Bible chrétienne Pentat. 1200

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II. LA BÉNÉDICTION EN BUTTE À LA MALÉDICTION

Gn 4-11)

On se rappelle que les chapitres 1 à 11 de la Genèse forment une sorte de Prélude où sont annoncés les grands axes de toute l'histoire du Salut:

 — D'une part la prolifération du Mal qui, d'Adam et Eve (ch. 3) se répercute en Caïn et Abel (ch. 4), s'aggrave en Lamek (4,23-24), puis se généralise au temps de Noé et de Babel (6,2.5.13 ; 11,4), entraînant chaque fois la réprobation de Dieu (3,14-19; 4,11-12; 6,3.5-7; 11,6-7) et le châtiment (3,22-24; 4,16 b; 7,6-24; 11,8-9).

 — Mais d'autre part, la création de Dieu demeure bonne; sa bénédiction s'accomplit dans le développement de l'espèce humaine et de sa première emprise sur la nature (4,2; 4,20-22, 5,1-29), qui reprend de plus belle sitôt passé le déluge (généalogie des nations, au ch. 10, dont nous ne donnons pas le détail, mais qui relèverait de cet axe bénéfique).

Surtout, après chaque catastrophe, Dieu suscite un Élu; grâce à quoi l'histoire du Salut peut rebondir, dans un cadre chaque fois plus particularisé, plus humble: après le meurtre d'Abel, Seth (4,25-26); Au déluge, Noé (6,8); après Babel, Abraham et sa descendance, l'histoire des Patriarches (12-50) s'enchaînant ainsi avec celle des Origines (1-11).

Par là se prépare, de loin, la lignée d'où viendra le Sauveur, comme l'indiqueront les Évangiles en insistant sur la continuité de Jésus avec David, Juda, Abraham, Sem, Noé, Seth et Adam (Lc 3,23/ Ak).

Comme nous l'indique un verset capital de l'Épître aux Hébreux (He 11,3 / Ab), si nous lisons les livres de l'A.T. «à la lumière de la foi, nous comprenons », dans cette « histoire visible, le dessein voilé de Dieu », qui attire tous les événements pour qu'ils « se rangent sous sa Parole » (son Verbe), et convergent donc tous vers le Christ et son Église.



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1. CAÏN ET ABEL: LE MYSTERE DU SANG

Gn 4)

Le sang, principe de vie, appartient à Dieu, créateur de cette vie, non aux hommes, dépositaires seulement de la vie. D'où l'offrande primordiale du sang a Dieu, au cours des sacrifices de l'Ancienne Alliance (Lv 1,5) et même pour le sacrifice de la Nouvelle Alliance «en mon sang» (He 9,13-14 He 9,22). Si les animaux comme les plantes peuvent servir à la nourriture de l'homme, seul doit en être exclue « la chair avec son âme c'est-à-dire le sang » (Gn 9,3-4). Et Dieu rendra un compte jaloux du sang versé (9,5-6). D'où aussi la gravité du meurtre, condamné par le cinquième commandement du Sinaï, mais déjà par l’histoire exemplaire de Caïn et Abel : les hommes ne sont-ils pas tous frères?

Mais tout comme l'amour de Dieu s'exprime et se prouve dans l'amour du prochain, la rivalité avec Dieu d'Adam et Eve se prolonge dans toute rivalité fratricide. Caïn et Abel n'en sont qu'un premier exemple, mais toute haine est homicide tandis qu'à l'inverse, le Christ nous appelle à donner effectivement notre vie pour les autres, comme il l'a fait lui-même (1 Jn 3,\l-lS/ Ad).

Gn 4,1Adam connut Eve... elle enfanta... : Jean-Paul ii: Audience du 26 mars 1980 (Doc. cath. 1980, p. 365-367): Par cette ’connaissance' biblique, l'être humain, homme et femme, donne non seulement le nom propre, comme il l'a fait en donnant des noms aux autres êtres (,animalia/) et en en prenant ainsi possession, mais « il connaît » au sens de Gn 4,1 (et d'autres passages de la Bible), et cela réalise ce que le nom « être humain » exprime: il réalise l'humanité dans le nouvel homme engendré.

De cette manière se termine le cycle biblique de la « connaissance — procréation »... L'être humain, homme et femme, qui par la « connaissance » dont parle la Bible, conçoit et engendre un être nouveau, semblable à lui, auquel il peut donner le nom « d'homme » («j'ai procréé un homme »), prend, pour ainsi dire, possession de l'humanité elle-même, ou mieux, il reprend possession.

... Le commandement « Soyez féconds et multipliez-vous » cache un autre contenu et indique une autre composante. L'homme et la femme dans cette « connaissance » où ils donnent naissance à un être qui leur est semblable et dont ils peuvent dire en même temps qu'il est « la chair de ma chair et l'os de mes os », sont presque « ravis » ensemble, ils sont pris tous les deux en possession par l'humanité qu'ils veulent, dans l'union et dans la « connaissance » réciproque, exprimer d'une manière nouvelle, en la tirant d'eux-mêmes, de leur humanité... et du mystère même de la création...

... Le cycle de la « connaissance-procréation » a été soumis, après le péché, à la loi de la souffrance et de la mort... et voici que le premier homme donne à sa femme le nom d'Eve (mère de tous les vivants), lorsqu'il a déjà entendu les paroles du jugement qui détermine la perspective de l'existence humaine « à l'intérieur » de la connaissance du bien et du mal. Cette perspective est confirmée par les paroles : « Tu retourneras à la terre »... L'horizon de la mort s'étend sur toute la perspective de la vie humaine sur terre. L'homme qui a enfreint l'Alliance avec son Créateur en prenant le fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, se trouve détaché par Dieu Yahvé de l'arbre de la vie: « Maintenant, qu'il ne tende pas la main pour prendre aussi de l'arbre de vie, en manger et vivre à jamais. » La vie donnée à l'homme dans le mystère de la création n'a pas été enlevée, mais réduite dans les limites de la conception, de la naissance et de la mort... cependant elle est de nouveau donnée comme tâche dans le même cycle qui revient toujours...

La conscience de la signification du corps et la conscience de sa signification procréatrice se trouvent en contact, dans l'être humain, avec la conscience de la mort dont il porte en elle, pour ainsi dire, l'inévitable horizon. Pourtant, le cycle « connaissance-procréation », où la vie lutte sans cesse avec l'inexorable perspective de la mort et la dépasse toujours, revient toujours dans l'histoire de l'homme. C'est comme si la raison de cette opiniâtreté de la vie qui se manifeste dans la procréation, était toujours la même « connaissance » par laquelle l'homme dépasse la solitude de son être, et se décide de nouveau à affirmer cet être dans un « autre ». Et les deux, l'homme et la femme, l'affirment dans le nouvel être humain engendré. Dans cette affirmation la « connaissance » biblique semble acquérir une dimension encore plus grande. Elle semble s'insérer dans cette « vision » de Dieu lui-même par laquelle finit le premier récit de la création de l'être humain concernant « l'homme » et « la femme » faits « à l'image de Dieu » : « Dieu vit ce qu'il avait fait, et c'était Bon » (Gn 1,31). Malgré toutes les expériences de sa vie, malgré les souffrances, les déceptions, malgré sa culpabilité, malgré enfin la perspective inévitable de la mort,... l'homme confirme sans cesse la vérité de ces paroles.

Gn 4,1J'ai procréé un homme: Jeu de mots entre Caïn et le verbe qanah : acquérir, acheter, racheter. Mais ce verbe peut prendre aussi le sens de ’créer', quand Dieu en est le sujet (cf. Gn Gn 14,19 ou Ps 139,13). Eve joue donc aussi sur le sens même du verbe: cet enfant, elle l'a non seulement acquis mais formé, ’pro-créé'.

Par Yahvé : La Genèse insiste sur l'intervention de Dieu dans la naissance des hommes (cf. 29,31; 30,2.22): «Tout don excellent descend du Père des Lumières » (Jc 1,17); « toute paternité — ou maternité — tire son nom du Père des cieux » (Ep 3,14).

// Sg 10,1-2 — Chassés du Paradis par leur faute, Adam et Eve ne sont donc pas livrés à eux-mêmes. Durant ce temps où, suivant la Tradition, ils se rachètent par leur travail, ils sont déjà protégés par cette Sagesse éternelle (Pr 8 Si 24) qui s'incarnera dans le sein de la Vierge.

Gn 4,3-4En sacrifice, préludant ainsi aux prescriptions à venir (Ex 34,19 Lv 3,16). Dira-t-on que le rédacteur de la Genèse a projeté rétrospectivement les pratiques de la Loi sur une histoire bien antérieure à la Révélation du Sinaï? Mais il s'agit d'un rite symbolique si parlant qu'on le retrouve au centre de toutes les religions: « L'essence même, la nature de la religion, implique la nécessité du sacrifice. C'est là que réside le suprême élément du culte divin, qui consiste à reconnaître et à révérer Dieu comme le souverain dominateur de toutes choses, sous la puissance de qui nous sommes nous-mêmes, avec tout ce que nous possédons... Supprimez les sacrifices: aucune religion ne peut exister... » (léon xiii: Caritatis Studium,25/17 1898).

La forme la plus naturelle du sacrifice est l'offrande des prémices, telle que déjà Caïn et Abel nous en donnent l'exemple. Mais sous le symbole de ses moyens de subsistance, c'est l'appartenance de lui-même comme créature au Dieu créateur que l'homme reconnaît solennellement. D'où la notion plus spirituelle d'un « sacrifice de louange » (Ps 50 Ps 51 Ps 107,22). Et si les victimes animales ne suffisent pas, l'Homme lui-même s'offrira (Ps 40,7-8): ce qui s'accomplit enfin parfaitement dans le sacrifice du Christ (He 10,4-10). Alors, le but visé par le sacrifice — sacrum facere, rendre saint, consacrer, faire entrer dans le domaine du Dieu saint — est pleinement atteint, comme l'explique St Augustin :

Augustin: De Civ. Dei, x, 6 (PL 41,283): Est un vrai sacrifice toute oeuvre qui se fait pour que nous adhérions à Dieu en société sainte, autrement dit toute oeuvre ayant pour fin ce Bien qui nous rendra vraiment bienheureux. C'est pourquoi la miséricorde elle-même par laquelle nous venons en aide aux hommes, n'est pas un sacrifice si elle n'est pas faite à cause de Dieu. Car un sacrifice est chose divine, même s'il est accompli ou offert par un homme. De là vient que l'homme lui-même, s'il est consacré par le nom de Dieu et voué à Dieu, est un sacrifice en tant qu'il meurt au monde pour vivre à Dieu.

(Col 298) Le Médiateur véritable, l'Homme-Christ Jésus, est devenu Médiateur en prenant la forme de l'esclave. Dans la forme de Dieu, il reçoit le sacrifice avec le Père, avec lequel il est un seul Dieu; mais dans la forme de serviteur, il est le sacrifice. Il est donc à la fois prêtre et offrande. Et de cela il a voulu que le sacrifice de l'Église soit le sacrement quotidien: l'Église, étant le Corps du Christ, apprend à s'offrir elle-même par Lui. Les sacrifices antiques des justes ne furent que les signes variés et multiples de ce « vrai sacrifice ».' c’est lui seul qu'ils préfiguraient tous; comme si l'Histoire sacrée avait voulu, par de multiples démonstrations, inculquer une même vérité afin de la recommander fortement sans lasser les auditeurs. Devant ce sacrifice vrai et souverain, tous les sacrifices figuratifs s'effacèrent.

(ch. 25, Col 302) Par la foi de ce mystère, les justes antiques purent eux-mêmes être purifiés, en vivant pieusement, non seulement avant que la Loi ne fût donnée au peuple hébreu (car Dieu et les anges ne leur manquèrent pas comme prédicateurs), mais également au temps de la Loi.

Gn 4,4Dieu regarde, ou non : c'est déjà le thème de la Face de Dieu, qui « se tient éloigné des méchants, mais entend la prière des justes » (Pr 15,29 cf. Ps Ps 138,6). Car « son regard suit le pauvre / ses paupières éprouvent les fils d'hommes / Le Seigneur éprouve le juste et l'impie / Qui aime le mal, Dieu le hait » (Ps 10,4-5). « Qu'il fasse briller sur nous sa Face, et nous serons sauvés » (Ps 80,4 Ps 31,17 Ps 67,2 Nb 6,25-26).

Bien entendu, il ne faut pas accuser Dieu d'arbitraire, encore moins de méchanceté. S'il « hait » le fauteur du mal, c'est par l'incompatibilité qu'il y a entre sa toute bonté et celui qui est devenu, par sa faute, mauvais (Ps 5,5-6): « Ce sont vos péchés qui ont creusé un abîme entre vous et votre Dieu » (Is 59). Comme Adam et Eve après la Chute, Caïn craint de se trouver face à Dieu (Gn 4,14) et s'en éloigne (4,16).

Mais pourquoi, dès avant le crime, Yahvé regarde-t-il favorablement le sacrifice d'Abel et non celui de Caïn? Serait-ce déjà par cette sorte de préférence du cadet ou du petit par rapport à l'aîné ou au fort, qui fera choisir Jacob, David et le peuple hébreu lui-même, plutôt qu'Ésau (Gn 25,23), Eliab (1S 16,6-7) ou les Egyptiens (Dt 7,7)?

// He 11,1-4 — apporte cependant un motif supplémentaire au libre choix de l'amour (electi — dilecti, Col 3,12) : la foi qui rend plus généreux le sacrifice d'Abel (v. 4).

Chrysostome: Hom 18 sur Gn (pg 53,155): Abel offrit des prémices de son troupeau, et de leur graisse: c'est-à-dire qu'il choisit ce qu'il avait de meilleur. Caïn fit son sacrifice avec des fruits de la terre, n'importe lesquels, ce qui lui tombait sous la main. Chaque syllabe contient un enseignement : Dieu ne regarde pas aux personnes, mais nos actes manifestent l'intention de notre âme.

Gn 4,6-7Tête baissée: notation psychologique; mais prend aussi valeur anthropologique, s'il est vrai que le port de la tête droite est le propre de l'homme, par opposition avec les autres animaux, y compris les primates. Or le retour possible à la bestialité est impliqué dans l'avertissement du v. 7. Et si tu n'agis pas bien, à la porte le péché est couché. On traduit souvent : « est tapi ». Mais ce n'est pas le sens, qui est d'une bête non à l'affût mais au repos (Mandelkern, qui donne en // Gn 49,14 Ex 23,5, cubare, quiescere, quiète vivere). À ce stade, la bête est encore couchée, et la tentation extérieure: à la porte, non pas dans le coeur. On pense au sermon où saint Augustin montre le diable comme un chien attaché, qui ne peut mordre que l'imprudent venu se mettre à sa portée.

La fin du v. 7 est en parallèle étroit avec Gn 3,16 (Eve)

« Vers toi ses désirs « Vers ton homme tes désirs
et toi et lui
domine-le (4,7) » dominera sur toi » (3,16)

Ainsi est montrée la différence de situation de l'homme avant le péché (qu'il est encore libre de dominer) et après la chute où le désir rend l'âme servile et la prépare à toutes les servilités. Au contraire, quand le Christ annonce son Règne, il nous encourage à « relever la tête » (comme il le disait à Caïn déjà), car votre délivrance est proche »: (Lc 21,28). Cf. // Jb 11,14-15.

Gn 4,8-10Sortons dans les champs: signe de préméditation du meurtre, mais aussi premier rapprochement avec le Christ, lui aussi crucifié « hors de la porte », comme les victimes des sacrifices dont le corps devait être brûlé « en dehors du camp » (He 13,11-12).

Augustin : De Civ. Dei, xv, 18 (PL 41,461): « Dans le meurtre d'Abel, c'est un profond mystère qui nous est présenté: Abel et son frère Seth figurent la mort du Christ et sa résurrection d'entre les morts ».

Rupert de Deutz: De Trinitate iv, 4-5 (PL 167,328-330): Écoutons ce que proclament la vie et la mort du juste Abel. L'Apôtre dit en effet que « mort, il parle encore » (He 11,4 I Ab). Que nous dit-il, ce premier témoin? Tout ce que fit Abel et tout ce qu'il pâtit est signe et figure de notre Seigneur Jésus-Christ...

Abel, après son sacrifice, est appelé dehors par son frère mauvais, puis tué; cela parce qu'au soir de la sainte Cène, notre Seigneur Jésus-Christ, prêtre et victime, offert de ses propres mains, agréé en odeur de suavité, fut livré par le disciple dégénéré, entraîné hors de la ville et crucifié. Voilà ce que nous dit Abel: mort, il parle encore; et sous l'autel de Dieu, parmi les âmes de tous ceux qui furent tués pour le témoignage rendu au Verbe (Ap 6,9), il est le premier à faire entendre sa voix. Cette voix dans le ciel condamne le clan de Caïn, et sur la terre édifie la Sainte Église qui rassemble les élus.

Chrysostome: Hom 19 sur Gn (pg 53,159-160): Que fais-tu, ô Caïn! Qu’as-tu donc contre tes parents, que tu médites de leur infliger un tel deuil, et de leur montrer, toi le premier, ce qu'est la violence de la mort?

Où est ton frère Abel? Là encore, ce que Dieu cherche c'est d'amener le coupable à confesser le crime, pour obtenir, peut-être, pardon et miséricorde.

ambroise: De Caïn et Abel, II, 9 (PL 14,355): Pèse bien la réponse de Caïn: « Suis-je le gardien de mon frère? » Oui, il devait être son gardien, puisqu'il était son frère! C'était son devoir le plus impérieux! Mais comment aurait-il obéi au sentiment de la nature, lui qui ne respectait pas Dieu? Il nie donc, comme s'il s'adressait à quelqu'un qui ne sait pas! Puis, il récuse la charge de garder son frère, comme s'il se dérobait à la nature, et il récuse le Juge, comme si c'était à lui, Caïn, de porter le jugement ! Comment s'étonner qu'il renie l'affection familiale, lui qui renie son Créateur? Dans ce passage des Écritures nous apprenons que la foi est la racine de toutes les vertus.

...(Col 356). La voix du sang de ton frère crie ... Ce n'est pas ton frère qui t'accuse, c'est ton crime... Dieu entend les justes, même quand ils sont morts, car ils vivent à Dieu.

La voix du sang... clame vers Moi, de la terre: il ne suffirait donc pas d'ensevelir le sang avec le cadavre, comme le fait remarquer Juda à ses frères prêts à tuer Joseph (Gn 37,26), car devant le Seigneur « la terre dévoilera le sang» (Is 26,21) C'est à Dieu qu'il en appelle — «vers Moi», cf. // Jb 16,18-19 — non à la vendetta.

Gn 4,11 — chrysostome: Hom 19sur Gn (pg 53,162):Tu es maudit de la terre: Ne passez pas négligemment sur la différence des malédictions : elles manifestent combien le péché de Caïn est plus grave que la prévarication d'Adam. Alors, Dieu avait dit: La terre est maudite dans tes oeuvres (Gn 3,17). Ici, c'est l'homme lui-même qui est maudit: Tu es maudit, toi, de la terre. Il a fait à peu près comme le serpent: comme lui, il a introduit la mort par le mensonge; il a trompé son frère pour le tuer.

Gn 4,13 // Pr 28,17Errant, fugitif : à l'opposé d'Abraham, Isaac ou Jacob dont l'existence itinérante devient « pèlerinage », parce que l'appel de Dieu lui a donné un but et une « patrie », fût-elle encore à venir (Gn 12 // He 11,8-9 / Bf).

ambroise: De Caïn et Abel, n, 9 (PL 14,356): Je me cacherai loin de ta race. Il n'est rien de plus grave que Téloignement de Dieu. Une vie frustrée du gouvernement divin court à l'abîme.

Gn 4,15Sept fois: amorce de Gn 4,23-24*. Ainsi les textes de la Bible se font mutuellement écho.

Yahvé mit un signe: comme la mort sera épargnée aux Hébreux marqués du sang de l'Agneau pascal (Ex 12,13), comme seront marqués les élus avant l’Apocalypse (Ap 7,1-4 cf. // Ez 9,4 / Af), nous sommes prémunis contre la malédiction par « le sang plus éloquent que celui d'Abel » (// He 12,24) dans lequel nous avons été baptisés et « sauvés de la colère » (Rm 5,9 cf Ep 1,7 He passim).

Gn 4,16Au pays de Nod: inconnu par ailleurs, il correspond à la sentence: tu seras Nâd (vagabond), au verset 12. Ainsi la géographie elle-même se charge-t-elle de sens symbolique.

Gn 4,17-22 — Vie citadine, domestication des animaux, musique, travail des premiers métaux, sont attribués à la descendance de Caïn. Serait-ce une condamnation, qui engloberait donc toute la civilisation? Mais cela irait contre la fréquente louange, par la Bible, de la Cité, de la vie pastorale ou artisanale, ou contre l'exhortation à louer Dieu par le chant et l'orchestre (// Ps 150). En réalité, la civilisation comme le «monde» sont des valeurs ambivalentes, bonnes ou mauvaises suivant l'esprit qui mène l'homme. Sans doute la Genèse, comme plus tard le Christ lui-même, veut-elle provoquer notre émulation, afin que « les enfants de Lumière ne soient pas moins avisés que les enfants de ce monde-ci ». (Lc 16,8). Même à « La prudence du serpent », nous sommes invités par l'Évangile (Mt 10,16 / 0). Encore mieux à toute oeuvre civilisatrice.

Gn 4,23-24 // Mt 18,21-22 — On ne comprend pas pleinement la réponse du Christ au bouillant Simon-Pierre si l'on ne met pas cette hyperbole en rapport avec la forfanterie de Lamek. À l'injustice et à la violence qui se multiplient, l'Évangile oppose le pardon, et la réparation au-delà même de la stricte justice (Zachée, Lc 19,8).


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2. ADAM ET SA DESCENDANCE

Gn 5)

Sur l'importance des généalogies, signe de l'accomplissement de la bénédiction initiale de Dieu sur l'Homme, cf. l'introduction générale aux ch. 4-11, et l'introduction aux Nombres, p. barsotti.

Gn 5,1 — Pour bien marquer qu'il s'agit d'un recommencement, la Genèse répète la loi constitutive du couple humain, qui le rend, comme tel, à la ressemblance de Dieu. L'Évangile s'y référera encore, en la confirmant (Mt 19,3-5).

AUGUSTIN: De Civ. Dei XV, 21 (PL 41,466): Remarquons que les descendants de Caïn sont énumérés jusqu'au déluge, qui les détruisit tous (4,17-24). C'est pourquoi l'écrivain sacré reprend ensuite la généalogie humaine à partir d'Adam: « Voici le livre de la descendance d'Adam ... Au jour où Dieu fit Adam, il le fit à la ressemblance de Dieu. Il les fit homme et femme ... Il leur donna le nom d’homme' ». S'il recommence à compter depuis Adam, c'est qu'il exclut la Cité terrestre : comme si Dieu la mentionnait mais ne voulait pas en tenir compte. La cité terrestre part d'un homicide (Caïn) et aboutit à un homicide (Lamek). La Cité de Dieu part d'un seul homme (Seth) qui est comme la résurrection d'un mort (Abel, cf. Gn Gn 4,25). Et c'est bien un «Homme » unique qui fait l'unité de toute la Cité d'en haut: celle-ci pérégrine en ce monde, elle n'est pas encore achevée, mais ce passage de l'Écriture est la préfiguration prophétique de son accomplissement.

// Ac 17,26-27 — Si l'évolutionnisme a suscité des doutes sur l'unicité des origines du « phénomène humain », les découvertes les plus récentes de la génétique concluraient à l'unité biologique des hommes. Quoi qu'il en soit, ceci est du domaine de la recherche scientifique. La Genèse se place à un autre point de vue, qui est celui de l'histoire du Salut, donc en fonction de « la Descendance » promise après la Chute originelle. C'est donc bien le Christ, nouvel Adam, source d'unité retrouvée du genre humain qui se profile déjà dans cette généalogie, comme le faisait si génialement ressortir le texte précédent de saint Augustin. A l'autre extrémité de la Bible, y répondra la généalogie du Christ, soit dans les Évangiles (Lc 3,23 / Aj), soit dans la prédication apostolique. Saint Paul nous en donne ici un exemple, dans son discours aux Athéniens, car il ne rappelle Adam que pour annoncer « l'homme que Dieu a choisi » pour sauver l'humanité: le Christ ressuscité (17,30-31).

Gn 5,21-24 // He 11,5-6Hénoch marcha avec Dieu: De même Noé (Gn 6,9). Telle est encore la vocation d'Abraham : « Quitte ton pays et ta parenté Marche en ma présence et sois parfait » (Gn 12,1 et Gn 17,1). Un des signes messianiques sera de faire marcher les boiteux (Lc 7,22) sur la Voie désormais aplanie, car c'est le Christ qui nous apporte, en Lui-même, Via, Veritas et Vita. Marchant « à la Lumière de la Vie » (donc du Christ, Jn 8,12), dans l'amour (Ep 5,2), ne nous laissons pas effrayer par les difficultés éventuelles de la route (Jn 11,10).

Dieu l'enleva: au terme d'une vie non pas tronquée, mais accomplie, comme l'indique le chiffre symbolique de 365 ans (cf. // Sg 4,13), et le fait qu'au lieu de le dire mort on parle de lui comme enlevé. De même pour Élie (2R 2,11-12), annonçant l'Ascension: « Le Seigneur Jésus... fut enlevé au ciel et s'assit à la droite de Dieu » (Mc 16,19).

Ainsi Hénoch est-il comme exempté de la condition d'Adam, soumis à la mort.

Gn 5,24) — Chrysostome: Hom 21 sur la Gn. (pg 53,180): Il se trouva un homme pour s'élever jusqu'au sommet de la vertu; et pour lui, Dieu révoqua mystérieusement la sentence portée contre Adam: Il transféra Hénoch vivant. Sagesse du Seigneur! Il n'accorda pas à Hénoch l'immortalité, mais il le transféra vivant; il ne voulut pas le frustrer de cette dignité qu'il avait donnée au premier homme avant le péché.

Ce ‘transfert’, c'est déjà la mystique de la ‘Merkabah’, du char de feu de la vision inaugurale d'Ézéchiel et de la vision béatifique à laquelle nous sommes appelés (cf. L. Bouyer, en Ex 24,9-11*).

// He 11,5 Si 44,16 Si 49,14 Sg 4,10-15 — Unanimement, transfert est donné comme provenant qu'Hénoch/?/«? à Dieu.

D'après Si 44,16, le mérite d'Hénoch est que, sur le fond de tableau d'une humanité déchue et pervertie, il se soit tourné vers Dieu. C'est ce qu'explicite notre traduction. On pourrait dire équivalemment, pour les deux derniers stiques: « démontrant aux générations à venir / que le coeur de l'homme peut se tourner vers Dieu » (ou revenir à Dieu) ; ou bien : « donnant aux générations le signal (c'est le mot juste, correspondant au grec) de changer leur coeur » (ou de se convertir ou, en ce sens: de la pénitence). Mais en même temps, Hénoch donne l'exemple de l'aboutissement de la pénitence de conversion, qui est le retour dans la patrie véritable de l'Homme. Notre traduction: « exemple de retour à Dieu pour toutes les générations », garde ces deux sens qu'on ne doit pas séparer : exemple de conversion, exemple de retour à Dieu.

Sg 4 ajoute que par là, Dieu voulut le préserver de la corruption d'un monde perverti. Mais on peut comprendre aussi que, comme en tous cas Élie — au témoignage de Ml 3,23, confirmé par le Christ lui-même (Mt 17,10-13) — Hénoch aurait été mis en réserve, comme préfigure de la Parousie où nous serons tous entièrement saisis par Dieu. Ainsi l'interprète Augustin : De Civ. Dei, xv, 19, (PL 41,462): L'enlèvement d'Hénoch préfigure le retard de notre propre « dédicace ». Cette dédicace, ou consécration, est déjà réalisée dans le Christ notre Seigneur, qui est ressuscité et ne meurt plus, et qui a été enlevé lui aussi. Mais il reste la dédicace de tout l'édifice, de ce temple de Dieu dont le Christ est le fondement ; dédicace qui est différée jusqu'à la résurrection générale.

Mais ne peut-on voir avec He 11,5 ce transfert comme déjà annoncé « par la foi », puisque celle-ci est « une manière de posséder déjà ce qu'on espère, un moyen de connaître des réalités qu'on ne voit pas » (He 11,1). « Pour les élus de Dieu, tout est grâce et miséricorde » (Sg 4,15): l'histoire sainte le vérifiera, notamment celle de Joseph (Gn 27 et suivants). Même assurance en saint Paul (Rm 8,28-39).




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3. LE DÉLUGE ET L'HERITAGE DE NOÉ

Gn 6-9)

L'Évangile même nous avertit que le Déluge préfigure le Jugement dernier (Mt 24,37-44 / As): « Si vous ne changez de vie, vous périrez tous » (Lc 13,3). Heureusement, saint Pierre nous annonce que par cet autre bois de la croix du Christ, nous avons un refuge dans l'Église dont l'Arche était une image: alors, nous passerons le déluge comme les Hébreux la Mer Rouge, sous le signe sacramentel du baptême, principe d'une Nouvelle Alliance meilleure encore que celle de Noé (1P 3,18-22 et 2P 3,3-10/ Au — Av).

Origène : Hom. 2 sur Gn fsc 7bis,88) : Je pense que ce déluge, qui mit fin au monde en quelque manière, est la figure de la véritable fin du monde. Le Seigneur lui-même le déclare quand il dit (Lc 17,26-27) « De même qu'aux jours de Noé les hommes achetaient, vendaient, bâtissaient, se mariaient, et que le déluge vint et les fit tous périr, ainsi en sera-t-il à l'avènement du Fils de l'homme... »

À la consommation des siècles, le Père dit au Seigneur Jésus-Christ, notre Noé qui est le seul «juste » et le seul « parfait » de préparer une arche de bois équarri. Et tout ce qui fut sauvé dans l'arche — hommes ou animauxest la figure de ce peuple qui est sauvé dans l'Église.

Cette fois encore, la catastrophe se change, par la bienveillance divine, en un nouveau printemps des peuples (ch. 10 et // Is 54 / Ay).

Gn 6,1-4 — Qui sont ces Fils de Dieu? — Dans le livre de Jb 1,6, Yahvé donne audience à des « Fils de Dieu » parmi lesquels se trouve Satan. Ils étaient déjà là quand Dieu créait notre terre « parmi le concert joyeux des astres du matin / et l'acclamation unanime des Fils de Dieu » (Jb 38,7). En outre l'exclamation du Ps 89,7: « Qui, dans les nues, s'égale au Seigneur / qui est comme lui, parmi les Fils de Dieu? » évoque Michaël (dont le nom hébreu signifie précisément: « Qui est comme Dieu? » et son combat contre Satan et ses anges (Ap 12,7-9 / Z). D'autant plus que l'on retrouve dans beaucoup de mythologies le récit d'une révolte des « titans » ou autres « héros du temps jadis ».

Mais en Gn 6, pas plus que dans les // Ba 3,26 ou Si 16,7, on ne voit trace de lutte prométhéenne contre Dieu. Comme ces Fils de Dieu sont appelés au verset suivant hommes et chair, il semble donc plus indiqué de voir dans cette opposition entre Fils de Dieu et Filles des hommes la double descendance de péché et de rédemption déjà figurée dans l'opposition entre Caïn et Abel, remplacé par Seth. Ce serait donc un premier avertissement du danger des mariages entre monothéistes et idolâtres, constant durant l'A.T. Le pire exemple en est celui de Salomon, dont « le coeur fut détourné vers d'autres dieux » par ses nombreuses femmes étrangères (1R 11). L'expression de Gn 6,2: « Ils épousèrent toutes celles qu'ils voulurent » serait-elle une allusion à cette polygamie? « Fils de Dieu » est d'ailleurs un titre donné non seulement au Pharaon mais à David par le prophète Nathan (2S 7,14), dans une perspective il est vrai messianique (cf. Ps Ps 2,7 Ps 89,27). Mais le Christ lui-même ne dénie pas que s'applique à tous les hommes le Ps 82,6 ; « Vous êtes des dieux / vous tous, Fils du Très Haut ». Telle est notre dignité, de par notre vocation éternelle. Ne soyons pas de ceux qui « mettent leur gloire dans leur honte, n'appréciant que les choses de la terre (« fils des hommes », en cela), car pour nous, notre cité se trouve dans les cieux... » (Ph 3,19-20).

Ainsi Augustin comprend-il ces versets énigmatiques de la Genèse (De Civ. Dei, xv, 22, PL 41,467): Comme le genre humain allait et grandissait à son gré, il y eut mélange et confusion des deux cités, dans une certaine mesure. Une fois de plus, c'est de la femme que vint le malheur: non pas d'une seule femme comme au commencement ; mais les fils de Dieu, c'est-à-dire les citoyens de la Cité d'en haut qui pérégrinent en ce monde, aimèrent pour la beauté de leur corps les femmes de la cité terrestre, aux moeurs dépravées. La beauté, certes, est un don de Dieu, mais il l'accorde aux méchants comme aux bons, pour que les bons n'y voient pas un grand bien.

De même chrysostome: Hom. 22 sur la Gn (pg 53,187): Ce sont les hommes, que l'Écriture appelle «fils de Dieu », et non les anges comme certains l'ont affirmé. Ceux qui sont nés de Seth, puis d'Hénoch, sont appelés dans les Ecritures «fils de Dieu » — et «filles des hommes » celles qui sont nées d'autre souche.

Gn 6,3Puisqu'il est chair: cf. 2,23*. Ambivalent (tout comme « monde »), puisque ce mot désigne d'une part notre corps, façonné par Dieu (donc originellement bon, et digne d'admiration), ainsi que l'expérience concrète de notre moi, voire de l'unité du couple humain (Gn 2,24 // Mc 10,6-9 / N), mais aussi, d'autre part, la condition terrestre de créature dans sa fragilité et son impuissance. La chair prendra donc un sens nettement péjoratif, comme ici, chaque fois qu'elle se posera séparément, dans l'illusion orgueilleuse de se suffire à soi-même ou, pire encore, dans un antagonisme mortel avec le monde divin de l'Esprit, comme il arrive surtout dans les Épîtres de saint Paul (cf. vtb). Il se produit alors une incompatibilité entre les désirs de la chair et la vie selon l'Esprit qui vient de Dieu, insufflé par Lui en l'homme (Gn 2,7): cf. par exemple Ga 5,16-25. C'est cette incompatibilité que Yahvé constate ici.

Ses jours seront de 120 ans: Le Ps 90 renchérit: « Les jours de nos années soixante-dix ans / chez les plus forts quatre-vingts ans / pour la plus grande part, peine et douleurs, / ils s'enfuient et nous nous envolons ». En tout cas, « le Seigneur a assigné aux hommes un nombre précis de jours, et un temps déterminé » (Si 17,2).

Gn 6,4Des géants : comme ceux qui terrifièrent les hébreux envoyés en reconnaissance par Moïse (Nb 13,32-33 Dt 1,28).

Gn 6,5-7 // Jr 18,10-11 — Augustin: De Civ. Dei, xii, 14 (PL 41,386): Dieu, auteur de la nature et non des vices, a créé l'homme droit. Mais l'homme s'étant dépravé de son propre mouvement fut justement condamné; et il engendra des descendants dépravés et condamnés.

Gn 6,6Yavhé se repentit: L'anthropomorphisme est évident. En réalité, « Dieu n'est pas un homme pour qu'il mente / ni fils d'Adam pour qu'il se rétracte » (Nb 23,19 cf. 1S 15,29). « Les dons et l'appel de Dieu sont sans repentance » (Rm 11,29). C'est le fondement même de notre espérance. Ce n'est pas Dieu qui change d'attitude envers nous, mais nous-mêmes qui, suivant l'usage bon ou pernicieux de notre liberté, décidons de notre destinée: « Maintenant donc, améliorez vos voies et vos oeuvres, soyez attentifs à l'appel de Yahvé votre Dieu; alors il se repentira du malheur qu'il a prononcé contre vous» (Jr 26,13 Jr 26,19 Exemple: Jonas). À nous par conséquent de nous repentir, car « si vous ne faites pénitence, vous périrez tous de même » (Lc 13,3).

Il fut attristé d'une profonde douleur de son coeur: sous une autre image anthropomorphique, même réalité d'une douleur qui, sans rompre sa béatitude éternelle, atteint Dieu en nous, suivant le mot célèbre de Mme de Sévigné à sa fille: « J'ai mal à votre poitrine ». Noter aussi cette première mention du Coeur de Dieu, en réponse au mauvais coeur des hommes (v. 5).

Gn 6,7Depuis l'homme jusqu'aux animaux: chrysostome : Hom. 22 sur , «Je détruirai toutes les oeuvres que j'ai faites, depuis l'homme jusqu'à l'animal ». Quand l'homme devient agréable à Dieu, la création participe de sa félicité, ainsi que le dit saint Paul, Rm 8,21, « La créature elle-même sera délivrée de l'esclavage de la corruption vers la liberté des fils de la gloire de Dieu ». Mais comme le péché de l'homme amena sur la terre la malédiction, il fallait que le déluge détruisît tout ce qui était son domaine.

Gn 6,9Noé marcha avec Dieu : cf. 5,21 -24*.

Gn 6,11-12 // Ps 14,2-3 Ps 14,7 Propagation universelle du Mal. Saint Paul annoncera qu'hormis Jésus Christ et ses fidèles, c'est le fait de tous les hommes , « Juifs et Grecs, tous sont soumis au péché... Le monde entier (est) reconnu coupable devant Dieu... Car il n'y a pas de différence , tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu » (Rm 3,9-26, se référant d'ailleurs au Ps 14). Ainsi la leçon du Déluge vaut jusqu'à la fin des temps , Corruption et violence...

Corrompu sa voie: en opposition à Noé qui « marcha avec Dieu » (v. 9).

Gn 6,14-16Une arche: on pense d'abord à un bateau, en fonction du Déluge. Mais on fait remarquer aussi que la description conviendrait à un temple à étages (cf. 1 R 1R 6,6), de même que nos églises s'élèvent comme des « nefs » salvatrices. Tout nous mène à la préfiguration de l'Église comme Lieu de Salut.

Augustin : De Civ. Dei, xv, 26 (PL 41,472) : Dieu ordonne à Noé défaire une arche. Celle-ci est la figure de la Cité de Dieu pèlerine en ce monde, c'est-à-dire de l'Église, qui est sauvée par le bois où fut crucifié le Médiateur de Dieu et des hommes, l'Homme Jésus-Christ.

La porte sur le côté de l'arche (v. 16), soigneusement fermée par Dieu lui-même (7,16) annonce la « porta clausa » d'Ez 44,1-3, par où entrera, seul, le Prince messianique, et ce « côté droit » d'où jaillira l'eau vivifiante du baptême, remède à l'eau mortelle du Déluge.

Gn 6,17Toute chair (cf. v. 3*) qui a souffle de vie: le symbolisme entre le souffle — cosmique du vent ou biologique de la respiration — et l'Esprit est si naturel qu'il se retrouve en bien d'autres langues que l'hébreu (2,7-8* — cf. vtb ou bj : « Le mot ruah désigne l'air en mouvement, soit le souffle du vent, Ex 10,13 Jb 21,18 soit celui qui sort des narines, 7,15,22, etc. Il désigne donc la force vitale et les pensées, sentiments ou passions où elle s'exprime, Jb 41,8 Jb 45,27, etc. Chez l'homme il est un don de Dieu, Est 6,3 Nb 16,22 Jb 27,3 Ps 104,29 Qo 12,7, est aussi la puissance par laquelle Dieu agit, aussi bien dans la création, Est 1,2 Jb 33,4 Ps 104,29-30, que dans l'histoire des hommes, Ex 31,3, en particulier par l'organe des prophètes, Jg 3,10, Ez 36,26, et du Messie, Is 11,2, Rm 1,9,

Gn 6,18J'établirai mon Alliance: Comme toujours, avant le châtiment intervient la promesse divine de Salut (cf. 3,15* et Introduction à Gn 4 — 11*). Sur l'Alliance, cf. 9,9-10*.

Gn 6,22 // He 11,7Exactement comme Dieu lui avait commandé: premier exemple de « l'obéissance de la foi » (Rm 1,5). // Si 44,17: pour le second stique, nous adoptons la version de la Septante.

Gn 7,1-5 — Sur cette distinction entre animaux purs et impurs, le Lévitique apportera toutes précisions (ch. 11*) — dont la Nouvelle Alliance nous a libérés : Cf. Ac 10 ; 1Co 8-11.

Encore 7 jours... pendant 40 jours et 40 nuits: Après 7 jours, c'est-à-dire le temps de la création, ce qui nous mène aux temps eschatologiques de la Fin du monde. « Pendant 40 jours et 40 nuits », comme les séjours de Moïse ou d'Élie sur la montagne sainte (Ex 24,18 Ex 34,18), et du peuple hébreu ou de Jésus au désert (Ex 16,35 Mc 1,13). Ces nombres sacrés donnent à l'événement toute sa signification définitive du temps de purification nécessaire à la ré-union avec Dieu (dont l'Alliance de Noé sera une première préfiguration — cf. Gn Gn 9).

Gn 7,11-12Les sources du grand abîme: Comme le montre d.j.a. Clines, à l'opposé de l'oeuvre de création, le Déluge est une « dé-création, suivie d'une « re-création ». La création se fait par séparation (cf. 1,4*). Par contre, au Déluge, la séparation des eaux (Gn 1,9) s'efface, puis celle de la terre à nouveau recouverte par les eaux, et par suite aussi disparaissent les êtres vivants (v. 23 // 1,20-21). Le confirme cette mention de l'abîme primordial (1,2).

Gn 7,16Et Yahvé ferma la porte sur Noé: cf. 6,16*.

Denis le chartreux: In Gn 7, 16-17 (i, 173): « Inclusit eum Dominus de foris », cela signifie que Dieu le Père protégea l'humanité du Christ contre toutes les oppositions ... non que le Christ n'ait souffert aucune tribulation, mais elles ne purent lui nuire, et au contraire lui furent d'un grand profit ; non seulement elles augmentèrent sa récompense « accidentelle », mais le genre humain tout entier fut sauvé par sa Passion. « Les eaux élevèrent l'Arche très au-dessus de la terre » (v. 17): ce sont les tribulations qui exercent les fidèles sur la terre ... à l'heure de la tentation, ils se réfugient en Dieu et estiment que ces adversités sont une joie. L'arche s'élève, car l'Église n'est pas vaincue, et au contraire c'est elle qui domine, grâce au secours de Dieu. Ceci se vérifiera surtout au temps de l’Antichrist.

Gn 7,14 — raban maur: Sur Gn 11,6, Noé ne força pas les animaux à entrer dans l'arche, mais ils y entrèrent sur l'ordre de Dieu. De même que lors de la première création Dieu amena les animaux à Adam pour voir comment il les appellerait, ainsi avant le déluge les animaux vinrent d'eux-mêmes à l'arche, suivant le nombre indiqué.

De fait, l'énumération rappelle par ses expressions Gn 1,24-25 et 20-21.

Gn 7,23Noé, et tout ce qui était avec lui: La plaisanterie est facile sur cette cohabitation, comme si par exemple devant un feu de brousse, le lion ne fuyait pas côte à côte avec la gazelle. Mais surtout, cela rentre dans le parallélisme entre l'Arche-Église et la cohabitation pacifique au Paradis, annonce de la réconciliation messianique (Is 11,6-9). Ainsi le comprennent les Pères:

chrysostome: Hom 25 sur Gn (pg 53,225): J'admire que Noé ait pu vivre au milieu des lions, des tigres, des ours. Mais rappelons-nous quelle fut la dignité du premier homme avant sa désobéissance ... Après que le péché nous eût privés de la puissance sur les animaux, Dieu trouva un autre homme pour reproduire l'image originelle et faire preuve d'une grande obéissance. Il le rétablit donc dans son premier honneur, et les animaux réapprirent la soumission.

RUPert de deutz: De Trinitate iv, 22 (PL 167,346-347): Noé, homme juste et parfait, souffrit une terrible passion; car il n'aurait pas été vraiment juste ni parfait si dans l’énormité de ce désastre universel il avait pu s'égayer, ne songeant qu'à son propre salut. De Dieu lui-même, qui est impassible, l'Ecriture ne craint pas de dire qu'il fut alors intimement touché dans son coeur. En son âme, sinon en son corps, Noé souffrit une très douloureuse passion, et on peut lui appliquer ce cri de son Chef décrivant en symboles ce qui fut sa Passion vraie:

« Sauve-moi, Dieu !
Car les eaux entrent jusqu à mon âme » (Ps 69,2).

Voyez l'harmonie de l'oeuvre divine: les eaux du déluge entrent jusqu a l'âme du juste; puis les eaux du baptême, qui annulent nos péchés, sortent du corps de notre Seigneur Jésus avec son âme. L'histoire du salut s'ébauche en Noé. Dieu le Père se souvint du Christ, son Fils, quand les eaux furent entrées jusqu'à son âme, quand les douleurs de la mort eurent toutes passé par son âme, alors qu'il gisait au sépulcre; et il le ressuscita d'entre les morts.

Mais par la résurrection d'un seul. Dieu a rendu le souffle de vie à toute la terre: car dès lors il a donné l'Esprit Saint aux hommes pour la rémission des péchés.

// 2P 3,3-10 — Déluge et Apocalypse, par l'eau et le feu, également destructeurs et purificateurs. La pluie et le vent éprouveront si la maison est bien bâtie ou non sur le Christ (Mt 7,24-27); « le Feu éprouvera la qualité de l'oeuvre de chacun » (1Co 3,11-15): Continuité de la Bible et de l'histoire du Salut...

Gn 8,1-2Dieu se souvint de Noé: Cf. 9,15*. Fit passer un souffle: Peut s'entendre au sens propre d'un vent asséchant. Mais on pense surtout à l'Esprit de Dieu, comme au début de la création (1,2):

raban maur: Sur Gn n, 7 (PL 107,519): Au commencement, l'Esprit de Dieu planait sur les eaux pour les amasser en leur lieu et que la terre apparaisse; après le déluge il fut envoyé pour que les eaux du déluge fussent repoussées et que la face de la terre se révélât.

C'est une re-création : Les sources de l'abîme sont à nouveau séparées des « eaux inférieures », qui vont peu à peu laisser la terre émerger à nouveau. Ce parallélisme entre première et nouvelle création sera un des thèmes chers à Isaïe, ch. 40 et suivants (cf./ Is 44,24-27).

Gn 8,6-12 — Dans le récit assyro-babylonien du Déluge, l'ordre est inverse: d'abord la colombe, puis l'hirondelle, enfin le corbeau. Admirons aussi comme le narrateur biblique sait colorer son texte en trouvant le détail évocateur.

On ne s'est pas trompé en faisant de la colombe et du rameau d'olivier le symbole de la paix : paix d'abord avec Dieu, qui va couronner cette re-création par l'Alliance avec Noé.

/ Ct 6,8-9 Ct 5,2 — Car la colombe est aussi l'image de l'amour dans toute sa pureté. Elle donne à cet épisode valeur préfiguratrice du nouveau printemps, des fiançailles qui vont se conclure entre l'homme et Dieu, comme plus tard au désert du Sinaï (Os 2,16-22).

// Mc 1,9-11 Jn 1,33 — Mieux encore, la colombe planera sur le Christ remontant de l'eau du baptême, pour la Nouvelle Alliance, comme elle planait sur la terre émergeant des eaux du déluge, ou sur l'abîme primordial de la Genèse, « Au Principe ».

En Mc 1,10 (comme en Mt 3,16), c'est le Christ qui voit l'Esprit descendre sur lui. Lc 3,21-22 précise plutôt que Jésus se trouvait en prière quand le ciel s'ouvrit. // Jn 1,33-34 ajoute que Jean-Baptiste témoigne avoir vu « l'Esprit descendre tel une colombe » sur le Christ, et il confesse qu'il est le Fils de Dieu. Il n'y a évidemment pas contradiction à ce que tous deux l'aient vu. Mais l'important, rappelé par Jn, est que de la vision on passe à l'acte de foi, comme du signe au signifié.

Gn 8,17Qu'ils portent du fruit et se multiplient : // à 1,21-22 et 28.

Gn 8,20-22Bâtit un autel: Il n'y en avait pas encore mention pour Caïn et Abel (Gn 4,3-5). Dès lors, cette érection deviendra rituelle pour Abraham (Gn 12,7 Gn 13,4 Gn 13,18 Gn 22,9), Isaac (26,25), Jacob (33,20; 35,1.3.7) et Moïse (Ex 17,15 et passim), en attendant que l'autel soit réservé au Temple de Jérusalem, comme symbole de l'unicité du culte et de l'Alliance. Nous n'avons peut-être plus assez le sens de son importance capitale, pour localiser, concrétiser, symboliser la rencontre de l'homme avec son Dieu. D'où vient pourtant que nos offrandes soient consacrées à Dieu et sanctifiées, sinon de ce qu'elles ont été placées sur l'autel, point de rencontre du ciel et de la terre? Au dire du Christ lui-même, c'est « l'autel qui rend cette offrande sacrée » (Mt 23,19). C'est grâce à lui que s'accomplit le « sacrifice » (sacrum facere). On sait d'ailleurs qu'en hébreu, le nom d'autel est tiré de la racine Zabah, sacrifier. Si bien que l'autel véritable, c'est le Christ en lui-même, puisqu'il est Dieu et homme — ou encore les reliques de ses martyrs (vtb). De là les honneurs quasi divins rendus à l'autel: génuflexion, encensement. «Regardez cet autel, enjoint Chrysostome à des chrétiens peu respectueux de ce qu'il représente, et souvenez-vous pour quoi et par qui il fut placé là. Songez qui il est, qui y vient présent, et soyez remplis de respect dès avant sa venue. Quand quelqu'un d'entre vous aperçoit le trône du roi, il se redresse mentalement et, d'instinct, il songe à bien se tenir pour la venue du roi. De même devriez-vous vous sentir saisis de respect dans l'attente du moment solennel et vénérable. Levez-vous donc, déjà bien avant de voir la descente de votre Dieu escorté de ses anges. Montez vous-même au ciel. Celui qui n'est pas initié ne comprend pas mes paroles ».

Un holocauste : L'étymologie grecque — brûlé, tout entier — est curieusement homonyme du terme hébreu ôlâh signifiant « celle qui monte », en fumée. Prépare l'image classique de l'odeur de suavité, comme au Lévitique (1,9 et passim). Rien pourtant de grossièrement matériel comme dans le célèbre épisode parallèle du récit babylonien où les dieux se rassemblent comme des mouches... Sur le sacrifice et son agrément par Dieu, cf. 4,3-4 *.

bruno d'asti: Expositio in Gn, 8 (PL 164,182): Noé offrit à Dieu un holocauste de tous les animaux purs. Seul, l'homme ne fut pas sacrifié; car il était réservé au Christ, le vrai Agneau qui efface les péchés du monde, d'être immolé quand le temps serait venu.

Les pensées du coeur: Dans la Bible, le coeur a un sens beaucoup plus profond et central que celui qu'il a pris dans nos langues, surtout depuis le Romantisme, visant surtout sentiments et affections. C'est plutôt ce qu'il y a de plus personnel en nous, « au coeur », de nous-même. Donc la source des pensées comme de l'affectivité ou de l'action, et le centre par où s'unir à Dieu qui « sonde les reins et les coeurs » (Jr 11,20 cf 1S 16,7 Ps 44,22) et qui est le « Dieu du coeur », au sens pascalien du terme (Ps 73,26). Donc le centre sur lequel doit s'établir notre religion (Dt 4,29 Ps 51,12 Ps 51,19 Jr 31,33 Ez 36,26 et passim).

Que le coeur de l'homme soit porté au mal dès sa jeunesse est la malheureuse conséquence du Péché Originel (Rm 5 et 7, 14-25). À ces « vaines pensées des peuples », Dieu remédiera par « les pensées de son coeur d'âge en âge », c'est-à-dire son dessein éternel de Salut (Ps 33,10-11). Sur ce thème du Coeur dans la Bible, cf vtb, ou L'amour du Christ, ddb. 1959, p. 97-174).

Gn 8,22 — À l'opposé de la confusion du chaos, la création est séparation ( 1,4 * ), alternance des « travaux et des mois » dont la double série (2 fois 12 = 24, comme les vieillards de l'Apocalypse) entoure le Christ en gloire des tympans romans. Alternance reprise, dans un sens plus sinistre par l'Ecclésiaste (Qo 3,1-8), car elle rythme le cours du temps, qui court en effet à son terme sans jamais obtenir la plénitude, puisque par définition le temps est seulement succession. Seule la vie éternelle peut faire accéder l'homme à la plénitude de Dieu, et enlever tout besoin d'une alternance.

Ne suspendront pas leurs cours : verbe shâbath (cf 2,2-3). Le repos éternel de Dieu n'exclut pas qu'il ne cesse de « travailler » à soutenir la création, ainsi qu'à notre Salut (Jn 5,17).

// Is 54,2-9 Jr 31,35-36 Si 44,18 — Cette fidélité miséricordieuse de Dieu à son Alliance (dénommée dans la Bible hésèd, et dans la tradition chrétienne miséricorde) est la base même des rapports de l'homme pécheur avec Dieu. De Noé jusqu'au Dernier Jour, elle ne se démentira plus, comme le rappellent à l'envi tous les prophètes, comme l'Incarnation rédemptrice du Fils de Dieu en témoigne, comme l'Église n'a cessé de l'annoncer, des Apôtres à la seconde lettre encyclique de Jean-Paul il, « Dives in misericordia » (1980).

Gn 9,1Dieu bénit Noé: comme Adam (Gn 1,28). Sur la bénédiction, cf. Gn 12,2-3*. De même, Dieu confirme la domination de l'homme sur les animaux (Gn 9,2 // Gn 1,28).

Chrysostome: Hom 26 sur Gn (pg 53,236): «Croissez et multipliez-vous». Ici encore, le juste reçoit la bénédiction d'en haut, qu'Adam avait reçue avant son péché. De même qu'Adam fut l'origine de tous ceux qui naquirent avant le déluge, ainsi Noé est la racine de tous ceux qui vécurent après le déluge.

Gn 9,3-6 — Comme à la première création (Gn 1,28-29), la nourriture est donnée en conséquence de la domination sur la terre. Seulement, cette fois elle s'étend à la chair animale.

À la réserve toutefois du sang; car celui-ci est trop directement symbole de la vie ou plus exactement de l'animation (Nephesh = ‘anima' comme principe d'animation: la ’Psyché' des Grecs et non le ’Pneuma' ou Esprit. Correspond au ’tout ce qui bouge' du v. 3). Cet interdit est donc un premier rappel, imagé, du cinquième commandement : « Tu ne tueras pas ». Le principe de la vie appartient à Dieu, et Il n'a pas donné à l'homme le droit de se l'approprier, par exemple en buvant le sang comme font certains sauvages. Même quand il tuait les animaux pour en manger la chair, l'Israélite devait en faire verser le sang par un prêtre, à l'entrée du Tabernacle (Lv 17,3).

A fortiori est interdit le meurtre de tout homme, puisque c'est, de surcroît, un frère, et qu'il est 'à l'image de Dieu'. Ce n'est pourtant pas une preuve que ni cet interdit de Gn 9,6, ni le 5e Commandement: « Tu ne tueras pas » (Ex 20) puisse être invoqué contre la peine de mort, qui est d'un autre ordre. Elle se trouve au contraire prescrite dans les cas de transgression majeure de la Loi d'Alliance. Le Père A.M. Dubarle a fait justice de certaines affirmations simplistes (« La Croix» 18/9/81). Ni cet interdit ni la non-résistance au Mal de l'Évangile (Mt 5,39) ne sont applicables absolument et dans tous les cas, notamment dans la juridiction civile. C'est avec l'intelligence et le coeur que l'on doit juger de ces questions. À chacun de décider en conscience quelle solution il convient d'appuyer, sans prétendre l'imposer comme 'une politique tirée de l'Écriture Sainte' — sur ce point pas plus que sur tout autre...

Gn 9,9-10J'établis mon Alliance avec vous: l'Alliance est la clef des rapports de Dieu et de l'homme, donc de toute la Bible, par le choix d'abord d'une famille (Noé, Abraham), puis d'un peuple (Israël), enfin de toute l'Église « catholique ». L'Alliance n'est rien d'autre que l'amour de Dieu nous choisissant (Berîth vient de bârâh, voir, élire, choisir) et appelant à la communion avec Lui (1Jn 1,3 Rm 8,29-30 / H). Ce terme et cette image d'Alliance souligne seulement que cet amour entend respecter la liberté de l'homme de s'engager ou non — car toute alliance doit être réciproque — en ratifiant de son plein gré cette Alliance que Dieu lui propose (Ex 19,7-8 Ex 24,3-11 Jos 24,1-28). Le reste de la création en est solidaire (Os 2,20 Rm 8,19-22 / U). Cf. PC m, note 4, p. 62-64.

Gn 9,11Que toute chair soit détruite: littéralement: 'coupée'. C'est le terme technique désignant le sacrifice concluant l'Alliance (cf. Gn 15,18*). Rappel que la victime du sacrifice est là pour subir (« pathein » — passion) le sort qui aurait autrement atteint ceux-là même qui offrent le sacrifice et concluent l'Alliance — qu'ils soient coupables, ou simplement parce que « Dieu est un feu consumant » que l'homme terrestre ne peut « voir sans mourir ». Ainsi, à la nuit de l'Exode, le sang de l'Agneau pascal préserva les maisons des Hébreux de la mort du premier-né qui frappa les familles égyptiennes (Ex 12,21-23); ainsi le Christ subit sa Passion et sa Mort pour nous éviter mort et enfer. Mais la nécessité d'une 'destruction sacrée' demeure, comme en témoigne l'Apocalypse.

// Is 54 Jr 31,35-36 Si 44,18, on voit que, par delà l'Alliance mosaïque, les Prophètes et les Sages de l’A.T. se référeront à ce que l'Alliance avec Noé a de cosmique, et à ce titre de durable, comme une parabole des rapports entre Dieu et les hommes, sauvés par la hésèd* divine (Is 54,5-8).

Gn 9,12-14L'arc-en-ciel: souligne bien ce qu'il y a de plus spécialement cosmique dans cette première Alliance. Qu'on retrouve ce signe en auréole autour du Christ en gloire (// Ez 1,26-28 Ap 4,3) montre au surplus que, de l'Ancienne à la Nouvelle Alliance, comme du Déluge au Jugement Dernier, c'est la même et unique histoire du Salut. Mais c'est dire aussi que le monde sauvé et transfiguré accompagnera le triomphe éternel du Christ. D'ici là, cet arc-en-ciel sert de « mémorial » :

Gn 9,15Je me souviendrai « Terme technique dans la théologie des textes 'sacerdotaux', qui exprime l'actualisation de la présence salutaire de Dieu dans son peuple ; il est l'équivalent d'un ‘mémorial’ » (tob).

Éternel, Dieu en effet n'a pas à « se souvenir » de quoi que ce soit, comme d'une réalité qui serait désormais pour lui « passé ». Dieu est présence, éternel présent. Et tout « mémorial », au sens religieux du terme, n'est pas seulement un « aide-mémoire », mais une façon pour l'homme d'accéder à cette plénitude divine où le passé retrouve sa présence. Ainsi, à la messe, qui est notre « mémorial » présentons-nous à Dieu, sous le symbole eucharistique du pain et du vin séparés puis réunis, la mort passée du Christ et sa résurrection toujours présente, de telle façon que nous soient rendus présents et le Christ « toujours vivant pour intercéder en notre faveur » (He 7,25), et le regard bienveillant de son Père. De là vient que la Tradition chrétienne lit dans l'arc-en-ciel comme une première figure de ce mystère de Salut :

dénis le chartreux: In Gn 9,13 (i, 191): L'arc, ou le prisme, signifie l'humanité du Christ et sa Passion. Cette humanité fut, dans la Passion, tendue comme un arc (cf. Ps Ps 18,35), et teintée de la couleur rouge du sang et de la couleur de l'eau lorsque l'eau jaillit du côté percé du Christ. Dieu tend cet arc dans les nuées: il est signe de paix et d'Alliance entre Dieu et les hommes, car le Christ, par le sang de sa crucifixion, a pacifié toutes choses tant sur la terre qu'au ciel. Cet arc, Dieu le Père le regarde: le Fils montre en effet au Père son côté percé et ses plaies, et c'est pourquoi le Père fait miséricorde aux hommes.



Bible chrétienne Pentat. 1200