont la méditation de la Cène et de la Passion doit nous pénétrer, jusqu'au coeur...

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§ 314. La trahison de judas : Mt 26,14-16; Mc 14,10-11; Lc 22,3-6


(Mt 26,14-16 Mc 14,10-11 Lc 22,3-6)

-Alors (Mt) semble indiquer un certain rapport de conséquence entre l'onction de Béthanie et la démarche de Judas (Mt 26,3*). Motif déterminant, ou < simple goutte d'eau qui fait déborder le vase > des griefs lentement accumulés ? Avarice frustrée, messianisme déçu, orgueil blessé ? On a écrit des romans sur les mobiles présumés de Judas. Mais une fois de plus, ce qui est frappant au contraire, c'est l'absence de toute notation < psychologique >, et l'espèce de sécheresse avec laquelle est rapporté le fait, avec le minimum de mots.

Par contre, Luc, et Jn 13,27, mentionnent l'influence de Satan. Comment ne serait-il pas impliqué dans ce drame, alors qu'il y va de son titre de « Prince de ce monde ». Seulement, là aussi, Dieu peut « se rire de ses vains efforts » (Ps 2). Car Satan se trompe en s'imaginant conduire les événements. Par la trahison de Judas, le démon escomptait supprimer son adversaire; alors qu'en réalité, celle-ci déclenche une Passion qui sera rédemptrice, rétablira le Règne de Dieu et donnera aux hommes la grâce nécessaire pour être libérés de sa tyrannie. Tout ce retournement était annoncé également par le Christ § 309 — Jn 12,31-32*). Quant à Judas lui-même, voir au § 317 — Mt 26,24*.

L'un des Douze : Un intime, appelé à être un < apôtre >. Après cela, de quelle trahison s’étonner ? L’Iscariote : Cf. § 46 * in fine. Alla trouver les princes des prêtres : à l'inverse du < Beatus vir > du Ps 1°, « qui ne va pas au Conseil des impies ». L'initiative est donc bien de Judas.

Ils convinrent avec lui de trente pièces d'argent =120 francs-or = le prix d'un esclave, d'après le // Ex 21,32 Ex 21, En acceptant d'être vendu, le Seigneur voulut supporter le sort des esclaves. Le prix minime indique que le Seigneur vint mourir par don gratuit » (n. cabasilas : La vie en J.C., PG 150,516; tr.fr p 38).

// Gn 37,26 2M 4,7-34 — Sur le parallèle entre Joseph et le Christ, voir BC I*, p. 162-187. La surenchère entre Jason et Ménélas pour usurper la charge de Grand-Prêtre est un exemple terrible : car l'un et l'autre, soucieux de s'attirer les bonnes grâces d'Antiochus Épiphane, favoriseront les coutumes païennes, « trahiront les lois et la patrie », détournant ainsi Israël de l'Alliance: « Nul ne peut nuire à la nation sainte, profaner le temple, briser l'Alliance, si ceux qui ont un pouvoir sacerdotal dans le judaïsme n'abandonnent pas eux-mêmes entre les mains des ennemis de Dieu le dépôt qu'ils devraient défendre. Ce qui arrivera dans le Nouveau Testament arrive déjà dans l'Ancien. Il a fallu Judas pour que Jésus soit livré à ses ennemis. Dieu a donné aux hommes d'Eglise un tel pouvoir, que c'est seulement par leur faute leur négligence, leur trahison ou leur infidélité, que le mal peut entrer dans l'Église » (D. Barsotti : Le 2° L. des Maccabées, p. 54).

// Za 11,12-13 — Prend toute sa force du fait que ce salaire dérisoire est donné à Zacharie, au cours d'une sorte de parabole vécue où Yahvé, le Bon Pasteur, excédé, brise son Alliance, puis les liens fraternels entre les tribus d'Israël. En réalité, la Miséricorde divine l'emportera sur cette juste prophétie, si bien que, vendu à ce même prix, le Bon Pasteur s'étant incarné — « prenant nature d'esclave » (Ph 2,7 en // au § 316 et de « Serviteur » humilié (Is 53 — rétablira l'Alliance qui nous réconcilie à Dieu et entre nous, en subissant Lui-même la croix, châtiment de l'esclave, que nous méritions ...

Le moment propice : sera Gethsémani, l'heure du baiser de Judas § 338 ). Mais il est important que le récit de la trahison intervienne dès à présent, et que son ombre se projette tout au long de la Cène § 316 — Jn 13,10-11 et 18 ; § 317 * ; § 334 — Jn 17,12*) : les liens profonds et quasi sacramentels entre Cène et Passion en deviennent comme palpables, et ce repas d'aDieu, tout d'intimité, de ferveur et d'amour éternel, y prend son caractère dramatique, oppressant.

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§ 315. Préparation de la Pâque : Mt 26,17-19; Mc 14,12-16; Lc 22,7-13


(Mt 26,17-19 Mc 14,12-16 Lc 22,7-13)

// Ex 12,14-17 1Co 5,6-8 — Le premier jour des Azymes : est celui de la préparation à la fête Pascale proprement dite : immolation de l'agneau, exclusion de tout pain fermenté. Deux de ses disciples (Mc) = Pierre et Jean (Luc).

Allez à la ville : Jésus et ses Apôtres ont dû passer la nuit hors Jérusalem, pour ne pas y être arrêtés § 275 — Mc 11,18-19).

Un homme portant une amphore : Tâche normalement dévolue aux femmes. Serait-ce que cet homme appartiendrait à une communauté vouée au célibat, comme celle des Esséniens ? D'après les recherches archéologiques, le lieu traditionnel du < Cénacle > serait situé dans le quartier qui, au temps de Jésus, était celui des Esséniens — dont Jésus aurait suivi le calendrier pour célébrer la Pâque ? § 313 *). Il y a là des recoupements sinon probants, du moins suggestifs.

La salle où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples : On a beaucoup discuté si la Cène avait été repas proprement pascal, ou non, puisque Saint Jean parle de cette célébration comme devant avoir lieu seulement le Vendredi soir, après la mort du Christ. Sur les différentes positions, cf. note x de Tob, sur Mc 14,12. Plus positivement en faveur de l'affirmation traditionnelle du caractère pascal de la Cène, cf. J. Jérémias: La dernière Cène, p. 11-92. Explication par le double calendrier, cf. § 313 *. En tous cas, l'affirmation des Synoptiques est sans ambiguïté : en ces 5 versets, Marc répète par 4 fois qu'il s'agit bien de « préparer la Pâque », « pour manger la Pâque ».

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§ 316-334. Le repas d'adieu


Ayant annoncé dès son ch. 6 « le Pain de vie » § 163 *), Saint-Jean met en valeur, dans le repas d'adieu du Christ, l'extraordinaire < leçon de chose > qu'il donne à ses disciples en leur lavant les pieds. Ainsi, comme le commandement de l'amour est double, envers Dieu et envers les frères, de même l'eucharistie ne va pas sans le service du prochain. Celui-ci est même non seulement pierre de touche — « qui n'aime pas son frère, qu'il voit, ne saurait aimer Dieu qu'il ne voit pas» (1Jn 4,20) - mais en quelque sorte, condition préalable : «Réconcilie-toi avec ton frère : après, tu présenteras ton offrande » § 54Mt 5,23-24). Même si, bien entendu, c'est de Dieu que tout vient : et notre communion d'amour avec Lui, par l'eucharistie, et la purification de nos rapports avec Lui comme avec nos frères (Jn 13,6-9*). On n'insistera jamais trop sur l'importance de ce sacrement § 318 *), à condition d'insister tout autant et aussi constamment sur le service du prochain, non moins constitutif de toute vie chrétienne. Pas de foi ni d'espérance sans pratique sacramentelle — « si vous ne mangez ma chair, vous n'aurez pas la vie (éternelle) en vous » (Jn 6,53 — ni non plus sans les oeuvres de la charité envers les plus démunis de nos frères : « Certains chrétiens, et des plus généreux, oublient peut-être aujourd'hui ce rôle indispensable du sacrement. Mais l'immense majorité vit dans l'illusion inverse et s'imagine que < la fréquentation des sacrements > les dispense de connaître l'Évangile et l'enseignement de Jésus-Christ, et de se mettre au service des hommes leurs frères. Ils croient appartenir à l'Évangile et n'entendent pas Jésus les renvoyer apprendre la leçon des prophètes de l'Ancien Testament : « Allez donc apprendre le sens de cette parole : c'est l'esprit fraternel que je demande, et non le sacrifice » (Mt 9,13 Mt 12,7). Pour accéder à l'eucharistie, il faut avoir accepté l'esprit du lavement des pieds... parce que recevoir l'eucharistie sans la charité, c'est violer la Nouvelle Alliance dans son article fondamental à l'instant même où l'on fait extérieurement le geste d'y adhérer en communiant au sacrifice qui l'institue. Refuser le corps livré jusqu'à la mort en refusant de songer à ses frères, c'est provoquer directement l'amour rédempteur et se jouer de son témoignage suprême » (1Co 11,27J. Guillet: Jésus-Christ, p. 179-180).



§ 316. Le lavement des pieds : Jn 13,1-20


(Jn 13,1-20)

— L'exorde en est spécialement solennel : c'est le début du second versant de tout ce IV° Évangile. Temps de la Pâque, à tous les sens de ce mot : immolation sanglante, rédemptrice, de l'Agneau pascal véritable; mais aussi «passage» du Dieu qui épargne les demeures munies du sang de son Fils; et début de < l'Exode > du Peuple élu — désormais étendu à toutes les nations — à la suite du Christ qui commence, cette nuit-là, son < Exode > tant désiré § 212 et 18) — Lc 12,49-50* et 2,49*. Sur Pâques-passage, cf. BC I*, p. 224-25). C'est l'Heure § 309Jn 12,23*). Jésus en a parfaite conscience, comme Jn le rappelle expressément : Jésus, sachant que... »; et par conséquent, c'est en toute liberté qu'il se < livre >* (Jn 10,17-18 Jn 18,4-9 Jn 19,28). La vie et la mort du Christ peuvent donc se dire d'un mot : Il aima, quelle que fût la disparité originelle — « ceux qui étaient dans le monde » — comblée par cet amour même, qui les rend « siens » : « Tu es à moi... à mes yeux tu as du prix et Je t'aime... » (Is 43,1-4). Jusqu'à l'accomplissement total : « Cela veut dire : Il n'omit rien de ce que peut faire quelqu'un qui aime du plus grand amour » (Chrysostome : Sur Jn 13,1 Hom. 70,1', Vives Jn 14,236-37). Non seulement jusqu'à l'extrême du don de soi, par le don de sa vie § 329Jn 15,13), mais par un amour divin, re-créateur, capable d'accomplir* et de parfaire le Dessein d'amour salvifique du Père § 24 - Mt 3,17 b*).

Ce thème de l'amour au principe même de la Passion et de la mort du Christ, qui doit servir de modèle et de mesure à notre propre charité, se retrouve en Jn 13,34*; Jn 15,9*; Jn 17,23 1Jn 3,16. Mais c'est d'abord ce qui est le plus capable de nous convaincre de la grandeur, de l'intimité, de la réalité de cet amour du Père comme du Fils pour chacun de nous (Ga 2,20 Jn 3,16 Rm 5,8 Rm 8,31-35).

// Dt 16,6 1M 9,10 Jdt 13,4-5 Is 30,18 Ps 102,14 — Dans leur diversité, ces textes témoignent d'une commune conviction de l'Heure, à laquelle Dieu ne manquera pas, ni ceux qu'il a choisis pour < sauveurs > (Judas Maccabée ou Judith).

Jn 13,2 // 1Jn 3,8 — Première mention de Judas et de Satan. Elle donne à la Cène sa tonalité tragique et rappelle ses liens < sacramentels > avec la Passion § 314 ; cf. v. 11 et § 317 , § 319 . « En spécifiant < pendant le repas >, l'Évangéliste montre l'énormité du crime, car le partage d'un repas est habituellement le signe par excellence que l'on renonce à toute hostilité », comme par exemple Laban se réconciliant avec Jacob, en Gn 31,44-54 (Chrysostome: ).

Jn 13,3 — Même « sachant que... » qu'au v. 1. Ce qui donne au geste du Christ toute sa portée, c'est la pleine conscience* qu'il a, de son origine (déjà affirmée Jn 8,42; cf. Jn 16,27-28 Jn 17,8, et Prologue), de son retour à Dieu (Jn 3,13 Jn 6,62 Jn 7,33-34), et de la mission divine accomplie entre-temps (Jn 3,35 Jn 5,19-20 Jn 5,36 Jn 6,37 Jn 6,39 Mt 11,27). En Lui, Celui qui se fait notre < Serviteur >* est Dieu même, sans abdication d'aucune de ses grandeurs (cf. v. 13 - comme en Is 43,1-4 où, avant de faire sa déclaration : « Je t'aime », Dieu décline ses titres : « Celui qui t'a créé, ton Dieu, le Saint d'Israël, ton Sauveur »).

Jn 13,4 // Is 4,4 Lc 12,37 — Tenue, posture et tâche du dernier des serviteurs : même un esclave juif n'y était pas tenu. Mais, volontaire, cet humble service devenait acte de déférence... Voilà réalisée à la lettre la parabole invraisemblable de Lc 12,35-37 § 208 *). S'il est vrai qu'il y a dans cette parabole une note eschatologique — « le maître est de retour des noces » — alors c'est que la Cène est à la fois réalisation et anticipation du Royaume des cieux, non seulement par l'institution de l'eucharistie § 318Lc 22,15-18*), mais par la société de service mutuel que l'exemple du Christ institue également.

Le vocabulaire même donne à ce service valeur symbolique, annonçant la Passion. Car Jésus « dépose ses vêtements » et « les reprend » (v. 4 et 12) comme Il « dépose son âme » et « la reprend » suivant que le Père le lui a demandé pour notre Salut (Jn 10,18 — ici et là, ce sont les deux mêmes verbes). Ce geste va donc au-delà d'une simple leçon d'humilité ou de service : il est le < sacrement > des humiliations rédemptrices de la Passion; et il nous faut, comme Pierre, accepter d'en bénéficier, si nous voulons « avoir part avec le Christ » (v. 5-9*). Sur ce point, cf. F.M. Braun : Jean le théologien m/1, p. 183-89.

Au surplus, quand Jésus-Dieu « lave », Il doit accomplir mieux qu'une tâche seulement matérielle, comme dans le // Is 4,4, Pères (Origène, Clément d'Alexandrie, etc.) y ont vu un symbole pénitentiel d'une possible rémission des péchés commis après le baptême. P. Grelot (Mél. De Lubac I, p. 75-91), après examen du dossier ancien et moderne, conclut que « l'interprétation pénitentielle » va bien dans le sens de Saint-Jean. Car d'une façon générale, l'Évangéliste aime à superposer à un sens premier, plus matériel (ici : l'acte d'humilité), un sens symbolique (ici : sacramentel); d'autre part, dans sa 1°-Epître 1Jn 1,7-9, il se soucie des péchés commis après le baptême. Le texte de l'Evangile prête d'ailleurs à cette interprétation: il y a glissement du physique au spirituel au moins dans l'emploi du mot «pur », au v. Jn 13,10, comme le confirme le // Jn 15,3, dont le sens est sûrement spirituel. En outre, le raisonnement du Christ en ce v. 10, part de l'opposition entre : bain entier / lavement des pieds, seuls. Or le verbe signifiant « baigner » appartient au vocabulaire du baptême (Ep 5,25 Tt 3,5 He 10,22). L'autre verbe utilisé pour le lavement des pieds doit donc désigner une autre purification que celle du baptême (même s'il se trouve aussi en Jn 9,7 Jn 9,11 Jn 9,15, à propos de l'aveugle-né, où le contexte est baptismal). Bref, comme toujours en symbolique, il faut se garder de donner une signification trop précise, ou unilatérale. Et si riche d'enseignement que soit l'interprétation pénitentielle, on pourra trouver tout à fait évocatrice cette autre idée d'Origène qu'ainsi Jésus préparait les pieds de ses Apôtres à porter partout l'annonce de l'Évangile (Is 52,7-9, en // au § 36 .

Jn 13,5-9 — Pour avoir part avec moi : Peut s'entendre immédiatement : accepter d'être ainsi servi par le Christ, pour devenir capable de Le suivre dans le service des plus humbles de « ses frères » § 307 *), et d'avoir ainsi part à sa mort et à sa résurrection. Mais cette « part avec Lui » pourrait être aussi cette communion que l'eucharistie signifie en la réalisant, et en vue de laquelle est nécessaire cette purification préalable — ce qui renforcerait le rapport symbolique entre le lavement des pieds et le sacrement de pénitence. En ce sens, l'Église, tant orthodoxe que catholique, suit l'Évangile quand elle recommande le sacrement de réconciliation pour mieux participer à l'eucharistie, même à ceux des fidèles qui sont « purs » de péché mortel.


Le caractère impulsif, excessif, de Pierre se manifeste en cette occasion, comme déjà au § 167Mt 16,22; et pour le même motif, qui est sa foi elle-même en la grandeur divine du Christ, seulement mal éclairée encore : « C'est par respect qu'il refusait, non par résistance aux ordres du Maître » (Cyrille d’Alexandrie: PG 74,117). Mais il est d'autant plus remarquable que le Christ, avant toute justification de sa conduite, demande à Pierre seulement l'obéissance de la foi : même s'il ne comprend pas, qu'il croie en Lui* !

A. Guillerand: L'Abîme de Dieu, p. 385 : Notre Seigneur procède surtout par affirmation ; il n'explique pas, ou très peu. Il ne s'adresse pas à la raison ; il n'est pas venu la satisfaire, mais la soumettre. Il ne la condamne pas, il ne veut pas s'en passer, mais il veut lui communiquer une lumière supérieure si elle consent à renoncer à la sienne propre...

On s'unit dans le vouloir. On ne doit pas regarder ce que Dieu veut, mais seulement qu'il le veut, et on doit vouloir ce qu'il veut parce qu'il le veut. Est-ce que cela convient ou ne convient pas ? Lui seul est juge. Il y a des convenances supérieures que notre raison ne perçoit pas ; elle se grandit en les croyant sans les voir. Elle abdique son droit ; mais cette abdication l'unit à l'intelligence plus haute dont elle partage les vues. C'est cette participation dans le renoncement que Jésus demande à ceux qui l'aiment... [Mais, quand on a ainsi accepté de Le suivre, après coup,) à l'amour Jésus joint toujours sa lumière : il explique son geste après l'avoir accompli ; Il éclaire l'intelligence après avoir ravi le coeur; Il s'empare de tout l'être...

C'est une leçon (de foi) à l'intérieur de la leçon de service mutuel qu'il est en train de nous donner.

// 2S 20,1-2 — L'histoire de Shéba est un autre exemple de ce que c'est qu'« avoir part avec... »; c'est ici « être du parti de ... et recevoir le même héritage », celui que nous vaut le < Testament >, l'Alliance de Dieu avec Abraham, Moïse, David — et à présent avec le Christ (Rm 8,17).

Jn 13,10-11 // Jn 15,3 — A cause de la parole que Je vous ai dite : à condition de croire à cette Parole, bien sûr ! Toujours le kérygme : « Le Royaume est là; convertissez-vous et croyez à l'Évangile » § 28Mc 1,14-15*). En finale, nouvelle allusion à Judas : cf. v. 2*.

Jn 13,12-15 // Ph 2,5-7 1P 2,21 1Jn 2,6 Is 56,1-2 — Je vous ai donné l’exemple : Il ne nous a pas seulement indiqué la voie, prescrit son commandement, donné les moyens d'atteindre le but: Il s'engage lui-même, par ses actes, sa vie, sa mort. La Voie, c'est Lui (Jn 14,6) ! L'amour du Père et de ses frères, c'est Lui ! La résurrection, la vie éternelle dans la pleine Lumière de la Vérité, c'est Lui, notre But ! « L'exemplarité du Seigneur vient de ce qu'en Lui commence l'existence chrétienne. Il fonde la possibilité d'être chrétien » (R. Guardini : Le Seigneur II, p. 69). Quel exemple ? — En premier lieu, des services mutuels les plus matériels. Commençons par là : c'est la première humilité, et le premier réalisme. Sans quoi on se moque... Mais si le < lavement des pieds > a valeur symbolique du sacrement de pénitence et de réconciliation, c'est aussi une exhortation, pour les prêtres à se montrer disponibles, pour les chrétiens à ne pas se dérober comme Simon-Pierre, même sous des prétextes honorables, même s'ils sont « purs ».

Faut-il aller plus profond encore ? R. Guardini (p. 70-72) n'a pas tort de voir, dans le geste du Christ, davantage qu'un acte délibérément provoqué dans un but pédagogique : ce serait trop ostentatoire, ni humble ni naturel. Tout au contraire, la leçon porte parce que Jésus ne vient de faire que ce qu'il a fait toute sa vie: être le Serviteur. Mieux encore, c'est le mystère même de son Incarnation, c'est le mouvement même de Dieu s'inclinant vers notre petitesse et, pour nous rejoindre dans notre < néantisation > par le mal, « se vidant » comme de la gloire* de sa divinité en prenant « nature d'esclave » (// Ph 2,6-7 mais cf. aussi le < Serviteur > d'Is 53, auquel « il paraît certain que cette scène réfère » A. Feuillet: Le mystère de l'Amour, p. 70-71).


Cyrille d’Alexandrie: Sur Jean (PG 74, 121): On voit ici l'incomparable grandeur de l'humilité : car ce qui, de soi, est bas, tend par nature vers le haut, et s'humilie difficilement; mais si quelqu'un de très haut s'humilie, on l'admire: car il descend vers ce qu'il n'était pas.

afin que vous fassiez vous aussi ce que j'ai fait: Correspond au « faites ceci en mémoire de moi » dans l'institution de l'eucharistie § 318 . Ainsi, le parallélisme entre la pratique du sacrement et des oeuvres de charité vaut-il jusque dans sa source commune, qui est < l'Imitation de Jésus-Christ >. Non pas seulement extérieure, mais d'abord intérieure. Car, pour bien faire, pour que ce service des pauvres ne soit pas < condescendant > et emprunté, pour qu'il coule de source, « ayez les mêmes dispositions d'esprit qui sont celles du Christ Jésus » (// Ph 2,5 — c'est-à-dire ce même Esprit Saint d'amour-don, en un coeur assez vidé de soi et pauvre pour être fraternel aux pauvres « comme à soi-même » § 190Lc 10,27*, P.J. Leenhardt), assez plein du Christ pour que ce soit Lui qui les aime en nous (Jn 13,34 Jn 15,12).

Jn 13,16-17 — Le serviteur n'est pas plus grand que son Maître : Lc va développer ce point aux § 321 -22 ; cf. Mt 10,24 et Lc 6,40. « Cela veut dire : on rira de vous, au tribunal de Dieu si, étant tous serviteurs, vous ne voulez pas vous rendre entre vous le service que moi, Dieu et Seigneur, je vous ai rendu » (Cyrille d’Alexandrie: Pg 74,125). L'insistance est remarquable : d'abord, par l'avertissement solennel de l'Amen, je vous le dis, ensuite par la béatitude promise, conférant à ce service valeur eschatologique (« au tribunal de Dieu », traduit Cyrille d’Alexandrie), conformément à Mt 25,31-46 § 307 *). Avec, une fois de plus, le souci de nous faire passer du savoir aux actes* surnaturels (Jn 3,21 Mt 7,12 Mt 7,18 Mt 7,21-24 Rm 2,13 Jc 1,22-25).

Jn 13,18 — Nouvelle allusion à Judas § 314 *). Je sais qui j'ai choisi : Non pas en ce sens que Jésus aurait choisi les Onze à l'exclusion de Judas. Il les a bien « choisis tous les Douze », et ne s'en dédit pas, même si « l'un d'eux est en passe de devenir un démon » § 164Jn 6,70). La catastrophe remonte donc au moins à la multiplication des pains et au rejet par Jésus du messianisme temporel. Serait-ce là le motif de la sécession intime de Judas, plus vraisemblable et compréhensible qu'une piètre avarice ? (Sur l'évolution spirituelle de Judas, ce que nous avons trouvé de plus plausible se trouve dans R. Guardini: Le Seigneur n, p. 54-59). Quoi qu'il en soit, le choix, l'appel, la vocation, même à une mission aussi haute que celle des Douze, ne sont donc pas exclus du fait que Dieu sait une possible défaillance. Celle-ci rentre aussi dans le Plan divin. Non au sens, inadmissible, que le Christ aurait choisi Judas pour être le traître — comme s'il en avait eu besoin ! Pas plus que Dieu n'a fait Adam pour le péché. Il nous a tous « choisis pour que nous portions du bon fruit », éternel (Jn 15,16 Mt 7,17). Seulement, le Dessein divin tient compte de la liberté et des fragilités de l'homme, que ce soit du Péché d'Adam qui appelle un Nouvel Adam, Rédempteur (Gn 3,15), ou de la trahison de Judas, qui le « livre »*.

Il faut* que l'Écriture s'accomplisse* : L'Écriture en général, puisqu'elle est Révélation du dessein d'amour de Dieu, accompli en Jésus-Christ; et jusque dans les détails de la Passion annoncés dans « la Loi, les prophètes et les psaumes » (Lc 24,44*). Voir au § 317Mt 26,24* et § 334Jn 17,12 b*.

Jn 13,19 // Is 43,10-13 Jn 8,24 — Pour que l'annonce de la trahison ne trouble pas la foi des Apôtres, le Christ use d'un argument calqué sur le // Is 43,10-13, Si Dieu seul peut savoir un à-venir pourtant aléatoire puisque dépendant de notre liberté, c'est que par son éternité, tout Lui est présent, l'effet non moins que sa cause, et avant même qu'elle ne joue. Donc, en sachant aussi clairement l'à-venir, Jésus nous fait la preuve qu'il est Dieu comme son Père, dans un éternel « je suis ». Sur le sens de ce je suis, cf. § 260Jn 8,24*. Jésus reviendra sur cette preuve par prédiction de l'avenir en Jn 14,29 et Jn 16,4; cf. également Is 44,7 et Is 48,3-5 (en // au § 139 .

Plus précisément encore, si le « et vous saurez que je suis Yahvé » sert de conclusion pour annoncer des < mirabilia Dei > où se reconnaît l'action de Dieu en faveur de son peuple (Ex 6,7 Ex 7,17 Dt 32,39 — et chez Ézéchiel, jusqu'à 75 fois!), quand Jésus reprend une formule parallèle: «pour que vous croyiez que je suis (Yahvé) », et cela « à une époque où s'était, semble-t-il, atténuée la croyance prophétique en l'action permanente de Dieu dans l'histoire, Il renoue avec cette grande tradition. Mais il y imprime sa marque tout à fait personnelle : Il a en effet conscience que sa présence même parmi les hommes signifie une intervention actuelle de Yahvé, d'une importance décisive pour les destinées de l'humanité » (A. Feuillet: Les < Ego eimi >, p. 7-10).

Jn 13,20; — C'est le principe de la Tradition apostolique, le fondement de la Mission de l’Église : Père — » Fils — » Apôtres et leurs successeurs, jusqu'à nous. Ce qui nous garantit que, par eux, nous remontons au Christ et à son Père. Cf. § 104Mt 10,40*. Mais cette chaîne vaut également dans les oeuvres de la charité : § 174 et § 186Mc 9,37* et Lc 10,16*.

p. 630

§ 317. La trahison dévoilée: Mt 26,20-25; Mc 14,17-21; Lc 22,14; Jn 13,21-30


(Mt 26,20-25 Mc 14,17-21 Lc 22,14 Jn 13,21-30)


 — Après les allusions de Jn 13,2.10-11.18-19, cette dénonciation expresse, encore que discrète, s'inscrit au coeur même de cette réunion d'aDieu, entre lavement des pieds et institution de l'eucharistie, comme un rappel du rapport intime entre Cène et Passion § 314 *). Mais en outre, Me encadre cette institution eucharistique (v. 22-25) par la prédiction symétrique de la trahison de Judas (v. 17-21) et du reniement de Pierre (v. 27-31) — § 336 . La structure est concentrique :

v. 18 Amen, je vous le dis, Amen, je te le dis v. 30

l'un de vous me trahira tu m'auras renié

v. 19 l'un après l'autre: quand même tous, v. 29

« Est-ce moi ? » pas moi

v. 20 l'un des Douze


v. 21 comme il est écrit comme il est écrit v. 27

(d'après b. standaert: tous, vous serez scandalisés.

L'Év. selon Marc, p. 180-181) Tous disaient de même. v. 31

Mt 26,20-22; Mc 14,17-19; Jn 13,21) — Le soir venu (Mt-Mc): Donc à l'heure où devait être célébré le repas de la Pâque (sur le caractère pascal de la Cène, cf. § 318 *). Jésus fut troublé dans son esprit (Jn): § 266 et § 309 -Jn 11,33* et 12,27*; cf. § 337 — Mc 14,33-34*.

l'un de vous (Mc 14,18 Mc 14,19 Mc 14,20) : On comprend que Me bâtisse tout ce paragraphe sur la triple répétition, car l'imprécision même de l'accusation inquiète et fait mal: // Le dit de manière générale, pour éprouver la qualité de leurs coeurs, pour montrer que les Apôtres croyaient plus aux paroles du Christ qu'à leur propre conscience ... Par l'enseignement du Christ, ils savaient que la nature humaine est fragile, et quelle doit lutter contre les puissances des ténèbres ... Les Apôtres étaient encore faibles, et ils craignaient ajuste titre. C'est pourquoi ils demandent, doutant d'eux-mêmes : « Est-ce moi, Seigneur ? » (Origène: Sur Mt; PG 13,1730. Dans le même sens Jérôme: Sur Mt iv; Pl 26,194).

Mt 26,23; Mc 14,20 // Ps 41,2-13 Jn 13,22-26 (cf. § 319 — Lc 22,21-23, avec // Gn 37,23 et Ps 55,14) — L'interrogation, que Mt et Mc nous présentent < en bloc >, Jean en décrit le cheminement : d'abord dans les regards, silencieusement (v. 22), puis de Pierre à Jean et au Christ (v. 24-25). On sent le témoin, qui a gardé en mémoire, fidèlement, tous les détails.

Le disciple que Jésus aimait : Cette dénomination n'est pas employée ici, pour la première fois, sans intention. Elle revient en Jn 19,26-27*; 20,2-10*; 21,7.20-23*, attribuant à ce disciple des privilèges spirituels de premier ordre: présence au Golgotha et liens avec la Mère de Jésus ; en compagnie de Pierre, premier constat du tombeau vide, puis de l'apparition au bord du Lac ; enfin destinée mystérieuse § 373 *). La tradition a vu en ce disciple bien-aimé, Jean lui-même, l'un des trois seuls Apôtres choisis comme témoins de la résurrection de la fille de Jaïre, de la Transfiguration et de l'Agonie (Mc 5,37 Mc 9,2 Mc 14,33). Voir encore Mc 1,19.29; 3,17; 9,38; 10,35-41; 13,3; Jn 18,15-16*; Ac 3,1-11; 4,13.19; 8,14; Ga 2,9). Quel pourrait être d'ailleurs, demande A. Feuillet (Jésus et sa Mère, p. 142-143), ce « disciple que Jésus aimait », si constamment associé à Pierre, sinon ce Jean que par ailleurs, le IV° Evangile a pris le parti de ne jamais nommer directement, comme il le fait au contraire pour les autres: André, « l'un des deux premiers disciples » (dont l'autre est Jean), Pierre, Philippe, Nathanaël § 25 — Jn 1,35*.40), Philippe et André, Thomas et Philippe (12,22; 14,5.8).

Placé contre la poitrine : À la manière gréco-romaine, le repas se prenait allongé sur un lit de repos, de sorte que Jean avait la tête à proximité du coeur du Christ (description détaillée dans Lagrange: Sur Jn, p. 360-61). La tradition chrétienne, qui ne doutait pas que le IV° Evangile fût de l'Apôtre, y a vu un symbole, souvent commenté :

Bede le Vénérable : Hom. 8, sur VApôtre Jean (PL 94, 46) : Que ce disciple ait appuyé sa tête sur la poitrine du Maître, c'était le signe non seulement de la dilection présente, mais du mystère futur. En cela était déjà préfiguré que l'Evangile à écrire par ce même disciple contiendrait les secrets de la divine Majesté avec plus de richesse et d'élévation que toutes les autres pages de l'Écriture sacrée. Puisque tous les trésors de la sagesse et de la science sont cachés dans le coeur de Jésus, il est juste que repose sur sa poitrine celui qu'il comble d'une sagesse et d'une science incomparables. (De même bruno d'asti: Pl 165,559).

Rupert de Deutz : Sur Jn xi (PL 169,686): Ce disciple, bien-aimé entre tous, est seul à dire, en parlant de lui-même, que le Seigneur Jésus l'aimait, et qu'ace moment [de la Cène] il reposait sur la poitrine du Maître, par une prérogative de sa tendresse. Pourquoi le dit-il, sinon pour confirmer par l'autorité d'un témoin — c'est-à-dire de lui, Jean — le présent évangile, qui est un témoignage nécessaire à notre foi et à notre salut ? Car, si tous les écrivains évangéli-ques, je veux dire les quatre que la Sainte Église reconnaît, sont des témoins valables — // Est, certes, interdit de mettre en doute leur témoignage — ce disciple pourtant, est particulièrement digne de foi, qui fut témoin oculaire de la vérité qu'il annonce, au point de reposer sur la poitrine du Christ comme son familier, son préféré, admis plus que tous les autres mortels à approcher de ce Verbe qui, jailli du coeur du Père (Ps 45) et incarné, avait décidé de résonner très haut par les paroles et les écrits de Jean...

« Celui qui aime la pureté du coeur aura le Roi pour ami » (Pr 22,11). Pour l'éminente beauté de sa chasteté, Jean fut jugé digne de boire, à la source même du Coeur du Christ, la divinité et les secrets éternels de ce même Verbe et Principe. «L'un des disciples, celui que Jésus aimait, reposait, dit-il, sur sa poitrine ». Cette très haute vérité, il lui donne la parure de l'humilité en ne disant pas « Je reposais », mais « l'un des disciples ». De même quand il dit « que Jésus aimait », et ne donne pas le motif de cette prédilection, parce qu'il veut penser seulement à la grâce spontanée de Celui qui l'aime.

Théophylacte : Sur Jn 13,23 (PG 124,162) : Jean était le plus innocent, le plus simple, le plus doux de tous, c'est pourquoi il est aimé. Sois tel, et le Seigneur daignera te laisser reposer sur sa poitrine, ce qui est un symbole de la dignité de théologien. Car c'est dans le coeur, que la théologie comprend les paroles mystérieuses du Seigneur qui sont voilées par l'Écriture. Alors, le mystère tout entier te sera révélé ; et tu sauras, en outre, qui est le traître qui livre le Verbe ; car celui à qui est confiée la grâce de la théologie discerne immédiatement le traître, et la doctrine dévoyée.

Celui qui met la main au plat avec moi (Mt-Mc) ; celui pour qui je tremperai la bouchée (Jn) : Il n'est pas précisé si c'est du pain, mais le plat ferait plutôt penser à de la viande. En tous cas le geste — sous l'une et l'autre forme, plus précise et significative en Saint-Jean — ne relève pas d'un rite < eucharistique >, dont l'institution, au surplus, vient seulement par après § 318 . C'est plutôt un geste de < commensalité >. Il réalise matériellement ce qu'annonçait le Ps 41,6, auquel se réfère Mc 14,18, et que Jésus avait déclaré précédemment devoir s'accomplir § 316 — Jn 13,18).

Mt 26,24; Mc 14,21 // 2S 15,14 — Le < malheur > n'est pas la mort prochaine du < Fils de l'homme >* (ici pris dans son sens le plus simplement humain): celle-ci répond au Plan divin de Salut, puisque c'est « selon qu'il est écrit »: soit plus spécialement au Ps 41, soit plus généralement, dans le thème surabondant du < juste persécuté >, soit enfin dans la préfiguration que, lors de la conspiration d'Absalom, David trace de la Passion du Christ (// 2S 15,14 on trouvera d'autres fragments de ces ch. 2S 15-16 aux § 338 = arrestation, et 2S 351-352 = chemin de croix et calvaire). Par contre, le malheur est sur celui par qui le mal arrive, que ce soit la trahison comme ici, ou le scandale*, en Mt 18,7 § 176 . Nous avons vu que « Malheur » est moins formule de malédiction qu'exclamation de douleur ou menace prophétique § 288 — Mt 23,13*).

Cet homme : Si le Fils de Dieu s'est fait < fils de l'homme >, c'est pour sauver tous les hommes, y compris cet homme-là. Mieux vaudrait pour lui : L'interprétation habituelle voit en ce « lui » Judas, et télescope donc la traduction en: « mieux vaudrait pour cet homme-là qu'il ne fût pas né ». Mais le littéral est bien : « il aurait été bon pour lui s'il n'était pas né, cet homme-là ». Or l'antécédent le plus proche de ce « pour lui » est le Fils de l'homme. Il n'est donc pas du tout sûr que la terrible sentence : « mieux aurait valu qu'il ne fût pas né », trop souvent comprise comme une damnation, vise Judas, et non pas seulement l'injustice dont, par sa faute, le Fils de l'homme va être victime (c'est pour Lui, Jésus qu'il eût mieux valu...). En tous cas, la Tob rétablit bien comme nous : « il aurait mieux valu pour lui... » ; et elle ajoute en note : « Jésus constate la situation malheureuse de Judas (sens de < malheur > rappelé plus haut), il ne le maudit pas, ni ne le condamne ». Laissons le sort éternel de Judas et de tout autre à la Miséricorde infinie, incarnée en Celui qui a donné sa vie pour sauver Judas comme chacun de nous...

D'une analyse détaillée de la construction de ce verset 21 de Mc, b. stan-daert, relevant les rapports subtils entre 1° et 2° propositions d'une part (« men...dé... »), entre 2° et 3° propositions d'autre part («Malheur... bon... », conclut : « Si la première proposition est formulée comme une nécessité, la troisième se présente comme un souhait exprimé au mode irréel. La proposition centrale est également de l'ordre du souhait, mais à propos d'un fait considéré comme réel. Tous ces traits, correspondants les uns aux autres, servent à traduire une même idée fondamentalement paradoxale : en ce qui advient au Fils de l'homme, il y a une nécessité inéluctable, parce qu'elle vient de Dieu ; mais il y a aussi une pleine responsabilité auprès de l'homme qui livrera le Fils de l'homme. Cette tension entre la liberté responsable et la nécessité divine est proprement tragique » (L'Év. selon Mc, p. 76-76).

Mt 26,25) — Propre à Mt. Dialogue sans doute en a parte, pour garder à Judas la miséricorDieuse discrétion qui, d'après Jn 13,28-29, évite de le désigner trop clairement à la vindicte des autres. N'empêche que le traître ne manque pas de cynisme : « Judas, après tous les autres, interrogea : « Est-ce moi, Rabbi ? » — mais non pour l'apprendre. Et Jésus répondit : « Tu l'as dit », pour le juger d'après son propre témoignage. Car en disant: « Est-ce moi, Seigneur? », Judas n'en doutait pas, mais faisait semblant de ne pas savoir. Car il n'avait pas cette crainte de Dieu qui inspirait aux autres Apôtres de douter d'eux-mêmes. Et s'il posa la question après tous les autres, ce fut probablement pour faire comme les autres, et cacher ainsi, pour un temps, sa trahison. Car la tristesse vraie et poignante ne supporte pas d'attendre ». (Origène: Sur Mt; PG 13,1733-34). « Alors que tous les Apôtres, attristés, ne songent plus à manger, Judas met la main au plat, pour que son audace démontre mensonger'ement une bonne conscience... Il dit comme les autres « Est-ce moi ? » pour passer dans la masse » (Jérôme: Sur Mt iv; Pl 26,195).

Jn 13,26 b-29) — Satan alors entra en lui: Dès le v. 2, Jn avait mentionné l'influence du démon, suggérant à Judas le dessein de livrer son Maître, -semence jetée dans son coeur comme une ivraie: § 136 — Mt 13,39*. Par contre, cette bouchée était donnée par Jésus en signe d'une amitié toujours offerte ; et cet appel sera réitéré jusqu'à l'heure même où le traître livrera Jésus aux gardes par un baiser § 338 *). Ne pas vouloir entendre cet appel, sans doute est-ce le pire malheur de Judas, bien plus que sa trahison même § 346 *). En se fermant à l'amour du Sauveur, il < se livre > lui-même à Satan :

Cyrille d’Alexandrie : Sur Jn IX (PG 74,140-141) : Le Seigneur signale le traître, en lui tendant la bouchée de pain. C'est alors que Satan fait irruption en lui, totalement. Non certes que la bouchée offerte par le Seigneur en soit cause ; mais elle trouve un homme qui a repoussé toutes les marques d'amour, d'élection, et d'honneur. Satan est entré par une porte ouverte.

Hilaire: Sur Mt ch. 32 (PL 9,1070; SC 258, p. 240): Quand Jésus dit à Judas : « Fais ce que tu fais », Il lui donne pouvoir sur Lui : Il lui donne le pouvoir d'exécuter sa trahison : à savoir, qu'il mène jusqu'au bout, dans les faits, le crime qui était déjà commis dans la volonté. De même quand Il dit à Pilate : « Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir si cela ne t'était donné d'en haut ».

Cyrille d’Alexandrie : Sur Jn IX (PG 74,144-148) : J'expliquerai ce verset selon mes forces. Le Seigneur s'adresse à Satan, plutôt qu'à Judas : « Ton oeuvre, celle que tu as l'habitude défaire, ô Satan, fais-la vite : tu as tué les prophètes, lapidé ceux qui annonçaient à Israël la doctrine du salut. Je viens après eux. Je renverserai le trône de l'iniquité qui règne par toi, et je montrerai qui est Dieu ». Tel est, à mon avis, le sens des paroles du Seigneur. Mais pourquoi ordonne-t-il de faire vite ? Parce qu'il voit le bien immense qui découlera de la Rédemption, et par ce qu'il est sûr de vaincre Satan. Cyrille développe ensuite ce thème, en s'inspirant de He 12,2 : « en considérant toute la joie qui était en perspective du fait de la Rédemption, Il porta la croix »...

Judas tenait la bourse (Jn 12,6)... Va acheter... ou donne aux pauvres : Comme nous avions appris, incidemment, les ressources de Jésus et de ses disciples § 124 — Lc 8,3*), ce verset nous donne quelque idée de l'organisation matérielle de la petite troupe : elle a son budget, son économe; elle achète de quoi manger (Jn 4,27 Jn 4,31 Jn 6,5-7), elle fait l'aumône... C'était si ordinaire que les Apôtres, pourtant avertis de la présence du traître — auquel cas, la première des prudences est « que personne ne sorte !» — ne songent même pas à s'inquiéter.

Jn 13,30 // Gn 3,6 Sg 15,10 Sg 15,12 Lc 22,53 — Le péché peut bien tenter; il n'est consommé que dans l'acte* : Judas, comme Eve, prit la bouchée fatale. Depuis le péché du premier Adam, nulle décision ne fut plus décisive que celle-ci. Il sortit : À l'inverse de sa tenue au Cénacle, où sa position était fausse, il est dans la terrible vérité de sa situation en s'auto-excommuniant. Hilaire : Sur Mt ch. 30 (PL 9,1065 ; SC 258, p. 222) : Judas quitte la Cène aussitôt qu'il a été dénoncé comme traître. Il n'a pas communié à la fraction du pain, ni au calice, car il ne pouvait pas boire le calice avec le Seigneur, lui qui ne le boirait pas plus tard dans le Royaume : au verset 29 en effet, le Seigneur promet que tous ceux qui le boivent avec Lui en ce jour le boiront aussi dans le monde à venir.

Il était nuit : Le rappel de l'heure (Mc 14,17 « le soir venu ») prend valeur symbolique. Non seulement par l'image de la < nuit >, mais rien que par la brièveté des 3 syllabes (en grec), tombant comme un couperet. Certes, il s'agit pour l'heure « du pouvoir des ténèbres » (// Lc 22,53). Mais le Christ en a bien averti ses disciples : « qui marche dans la nuit, il trébuche parce qu'il n'a pas de lumière en lui... et il ne sait où il va » § 266 et 309) — Jn 11,10 et 12,35). « Les ténèbres extérieures »* définitives (de l'Enfer) sont bien proches ici, alors que le « il était nuit » suit le « il sortit » de la salle du festin § 282 — Mt 22,11-14*). Le malheureux respire à pleine poitrine cette < nuit > qui est la force des desseins mauvais » (Cyrille d’Alexandrie: Pg 74,149).

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Bible chrétienne Evang. - § 311. Jésus, lumière, parole, vie éternelle : Jn 12,44-50