Bible chrétienne Evang. - § 354. Jésus et sa mère : Jn 19,25-27

§ 354. Jésus et sa mère : Jn 19,25-27


(Jn 19,25-27)

— En grec, la construction < Mén... dé... > relie cette scène à celle du partage des vêtements (v. 23-24*), tandis que le v. 28 affirme qu'avec ce qui précède, « tout est accompli » (voir au § 355 *). Nous sommes donc au summum de la Passion et de son fruit rédempteur. En outre, si la tunique sans couture était symbole de l'Unité qui doit caractériser l'Église « Une, Sainte, Catholique et Apostolique », il est à présumer que, dans le prolongement des v. 23-24, ces v. 25-27 ont une portée ecclésiale, d'autant plus que les v. 31-37 concluront sur cette même perspective.

Curieusement, les Pères s'en tiennent au sens littéral, et soulignent la piété filiale de Jésus mourant, soucieux de confier sa mère au disciple qu'il aimait. A. Feuillet remarque d'ailleurs que ce sens immédiat et pratique ne doit pas être négligé. Mais qu'il y ait une révélation plus profonde en cette 3° Parole du Christ en Croix, les auteurs spirituels des XI°-XII° siècles l'avaient déjà mis en valeur, notamment Rupert de Deutz , que nous avons plaisir à voir reconnu par I. de, la Potterie comme « le meilleur commentateur de Jean au Moyen Âge ». L'École Française tout entière, de Bérulle à Grignion de Montfort, orchestrera ce thème de la maternité spirituelle de Marie, prototype de celle de l'Église (voir plus bas, au v. 26*). Sur cette interprétation, des origines à Scheeben, cf. les 2 fascicules du « Bull, de la Soc. fr. d'Études mariales » 1959, Éd. Lethielleux 1960. L'exégèse contemporaine va dans ce sens : d'une bibliographie importante, retenons pour guides : F.M. Braun : La mère des fidèles (1954) ; M. Thurian : Marie, mère du Seigneur, figure de l'Eglise (1963) — rien que ces titres sont significatifs — A. Feuillet : Les aDieux du Christ à sa mère et la maternité spirituelle de Marie 735 (nrt 1964, p. 469-489); I. de la Potterie: Passion-Jean, p. 144-167.

Jn 19,25 // Lm 1,12 — On peut compter 4 femmes si « Marie, femme de Clopas » est une autre que « la soeur de la mère » de Jésus (car on s'étonnerait que deux soeurs portent le même prénom). Mais il se pourrait aussi qu'il n'y en eût que 3, car l'absence du « et » dans cette énumération tendrait plutôt à faire penser que « Marie femme de Clopas » vient en apposition de « la soeur de sa mère », pour indiquer son nom. Dans ce cas cette « autre Marie » (Mt 27,61) pourrait être celle que Mt 27,56 et Mc 15,40 qualifient de « Marie mère de Jacques le mineur (par distinction du majeur, fils de Zébédée et de Salome, comme son frère Jean) et de José » — d'autant plus que ceux-ci étaient tenus pour « frères de Jésus » c'est-à-dire ses cousins, à juste titre si leur mère était la tante du Christ § 144Mt 13,55-56*). De toute façon, la liste ne prétend pas être exhaustive, puisque le verset suivant mentionnera Jean, et que Mt ou Mc attesteront la présence de Salome (Mc 15,40). En fait, il y a deux groupes : « de loin », celui des femmes « qui ont accompagné Jésus depuis la Galilée » (Mt-Mc); s'en détache le petit groupe venu jusqu'auprès du Crucifié.

Stabat Mater : Éplorée, certes [ // Lm 1,12), mais debout, loin de la pâmoison imaginée au déclin du Moyen Âge ou à l'âge baroque. Car la compassion de la Vierge ne se clôt pas sur sa propre douleur, elle est tout entière active, maternelle. C'est ce qu'indique ce mot de < mère > qui va revenir pratiquement 6 fois en ces 3 versets, et décliné de façon à montrer la passation ou l'extension de cette maternité spirituelle, puisqu'on va de « sa mère » (bis, au v. 25) à « la mère » (litt, en effet, Jn répète ce mot également deux fois au v. 26, mais en supprimant le possessif < sa >), et enfin à « ta mère » (v. 27, redoublé par le pronom « la prit », qui réfère à « ta mère » et par conséquent revient à dire que Jn « la prit pour mère ». Rien ne vaut le < Stabat Mater > de jacopone da todi pour méditer cette compassion de Marie, et ranimer en nous le sens du péché ainsi que la confiance en la mère du Sauveur. Il se trouve dans les anciens missels (latin-français), à la fête de N.D. des Sept Douleurs, le 15 septembre.

Jn 19,26 — Jésus, voyant... dit... : M. de Gosdt a montré dans nts 1962, p. 142-150 qu'il y avait là un < schème de révélation > déjà employé par Jn pour préciser tant la vocation de Jésus (Jn 1,29-34) que celle des premiers disciples (1,35-39.47-51). A chaque fois, il y a corrélation entre voir et dire, le nom ainsi donné en fonction d'une vision quasi prophétique prenant valeur de vocation : à Jésus d'Agneau de Dieu, à Simon de < Pierre >, à Nathanael de < Véritable Israël >.

Or ici, ce que voit Jésus n'est pas seulement « sa mère » ou « le disciple », mais précisément l'une et l'autre, l'une près de l'autre. Si bien que la révélation va porter sur leurs relations profondes, naturellement insoupçonnables. Au surplus, il est remarquable que l'Évangéliste garde leur anonymat (alors qu'il vient au contraire d'appeler par leur nom Marie femme de Clopas et Marie de Magdala). Et le retrait du possessif < sa > mère, remplacé par « la » mère tend à faire plus encore de Marie le type même de « la » mère, et de Jean « le » représentant de « l'ensemble des chrétiens qui gardent les commandements de Jésus » (braun).

« Femme » : Appellation tout à fait inusitée de la part d'un fils. Donc volontaire, et qui rappelle Cana § 29 — Jn 2,4*). Dans un Évangile aussi composé que celui de Jn, cette rencontre ne saurait être sans dessein. De fait, si le premier miracle présageait l'Eucharistie et la Passion, en devançant symboliquement « l'Heure »*, nous sommes précisément à cette Heure où le signe va effectivement « s'accomplir » (Jn 19,28), en ces mêmes versets 26-27 confirmés par les v. 31 à 37 § 356 *).

« voici ton fils » : Que Jésus commence par donner Jean pour fils à Marie suffirait à montrer que le sens n'est pas premièrement de confier sa mère au disciple. L'important est d'abord qu'entre ses deux proches, Jésus révèle un lien de mère à enfant. En ces deux versets, tout porte donc à donner à la double expression « voici ton fils... voici ta mère » le maximum de force effective et réaliste : non seulement le < schème général de révélation > (M. de Goedt), mais les « Voici »* annonçant un événement surnaturel, la corrélation entre les deux formules, leur ordre, enfin leur parallélisme avec la prophétie peu auparavant proférée par Pilate : « Voici l'homme... voici votre roi » (Jn 19,5*. 14*). C'est dire que la maternité de Marie n'est pas seulement physique mais qu'elle a toujours été, même vis-à-vis de Jésus, spirituelle; et Celui-ci l'a précisé, un peu brutalement, pour mieux faire entendre que là était le principal, offert à tous ceux « qui écoutent la Parole et l'accomplissent » § 122 *).

Un tel enfantement n'est donc pas seulement réservé à Marie et, comme l'observe Rupert, Jésus l'applique à ses Apôtres éprouvés par sa Passion (Jn 16,20-22*), et par là à l'Église. Mais comment cette parabole des douleurs de l'enfantement ne s'appliquerait-elle pas tout d'abord, et de façon incomparable, à cette « mère de Jésus » devenant « mère des fidèles »? (PL 169,789-790): « Entre Jn 16,21 compris symboliquement et la scène du Calvaire, la connexion est évidente » (A. Feuillet: Jésus et sa mère, p. 134-136). Tel était « le glaive » qui, d'après la prophétie de Syméon en Lc 2,35*, devait « transpercer l'âme » de Marie.

Non qu'il faille, avec saint Bernard, dramatiser sur la perte qu'elle subirait en recevant le disciple à la place de Jésus : car il n'est pas question d'une substitution, mais bien plutôt d'une extension universelle de cette première maternité, et pour ainsi dire d'enfanter une seconde fois Jésus en nous. Ainsi l'a précisé la Tradition postérieure, et notamment Grignion de Montfort dans son Traité de la Vraie Dévotion à la Sainte Vierge (n° 31 à 33) : Dieu le Fils veut se former et, pour ainsi dire, s'incarner tous les jours, par sa chère Mère, dans ses membres... Si Jésus-Christ, le chef des hommes, est né en elle, les prédestinés, qui sont les membres de ce chef, doivent aussi naître en elle par une suite nécessaire. Une même mère ne met pas au monde la tête ou le chef sans les membres, ni les membres sans la tête... de même, dans l'ordre de la grâce, le chef et les membres naissent d'une même mère... Saint Augustin dit que tous les prédestinés, pour être conformes à l'image du Fils de Dieu, sont en ce monde cachés dans le sein de la très sainte Vierge, où ils sont gardés, nourris, entretenus et agrandis par cette bonne Mère, jusqu'à ce qu'elle les enfante à la gloire...

// Gn 3,20 Gn 25,28 Gn 27,13-29 Is 66,8 Ps 87,5-7 — Même si Jn ne fait pas expressément allusion à ces parallèles, on aurait tort croyons-nous de les exclure. Car ainsi que le remarque A. Feuillet, le souvenir du premier « Jardin », et plus encore celui du Premier Homme ainsi que la naissance d'Eve § 356 — Jn 19,34*) affleure en ces paragraphes. Si Jésus est le Nouvel Adam, quand il affecte de nommer « Femme » sa mère, n'est-ce pas comme à la Nouvelle Eve, « mère des vivants » à bien plus juste titre ? Quant à Rebecca, voir en BC I, p. 87 les //, et en BC I*, p. 136-139, les indications sur le sens typologique de son intervention pour que Jacob, assimilé à son frère aîné, reçoive l'héritage de la Promesse — comme nous-mêmes revêtus du Christ...

Mais il est vrai que, plus directement encore, nous reconnaissons en cette maternité universelle de Marie l'accomplissement des prophéties faites à « la fille de Sion », et la figure de l'Église (// Is 66 et Ps 87 — Sur l'interprétation mariale du Ps 87, cf. Cm. Behler: Louange biblique..., p. 14-30). Autrement dit, « la Bienheureuse Vierge Marie fait la jointure entre la < consummatio >* de la Synagogue et la naissance de la sainte Eglise (Gerhoh de Reichersberg, cité dans Passion-Jean, p. 158).

La Vierge, dira-t-on, pouvait-elle avoir conscience du mystère qui s'accomplissait ainsi au Calvaire ? — L'Évangile n'en dit rien. Mais si le Christ en eut conscience*, comment n'en aurait-il pas communiqué quelque chose à sa Mère et à son associée, ne serait-ce que par la prophétie de Syméon. A la mesure de sa grâce, incomparable, Celle qui « recueillait tout en son coeur pour en déchiffrer le sens convergent » § 10 — Lc 2,19*) comprenait infiniment mieux que nous les Écritures et les événements. Comme le déduit Rupert: Oeuvres du Saint-Esprit II,24 (PL 167,1630; SC 131, p. 260): Il y avait un seul homme au monde, en ce temps [de la Passion] qui connût la Sagesse : le Christ, la Sagesse de Dieu en Personne. Car, dit l'Écriture, la Sagesse était cachée aux yeux de tout vivant, 737 cachée même aux oiseaux du ciel (Job 28,21)... Nous exceptons cependant avec certitude la Bienheureuse Mère de Dieu, qui était alors parmi les vivants. La Sagesse, en effet, ne s'était absolument pas cachée de ses yeux à elle ; car Notre Dame était prophétesse, et prophétesse à nulle autre pareille, l'Esprit Saint ayant fait confluer dans le sanctuaire de son coeur toutes les prophéties.

Et si l'ange Gabriel fut envoyé à Marie pour qu'elle puisse librement, donc en connaissance de cause, donner son < fiat > au mystère de l'Incarnation (si semblable à celui du Christ à Gethsemani : § 4 et § 337 — Lc 1,38* et Mt 26,42*), pour entrer pleinement dans le mystère de Rédemption il a fallu que d'une manière ou d'une autre elle fût avertie de son rôle.

Gardons-nous en tous cas de supposer que cette maternité, du fait qu'elle est spirituelle (mieux : mystique), serait moins réelle que l'enfantement physique. Ce que dit le Verbe, c'est fait. Quand Jésus dit : « Voici ton fils », Marie devient plus profondément et effectivement notre mère que par toute maternité seulement biologique. De même en effet que le vrai Temple, le vrai Pain, la vraie Vigne, etc... c'est Jésus, dont nos églises, notre nourriture quotidienne ou notre vin ne sont que des signes — plus matériels donc plus tangibles mais d'autant moins accueillants, sanctifiants, vivifiants — de même la maternité de Marie « accomplit » l'attente de la création, depuis ses origines. (Sur Ap 12 et son application mariale, cf. A. Feuillet: Et. Jo., p. 272-310). Elle devient le prototype de tous les enfantements spirituels qui se feront par la suite dans l'Église, et par elle :

C. Journet : L'Église du Verbe Incarné, II, p. 427-428 et 432 : Quand on dit que Marie est le prototype de l'Eglise, on veut dire que Marie est, dans l'Église, plus Mère que l'Église, plus Epouse que l'Église, et, par exemption du péché originel, plus Vierge que l'Eglise. On veut dire que Marie est Mère, qu'elle est Épouse, qu'elle est Vierge, avant l'Eglise et pour l'Église ; que c'est en elle surtout et par elle que l'Église est Mère, est Épouse, est Vierge. C'est par un élan mystérieux qui vient de Marie, c'est par une excellence mystérieuse qui se diffuse à partir de Marie, que l'Église peut être, à son tour, si vraiment Mère, si vraiment Épouse, si vraiment Vierge. Dans l'ordre des grandeurs de sainteté, qui sont les grandeurs suprêmes, Marie est, autour du Christ, comme la première onde de l'Église, génératrice de toutes les autres, jusqu'à la fin du temps.

Quand nous disons que l'Eglise est mariale, nous voulons signaler que Marie est intériorisée dans l'Église, à qui elle communique son esprit...

En raison de la modalité mariale de la grâce de l'Église, on peut déjà dire que Marie est forme, forme modalisante intrinsèque de l'Église.

Si nous passons dans le registre de la causalité exemplaire, c’est-à-dire de la causalité formelle extrinsèque, Marie nous apparaît comme la forme, c'est-à-dire comme le modèle, le type de l'Église. Saint Pierre demandait aux presbytres qui régissaient l'Église d'être les modèles, les types du troupeau qui leur était confié (1P 5,3). En un sens incomparablement plus haut, Marie est modèle et type de l'Église. Elle est, à l'intérieur de l'Église, la forme en laquelle l'Eglise s'achève comme Epouse, pour se donner à l'Epoux.

Plus l'Eglise ressemble à la Vierge, plus elle devient l'Épouse ; et plus elle devient l'Epouse, plus elle ressemble à l'Epoux; et plus elle ressemble à l'Epoux, plus elle ressemble à Dieu : car ces instances superposées, entre l'Eglise et Dieu, ne sont que des transparences, dans lesquelles se réfléchit l'unique splendeur de Dieu.

Jn 19,27 — Filiation et maternité étant corrélatifs, ce qui a été dit au v. 26 s'applique au v. 27. Ajoutons seulement que si Marie est un reflet de l'amour < maternel > de Dieu pour ses enfants (références en A. Feuillet: nrt 1964, p. 480-481, notamment la suite du // Is 66, v. 10-14 en // aux § 333 et § 332 , tenir compte de ce don du Christ et vivre en < enfant de Marie > c'est entrer dans une < religion > plus confiante en la tendresse de Dieu, notre Père-et-Mère.

Jn 19,27b — Suivons le résumé qu'I. de la Potterie fait lui-même de ses deux grands articles de « Marianum », dans Passion-Jean, p. 160-165 :

A partir de cette heure : « La formule contient une tension. Une perspective est ouverte sur le temps à venir, mais qui a commencé dans une action bien déterminée : il la prit chez lui ». Ajoutons que le « Et » initial prend valeur de conséquence : la proposition de ce v. 27b qu'il introduit est la réponse « du disciple » à la révélation : Marie est ta mère (avec toujours l'anonymat, d'application illimitée).

la prit: Ce verbe peut avoir le sens de saisir (une chose), ou de recevoir (une réalité spirituelle, comme l'Esprit Saint), enfin d'accueillir quand il s'agit d'une personne qui, en Saint-Jean, est toujours Jésus et son message — à la seule exception de Jn 19,27, où c'est Marie qui se trouve donc ainsi traitée par le disciple comme son Maître.

chez lui: Outre sa simplicité lapidaire, l'expression « la prit chez lui » a l'avantage de garder un sens premier d'hospitalité et de convivialité qui n'est pas sans importance (A. Feuillet): Mais il faut y mettre surtout « une nouvelle relation spirituelle entre Jean et Marie » : celle que la Parole précédente du Christ a déterminée. Mieux que des conditions de vie matérielle, se trouve ainsi indiqué ce que Jean a vécu dans la foi comme le plus haut don que son Maître ait pu lui communiquer : d'être formé par la même mère que Lui ! Traduction proposée par le P. de la Potterie : «Il l'accueillit dans son intimité». A mettre en relation avec Jn 1,11 : « Le Verbe est venu dans sa propre maison (< eis ta idia >, comme ici), et les siens ne l'ont pas reçu (même verbe < prendre > qu'ici). Une variante (fautive mais intéressante) de la Vg interprète : « accepit eam in suam (au lieu de : in sua): il l'accueillit comme sa mère ».

p. 738


§ 355. La mort de Jésus: Mt 27,45-56; Mc 15,33-41; Lc 23,44-49; Jn 19,28-30


(Mt 27,45-56 Mc 15,33-41 Lc 23,44-49 Jn 19,28-30)

— La présentation des Synoptiques est assez différente de celle du IV° Évangile, tout simplement parce que le propos différant, les Évangélistes mettent en valeur les faits qui peuvent le mieux illustrer ce qu'ils ont à nous révéler. Commençons par Jn, puisque ses v. 28-29 sont le prolongement direct des v. 25-27.

Jn 19,28-30 — Ce qui frappe immédiatement, c'est la triple répétition du verbe « accomplir ». Mais Passion-Jean p. 167-181 montre que les 1° et 3° fois se répondent, suivant un schéma concentrique* où le verset central (dont nous reparlerons à propos des Synoptiques avec lesquels il correspond) oppose seulement le contraste de l'incompréhension des soldats à ce qui se révèle aux v. 28 et 30 :

Jn 19,28 Sachant que tout est accompli, Jn 19,30 Il dit: c'est accompli...
Jésus dit: J'ai soif et Il remit l'Esprit

Après cela : L'expression grecque indique un rapport direct avec ce qui précède (A. Feuillet: nrt 1964, p. 473). Donc le « tout est accompli » porte avant tout sur le lien maternité-filiation entre la mère de Jésus et son (ses) disciple(s).

Tout est accompli... fût accomplie... C'est accompli : Nous avons souvent constaté combien le souci d'« accomplir »* la Loi et les Prophéties était fondamental pour Jésus, dans la mesure même où l'A.T. est à ses yeux — donc aux nôtres — la révélation du dessein éternel de Salut et du « comment il fallait* que le Christ souffre pour entrer dans sa gloire » (comme le Christ va l'expliquer aux disciples d'Emmaüs, au § 364 — Lc 24,26*). Jésus venant pour réaliser enfin cette Volonté du Père au prix de son « obéissance jusqu'à la mort et la mort de la Croix », son oeuvre tout entière s'inscrit dans cet < accomplir >. Mais il se trouve exprimé par deux familles de mots: l'un signifiant plutôt < remplir, compléter, atteindre la plénitude > ; l'autre incluant l'idée de < fin >, au sens de terme < définitif >, mais aussi et par conséquent de but atteint, donc d'oeuvre faite et parfaite (Concordance NT < Remplir > et < Fin > ; cf. Vtb < Accomplir >). Le sens est donc ici à la fois : C'est achevé, c'est parfait. Ou encore, suivant une traduction classique : « Tout est consommé » (Osty).

Suivant c. BAMPFYLDE (nt 1969, p. 247-260), A. Feuillet (Mystère de l'amour p. 30-31) et I. de la Potterie rattachent « afin que l'Écriture fût accomplie » non à ce qui suit : « Il dit : J'ai soif », mais à ce qui précède. Ce qui donne :

« Sachant que tout était accompli pour que l'Écriture fût accomplie... » Autre- 739 ment dit, ce qui serait visé pour accomplir jusqu'au bout les Écritures ne serait plus la IV° Parole mais la m" (à Marie et à Jean). La triple répétition d'accomplir est pourtant déjà suffisamment insistante pour que l'on hésite à y ajouter cette redondance pénible. Et surtout, sans doute convient-il de comprendre avec A. Vanhoye (dans son étude sur < accomplir >, Rech. sr 1960, p. 410-415) que Jn vise moins la réalisation matérielle de telle ou telle prophétie, que « l'achèvement du combat et la victoire de Jésus », c'est-à-dire l'amour porté «jusqu'à l'accomplissement total de l'Amour » § 316 — Jn 13,1*; c'est le même mot < Télos >, si bien que A. Vanhoye y voit une sorte d'inclusion* faisant porter cet accomplissement sur la Cène et la Passion qu'elle englobe). Telle était bien « l'oeuvre » que le Père avait donné à son Fils d'accomplir (Jn 4,34 Jn 5,36 Jn 17,4*).

J'ai soif : En tous cas, c'est un thème biblique fréquent, d'autant plus que l'histoire d'Israël a dû passer par l'expérience du désert, et plus généralement, de la terre « stérile, aride et sans eau » (Ps 63,2).

Cette soif peut s'entendre ici en tous les sens. Physique, certes, le supplice de la Croix l'excitant par « les pertes sanguines, la sudation et le travail musculaire intense » (R. Gilly, p. 119); mais bien plus encore, spirituel :

On peut d'abord y reconnaître une soif de notre salut, comme l'ont souvent répété les commentateurs médiévaux. Aux références données par Passion-Jean, p. 173, ajoutons ces lignes d'ARNAULD de Bonneval, témoignant que les chrétiens n'avaient pas perdu de vue le souci de la conversion d'Israël, dont Jésus le premier, et saint Paul, nous donnent l'exemple: La charité du Christ a soif de toi, ô Juif! Change ton intention et redis ta prière. Tu as dit : « Son sang sur nous et sur nos fils! » C'est bon, ce que tu as dit, si tu le diriges comme il faut. Que son sang soit sur toi : sois enseveli avec lui par le baptême pour avoir part à sa mort... Bois avec nous au calice de sa Passion, (PL 189,1704).

En relation avec « la coupe »* de la Colère de Dieu* et des ignominies de la Passion, que Jésus lui-même avait redoutée à Gethsemani § 337 — Mt 26,39*), on peut interpréter ce < sitio > comme un ultime acquiescement à ce nouvel

< admirable échange >, qu'après l'Incarnation, la Rédemption nous assure:

A. Feuillet ; Le sacerdoce du Christ..., p. 188 : Avec insistance, Jésus se représente sa Passion comme une coupe que son Père lui donne à boire... La coupe en question est celle de la colère divine que Yahvé destine à ses ennemis. Jésus la boira donc à la place des pécheurs, et c'est parce qu'il l'aura bue que nous pourrons ensuite boire à la coupe du salut, celle de V eucharistie : il y a en effet un rapport caché entre les deux coupes de la Cène et de Gethsémani.

On pourrait même supposer que ce < sitio > exprime le tourment que le Christ aurait confié à sainte Catherine de Sienne, de ne pouvoir supporter des souffrances que dans les limites de son humanité individuelle, alors que son Amour, venant de sa Personne divine, était illimité (cité § 337 — Lc 22,40-46*). Ce qui expliquerait que, même si à Lui seul Jésus est l'Agneau de Dieu portant le péché du monde, Il ne cherche pas moins en ses membres des « humanités de surcroît » qui acceptent de « compléter en leur chair ce qui manque aux épreuves du Christ, en faveur de son Corps, qui est l'Eglise » (Col 1,24).

Mais Saint-Jean a pris soin de nous préparer à entendre ce « J'ai soif » en un sens plus profond encore. Rappelons-nous la Samaritaine, à qui Jésus semble aussi d'abord demander à boire, pour préciser aussitôt à cette femme qu'en réalité Il voulait plutôt lui proposer une Eau éternelle § 81 — Jn 4,7-14*). Puis au § 258 — Jn 7,37-39*, le Christ a promis ces « fleuves d'eaux vives » dont Jn précise aussitôt que c'est l'annonce de l'Esprit, qui serait donné quand Jésus aurait été « glorifié »*. Or nous savons que par là, l'Évangéliste désigne la Croix, source de Salut, donc de gloire pour le Père et pour son Envoyé.

Dans le Discours après la Cène, Jésus avait à plusieurs reprises insisté sur ce lien entre son « départ » et le don de l'Esprit. Comme pour nous confirmer cette ouverture des torrents d'eau vive dès sa mort, Jn insistera solennellement au § 356 *, sur l'Eau et le Sang jaillis du Coeur transpercé du Crucifié. Et ici | même, il le marque déjà par le parallélisme susdit entre les v. 28 et 30 :

Jn 19,30 — Inclinant la tête, Il remit l’Esprit : Il s'agit bien de sa mort; mais ni en grec ni dans sa transcription latine (Vg), l'expression n'a le sens de notre « il rendit l'esprit », banalisé en synonyme de < mourir >.

D'une part en effet, le verbe signifie plutôt : donner, et plus particulièrement, remettre, livrer, transmettre; d'autre part cet < esprit > peut désigner en grec et en latin aussi bien qu'en hébreu (voir < Ruah >, en BC I*, p. 44-45 et 76) : le vent ou le souffle, l'esprit (de l'homme) ou l'Esprit (de Dieu). De la sorte, Jean nous suggère discrètement qu'en cette mort et par elle, Jésus peut commencer de transmettre l'Esprit Saint, comme il va le faire < sacramentellement > en soufflant sur ses Apôtres, dès le soir de Pâques § 367Jn 20,22*). Et le parallélisme entre les v. 30 et 28 est fait pour confirmer que la soif qui tourmentait Jésus en ses derniers instants de vie terrestre était que s'ouvrent enfin ces temps nouveaux de l'effusion de l'Esprit, annoncés par Jl 3. La mort du Christ est donc bien présentée par le IV° Evangile suivant sa ligne propre, comme le 1° avènement de la Gloire du Christ.

Mt 27,45 Mc 15,33 Lc 23,44-45a — Les ténèbres : Lc en esquisse, à la grecque, une explication cosmologique par éclipse de soleil, peu convaincante (puisqu'on est en période de pleine lune). Nous savons d'ailleurs qu'un phénomène par exemple comme < la danse du soleil > à Fatima, le 13 octobre 1917, peut être constaté par des milliers de personnes — y compris de ceux qui s'y refusent, ou sont éloignés de la foule et occupés à autre chose — sans pour autant être enregistré par les observatoires astronomiques. Et pourquoi Dieu n'aurait-il pu, en ces heures uniques et centrales dans l'histoire du monde, plonger les assistants dans une obscurité surnaturelle?... En tous cas, c'est précisément ce que l'événement du Calvaire a d'unique et de central en sa réalité la plus mystique (c'est-à-dire cachée parce que touchant à Dieu), que les Synoptiques s'attachent à nous suggérer en recourant à ce symbolisme antithétique < Lumière-Ténèbres >*, si naturel qu'il est un des thèmes fondamentaux de la poésie universelle. La Bible et, à sa suite, la Tradition chrétienne y reviennent souvent : Voir DS < Lumière > et < Nuits >, IX, 1142-1183 et xi, 519-525.

La création commence par la séparation de la lumière naissante d'avec les ténèbres originelles (BC I / A et B et BC I*, p. 32-33); la Fin du monde sera « Jour d'obscurité et de sombres nuages / Jour de nuées et de ténèbres » (So 1,15). Le symbolisme joue donc entre tous les degrés de la réalité : l'opposition est cosmique (jour-nuit) aussi bien que messianique (Jésus, Lumière du monde) ou divine (Dieu du ciel, démons de l'enfer), psychologique, morale ou spirituelle (« soyez enfants de lumière »), eschatologique enfin. La 9° Plaie d'Egypte orchestrée par Sg 17-18, en donne l'image la plus saisissante (BC I / Iy); mais aussi le « C'était la nuit » de Judas sortant du Cénacle § 317Jn 13,30*).

Il ne faudrait pourtant pas trancher de façon trop manichéenne un symbolisme qui est, comme à l'ordinaire, polyvalent. Non seulement les < nuits > peuvent être révélatrices ou purifiantes, mais les < ténèbres > sont la condition appropriée à la révélation d'un Dieu ineffable, que l'homme ne peut « voir » et connaître sur cette terre qu'en mystère, par la voie de la foi et de la théologie < apophatique > du Dieu < Tout Autre > (par exemple chez Denys: cf. DS II, 1894-1908). C'est ce qu'indiquent déjà les Alliances de L’A.T., d'Abraham au Sinaï, qui se concluent dans une ténèbre surnaturelle (// Gn 15,12 Ex 19,16-18). Pareillement, la Passion a commencé dans la nuit de Gethsémani, et quand le sacrifice de la Croix renouvelle l'Alliance, « les ténèbres se font »...

Le // D'Amos 8,9-10 prend valeur de prophétie par « l'obscurité en plein midi » comme par « la fête (de Pâques) changée en deuil du Fils unique ». Mais remarque-t-on assez que dans la grande prophétie d'Is 60, la Gloire de Yahvé est annoncée comme se levant tandis que « les ténèbres couvrent la terre » (en // au § 14 — comparer avec Mt-Mc-Lc : « se firent sur toute la terre »). Jean l'a expliqué : « la Lumière luit (d'autant plus) dans les ténèbres » (Jn 1,5 et ses // P. 4 et 5). Ces ténèbres ne doivent donc pas tant signifier une sorte de deuil de la terre (qui viendrait plus normalement après la mort du Christ), que l'état général d'en- 741 ténèbrement du monde (pécheur : Mt 6,23) en proie au « Pouvoir des ténèbres » (Lc 22,53*), sur lequel se lève « le Soleil venu d'en haut nous visiter, pour illuminer ceux qui habitent dans les ténèbres » § 8 .

Plus impressionnant encore, après le tumulte et les moqueries précédentes (Mt 27,39-44), le silence de ces 3 heures. Il y a là extérieurement comme un vide, où s'opère en réalité le Salut du monde, par le sacrifice du Crucifié.

Mt 25,46-50 Mc 15,34-37 Lc 23,46 — La mort de Jésus va au contraire se passer en quelques instants. D'après Mt et Mc entre deux « grands cris » : là où même la parole fait défaut, ne restent plus que le cri ou les larmes : cf. Ps 5,2-4 Ps 6,7 Ps 69,4 qui est l'un des grands psaumes de la Passion (en // au § 141 .

// Ps 22,2 Ps 89,20, Ps 89,46 He 2,17-18 — Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? : Parole qui nous demeure des plus mystérieuses, peut-être dans la mesure même où elle exprime le plus profond de la souffrance du Christ, qui est entre Lui et son Père. Voir G. Rossé: Jésus abandonné, approches du mystère (Nouvelle Cité 1983), et tous les commentaires.

Évitons d'abord deux interprétations extrêmes, en tenant compte du contexte. — 1) Que ce ne soit pas un aveu de désespoir pur et simple, suffirait à le prouver le cri lui-même : car tant qu'on se tourne vers Dieu, serait-ce dans la pire détresse ou même la révolte et le blasphème, le fait de crier encore vers Lui « de profundis », est au contraire la suprême espérance que saint Paul reconnaît en Abraham « espérant contre toute espérance » au moment de sacrifier son fils (Rm 4,18), et qui inspire pareillement Job, ou le psalmiste clamant jusque dans la tombe: « Seigneur! Dieu qui me sauve ! » (Ps 88,2, en // au § 357 .

Nous en avons la confirmation dans le // Entre Mt-Mc et Lc ou Jn. Car à la différence des 4 premières Paroles, bien différenciées, les 5°, 6° et 7° se recoupent, étant chacune la dernière Parole du Christ en Croix. À la sérénité de « l'oeuvre » accomplie (Jn 19,28-30*) s'ajoute l'acte d'espérance explicite de « remise au Père », tiré du Ps 31,6, non moins prophétique de la Passion que le Ps 22. Le Christ reste donc, jusqu'en sa mort, dans son attitude filiale d'obéissance et de parfaite confiance.

— 2) Mais ce n'est pas dire qu'on puisse à l'inverse affaiblir ce « rugissement », par exemple en prétextant que le Christ s'est borné à « entonner » un psaume pour nous référer à sa finale, qui est un chant de triomphe. Certes ! il est vrai que ce Ps 22 prophétise le déroulement de la Passion et son retournement glorieux, avec une précision impressionnante: rejet du peuple et moqueries des assistants, supplice du crucifiement et partage des vêtements (v. 7-9.12-16.17-19 en // au § 352 . En jaillira le Salut pour « toutes les familles des nations » et « les générations à venir » (Ps 22,28-29 Ps 22,31-32, en // aux § 370 et § 361 . Mais on n'en est justement pas encore là. Et il faut d'abord que le Christ éprouve la réalité de cet < abandon > divin, tel que l'exprime la littéralité en même temps que la mysticité de ces 4 mots :

Dieu : La prière du Christ comme Fils témoigne de son intimité avec « Abba, Père » (passim, et ici en Lc 23,46). En comparaison, Dieu sonne plus lointain.

mon Dieu: C'est faire appel à l'Alliance: « Ils seront mon peuple et je serai leur Dieu» (Bc I*, p. 247).

pourquoi?: C'est la question d'une conscience sans péché, donc sans raison qu'elle se trouve séparée de Dieu, puisque « Dieu n'abandonne que si nous l'avons nous-même abandonné — Non deserat nisi deseratur » (Aphorisme d'Augustin, repris par le Concile de Trente, d.u. 804). L'étonnement, proche du scandale, est du même type qu'à la fin du Ps 44, où Israël se plaint à Yahvé qu'il l'ait « livré, vendu, moqué, traité en brebis d'abattoir » alors que « nous n'avons pas trahi ton Alliance » (v. 10-23) — reproche assez semblable au // Ps 89,20 Ps 89,46).

m'as-tu abandonné: Que ce soit en hébreu ou en grec (Foresi, cité par G. Rossé, p. 88), ou en français (tlf), ce verbe inclut une idée de rupture, de non-assistance, laissant quelqu'un à lui-même, dans une situation critique, et le livrant de ce fait à ses adversaires.

Car telle est bien la criante réalité : Dieu a résisté à la < tentation > des adversaires de son Christ : « S'il est Fils de Dieu, que son Père le délivre » § 352 — Mt 27,39-43*). Mais parce qu'il a refusé d'intervenir, Jésus — déjà « livré »* par Judas au Sanhédrin, par le Sanhédrin à Pilate, et par Pilate « à leur volonté » § 349 — Lc 23,25) — se sent cette fois « livré » par son Père lui-même, qui semble donner raison à la logique (trop humaine) de ses ennemis.

Mais plus haute est la Sagesse divine (Is 55,8-11). Même l'A.T. avait révélé dans < le mystère du Juste souffrant > une valeur de rédemption (G. rossé, p. 57-61). A plus forte raison, le Christ se sait et se veut solidaire des pécheurs, pour les sauver.

// He 2,17-18, C'est l'explication théologique, sûre puisque révélée, du présent mystère : « Il fallait »* que le Christ rejoigne le pécheur jusque dans son abandon de Dieu, et que par conséquent il éprouve quelque chose de cette déréliction, la pire qui soit. Déjà l'Incarnation était un « Envoi » et une sorte de déchéance acceptée de la condition divine à la condition servile (Ph 2,7). Mais il lui fallut* « s'humilier plus encore, jusqu'à la Croix » (Ph 2,8), et jusqu'à ce tourment d'une certaine communion à la séparation du pécheur d'avec Dieu.

Origène le premier avait compris le « Deus, Deus meus... » en ce sens mystique (cité G. Rossé, p. 83-86. Sur la suite de la Tradition chrétienne, cf. p. 87-108. Qu'elle soit bien dans le prolongement de la pensée de Mt, cf. B. GERHARDSSON, dans RB 1969, p. 222-225). On hésiterait pourtant à parler comme Urs von Balthasar d'une certaine < expérience de l'enfer > (références, ainsi que mises au point de J. Guillet et G. Martelet — Ibid., p. 103-108).

Car en « se livrant » ainsi lui-même (Ga 1,4 Ga 2,20 Ep 5,2 Ep 5,25), suivant le Dessein éternel de Salut qui Le livrait (, , en // aux § 353 et § 349 début), Jésus retrouvait par le fait même pleine communion avec le Père, en un suprême abandon. En s'offrant au creux du pire < abandon > (délaissement), Jésus fait acte du plus filial < abandon > (de confiance). Dans l'obéissance de sa Passion, « ayant tout accompli Il a pu devenir l'Auteur de notre Salut éternel » (He 5,7-9 en // au § 337 . On pourrait traduire, « ayant été rendu parfait, Il a parfait le projet divin » de l'Amour éternel du Père envers nous § 24Mt 3,17b*). La mission reçue lors de son baptême s'opère dans ce « baptême » de la Croix § 212 — Lc 12,50).

Mt 27,47-49 Mc 15,35-36 Jn 19,29 // Ps 69,22 Lm 3,15 Lm 3,19 — Éli ou Éloï sont assez loin d'Êlîyâhû (Élie). Le quiproquo peut s'expliquer par la croyance populaire d'un retour d'Élie § 170Mt 17,10*). Mais la réaction de celui qui veut donner à boire répond plutôt au « J'ai soif » de Jésus. Or ni Mt, ni Mc n'avaient mentionné cette Parole, que plus tard Saint-Jean rapportera seul : ainsi les Évangiles se complètent : < Concordantia discordantium >*.

Le geste pourrait être de compassion, mais le // du Ps 69,22 (tout entier prophétique de la Passion-Résurrection) tendrait à en faire un geste de dérision, comme du reste le quiproquo prolongeant les moqueries du § 352 . Le // Lm 3,15 Lm 3,19 rappelle que la véritable amertume dont Jésus est abreuvé lui vient de Dieu : « Pourquoi m'as-tu abandonné ». Voir les v. 1 à 4 de cet autoportrait de « l'homme des douleurs » en // au § 349 .

Mt 27,50 Mc 15,37 Lc 23,46 (et Jn 19,30 — voir plus haut) // Ps 31,2 Ps 31,9 Gn 4,10 He 5,7 Gn 2,7 Qo 12,7 — Le dernier cri, noté par les Synoptiques et par le // He 5, rejoint la clameur que fait monter de la terre (// Gn 4,10) « tout le sang répandu sur la terre », de l'homme par l'homme, « depuis le sang juste d'Abel... » § 288Mt 23,35*). C'est aussi le même cri de la misère humaine que celui des possédés, des aveugles ou de la Cananéenne (Mt 8,29 Mt 9,27 Mt 15,22).

Il expira : Mc, plus concret, suivi par Lc, emploie le verbe qui fait image, en jouant du symbolisme entre souffle et esprit : autrement dit, Jésus partage notre condition humaine jusque dans sa mort (// Gn 2,7 Qo 12,7 Gn 35,18 Gn 743 Sg 16,14, etc.). Mais Jn la met en relation avec le don de l'Esprit (19,30*).

Mt 27,51-53; Mc 15,38; Lc 23,45 // Ex 26,31 He 9,8-10 He 10,19-22 Ap 6,12 Ap 6,15-16 — Mt seul note le tremblement de terre et les morts qui sortent de leur tombe : c'est une sorte de première < Fin du monde > que cette ouverture des temps messianiques où, comme l'annonçait Ezechiel (37,1-14), les ossements desséchés reprennent vie. En même temps, c'est l'image des Derniers Temps, avec leurs troubles cosmiques (Mt 24,7 et 29-31) préludant à la Parousie et la Résurrection générale. L'Apocalypse annonce entre les deux un écart de Mille ans (chiffre éminemment symbolique), qui permette aux générations successives — donc à nous — d'entrer dans le Royaume par l'engagement de la foi, l'espérance et la charité.

Le voile du Temple se déchira en deux, du haut en bas : En Mt, rentre dans les signes de fin du monde. En Lc, cette déchirure va de pair avec l'obscurcissement, comme le signe de deuil de la nature aussi bien que de la religion juive : elle prend alors le sens d'une révélation de ce qu'avait d'inconsciemment prophétique le geste du Grand Prêtre déchirant ses vêtements § 342 — Mt 26,65-66) et, à l'inverse, le refus de partager la tunique sans couture § 352 — Jn 19,23-24*). En Mc (comme d'ailleurs en Mt, qui souligne d'un < Voici >*), l'événement fait immédiatement suite à la mort du Christ, dont il semble éclairer symboliquement la portée religieuse. Négativement, c'est l'annonce de la destruction du Temple, de la fin du culte et du sacerdoce de l'A.T. Positivement, c'est l'ouverture du sanctuaire, jusque-là inaccessible (// He 9), à tout le monde, laïc et même ex-païen, par la Révélation du mystère de Dieu. En particulier, tombe le voile qui couvrait Moïse (= l'A.T.), rendant difficile de discerner en lui la figure du N.T.: Ex 34,29-35 // 2Co 3-4, dans BC i/Lp-Lr, et Bc I*, p. 273-74.

Le Temple étant symbole du monde céleste, cette déchirure montre que vient de s'accomplir ce que, lors du baptême du Christ, présageaient les cieux « ré-ouverts » (Mt-Lc) : Mc écrit même « Il vit les cieux se déchirer » § 24 — Mt 3,16*). Correspondance importante, que Jn complète en rappelant que le vrai Temple, c'était le corps du Christ § 77 — Jn 2,21*). Ses adversaires pouvaient bien « détruire ce temple », en le faisant mourir; ils ne pouvaient l'empêcher de donner sa vie pour eux, et de rétablir ainsi la liaison entre terre et ciel, en trépassant « à travers le voile de sa chair » (// He 10,20) jusqu'« au-delà du voile » (He 6,19-20), en avant-coureur. Ainsi, de sa mort nous recevons la grâce d'avoir désormais « accès à Dieu » (// He 10,19 Rm 5,1-2 en // au § 123 . Sur tout ceci, cf. P. Lamarche: Révélation de Dieu, p. 121-129.
Mt 27,54; Mc 15,39; Lc 23,47-48 // Sg 4,17-18 — Un célèbre répons des Vigiles du Samedi-Saint (inspiré d'Is 57,1 et de Sg 3-4) traduit la stupeur devant l'inconscience des hommes en présence de cette mort, à la fois unique et perpétuée dans celle des martyrs et des saints : « Voilà donc comment meurt le Juste, et nul n'y réfléchit en son coeur ! Les hommes justes sont enlevés sans que nul ne s'avise que le juste a été soustrait à la vue du mal : il est désormais dans la Paix, comme un souvenir de Paix ». Même si les impies n'y comprennent rien (// Sg 4,17-18), tout homme droit peut y reconnaître Dieu :

Bernard : Sur le Cantique, 28,4 (PL 183,923; Éd. J. Leclercq 1P 195): L'Évangéliste a soin de le préciser: « Le centurion, voyant comment Jésus avait expiré (< avec un grand cri >), affirma: Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu ». C'est à la voix qu'il crut, à la voix qu'il reconnut le Fils de Dieu. Sans doute était-il de ces brebis dont Il a dit : « Mes brebis entendent ma voix ».

En Mt et en Lc, cette confession de foi a moins de force, par la multiplicité des assistants, le motif de crainte chez Mt, ou l'atténuation de « Fils de Dieu » en « cet homme était un Juste » (Lc). Mc, lui, campe en un face-à-face personnel ce centurion (donc un païen) et son Sauveur; et surtout, sa profession de foi épouse celle du premier verset de ce même Evangile : « ...Jésus-Christ, Fils de Dieu » § 19 ). Cette inclusion* souligne le point de convergence, et non seulement de Mc, mais de Lc § 2 ), ou de Jn § 356 — Jn 19,35*).

Mt 27,55-56; Mc 15,40-41 ; Lc 23,49 // Ps 38,12 Ps 38,22-23 — Plusieurs femmes, de loin : Comme dans le Ps 38,12) — mais qui laissait aussi entendre en finale que Dieu, Lui, n'était pas loin de son Envoyé. Elles regardaient : comme lors de l'ensevelissement § 357 . Sur le rôle de ces femmes, cf. § 359 *.

ATHANASE: De Incarnatione (PG 24,133): Tout ce qu'a fait le Sauveur est divin, et digne de sa divinité. Les hommes meurent par la faiblesse de la nature : de cette défaillance viennent les maladies, et quand les forces sont épuisées, la mort. Mais dans le Seigneur, il n'y a aucune faiblesse : il est la Force de Dieu, le Logos de Dieu, sa Vie même. S'il était mort dans son lit comme la plupart des hommes, on aurait cru que cela lui arrivait par maladie, et qu'il n'avait rien de plus que les autres. Or il était la Vie même et le Verbe de Dieu : son corps était conforté par la vie et la puissance de Dieu même. Puisqu'il fallait qu'il meure pour tous, l'immolation ne vint pas a" un affaiblissement de son corps mais d'une cause extérieure... Et Il déposa son corps, non parce que la mort l'y contraignait, mais en échange de la mort qui régnait sur les hommes…,

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Bible chrétienne Evang. - § 354. Jésus et sa mère : Jn 19,25-27