Bible chrétienne Pentat. 1120

1120

2. LA CRÉATION DE L'HOMME ET DE LA FEMME

(Gn 1,26-2,25)


En Adam, fait de terre mais à l'image de Dieu, se profile déjà le Christ, Nouvel Adam, parfaite image de son Père, mais dans l'humilité de son incarnation; en Eve, l'union nuptiale du Christ (qui se nomme lui-même «l'Époux») avec l'Eglise, dont le mariage est le sacrement; le paradis terrestre planté d'arbres et la domination de l'homme sur la création, annoncent l'ère messianique ouverte à l'ombre de l'arbre de la croix, telle que l'annoncent les prophètes ou l'Apocalypse.

J. Daniélou: Au commencement... p. 42-43: Ces premiers chapitres de la Genèse nous révèlent ce qu'est la nature de l'homme, en nous apprenant qu'il est créé à l'image de Dieu, c'est-à-dire qu'il n'est ni un Dieu, comme le veulent les mythes, ni un produit de la nature, comme le veulent les évolutionnismes, mais transcendant à la nature, en même temps que transcendé par Dieu. Ils nous révèlent ce qu'est l'origine de l'homme: non pas un être céleste tombé dans le monde de la matière, ni un animal évoluant peu à peu en intelligence, mais une créature spirituelle au coeur d'une création matérielle. Ils nous révèlent ce qu'est la destinée de l'homme; non pas de retrouver, par l'ascèse, le Dieu qu'il serait par nature, ni de se créer lui-même, en transformant les conditions matérielles de son existence, mais d'être introduit par Dieu, par un don gratuit, dans la sphère de la vie divine, le Paradis.

D. Barsotti: Il Dio di Abramo, p. 17-18: Le thème unique de la révélation divine est celui que nous présentent les premiers chapitres de la Genèse: sous des expressions anthropomorphiques et symboliques, ils ont un contenu théologique incomparable. C'est la création — le commencement de toutes choses par la volonté toute puissante de Dieu; puis le déluge reprend le thème, comme un nouveau commencement à partir du chaos; la vocation d'Abraham est également un commencement ; l'Exode du peuple d'Israël est une nouvelle création; et encore une fois Israël est précipité dans une ruine extrême, mais de son exil il amorce un retour au paradis perdu.

Mais la création véritable est Jésus: En lui, toutes choses sont nouvelles: il est la nouveauté ultime et définitive. Avec lui, Adam — l'homme — entre vraiment en possession de toute la création, et toute la création entre dans la possession de Dieu.

Grégoire de nysse : Création de l'homme, ch 1 sub fine (pg 44, 132-136). Toute la richesse de la création était prête, sur terre et sur mer: seul manquait celui qui pourrait en jouir.

(ch. 2) Car la créature éminente et précieuse, «l'homme », n'était pas encore dans le monde. Il ne convenait pas, en effet, que le monarque fît son apparition avant ses sujets; mais le royaume une fois préparé, alors serait manifesté celui qui devait le gouverner. Le Créateur de l'univers commença donc par édifier, pour ainsi dire, le palais du roi. Puis il fit paraître l'homme, qui serait à la fois le spectateur et le maître des merveilles de l'univers. En jouissant de tous ces biens, l'homme reconnaîtrait la sagesse de Celui qui les lui offrait; et leur beauté lui révélerait sa grandeur et sa puissance, qu'aucun raisonnement, aucun discours, ne sauraient exprimer...

(ch. 3) « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance », et que les hommes aient pouvoir tant sur les poissons de la mer et les bêtes sauvages que sur les oiseaux et les troupeaux, en un mot sur toute la terre. O merveille! Le soleil se trouve créé sans nulle délibération, le ciel également — est-il pourtant rien qui leur soit comparable, dans tout le créé? Un mot suffit à les produire, et l'Ecriture ne dit pas « comment »... C'est seulement pour la création de l'homme que le Créateur prend quelque réflexion: il prépare la matière de son ouvrage; il décide quelle forme il lui donnera, pour reproduire le modèle de la souveraine beauté suivant la destinée pour laquelle l'homme est créé. Enfin il lui façonne une nature parfaitement cohérente et apte aux tâches qui l'attendent.

Rupert de Deutz: De Trinitate II, 1 (PL 167,247): Faisons l'homme. . De loin nous contemplons l'artiste de l'univers, la Sagesse de Dieu, tandis qu'elle parcourt les gyres du ciel et marche sur les flots de la mer (inspiré de Si 24,5). Venons-en au sommet de son propos et de son oeuvre: à nous, les hommes, que notre Créateur a daigné faire à son image et ressemblance. Que cherchons-nous, en effet, sinon contempler la gloire de la Trinité sainte à travers ses oeuvres, comme dans un miroir? et reconnaître ce qui est propre à chacune des Personnes divines, d'après les caractéristiques de son oeuvre personnelle?

Cette créature — l'homme — est l'oeuvre tout à fait éminente que la Bienheureuse Trinité a daigné se partager, pour ainsi dire: de telle sorte que Le Père l'a créée, le Fils l'a rachetée, et l'Esprit Saint l'a enflammée. Écoutons avec la révérence qui se doit, comment la dignité de cette création est soulignée, non par un quelconque commentateur, mais par « le Doigt de Dieu », (l'Esprit Saint,) l'Auteur même de l'Écriture: « Faisons l'homme à notre image et ressemblance ». Il change de langage, puisqu'il avait dit jusqu'alors, pour chaque moment de la création: « Que soit fait... et ce fut fait »; « Que la terre produise... que les eaux produisent... et ce fut fait ». Maintenant, comme s'il (la Sagesse) se reposait, fatigué, après avoir fait le tour de la terre, du ciel et de la mer, et comme si, en prenant le temps de respirer, il lui venait à l'idée qu'une seule chose manque et qu'il faut la faire, « Faisons l'homme, dit-il, à notre image et ressemblance ». « Seigneur, dit le prophète, que ton conseil antique devienne réalité! »

Crois-tu qu'il soit peu de chose, ce conseil signifié par une humble allusion à la Trinité Sainte? Conseil de la plus grande importance, au contraire! qui pour nous, pécheurs, fut décrété en ce conseil de la Sagesse, en ce sénat, ou plutôt en ce soliloque admirable des trois divines Personnes, Père, Fils et Saint-Esprit. Crois-tu par hasard qu'il y manque rien de ce qui, depuis, fut réalisé ou sera réalisé pour nous? Assurément, on y traita de tout notre destin: de notre mort, de notre perdition telle qu'elle adviendrait ; et conseil y fut tenu embrassant toute l'histoire du salut: le Père ferait la création, puis, à la plénitude des temps, le Fils rachèterait ce qui s'était perdu, et l'Esprit Saint mènerait à son parfait accomplissement la rémission des péchés et la résurrection de la chair. Ainsi, par ce conseil de la Trinité, l'homme dévasté par les siècles serait rebâti, et des fondements seraient posés pour toutes les générations.

Origène: Hom sur la Gn (SC 7 bis, p. 60-64). Dieu créa l'homme; à l'image de Dieu il le créa. Quelle est cette « image »? L'homme a été fait à la ressemblance de qui? Quelle est cette image de Dieu à la ressemblance de laquelle l'homme a été créé, sinon notre Sauveur qui est le Premier-né de toute créature (Col 1,15), et que l'Écriture appelle «Splendeur de la Lumière éternelle et effigie de la substance de Dieu » (He 1,3)? Car lui-même a dit : « Je suis dans le Père, et le Père est en moi » (Jn 14,10); et: « Qui me voit, voit le Père » (Jn 14,9). Voilà l'image à la ressemblance de laquelle l'homme fut créé; et c'est pourquoi notre Sauveur, qui est l'Image de Dieu, fut ému de miséricorde pour l'homme qui avait été fait à sa ressemblance. Il le vit dépouillé de son image, et revêtu de l'image du Malin. Alors il prit sur lui l'image de l'homme et vint à lui, comme l'Apôtre en témoigne:

6 Le Christ Jésus, puisqu'il était Dieu par nature, ne considérait pas l'égalité avec Dieu comme un butin à conquérir.
7 Au contraire, il s'en vida prenant la forme d'esclave, devenu semblable aux hommes, et trouvé en tout comme un homme.
8 Il s'humilia lui-même, se fit obéissant, jusqu'à la mort, et la mort de la croix. (Ph 2,6-8)

Tous ceux qui viennent à lui et s'efforcent de participer à son image spirituelle sont renouvelés chaque jour, par le progrès de l'homme intérieur, à l'image de Celui qui les a faits, de manière qu’ils puissent devenir conformes à son corps de gloire (Ph 3,21)... .Ayons donc toujours les yeux fixés sur cette image de Dieu, afin de pouvoir être re-formés à sa ressemblance. Car si l'homme créé à l'image de Dieu a pu, contre la nature et par suite du péché, devenir semblable à l'image du diable qu'il regardait, à plus forte raison quand il regardera l'image de Dieu, à la ressemblance de qui Dieu lui-même l'a fait, il recevra, par le Verbe et la puissance du Verbe, cette forme qui lui avait été donnée par nature. Et que nul ne se décourage en voyant qu'il ressemble plus au diable qu'à Dieu: car le Sauveur n'est pas venu appeler à la pénitence les justes, mais les pécheurs.

Sur l'opposition Adam — Nouvel Adam à lire en filigrane de Ph 2,6-11, cf. Gn 3,4-5 * (L. Bouyer).

D. Barsotti : Il Dio di Abramo, p. 9 ss : Dans la mesure où l'on reconnaît la valeur historique des premiers chapitres, l'expérience mystique d'Adam surpasserait en pureté et en intimité toute autre expérience, mise à part celle de l'âme humaine du Christ... Tout le chemin de l'humanité n'est que le retour au paradis perdu; et ce paradis dans lequel Adam se trouve placé à peine créé, est le terme, le but de toute l'histoire.

... La doctrine de « l'homme image de Dieu » commande toute la théologie de la grâce. La participation de l'homme à la vie divine paraît surtout dans son pouvoir sur la création, et aussi dans le fait qu'en lui toute la création est une: il la domine parce qu'il l'assume. Et par là-même, en lui toute la création se réunit à Dieu: en l'homme, sommet de la nature créée, la création entière rejoint Dieu, le touche, le contemple, l'adore et lui parle. La mystique d'Adam ne connaît pas le divorce entre la chair et l'esprit; et son expérience demeure la nostalgie perpétuelle de l'homme qui après le péché ne peut plus voir Dieu sans mourir (cf. Ex 33,20).

La création de l'homme intervient au cours du Sixième Jour, donc dans une relative continuité avec les animaux, comme les plantes avec l'émergence de la terre (v. 9-12). En outre, la fécondité de l'homme est en parallèle avec celle des animaux (3 mêmes verbes aux v. 22 et 28). Mais l'homme se distingue de la bête en ce qu'il est « à l'image et ressemblance de Dieu » (26-27), fait pour dominer toute la vie animale (v. 26 et 28). Le tout répété par deux fois pour bien y insister. Le v. 26 ajoute à la litanie des animaux: « sur toute la terre », impliquant donc aussi les plantes (v. 29) en complément de « ce qui bouge au sol ».

Faisons l'homme // Rm 8,29-30 — Le ’conseil' spécial de la Sainte Trinité au moment de créer l'Homme, tel que l'imagine par exemple Rupert de Deutz (plus haut cité), n'est pas une fabulation : c'est une image de la pensée éternelle de Dieu sur la création, telle que la formule saint Paul dans ses plus hautes révélations sur le Plan divin: ici, en Rm 8,29-30 comme dans les premiers chapitres de ses Épîtres aux Éphésiens ou aux Colossiens. En créant l'Homme, Dieu non seulement prend son fils pour ’patron', mais s'engage à réaliser en nous ce modèle, au prix de l'Incarnation Rédemptrice. Tout vient de Dieu et doit revenir à Lui:

l. bouyer: Le sens de la vie monastique (Brepols 1950, p. 166 ss.): Du Père invisible procède éternellement, comme son Image parfaite, le Fils unique. Du Fils à son tour l'Image se multiplie dans le miroir de la création angélique. Le cosmos spirituel déploie, comme à travers le prisme du néant, la pure lumière directement émanée du Père. Puis le monde matériel, comme un dernier écho, recueille et fixe dans son image inanimée le dernier vestige, à la lisière du non-être de l'esprit primordial.

Alors, suivant la loi première de la création, l'esprit créé ramène vers le Verbe, son divin exemplaire, le monde sensible. Le monde des esprits, par là-même, se rassemble et communie dans ce cosmos intelligible qu'est le Fils, où toute sagesse est incluse en une indécomposable unité. Dans le Verbe enfin, l'Esprit qui procède du Père ramène à Lui, avec le Fils unique, les innombrables enfants de Dieu qui chantaient en choeur au matin de la création et dont l'eucharistie entraînait en son reflux toute créature.

Cette loi première, en vertu de laquelle la création est animée par le propre Esprit de Dieu, est si profondément inscrite dans son être que la désobéissance et la chute n'ont pu la mettre en échec. Comme un barrage fait seulement monter le flot sans l'arrêter, elles ont simplement suscité cette création seconde, plus merveilleuse encore que la création première, et qui, d'elle-même .remonte vers le Père au lieu d'en descendre.

Dans le monde sensible que les esprits purs avaient tenté d’immobiliser à leur service au lieu de l'entraîner vers Dieu, l'appel d'en haut a suscité l'homme. De l'homme séduit par le mirage égoïste de la magie satanique, le souffle de la vie divine a fait naître l’Homme-Dieu, l'Adam céleste, le Fils d'homme qui s'élève sur les nuées du ciel à la rencontre de l'Ancien des jours. Ainsi, finalement, en dépit de tout, le Fils réunit en un seul corps, le sien, les multiples enfants de Dieu dispersés. Au terme, quand toutes choses lui auront été soumises, lui-même remettra le Règne au Père, de sorte que Dieu soit tout en tous.

A notre Image et à notre Ressemblance: Déformée par le Péché (Gn 3), cette Image est désormais à rétablir en nous, par identification au Christ (// Col 3,9 — Origène, précédemment cité). C'est donc un à-venir et un programme, mieux encore qu'une origine:

JEAN-PAUL II: Audience du 6 décembre 1978 (Doc. cath. 1979, p. 6-7): «Dieu dit: faisons l'Homme à notre image, selon notre ressemblance ». Comme si le Créateur entrait en lui-même: comme si, en créant, non seulement il appelait du néant à l'existence en disant: « Qu'il soit! », mais, d'une jaçon particulière, comme s'il tirait l'Homme du mystère de son propre être. Cela est compréhensible parce qu'il ne s'agit pas seulement de l'être, mais de l image. L'image doit ’refléter'; elle doit, en un certain sens, pour ainsi dire reproduire ’la substance' de son prototype. Le Créateur dit de plus: « Selon notre ressemblance ». Il est évident que cette ressemblance ne doit pas être entendue comme d'un ’portrait’, mais comme le fait pour un être vivant d avoir une vie semblable à celle de Dieu...

Du même coup, en définissant l'homme comme ‘image de Dieu’, le Livre de la Genèse met en évidence ce par quoi l'homme est homme, ce par quoi il est un être distinct de toutes les autres créatures du monde visible...

L'homme ressemble plus à Dieu qu'à la nature. C'est en ce sens que le psaume dit: « Vous êtes des dieux! » (Ps 82,6), paroles que Jésus reprendra (cf. Jn 10,34).

En Gn 5,3, Seth est dit aussi, pour Adam, « un fils à sa ressemblance comme son image ». Le rapprochement s'impose d'autant plus que, 2 versets plus haut (5,1), se trouve rappelée la création d'Adam « à la ressemblance de Dieu ». Nous sommes donc invités à prendre ressemblance et image dans leur sens fort, non pas seulement d'une certaine similitude des facultés spirituelles de la personne humaine avec les perfections divines, notamment l'immortalité (cf. Sg Sg 2,23 / R), mais d'une sorte de filiation. Celle-ci n'est de nature que dans le Christ, seule «Image » parfaite du Père (Col 1,16-17 / S); n'empêche que, créés à cette image par lui et en lui (Jn 1,1-5 /A), nous sommes destinés par grâce à la reproduire en nous-même (Rm 8,29-30 / H), devenant ainsi « filii in Filio ».

Gn 1,28Dieu les bénit: Comme déjà les animaux (v. 22 — sur la Bénédiction, cf. 12,2-3*). Mais il est ajouté cette fois-ci: et Dieu leur dit : pour la première fois, Dieu se trouve un interlocuteur créé, dans le couple humain, et il leur parle...

Faites du fruit et multipliez-vous : Après avoir longtemps gardé la traduction habituelle: « Croissez et multipliez », nous nous décidons à mettre mieux en valeur cette image du ’fruit’, si importante pour saisir et l'enjeu du ch. 3 — où la faute originelle d'Adam et d'Eve est d'avoir « mangé du fruit défendu » (cf. 3,6 * ) — et l'Incarnation du Fils de Dieu, par où « la Terre a donné son Fruit » (Ps 67), et la mission des chrétiens qui est de « porter du Fruit » (Jn 15,16).

hilaire : Sur le Ps 67 (PL 9,438): Cette bénédiction n'était pas seulement pour la multiplication des corps, mais concernait aussi la connaissance de Dieu. Il fallait que cette connaissance commençât par Adam et en Adam, parce qu'il était le premier homme. Mais après le péché, les prophètes et les Apôtres ont imploré cette bénédiction spirituelle, et l'Apôtre exulte de l'avoir obtenue: Béni soit Dieu qui nous a bénis de toute bénédiction spirituelle dans le Christ (Ep 1,3).

Gn 1,29-30 — Comparer avec Gn 9,3, où la chair animale (à l'exclusion du sang) est expressément ajoutée à l'alimentation uniquement végétarienne donnée ici aux bêtes comme à l'homme. Image de paix qu'Isaïe reprendra comme annonciatrice du Règne messianique où « l'on ne fera plus de mal ni de violence sur toute la montagne sainte » (11,6-9). Dans la création, Dieu vise à la paix, même si le but en reste hors de la courte vue des hommes — mais non pas de l'espérance que leur en ouvre la Bible.

Gn 1,31Et voici: Dans une étude, encore seulement ronéotée, le Père Yves Fauquet met en valeur ce petit mot, employé plus de mille fois dans la Bible, et qui s'en révèle une des clefs, même s'il n'a pas toujours la même plénitude théologique, inspirée: «Ce mot hébreu ’HeN', les grecs l'ont traduit par 'Idou', les latins par ’Ecce' et les français par ’Voici'...’HeN' est un mot monosyllabique (dérivé de ’hinné)') qui n'a peut-être pas une signification explicite très définie dans son origine linguistique, et qui varie d'intensité suivant les emplois qu'en font les auteurs bibliques.

Il veut sans doute exprimer un mouvement simple, direct, fort et puissant. Il veut dire le jaillissement imprévu, l'irruption soudaine qui s'impose de lui-même, impératif et indiscutable.

Il traduit une donnée primitive de l'être, de l'Être *n tant que Bonté et, par là, de l'expansion, la diffusion, l'éclosion de la Vie, comme le Matin ou le Printemps...

« Il faut laisser le mot peser de tout son poids, de tout son ’Ka VoD’ (= ‘Gloire'), de tout son Mystère, et de toute sa Vie sur notre coeur (au sens biblique). Il n'est plus question de traduire... il est question de silence, d'adoration, de contemplation, d'ouverture et d'accueil, de rencontre mystérieuse et d'union avec l'Eternel - se- donnant: ’Voici'.

Gn 1,31 — « Et Dieu vit tout ce qu'il avait fait, et voici: c'était très bon » — «L'oeuvre du Créateur est une construction savante: le sommet en est l'homme dont la création parfait, achève, ’termine’ le tout des Six Jours. Ce ’Voici', capital pour notre propos, récapitule l'oeuvre des Six Jours. Ce ’Voici' est une accolade qu'il faut mettre devant les Six Jours. Ce ’Voici' de totalité, est associé à la Parole créatrice de l'Éternel et dans un certain sens — celui de Dieu! — Il est aussi bien au commencement qu'à la fin des Six jours. De sa plénitude au v. 31, ’Voici’ englobe tout ce qui précède.

Et si maintenant, d'un seul trait nous atteignons l'autre extrémité de la Bible, nous lisons: « Alors Celui qui siège sur le trône déclara: « Voici que je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21,5). C'est un ’Voici’ qui résume tout d'un seul coup et à jamais. Ce ’Voici’... exprime le Présent de la Toute-Puissance, du Dynamisme et de l'Intensité... C'est une action d'elle-même irrésistible et immédiate, sans délai et sans fin. C'est le ’Ton' de Dieu et celui de la Bible, Parole - de Dieu, Action - de - Dieu, Force - de - Dieu.

C'est le ’Ton’ d'un triomphe absolu et d'une réussite invincible. C'est le ’Voici' royal, impérial, souverain: c'est le mot de l'Agir divin toujours en action ou mieux: en acte! Et Dieu ajoute, du même élan: « C'en est fait: Je suis l'Alpha et l'Oméga, le Principe et la Fin » (Ap 21,6).

...Ainsi, et notre conclusion est une clef-de-voûte de la Bible, l'Acte créateur remplit la Bible tout entière sous le signe du mot ’Voici', au point qu'elle est ’tendue' — du premier chapitre au dernier — entre deux ’Voici' créateurs qui, pour Dieu en lui-même, ne font qu'un ’Voici’ !

Regrettant de ne pouvoir suivre le P. Fauquet dans son étude des autres emplois intermédiaires de ’Voici', qui apparaît «tour à tour, ou simultanément: Alliance et Prophétisme, Epiphanie et Optimisme; Drame et Nouveauté », citons au moins la conclusion sur le second groupe et l'amorce sur le troisième groupe de ces six valeurs révélatrices du ’Voici’ biblique: Création, Epiphanie, Optimisme et Joie: c'est l'Euphorie sacrée, c'est le Bonheur de Dieu, la Plénitude de ce qu'il Est qui déborde, se diffuse, se répand volontairement,’ volontiers’, irrésistiblement; et c'est le mot ’HeN, HiNNé, Idou, Voici’ qui est comme le ’Sacrement’ littéraire de cette ’Explosion’, de cet ’Eclatement’, de ce partage universel et sans fin.

Mais la révolte, l'infidélité, l'abandon, l'opposition, la corruption, la souffrance et la mort sont le pain quotidien et amer de l'Homme....Dès lors, ’Voici' va devenir le Signal, l'Étendard du combat de Dieu, des guerres de Yahvé, de l'affrontement, du châtiment, de la purification douloureuse et nécessaire, de la destruction inévitable, de la Rédemption mystérieuse par la Croix, la Mort et la Résurrection... (Extraits de: « Voici dans la Bible, Recherche du Mystère de la Parole, sous l'angle d'un ’Mot' », p. 26-27, 2-4, 13-14 — autre extrait à Gn 2,18-23 *).

Gn 2,1-3Toutes leurs armées: Annonce du titre de Sabaoth qu'a pris Yahvé dans l'Ancien Testament (2S 6,18 Ps 24,10 Ps 46,8 Is 6,3 Jr 11,20) et qu'il garde jusque dans le Nouveau (Jc 5,4). Avec le sens d'ordre d'une armée bien déployée en bataille, mais aussi de puissance de décision: Dieu a tout créé de rien, agissant par la puissance de sa seule Parole; désormais il agira de préférence par sa maîtrise créatrice sur les armées de ses créatures, et par Israël, peuple élu.

Le repos de Dieu n'est donc pas inactivité, comme le Christ le déclare dans Saint-Jean 5,16-18 (// ).

Augustin: De Gen. Ad litt. IV, 17-18 (PL 34,307-308): Quoi de plus facile à dire mais quoi de plus difficile à concevoir que « Dieu se reposant de ses oeuvres » ? Où se reposa-t-il, sinon en lui-même — car où est-il heureux, sinon en lui-même? Et quand se reposa-t-il? Toujours. Quant à lui, son repos n'a ni matin ni soir: il ne s'ouvre pas par un début, ne se clôture pas par une fin. Mais pour ses oeuvres parfaites, le repos a un matin et n'a pas de soir. Car la créature parfaite « commence » à se tourner vers Dieu, mais ne cesse jamais de s'orienter vers lui. Le repos de Dieu commence donc non pour Dieu mais pour la perfection de ses oeuvres: ce qui par lui est achevé commence ainsi à se reposer en lui, à avoir en Lui-même son « matin »... Après le soir du sixième jour, il ne reste rien à créer: il y eut donc « un matin », qui n'était pas le commencement d'une autre créature, mais le commencement du repos de toute créature dans le repos du Créateur.

Car toute créature ne demeure pas en elle-même mais en Celui dont l'Écriture dit: « En lui nous avons la vie, le mouvement et l'être ». (Ac 17,28).

Le Christ lui-même, ayant racheté l'homme au soir du Sixième Jour, le Vendredi-Saint, repose au tombeau le Samedi-Saint, dans l'attente de sa Résurrection, pour que soit plus manifeste la correspondance entre première et « nouvelle création » (l'expression est de saint Paul, 2Co 5,17). Mais pour autant, le Christ non plus n'est pas inactif, puisqu'alors « il est descendu aux Enfers » pour en délivrer ceux qui attendaient sa Rédemption. — Sur le Repos, cf. un ensemble de textes patristiques dans le Psautier chrétien, ii/i, p. 42-48. Et Ex 33,12-17*; Nb 14,1-12*.

Quant au Sabbat, la Révélation de Gn 1,31 sur le Repos de Dieu en fonde la véritable grandeur. Avant d'être une loi pour l'homme (Ex 23,10-12) (Dt 5,12-15), le sabbat est un sacrement, c'est-à-dire un signe à trois dimensions, comme le sera l'eucharistie: à la fois souvenir du privilège du Repos divin (Ex 20,8-11), signe et renouvellement hebdomadaire de l'Alliance avec le Créateur (Ex 33,12-17* — aelred de rievaux), gage enfin d'entrer définitivement dans la béatitude du Repos éternel (cf. Ps 95,7-11, commenté par He 4,1-11 He 4, Nb 14,1-12*).

Gn 2,4-5 — On lit aussi souvent le v. 4 a comme une conclusion de ce qui précède. Le v. 4 b se rattache alors au v. 5 comme à sa proposition principale: « Le jour où... il n'y avait encore aucun arbuste des champs sur la terre ». Mais le tm est clair: l'expression employée n'est pas celle d' « il n'y a pas », mais celle d' « avant que... »

En tout cas, nous entrons dans un nouveau récit de la création, évoquant davantage la suite des événements: d'une part création de l'homme (2,4-7) puis de la femme (2,18-22) et institution du mariage (2,23-25) ; de l'autre la vie au Paradis terrestre (2,8-17), la tentation, la chute et le paradis perdu (ch. 3).

Gn 2,7 L'homme: Adam, nom générique, rappelant son origine, ’Adamah'. Suivant la parabole du potier (Jr 18), on traduit volontiers: « Yahvé Dieu modela l'homme avec la glaise du sol ». Mais il s'agit plutôt de la poussière, image de multiplicité, d'indétermination, donc de possible désagrégation, donc de mort et de deuil (cf. 3,19*). Fragilité de l'homme.

// 1Co 15,45 — Mais saint Paul nous révèle que cette insistance sur l'origine terrestre du Premier Adam est faite pour annoncer, par contraste, la transcendance du Nouvel Adam, le Verbe incarné. De même que le souffle de vie annonce le don de l'Esprit Saint.

Déjà, « l'âme vivante » (1Co 15,45) est en Adam comme en chacun de nous, création directe de Dieu, suivant l'enseignement de la Tradition catholique. Le souffle de vie en est une image très naturelle (« rendre le dernier souffle »). Aussi est-il donné par l'Écriture comme venant aussi directement de Dieu: « S'il concentrait en Lui son souffle, toute chair expirerait à la fois, et l'homme retournerait à la poussière» (Jb 34,14-15 cf. Jb 27,3 & Jb 33,4 Ps 104,29). Comme toute créature, l'homme ne tient pas la vie de lui-même, mais du Créateur, si bien qu'il est d'autant plus homme qu'il vivra plus intimement en relation avec Dieu. Nous sommes ici au principe à la fois des retentissements que la rupture du Péché Originel entraînera pour les hommes, et de l'appel à une intimité nouvelle, de pure grâce, qui ne sera parfaite, suivant la promesse du Christ, qu'avec le don de l'Esprit même de Dieu (Ruah en hébreu, comme Spiritus en latin désigne l'esprit non moins que le souffle qui en est l'image et le signe). Aussi, pour célébrer cette Pentecôte, ou son renouvellement par le sacrement de confirmation, l'Église a-t-elle choisi comme refrain: « Tu envoies ton souffle, ils sont créés / tu renouvelleras la face de la terre » (Ps 104,30).

// Si 17,1-14 Ps 8,2-10 — Avec les expressions mêmes de la Genèse, Sirac et le Psalmiste accusent le contraste entre la bassesse originelle de l'homme « tiré de la terre » et la grandeur de sa vocation: « à l'image de Dieu », « couronné de gloire », « rempli de science et d'intelligence * » (au sens défini à propos de Pr 8,22-31), pour reconnaître* le don de Dieu et l'en louer; établi sur toute la création, il est appelé à nouer avec son Créateur une Alliance* dont l'essentiel est l'amour de Dieu (sous sa forme négative: « se garder de tout Mal », opposé au Dieu qui n'est que Bonté) et du prochain. C'est tout le programme de l’A.T. comme du N.T. qui se trouve ainsi énoncé. Vocation si grande qu'il faudra le Nouvel Adam pour la réaliser pleinement, comme le reconnaît l'Église en chantant le Psaume 8 aux fêtes du Christ.

Gn 2,8À l'Orient, d'où vient la lumière. On peut traduire aussi : « Dieu planta un jardin en Éden » (tob), ce qui introduirait le thème si important du Jardin (cf. Gn 3,6* ). Mais paradis est encore plus évocateur de l'espérance des hommes et de leur vocation sur-naturelle, dès l'origine :

J. Daniélou: Au commencement... p. 56-57: L'homme est introduit dans la sphère de Dieu. Il est appelé à vivre dans le rayonnement de sa présence. C'est cette gloire que Dieu avait donnée originellement à l'homme et que celui-ci a perdue par le péché (Rm 3,23). Ceci implique quelque chose d'autre que ce que nous disait le récit de la création. C'est l'appel adressé par Dieu, dès l'origine, à une vie qui dépasse sa nature et qui est une participation à la vie de Dieu... Jamais il n'y a eu d'homme purement naturel. L'homme, dès l'origine, est appelé à une destinée surnaturelle... Et par suite, toute son histoire se situera dans cette perspective. Elle sera tout entière et dès le début, un drame de grâce et de péché.

Gn 2,9-10L'arbre de vie. De soi, l'arbre est symbole universel, à la fois de la force ascensionnelle et de la puissance de régénération (cf. S. Sterckx : Le monde des symboles, Ed. Zodiaque 1972, p. 298-373; et D. Barsotti: La Parole et l'Esprit, Ed. Téqui 1977, p. 149 ss). L'arbre de vie est celui qui, par son fruit, donne l'immortalité (Gn 3,22) ou la rend comme le fera la Croix du Christ. « La Sagesse (de la Croix, précisera saint Paul, 1Co 1,17-2,16) est cet arbre de vie » (Pr 3,18) grâce auquel le Sage devient lui-même comme un arbre au bord des eaux (Ps 1,3 et Jr 17,8).

Car l'eau (déjà en Gn 2,6) est, elle aussi, source de vie, plus appréciée encore dans les climats assoiffants de la steppe, où elle est rare. Elle est promesse du Règne messianique (Is 44,3-4 Jn 4 et Jn 7,37-39). Aussi retrouve-t-on l'arbre et l'eau dans la Cité céleste comme au Paradis terrestre — de sorte que l'Éden est image des « biens à venir » (Ez 47,12 et Ap 22,1-2 / M). Car c'est du Christ que jaillissent les eaux vives :

ambroise, De paradiso, 3 (PL 14,279): Il y avait une source qui arrosait le paradis. Qui est cette source, sinon notre Seigneur Jésus-Christ, source de vie éternelle comme le Père? Car il est écrit: Auprès de toi est la source de vie (Ps 36,10), et « Des fleuves d'eau vive jailliront de son sein » (Jn 7,38).

Augustin: De Gn ad litt. vin, 4-5 (PL 34,375-376): L'arbre de vie a existé comme arbre. De même qu'il y a une Jérusalem céleste et une autre bien terrestre qui la figure, de même que Sara et Agar qui figurent les deux Alliances étaient quand même deux femmes bien réelles, et de même que « le Christ était la pierre » (1Co 10,4), mais qu'il y eut quand même un rocher qui désaltéra le peuple dans le désert, il y eut donc un « arbre de vie » bien réel dans le paradis; car Dieu voulut que dans le paradis l'homme vécût entouré de signes qui figuraient corporellement les choses spirituelles. Les autres arbres étaient pour lui un aliment, mais celui-là était un sacrement.

... Ainsi la Sagesse, le Christ en personne, est cet arbre de vie dans le paradis spirituel où il envoya, de la croix, le larron; mais un arbre de vie fut créé dans le paradis corporel pour signifier cette Sagesse (cf. // Pr 3,13,18).

5 (Col 377); Voyons maintenant l'arbre de la science du bien et du mal. Bien entendu, cet arbre était lui aussi corporel et visible, comme tous les autres arbres. Plus j'y réfléchis, plus je suis d'avis que cet arbre n'était pas une mauvaise nourriture. Car Celui qui avait fait « toutes choses très bonnes » n'avait pu établir rien de mauvais dans le paradis. Le mal consista dans la transgression du précepte. Il fallait que l'homme reçût un commandement : sinon il n'aurait pas pensé ni compris qu'il avait un Seigneur au-dessus de lui. L'arbre n'était donc pas mauvais; mais il fut appelé « arbre de la connaissance du bien et du mal » parce que si l'homme transgressait le précepte il apprendrait, par l'expérience du châtiment, quelle différence il y a entre le bien de l'obéissance et le mal de la désobéissance.

Gn 2,9L'arbre de la connaissance du Bien et du Mal, ne se trouve pas dans les autres religions, mais seulement dans la Genèse. Il apparaît d'abord en jonction avec l'arbre de vie. Dans cette création où tout est bon, dans ce Paradis planté d'arbres aux fruits attirants et bons, il est le seul qui menace de mal. Et c'est pourquoi Dieu, qui donne à l'homme tout ce qui est bon, lui interdit seulement cet « arbre de la connaissance du bien et du mal » (v. 16-17).

Ce n'est pas que cet arbre soit mauvais, ni la connaissance, comme telle, condamnée. Y compris « le discernement du bien et du mal » qui, d'après l'Ecclésiastique, est justement donné à l'homme par le Créateur, avec la domination sur les animaux, la parole, la connaissance et la louange de Dieu (Si 17,1-14 / L).

Ce qui serait chimérique, néfaste, ce serait d'imaginer que l'on puisse conjuguer le mal avec le bien, pour avoir connaissance du bien et du mal. Car il s'agit comme d'habitude dans la Bible d'une connaissance pratique plus que théorique, sinon même expérimentale, où Bien et Mal sont incompatibles: «Cherchez le Bien et non le Mal afin que vous viviez», dit Amos (5,14). Constamment le Deutéronome donne à choisir entre d'une part le Bien, la vie et le bonheur, ou d'autre part le Mal, la destruction et le malheur (cf. surtout ch. 30, 15-20). «L'attente des justes, ce n'est que le Bien» (Pr 11,23). « Connaître le mal, ce n'est pas la Sagesse » (Si 19,22).

Gn 2,15 — Augustin: De Gnadlitt. vin, 8 (PL 34,379): Pour le travailler et le garder. Nous voyons parfois les cultivateurs se livrer à leur travail avec tant de plaisir qu'il ne peut être question de voir dans leur labeur un châtiment: ils ont plutôt de la peine à s'en arracher. Eh bien, toute la joie qu'on peut avoir à cultiver la terre était encore bien plus grande dans le paradis : aucun contretemps ne survenait, du côté de la terre ou du côté du ciel. Le labeur n'était pas un châtiment, mais un épanouissement de la volonté: toute la création de Dieu coopérait joyeusement avec l'homme, et il en jaillissait une louange du Créateur, qui à cette âme établie dans un corps avait donné l'intelligence pour oeuvrer, et la possibilité de satisfaire l'élan de l'esprit sans être contrainte par les besoins du corps.

10 (Col 381): Il y a une autre signification que je ne crois pas devoir passer sous silence: « ...pour que Dieu travaillât l'homme et le gardât ». Car de même que l'homme travaille la terre pour la rendre belle et féconde, ainsi Dieu travaille l'homme pour le rendre saint, à condition que l'homme ne s'éloigne pas de lui par l'orgueil qui est apostasie... Parce que l'homme est un être changeant dans l'âme et dans le corps, il ne peut être formé pour devenir saint et bienheureux qu'à condition de se tourner toujours vers Dieu qui est le bien immuable ... En le plaçant dans le paradis, Dieu voulait donc travailler l'homme pour qu'il soit saint, et le garder pour qu'il soit en sécurité sous le gouvernement de Dieu, gouvernement qui est utile non à Dieu mais à nous. Car Dieu n'a pas besoin de nos services, mais nous avons besoin de l'avoir comme maître, afin qu'il nous travaille et qu'il nous garde.

Gn 2,16-17La mort n'est pas annoncée comme l'effet empoisonné du fruit de l'arbre, mais comme châtiment de la désobéissance, bj traduit: « Tu deviendras passible de mort». Mais l'expression: «tu mourras de mort» insiste plutôt sur le caractère inévitable et entier du châtiment, dès lors que le péché éloigne de Dieu, seule source de vie éternelle (cf. 3,16-19*).

D. barsotti: Il Dio di Abramo, p. 15 ss: La vie d'union à Dieu a pour condition, dès le paradis, une vie morale qui s'identifie avec l'obéissance que l'homme doit à Dieu. La prohibition ne précède pas cette communion, et ne saurait la précéder — mais l'homme ne peut connaître cette communion avec Dieu que dans l'obéissance au commandement divin. La mystique ne s'identifie certes pas avec la morale; mais seule, la créature capable d'obéissance et donc de moralité, est capable de communier avec Dieu. Dès le début, Dieu s'est manifesté à l'homme dans la loi morale, lui a intimé sa volonté.

Il semble que l'union à Dieu — à Dieu qui est « le Transcendant » — impose à l'homme de tendre hors de soi-même pour se conformer à une volonté étrangère à la sienne. Il faut noter que Dieu n'impose pas seulement au premier homme la conformité à la loi de son être moral: bien plutôt, il exige précisément l'obéissance à une loi que l'homme ne trouve pas à l'intérieur de soi. D'après le texte sacré, si la tentation a prise sur lui, c'est justement parce qu'il ne sait ni ne peut justifier le commandement de Dieu. Il réalisera sa fin — ou plutôt il devrait la réaliser — dans l'obéissance à une loi positive, à une loi extérieure, parce que Dieu le transcende. Au total, l'homme doit sortir de soi pour réaliser une fin qui le surpasse: c'est comme un prolongement de la création: l'homme est appelé à collaborer avec Dieu pour son propre accomplissement.

Si, comme l'ont pensé beaucoup d'antiques et plusieurs exégètes modernes, le péché d'Adam fut la connaissance sexuelle, on comprend alors le commandement de Dieu comme l'exigence, pour l'homme, de dépasser sa propre nature animale — non que vivre selon sa nature doive être en soi un péché pour l'homme, mais parce que Dieu voulut soumettre l'homme à une épreuve en exigeant qu'il dépassât ses limites humaines. La communion avec Dieu exige que l'homme soit plus qu'un homme, et qu'il s'assimile progressivement à Dieu par un processus continuel de dépassement de soi-même. Je reconnais que la Genèse ne révèle pas explicitement tout cela; mais la Genèse contient tout ce qui est suffisant comme prémisses pour justifier ce que le Nouveau Testament enseignera plus tard. La morale naturelle ne peut être que la base de lancement pour l'Absolu; elle n'est pas « loi-de-vie-divine ».... Or, obéir à la loi de la vie divine demeure pour l'homme une nécessité absolue, une exigence jamais satisfaite, de sortir de soi — une exigence d'extase — pour vivre en Dieu, au-delà des limites humaines, au-delà de tout terme créé.

Augustin: De Gn ad litt, vm, 13 (PL 34,384), puis XI, 5 (PL 34,432): Si Adam avait observé le précepte, qu'observait-il d'autre que la volonté de Dieu? qu'aimait-il d'autre que la volonté de Dieu? Pourquoi ce commandement du Seigneur? Au Seigneur de voir! Quant au serviteur, il n'a qu'à faire ce qu’on lui dit — et peut-être alors comprendra-t-il le «pourquoi »... C'est l expérience de la catastrophe, nous l'avons dit, qui fit donner à cet arbre le nom de « connaissance du bien et du mal ». Nous ne connaîtrions pas le mal si nous n'en faisions l'expérience, pour la bonne raison que le mal n'existerait pas si nous ne le faisions pas.

«Avant la ruine, le coeur s'exalte, mais avant la gloire il s'humilie » (Pr ’0,18). C'est bien de la chute d'Adam que nous parle le psaume 30: «J'avais dit, dans ma prospérité, jamais je ne serai ébranlé! ... Seigneur, dans ta bienveillance, tu me gardais bon; mais tu détournas ton visage, et tout en moi fut bouleversé » (Ps 30,7-8).

Plus encore, voir la complainte du roi de Tyr, parabole de l'histoire d'Adam, c'est-à-dire de l'histoire de l'Homme (Ez 28,12-17 / Z).

Jean-Paul II: Audiences du 10 et 24 octobre 1979 (Doc. cath. p. 958 et 961): L'affirmation de Dieu Yahvé «Il n'est pas bon pour l'homme d'être seul» (Gn 2,18) se situe non seulement dans le contexte immédiat de la décision de créer la femme, mais aussi dans le contexte plus vaste des motifs et des circonstances qui disent plus profondément ce que signifie la solitude originelle de l'homme: le besoin de cultiver le sol, la vocation de se soumettre la terre et de la dominer... Le récit parle ensuite du jardin d'Éden dans lequel est établi l'homme, et il nous introduit ainsi à l'état de bonheur originel: l'homme est l'objet de l'action créatrice de Dieu, qui en même temps, comme Législateur, fixe les conditions de la première Alliance avec l'homme. Par là se trouve déjà soulignée la subjectivité de l'homme. Elle est également exprimée lorsque le Seigneur Dieu « modela du sol toute bête des champs et tout oiseau du ciel qu'il amena à l'homme pour voir comment il les désignerait ». Le sens primitif de la solitude originelle de l'homme est donc défini sur la base d'un test spécifique... Par ce test, l'homme prend conscience de sa supériorité.

... Dans la notion de solitude originelle sont incluses et la conscience de soi-même et l'autodétermination. Cette structure ontologique est renfermée dans le fait de la solitude de l'homme, qui est en même temps un signe d'authentique compréhension. Nous ne pouvons sans cela bien comprendre les paroles qui suivent: «Je veux lui faire une aide ». Mais surtout, sans cette signification si profonde de la solitude originelle de l'homme, on ne peut comprendre et interpréter correctement la situation tout entière de l'homme créé « à l'image de Dieu », qui est la situation de la première alliance, de l’alliance primitive avec Dieu.

Cet homme dont le chapitre premier nous dit qu'il a été créé à l'image de Dieu, apparaît dans le second récit comme sujet de l'alliance et partenaire de l'absolu, puisqu'il doit faire preuve de discernement d'une façon consciente, choisir entre le bien et le mal, entre la vie et la mort... L'homme est seul, cela veut dire que par son humanité, il est constitué en une relation unique, exclusive et absolument singulière avec Dieu lui-même.

(Ibid. 31 octobre, Doc. cath. 1979, p. 1015 ss): La conscience de la supériorité, inscrite dans la définition de l'humanité, naît sur la base d'un comportement typiquement humain: l'homme seul est capable de cultiver la terre et de la soumettre...

Et voici que l'homme, en tant que sujet de l'Alliance avec le Créateur, est placé devant le mystère de l'arbre de la connaissance:... « Tu ne mangeras pas de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, car du jour où tu en mangeras tu devras mourir ». La signification originelle de la solitude de l'homme se base sur l'expérience de l'existence reçue du Créateur. Cette existence humaine est précisément caractérisée par la subjectivité, qui comprend aussi la signification du corps. Mais l'homme qui dans sa conscience originelle connaît exclusivement l'expérience de l'existence et donc de la vie, aurait-il pu comprendre ce que signifient les mots: « tu devras mourir »? ... Il faut admettre que ces mots complètement nouveaux sont apparus à l'horizon de la conscience de l'homme sans qu'il en ait jamais expérimenté la réalité, et qu'en même temps ces mots lui sont apparus comme une antithèse radicale de tout ce dont l'homme avait été doté.

... Ces paroles confirmaient une telle dépendance dans l'existence, qu'elle faisait de l'homme un être limité et, de par sa nature, susceptible de non-existence. Ces paroles ont posé le problème de la mort au conditionnel : « Si tu en mangeais,... tu mourrais ». L'homme qui avait entendu ces paroles devait en retrouver la vérité dans la structure intérieure de sa propre solitude. Et en définitive il dépendait de lui, de sa décision et de son libre choix, qu'avec la solitude il entre aussi dans le cercle de l'antithèse qui lui était révélée par le Créateur avec l'arbre de la connaissance du bien et du mal, et qu'ainsi il fasse sienne l'expérience de la mort. En entendant les paroles de Dieu-Yahvé, l'homme devait comprendre que l'arbre de la connaissance avait plongé ses racines non seulement dans le jardin de l'Éden, mais aussi dans son humanité. En outre il devait comprendre que cet arbre mystérieux cachait en lui une dimension de solitude, jusqu'alors inconnue, dont le Créateur l'avait doté au milieu du monde des êtres vivants...

Gn 2,18-23 — Après la révélation du sens de l'univers et de l'homme, le sens de la femme. À l'opposé des animaux, sur lesquels s'exerce la domination de l'homme (v. Gn 2,19-20), la femme apparaît un autre lui-même (semblable à lui et pourtant autre), de par son origine même — à l'image de la Trinité, où le Fils est engendré par le Père, sans division ni infériorité.

Extraits de l'Étude ronéotée d'Yves Fauquet sur le mot ‘Voici’ — cf. plus haut, en Gn 1,31): « Voici la Servante du Seigneur, qu'il m'advienne selon ta Parole' (Lc 1,38)... C'est le ‘Me-Voici' de Marie qui permet le ‘Me-Voici' du Christ à son Père (He 10,5-10), c'est-à-dire le ’Me-Voici' de la Rédemption... Mais cette Parole de Marie ’Me-Voici' ! » a une note spécifique de la plus grande importance : Il est féminin...

« C'est qu'en effet le ’Me-Voici' est ouverture, accueil, réceptivité, disponibilité, offrande; il est conformité, il est don de soi, il est abandon: « Me-Voici! ». Et ce « Me-Voici » est en parfaite situation dans la bouche, le coeur et l'âme de la Femme « bénie entre toutes les femmes » qu'est la Vierge Marie.

« Alors nous pouvons faire un pas de plus et dire : ‘Me-Voici’ est le Nom de l’Épouse, par excellence. ‘Me-Voici' est le Nom de l'Épouse en tant qu'Épouse, c'est-à-dire dans l'acte même de l'Épousement, dans la fonction nuptiale elle-même qui est don de soi et disponibilité sans réserve. ‘Me-Voici’ est alors le Nom — c'est-à-dire la situation permanente de l'Église-Épouse... Enfin ce ‘Me-Voici' s'étend à toute la Création dans sa dépendance ontologique à son Créateur. Rappelons-nous le texte de Baruch (Ba 3,34-35): « Les étoiles brillent à leur poste, joyeuses / Les appelle-t-Il? elles répondent: Nous-Voici! / elles brillent avec joie pour leur Auteur »...

« La féminité est le caractère spécifique de la Création tout entière. Cette féminité est dans la disponibilité absolue et le don à Dieu son Créateur: « Me-Voici! » (conscient pour l’Église-Humanité, inconscient mais réel pour les êtres non-pensants). La féminité que nous révèle ce ’Me-Voici' universel en étendue et en profondeur, au coeur même des choses, est finalement la situation de l'Être créé devant son Dieu-Créateur...

« Il ne s'agit pas en premier lieu — et ceci est très important — d'une question de sexe ou de sexualité, il s'agit du rapport, de la relation métaphysique entre la Divinité et sa création... La féminité nous dit d'un seul coup l'Unique vocation religieuse de la création tout entière.

« La femme — toute femme — est partout le signe sensible de la féminité universelle; elle en est le symbole vivant, permanent, dans l'humanité et le monde... La femme est pour nous le rappel de notre « condition » à tous dans le sens de notre situation devant Dieu; elle doit nous rappeler notre vocation à tous, et cette vocation est de soi religieuse, avons-nous dit: ’Me-voici! ...

« Dès lors, pour une femme — à condition qu'elle y soit appelée — la consécration religieuse de toute sa personne est une mise en valeur privilégiée de son être profond, de ce qu'elle est, de ce qu'elle représente dans le tout de l'Eglise et du Monde...

* La sainteté qui est le but ultime de l'Église, est fondamentalement féminine, parce que la Sainteté est spécifiquement une affaire d'Épouse et d'Epousement. Elle est tout entière contenue dans le ‘Me-Voici' : intime, total, définitif à Dieu...

« Mais si la création, l'humanité, l'Église sont des réalités fondamentalement féminines, qu'est-ce que l'Homme?... Qu'est-ce que l'Homme par rapport à la Femme? Que lui reste-t-il dans une création féminine, ainsi que nous l'avons dit jusqu'ici? Quelle est sa place?

« L'homme, quel qu'il soit, appartient d'abord à la féminité universelle fondamentale de l'humanité et de l'Église; il en partage l'unique vocation... Aux chrétiens de Corinthe, de tout sexe bien entendu, saint Paul déclare: «Je vous ai fiancés à un Époux unique, comme une Vierge pure à présenter au Christ » (2Co 11,1-2). C'est donc parfaitement clair: les hommes sont en situation fondamentale d'Épouses eux aussi... Et si nous observons attentivement, en profondeur, des personnalités aussi puissantes et originales que saint Bernard, saint François d'Assise ou saint Jean de la Croix — pour ne citer qu'eux — il nous paraît que derrière une masculinité certaine, évidente, ils incarnent et ils réalisent, dans le mystère même de leur sainteté, la féminité fondamentale d'Épouse du Christ...

«Le ’Masculin' n'est présent dans l'humanité féminine que pour la mettre — de la part de Dieu, en situation d'Épouse. Le rôle et la fonction du ’Masculin’ dans l'humanité est une médiation sacerdotale: il est de médiation sacerdotale. Par vocation, le ‘Masculin’ est au service de la promotion essentielle du ‘Féminin' qui est le ‘Me-Voici' de la Sainteté. Le sacerdoce ministériel est, dans l'Église, parfaitement représentatif de cette situation propre à l'élément masculin.

« Un texte illustre — merveilleusement — ce rôle sacerdotal du ‘Masculin’: « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Église. Il s'est livré pour elle » (C'est l'acte sacerdotal par excellence, qu'est le sacrifice du Christ l)... « afin de la sanctifier: . .( = de la rendre sainte: c'est sa vocation et sa raison d'être) car Il (Jésus) voulait se la présenter à Lui-même sainte et irréprochable » (Ep 5,25-27)... Dernier extrait d'Y. fauquet à Gn 3,4-5 * ».

Gn 2,18 — Plus exactement: Face à lui, comme « au Principe », le Verbe était face à Dieu (Jn 1,1 / A). Réciprocité des personnes: en cela même ’Homme et Femme' ensemble sont « à l'image de Dieu — Trinité » (cf. plus bas, JEAN-PAUL II).

Gn 2,19-20Adam appela par son nom... et c'est son nom. Autre don originel à l'homme: le langage. À l'image de Dieu qui appelle chacun de nous par son nom — signe de connaissance si intime qu'elle présage la communion dans l'amour (Is 43,1-4) — l'homme sait nommer, sinon chaque être dans son originalité individuelle, du moins « suivant son espèce », principe de la science et de son emprise progressive sur l'univers. La poésie plus encore tire de là ses lettres de noblesse.

On ne donnera jamais trop de valeur au nom dans la Bible (et d'ailleurs dans toute la pensée traditionnelle), qu'il s'agisse du « Nom » de Dieu (cf. Ex 3,13-15) ou du nom donné par Dieu à ses élus, Jésus compris (Mt 1,21) et à ses disciples, vainqueurs de la tentation (Ap 2,17). Le nom, c'est l'être. Nommer donne donc un pouvoir, dont il ne faut pas user à la légère (notamment dans le serment ou le juron), et la première demande du Pater sera: « Que ton Nom soit sanctifié ».

Gn 2,21Une torpeur: Elle saisit aussi Abraham au moment de conclure l'Alliance avec Dieu, comme les Apôtres, à la Transfiguration ou à l'Agonie (cf. Gn 15,12*). « Il s'agit de la stupeur, de la ’suspension des sens' dans laquelle la trop grande proximité de Dieu jette l'homme. C'est bien une extase mystique » (J. Daniélou: Au commencement... Seuil 1963, p. 48).

AUGUSTIN: Sur le Ps 40 (41), 9 (PL 36,461): Quand Eve fut-elle créée? Quand Adam dormait. Quand les sacrements jaillirent-ils du côté du Christ? Quand il dormait sur la croix. <

Parce qu'Adam était la forme du Christ à venir, Adam dormit lui aussi quand Eve fut tirée de son côté: Adam en figure du Christ, Eve en figure de l'Eglise. C'est pourquoi elle fut appelée Mère des vivants.

Gn 2,22 — La femme est, non moins que l'homme, l'oeuvre de Dieu, qui donne à l'un et à l'autre sa forme (v. 7). En outre, « Il la bâtit en femme: dire qu'il la ’bâtit' est le mot juste, car avec l'homme et la femme, la maison est construite » (ambroise : De paradiso, c. 11 (PL 14,299).

Jean-Paul II: Audience du 7 nov. 1979 (Doc. cath 1979, 1017-1018): La femme est formée avec « la côte » que Dieu Yahvé avait enlevée à l'homme. Compte tenu de la façon archaïque, métaphorique et imagée dont est exprimée la pensée, nous pouvons dire qu'il s'agit ici de l'homogénéité de l'un et de l'autre dans tout leur être...

Malgré la diversité de constitution liée à la différence de sexe, l'homogénéité somatique est si évidente que l'homme l'exprime tout de suite lorsqu'il s'éveille: « Voici l'os de mes os et la chair de ma chair » ... L'homme manifeste ainsi pour la première fois une joie et même une exaltation qu'il ne pouvait pas avoir auparavant parce qu'il lui manquait un être semblable à lui. La joie devant cet autre être humain, ce second « moi », domine dans les paroles que l'homme (de sexe masculin) prononce en voyant la femme. Tout cela aide à bien voir le sens plénier de l'unité originelle. Il y a peu de mots, mais chacun est chargé d'un grand poids. Nous devons aussi tenir compte du fait que cette première femme, formée avec la côte prise à l'homme (de sexe masculin) est tout de suite acceptée comme « une aide qui lui est accordée ».

Gn 2,23Chair. L'hébreu n'a pas de mot pour désigner le corps, par opposition à l'âme. Il évite ainsi les pièges du dualisme platonicien, portant à imaginer le corps et l'âme comme deux entités séparées alors que, privé de l'âme qui l'anime, le corps devient ce « quelque chose qui n'a plus de nom (d'être, d'exister) dans aucune langue ». Le mot chair a donc un sens beaucoup plus étendu qu'en français. Il signifie non seulement la chair saignante, mais toute l'humanité avec son poids de chair assumée par le Verbe qui s'est fait chair: le corps, les liens que nous disons aujourd'hui «du sang» (29,14; 37,27), le genre humain (6,17 ; Is 40,5-6) dans leur fragilité (6,3 ; Ps 78,39) par opposition à l'esprit et à la vie surnaturelle (en particulier chez saint Paul, Rm 7-8 ou Ga 4-5).

Femme: en hébreu, homme se dit îsh, et femme îshsha. L'apparentement des vocables signifie la similitude d'être.

JEAN-PAUL II: Audiences des 14 et 21 novembre, 9 janvier, 2 et 16 mars 1980 (Doc. cath. 1979, p. 1019; 1980, p. 5, 110,213,261)

Le récit de la création de l'homme au chapitre 1, affirme dès le début et directement que l'homme a été créé à l'image de Dieu en tant qu'homme et femme. Le récit du chapitre 2, lui, ne parle pas de l'image de Dieu, mais il révèle, selon le mode qui lui est propre, que la création complète et définitive de l'homme (qui passe d'abord par l’expérience de la solitude originelle) s'exprime en donnant vie à cette « communion de personnes » que constituent l'homme et la femme... Nous pouvons déduire que l'homme est devenu image et ressemblance de Dieu non seulement à travers sa propre humanité, mais aussi à travers la communion de personnes que l'homme et la femme constituent dès le début. Le rôle de l'image est de refléter celui qui en est le modèle, de reproduire le prototype. L'homme devient image de Dieu au moment de la communion plus qu'au moment de la solitude. Dès le début en effet, il est non seulement une image dans laquelle se reflète la solitude d'une Personne qui gouverne le monde, mais aussi, et essentiellement, l'image d'une mystérieuse communion divine de Personnes... Dans le mystère de la création — sur la base de la « solitude » originelle et constitutive de son être — l'homme a été doté d'une profonde unité entre ce qui en lui, humainement et par le corps, est masculin, et ce qui tout aussi humainement et par le corps, est féminin. Sur tout cela, dès le début, est descendue la bénédiction de la fécondité, unie à la procréation humaine (Gn 1,28)... Le sens originel de l'unité, dont témoigne le texte de Gn 2,24, trouvera de vastes perspectives dans la révélation de Dieu. Cette unité réalisée par le corps (« Ils deviennent une seule chair ») a une dimension uniforme : une dimension morale, comme cela est confirmé par la réponse du Christ aux Pharisiens (Mt 19 Mc 10), et aussi une dimension sacramentelle, strictement théologique, comme on le voit dans les paroles de saint Paul aux Éphésiens (Ep 5,25-32) qui se réfèrent aussi à la tradition des prophètes (Osée, Isaïe, Ézéchiel).

« L'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à son épouse ». Le texte de Gn 2,24 définit le caractère du lien conjugal en référence au premier homme et à la première femme, mais aussi dans la perspective de tout l'avenir terrestre de l'homme. C'est pourquoi, en son temps, le Christ se référera à ce texte parce qu'il demeure toujours actuel. Formés à l'image de Dieu, également en tant qu'ils constituent une authentique communion de personnes, le premier homme et la première femme doivent servir de premier modèle de cette communion pour tous les hommes et toutes les femmes qui, à quelque époque que ce soit, s'uniront si intimement qu’ils seront « une seule chair ».

« Il n'est pas bon que l'homme soit seul », dit Dieu Yahvé, « Je veux lui faire une aide... » Ces deux expressions : « seul » et « aide », semblent être vraiment la clé pour comprendre l’essence même du don au niveau de l'homme, comme contenu existentiel de la vérité de « l’image de Dieu ». En effet, le don révèle pour ainsi dire une caractéristique particulière de l'existence personnelle et jusqu'à l'essence même de la personne. Lorsque Dieu Yahvé dit qu'il n’est pas bon que l'homme soit seul, il affirme que l'homme, par lui-même, ne réalise pas totalement cette essence. Il la réalise seulement en existant « avec quelqu'un » — et encore plus profondément et plus complètement en existant « pour quelqu'un »... Une communion des personnes signifie « exister dans un pour réciproque », dans une relation de don réciproque...

Nous pouvons dire que l'innocence intérieure (c'est-à-dire la rectitude d'intention) dans l'échange du don, consiste dans une acceptation réciproque de l'autre, de manière à correspondre à l'essence même du don. Ainsi le don réciproque crée la communion des personnes...

L'homme et la femme, avant de devenir mari et femme, émergent avant tout du mystère de la création comme frère et soeur dans la même humanité... C'est ici que commence cette communion des personnes dans laquelle tous les deux se rencontrent et se donnent dans la plénitude de leur subjectivité... Dans cette communion de personnes se trouve parfaitement assurée toute la profondeur de la solitude originelle de l'homme (du premier homme et de tous les hommes), et en même temps cette solitude se trouve d'une manière merveilleuse pénétrée et élargie par le don de « l'autre ». Si l'homme et la femme cessent d'être réciproquement don désintéressé — comme ils l'étaient l'un pour l'autre dans le mystère de la création — Ils reconnaissent alors qu'ils « sont nus » (Gn 3). C'est alors que naîtra dans leurs coeurs la honte de cette nudité qu'ils n’avaient pas ressentie dans l'état d'innocence originelle.

Rupert de Deutz: De Trinitate, n, 34 (PL 167,282): Qu'est-ce que cela veut dire? Dieu pouvait former Eve du limon de la terre, comme Adam. Et il préfère soustraire une côte à l'homme, et la bâtir en femme?

Il veut montrer que la charité conjugale doit être constante et indissoluble, dans un mariage unique. En d'autres temps, comme les pharisiens tendaient un piège au Seigneur sur le renvoi de l'épouse, et disaient: Moïse nous a commandé de lui donner un libelle de divorce, il répondit: ‘N'avez-vous pas lu: Celui qui fit l'homme au commencement les fit homme et femme, et il déclara: C'est pourquoi l'homme laissera son père et sa mère et s'attachera à son épouse: et ils seront deux en une seule chair. Donc ils ne sont plus deux: ils sont une seule chair. Ce que Dieu a uni, l'homme n'a pas à le séparer! Et pour ses disciples, le Christ ajoute: Celui qui renvoie sa femme et en prend une autre, commet un adultère. Et si une femme laisse son mari et en épouse un autre, elle est adultère.’

Ah, maris et femmes! Ni le Christ ni son Apôtre n'ont écrit pour vous un commandement nouveau, quand ils ont dit que la femme doit rester avec son mari: c'est l'antique précepte; vous l'avez entendu au commencement du monde! Voilà établie, vieille comme le monde, la législation du mariage! Le précepte est raisonnable, il est de droit naturel.

En Gn 1,27-28, était donnée la fin spécifique du mariage, valable pour tous les êtres vivants: la fécondité. Gn 2,23-24 y ajoute l'intimité, la communauté de vie la plus intégrale possible, qui n'est pas moins dans la visée originelle du mariage. Ce que l'on appelle aujourd'hui ses deux fins essentielles, inséparables... Cf. Ml 2,14-16 / Eg.

// à Gn 2,18-23 — Dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament, la Révélation de la Bible sur la vie conjugale porte sur deux thèmes: 1) celui de l'amour et de l'union indissoluble qui en résulte (Pr 18,22 / Cw; Pr 5,18-19; Ct 8,6-7 Mc 10,6-9); 2) celui de la sacramentalité du mariage, signe efficace de l'union du Christ et de l'Église (1Co 11,8-12 et 6,16; Ep 5,32 Ep 5,25-29).

// Jn 1,19 à 2,11 — De même que l'Évangile selon saint Jean débute par la même expression que la Genèse: Au Principe (ou: Au Commencement), de même, sitôt après le prologue, le temps de l'entrée du Christ dans son ministère de Salut est scandé sur une Semaine, comme la Création.

Cette répartition se trouve en effet clairement marquée par des repères chronologiques: par 3 fois, « le lendemain » (v. 29.35.43); une fois « d'abord (v. 41) ou « en premier », suivant certains manuscrits de l'ancienne version latine ou syriaque — ce qui signifie aussi « le lendemain matin », puisque le verset précédent nous menait déjà « à la dixième heure », de la journée précédente. Enfin, le mariage et le miracle de Cana commencent par « le troisième jour » (2,1). Pour rendre plus facile le repérage, nous ajoutons entre (...) le rappel des jours correspondants de la Genèse. Il y a donc, indubitablement:

1er jour (Jn 1,19-28): la réponse de Jean-Baptiste;
2e jour (Jn 1,29-34) : le baptême du Christ et la manifestation de l'Esprit ;
3e jour (Jn 1,35-40) : la rencontre avec les deux premiers disciples ;
4e jour (Jn 1,41-42): la vocation de Simon-Pierre;
5e jour (Jn 1,43-51) : la vocation de Philippe et Nathanaël.

Vient alors Jn 2,1-11 : Cana. Mais que signifie « le troisième jour »? Le Père Boismard interprète ce 3e jour par rapport au dernier « lendemain » (v. 43), qui est le 5e jour. En ce cas le 3e jour serait le 7e de la « Semaine ». Et il n'y aurait pas explicitement de 6e journée, « précisément afin de pouvoir utiliser la formule « le troisième jour », en 2,1, qui, pour les chrétiens, évoquait le thème de la résurrection » (Synopse des Quatre Évangiles, tome m Cerf 1977, p. 99). Le père boismard semble donc avoir lui-même renoncé à son hypothèse que le 6e jour, manquant, aurait été celui de la vocation de Nathanaël (dans son livre antécédent : Du baptême à Cana, Cerf 1956, ch. 6-7).

Dans un simple article (« Tychique » n° 22), mais appuyé sur une thèse importante malheureusement inédite, D. Debuisson regroupe la chronologie en deux triduums: les 3 premiers jours (Jn 1,19-40), et les 3 derniers, consacrés à la naissance de l'Église, où le parallèle avec la création d'Eve et l'institution du mariage semble également bien voulu: Ainsi, pour le premier de ces 3 nouveaux jours. (Jn 1,41-42), «André amena son frère Simon à Jésus. Jésus le regarda et lui dit : ‘Tu es Simon... tu t'appelleras Céphas — ce qui veut dire Pierre ». Reprenons le vieux récit de la Genèse: « De la côte qu'il avait tirée de l’homme, Yavhé bâtit une femme, et l'amena à l'homme. Alors celui-ci s'écria: « Celle-ci sera appelée femme — Isha — car elle fut tirée de l’homme — Ish — celle-ci! ». Il y a donc triple correspondance, terme à terme.

Mais de Jésus à Pierre, poursuit D. Debuisson, comment peut-on parler d'épousailles? — Jésus dit plus tard à Pierre: « Tu es Pierre et sur cette Pierre je bâtirai mon Église» (Mt 16,18). Les développements pauliniens sur le caractère sponsal de cette Église, Épouse du Christ Nouvel Adam — « mon Eglise », dira Jésus — permettent un facile rapprochement avec le mystère de la première humanité « bâtie » par Dieu sur la « côte » d'Adam. Car c'est Dieu qui « bâtit » la femme, la famille, la maison, la cité (Gn 2,22 Ps 127). « La femme, écrit Louis Ligier, est l'être qui est bâti quand on lui donne une descendance ; ses enfants,’bené', sont l'édifice que Dieu bâtira lui-même par elle à son mari et qu'elle symbolise déjà dans sa personne » ( Péché d'Adam et Péché du monde, Aubier 1962, I, 323). C'est Dieu qui rebâtira son peuple après l'exil, son peuple, c'est-à-dire la « Vierge d'Israël » (Jr 24,6 Jr 31,4): il sera son Epoux, son « architecte » (Is 62,5). Dieu avait « bâti » Eve — c'était encore proprement la création de l'« Homme » créé « homme et femme » (Gn 1,27) — mais parce que Jésus est Dieu, il «bâtit » lui-même son Épouse, l'Église, sur ce fondement qu'est la première pierre. En même temps, toujours d'après Saint-Matthieu, il confirme l'Apôtre dans ce nom nouveau qu'il lui a donné: « Tu es Pierre... »

Le nom nouveau, notons-le, sinon littéralement, du moins par ce qu'il signifie, n'est que le prolongement d'un nom appliqué à Jésus, et qui était d'abord un nom appliqué à Dieu lui-même. Il y a d'abord Yahvé, le « Rocher d'Israël » (Ps 18,3, etc...); puis Jésus, Image de Dieu, est lui-même «pierre angulaire » — lithos — Il est le « rocher » du désert d'où jaillit l'eau vive (1Co 10,4); enfin l'alter ego de Jésus, Pierre, fondement de l'Eglise. Sur cette question, cf. s.l. jaky.: « And on this Rock », Ave Maria Press, Notre-Dame Indiana, dont la traduction est sous presse aux Éd.Téqui).

Une vraie filiation est signifiée par cette triple image, qui fait de Pierre l'écho de Jésus, lui-même écho de son Père. Et nous voyons Pierre situé mystérieusement entre Jésus et son Église, participant, vis-à-vis d'elle, du rôle du Christ-Epoux, mais peut-être encore davantage, personnifiant l'Eglise-Épouse, bâtie par l'Époux et recevant de l'Époux une participation à son nom et donc à son être. En face de Jésus, Pierre est l'Église, tout entière « bâtie » par Lui, de Lui, en Lui.

Le jour suivant, qui est donc le cinquième (Jn 1,43-51), voit l'appel des deux autres Apôtres, Philippe et Nathanaël, et nous renvoie à une autre page de la Genèse: le songe de Jacob (Gn 28,12* / Ds). Et vient alors Cana, « le troisième jour », expression qui, certes ! évoque la Résurrection, mais se trouve donc être également, suivant l'interprétation de D. Debuisson au sixième jour de la Semaine, c'est-à-dire au jour correspondant à la création d'Adam et d'Eve, premier couple et premier mariage, type de tous ceux qui devaient suivre.

Si Jésus est l'Époux (Jn 3,28-29), s'il s'est choisi son Épouse en l'Église (// Ep 5) à commencer par saint Pierre (Jn 1,41-42) et les autres Apôtres (Jn 1,43-51), «ne fallait-il pas» (par convenance harmonique entre les deux testaments) que le mystère des noces de Cana soit célébré à la fois au sixième jour comme Adam et Eve, et le troisième jour puisque c'est le mystère pascal qui l'inaugurera effectivement?

Au surplus, qu'il y ait 6 ou 7 jours, l'essentiel demeure que c'est bien une Semaine. Entre les deux premiers chapitres de Saint-Jean et de la Genèse, il y a donc triple correspondance: Au Principe, en une Semaine, avec accomplissement nuptial (Jn 1,41-42 et 2,1-11 // Gn 2,22-24). Au couple d'Adam et d'Eve répond celui du Christ et de l'Église, à qui son Époux se donne dans le mystère pascal (3e jour), communiqué dans le mystère du vin changé en son Sang, qu'annonce Cana.

Une correspondance aussi suivie, à la fois si littéralement repérable et de signification si spirituelle ou mystique, ne saurait être imputée au seul hasard. C'est assurément l'Évangéliste qui l'a voulue, confirmant ainsi dès les premiers chapitres de notre lecture chrétienne de la Bible que nous avons à rapprocher l'Ancien du Nouveau Testament, par leur mise en parallèle.

Dans le cas présent, qu'en ressort-il? « L'oeuvre créatrice primordiale, conclut le P. Boismard (loc. cit.) fut effectuée en sept jours, grâce à la Parole de Dieu (Jn 1,1-3) Cette Parole s'est faite 'chair', elle s'est 'incarnée' en Jésus (Jn 1,14) afin d'accomplir l'oeuvre de la « nouvelle création » (cf. 2Co 5,17 Ga 6,15) qui, au septième jour, prendra sa forme définitive par la résurrection de Jésus (évoquée en Jn 2,1), gage de notre propre résurrection ». Jn 3,3 parlera de « naître à nouveau »...

Gn 2,25 — Irénée: Adv. Haer. m, 22,4 (SC 211,440): Encore nus, tous deux, dans le paradis, ils n'en étaient pas troublés, parce qu'ils venaient de naître. Ils ne connaissaient pas encore la génération des enfants. Ils avaient d'abord à devenir adultes, ensuite seulement ils se multiplieraient. Désobéissante, Eve devint cause de mort, pour elle et tout le genre humain.

Comme Eve, Marie a, elle aussi, un époux que Dieu lui a préparé, et elle est vierge. Obéissante, elle devient cause de salut, pour elle et tout le genre humain.

Gn 2,25 — chrysostome : Hom 15 sur GN, Ils étaient nus et ne rougissaient pas. Le péché, la prévarication n'étant pas encore là, ils étaient vêtus de la gloire d'en haut... L'Écriture dit cela pour nous apprendre l'immense bénignité de Dieu, sa bienveillance pour l'homme: il lui donna, dès le commencement, la vie angélique.

// Mt 10,16 — L'innocence n'est pas seule de mise: le Christ encourage aussi « les enfants de lumière » à n'être pas moins rusés que « les enfants de ce monde-ci » (Parabole de l'intendant malhonnête, Lc 16,8). Le serpent, symbole de cette ruse, n'est donc pas maudit absolument, ni cette prudence à proscrire en toute circonstance...





Bible chrétienne Pentat. 1120