Bible chrétienne Pentat. 14

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b — Appel à la sensibilité littéraire.

Que vaudrait un chef d'orchestre qui n'aurait pas de sensibilité musicale? demande P. Beauchamp. On ne lui conseillerait même pas d'être musicologue... La Bible est littérature, et que Dieu en soit aussi l'inspirateur ne fait que redoubler la profondeur de son art. Pourtant, il est trop patent que, dans la formation et les examens qui habilitent les exégètes, autant les sciences les plus diverses sont requises, autant l'on semble se soucier peu de la sensibilité littéraire des candidats.

L'exemple d'un H. Gunkel mériterait d'être davantage retenu. Car s'il eut tant d'intuitions fécondes, sans doute le dut-il pour une bonne part à ce qu'il fit aussi de la critique théâtrale, l'expérience littéraire ainsi acquise profitant à sa compréhension de la littérature biblique.

Il est vrai que l'on parle beaucoup de critique littéraire parmi les exégètes. Mais leur formation trop uniquement scientifique ne les porte que trop d'ordinaire à n'en voir que ce qui tombe sous les prises de la science: recherche des sources, milieu culturel et social — à présent, genres littéraires et structure du texte.

Car, presque nécessairement, l'exégèse adopte les théories en honneur. La recherche du ’Sitz im Leben' gardait encore les méthodes d'analyse pratiquées au XIXe par un Sainte-Beuve ou un Taine. Mais on a montré depuis longtemps à quel point la race, le milieu et le moment, tout en influant évidemment sur l'auteur, demeuraient extrinsèques à l'écriture et à son art. Sans compter qu'il est bien aléatoire de s'appuyer sur le ’Sitz im Leben’ pour des textes dont on discute souvent la date et la destination, donc précisément 1 insertion dans la vie.

Il est vrai que l'on s'appuyait aussi sur l'analyse des ’formes', voire des genres littéraires. D'où l'on est passé à cette explication scientifique de la littérature qu'est le structuralisme, ce qui permet une approche déjà plus intrinsèque du phénomène de ’l'écriture’.

Mais formes, genres littéraires, structure même sont justement trop scientifiques, donc généraux, pour ne pas rester académiques, et pénétrer jusqu'à ce qu'il y a d'unique et d'original dans chaque texte. C'est là qu'il faudrait faire appel à la sensibilité, à cette connivence, à cette sympathie qui ont fait d'André Bremond, Ch. du Bos ou Albert Béguin de si profonds découvreurs.

Renvoyons à l'Introduction du tome m du Psautier chrétien (p. 9-18), où nous avions rappelé l'essentiel de l'art littéraire et de ses moyens pour créer l'effet projeté — un art trop souple, divers et ’sur mesure' pour que chaque écrivain ne se crée pas le sien, si même il ne le renouvelle pas d'une oeuvre à l'autre. Cette conception de l'écriture a spécialement été mise en valeur par la littérature depuis Rimbaud jusqu'à Guillaume Apollinaire ou Paul Claudel; mais, par delà une longue parenthèse classique et romantique, elle renouait avec l'art plus universel tant des traditions orales que des textes anciens ou médiévaux.

Nous avions aussi, au tome iv du même Psautier chrétien, cité un certain nombre d'auteurs actuels prenant en compte d'abord le sens de l'ensemble pour bien ’comprendre' les détails — comprendre étant, comme l'indique l'étymologie de ce verbe, cum-prehendere,’saisir' de par la convergence qui fait de tout, autant de moyens adaptés à l'effet (cf. iv, p. 25-26,29-30,54). Surtout, nous avions insisté sur le caractère fallacieux de la distinction entre la forme et le fond, comme s'il y avait un ’message' préformé, indépendamment d'une ’forme' extérieure, qui ne viendrait qu'ensuite, pour enjoliver la manière de présenter ce message (cf. iv, 27-28).

Il n'y a pas de point sur lequel on trouve tant d'insistance et d'unanimité, dans une littérature pourtant diverse jusqu'à l'incohérence depuis un siècle. Mais l'analyse de Wellek-Warren même (qui sert de référence à nombre d'exégètes contemporains) l'a si mal compris qu'elle exclut de la ’littérature' tout texte à ’message', alors que la (juste) tendance actuelle serait bien plutôt que tout acte d'écrire prend par le fait même un caractère littéraire, même si cela peut être maladroitement et platement.

Par contre, ce que Wellek-Warren mettent bien en valeur, c'est qu'autre peut être le sens intentionnel de l'auteur en écrivant, et ce qui se trouve effectivement, objectivement, réellement dans son texte. Il ne faut pas, c'est vrai, exagérer jusqu'à l'hétérogénéité le hiatus entre sens subjectif voulu et sens objectif de fait, qu'une interprétation authentique dégagera, s'il arrive, beaucoup plus tard. Et le problème est justement de définir les critères d'authenticité, car il serait abusif de faire dire à un texte n'importe quoi, y compris le contraire de ce qu'il veut manifestement dire: on l'a bien vu en certaines mises en scène récentes du théâtre de Claudel, et dans l'interprétation de la Bible aussi, récemment non moins qu'autrefois. Mais en tous cas, il serait tout à fait insuffisant de prétendre s'en tenir au seul sens voulu par l'auteur; ce serait d'autant plus grave que, dans le cas de la Bible, on en est plus éloigné, et que l'on discute même souvent des circonstances de sa composition, si bien que ce sens subjectif est lui-même tout hypothétique.

Ceci est capital pour nous éviter l'objection que, sûrement, les auteurs de l'Ancien Testament (et encore moins ses personnages) ne savaient pas, d'ordinaire, qu'ils annonçaient ou préfiguraient le mystère du Christ et de son Église. Si évident que ce soit, cela n'enlève rien à ce que leur texte présente d'objectivement prophétique ou ’typique'. Ces dépassements que l'on observe déjà dans les chefs-d'oeuvre de la littérature universelle même profane, et qui ont fait parler de l'inspiration des muses, comment ne se trouveraient-ils pas dans les paroles et récits de la Bible si, comme tout croyant le croit, elle est toute inspirée de Dieu même — qui, Lui, sait l'à-venir?

Ce n'est donc pas arbitraire, mais bien plutôt dans le sens de cette Écriture Sainte que de conclure avec le Père Daniélou: « L'Ancien Testament est tout entier prophétique. Il ne rappelle les événements du passé de l'humanité et d'Israël que pour annoncer les événements à venir qui en seront la reprise plus parfaite. Le souvenir de la création s'accompagne de l'annonce de la nouvelle création, celui de l'Exode de la prophétie du Nouvel Exode. De même en est-il de ses protagonistes essentiels. Il est annoncé à Abraham que toutes les nations de la terre seront bénies dans sa descendance, à Moïse que lui succédera un prophète plus grand que lui, à David qu'un roi de sa race régnera à jamais. Le Nouveau Testament nous montre dans le Christ la réalisation de ces annonces. Il apparaît ainsi comme le véritable Abraham, le nouveau Moïse, le roi messianique, dont Abraham, Moïse et David étaient les figures. Or, ceci est éminemment vrai d'Adam... »

« Le Paradis n'est pas seulement un passé mais un avenir... Plus précisément encore, pour Isaïe, la création est encore plus un avenir qu'un passé. Le verbe qui la désigne se rapporte le plus souvent chez lui au futur. Créer caractérise un mode d'agir proprement divin, qui consiste à faire qu'il y ait quelque chose là où il n'y avait rien. Or le Dieu vivant est toujours le Dieu qui peut susciter l'être là où il y avait le néant, la grâce là où il y avait le péché, la vie là où il y avait la mort » (Au commencement... p. 77 et 23).




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15  En premier exemple de la perspective suivant laquelle la Tradition chrétienne, unanime, nous invite à lire la Bible, il nous plaît de citer le début de la sixième homélie d'ORiGÈNE sur Jérémie, telle que l'a transcrite saint Jérôme (PL 25, 632 ss). Nul ne s'est, à son époque, davantage que ce dernier, soucié d'établir un texte sûr et de l'entendre d'abord en sa littéralité. Or, loin de s'en tenir là, c'est lui-même qui nous tend ce texte admirable d'Origène, comme pour nous encourager à voir dans la critique historique ou littéraire le moyen de mieux atteindre ce qui doit demeurer notre but: écouter dans la Bible la Parole, l'unique Verbe de Dieu, « le même dans la Loi et dans l'Évangile»; cette Parole s'accomplit donc dans le Christ; elle demeure vivante et actuelle, s'adresse à chacun de nous qui sommes spirituellement ces « hommes de Juda » qu'interpelle Jérémie, qui avons à être délivrés « de l'Egypte spirituelle », pour former « le peuple de Dieu », qui est l'Eglise :

Suivant la vérité de l'histoire, nous ne nions certes pas que la présence de notre Seigneur Jésus Christ fut corporelle, et qu'elle resplendit par le monde entier, quand «le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous » (
Jn 1,14). Mais il faut savoir qu'avant même de prendre un corps il descendit vers les saints; et qu'après nous avoir quittés au point de vue de cette présence corporelle, pour remonter au ciel en vainqueur, il reviendra encore vers nous. Si tu veux en avoir la preuve, écoute ce discours:

« Parole qui fut sur Jérémie de la part du Seigneur, disant: Écoute les paroles de cette Alliance... (etc) ». Quelle est donc cette Parole qui s'adresse de la part du Seigneur soit à Jérémie, soit à Isaïe, soit à l'un quelconque des prophètes? N'est-ce pas « La Parole » qui était au commencement auprès de Dieu? Je ne connais pas d'autre Verbe du Seigneur que celui dont l'Evangéliste a dit: «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu » (Jn 1,1). Mais, nous devons le savoir: il est utile aux croyants que la Parole s'adresse à chacun. Que me servirait qu'elle descende dans le monde, si moi je ne l'ai pas? Par contre, si elle ne s'adresse pas au monde entier, mais que je sois semblable aux prophètes, je l'ai! Disons-le: cette même Parole a visité Moïse, Jérémie, Isaïe, et chacun des prophètes : et cette promesse que le Seigneur a faite aux disciples : « Voici que je suis avec vous, tous les jours, jusqu'à la consommation des siècles » (Mt 28), il l'a réalisée avant même son avènement visible: car Il était avec Moïse, avec Isaïe, et avec les saints. Comment, en effet, auraient-ils pu prononcer la parole de Dieu sans que vienne à eux sa Parole même? Et nous devons avoir conscience de cela, nous surtout qui appartenons à l'Église, et affirmons que le Dieu de la Loi est le même que celui de l'Évangile: le même Dieu au commencement, et maintenant, et dans tous les siècles des siècles, Amen. Il en est qui dans leur manière de voir séparent la divinité antique et celle qui se manifeste dans le Christ — mais nous, nous connaissons un seul Dieu, dans le passé et dans le présent, un seul Christ, alors et maintenant, et un seul Esprit Saint coéternel au Père et au Fils.

« Parole qui fut sur Jérémie de la part du Seigneur... » — et que dit-elle? « Écoutez les paroles de cette Alliance, et parlez aux hommes de Juda et aux habitants de Jérusalem. » Hommes de Juda, c'est nous qui le sommes, de par le Christ. Il n'y a aucun doute que le Christ est né de Juda. Et si j'affirme avec les Écritures que le nom même de Juda se réfère au Christ, les hommes de Juda ne seront pas les Juifs incrédules, mais bien nous, qui croyons le Christ (et qui réalisons la prophétie de Jacob): «Juda, tes frères t'acclameront! Ta main est sur la nuque de tes ennemis » (Gn 49,8). Juda, fils de Jacob, ne fut pas acclamé par ses frères ; mais maintenant, le vrai Juda est acclamé par ses frères. Car il dit, ce vrai Juda: «J'annoncerai ton Nom à mes frères, je te chanterai au milieu de l'Assemblée » (Ps 22,23). Et où voyons-nous que le Juda antique ait mis la main sur la nuque de ses ennemis? Rien de tel n'est écrit dans l'histoire. Si au contraire tu regardes l’avènement de mon Seigneur Jésus-Christ, qui dépouille les Principautés et les Puissances (1Co 15,24), les livre au mépris et triomphe sur le bois, alors tu verras comment s'est accomplie sur notre Juda la prophétie qui disait : « Ta main est sur la nuque de tes ennemis ».

Le discours s'adresse aux hommes de Juda, c'est-à-dire aux Chrétiens, et encore aux « habitants de Jérusalem », c'est-à-dire à ceux qui habitent l'Église: c'est elle, la Cité du Grand Roi: c'est elle, la « Vision de Paix », car chez nous, si du moins nous sommes fils de paix, la paix se multiplie et se voit...

«Dites-leur: Maudit l'homme qui n'écoute pas les paroles de cette Alliance donnée à leurs pères! » Qui donc écoute ces paroles? Nous, qui croyons le Christ, ou ceux-là, à qui le Seigneur pouvait dire: « Si vous croyiez en Moïse, vous croiriez en moi, car il a écrit de moi » (Jn 5,46)? Nous, qui croyons le Christ, nous croyons en cette Alliance qui fut transmise par Moïse, et c'est à nous que s'adresse l'exhortation du prophète. Il poursuit: « Le jour où je les ai fait sortir de la terre d'Egypte, de la fournaise à fondre le fer ». Nous aussi, Dieu nous a tirés de la terre d'Egypte, si nous comprenons ce qu'est l'Egypte spirituelle...

« Et vous serez mon peuple »... Nous sommes le peuple « qui n'était pas un peuple » (Dt 32,21), et qui est devenu le peuple de Dieu: et la justice est annoncée au peuple qui naîtra des gentils. Car ce peuple naît soudain ; et il est écrit dans le prophète: «Si un peuple est né en une seule fois ». Quand le Sauveur fut monté au ciel, et qu'en un seul jour cinq mille hommes crurent, auxquels trois mille s'ajoutèrent un autre jour, vraiment on put voir alors un peuple qui naissait en une seule fois de la Parole de Dieu.

(Voir autre texte convergent, où saint Jérôme invite à tenir les sens littéral et spirituel comme l'envers et l'endroit de l'unique Parole de Dieu — à propos de cette même prophétie de Gn 49,8-9 * ).




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LA GENÈSE



Les onze premiers chapitres de la Genèse sont un prélude à toute la Bible. Sous une forme si simple qu'elle est comprise des plus simples, se trouvent déjà esquissés les thèmes qui seront fil d'Ariane pour nous guider dans les labyrinthes de l'histoire ultérieure: l'origine créée de ce monde et l'origine du Mal; autrement dit, la Bénédiction en butte à la Malédiction. En peu de pages, tout l'essentiel!...

Aussi n'est-il pas étonnant que nous devions multiplier les notes sur ces premiers chapitres. N'est-il pas habituel que dans toute initiation progressive, comme se veut cette Bible chrétienne, il faille au début donner à chaque pas des explications qui ne seront plus à redire par la suite.


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I. LA CRÉATION DU MONDE ET L'ORIGINE DU MAL

Gn 1-3)

On s'accorde à reconnaître deux récits de la création : Gn 1,1-2,3 ; et d'autre part Gn 2,4-25. Leur distinction est assez marquée dans le texte du fait que le premier est présenté ’en vers', tandis que le second est en prose. Mais, pour le commentaire, soulignons les trois articulations successives:

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I. LE SENS DE LA CREATION

Gn 1,1-25)

Origène : En manière d'introduction aux commentaires sur la Genèse (pg 12,45-46): Il faut bien que nous disions quelque chose de ces profonds mystères, mais sans rien affirmer audacieusement. Car pour affirmer sans réserve il faudrait ou bien avoir perdu le sens, ou bien être de ces élus qui savent avoir été instruits par le Seigneur Jésus lui-même, ou encore de ceux qui sont entrés dans la nuée que Dieu habite et y ont reçu du ciel les paroles divines. À peine si Moïse lui-même a pu pénétrer dans ces profondeurs, les scruter et les traduire! Quant à nous, selon la petite mesure qui est la nôtre, nous croyons en le Seigneur Jésus-Christ, nous nous glorifions d'être de ses disciples, mais nous n'osons pas dire que nous ayons reçu de lui face à face l’intelligence des livres saints ni parler avec autorité comme les Apôtres. Mais alors que d'autres, inconscients de leur ignorance, certifient hautement des inventions sans fondement, nous confessons quant à nous notre incompétence sur ce qui nous dépasse.

Le thème de la création revient si souvent dans la Bible qu'il faut choisir entre tant de textes parallèles. La plupart ne font qu'orchestrer les merveilles de cette création: voir notamment Jb 37-41 Da 3,52-90 Ps 104 Ps 148. Nous regroupons plutôt ici tout ce qui éclaire le sens de la création. Or cette mosaïque de textes, d'origine et d'époques très diverses, s'ordonne autour de trois données, qui se commandent l'une l'autre :

 — 1) Rapport étroit du monde avec le Verbe ou la Sagesse de Dieu.
 — 2) Donc: transparence de la créature à son Créateur, qui se découvre à travers elle.
 — 3) Donc: invitation à la louange.

Gn 1,1Au Principe, c'est-à-dire non seulement « au commencement » (temporel), mais à l'origine de l'existence même de l'univers.

// Jn 1,1-3 — Le parallélisme entre le début du Prologue de Saint-Jean et celui de la Genèse, trop marqué pour ne pas être voulu, établit donc le rapport entre la génération éternelle du Verbe — Fils de Dieu (Jn 1,1-2) et la création du monde. Le Verbe en est donné comme l'origine puisqu'il en est l'artisan (« par Lui », de Jn 1,3 et Col 1,16 f, explicitant Gn 1,3*: le monde est un dit de Dieu) en même temps que le modèle (« en Lui » de Col 1,16a Col 1,17b) et la fin ( « pour Lui » de Col 1,16) 0-

Origène: Hom 1 sur la Gn. (SC 7 bis, p. 24): Dans le principe, Dieu créa le ciel et la terre. Quel est le principe de tout, sinon notre Seigneur Jésus Christ, le Sauveur de tous, le Premier-né de toute créature? Dans le Principe, c'est-à-dire dans son Verbe, Dieu fit le ciel et la terre, comme saint Jean le dit au début de son Évangile: Au principe était le Verbe, et le Verbe était face à Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au principe en Dieu. Tout a été fait par lui, et sans lui rien n'a été fait. L'Écriture ne désigne ici aucun début temporel, mais elle dit que dans le Principe, c'est-à-dire dans le Sauveur, ont été faits le ciel, la terre, et tout ce qui a été fait.

Mais déjà l'Ancien Testament avait salué comme « Principe », sous le nom de Sagesse, le rôle du Verbe dans la création (// Pr 8,22-23).

// Ps 110,3À Toi le Principe....; « L'un des versets les plus difficiles de toute la Bible » (Dhorme). Nous le citons ici dans la version Lxx-Vg. On en trouvera la justification dans PC m, p. 372-373, renvoyant à l'article du P. Tournay, dans rb 1960, p. 178.

De toutes façons, la tradition juive autant que chrétienne tient ce psaume pour messianique. Origène, Athanase, Augustin, Jérôme et Bède (cf. pc h, p. 607-608) interprètent ce don du ’Principe' (ou du ’Principat') comme identifiant ce Fils (3 d) au Père, Principe absolu, conformément à la déclaration du Christ en Jn 14,9-10 — et cela de toujours, pour toujours (3 b-c). C'est donc cet « au Principe », où se rencontre également l'Esprit (Gn 1,2 * ), c'est ce Principe trinitaire qui est le Dieu créateur, comme le reconnaît en clair cette fois le Prologue de saint Jean. Dès le premier mot, quelle perspective fulgurante ouvre la convergence des /

Gn 1,1Dieu créa: Le verbe ’bara\ créer, se retrouve aux v. Gn 1,21 (grands poissons), Gn 1,27 (l'homme); puis en Gn 2,3-4 Gn 5,2 Gn 6,7, ainsi qu'en Sg 1,14 Sg 2,23 (R). C'est un verbe réservé à l'action de Dieu, employé surtout, outre la Genèse, dans les Psaumes et dans Isaïe. Il ne sera précisé qu'en 2M 7,28 que tout a été créé de rien, ex nihilo. Mais les quatre images négatives: informe, vide, ténèbres, abîme s'emploient à purifier notre imagination des fantasmagories encombrant toutes les cosmogonies païennes. Sobriété révélatrice.

La création développera en positif toute cette négation d'être. La lumière dissipe les ténèbres (v. 3-4) ; le firmament stabilise l'abîme (5-7 ; cf. Ps Ps 93) ; de la masse informe des eaux primordiales, émerge le sol ferme, formé, encore aride (v. 9-10), dont la végétation puis la vie animale peuplent le vide et le désert initial.

Mais l'important n'est pas dans l'énumération des créatures — telles qu'on pouvait se les représenter au temps où ce poème fut écrit — ce qui est avant tout ici révélé, c'est que toute créature est le fait de Dieu, l'invention et le don de Dieu.

Augustin : Cité de Dieu xi, 4 (PL 41,319-321 ) : Que Dieu ait fait le monde, nous n'en avons pas de plus sûr témoin que Dieu lui-même. Son prophète a dit dans les Saintes Écritures : Au principe, Dieu fit le ciel et la terre. Le prophète était-il là, quand Dieu fit le ciel et la terre? Non; mais la Sagesse de Dieu y était, cette Sagesse par qui tout fut créé, celle-même qui visite les âmes saintes et les sacre amis de Dieu et prophètes, et leur raconte ses oeuvres, intérieurement et sans bruit.

Cxi, 5) Mais, demanderont certains, pourquoi le Dieu éternel a-t-il voulu, un beau jour, faire le ciel et la terre qu'il n'avait pas faits auparavant? Vous nous demandez pourquoi Dieu n'a pas fait le monde «avant », mais nous pourrions aussi bien vous demander pourquoi il ne l'a pas fait « ailleurs ».

Cxi, 6) Entre l'éternité et le temps, il y a cette différence que le temps comporte nécessairement le mouvement et le changement, tandis que l'éternité ne comporte aucun changement. Il est donc évident que le temps ne peut exister si la création n'existe pas, puisque c'est la créature qui apporte du changement par un certain mouvement. Le temps suit les intervalles longs ou brefs qui se produisent dans ce mouvement et ce changement, quand telle et telle chose qui ne peuvent aller ensemble se succèdent et se laissent la place tour à tour. Je ne vois donc pas comment on pourrait dire que Dieu ait créé le monde après un certain espace de temps.

didyme l'aveugle : Sur la Genèse (SC 233,91-93,101 — Traduction P. Nautin): Nous disions, en commençant le Livre, que Dieu, étant efficace par nature, n'a qu'à vouloir pour qu'aussitôt existe ce qu'il veut. Il n'est pas Possible que chez lui l'action précède l'effet, comme c'est le cas dans les métiers humains où l'oeuvre n'existe qu'après qu'on l'a faite, et la maison après sa construction. La maison n'existe pas pendant qu'on la bâtit ni le bateau pendant qu'on le construit, car ces actions sont mesurées par du temps. Dieu, lui, agit en dehors du temps, amenant à l'être ce qu'il veut; c'est pourquoi le résultat n'est pas consécutif ni différé. En même temps, donc, qu'il a décidé que les luminaires soient, ils sont... et au moment même où il disait: « Qu'il y ait un firmament », celui-ci a existé. C'est pourquoi, si l'on suit cette idée, on doit penser que les six jours n'ont pas été pris pour désigner une durée temporelle, mais pour une raison propre à l'acte créateur de Dieu et pour la valeur du nombre : c’est en effet le premier des nombres parfaits...

Ajoutons qu'il convenait que l’Écriture parle de six jours et non pas de six heures, six mois ou six ans. Parler de mois ou d'années aurait impliqué de la lenteur, et parler d'heures aurait été incompréhensible car, quand on ne sait pas ce que c'est qu'un jour, on ne sait pas non plus ce qu'est une heure. Puisqu'elle mentionnait un nombre parfait, il est naturel que l'Écriture ait fait appel aussi à des jours : c'était adéquat.

Gn 1,2L'esprit de Dieu planait sur la face des eaux: Rupert de Deutz: De Trinitate i, 8 (PL 167,205): L'Esprit de Dieu se tend vers sa créature: et elle en devient meilleure et plus parfaite, comme se parfait un oeuf (toute proportion gardée) sous la chaleur de la poule couveuse, quand un poussin s'y anime et en sort vivant.

Que pensons-nous que soit cet Esprit, sinon la bonté de Dieu et son amour: amour non pas accidentel mais substantiel, amour qui est vie et puissance de vie demeurant dans le Fils et le Père, et procédant de l'un et de l'autre, consubstantiel au Père et au Fils. C'est lui qui planait sur les eaux, et sur la terre aussi, cachée par les eaux.

Le grand désir du Créateur l'attirait sur sa créature: comme elle ne pouvait être ce qu'il était lui-même, il en ferait des formes, dans lesquelles la créature épouserait quelque chose du Créateur, vivrait avec lui et régnerait avec lui.

Cet amour-là, cette bonté du Créateur, c'est le Saint-Esprit.

chrysostome: Hom. 3 sur la Gn (pg 53,33-34): L'esprit de Dieu planait sur les eaux. Cela veut dire que, dans l'eau, la vie était à l'oeuvre: ce n'était pas une eau stagnante et immobile, mais une eau en mouvement qui avait en elle une force vitale.

Alors que flottait, informe, la masse de l'univers visible, Dieu, artiste éminent, changea cette « informité » et en tira la merveilleuse beauté de la lumière visible, qui chassa les ténèbres sensibles et illumina toutes choses.

Le Verbe était la vraie lumière qui illumine tout homme venant en ce monde, écrit saint Jean. De même en effet que dans la Genèse la lumière sensible, produite au commandement du Seigneur, fit disparaître les ténèbres visibles, ainsi la lumière spirituelle mit en fuite les ténèbres de l'erreur et conduisit par la main vers la vérité ceux qui erraient.

Recevons donc d'un coeur reconnaissant ces documents que nous donnent les divines Écritures. Et pour ne pas tourner le dos à la vérité ni rester dans les ténèbres, hâtons-nous vers la lumière, et faisons des oeuvres dignes de la lumière et du jour, comme Paul nous y exhorte en disant: Marchons comme il convient à des honnêtes gens, en pleine lumière (Sur la lumière, cf. Gn Gn 1,3-5 * ).

Gn 1,3Dieu dit: Autre façon de révéler qu'« au Principe », il y a la Parole, le Verbe — Fils de Dieu. Le Psaume 33,6 conclut: « Par le Verbe du Seigneur, les cieux furent créés / par l'esprit de sa bouche (le souffle de sa Parole) toute leur armée ». « Esprit » qui rappelle celui de Gn 1,2*.

Mais en outre, le refrain: « Dieu dit... et ce fut » est là pour indiquer la souveraine aisance avec laquelle Dieu crée: « Il dit, et le monde fut/11 ordonna, et la création surgit » (Ps 33,9); « Ce que j'ai dit, je le crée/Mon dessein, je l'accomplis » (Is 46,11 cf. Is 55,10-11). Sur ce point, comparer avec les laborieuses difficultés des démiurges imaginés par les hommes.

Gn 1,3-5La Lumière, avant toute chose! Dieu est lumière (// Jn Jn 1,5) Nous sommes invités à passer des ténèbres à la lumière, comme de l'empire de Satan à Dieu (Ac 26,18 et Col 1,12-14). Israël en est le symbole durant la neuvième plaie d'Egypte (Ex 10,23* et Sg 18,1-4). Les prophètes annoncent que le Messie « Lumière des nations » (Is 42,6 Lc 2,31) instaurera le règne messianique comme «une grande lumière» sur le monde. (Is 9,2 Is 30,26 Is 42,16 Is 60,1-3). Le Christ s'est affirmé « la lumière du monde » (Jn 8,12 cf. Jn 12,46). Intérieurement illuminés, ses disciples reconnaissent dans le Christ cette lumière de gloire (// 2Co 4,6). Croyant en la lumière, ils deviennent « fils de lumière» (Jn 12,36 cf. Ep Ep 5,8) et s'arment de lumière (Rm 13,12) devenant ainsi eux-mêmes lumière du monde (Mt 5,14-16).

À la fin des temps comme au premier jour, la Jérusalem céleste « n'aura plus besoin de l'éclat du soleil et de celui de la lune, car la gloire de Dieu l'illumine et l'Agneau lui tient lieu de flambeau » (Ap 21,23). « Yahvé sera pour toi une lumière éternelle/et ton Dieu sera sa splendeur » (Is 60,19-20 cf. Za Za 14,7).

// 2Co 4,6 — Par ce raccourci abrupt, saint Paul veut faire sentir comment la lumière rayonnante ( = la Gloire) de Dieu, dont le Verbe incarné (le visage du Christ) est la parfaite émanation (// Jn 1,4-5 et Col 1,15) se reflète soit dans les coeurs illuminés et transformés par cette contemplation (comme l'annonçait, quelques versets plus haut 2Co 3,18), soit même dans la lumière extérieure cosmique, créée par Dieu au Premier Jour. C'est d'une telle « correspondance » (ou d'un tel symbolisme) entre lumière physique, spirituelle, christique et divine que joue la Liturgie, par exemple dans une fête comme celle de la « Chandeleur », le 2 février. Ou encore dans cette hymne xxxn de Grégoire de nazianze (pg 37,511-512):

Nous te bénissons, Père des lumières. Christ, Verbe de Dieu, splendeur du Père, Lumière de lumière, et source de lumière, Esprit de feu, souffle du Fils comme du Père.
Trinité Sainte, lumière indivisée,
Tu dissipas les ténèbres pour créer
Un monde lumineux, d'ordre et de beauté,
Qui porterait ta ressemblance.
De raison et sagesse tu éclairas l'homme, l'illuminas du sceau de ton Image, Pour que dans ta lumière, il vît la lumière ( = Ps 36,10), et tout entier devînt lumière.

Tu fis briller au ciel d'innombrables lumières,
Ordonnas au jour et à la nuit
De s'entendre à se partager le temps
Tour à tour, paisiblement.
La nuit met fin au travail du corps fatigué, Le jour appelle aux oeuvres que tu aimes, Nous apprend à fuir les ténèbres, à nous hâter vers ce jour qui n'aura plus de nuit.

Tel sera le sens de la lumière, dans l'A.T. comme dans le N.T.: 1) Elle vient de Dieu : « C'est Lui qui envoie la lumière / et elle jaillit ; / Il l'appelle, et elle obéit en tremblant » (Ba 3,33) — 2) Le couple lumièreténèbres est originel, inhérent à la création même, où la Lumière divine doit triompher des ténèbres d'où la créature est tirée (Gn 1,1 et Jn 1,5). Le péché de l'homme redoublera les ténèbres du Mal, mais au préalable, il y a une insuffisance, et une opacité de la créature, du fait du néant d'où elle est tirée, si bien que Dieu ne peut créer l'une indemne de l'autre: « Je forme la lumière et Je crée les ténèbres; / Je fais régner la paix et Je crée le malheur. / Moi, Yahvé, je fais toutes ces choses » (Is 45,7). La création et l'histoire du Salut ne sont que le dégagement, sans cesse à reprendre, de la lumière obscurcie, engloutie par les ténèbres (cf. v. 4*).

// Pr 8,22-31 — Quelle est cette Sagesse, cette intelligence amoureuse présente à toute la création? Tout nous invite à y voir le Verbe — Fils de Dieu : non seulement la comparaison avec Col 1,15-20, (qui semble s'être inspiré des Proverbes), ou avec 1Co 1,30, qui donne au Christ ce titre de « Sagesse », mais les termes mêmes par lesquels est désignée cette Sagesse: « Engendrée » (v. 22), «enfantée» (v. 24-25); «principe» (v. 22-23; cf. Gn 1,1*); « consacrée », comme le « Christ » ( = l'Oint). Si 24,3 ajoutera qu'elle « sort de la bouche du Très-Haut » comme son Verbe, et « habite les hauteurs du ciel ». Mieux encore, aux versets 30-31 des Proverbes, la Sagesse est « face à Dieu », comme le Verbe dans le Prologue de Saint-Jean (1,1). Or elle est aussi « avec les hommes», en un parallélisme annonciateur du Dieu fait Homme: «joyeuse face à Dieu, joyeuse avec les fils des hommes ». « Joyeuse », la racine d'où sera formé le nom d'Isaac, le Fils, l'Unique (Gn 22,2 * ).

C'est que la Sagesse, cette intelligence amoureuse de Dieu, enveloppe vraiment toute l'oeuvre de la création: « Dès le Principe », « dès avant la création du monde », explique Ep 1,4, en Lui (le Verbe — Sagesse de Dieu). On retrouve en outre la cosmologie de la Genèse avec « l'abîme » et le « cercle sur l'abîme » (v. 24,27,28), « la poussière » (v. 26), « les nuées d'en Haut » (v. 28 // Gn 1,7), la séparation entre la mer et la terre (v. 29), jusqu'à l'invention ultime de l'homme.

Gn 1,4Et Dieu sépara: L'oeuvre de la création est séparation, miroir brisé de l'unité divine, dont chaque fragment ne peut refléter qu'un aspect. Lumière et ténèbres, grandes eaux de part et d'autre du firmament, mers et terre ferme, soleil et lune, jour et nuit, plantes et bêtes « selon leur espèce » (voir // Si 16,26 / C). Séparation — purification — sanctification. Le mot lui-même de « sainteté » vient de la racine « séparer, mettre à part ». À l'inverse, confusion, mélange, devient souvent signe d'impureté, de régression vers le chaos des Puissances mauvaises. D'où les interdits alimentaires de Lv 11, ou les bêtes maléfiques telles que dragon, griffon, basilic, sphinx, harpie, centaure, sirène, qui hantent l'iconographie païenne aussi bien que chrétienne (et, déjà, l'Apocalypse).

Il n'est donc pas étonnant qu'à ce premier jour de la création, la Tradition chrétienne situe la première de toutes les séparations, celle des bons et mauvais anges :

Augustin : Cité de Dieu xi, 9 (PL 41,322-324 et 333) : Quand les Saintes Lettres parlent de la création du monde, les anges ne sont pas nommés; ils sont cependant signifiés, soit par le nom de « ciel » — Au principe. Dieu fit le ciel et la terre — soit plutôt par celui de « lumière ». Et si la création des anges n'est pas formellement exprimée ici, l'Ecriture la laisse entendre ailleurs: Louez le Seigneur, vous tous, ses anges (Ps 148) et encore: Quand les astres furent créés, tous mes anges me louèrent à haute voix (Jb 38,7 -lxx). Les anges sont cette lumière même qui reçut le nom de jour. Et quand Dieu dit: Que la lumière soit, et la lumière fut, s'il s'agit bien là de la création des anges ils ont donc été faits participants de la lumière éternelle qui est la Sagesse de Dieu en personne. Sagesse immuable par qui toutes choses ont été faites, et que nous appelons le Fils Unique de Dieu. Illuminés par cette lumière qui les créait, ils ont donc été faits « lumière », et appelés «jour », par participation à la Lumière et au Jour immuable qui est le Verbe de Dieu. Lui qui est la vraie lumière qui illumine tout homme venant en ce monde, il illumine aussi l'ange pur, et le rend « lumière », non en soi mais en Dieu...

(xi, 20) — Quand Dieu dit: Que la lumière soit, et la lumière fut, Dieu vit la lumière, elle était bonne. Mais plus loin, quand Dieu sépara la lumière et les ténèbres, il appela «jour » la lumière, et « nuit » les ténèbres: l'Écriture n'ajoute pas : Et Dieu vit que cela était bon — car l'un des deux était mauvais, par son vice propre, non par nature. La lumière seule plut au Créateur ; quant aux ténèbres angéliques, il y avait lieu de les mettre à leur place, non de les approuver.

Rupert de Deutz: De Trinitate I, 13 (PL 167,210): Cette séparation de la lumière et des ténèbres fait allusion au terrible jugement que le Seigneur a porté contre le diable. Car, quelles sont ces ténèbres sinon les anges de Satan avec leur prince ? Il les divisa par une séparation irrévocable, de sorte que ceux qui sont tombés ne peuvent pas se relever, mais ceux qui n'ont pas voulu pécher ni tomber ne pourront plus jamais pécher ni tomber. Par la parole de Dieu, en effet, les cieux ont été confirmés, et par le souffle de sa bouche toute leur armée (Ps 33,6). Telle est cette lumière et tels sont ces cieux.

bossuet: Élévations sur les mystères, 4ème semaine, 1ère élévation: Dieu qui est pur esprit a voulu créer de purs esprits comme lui: qui comme lui vivent d'intelligence et d'amour: qui le connaissent et l'aiment comme il se connaît et s'aime lui-même: qui comme lui soient bienheureux en connaissant et aimant ce premier être, comme il est heureux en se connaissant et aimant lui-même: et qui par là portent empreint dans leur fond un caractère divin par lequel ils sont faits à son image et ressemblance.

Des créatures si parfaites sont tirées du néant comme les autres: et dès lors, toutes parfaites qu'elles sont, elles sont susceptibles de péché par leur nature. Celui-là seul par sa nature est impeccable, qui est de lui-même, et qui est parfait en son essence. Mais comme il est le seul parfait, tout est défectueux exceptélui: « et il a trouvé de la dépravation même dans ses anges » (Jb 4,18).

Ce n’est pourtant pas lui qui les a faits dépravés : à Dieu ne plaise ! Il ne sort rien que de très bon d'une main si bonne et si puissante : tous les esprits sont purs dans leur origine, toutes les natures intelligentes étaient saintes dans leur création ; et Dieu y avait ensemble formé la nature et répandu la grâce.

Grégoire le grand: Mor. 34,21 (pl 76,740): Par nature, le premier ange fut créé tel qu'il devait craindre, d'une crainte chaste, son Créateur: non pas de cette crainte que chasse la charité, mais de celle qui demeure dans les siècles des siècles, de celle, donc, que la charité engendre. Il était créé pour craindre avec amour son Créateur, le craindre d'une crainte joyeuse (cf. Ps Ps 2). Mais il se pervertit, et en vint à ne craindre personne : « Je m'élèverai plus haut que les nuées, je serai semblable au Très Haut » (Is 14,14). A vouloir être égal à Dieu, il perdit sa ressemblance... Reniant le principe auquel il devait adhérer, il voulut être son propre principe; et celui qu'exaltait une servitude libre, fut précipité par une liberté captive: cette liberté sienne, qu'il convoitait, l'abattit. S'il avait craint Dieu seul, il aurait possédé tout; en ne le craignant pas, il est arrivé à souffrir tout.

Basile: Homélie « Dieu n'est pas l'auteur du mal », n° 9 (pg 31,349). À partir de sa désertion, il fut l'ennemi de Dieu et l'ennemi des hommes, qui sont créés à l'image de Dieu; et s'il poursuit de sa haine les hommes, c'est bien parce qu'il est l'ennemi de Dieu. Il nous hait, comme l'héritage du Seigneur; il nous hait aussi comme l'image de Dieu.

Tout ceci n'est pas inventé. Si la Genèse n'en parle pas, l'Apocalypse révèle ce drame initial (voir à Z // Ap 12,7-9).

Gn 1,6-8Firmament est un mot indiquant d'abord fermeté, solidité, stabilité, annonçant l'ordre céleste des astres (cf. v. 14-19). C'est le grand oeuvre de Dieu que d'avoir si solidement fondé un ordre dont l'ampleur temporelle comme spatiale dépasse notre imagination même (cf. Ps Ps 93 Ps 96,10 Ps 148,5). Aussi « les cieux proclament la gloire de Dieu / L'oeuvre de ses mains éclate au firmament » (Ps 19,2). Entre toutes les divinités telluriques païennes, « Yahvé seul a déployé les cieux » (Jb 9,8 Is 40,22 Ps 96,5).

C'est donc là que, par excellence, toutes les religions situent la résidence du « Très Haut », ce que le Christ lui-même ratifie en nous apprenant à prier Dieu comme « Notre Père qui es aux cieux ». Mieux encore: Dieu lui-même devient firmament pour tous ceux qui se confient en Lui (2S 22,19 Ps 18,3 Ps 71,3 Si 34,16), comme peuvent l'être à son image, dès cette terre, la Sainte Eglise (1Tm 3,15) ou, dans la gloire, les doctes et maîtres de justice (°n 12,3).

ridderbos: Die Psalmen, (p. 137-138). Sur le Ps 8,3: « De la bouche des enfants, des nouveaux-nés, Tu as fondé une forteresse contre tes adversaires... Quand je vois ton ciel... » : Aux versets 3bc-4, c'est évidemment le firmament qui est désigné par « la forteresse, le Burg » du ciel. Dans l'obscurité de la nuit, le poète a contemplé le firmament étoile. Dans sa vision de poète, c'est comme si le ciel était un château-fort que Dieu a bâti. Trônant dans son « Burg », Dieu se rit des puissances de ténèbres, puissances ennemies. Sur la terre règne l'obscurité (qui souvent dans l'Ancien Testament joue le rôle de puissance malfaisante); mais le roi du ciel trône, inaccessible, dans son palais illuminé.

La parenté entre ce psaume et Gn 1 est frappante. Presque toutes les créatures que mentionne Gn 1 sont également nommées ici. Le psaume 8, comme la Genèse, parle du ciel (si notre interprétation de 3bc-4 est exacte, le ciel, firmament, forteresse du Ps 8, assure la même fonction qu'en Gn 1,7, retenir les eaux) — il parle de la terre, de la mer, des corps célestes, des oiseaux, des poissons, des animaux terrestres et des hommes. Le psaume met particulièrement en évidence que la souveraineté de Dieu se manifeste dans l'existence du ciel et dans la place donnée à l'homme. Mais le ciel et l'homme ne sont pas sur la même ligne. Le psaume veut spécialement glorifier Dieu à cause de son gouvernement de grâces. » (voir dans PC iv, p. 113-115 — Le Ps 8 se trouve à I l).

Gn 1,9-10 — chrysostome: Hom 8 sur la , il en fut ainsi: Comment? Comme le Seigneur avait commandé. Il dit. C'est assez, l'oeuvre suit. Car Dieu a ceci de propre qu'il modèle les créatures suivant sa volonté. Et les eaux qui sont sous le ciel se rassemblèrent, et le continent apparut, et Dieu l'appela « terre ». La terre était sans forme ni beauté, recouverte par les eaux comme par un voile. Il lui ôta son voile, pour ainsi dire, et nous montra son visage, et lui donna son nom.

Et Dieu vit que cela était bon. Parce que la nature humaine est faible, et ne pouvait louer dignement les oeuvres de Dieu, la divine Écriture prend les devants et nous enseigne la louange quelle a apprise du Créateur lui-même.

Gn 1,10 — Dieu vit que cela était bon: « C'est toute la dignité de la création qui est ainsi affirmée du même coup. Après avoir dissipé les faux prestiges de l'idolâtrie qui majoraient les créatures, en les égalant au Créateur... l'auteur défend la création contre ceux qui, au contraire, s'en feraient les détracteurs. Elle est entièrement bonne et sainte comme oeuvre d'un Dieu bon et saint. Elle s'impose à notre respect. Posée dans l'existence par le libre dessein de Dieu, elle a consistance et valeur. Et si l'être qui est le sien est un être qu'elle tient d'un autre, c'est cependant une existence réelle, une participation à l'être même de Dieu qui, à la fois, la distingue radicalement de lui et l'en fait intimement dépendre » (J. Daniélou: Au commencement...,p. 39-40).

La lxx traduit: Dieu vit que cela était beau (Kalos), et n'est-ce pas notre réaction instinctive que l'admiration devant la beauté d'un paysage comme devant les merveilles que nous découvre peu à peu la science? La théologie classique n'a peut-être pas suffisamment fait fonds sur la Beauté, et le Père Urs von Balthasar a heureusement remis en honneur les aspects esthétiques de la Révélation dans son grand ouvrage sur La Gloire et la Croix. C'est retrouver une des grandes lignes de l'exégèse patristique, qui se guide souvent sur les ’harmonies' que l'on peut établir entre les divers aspects de la création ou de l'histoire du Salut, la valeur du rapprochement se vérifiant par son caractère révélateur même (cf. Introduction générale § Symbolisme, Typologie, allégorie).

Gn 1,12 — La vie apparaît, avec ses deux caractéristiques essentielles: spécificité, reproduction. Il est notable qu'au lieu de la création pure et simple: « Que la lumière soit, et la lumière fut », pour tout ce qui est de la vie, soit végétale, soit animale ou humaine (2,7), Dieu suscite les êtres à partir de la terre : « Que la terre produise... » (v. 11, 20,24).

Avec une verve débordante, Paul Claudel a tiré de là sa « Légende de Prâkriti » (dans Figures et Paraboles), dont le principe au moins va tout à fait dans le sens indiqué par la Genèse : « Dans la création, Dieu fournit tout, l'idée première, l'image, le modèle à réaliser. Et de même il fournit au-dessous la matière... Enfin sa Providence a pourvu à l'ensemble des circonstances extérieures dont l'accord permet l'apparition du nouvel individu qui leur est introduit.

« ...Mais il a tout fait dans l'ordre et dans la charité, se servant de ce qui était avant pour amener ce qui est après, utilisant à mesure les moyens qu'il s'est procurés, et parmi eux cette spontanéité, cette aptitude inventive, productrice et reproductrice de la nature, la réponse de cette cavité qu'il a gonflée de son souffle... Il commande et Il demande » (Pléïade, Prose 965-967).

chrysostome: Hom 5 sur la Gn (pg 53,51-52): «Et la terre produisit l'herbe, faisant semence selon son espèce et sa ressemblance, et l'arbre à fruit portant du fruit... » Remarque comment tout a été fait par le Verbe du Seigneur. Car il n'y avait pas d'homme pour travailler, ni charrue, ni boeufs, ni autres moyens: mais la terre entendit l'ordre du Seigneur et fit aussitôt ce qui était d'elle... Il suffît que cette parole du Seigneur descende dans les entrailles de la terre, et la terre se pare de mille fleurs comme d'un manteau admirable. Cette terre « sans forme ni beauté » se revêt tout à coup d'une telle splendeur qu'elle rivalise, dirait-on, avec le ciel. Son jardinier s'exclame et la loue: Dieu vit que cela était bon !

// Ps 104,14 — souligne — de même que Si 39,21 /F — le finalisme inhérent à la création, tel que volens nolens doivent bien l'admettre la biologie (serait-ce déguisé sous le nom de « téléonomie ») ou l'écologie, à mesure que nous pénétrons plus profondément dans le secret de la vie: « l'herbe pour les bêtes de somme, le pain et le vin pour l'homme... » La loi sur la nourriture (Gn 1,29-30) ne fait que statuer ce qui était inscrit dans la nature elle-même.

Gn 1,14-18 — Même finalité attribuée au soleil et à la lune par le Ps 136,8-9 / E. Dans la pensée biblique, l'univers a été créé pour l'homme, et l'homme pour entrer dans la gloire de Dieu (1Co 15,24-28) : « Tout est à vous, vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu » (1Co 3,22-23). Les astres et la nature ne sont donc pas de ces divinités qu'adorent les païens, mais ils présagent « l'astre issu de Jacob » (Nb 24,17), « l'aurore messianique » (Is 60), « le soleil de justice » (Ml 3,20), « le soleil levant venu d'en Haut nous visiter » (Lc 1,78), « l'étoile radieuse du matin » (Ap 22,16) qu'un astre annoncera aux Mages (Mt 2,2). « Tenons donc plus ferme la parole prophétique, comme une lampe qui brille dans un lieu obscur, jusqu'à ce que le jour commence à poindre, et que l'astre du matin se lève dans vos coeurs » (2P 1,19).

// Ba 3,34 et Si 16,27-28 — De tous temps, plus encore que l'immensité du ciel, c'est son ordre immuable qui a été pour les hommes le signe de la Transcendance du Créateur. « Il commande, les voilà créés... fonde un ordre qui ne passera pas » (Ps 148,5-6). « Il déploie leur armée innombrable / et les appelle toutes par leur nom / dans l'immensité de sa force, dans sa puissance irrésistible. / Et pas une ne manque à l'appel » (Is 40,26). C'est ainsi que « l'oeuvre de ses mains éclate au firmament » (Ps 19,2). Le parcours quotidien du soleil n'est pas moins frappant : qu'on se rappelle l'adoration de l'Egypte pour î ou Amon - Mais ce même Ps 19 en fait une image de la mission du Christ << Soleil levant venu d'en Haut nous visiter » (Lc 1,78): « Comme l'époux sort de la chambre nuptiale / (le soleil) bondit, tel un géant, pour courir son 0I"be.. . / À ses rayons ardents rien n'échappe » (Ps 19,6-7).

Gn 1,20-25La vie animale est caractérisée par son abondance et son mouvement: « ombres souples sous les eaux, battement d'ailes dans le ciel »

Ps 148,10), «tout ce qui bouge au sol» (v. 25). L'hymne des vêpres monastiques, au jeudi, en tire une double image de vie morale: « Que nul esprit, déprimé, ne soit submergé par la faute; que nul esprit ne s'enfle et chute ».

// Ps 148,7 etc... — Deux thèmes se conjuguent ici, correspondant aux deux sens du mot «reconnaître»: apprécier le don et en remercier. La gratitude, l'action de grâces, la louange (tonalité biblique fondamentale) jaillissent de ce que l'on a d'abord « re-connu » la main du Créateur et Donateur (Jb 12,7 Ps 96,6), et que l'on adore la Sagesse de son Plan divin (Ps 92,6). Telle est l'Intelligence, au sens biblique de ce mot (Ps 92,7 — cf. Note 13 du Psautier chrétien, m, p. 114-115). Inversement, découvrir, à partir du monde créé, la divinité de son Créateur demande qu'en retour, on l'en remercie (Rm 1,20-21).

Mais ce premier chapitre de la Genèse est aussi un appel à l'humilité, à la reconnaissance en esprit et en vérité de notre condition de créature. À la fin de l'A.t. une simple mère témoigne que cette croyance imprègne jusqu'à la piété populaire, lorsqu'elle exhorte ainsi son plus jeune fils à confesser Dieu dans le martyre: « Je t'en prie, mon enfant, regarde le ciel et la terre: vois tout ce qui est en eux, et sache que Dieu les a créés de rien, et qu'il en va de même pour la race des hommes » (2M 7,28 — persécution d'Antiochus Épiphane).




Bible chrétienne Pentat. 14