Bible chrétienne Evang. - § 318. L’institution de l’eucharistie : Mt 26,26-29; Mc 14,22-25; Lc 22,15-20 //1Co 11,23-26

§ 318. L’institution de l’eucharistie : Mt 26,26-29; Mc 14,22-25; Lc 22,15-20 //1Co 11,23-26


(Mt 26,26-29 Mc 14,22-25 Lc 22,15-20) // 1Co 11,23-26)

— « Tout l'Évangile est dans l'eucharistie » (J. Guillet: Jésus-Christ, p. 190 et 199). « La liturgie est le sommet auquel tend l'action de l'Église, en même temps que la source d'où découle toute sa vertu » (Vatican II: Constitution sur la Liturgie, n° 10). Rien d'étonnant si la bibliographie des commentaires à ce paragraphe, si remarquablement bref, est énorme. Résumé des hypothèses rationalistes et comparatistes dans DBS n (1934), 1146-1215. Plus positivement, voir X. Léon-Dufour: Le partage du pain eucharistique, p. 357-364; et l'Index de J. Jérémias: La dernière Cène.

On ne doit pas en effet s'en tenir à < l'institution de l'eucharistie > proprement dite, si capitale soit-elle. Car elle s'insère au cours d'un repas — « tandis qu'ils mangeaient » (Mt-Mc) — qui est un repas d'adieu, pascal, de sacrifice et de communion, en lien étroit avec non seulement la proche passion mais avec toutes la vie du Christ, et son Incarnation même (Lc 22,15*), dans le prolongement des repas sacrés de l’A.T., annonçant et réalisant pour sa part le Royaume eschatologique (Lc 22,16-18*), donc la vie de l'Église, non seulement sacramentelle mais charitable § 316 *). On est au centre du Mystère de la ré-union des hommes à Dieu, et entre eux — donc au centre de l'histoire du Salut, depuis la création du monde jusqu'à la Parousie. L'analyse de ces quelques versets révèle bien l'intégralité de ces perspectives.

Lc 22,15-18 — Luc met en avant, en le redoublant (Lc 22,15-16 Lc 22,17-18), ce que Mt 26,29 et Mc 14,25 ont en finale. On a voulu trouver en ces versets une sorte de première version de la Cène, ce qui aurait fait de l'institution de l'eucharistie proprement dite (Lc 22,19-20), une addition postérieure, diminuant d'autant l'autorité des paroles sacramentelles. Mais il est bien difficile de soutenir que ces v. 19-20 de Lc ne seraient pas aussi authentiques et de la même venue que les v. 15-18: cf. la « critique textuelle et littéraire » de P. Benoit, dans RB 1939, p. 357-393; H. Schùrmann: Le récit de la dernière Cène (Éd. X. Mappus 1966), ou J. Jérémias : La dernière Cène, p. 121-240, qui termine ainsi : « Nous pouvons conclure en toute sécurité que le noyau commun de la tradition des récits de la Cène nous a conservé un souvenir valable pour l'essentiel de ce que Jésus a dit à la dernière Cène ».

Il nous est au surplus possible d'en faire la contre-épreuve. Par une chance si providentielle qu'elle pourrait bien être signée de Dieu pour mieux fonder historiquement notre foi, nous avons sur les deux mystères essentiels de la Résurrection du Christ et de l'Eucharistie, le document à la fois le plus ancien et le plus autorisé qui puisse être, dans le témoignage qu'en donne saint Paul écrivant sa première Lettre aux Corinthiens. L'Apôtre se réfère en effet à ces deux mystères comme à une tradition déjà bien établie et admise de tous : « Je vous ai transmis ce que moi-même j'ai reçu » (1Co 15,3, en // au § 360 *); «j'ai reçu du Seigneur (= « j'ai reçu une tradition qui remonte au Seigneur » — note BJ ou TOB) ce que je vous ai transmis » (// 1Co 11,23). Or, tandis que la date des Evangiles est controversée, en tous cas cette Lettre remonte aux années 50, c'est-à-dire 20 ou 25 ans après les événements, donc en un temps où, suivant l'argument qu'en tire déjà l'Apôtre lui-même, « la plupart des témoins (de la Résurrection) vivent encore » (1Co 15,6).

Lc 22,15 — « J'ai désiré d'un grand désir » : Ils devraient rougir, ceux qui supposent que le Sauveur a craint la mort, et que c'est par crainte de la Passion qu'il a dit : « Père, s'il est possible, que ce calice passe loin de moi ». Deux jours avant de célébrer la Pâque, il sait qu'il sera trahi et crucifié, et cependant il ne cherche pas à éviter les pièges, il ne s'enfuit pas terrorisé : au contraire, alors que les autres ne veulent pas suivre il continue, intrépide. Et voulant mettre fin à la solennité charnelle, et remplacer l'ombre de la Pâque par la véritable Pâque, il dira : « J'ai désiré d'un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir » (Jérôme: PL 26,190).

« Dans cette parole de Jésus comme dans la présentation johannique (Jn 13,1), se trouve mise en valeur l'importance unique de ce repas, par les liens qui l'unissent à la fois avec la Passion qui va suivre et avec le contenu antérieur de la vie du Christ. Ce repas est un accomplissement et un engagement : longtemps à l'avance, le coeur du Seigneur était soulevé par ce désir, comme il était tendu par l'angoisse du baptême qu'il devait recevoir et dont la pensée ne le quittait pas » (J. Guillet: Jésus-Christ, p. 190).

manger cette pâque: Quel que soit le calendrier exact § 313 *) et même si les Évangélistes ne font pas mention de la manducation de l'agneau pascal et des laitues sauvages ou < herbes amères > (Ex 12,8 en // au § 312 , le cadre et le sens pascal du repas résultent non seulement de cette mention de Lc 22,15, mais de tout le contexte, et notamment § 315 . Sur la manière dont les propos des Synoptiques de la Cène s'insèrent normalement dans l'ensemble, plus complexe, du rituel juif du repas pascal, cf. J. Jérémias: La dernière Cène, p. 92-96. À raison, il conclut : ce n'est pas un problème mineur, d'intérêt archéologique. Il s'agit au contraire pour le Christ de se situer dans l'axe même de l'histoire du Salut, Cène et Passion venant < accomplir >* la Pâque dont Jésus respecte à la fois la lettre et l'esprit, en substituant à l'agneau pascal et aux azymes son propre corps et son sang rédempteur (voir à Mt 26,26*). C'est une sorte de sacrifice d'Isaac inversé : au lieu du bélier substitué à l'enfant, Jésus prend la place de l'agneau (Gn 22 — BC I*, p. 115-121). Conformément à ce qu'annonçait le Sermon sur la montagne, loin d'abolir la Loi de Pâques, le Christ l’accomplit au-delà de tout ce que l'homme aurait su imaginer § 53 *). Et comme c'est sur le Calvaire que l'Agneau sera effectivement immolé, Luc ajoute : avant de souffrir — en rappel des liens Cène — Passion. « Souffrir » est en effet le mot par lequel Jésus désigne — peut-être en relation avec Is 53,4 Is 53,10-12 — sa Passion (Mt 16,21 et par; Mt 17,12 Lc 17,25) et plus spécialement sa mort (Lc 24,26 Lc 24,46 Ac 1,3 Ac 3,18 Ac 17,3 1P 2,21 — d'après note z de Tob).

Mais plus largement encore, ce repas accomplit tous les autres. Nous sommes en présence d'un symbole des plus universels. Car la nourriture est si nécessaire aux hommes qu'elle va pour ainsi dire de pair avec la création, et que la divine Providence doit en être le garant, même pour les lions ou « les petits du corbeau qui appellent » (Ps 104,14 Ps 104,21 Ps 147,8-9 Ps 145,15-16 etc.), depuis les premiers jours jusque dans le ciel même (Gn 1,29-30 Ap 22,2). D'où la valeur hautement humaine et religieuse du repas. De la façon la plus sensible, il est facteur de rencontre et de ré-union autour de la même table, reconnaissance implicite de solidarité originelle et fondamentale entre les convives, favorisant l'alliance et la communion, dans la joie généreuse du < partage >. X. Léon-Dufour l'a bien mis en valeur dans la 1° partie de son étude sur la Cène, intitulée à dessein : « Le partage du pain eucharistique selon le N.T.» (à compléter dans le sens indiqué par J. Guillet, dans Rech. sr 1983, p. 418-420). La Bible mentionne ces repas d'alliance entre Isaac et Abimélek, Jacob et Laban, Saül et Samuel, etc... (Gn 26,26-31 Gn 31,44, en // au § 151 ; 1S 9, en // au § 226 , tandis qu'à l'inverse l'absence d'un invité au repas est interprétée comme signe outrageant, demandant châtiment (1S 20,24-30 Est 1,12-20; cf. Mt 22,7).

Le même symbolisme naturel joue entre les hommes et Dieu. L'Alliance avec Yahvé se scelle autour d'un sacrifice qui est premièrement don de nourriture, partage des victimes (Gn 15,7-15). Il y a même des < sacrifices de communion > (Lv 3) dont le but n'est autre que d'entretenir l'Alliance; et quand, au retour de l'Exil, Esdras et Néhémie la renoueront solennellement, ils encouragent le peuple à « manger, boire et envoyer des parts à ceux qui n'avaient rien, dans la joie de Yahvé » (Ne 8, en // au § 139 . Pourtant, si Dieu agrée que l'homme lui offre ainsi de sa nourriture (Gn 18,1-8, en // au § 151 , en définitive celle-ci lui a été donnée premièrement par le Créateur (Ps 50,8-13). Aussi, pour mieux rappeler que c'est Lui le père nourricier, qui nous procure de quoi vivre, Il a fait tomber la manne pendant les 40 années d'Exode d'Israël dans le désert (Dt 8,2-3). Jésus lui-même s'est référé à ce miracle comme à la préfiguration du pain eucharistique (Jn 6,32-33*).

Les // à ce paragraphe rappellent ces différents précédents : // Ps 23,5 Ps 104,14 — nourriture naturelle. // Sg 16,20-26 Ps 78,19-25 Ps 81,17 — manne. // Gn 14,17 Ps 110,4 — forme du sacrifice d'Alliance, pré-mosaïque, « selon l'ordre de Melchisédech ». // Ex 12,1-14 Ex 24,3-8 — forme du sacrifice d'Alliance mosaïque, au Sinaï. // 1R 19,2-8 — don de Dieu conduisant au renouvellement de l'Alliance. // Is 42,6 Za 9,11 Jr 31,31-33 He 9,11-20 — annonce de la Nouvelle Alliance, en Jésus-Christ, intérieurement sanctifiante. // Mt 14,19 Lc 24,30 — deux modèles eucharistiques (cf. § 151 * et § 364 *).

Dans l'Évangile même, en effet, on n'a pas oublié Cana § 29 *), ni « la section des pains » (Introd. aux § 146 -182), ni le ch. Lc 14 de Saint-Luc, et notamment la parabole des Invités au festin § 223 -226). L'Heure est donc arrivée — que le signe de Cana avait devancée, que la double multiplication des pains préfigurait ! Et l'invitation de la parabole évangélique ou du Cantique (// Ct 5,1) retentit : «Mangez mes amis, buvez ! Enivrez-vous, mes bien-aimés ! ».

Mais par suite de cette Heure même, qui est celle de la Passion, la Cène est donc aussi — et en un sens même, surtout — repas d'adieu. Comme tel, il est donc aussi un « testament », que le Maître laisse à ses disciples ; non seulement par ses paroles explicites, développées en Saint Luc et Saint Jean § 320 -335), mais bien plus essentiellement par la permanence de sa Présence, assurée par le sacrement eucharistique. Cette < orientation testamentaire > a été particulièrement mise en relief par X. Léon-Dufour: Le partage, 2° Partie. Par comparaison avec les repas d'adieu célèbres de Socrate et de Bouddha, R. Guardini a montré la transcendance de cette dernière Cène de Jésus (Message de Jn, p. 11-18) :

Avec insistance, Bouddha donne à ses disciples ses suprêmes enseignements : Attachez-vous à la doctrine, non les uns aux autres ! Ne comptez que sur vous-même ; que chacun s'en rapporte à ses propres vues et à ses décisions personnelles, non au Maître. Celui-ci va partir. Alors chacun n'aura que la force de sa volonté et son expérience propre, à part cela personne, rien...

Cent ans plus tard, Socrate porte témoignage (devant ses disciples) de ce qui lui permet d'aller à la mort avec assurance. Sa mort corporelle sera le passage vers la réalité; cette réalité est la vie indestructible, que l'esprit acquiert par la connaissance de la vérité et l'accomplissement du bien. Chacun doit se réaliser lui-même... Chacun sur sa propre conscience, sur la force de son propre esprit maintenant éveillé...

Et maintenant le troisième événement : Jésus était conscient d'être venu de Dieu et d'avoir Dieu pour Père. Il ne parle pas (à ses disciples) comme quelqu'un qui a cherché et trouvé, afin qu'ils fassent de même, mais en vertu du plein pouvoir de sa filiation, en tant que Maître et Seigneur (Jn 13,13) qui seul sait et a autorité, qui même a pu dire : « Je suis la Voie... » Faut-il que sa certitude d'être au-dessus de la vie et de la mort soit divine pour qu'il ait la pensée de se donner aux siens comme nourriture de la véritable vie ! De quelle science profonde doit-Il savoir que son être ne renferme ni désordre ni maléfice pour qu'il puisse avoir la volonté de le donner aux siens en nourriture d’éternité ! Quelle puissance de vie faut-il qu'il possède pour que puisse en émaner la tranquille sûreté de son acte dépassant la mesure naturelle ! Quelle conscience de la pureté, de la toute-puissante pureté !

Il faut garder à l'eucharistie cette multi-épaisseur, < charnelle et temporelle > aurait dit Péguy, ces correspondances entre les repas de la terre et le festin des noces éternelles, par le moyen des repas sacrificiels de l'Alliance, ancienne et nouvelle. L'eucharistie étant le pain qui « nourrit en nous la vie éternelle » (Jn 6), pour nous donner de « partager » entre nous, elle commence par nous < faire part > de la vie divine dès cette terre — que l'Apocalypse appelle « première résurrection », germe de la seconde et définitive résurrection qui, par-delà notre mort, nous fera entrer dans la Béatitude éternelle de Dieu :

Isaac de l’Etoile: Sermon 41, pour le Jour de Pâques (PL 194,1828): Pour le premier homme, Dieu avait préparé, avant même qu'il ne naisse, de quoi le nourrir. Pour le nouveau, avant qu'il ne re-naisse, Dieu forma d'avance de quoi l'alimenter. C'est pourquoi, avant sa Résurrection — qui pour le Christ est unique, mais qui pour nous est figure de notre première résurrection et exemplaire de la deuxième — avant sa Résurrection, dis-je, c'est-à-dire « le jour du calice », il changea le pain et le vin dans le sacrement de son corps et de son sang.

De même qu'il avait créé, du vieil homme, un homme nouveau, ainsi il transforma la vieille nourriture du vieil homme en un aliment nouveau pour l'homme nouveau. « Voici, dit-il, que je fais toutes choses nouvelles ». Nouvelle créature, nouvel aliment; nouvelle vie, nouvelle naissance ; nouvelle mort, nouvelle résurrection. De même que l'homme, créé « âme vivante », a besoin d'aliments pour ne pas perdre la vie — car l'âme donne la vie mais n'est pas capable de la retenir — ainsi la nouvelle créature dans le Christ, en attendant la seconde résurrection qui la rendra « esprit vivifiant », a besoin, après la première ré-génération, d'un aliment qui lui permette de vivre et de grandir dans cette ré-génération, dans cette vie nouvelle.

C'est dans cette perspective, axée sur les deux Adam et le rapport symbolique entre nourriture naturelle et sur-naturelle, eucharistique, conduisant jusqu'au festin eschatologique, que les v. 15-18 de Lc (ou 29 de Mt et Mc 14,25) prennent tout leur sens :

J. Guillet: Jésus-Christ, p. 147-149 : Voici arrivée l'Heure pour laquelle Il est né... l'heure où Il n'est plus le thaumaturge qu'on suit pour avoir du pain, le prophète dont la lucidité rassure, le Messie qu'on pousse au pouvoir, mais uniquement le Fils, celui dont toute la vie est de rendre gloire au Père, d'accomplir sa volonté, de manifester son amour... Et Il donne (sa vie), Il consacre le pain et le vin, Il livre son corps et son sang... D'un seul geste et d'un même mouvement, par le don total de sa vie, Il répond à l'amour de son Père et Il nous fait le don définitif de son amour... La Passion est engagée, elle est née de l'action de grâces du Seigneur, elle est l'émotion de gratitude, d'admiration et de générosité débordant du coeur et devenue geste extérieur et définitif, action de grâces... portée jusqu'au bout, jusqu'à ce que tout soit accompli.

Lc 22,16-18 Mt 26,29 Mc 14,25 // Lv 10,8 — Les deux versets 16 et 18 sont étroitement parallèles :

v. 16 Car je vous le dis - Car je vous le dis v. 18
Je ne mangerai plus... - Je ne boirai plus...
jusqu'à ce que - jusqu'à ce que
soit accomplie - la Pâque soit venu
dans le Royaume de Dieu - le Règne de Dieu

Le double « car » est important. Le premier explique pourquoi si grand désir : c'est que ce qui est enjeu, n'est rien de moins que l'accomplissement éternel du dessein salvifique divin (que symbolisait la Pâque). Le second « car » met en relation ce Règne de Dieu avec ce qui se passe actuellement : « prenez et partagez » — c'est-à-dire non pas encore « l'accomplissement » total (Lc 22,16), mais « la venue » pourtant du Règne, dès ce temps-ci, par les célébrations eucharistiques, comme le précisera la suite (Lc 22,19-20).

C'est bien en ce sens que l'a interprété la Tradition : cf. P. Lebeau: Le vin nouveau du Royaume, 3° Partie. Non seulement en un sens purement eschatologique, réalisable seulement et de façon plénière dans l'Au-Delà, mais en référence à l'Evénement pascal, comme s'effectuant peu à peu par le moyen du sacrement eucharistique lui-même. Origène conjugue cette double signification : Sur Mt (PG 13,1735) : Donc le Sauveur mangera et boira ce pain et ce calice pascals, nouveaux, dans le Royaume de Dieu : il mangera et boira avec ses disciples. De même qu'il n'a pas considéré l'égalité avec Dieu comme une proie à conquérir, mais s'est humilié jusqu'à la mort, de même il mangera le pain, et boira le fruit de la vigne, et le boira de nouveau, et cela avec ses disciples, quand il aura remis le règne à Dieu son Père .... Nous mangerons et boirons dans le Royaume de Dieu ! Bien des textes de l'Écriture le démontrent, en particulier celui-ci : « Bienheureux celui qui mangera le pain dans le Royaume de Dieu » (Lc 14,15). Donc la Pâque sera plénière dans le Royaume de Dieu, et Jésus mangera et boira avec ses disciples ... C'est la vraie nourriture et le vrai breuvage, que nous boirons dans le Royaume de Dieu, pour y puiser et entretenir la vie la plus vraie.

...Ce pain nous est nécessaire, et maintenant, et quand la Pâque sera plénière dans le Royaume de Dieu. Actuellement, elle n'est pas encore plénière, mais alors elle le sera, quand le Sauveur nous aura préparés à manger la Pâque plénière, Lui qui est venu pour porter toutes choses à leur perfection. A présent, c'est un accomplissement comme dans un miroir et en énigme, mais alors, ce sera le face-à-face plénier...Celui qui, prenant le calice, a dit : «Buvez-en tous » n'est pas éloigné de nous quand nous le buvons : il le boit avec nous, puisqu'il est en chacun de nous. Car, seuls et sans lui, nous ne pouvons pas manger de ce pain ou boire de ce fruit de la vigne.

Je ne mangerai plus : En grec, la négation est triplée, ce qui lui donnerait la force d'une sorte de voeu de s’abstenir : pour rendre plus irrévocable et pressant l'engagement (comme du voeu de David au Ps 132,2-5, ou de Saûl en 1S 14,24 Ac 23,12) ; ou encore pour « se consacrer » plus totalement, comme faisait le < Nazir > (Nb 6,1-5), le rapport entre < naziréen > et Jésus le < nazaréen >, cf. BC I*, p. 193), et comme faisaient les prêtres de l'Ancienne Alliance pendant leur service du culte (// Lv 10,8-9). Sur cette « consécration » du Christ dans sa Passion, cf. § 334Jn 17,19*. Cf. J. Jérémias, p. 248 ss. ; M. Thurian: Eucharistie, p. 208 ss. ; P. Lebeau, p. 75.

Et ayant pris une coupe : Le rite pascal juif comportait successivement 4 coupes. Mt et Mc n'ayant gardé que les gestes et paroles du Christ instituant l'eucharistie chrétienne, parlent seulement de la 3°. Lc, indiquant le passage de l'ancien rite au sacrement nouveau, fait mention de la 1° coupe.

Le symbolisme est double : de la coupe, et du vin. Sur ce dernier, cf. Cana § 29Jn 2,3*), ainsi que § 43Mc 2,21-22*. Mais la coupe n'est pas moins chargée de sens : J.M. Garrigues: Dieu sans idée du mal, p. 141-152: « Le mystère de la coupe est le mystère de bénédiction que la liberté peut transformer en malédiction pour sa propre perte. Il semble que le sens ambigu de ce terme vienne de ceci : il s'agit d'abord de la coupe avec laquelle on tire au sort, depuis l'antiquité. On mettait probablement des dés dans un gobelet pour les agiter et tirer le sort ». Mais de là, on passe tout naturellement à ce qui < sort > du coup de dés, comme préalablement contenu dans la coupe. Par métonymie, < la coupe > signifie ce qu'elle contient. Ainsi le lévite du Ps 16 s'émerveille que « le Seigneur est ma part d'héritage et ma coupe / C'est toi le garant de mon sort » (ou de mon lot). En ce sens elle devient < coupe de bénédiction >, « de toute la bénédiction de Dieu recueillie dans (le vin) qui est signe de la surabondance, de la fête et de l'amour (// Ps 23,4 cf. Ps 116,12-13, en // au § 241 ».

Mais comme le vin peut tourner la tête aux hommes (exemple de Noé, cf. BC I*, p. 81-83), « la bénédiction peut enivrer l'homme. Dans son ivresse l'homme devient fou parce qu'il se croit plus qu'il n'est. Or, précisément dans l'ivresse de son enorgueillissement, l'homme montre sa nudité. C'est au moment où il croit être quelque chose que son néant apparaît pour sa honte. Et pire encore pour celui qui enivre les autres... Les textes sur la coupe de la colère sont très nombreux : Ha 2,15-16 Lm 4,21 Ps 11,6 Ps 75,8-9 Jr 13,12-14... » Ainsi la coupe devient-elle < coupe de la colère de Dieu >, mais seulement par voie de conséquence : « C'est nous-mêmes qui en sommes les auteurs ; c'est son Amour bafoué qui par nous et pour nous devient malédiction (Sur < la colère de Dieu > ; cf. § 20Mt 3,7*). La colère de Dieu n'est rien d'autre que l'Amour même de Dieu quand Il frémit de voir comment nous nous précipitons vers le mal et comment nous pervertissons sa propre bénédiction pour notre malheur ». Si bien qu'en somme, cette coupe est celle de /'autodestruction (Is 51,17-23 Jr 48,26 Jr 51,7 Za 12,2 Ap 14,9-10 Ap 15,7 Ap 16,19).

C'est pour nous sauver de ce vertige que le Christ devra accepter de boire cette coupe § 337Mt 26,39*), nous rachetant du péché par « la coupe de son sang » (Mt 26,28*).

Mais pour l'instant, nous n'en sommes encore qu'à la 1° coupe, de bénédiction. « On avait l'habitude de la présenter en silence... La consigne inhabituelle: « prenez et partagez entre vous » (Lc 22,17) ne peut guère s'interpréter autrement que par le fait que Jésus lui-même n'a pas bu avec les autres, pour la raison (« car ») indiquée au v. Lc 22,18 » (J. Jérémias, p. 248-49).

Dans son commentaire, qui a le double mérite de suivre jusqu'en leurs nuances propres chacun des Évangiles, sans pour autant perdre leur sens spirituel, sacramentel, mystique, Baudouin de Ford explique ainsi l'abstention du Christ:

Luc est le seul à faire mention de deux calices, l'un qui appartient au sacrifice ancien, l'autre au nouveau. Après avoir mentionné celui qui appartient à l'ancienne pâque, il suggère qu'il va passer : « Je vous le dis, je ne boirai plus de ce fruit de la vigne, jusqu'à ce que vienne le Règne de Dieu ». C'est comme s'il disait : Maintenant je mets fin à ce calice ; Je ne répéterai plus le rite de l'observance Pascale en buvant de ce calice.

... Trois choses ressortent de ces paroles : qu'il ne boira plus de ce fruit jusqu'à un certain temps ; qu'alors il en boira dans le royaume de son Père ; mais d'abord qu'il a bu de ce fruit, soit à cette heure, soit auparavant: « désormais » indique en effet un changement, une différence [et de fait, le Christ n'avait pas jusque-là refusé de boire, comme les pharisiens le lui avaient reproché : § 108Mt 11,19)...

... Cherchons de quel < fruit de la vigne > le Christ parle : du calice de l'Ancien Testament dont il est dit en Lc 22,17 « Recevez et partagez entre vous », ou du calice du Nouveau Testament dont il est dit, toujours en Lc 22,20 « Ce calice est le Nouveau Testament en mon sang ». Je veux dire : s'agit-il du vin qui se trouvait sans doute dans la coupe du sacrifice légal, ou du sang même du Christ qu'après la Cène il leur tendit sous l'apparence du vin, dans la coupe du Nouveau Sacrifice ?

Il sera utile de chercher d'abord quels sont la nourriture et le breuvage dont use le Christ ... Lui-même le déclare : « Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père. » ...«La volonté de mon Père qui m'a envoyé, c'est que quiconque voit le Christ et croit en lui ait la vie éternelle. » Donc, la nourriture du Christ, c'est le salut du monde...

Or le salut du monde, dont il a soif, il le réalise par des oeuvres successives ... Il l'a réalisé en le commençant dès les jours antiques ... et en chaque détail qui servait cette cause, il s'est complu ... Non seulement il s'est complu dans ce qu'il a fait avant sa venue ou lors de sa venue, mais venant en ce monde il a accueilli avec joie les maux qui lui venaient de notre péché. Dirai-je avec joie, ou avec tristesse ? Il serait plus juste de dire l'un et l'autre. Car il est écrit de lui : « Il s'est levé avec joie et a bondi comme un géant pour parcourir sa carrière », mais lui-même a dit: « Mon âme est triste jusqu'à la mort »... Non seulement dans la chair mais aussi dans l'âme, il a éprouvé une vraie tristesse, — mais il était heureux de la porter. Avec joie il a choisi de souffrir, et il était heureux de la souffrance même. C'est pourquoi il dit : « J'ai désiré d'un grand désir manger cette Pâque... »

L'oeuvre de notre Salut est la volonté du Père, la nourriture du Christ, ce dont il dit sur la croix : « J'ai soif »... Dirigeant donc son regard sur ce fruit et cette fin de son oeuvre, il dit : « Je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne ...» C'est comme s'il disait : Jusqu'à présent, je mettais ma joie à oeuvrer le salut du monde... En tout cela j'ai mis ma joie et j'ai bu le vin d'allégresse ... mais ce n'était pas encore le vin nouveau, la douceur s'y mêlait à l'âpre peine que je sens ... Désormais, c'est-à-dire après ma Passion imminente, je ne boirai plus de ce fruit de la vigne, jusqu'à < ce jour > — celui de ma glorification ; alors, je le boirai avec vous de nouveau ... Vous boirez avec moi, lorsque je vous abreuverai au torrent de mes délices.

Pour en revenir à la question posée : de quel « fruit de la vigne » le Christ parle-t-il, du vin du premier calice ou de celui du second ? On peut répondre que cette expression « le fruit » est une figure qui s'applique à ce que signifie le premier calice, à ce que réalise le second, à ce qui est la fin de l'un et de l'autre. Le sang du Christ, en effet, nous obtient la joie du salut éternel, qui est le vin d'allégresse. Et le premier calice lui-même figure ce vin d'allégresse par une certaine analogie, parce que « le vin réjouit le coeur de l'homme » : c'est pourquoi le Seigneur, au moment où il met un terme à l'un et institue l'autre, parle en figure et fait allusion au rôle de figure qui est celui de la Loi : Il ne donne pas pour seule fin à l'ancien sacrifice son remplacement par le nouveau sacrifice ; mais Il les dirige tous les deux vers l'unique fin, au-delà de laquelle il n'y en a pas d'autre... Et ce que dit le Christ, que dans le passé il a bu non « ce » fruit mais « de ce » fruit, et que dans l'avenir il n' « en » boira pas mais « le » boira, peut signifier la plénitude future de la joie dont Il a goûté les prémices (Sacrement de l'autel, SC 93, p. 224, 176-186).

C'est cette < mise en perspective > que suggère le passage du v. Lc 22,16 — de la pâque antique à la Pâque eschatologique (« accomplissement » intégral et universel, « dans toute l'étendue du Royaume de Dieu ») — au v. 18, où se trouve indiqué par où l'on passe de la figure à l'éternelle réalité : par le sacrement du vin eucharistique, qui dès après la résurrection du Christ, pourra commencer à communiquer le sang rédempteur, instaurant progressivement le Règne de Dieu.

Au surplus, le fait qu'en grec, ce soit le même mot (< Basileïa >) qui, au v. 16 prenne la nuance de < Royaume >, et au v. 18 plus précisément le sens de < Règne > (sur ce vocabulaire, cf. § 19Mt 3,2*) doit nous rappeler l'homogénéité qu'il y a de ce Règne encore partiel et fragile au Royaume définitif. Ici et là, c'est la même divine Réalité, dans la paradoxale tension de notre situation ici-bas, entre le < pas encore > et le < déjà-là >*.

T. Preiss : La vie en Christ, p. 124 : « En célébrant la Cène, Jésus et les siens sont en quelque sorte au seuil du monde nouveau : déjà le passé est accompli en Jésus, et pourtant le présent et ce passé ne seront pleinement réalisés que dans le Règne. C'est dans cette tension entre le monde du passé et le monde à venir que se situe la Cène — comme le baptême d'ailleurs. C"est cette tension que les sacrements permettent de supporter et de vaincre ».

Mais c'est Origène qui a dit de la façon la plus bouleversante cette incomplétude du Christ, tant que ses membres sont encore en proie au péché. Le commentaire part de la figure d'Aaron (= notre // Lv 10,8) pour éclairer le sens de l'abstention du vin par le Christ, non par les Apôtres : Voyons comment nous pouvons appliquer cela à notre Seigneur Jésus-Christ et à ses prêtres et fils, nos Apôtres. Notons d'abord comment ce véritable grand prêtre boit le vin avec ses prêtres, avant de s'approcher de l'autel, alors que, lorsqu'il commence à approcher de l'autel et à entrer dans la Tente de l'Alliance Il s'abstient de vin... Avant d'offrir le sacrifice Il buvait le vin pendant les délais de l'économie terrestre du Salut... Mais dès qu'arriva le temps de sa croix et qu'il fut sur le point d'approcher de l'autel où Il allait immoler sa chair, Il prit une coupe, la bénit et la donna à ses disciples en disant: « Prenez et buvez-en ». Buvez, dit-il, vous qui n'allez point approcher de l'autel pour l'instant. Mais Lui, comme quelqu'un qui va approcher de l'autel, Il dit de lui-même : « Je ne boirai pas... » [Pourquoi diffère-t-il de boire ce vin de la Béatitude éternelle ?]

Mon Sauveur pleure mes péchés, même maintenant ; mon Sauveur ne peut se réjouir, tant que je demeure dans l'iniquité. Pourquoi ne le peut-il? Parce qu'il est notre avocat auprès du Père, ainsi que le dit Jean, son initié : « Si quelqu'un a péché, nous avons un avocat auprès du Père, Jésus-Christ le Juste, qui est lui-même expiation pour nos péchés » (1Jn 2,1-2). Comment donc Celui qui est avocat pour nos péchés pourrait-il boire le vin de l'allégresse, alors que je Le contriste en péchant ? Comment pourrait-il être dans la joie, Celui qui s'approche de l'autel afin d'expier nos péchés alors que l'amertume de nos péchés monte toujours vers Lui ? « Je le boirai avec vous, dit-il, dans le Royaume de mon Père ». Tant que nous n'agissons pas de manière à monter au Royaume, Jésus ne peut boire seul ce vin qu'il a promis de boire avec nous. Il est donc dans la tristesse aussi longtemps que nous persistons dans l'erreur. Car si son Apôtre pleure ceux qui ont péché, que dire de Lui, « le Fils de charité » ? Lui qui s'est anéanti à cause de la charité qu'il avait pour nous (Ph 2,7).

Il attend donc notre conversion, pour se réjouir avec nous... Il nous attend... C'est donc nous qui, en négligeant notre vie, retardons sa joie... Il attend la joie — pour quand ? — « Quand j'aurai consommé mon oeuvre », dit-il. Et quand l'aura-t-il consommée ? Quand moi, le pire des pécheurs, Il m'aura rendu parfait. Alors, il aura consommé son oeuvre. Aussi longtemps que je suis imparfait, son oeuvre est imparfaite. Tant que je ne suis pas soumis au Père, on ne peut pas dire que lui-même le soit — non qu'il lui reste, pour Lui-même, quelque chose à faire en ce sens : mais pour moi, en qui son oeuvre n'est pas achevée. Car nous sommes le Corps du Christ. Mais quand Il aura consommé son oeuvre, et amené toute créature à perfection, alors on dira qu'il est soumis au Père, en ceux qu'il lui soumet : ceux en qui Il aura consommé l'oeuvre que le Père Lui avait donnée à faire pour que Dieu soit tout en tous ... Alors, ce sera la joie et l'allégresse.

Mais n'omettons pas de dire que l'ordre est donné non seulement à Aaron, mais à ses fils. En effet, les Apôtres eux-mêmes n'ont pas encore reçu leur joie : eux-mêmes attendent que je puisse prendre part à leur joie. En quittant ce monde, les saints nous attendent : oui, même nous, retardataires et paresseux ... L'Apôtre Paul le dit : « Ils n'ont pas encore reçu leur récompense » (He 11,39). Vois donc : Abraham nous attend ! Et toi aussi, tu en attendras d'autres, de même que tu es attendu ...

Après cela, Jésus boira enfin le vin — mais le vin nouveau — et ce vin nouveau, dans le ciel nouveau, sur la terre nouvelle et dans les hommes nouveaux : ceux qui chantent le cantique nouveau (Hom. 7,1-2 sur le Lévitique, SC 286, p. 304-322).

Mt 26,26 Mc 14,22 Lc 22,19 — De ce qui précède, il résulte qu'il y a parfaite cohérence entre ce que postulait le « grand désir » de la venue du Règne de Dieu (Lc 22,15-18, auxquels correspondaient les v. Mt 26,29 et Mc 14,25) et les v. Lc 22,19-20 instituant le sacrement grâce auquel se réalisera cette venue, par le passage de l'Ancienne à la Nouvelle Alliance :

Jérôme ; Sur Mt IV (PL 26,195) : Après que la Pâque symbolique fut accomplie, et que le Christ eut mangé la chair de l'agneau avec ses disciples, il prend le pain qui fortifie le coeur de l'homme, et passe au véritable mystère de la Pâque : de même que Melchisédech, prêtre du Dieu Très-Haut, avait offert le pain et le vin en préfiguration du Christ, le Christ lui-même va maintenant les offrir dans la réalité de son corps et de son sang.

Plus précisément, d'après J. Jérémias (p. 95-96): « Si le dernier repas de Jésus a été un repas pascal (suivant le rite juif), la parole interprétative [consécratoire] sur le pain a été prononcée par Lui à l'occasion de la prière de table inaugurant le repas principal: c'est seulement à ce moment qu'on disait sur le pain une prière de louange ... En ce qui concerne la parole interprétative sur le vin, celle-ci n'a pu être prononcée qu'à l'occasion des grâces (Mc 14,23, « Il prononça la bénédiction ») après le repas, puisque, selon Marc, elle a été dite après la fraction du pain (Mc 14,22) mais avant le Hallel (Mc 14,26). Cela est doublement confirmé par saint Paul : par l'expression très ancienne « après la Cène », et par la tournure « le calice de bénédiction » (1Co 11,25 1Co 10,16).

Jésus prit du pain, le bénit, le rompit et le donna : Cette quadruple action du Christ — comme à la multiplication des pains (// Mt 14,19 Lc 24,30 — détermine les 4 grands développements de l'eucharistie chrétienne, quel qu'en soit le rite plus particulier, en Orient comme en Occident : offertoire, prière de bénédiction, fraction du pain et communion. Il est d'ailleurs généralement admis que les Évangiles pourraient bien reproduire ici les paroles même de Jésus telles qu'elles avaient été retransmises, depuis leur origine, dans les liturgies eucharistiques; donc avec une garantie supplémentaire d'avoir été gardées telles quelles, comme cela s'imposait au maximum dans un formulaire sacré. Sur les minimes différences entre les 4 versions, cf. Baudouin de Ford, p. 224-226, et J. Dupont, dans NRT 1958, p. 1029. Sur l'origine < liturgique >, cf. J. Jérémias, ch. 3.

Il prononça la bénédiction : C'est-à-dire la grande prière d'action de grâces (1Co 11,24) commençant par : « Béni es-tu, Seigneur... » (Cf. Melchisédech en Gn 14,19-20; Éliézeren Gn 24,27 David et Salomon en 1R 1,48 1R 8,15 1R 8,56, surtout Ne 9,5-15 Tb 3,11 Tb 4,19 Tb 8,5-6 Tb 10,13 Tb 11,14-15 Tb 11,17 Tb 12,6 Tb 12,17-18 Tb 13,1-17 Tb 14,2 Tb 14,7-8 Tb 14,15 et les psaumes, passim). C'est à quoi correspondent nos «prières eucharistiques >, < préfaces > comprises. Sur la < Bénédiction >, cf. BC I*, p. 87-88 et 93-94. Il rompit (le pain): Geste si caractéristique qu'il sera signe de reconnaissance pour les disciples d'Emmaus (Lc 24,35), et donnera l'un de ses premiers noms à l'eucharistie (Ac 2,42). Après la bénédiction, dirigée vers Dieu le Père, la fraction du pain annonce la communication à tous les convives du Christ et de sa grâce : « Repas du Seigneur et fraction du pain... les deux dénominations primitives convergent dans leur signification. La fraction du pain, qui dit d'abord un rite, signifie aussi bien le < partage > du pain et vise ainsi la dimension sociale de l'eucharistie. De son côté, l'expression < repas du Seigneur >... signifie avant tout que le rassemblement communautaire est fait par le Seigneur et vise ainsi la présence de Dieu lui-même au cours du repas. De quelque côté que l'on se tourne, l'eucharistie lie profondément culte et existence » (X. Léon-Dufour: Le partage..., p. 40).

et Il dit : Ces paroles viennent pour préciser le sens de ce que Jésus est en train de faire (c'est pourquoi J. Jérémias les appelait « interprétatives »). Mais bien plus : Jésus est le Verbe de Dieu; et quand Dieu dit, Il fait. Si, « au Principe », « Dieu dit et la création surgit » du néant (Gn 1,1-31 Ps 33,5-9), quand le Christ-Dieu dit : « Ceci est mon corps », à partir du pain cette fois Il suscite le Vrai Pain. Qu'est-ce à dire ?

« À cause des mots prenez, mangez, cette parole ne peut être ramenée à une simple comparaison (de même que le pain est rompu, de même mon corps le sera). D'autre part, le verbe est (sans correspondant habituel dans la tournure sémitique sous-jacente) ne suffit pas à établir l'identité du pain et du corps. Pour préciser la nature de cette identité, il faut relier les paroles sur le pain et le vin à Celui qui les prononça et au repas où elles déploient leur sens ; il faut aussi remarquer l'atmosphère Pascale (cf. le sang de l'alliance) et sa portée sacrificielle (sang offert pour la multitude) ». Note de la Tob.

bossuet: Méditations il, 33° jour: « Le pain que je vous donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde. Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme (Jn 6,51 Jn 6,52)... Prenez, mangez : ceci est mon corps. I Si vous ne buvez mon sang... Buvez en tous : ceci est mon sang »... Si le manger et le boire de Saint-Jean est le manger et le boire de l'institution, donc en Saint-Jean c'est un manger et un boire par la bouche, puisque dans l'institution visiblement c'en est un de cette nature. Si la chair et le sang, dont il est parlé en Saint-Jean, n'est pas la chair et le sang en esprit et en figure, mais la chair véritable et le sang véritable, en leur propre et naturelle substance, il en est de même dans l'institution ; et l'on ne peut non plus interpréter : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang » d'un corps en figure, d'un sang en figure, que dans Saint-Jean: « Si vous ne mangez ma chair, si vous ne buvez mon sang » de la figure de l'un et de l'autre. Autrement dit : si l'on rapproche ce qu'annonce le Discours sur le Pain de Vie (Jn 6) de son institution, à la Cène (par les Synoptiques), l'interprétation réaliste s'impose.

Du rapport avec Saint-Jean, on voit aussi que « corps » = « chair ». « La chair et le sang » peuvent désigner leur fragilité, ou même leurs limites naturelles (Si 14,18 Mt 16,17), mais aussi bien l'humanité comme telle, en ce qu'elle a de sensible : un < coeur de chair > par opposition au < coeur de pierre >, dur, inhumain. Plus précisément, la chair vaut pour sa capacité nutritive, et c'est le sens dominant dans les sacrifices de l’A.T. (Lv. passim). Cf. Vtb < chair >; et dans notre langue, tlf 5, p. 456-460. Quoi qu'il en soit, et de quelque façon que ce soit, cette Parole établit un rapport entre « mon corps » et « ceci » = « du pain ».


J.Guillet: Jésus-Christ, p. 163-164, 193, 169: Si le pain devient son corps, c'est que son corps est déjà un aliment (Jn 6,55)... Jésus est en effet si totalement donné aux hommes qu'ils peuvent le dévorer tout entier [cf. le Père Chevrier définissant le prêtre : « un homme mangé »]. Son temps, ses forces, son honneur, sa vie, Il ne s'est rien réservé, et l'heure où Il consacre ce pain est également celle où Il va publiquement montrer qu'il ne s'est pas donné pour rire et que, comme le pain, Il appartient aux hommes qui pourront en faire ce qu'ils voudront. Mais, quand ils croiront l'anéantir, ils libéreront au contraire toutes les énergies accumulées en Lui depuis l'Incarnation... Il faut maintenant, pour qu'elle atteigne et nourrisse tous les hommes, que la mort vienne rompre les barrières, que le grain enfoui en terre se voie arracher les enveloppes qui le protégeaient et l'isolaient. Alors, ayant épuisé sa substance, ayant donné tout ce qu'il est, Jésus devient réellement le pain de ceux qui croient en Lui, l'aliment toujours accessible, la vie de son Eglise.

Quotidiennement, c'est le pain qui devient chair par assimilation naturelle. À l'heure où Il donne son corps, Jésus rend aussi le pain dont Il s'est nourri depuis 30 ans ; et parce que le Christ, du pain et du vin qu'il a absorbés et dont Il a fait son être, a toujours fait du même coup un être à notre service, une existence vécue pour nous, le corps qu'il nous livre à la Cène est réellement notre pain vivant... le corps de celui qui s'est tellement dépouillé de Lui-même, tellement identifié à chaque homme qu'il est sa nourriture et sa vie.

qui est donné pour vous. Faites ceci en mémoire de moi (Lc et Paul) : En parallèle avec « mon sang répandu pour vous » (Lc 22,20*) et « Faites ceci en mémoire de moi » (1Co 11,25*).

Mt 26,27-28 Mc 14,23-24 Lc 22,20 // 1Co 11,25-26 Ex 24,3-8 Is 42,6 Za 9,11 Jr 31,31-33 — Prenant le calice : Les prières eucharistiques ont opté pour le mot < coupe >, dont on a vu l'importance symbolique en Lc 22,17*. Mais < calice > a pris le sens, « usuel » dit le tlf 5, p. 41, réservé au premier chef à cette « coupe incomparable employée dans la célébration eucharistique pour la consécration du vin ». Même « au sens figuré », sa signification est d'abord religieuse, « par référence à la prière de Jésus à Gethsémani ». Donc, ici comme là, premièrement sacrificielle. En découlent, « par analogie » seulement, les sens profanes, très secondaires : en botanique, zoologie, architecture; et même le sens érotique, qui tient de cette origine quelque chose de blasphématoire. En un temps où l'on déplore à juste titre, la perte des signes chrétiens qui nourrissaient encore le fonds inconscient de notre culture, il nous a semblé utile de garder ce terme, notamment pour sa relation à Gethsémani et à la Passion du Christ.

Ceci est mon sang, le sang de l'Alliance (Mt-Mc) : Formulation retenue par la liturgie. Mais litt. il y a: « mon sang de l'Alliance ». Le double déterminatif « mon » et « de l'Alliance » est une construction insolite; on l'a donc soupçonnée de n'être pas authentique. Mais, demande J. Dupont (dans NRT 1958, p. 1031-32), est-il si sûr que Jésus ne pouvait prendre à l'égard des lois de la grammaire des libertés qu'il prenait à l'égard de la Loi de Moïse ? C'est bien plutôt la traduction exacte de l’événement : l'ancienne Alliance, conclue au Sinaï dans le sang des victimes (// Ex 24,3-8), devient « la nouvelle Alliance en mon sang » (formulation de Lc et Paul) = ce que dit à sa manière « mon sang, [sang] de l'Alliance ». Notre Alliance, c'est Jésus lui-même (// Is 42,6).

Ce calice est la Nouvelle Alliance : Baudouin de Ford : Le sacrement de l'autel, p. 232-234 : Entendons : en lui se trouvent la cause, le motif, l'énergie pour accomplir ce que commande le Nouveau Testament et obtenir ce que celui-ci promet. En lui sont la fin et la consommation de la Loi, en lui la plénitude de la grâce et de la vérité, en lui est le « mystère de la foi », le fondement de l'espérance, le témoignage de mon amour, l'exemple de votre obéissance, « le gage de votre héritage », le sacrement de votre renouveau, la confirmation de votre religion... Ce calice est un philtre d'amour, que le Christ nous a préparé selon un art connu de Lui seul.

en mon sang répandu pour vous : Comme le corps « donné pour vous » (Lc 22,19), c'est évoquer sa mort, que symbolisait également la séparation visible et expresse du pain-corps et du vin-sang. Par là, cette double « consécration » prend valeur < sacrificielle > : « La préhistoire de ces textes est assurément très complexe. Reste que tous supposent le double thème du sacrifice, avec la vie donnée pour les autres, et de l'alliance, celle-ci étant d'ailleurs toujours associée au sang, c'est-à-dire au sacrifice. Une alliance et un sacrifice, cela veut dire un geste posé une fois pour toutes, ouvrant une ère nouvelle et lui donnant sa figure et son sens... Si l'on prend au sérieux l'intention de Jésus de faire de sa mort l'origine de cette alliance, il n'y a pas à soupçonner les textes d'introduire avec ces « pour » une théologie postérieure, de l'expiation ou de la substitution. Le geste que fait Jésus, il le fait pour ces hommes : il n'est pas de langage plus naturel... inséparable de l'avenir qu'il engage » (J. Guillet : Jésus devant sa vie et sa mort, p. 212-213).

Parce que la théologie des XVI°-XIX° siècles s'est cristallisée sur cette question, on est parfois tombé, par réaction, dans l'excès inverse. Mais on ne saurait impunément oblitérer cette évidence que « le christianisme est fondé sur le sacrifice. Il n'est donc pas étonnant que l'Eucharistie... où se dit et se fait l'Église, soit précisément le mémorial de ce sacrifice fondateur » (L.M. Chauvet, en conclusion à lmd 123) — 1975) — Eucharistie, repas du Seigneur ou sacrifice, p. 76). S'appuyant sur le « suédois Yngve Brilioth », L. Bouyer rappelle que « dans la forme traditionnelle de la liturgie chrétienne, on doit trouver ces 4 éléments : la communion (au sens de < Koïnônia >, de participation commune aux dons, et par conséquent de < Communia Sanctorum >), le sacrifice, l’eucharistie proprement dite (c'est-à-dire l'action de grâces) et le mémorial, le tout étant animé par le < Mystère > qui s'y joue ».

« ...Dans l'usage le plus primitif et le plus fondamental de toutes les liturgies anciennes, la terminologie sacrificielle est directement appliquée à l'action que l'Église accomplit quand elle se rassemble pour l'eucharistie... tout est sacrificiel dans la synaxe chrétienne. Le trait distinctif du N.T. tel que les premiers auteurs chrétiens l'ont compris à la lumière du ch. de Jr 31 (cf. Il) est précisément que son sacrifice n'est plus renfermé dans un rite spécial, mais qu'il est le tout de la vie chrétienne pour autant qu'elle est une vie dans l'agapè, l'amour divin. Il s'ensuit que le repas, qui exprime et en quelque sorte incarne cette agapè, est lui-même et dans tous ses détails sacrificiel au plus haut sens du mot. Ainsi, ce n'est pas seulement le fait de manger et de boire à ce repas qui est sacrificiel, mais c'est aussi le cas de la prière de bénédiction qui est dite sur la nourriture » (Vie de la Liturgie, p. 101-104).

C'est ce que corrobore l'étude d' H. Gazelles sur le rapport entre Eucharistie, bénédiction et sacrifice dans l'A.T., rappelant que cette < bénédiction > (prononcée à la Cène par le Christ, d'après Mc et Lc) n'est pas un simple cantique d'action de grâces, en ce sens que, ce faisant, « elle rend présente la puissance de grâce de Yahvé... C'est une < proclamation > de l'action salvifique de Dieu dans le repas lui-même » (lmd 123, p. 11 et 27). Il ne faut donc pas dire « repas ou sacrifice », mais bien : « eucharistie et sacrifice ».

répandu pour vous (Lc) ou : pour la multitude (Mt-Mc) : C'est le < Polloï >* = innombrables (comme en Is 53,12, en // au § 309 . Le Christ a « livré » son corps et son sang pour tout le monde, sans exception.

en rémission des péchés* (Mt) : Voilà le but, et de la Passion du Christ, et des sacrements qui nous unissent à ce Mystère — et < en mystère >, puisque sacra-mentellement = mystiquement — nous < partageant > (communion = < Koïnô-nia > = Communion des saints) les fruits de cette Rédemption*.

Faites ceci en mémoire de moi (Lc 22,19 // 1Co 11,24 1Co 11,25) : Déjà, pour la première Pâque, Yahvé avait prescrit : « Ce jour restera pour vous un mémorial, de génération en génération, par une loi perpétuelle » (Ex 12,14, en // au § 315 . La célébration annuelle de la pâque juive se référait donc à l'événement passé, de l'agneau pascal et de la délivrance du servage de l'Egypte. Mais en même temps, ce rite préfigurait la Pâque à venir, et définitive, annoncée par Ézéchiel (Ez 45,21), accomplie en Jésus-Christ, vrai « Agneau de Dieu » et Rédempteur de tous les hommes. De même l'Eucharistie qui est instituée à la Cène doit être, suivant l'ordre du Seigneur, réitérée tout au long des siècles à venir, d'abord en lien avec cet événement unique, central de toute l'histoire qu'est la première Cène, unie à l'immolation de l'Agneau de Dieu au Calvaire. Mais cette mort, qui nous délivre de l'esclavage du péché, est le départ d'une vie < neuve > (cf. § 320Jn 13,34 < nouveau >), de cet < Exode > où, à la suite du Christ glorifié, nous gagnons la véritable < Terre Promise >, qui est le ciel et le banquet eschatologique (Lc 22,16-18*). C'est ce que précise parallèlement 1Co 11,25-26 en joignant le « Faites ceci en mémoire de moi »... à : « en attendant que Je vienne ». Même dans le N.T., nous restons dans le temps, entre le < déjà-là > et le < pas encore >*.

Ce qu'il y a pourtant d'absolument neuf dans ce mémorial de la Nouvelle Alliance, c'est qu'on ne se réfère plus seulement à des événements historiques, fussent-ils les < Mirabilia Dei >, les merveilles de l'intervention divine à l'origine d'un Peuple élu de Lui, fût-ce même la mort du Calvaire : « Faites ceci, dit le Christ, en mémoire de moi ». Ce qui nous est rendu présent dans l'eucharistie chrétienne, ce ne sont pas seulement des bienfaits de Dieu, c'est le Christ lui-même, en qui s'accomplit totalement le Don du Père...

C'est donc le < Mémorial > non seulement de la Cène et de la Croix, mais « de tout ce qui a conduit à la croix, depuis le sacrifice d'Abel ou de Melchisédech, et de tout ce qui a résulté de la vivifiante passion du Christ, c'est-à-dire sa Résurrection et sa glorification (qui inclut l'effusion de l'Esprit, l'édification de l'Église et finalement la consommation de toutes choses dans la divine agapè) » (L. Bouyer: L.c.).

D. Barsotti: L'Apocalypse, p. 113: Le Christ est le fondement, le sens et l'explication de l'histoire et de la création ... Il est à la fois le vainqueur et la victime sacrifiée, le Lion et l'Agneau. Il est l'Agneau parce que la mort de la Croix est un sacrifice, et son sacrifice est cet acte liturgique qui remplit le ciel et la terre, l'éternité et le temps. Il est le contenu de l'histoire, le contenu de la création, le contenu de l'éternité. Mais cet acte de la mort de la Croix est aussi l'acte de la victoire du Christ sur les puissances du mal : car en mourant il est vainqueur. La victoire du Christ est la Résurrection. En fait, l'Agneau est immolé et se tient droit sur ses pieds. La liturgie ne s'accomplit plus comme la première fois dans la succession du temps, où les deux aspects qui constituent l'acte du Mystère furent séparés : d'abord la mort, puis la Résurrection. Maintenant, au contraire, la liturgie rend présents les deux aspects en un seul acte : l'Agneau égorgé est sur ses pieds, mort et ressuscité, sur l'autel. Ainsi en est-il dans la liturgie de la messe ; ainsi dans le ciel. Non seulement le Christ mais tous les saints y vivent leur mort, dans la consommation de leur humanité transfigurée par la gloire divine.

< Mémorial > ici ne signifie pas seulement pieux souvenirs, mais y faisant participer à la Croix et à tout le Mystère du Salut, de par la présence du Christ à cette célébration eucharistique : « L'action liturgique rend présent le Christ en ce qu'elle est commémoration posée par Dieu, non par les hommes » (R. Guardini: Le Seigneur il, p. 79). « L'Église croit que le Christ est présent... Elle croit que ce qu'elle fait aujourd'hui, c'est Lui-même qui est en train de le faire par elle. Elle croit que cette action d'aujourd'hui, qui est à Lui comme à elle, est finalement l'unique action salvatrice de Dieu par le Christ à travers l'histoire, c'est-à-dire que la messe c'est la Croix, mais la Croix toujours vue dans la perspective totale déjà indiquée » (L. Bouyer, Ibid. p. 106).

Le Christ est ainsi doublement présent à toute célébration de l'eucharistie, sous la double apparence (sacramentelle) des espèces du pain et du vin devenus corps et sang du Christ, et du prêtre lui aussi < sacrement > du Christ-Prêtre (// Ps 110,4 Lv 10,8). Cette présence est réelle, mais tout à la fois sacramentelle, et à ce titre < symbolique >, ce qui est sensible étant signe de la présence invisible encore que réelle: l'opposition entre < réel > et < symbolique > est le désastreux effet d'une méconnaissance du réalisme du symbole. De même que — on l'admet enfin à présent —, l'Évangile de Saint-Jean n'est pas moins historique parce qu'il montre dans les événements réels une portée symbolique ...

Concile de Trente : 13° Session (du 874) — fc 735) : Le saint Concile enseigne et professe ouvertement et sans détour que, dans le vénérable sacrement de la sainte Eucharistie, après la consécration du pain et du vin, notre Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, est présent vraiment, réellement et substantiellement sous l'apparence de ces réalités sensibles.

Thomas d’Aquin : Lecture de l'ancien bréviaire pour la fête du Saint-Sacrement : Les immenses bienfaits de la libéralité divine envers le peuple chrétien lui confèrent une inestimable dignité. Car il n'est ni ne fut jamais une nation si glorieuse qu'elle ait des Dieux s'approchant d'elle comme notre Dieu nous est présent. Le Fils de Dieu, en effet, voulant que nous participions à sa divinité, a pris sur lui notre nature pour nous faire Dieux en se faisant homme. Et cela même qu'il a pris de nous, il l'a consacré tout entier à notre salut. Car il a offert son corps en sacrifice à Dieu son Père sur l'autel de la Croix pour notre réconciliation; et il a versé son sang, à la fois comme rançon et comme bain, afin que rachetés d'un malheureux esclavage nous soyons purifiés de tous nos péchés. Et pour que la mémoire éternelle d'un si grand bienfait demeurât parmi nous, il a laissé à ses fidèles son corps en nourriture et son sang en breuvage, sous les espèces du pain et du vin qu'ils doivent recevoir.

...En ce festin, ce n'est plus la chair des taureaux et des béliers, comme sous l'ancienne Loi, qui nous est donnée, mais le Christ lui-même pour être notre aliment: Car dans ce sacrement le pain et le vin sont changés substantiellement en corps et sang du Christ. Et le Christ, Dieu et Homme parfait, est présent sous l'apparence d'un peu de pain et de vin.

Il est donc mangé par les fidèles : mangé, mais non déchiré : bien loin de là ! Car si l'on partage le sacrement, le Christ demeure tout entier et indivisé, dans la moindre parcelle. En ce sacrement, les accidents subsistent sans le sujet, pour que la foi ait sa place quand une substance visible est reçue invisiblement, cachée sous une apparence étrangère. Et les sens sont exempts d'erreur, puisqu'ils jugent seulement des accidents qui leur sont connus.

Aucun sacrement n'est aussi efficace pour le salut, car il efface les péchés, augmente les vertus, enrichit l'âme de tous les charismes spirituels. Il est offert dans l'Église pour les vivants et pour les morts afin d'être utile à tous, ayant été institué pour le salut de tous. Dans ce sacrement, la joie spirituelle est puisée à sa source, et la suprême charité qu'a montrée le Christ dans sa Passion est rendue présente.

Pour convaincre plus fortement le coeur des fidèles de l'immensité de cette charité, le Christ, dans la dernière Cène, lorsqu'ayant célébré la Pâque il était sur le point de passer de ce monde au Père, institua ce sacrement comme mémorial éternel de sa Passion, comme l'accomplissement des figures de l'Ancienne Loi, comme le plus grand de ses miracles, et la consolation éminente de ceux qu'attristait son absence.

Mais pourquoi cette présence réelle est-elle si < cachée > ? — Ainsi, Dieu met-il à l'épreuve notre foi : Rupert de Deutz : Sur Mt x (PL 168, 1550-1551): Non seulement Abraham, mais presque tous les saints en sont un exemple. Et la Sagesse a dit à leur propos : « Si, devant les hommes, ils ont souffert des tourments, c'est que Dieu les a mis à l'épreuve et les a trouvés dignes de Lui » (Sg 3,4-5). Et Moïse : « Dieu t'a conduit au désert pour te mettre à l'épreuve ... et savoir si tu gardais ses commandements, ou non » (Dt 8,2). Dans ce sacrement [de l'eucharistie] Dieu nous met à grande épreuve : une épreuve qui quête la foi. « La foi, dit l'Apôtre, est la substance des choses que l'on espère, la preuve de ce qui n'apparaît pas » (He 11,1). Il fallait donc que < la chose > n'apparaisse pas, et laisse la place à cette < substance > qui est la foi. Il fallait, dis-je, que la chose, à savoir la chair et le sang, n'apparaisse pas : moins pour épargner la répugnance naturelle à nos sens, que pour laisser la place à cette « substance des choses que l'on espère », à cette « preuve de ce qui n'apparaît pas » : la foi, en vertu de laquelle nos anciens ont reçu bon témoignage, dit le même Apôtre (He 11,2) ...Et si tu considères tous les anciens à qui l'Écriture Sainte a rendu bon témoignage, tu trouveras que leur foi a été mise à l'épreuve sur ces « choses qui n'apparaissent pas », qu'ils ne pouvaient pas voir, mais seulement espérer.

Baudouin de Ford : Le sacrement de l'autel, p. 212 : Vois le pouvoir de ce sacrement ! Dieu a décidé de revêtir d'immortalité ce corps mortel, de changer la vie mortelle en vie éternelle. Il change donc notre nourriture en une autre nourriture, notre pain de vie en un autre pain de vie, le pain de la vie transitoire en pain de vie éternelle. Ce changement d'une nourriture en une autre doit nous faire croire, comprendre, espérer et attendre le changement de notre vie mortelle en vie immortelle... Il réalise le changement de la vie mortelle en vie éternelle et en est le signe... L'effet de ce changement mystique est donc la perfection de la vie bienheureuse ; mais le droit chemin vers elle est la perfection de la justice c'est-à-dire d'une vie bonne...

Du réalisme de l'eucharistie et de ses fruits, découle en effet le sérieux de l'engagement que nous y prenons, comme l'indique la mise en garde dont saint Paul fait suivre immédiatement son rappel de l'institution de l'eucharistie: puisque manger ce pain et boire ce vin, c'est « annoncer la mort du Seigneur » dans l'attente de la venue de son Règne (1Co 11,26, correspondant à Lc 22,16-18 ou Mt 26,29 et Mc 14,25), alors bienheureux qui vivra cette assimilation au Christ et à son sacrifice (c'est-à-dire: qui se donnera comme Il s'est donné).

Syméon le Nouveau Théologien : Hymne 19 (SC 174, p. 104).

Tu es le paradis, tu es l'arbre de vie,
et le pain de douceur, et le philtre divin ...

J'ai trouvé le Christ, et par lui tous les biens :
Je vois le bois jeté dans mon coeur,
tout ce qui est amer changé en douceur.

J'ai mangé la manne et le pain des anges,
j'ai vu mon âme porter des fruits.

J'ai découvert en moi le Royaume des cieux,
qui est le Père, le Fils, et l'Esprit.

p. 646


Bible chrétienne Evang. - § 318. L’institution de l’eucharistie : Mt 26,26-29; Mc 14,22-25; Lc 22,15-20 //1Co 11,23-26