Bible chrétienne Pentat. 1130

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3. LA LIBERTÉ, LA CHUTE, LA PROMESSE

Gn 3)

L'enseignement de la Bible sur l'origine du péché et de la mort n'est pas seulement d'ordre moral: pureté d'intention et fidélité à Dieu, illusions du désir, puissance dégradante du Mal; le N.T. surtout y voit en perspective toute l'histoire du monde comme une lutte qui va des anges au reste de la création, entre le dragon, symbole des forces mauvaises et la descendance de la Femme (Gn 1,5 // Ap 12). Dans ce drame, ce qui est perdu par Adam se trouve réparé par le Christ, en cela Nouvel Adam, et offert gratuitement (Gn 3,21 // Ap 3,17 Ap 22,14) comme une possibilité de Retour à Dieu.

Augustin: De Gn ad litt, xi, 12.14.15 (PL 34,435-437): La convoitise du diable, c'est de nuire. Ébloui de sa propre excellence, il se détacha de cette société et de cette charité dans laquelle sont bienheureux les anges qui jouissent de Dieu. L'orgueil est l'amour de la propre excellence: il engendre l'envie, et l'envie fait haïr le bonheur d'autrui. Celui qui aime trop sa propre excellence porte envie à ses pairs — car il déteste avoir des pairsà ses inférieurs, car ils pourraient devenir ses égaux, à ses supérieurs parce qu'il n'est pas leur égal... Le contraire de cette maladie est la charité: elle ne se réjouit pas de sa propre excellence à part de celle des autres.

Ces deux amours, dont l'un est soumis à Dieu et l'autre rival de Dieu, ont commencé par diviser les bons anges et les mauvais anges. Et chez les hommes ils ont fait deux cités, qui s'entremêlent dans le cours du temps jusqu'au dernier jugement: alors l'une se joindra aux bons anges, et possédera dans son roi la vie éternelle, l'autre rejoindra les mauvais anges et sera jetée dans le feu avec son roi.

Ephrem: Hymni de Nativitate Christi in carne, VI, 9 (Lamy, il, 500): Le Mauvais enviait Adam. Faux ami, il se joua de lui, offrant le poison dans le fruit.

Gn 3,1Le serpent: signe bénéfique pour les Cananéens ou les Égyptiens, c'est bien ici celui que l'Apocalypse nomme « l'antique Serpent, le Diable ou le Satan, séducteur du monde entier » (Ap 12,9 / Z).

D'où vient ce principe de Mal dans une création tout entière voulue bonne par le Dieu de toute Bonté? La même vision de l'Apocalypse nous le révèle: une partie des anges se sont révoltés (Ap 12,7-9 / Z). Le contexte immédiat laisse entendre que ce serait en refusant le mystère du Salut par l'humilité de Jésus, fils de Marie (Ap 12,3-6 Ap 12,10 / S). Sans doute aussi, au principe de cette révolte y a-t-il un orgueil comparable à celui du Roi de Tyr, maudit par Ézéchiel (Ez 28,12-19 / Z — cf. aussi le texte d'Augustin, précédemment cité). C'est cet orgueil fallacieux d'être « comme Dieu » dont il communiquera l'illusion à Eve (v. 5): « J'escaladerai les cieux...je m'égalerai au Très-Haut »; mais en réalité, poursuit Isaïe, « tu as été précipité dans les profondeurs de l'abîme » (Is 14,13-15). C'est à la même catastrophe spirituelle qu'il va entraîner l'Homme, par jalousie nous dit le Livre de la Sagesse (Sg 2,23-24 / R — ici encore, cf. l'explication d'Augustin).

Bête champêtre: en présentant le diable sous forme d'un simple animal, la Genèse ne nous rappelle pas seulement que l'ange perverti, « précipité sur la terre... descendu sur terre animé d'une grande fureur » (Ap 12,9 et 12), peut nous tenter sous les dehors les plus modestes et familiers mais encore, du même coup, Satan est démythisé: ce n'est qu'une créature, toute dépendante de Dieu. Rien qui puisse donc encourager un dualisme où le principe du Mal paraîtrait un dangereux rival de Dieu. Ce qui n'est pas à dire qu'il ne soit pas redoutable pour nous, mais par sa ruse et son mensonge.

Le plus rusé: en hébreu, arûtn correspond à arummîm (nus) du verset précédent (2,25), comme dans le précepte évangélique de Mt 10,16 (O).

// 2Co 11,3-4 — Saint Paul nous prévient de la meilleure façon de vaincre l'astuce et le mensonge (Jn 8,44) du diable: suivre l'Évangile, sans faux-fuyants, avec la simplicité et la fermeté d'une foi qui ne discute pas. L'histoire d'Adam et d'Eve nous avertit du péril qu'il y aurait au contraire à entrer dans la discussion suggérée par le diable — où il est plus habile que nous!

Gn 3,2Pourquoi! C'est la première forme de tentation, contre l'obéissance: discuter. Eve y répond d'abord très bien, par la foi: « Dieu l'a dit », et par la reconnaissance: « tous les autres fruits du paradis nous ont été libéralement donnés ».

Gn 3,4-5 — La tentation redouble, en recourant cette fois au mensonge (Jn 8,44-45). Pour entraîner à la désobéissance, le démon fait lever le mirage d'une orgueilleuse auto-suffisance: au lieu d'être « à l'image de Dieu », se poser « comme Dieu ».

Connaissant le Bien et le Mal: cf Gn 2,9-10*. Le serpent passe, insidieusement d'une tentation à l'autre: de la curiosité malsaine de savoir, d'expérimenter par soi-même le mal comme le bien — ce qui va contre la foi, qui accepterait de connaître non par soi-même, mais sur la Parole de Dieu, donc d'autant plus sûrement — on passe à la prétention de déterminer ce qui est bien ou mal.

Le péché est donc triple. C'est d'abord une usurpation. Car le Bien n'est pas à volonté, mais propriété de l'Être, donc de Dieu, qui seul peut créer les êtres et leur bonté propre, reflet de son Être de toute bonté (Jc 1,17). Se vouloir « par-delà le Bien et le Mal », pour en décider à sa guise, est donc pour l'homme doublement faux: non seulement parce qu'il n'est pas un Dieu, créateur absolu de Valeurs (y contribuant seulement dans la mesure limitée de son action), mais parce qu'il serait impie de supposer un Au-Delà du Bien, qui est Dieu, comme si le Mal pouvait être un supplément d'être, comme si l'on pouvait ajouter à Dieu.

C'est le second aspect du péché. Il ne peut rien ajouter de bon à la création, mais tout au plus l'endommager, la démolir. Car il est confusion du Bien et du Mal, à rencontre de l'oeuvre de création séparant le bon du mauvais ou du chaos : « Malheur à ceux qui appellent le mal bien et le bien mal, qui font des ténèbres la lumière et de la lumière les ténèbres » (Is 5,20).

Enfin, c'est une désobéissance à l'ordre formel de Dieu (Gn 2,17) qui, pourtant, ne visait qu'à nous mettre en garde, pour notre bien (voir l'explication plus générale de saint Paul à propos de la Loi du Sinaï dans Rm 7,8 et 12-13).

Pour racheter le péché d'Adam, le Nouvel Adam prendra l'attitude inverse. C'est ce rapprochement antithétique qui « doit certainement se lire derrière le texte du grand hymne christologique et sotériologique de l'épître aux Philippiens. Dès qu'on l'y retrouve comme en filigrane, les difficultés célèbres de ce texte capital entre tous se dissipent, et, dans la droite ligne des considérations que nous avons rassemblées les unes après les autres, les perspectives les plus larges de la pensée de l'Apôtre se découvrent d'un coup.

« Étant lui-même l'Image divine — par opposition à Adam qui était seulement fait d'après cette image — (le Christ Jésus) n'a pas regardé comme une rapine (à saisir)l'égalité avec Dieu — au contraire d'Adam que le diable y avait incité précisément — ; mais il s'est anéanti lui-même, prenant l'image d'un esclave, fait à la ressemblance des hommes », — tout ceci souligne dans l'apparition de Jésus sur la terre l'exacte contre-partie de celle d'Adam, fait à l'image et à la ressemblance de Dieu — ; se trouvant dans la condition d'un homme, il s'est humilié lui-même en devenant obéissant jusqu'à la mort, et la mort même de la Croix, — alors que le trait saillant de la vie d'Adam avait été la désobéissance, aiguillonnée par la convoitise d'une vie glorieuse, divine — . « C'est pourquoi Dieu l'a souverainement exalté, et lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, de sorte qu'au Nom de Jésus tout genou fléchisse, dans les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père. » En un mot, ce que Jésus a obtenu pour l'humanité, lui « l'homme céleste », c'est exactement, par le procédé inverse de celui de « l'homme terrestre », ce que ce dernier avait convoité en vain. Rien qui puisse éclairer davantage ce que saint Paul voulait dire en déclarant que Dieu avait tout « récapitulé » en Jésus-Christ » (L. Bouyer: La Bible et l'Évangile, p. 188-189).

Rupert de Deutz: De Trinitate, m,8 (PL 167,294): Vous serez comme des dieux: dans l'idée de l'homme séduit, quelle perspective d'élévation! Et dans l'idée du diable séducteur, quelle chute! Une seule promesse: Vos yeux s'ouvriront — mais l'un pense aux profondeurs de la sagesse, et l'autre au trouble de la conscience. Le même mot: Vous serez comme des dieux, suggère à l'un qu'il va dérober l'égalité avec Dieu, mais veut dire pour l'autre qu'une damnation se prépare, semblable à la sienne! Et la science du bien et du mal fait miroiter devant le naïf une plénitude de connaissance, et devant le roué un malheur vécu ...

O Médiateur de Dieu et des hommes, qu'il fut nécessaire aux hommes, ton avènement ! Toi seul pouvais demander justice contre le mensonge éhonté du séducteur des hommes.

(Dernier extrait de l'étude d'Yves Fauquet, déjà citée en Gn 1,31* et 2,18-23*): «Faisons-lui une aide», disait Dieu d'Adam, au temps des origines (Gn 2,18). Au-delà du sens littéral, mais dans sa continuité, cela veut sans doute dire:’Humanisons-le...' Que sa masculinité ne lui fasse pas perdre de vue ce qu'il est réellement dans la profondeur de son être (la féminité universelle de la créature, aimée de Dieu). Et Dieu fit la Femme comme un Miroir pour l'Homme, comme un Révélateur et un Rappel permanent, efficace, vivant, de sa vocation essentielle à la féminité fondamentale de la création.

« Alors, et c'est logique, Satan va s'attaquer à la Femme: « Vous serez comme des dieux » = comme des Élohim, nom masculin pluriel: on pourrait presque traduire: « Vous serez tous des mâles »...

« L'humanité devient toute entière ’Masculin’ dans son désir profond, et rivale de Dieu... et tout est faussé dans le monde. Et toute ‘promotion de la femme' qui s'établit sur la base de Gn 3,5 est, bien entendu, fausse dès le départ et ne peut aboutir qu'au résultat contraire...

« Je mettrai une inimitié entre toi (le Serpent) et la Femme » (Gn 3,15): « Il s'agit d'un combat essentiel qui nous fait entrevoir la victoire de la Féminité sur l'usurpateur monstrueux de l'élément masculin, parfaitement représenté par Satan... Sa politique est d'aliéner, dans toute la mesure du possible, l'élément féminin fondamental, religieux par essence... en dénaturant la femme... » (p. 42-43).

Gn 3,6 — 3e stade de la tentation : d'une suggestion étrangère, elle devient convoitise intérieure, décision et acte ( // Jc 1,13-15).

Toute la scène évoque la Passion du Christ, point pour point. Celle-ci commence dans un autre jardin: Gethsémani. À la triple tentation originelle répond la triple tentation du Christ au désert (Mt 4) où le démon lui propose successivement le pain (// au fruit délectable), l'expérimentation au lieu de la foi (« Si tu es fils de Dieu, jette-toi en bas ! »), et l'usurpation (« tous les royaumes, si tu m'adores »). Enfin, à l'arbre du fruit défendu, qui fit perdre le paradis, correspond l'arbre de la croix, qui ouvre au bon larron le ciel.

Hhippolyte: Homélie sur la Pâque (SC 27, p. 176): À la place du bois (l'arbre défendu du paradis), le Christ enracine le bois (la croix). Au lieu de la main pécheresse qui autrefois s'était avancée avec impiété, il tend avec piété sa main immaculée, démontrant ainsi par lui-même qu'en vérité la Vie est pendue à l'arbre... Nous en avons mangé, et nous ne mourrons pas.

Quelle conclusion admirable: l'arbre de vie du paradis terrestre, interdit à l'humanité à la suite du Péché d'Adam, nous est rendu en la croix du Christ !... Nous y trouvons bien la vie, puisque le Christ est la Vie.

Ce parallèle entre le fruit défendu de la Genèse, fruit de mort, et le Fruit de vie, offert sur la Croix, et mangé en communion eucharistique restera comme un des grands axes de la lecture de la Bible par la Tradition :

Ephrem : Hymne 13 sur l'Epiphanie (Lamy i, 110) : Le fruit qu'en paradis Adam ne goûta pas
fut aujourd'hui, sur vos lèvres, déposé en grande joie:
c'est le corps de notre Sauveur, qui fut préfiguré dans l'arbre:
Adam, parce qu'il pécha, n'y put goûter.

Ou encore, dans cette même perspective, en nous donnant « le fruit béni », Marie répare, et au-delà ! le péché d'Eve offrant le fruit empoisonné à son mari — qui était avec elle, comme l'ajoute la Genèse, soulignant ainsi leur solidarité, là aussi.

Ce thème du ’Fruit' court à travers toute la Bible. Il est l'expression même de la Bénédiction* (cf. Lv 26*), donc l'aboutissement de l'oeuvre de la Création comme de l'Alliance. De la vigne d'Israël qu'il a plantée ou du figuier de l'Évangile Dieu attend qu'ils produisent leur fruit (cf. vtb). Mais parce que d'abord, c'est Lui, source de toute bénédiction, qui nous bénit en donnant à la terre et à l'Homme de « donner son Fruit » (Ps 67,7). Et ce Fruit, par excellence, n'est autre que le Christ. Toute la Tradition l'a reconnu (outre les citations précédentes, cf. dans pc n, p. 309-313, les textes de Jérôme, Eusèbe, Cyrille d'Alexandrie, Hilaire, Ambroise, Augustin, Grégoire-le-Grand, etc...).

Si le Fruit est de cette souveraine valeur, on devine combien serait déplacé de plaisanter sur cette malheureuse ’pomme' ... Non que l'image du pommier ne soit pas elle-même importante pour saisir le sens même du Cantique des Cantiques, donc de l'aventure mystique de tout l'Ancien Testament appelant le Messie (cf. Gn Gn 3,15 // Ct 8,5*). Mais, sous l'image, il faut essayer surtout de mettre la signification globale que nous avons rappelée, pour que l'enjeu du drame (ou mieux du ’mystère’, au sens médiéval de ce mot) d'Adam révèle sa portée décisive.

Dans une étude malheureusement inédite, D. Debuisson remarque les analogies entre les fruits de la terre et le fruit des entrailles (par ex. en Lv 26 * ), et rapproche le Péché Originel de la tentation de Sara qui, devant sa stérilité, propose à Abraham d'avoir un enfant d'Agar, la servante (Gn 16): au lieu d'espérer de l'action toute puissante de Dieu ’l'enfant de la Promesse', c'était vouloir obtenir le Fruit désiré de ses propres oeuvres. Ainsi en aurait-il été d'Adam : « Son Fruit ne devait-il pas être aussi un don de Dieu — et le meilleur — qui viendrait à Son Heure et qu'il fallait attendre? L'homme était libre, toutefois, l'arbre et son fruit à portée de sa main. Son attitude à cet égard serait décisive pour sa propre destinée. Et la façon dont il y goûterait — l'acte privilégié de ’connaissance' à travers lequel il y parviendrait — serait aussi révélatrice de l'orientation ’bonne ou mauvaise' de sa liberté. Ou bien, en vrai fils de Dieu, il attendrait du Père « de qui toute paternité tire son nom au ciel et sur terre » (Ep 3,15) de recevoir le Fruit, c'est-à-dire de devenir père lui-même dans l'écoute et le prolongement de la Parole créatrice: et ce serait alors un fruit de vie, une race d'enfants du Dieu vivant... Ou bien il ne saurait pas attendre le don: il le devancerait, il ferait ses propres oeuvres indépendamment du Père, et pour ainsi dire il le volerait, non sans avoir trafiqué pour l'obtenir par des moyens magiques ou pseudo-scientifiques: hélas! le fruit ainsi extorqué se révélerait un fruit de mort, un fruit pourri, une race d'enfants du diable: car cette impatience orgueilleuse et possessive de créer la vie, d'être « comme Dieu », venait du «père du mensonge », elle venait en droite ligne de l'« envie du diable... »

À l'appui de cette thèse, D. Debuisson cite encore la prophétie mystérieuse de Ml 2,15* ( / Eg) où se lit en effet que le Fruit « réclamé par Dieu » (comme dans la Parabole de Mt 21,34 ss) est « une descendance qui naisse selon Dieu », et non pas seulement « du sang, de la chair et du vouloir d'homme » (Jn 1,13). Ainsi, à la source de la désobéissance du Péché Originel, y aurait-il un manque de foi et d'espérance, une prétention à se saisir par soi-même de ce qu'il fallait attendre de Dieu. Et Dieu sait si l'Histoire Sainte apprendra aux hommes la longueur de l'attente et la nécessité de la persévérance, jusqu'à ce que vienne celle qui fera confiance à Dieu « à qui rien n'est impossible» (Lc 1,37, citant la réponse de l'Ange à Abraham en pareille circonstance: comme quoi tout se rejoint dans la Bible). C'est Marie qui donnera le vrai Fruit, parce qu'elle s'est mise à la disposition de cette Toute Puissance: Ecce ancilla... l'obéissance même.

Et l'on comprend alors la merveilleuse délicatesse de Dieu qui, avant même de constater les dégâts qu'entraîne pour l'Homme, la Femme et toute la Terre le Péché Originel, promettra la ’Descendance' — le Fruit — le Messie, le Rédempteur (Gn 3,15*).

Gn 3,7Alors leurs yeux s'ouvrirent: ils connurent qu'ils étaient nus: Léon-le-grand: 1e Sermon pour l'Ascension (SC 74,137): À la fraction du pain, leurs yeux s'ouvrent: Bienheureux ces yeux qui s'ouvrent devant l épiphanie de notre nature glorifiée! Les yeux de nos premiers parents « s'ouvrirent » eux aussi, mais devant leur malheur, quand la honte de leur péché leur monta au visage.

Toujours le parallèle des deux Repas — Ainsi se trouvent rapprochés jusque sur un tympan de village, Neuilly-en-Donjon, la Cène et le Péché Originel (cf. Tympans romans n, pi. 16-34 et p. 187; Ed. Zodiaque 1966).

Gn 3,7-8 // Sg 1,12-15 et 2,23-24 — ambroise: De Paradiso, 12 (PL 14,301). « La mort est entrée dans le monde par l'envie du diable » (Sg 2,24). Le motif de cette envie fut la béatitude de l'homme dans le paradis (...) Satan se dit: Cet être inférieur obtient ce que moi, je n'ai pu garder? De la terre, il montera au ciel, alors que moi, je suis tombé du ciel en terre? J'ai bien des moyens pour le tromper: il a été fait de terre, la terre est sa mère, il est embourbé dans le corruptible. Son âme est d'une nature plus haute, mais peut tomber elle aussi, et même plus facilement que moi, gênée quelle est dans sa prison du corps.

Fragilité de l'Homme. L'Écriture avertit de ne pas rejeter la faute sur le dos du diable (Gn 3,13), et même peut-être sur Dieu (Jc 1,13 / Q): depuis la chute originelle surtout, il surfit de notre propre convoitise pour nous entraîner (Jc 1,14 et Sg 1,12 / Q — R). Notons cependant l’optimisme de la Bible: la création est bonne, vive, saine (Sg 1,13-15), a fortiori l'homme appelé à l'immortalité (Sg 2,23). Même « l'envie du diable » et les ruines que le péché entraîne avec lui n'empêcheront pas que Dieu nous en sauve par cette « justice qui ne doit rien à la mort », en Jésus-Christ.

Lui, en effet, qui, n'ayant pas de péché (Jn 8,46), « ne devait rien à la mort », acceptera de subir le châtiment de nos propres péchés, par sa mort. Ayant donc payé le prix de notre rachat, cette mort fera justice: elle sera justificatrice, rédemptrice. C'est ce Rédempteur qui se trouve promis d'emblée, en Gn 3,15*.

Gn 3,7-8 — Ephrem : Hymni dispersi, xm (Lamy, iv, 726)

Âme, figure du Royaume,
Qui donc s'est moqué de toi
te dépouillant de ta beauté?
 — Le Maudit s'est joué de moi.
Il m'a pris mes parures ;
et je suis nue, méprisée.

Conséquences immédiates du péché: le corps se retrouve dans sa nudité, sa fragilité, propres à susciter la convoitise; mais l'âme se sent, elle aussi, nue et coupable devant Dieu qui, pour la première fois, apparaît comme effrayant.

Il reste pourtant aussi proche, et plein de douceur. C'est « à la brise du soir » qu'il passe — comme pour Elie, lors de sa vision fameuse de 1R 19,12 — de préférence à la tempête, au tremblement de terre et au feu, rappels du Sinaï (Ex 19,16-18). Après comme avant le péché, Dieu est toujours là, toujours le même. C'est l'Homme qui, comme en témoignera saint Augustin, est devenu étranger à lui-même, égaré par ses convoitises si bien qu'il n'est plus là: il fuit dans les divertissements, au sens pascalien du mot, parce qu'au fond de lui-même, il craint la rencontre avec Dieu: « Tu étais devant moi; mais moi, je m'étais éloigné de moi-même et ne me retrouvais pas: comment aurais-je pu te trouver ! » (Confessions, V, II, 2).

Plus précisément: cette brise du soir, en hébreu, c'est Ruah, le souffle ou l'esprit. C'est suggérer que cette proximité que fuit Adam était celle de son Esprit d'Amour.

Augustin: De Civ. Dei, xm, 15 (PL 41,387): La première mort fut pour Adam l'éloignement de Dieu. Quand Dieu lui dit: Adam, où es-tu? ces paroles lui faisaient remarquer qu'il était là où Dieu n'était pas. Et quand l'âme quitta le corps, détruit par l'âge, Adam fit l'expérience de la seconde mort, dont Dieu lui avait dit: Tu retourneras en poussière.

Gn 3,9 — Dieu cherche l'homme, bien mieux que l'homme ne saurait jamais chercher Dieu.

Augustin: De Gn ad litt. xi, 35(PL 34,449). Ni Eve ni Adam n'avouent leur faute. Il était pourtant né d'eux — mais éduqué par le malheur — celui qui a dit, et qui dira jusqu'à la fin des temps: « Aie pitié de moi, Seigneur! Guéris mon âme! J'ai péché contre toi » (Ps 51,5). Mais au commencement, Dieu n'avait pas encore martelé les têtes dures. Viendraient les peines, les douleurs de la mort, tous les déchirements de ce monde, et la grâce de Dieu qui en temps opportun secourt les hommes et apprend aux affligés qu'ils ne doivent pas présumer d'eux-mêmes.

Pourtant, ambroise interprète la réponse d'Eve avec plus de compréhension (de paradiso, 14, PL 14,310): « Le serpent m'a trompée, dit la femme, et j'ai mangé ». La faute est pardonnable quand elle est suivie de l'aveu du péché. Cette femme ne cache pas son péché: elle l'avoue à Dieu, et la sentence que Dieu porte est une sentence médicinale. Il est bon d'être condamné dans le péché; le cas de Caïn est plus grave, car il nia son crime; aussi Dieu ne le jugea-t-il pas digne de recevoir sa pénitence. La femme reconnut son péché, et cela lui fut compté pour le pardon. Nul ne peut être justifié de son péché s'il ne le confesse d'abord; et l'Écriture enseigne: avoue tes iniquités, afin d'être purifié (Is 43,26). Dieu jugea que la femme était pardonnable, car il savait que le serpent avait mille moyens de la tromper, lui qui se transforme en ange de lumière.

Gn 3,14Ramper, donc manger la poussière : comme on le dit quand on est derrière une voiture, sur une route poussiéreuse. La particularité physique des reptiles en fait une image du châtiment qui retombe sur quiconque désobéit à Dieu, facteur d'harmonie et de permanence: celui-là est ipso facto ramené à ce qu'il y a de caduc et de chaotique dans une réalité qui se désagrège (image de la « poussière », cf. 2,7* et 3,19*). Ce que l'Ecclésiaste appellera: la Vanité.

En maintenant que « le serpent se nourrira de poussière », même une fois rétablie la paix paradisiaque dans « les cieux nouveaux et la terre nouvelle » de l'éternité (Is 65,25), Isaïe annonce-t-il le caractère irrémédiable de ce châtiment?

Gn 3,15 // Ap 12,1-5 — De cette première promesse de délivrance, non sans mal, jusqu'à la parabole de la Femme et du Dragon, voilà posé l'axe central de toute l'histoire des hommes, déchus et rachetés par le Christ, « NE de la femme » (Ga 4,4). C'est ce que montre la suite même de l'Apocalypse: triomphe provisoire de la Bête (ch. 13) et de Babylone, la Cité pervertie (ch. 17), mais victoire promise au Christ (ch. 19) et à Jérusalem, Cité éternelle (ch. 21), une fois enchaîné Satan (ch. 20).

Il est vrai que la toute première « bonne nouvelle » du salut, en Gn 3,15 souvent appelée pour cela même, le « Protévangile » — ne parle encore, dans le texte hébreu que du « lignage », en général. Mais déjà la Septante l'interprète du Messie, personnellement, en adoptant le masculin (celui-ci) de préférence au neutre. La Vulgate latine associera la Femme, Marie, au triomphe de son Fils en traduisant: « Ipsa conteret ».

Tu l'atteindras au talon : L'image du talon revient à propos de la tribu de Dan, en lien avec l'image du serpent (Gn 49,17 — traduit, comme généralement, par jarret, puisqu'il s'agit d'un cheval); cf. Jb 18,9. Parallèlement, dans la mythologie grecque, le talon d'Achille... Le talon est cette partie du corps, basse et mal protégée, accessible à la ruse plus qu'à la force.

Mais le talon donne,aussi l'idée de proximité : ‘être sur les talons’. Ainsi de Jacob, tenant le talon d'Esaü à sa naissance, et plus tard supplanteur de son frère (suivant le jeu de mots entre ‘aqeb’ (talon) et ‘aquab’ (supplanter) qui lui donne son nom — cf. Gn 25,26 et 27,36). D'où cette autre image de lever le talon sur... où, de blessé qu'il était, le talon devient instrument de blessure et de domination.

Le Christ appliquera la parole du psaume 41,10: « Celui qui mangeait mon pain a levé contre moi le talon » à Judas (Jn 13,18). La double image s’applique donc à lui, sous ses deux formes: Il a été blessé au talon, par Satan, suivant la prédiction de Gn 3,15; et il a été blessé par le talon de Judas, instrument du même Satan (cf. Jn Jn 13,27).

1/ Ct 8,5 — Nous n'en donnons pas le texte en face de Gn 3,15, parce que le rapport entre cette conclusion du Cantique des Cantiques et la Genèse exige quelque explication préalable, que nous ne pouvons donner qu'ici :

Quel est l'argument du Cantique, suivant son interprétation messianique? La Fille de Sion (l'élue) est prise entre deux amours: celui du monde (Salomon, qui annexe la Fille de Sion à sa gloire humaine), et l'Amour du Bien-Aimé (= Dieu en son mystère). Longtemps coupable d'adultère (cf. les prophètes), la Fille de Sion va purger sa ‘trahison’ au ‘Désert’ de l'exil. Là, comme on le voit par l'histoire biblique, elle retrouve sa vocation: elle sera désormais fidèle, dans son attachement au Bien-Aimé.

Le Cantique se conclut donc sur cette force inébranlable de l'Amour, capable de triompher de la Mort (qui apparaît en Gn 3,19), des Enfers (qui « ne prévaudront pas contre Elle », l'Épouse, l'Église) et de tout l'appât des richesses (Ct 8,6-7 / N). Mais le lien de ce cri de triomphe avec le verset immédiatement précédent est généralement incompris, si bien qu'on le suppose morceau rapporté (bj). C'est d'abord qu'on a mal lu le texte hébreu, que l'on croit devoir corriger: « Sous le pommier je t'ai réveillée (au féminin), comme si c'était l'Époux qui réveillait l'Épouse. Or l'hébreu est clair : par 4 fois revient le ‘Toi’ au masculin. Le verset doit donc se lire ainsi : Ct 8,5 Qui est celle-ci, qui monte du désert appuyée sur son Aimé? « Sous le pommier, je t'ai réveillé, là même où ta mère t'a conçu : là elle conçut, elle t'enfanta.

Le sens? Le voici: purifiée par la pénitence de l'exil (dans le lieu biblique de l'Éden!) la Fille de Sion a su réveiller le premier amour de Dieu, quand Dieu annonça (en Gn 3,15) la naissance du Messie, fils d'Eve, qui est la première aïeule. C'est donc bien « sous le pommier » originel que la Femme a premièrement conçu Celui qu'il fallut tant de générations avant qu'il ne soit enfanté par la Nouvelle Eve...

Rupert de Deutz: De Trinitate m, 19 (PL 167,304): Quand il dit «Je mettrai des combats entre toi et la femme », Dieu promet une grande oeuvre de sa grâce: il annonce que ce diable vainqueur — vainqueur par trahison — la femme actuellement vaincue le vaincra à son tour, et par la force de Dieu.

Quant aux combats prophétisés, ce n'est pas la femme qui les mènera elle-même, mais sa descendance, et cela jusqu'à la victoire. D'ailleurs, après «Je mettrai des combats entre toi et la femme », Dieu ajoute: « ta descendance et sa descendance ».

De quelle descendance peut-il être question? D'une seule, le Christ. Seul, en effet, il est descendance de la femme sans l'être aussi de l'homme; si bien que la formule est irréprochable: «Je mettrai des combats entre toi et la femme, ta descendance et sa descendance » — sous-entendu le Christ. Car c'est lui qui guerroya comme un vaillant contre l'antique serpent, et ne fut jamais son complice en quoi que ce soit.

Libre donc, et rapide, ceint du baudrier, le glaive sur la cuisse, dans sa beauté, sa force et son prestige il s'avance, triomphe et règne (Ps 45). Quand l'ennemi universel rampe à ses pieds, il le frappe comme le psalmiste l'avait chanté: «Par la force de ton bras, tu as jeté à terre le superbe ». Alors s'accomplissent pour la femme, en sa descendance prédestinée, ces paroles divines: « Elle t'écrasera la tête » (... ).

Ainsi, avant même la condamnation d'Eve et d'Adam, il est clair que Dieu, dans sa Justice — qui n'est autre chose que la constatation réaliste de la situation telle que l'Homme l'a détériorée — n'est pas là pour accabler le pécheur, mais pour lui trouver les moyens de s'arracher à la domination du Mal, sous laquelle l'Homme s'est si imprudemment jeté, en dépit des avertissements de Dieu (2,17). Cf. Aa: « La Sagesse le releva de sa chute ».

Gn 3,16-19 — L'antagonisme entre l'Homme et Dieu se répercute en tous domaines: entre la chair et l'esprit (Rm 8,7), entre l'époux et l'épouse (v. 16), entre l'Homme et la terre (v. 17-18 // Rm 8,19-22), entre le corps de terre et t l'esprit donné par Dieu qui, à la mort, s'en reviennent chacun à leur origine (// Qo Qo 12,7).

Ce n'est donc pas un châtiment arbitrairement ajouté par Dieu, mais le résultat direct du péché. Il atteint donc l'homme et la femme conjointement. Même si leur rôle respectif — maternité, gagne-pain — est indiqué, ce n'est pas en exclusivité. La mère de famille n'est pas « sans travail », ni épines ou ronces étouffantes, à son foyer même, pas plus que l'homme ne serait exempté dans la vie spirituelle de l'attente, des peines et de la joie de la naissance (// Jn 16,21-22).

En tout cela, cependant, c'est le développement harmonieux des activités de l'homme et du monde même qui se trouve désaccordé. La nature demeure fondamentalement création de Dieu, donc bonne, et toujours susceptible d'intimité avec Dieu. Ce qui est perdu, c'est l'accès immédiat à cette grâce, le « Paradis terrestre ».

Pour la retrouver, reste la souffrance et la mort acceptée, d'abord du Christ (annoncé lointainement au v. 15), mais aussi, en union avec lui, de toutes nos existences humaines. Telle est la perspective de ces versets 16-19: moins châtiment que révélation de la valeur rédemptrice donnée aux difficultés delà vie la plus quotidienne (cf. Mi 4,10/ à Gn 3,16 et l'explicitant).

/ Mi 4,10 — Cette prophétie annonce plus directement la prolifération du Mal dans Sion, jusqu'à sa destruction et l'exil de ses habitants à Babylone (Babel). Mais plus typiquement encore, on y reconnaît l'histoire de l'Homme, depuis la chute d'Adam, chassé hors du Paradis terrestre, et la rivalité entre Caïn et Abel, jusqu'au Déluge et à la dispersion dans la confusion des nations, à Babel. Car il faut lire cette prophétie dans son contexte, annonçant le règne (4,1 -5) et la délivrance, au sens d'une libération (4,13) mais aussi d'un enfantement (4,10). Et de quel enfantement s'agirait-il, sinon de ce Messie promis en Gn 3,15, dont Michée précise qu'il doit sortir de Bethléem, la ville de David et du Christ (5,1-4). Ainsi, nous voyons se confirmer cette perspective unique de l'Histoire du Salut, où vont converger toutes les prophéties et tous les événements qui constitueront peu à peu l'Histoire Sainte d'Israël.

Gn 3,16 — Voir à 4,7* les parallélismes voulus sur l'alternative: ou bien la domination de l'Homme sur ses tendances au péché ou bien, à l'inverse, comme ici. la sujétion où le péché réduit l'Homme.

Gn 3,17La terre est maudite à cause de toi: à l'inverse de la bénédiction originelle sur les animaux (1,22) et l'homme (1,28), en promesse de fécondité. Tel est donc l'effet de la solidarité entre l'homme et le reste de la création : s'il pèche, il entraîne dans sa disgrâce le monde entier. Ce sera un des thèmes les plus constants de la Bible, notamment des Prophètes, que cette relation mystérieuse entre péché des hommes et malédiction de leur pays ou les vicissitudes de leur histoire (cf. 2R 17,7-23 ou Os 4,1-3).

Cependant la malédiction où, de fait, la création vient d'être entraînée, n'empêche pas Dieu d'aimer l'Homme, ni même cette terre, toujours fondamentalement bonne:

RUPErt de deutz: De Victoria Verbi Dei II, 15 (PL 169, 1255). Ni à la femme ni à l'homme Dieu ne dit: Tu es maudit; mais seulement: Maudite la terre dans ton travail! Cette malédiction de la terre n'est pas autre chose que les déconvenues continuelles infligées à l'agriculteur, depuis que la terre a participé à la corruption du péché.

Gn 3,19 — Ce qui est nouveau, ce n'est pas que l'homme soit mortel — tout ce qui vient de la poussière est, par nature, corruptible — mais que, privé de l'union au Dieu éternel qui aurait pu l'exempter de cette désagrégation en le maintenant dans l'unité d'une vie supérieure, l'Homme se trouve désormais effectivement réduit aux limites de son existence naturelle, mortelle, bien souvent raccourcie encore par ses excès mêmes (cf. 6,3), alcoolisme, accidents de la route, etc...

En poussière: Ce qui correspond aux idées grecques de multiple, de divers, d'indéterminé, c'est chez les Hébreux la poussière. La poussière est l'image même de la mort: c'est le résultat de la désagrégation. La poussière est, pour les Hébreux, objet d'horreur et d'abomination. Elle était, pourrait-on dire, sacrement de deuil: dans les grandes catastrophes, en signe d'affliction, les Juifs se couvraient la tête de poussière (Jos 7,6 Ne 9,1 Jb 16,15 Am 2,7 Am 2, Ap 18,19).

Au serpent il est dit: Tu marcheras sur le ventre, et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie (Gn 3,14). Cf. Ps 102,10: Je mange la poussière comme du pain.

La mort qui nous attend, qui nous habite, c'est cette puissance que nous avons de redevenir poussière: ... tu es poussière et tu retourneras à la poussière (Gn 3,19) (cl. tresmontant: Essai sur la pensée hébraïque, Cerf 1953, p. 16-17).

Gn 3,20Havvah et Hayah : Eve, Vivant. Loin d'accabler la Femme, la Genèse l'encourage dans la mission salvatrice annoncée aux versets 15-16. Et toute la Tradition chrétienne, à commencer par saint Irénée, l'exalte en la Nouvelle Eve, Marie.

Gn 3,21L'importance du vêtement est implicitement indiquée par les premiers chapitres de la Genèse. Adam, après le péché, s'aperçoit qu'il est nu: le péché l'a dépouillé. C'est donc qu'auparavant il était vêtu; suivant la mystique hébraïque, qui probablement date du judaïsme, c'est-à-dire de l'époque où furent écrits ces chapitres, Adam avant le péché n'était pas nu: il était vêtu, mais vêtu de lumière, vêtu de cette splendeur et de cette gloire dont la grâce ornera l'homme — vêtu de cette robe nuptiale avec laquelle il convient de se présenter devant le Seigneur. Après le péché, Adam reconnaît qu'il est nu, privé de ce vêtement de lumière. Dieu, alors, couvre cette nudité, mais pas avec un vêtement de gloire: plutôt avec un vêtement de mortalité, d'humiliation, de peine. «Il vêtit Adam de peaux mortes », dit la Genèse. D'après les Pères de l'Église, ces peaux mortes sont précisément le signe de la mortalité, de la corruption à laquelle l'homme est soumis après le péché. L'homme est revêtu de mort, non de gloire ni de lumière, mais de ténèbres et de lamentations.

En acceptant l'Alliance avec Dieu, l'homme doit maintenant prendre un autre vêtement, se dépouiller de ces peaux mortes et se vêtir autrement, pour entrer en la divine présence: on ne vit pas devant Dieu sans la robe nuptiale. Celui qui vit en communion avec Dieu manifeste son retrait du monde profane et son entrée dans le monde divin en changeant de vêtement. Au baptême, le prêtre dit au candidat: « Reçois ce vêtement blanc, prends la résolution de ne jamais le perdre, porte-le jusqu'à ce que tu arrives au ciel ». Le chrétien est ainsi orné d'un vêtement de lumière.

Toute consécration comporte un vêtement. Celui qui se consacre à Dieu doit se soustraire au monde: quelque chose doit le protéger, le mettre à part, l'écarter de ce monde de péché. Et comment nous mettre à part, à l'écart de ce monde?

Tout chrétien reçoit un vêtement au baptême; le moine reçoit un vêtement nouveau; le prêtre aussi — en Occident, le sacerdoce implique un début d'initiation monastique: la tonsure, et aussi le vêtement quand le jeune homme devient « clerc ». En Orient, le passage d'un degré à l'autre dans l'ordre monastique comporte à chaque fois un vêtement nouveau, jusqu'à ce que le moine parvienne au degré le plus haut et le plus parfait. Être orné de ce vêtement nouveau, est le signe de sa dignité et de son appartenance de plus en plus intime et totale au Seigneur.

Je veux bien reconnaître que « l'habit ne fait pas le moine »; mais de toute façon il est nécessaire qu'à son seul aspect tout le monde reconnaisse le moine comme étant la propriété de Dieu. Les moines doivent être les témoins de l'invisible, ils doivent être des hommes marqués. Appartenir à Dieu, cela veut dire être marqué d'un signe de feu, être vêtu de la robe nuptiale (d. barsotti : La Spiritualité de l'Exode, Ed. Téqui 1982, p. 206).

chrysostome: Hom. 18, sur Gn (pg 53,150-152): Le Seigneur revêtit Adam et sa femme de vêtements de peau, comme un père miséricordieux qui voit ses enfants pleins de confusion; il les couvrit, mais d'un vêtement vil, celui qu'ils avaient mérité.

« Voici Adam comme l'un de nous! » Dieu ironise, les fait rougir pour qu'Ils comprennent. « Qu'il n'aille pas prendre de l'arbre de vie!...» Nous pouvons schématiser en disant que Dieu avait établi deux arbres, l'un « de vie » et l'autre « de mort », pour permettre à l'homme de faire ses preuves entre l'obéissance et la désobéissance. L'expérience fut concluante: pour que l'homme ne continue pas une vie où il pécherait perpétuellement, il n'y avait plus qu'à le chasser du paradis.

Gn 3,23-24 — Si le Paradis terrestre venait de l'intimité où Dieu avait admis l'Homme avec Lui (cf. 2,8 * ), le péché, éloignant l'Homme de Dieu, lui fait donc perdre par le fait même, le Paradis. Ici comme au Jugement dernier même, le châtiment découle de la faute, non d'une vengeance divine.

Le Paradis ne sera plus accessible désormais sur terre. On ne pourra « voir Dieu sans mourir ». Reste à l'homme à « travailler la terre d'où il avait été pris »: culture du sol, culture de soi. Par le travail, que l'Homme ait à se racheter.

Les Kérubim, ailés, gardiens des lieux saints en Mésopotamie, se retrouveront pour veiller sur l'Arche d'Alliance (Ex 25,18-22) dans le secret du Saint des Saints, seul point de rencontre désormais entre l'Homme et son Dieu.

// Ap 3,17-19 Ap 22,13-15 — La symbolique du vêtement, amorcée en Gn 3,21, est reprise par le Christ dans la parabole de la robe nuptiale (Mt 22,11-12). Car si tous les hommes sont appelés, qu'ils soient «bons ou mauvais» (Mt 22,10), nul n'est pourtant exempté d'avoir «revêtu l'Homme nouveau, celui qui a été créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité » (Ep 4,24).

Ap 3,17-19 dévoile nos illusions pharisaïques; au contraire, l'humilité nous apprendra d'où peuvent nous venir « l'or » (de la rédemption), le vêtement (de l'Homme nouveau) et la guérison de nos péchés: « de Moi », c'est-à-dire de Dieu, plus encore que pour les simples « tuniques de peau », elles aussi procurées par Dieu en Gn 3,21.

Ap 22,13 répond encore plus directement à Gn 3, puisqu'on y retrouve l'arbre de vie et la Ville, la Jérusalem céleste du ch. 21 dont le Paradis terrestre était l'image et l'annonce. Or, si le péché en exclut, il est notable que, pour y entrer et avoir puissance sur l'arbre de vie, soit exigée cette robe (nuptiale) lavée dans le sang de l'Agneau (comme le précisait la vision de l'humanité rachetée d'Ap 7,9-14). Si l'on songe qu'Ap 22 clôt le Nouveau Testament, il est clair que du commencement à la fin de la Bible, c'est bien une même perspective convergente, depuis le faux départ de Gn 3 jusqu'au retour en Paradis de l'humanité, sauvée par le sacrifice de Jésus-Christ.

// Ap 12,7-9 Ez 28,12-19 Rm 5,12-19 et Rm 6,23 — Nous regroupons en finale trois textes développant les antécédents et les conséquences du péché de Gn 3
AP 12,7-9: relève de la vision fondamentale de la lutte entre la Femme et le Dragon (voir 5'),mais se rattache aussi directement à Gn 3 par la mention expresse que le Dragon n'est autre que l'antique serpent. A l'histoire du Paradis terrestre, l'Apocalypse donne ainsi une pré-histoire dans le ciel, qui explique la virulence et la jalousie du démon (cf. 3,7*): « Malheur à vous, la terre et la mer, poursuit l'Apocalypse, car le diable est descendu vers vous, emporté de fureur, sachant que peu de temps lui reste ».

Ez 28,12-19: Vise expressément le prince de Tyr, mais comme type de l'orgueil et de sa chute, de même que la satire parallèle d'Isaïe sur le roi de Babylone (14,12-15). La chute des anges ou le péché d'Adam se trouvent donc aussi évoqués en arrière-plan, comme prototypes de tout notre fol orgueil, par le rappel de l’Éden, jardin de Dieu (v. 13). Voilà Lucifer déchu de son rôle de Kérub protecteur (Gn 3,24*) aux ailes déployées comme ceux qui veillaient sur l'arche (Ex 25,18-22), et surtout comme ceux de la vision inaugurale d'Ézéchiel (1,6-14) allant et venant comme eux au gré de l'Esprit. Il est devenu le « Satan » (l'adversaire, l'accusateur public), le diable (le calomniateur), serpent qui rampe dans la poussière...

Rm 5,12-19: Mise en perspective par saint Paul de Gn 3. Toute l'histoire du Salut est axée sur: Adam — » le Christ; Désobéissance — > Obéissance; Règne du Péché, puissance de Mort — * Règne de la Grâce pour le rétablissement de la Justice vivifiante. De l'un à l'autre des deux stades, il y a non seulement parallélisme (« Adam est le type de Celui qui doit venir » — cf surtout le v. 18), mais enchaînement, car le Péché appelle la Miséricorde, la Mort exige une Rédemption qui, rétablissant la Justice, conduise à la Vie dans l'union à Dieu, la Désobéissance sera effectivement compensée par l'Obéissance «jusqu'à la mort et la mort de la croix » (Ph 2,8). D'Adam au Christ, il y a surtout un tel progrès (v. 17) que le rapport est plus encore d'opposition (v. 15-16). C'est donc le Christ qui est au centre de tout et entraîne tout, Adam et son péché étant eux-mêmes vus dans cette perspective.

Puisqu'il s'agit de l'humanité tout entière, l'image des deux Adam prend valeur collective. Non que la personnalité d'Adam et de son péché soit niée: elle ressort au contraire, tant de sa comparaison avec le Christ (qui, lui, est certainement vu ici à titre premièrement personnel) que de l'insistance initiale sur le fait qu'« un seul homme » a fait entrer le péché dans le monde. Mais ce péché initial a bien retenti sur toute l'histoire de l'humanité, de même que, et bien davantage encore, la grâce du Christ imprégnera tout son Corps Mystique.

Cette solidarité est affirmée au verset 12. Nous traduisons: «... La mort a passé à toute l'humanité, et sous son règne tous ont péché... » La locution ’eph ô' se range sous la règle « Touto epi émoi estin » = ceci est en mon pouvoir. Ici ’eph ô' = au pouvoir de la mort (masculin en grec). Le substantif qui s'harmonise le mieux au contexte est « sous le règne de la mort tous ont péché». Saint Paul ajoute en effet aussitôt: avant même que la Loi ne soulignât le péché, la mort régnait (ebasileussen). On peut voir dans tob d'autres interprétations.

Sans entrer dans les discussions théologiques sur la nature de ce « Péché originel », rappelons au moins l'enseignement de la Tradition, tel que le résume le Credo de Paul vi :

« Nous croyons que ... la Faute originelle, commise par Adam, a fait tomber la nature humaine, commune à tous les hommes, dans un état où elle souffre les conséquences dolentes de cette faute, état qui n'est pas celui dans lequel nos premiers parents avaient été établis, constitués dans la Sainteté et dans la Justice, et dans lequel l'homme devait être exempt du Mal et de la Mort. La nature humaine, ainsi tombée, est dépouillée du don de la Grâce, qui l'ornait auparavant, et, blessée en ses propres forces naturelles, elle est soumise à l'empire de la mort, qui passe en tous les hommes: c'est pour cette raison que tout homme naît dans le péché.

Nous tenons donc, selon le Concile de Trente, que le Péché originel est transmis avec la nature humaine, par propagation, non par imitation, et qu'il est propre à chacun » (cf Denzinger, DS 130 DS 175 DS 787-792).

Les v. 13-14, également difficiles, affirment en tous cas: depuis Adam, tous les hommes sont « enfermés dans la désobéissance, le péché et la mort,

nour que, par la foi en Jésus-Christ, les croyants reçoivent la Promesse* » (Rm 11,32 et Ga 3,22).

Retenons surtout la double équivalence entre laquelle saint Paul, pour conclure, nous donne le choix: Péché — » Mort, ou bien Grâce — > Vie éternelle.

« Désormais, lorsqu'Adam et Eve quittent le Paradis pour entrer dans le Monde, ils y apportent le Bien et le Mal qui sont en eux; ils prétendent les connaître, c'est-à-dire qu'ils affirmeront avoir la puissance de les faire et de les défaire. Ils penseront que, selon la promesse du Serpent, ils sont désormais’comme Dieu'; ils oublieront que, comme le Serpent lui-même, ils ne sont que des êtres de l'horizontalité et de l'aplatissement, rampant sur le sol et se détournant du ciel » (Jean brun: Les rivages du monde, ddb. 1979, p. 152).



Bible chrétienne Pentat. 1130