Bible chrétienne Pentat. 1432

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La rencontre avec ésaû

Gn 33)


Gn 33,1-4 — L'ordre des préférences. Mais Jacob passe bravement en tête, comme le Christ à Gethsémani (// Jn 18,4-6).

// Lc 15,20 — Même si les rapports entre les personnages, ici et là, ne correspondent guère, la séquence est la même: « Il vit, il courut, se jeta à son cou, l'embrassa ». « Ils pleurent », ajoute la Genèse, de joie évidemment; tout comme la parabole évangélique se termine par: « Il convenait de festoyer et se réjouir, puisque ton frère que voilà... est revenu à la vie ». — Ici la conversion serait plutôt celle d'Esaü, psychologiquement explicable sans doute, car il est plus violent que mauvais. Mais, corroboré par le Pr 16,7 (// ), Jérémie témoigne que comme en toute conversion ou réconciliation, Dieu est là.

L'expression « de la main d'un plus fort » et le verbe « sauver, racheter » nous invitent à voir dans cet épisode une image du Christ vainqueur de « l'homme fort » parce qu'il est encore « plus fort » que « le Prince de ce monde » même (Lc 11,21-22 et Jn 14,30). En même temps, c'est la première vérification du nom d'Israël: « de ta lutte avec les hommes, tu sors vainqueur » (32,29) — par douceur et générosité.

Gn 33,5-11 — Assaut mutuel de générosité, comme entre Abraham et les fils de Hèt (ch. 23), avec la même noblesse, qui n'oublie pourtant pas l'intérêt même inavoué du partenaire, pour un pacte mieux assuré. Le v. 9 confirme qu'Esau, s'il n'a pas hérité de la Promesse faite à Abraham, n'en est pas moins temporellement bien pourvu. Nous l'avions déjà annoncé au ch. 25,19-34: si Dieu ’préfère' le cadet pour l'héritage de la bénédiction d'Abraham, ce n'est pas qu'il ’haïsse' Esaü ou quiconque, et lui dénie une réussite temporelle — au contraire, c'est Jacob qui pourrait paraître d'abord humainement le plus éprouvé, comme l'archange Raphaël l'expliquera à Tobie: « parce que tu as été élu de Dieu, il était nécessaire que tu sois éprouvé » (Tb 12,13, suivant Vg).

Gn 33,10J'ai regardé ta face comme on regarde la Face de Dieu: Sous l'hyperbole, implicitement Jacob n'en réfère pas moins à sa première lutte,’face à face avec Dieu' (32,31). À la bénédiction divine s'ajoute ici l'improbable ‘accueil et faveur’ d'Esaü.

Gn 33,12-15 — Prudence de Jacob : « Souvent l'homme varie, bien fol est qui s'y fie ». Ne pas se fier en l'homme, mais en Dieu: Jn 2,24-25 Ps 118,8-9 Ps 118,

// Si 8,15-16 et surtout 9,13-14 — Cette prudence du pot de terre vis-à-vis du pot de fer est si bien illustrée dans le cas de Jacob et d'Ésau qu'on pourrait supposer que la sagesse de Sirac y réfère implicitement. Saint Benoît donnera la réponse de Jacob en exemple de la fameuse ’discrétion', mère des vertus (Règle, ch. 64).

Gn 33,16-17 // Dt 2,4-7Séi'r: Sud de la Mer Morte; habitat d'Esaü déjà nommé Gn 32,4. Ainsi Esaü s'est déjà retiré de la Terre promise. Du moins cette région sera bien à lui et à ses descendants, les Édomites; c'est pourquoi, sur la voie du retour d'Egypte, le peuple élu devra se garder d'y prendre si peu que ce soit (// Dt).

Sukkot: De l'autre côté du Yabboq, sur la même rive gauche du Jourdain (dont ce torrent est un affluent); donc tout proche de la double rencontre de Jacob avec Dieu puis avec Esau. Sukkôth =‘huttes', en hébreu. Cf. la fête de Sukkot ou des tentes (Lv 23,34-36 Lv 42-43).

Gn 33,18-20Il arriva paisiblement: cf. v. 14. Sichem: Là où, pour la première fois, Yahvé promit le pays de Canaan à Abram (12,6-7 * ).

Comme Abram avait acheté au fils de Hèt la grotte de Makpéla à Hébron (ch. 23), Jacob acquiert le champ de Hamor, où les ossements de Joseph seront ensevelis, au retour de l'Egypte (Jos 24,32). Comme Abram encore, Jacob érige un autel (12,7*). Il s'approprie le Dieu El, commun aux Sémites, comme étant « le Dieu d'Israël », dont il a reçu ce nom nouveau à la rencontre du Yabboq (32,29). Mais El est déjà le nom du Dieu qui lui apparut d'abord à Beth-i?/(28,10-19* et 35,1-3).

C'est à Sichem, avec le fils de Hamor que se produira l'enlèvement de Dina, fille de Jacob et de Léa (30,21), cruellement vengée par ses frères Siméon et Lévi, qui contraignent ainsi Jacob, devenu odieux aux habitants du pays, à repartir. Nous ne donnons qu'en // de Gn 49,5-7 cet épisode (ch. 34), plus intéressant pour l'histoire de ce premier essai avorté d'établissement patriarcal en Terre promise que spirituellement. Sinon en ce sens qu'il rappelle que la Terre promise ne s'acquiert ni par la force, ni par des transactions humaines, mais par le don de Dieu, et à son Heure (après l'épreuve de l'Egypte, puis celle de l'Exode).

// Is 41,8-14 — À cause de sa longueur, nous plaçons en conclusion cette déclaration de Dieu à ’Jacob' (c'est-à-dire ici au peuple élu descendant du patriarche), son serviteur (Gn 29,15 Gn 29,20 Gn 29,25 Gn 29,27 Gn 29,30).

1433

La confirmation de l'alliance

Gn 35)


Gn 35,1-3) — Pèlerinage de gratitude ’aux sources', comme l'indique d'emblée la référence au Songe de Jacob (28,10-18*).

Gn 35,2 // Jos 24,15 — C'est la purification primordiale, avant tout renouvellement de l'Alliance, que ce soit au Sinaï (Ex 19,9-15) et plus explicitement encore avant la grande assemblée qui se tint justement à Sichem après conquête et partage du pays de Canaan (// Jos 24) : « Je suis Yahvé ton Dieu... tu n'auras pas d'autres dieux devant ma Face » (Ex 20,2-3 * ).

Gn 35,3 // Ps 66,13-14 — Suivant le voeu fait au départ, au ch. Gn 28,20-22. Premier exemple de ces « sacrifices de louange », en action de grâces, qui se perpétueront dans l'« eucharistie » chrétienne.

Gn 35,9-15 et 1/ — Rupert de Deutz: De Trinitate vin, 14 (PL 167,502): Quand Jacob eut accompli son voeu, il reçut une bénédiction dont la répétition confirmait ce qu'il avait vu en songe quand il fuyait son frère Esaü, et ce qu'il avait entendu après sa lutte avec l'ange: «... Israël sera ton nom; et il l'appela Israël ». Ces paroles confirment l'authenticité inattaquable de ce nom d'Israël, car l'appel de Dieu ne change pas. Quant à ce qui vient après, nous l'avons déjà exposé; car la promesse de Dieu, il n'y en a qu'une: mais comme elle fut maintes fois répétée, nous disons « les promesses ».

Précisément parce que c'est Dieu qui appelle, arrêtons-nous sur les noms des trois patriarches, Abraham, Isaac, et Israël: car tous trois ont reçu leur nom de Dieu même, qui ajouta une syllabe au nom d'Abraham, imposa une fois pour toutes le nom d'Isaac dès avant sa naissance, et changea radicalement le nom de Jacob en « Israël ». La raison de ces différences apparaît clairement si l'on considère qu'Abraham figure le premier peuple élu, et Jacob le second, et qu'au milieu d'eux Isaac représente le Christ qui a réuni en lui les deux peuples comme deux murs, lui, la pierre angulaire (Ep 2,14). L'Écriture ajoute (Gn 35,13): «Et Dieu remonta d'auprès de lui». En quoi Dieu s'éloigna-t-il? En permettant que Jacob souffrit tentations et tribulations, qui lui vaudraient une plus grande récompense: car depuis Béthel jusqu'à ce que Jacob descende en Egypte, les grandes adversités vont se multiplier.

Sur la vocation plus particulière d'Isaac — Christ, entre Abraham, père de tous les croyants, et Jacob, ancêtre plus particulier du peuple d'Israël, cf. D. Barsotti, en Introd. à Gn 25-35.

Élohim remonta d'auprès de lui: cf. 17,22*.

// — Il le reconnut par ses bénédictions : Ses bénédictions révélèrent qu'il était adopté, et avait reçu l'héritage spirituel d'Abraham.

Gn 35,16-20 // Mi 5,1-3 Mt 2,16-18Ben Oni,’fils de ma douleur'; Ben-Yamin,’fils de la droite'.

Sauf 1S 10,2 et Jr 31,15 (cité par Mt), qui situent le tombeau de Rachel à Rama, plus au Nord de Jérusalem, Éphrata est identifié à Bethléem, par la Bible (Ici même au v. 19, et Gn 48,7 cf. Rt 4,11 — origine de David — Mi 5 et Mt 2) comme par la Tradition, tant juive que chrétienne (même si le tombeau de Rachel, sur la route de Jérusalem à Bethléem n'a aucune garantie d'authenticité). C'est indiquer par un rapprochement local la parenté d'événements éloignés dans le temps, mais unis par la même histoire de Salut: les naissances de Benjamin, David et Jésus en relation avec la peine et la douleur des hommes. Le tragique enfantement de Rachel vérifie en effet la prédiction de Dieu après le Péché originel (Gn 3,16), comme le massacre des Innocents annonce la participation des nommes à leur douloureuse Rédemption par Jésus, enfant de Bethléem.

// — Ils demeureront: par opposition à la malédiction de l'errance ou de l'exil, c'est la Bénédiction de la Terre. Cf. Ps Ps 69,36, « Oui le Seigneur sauvera Sion... / c'est là qu'on habitera, / c'est là qu'on possédera... »

Gn 35,21Migdal-Eder — ’Tour du troupeau': D'après Mi 4,8, c'est « l'Ophel de la fille de Sion », donc l'emplacement de la future Cité de David. De l'inceste de Ruben comme de la vengeance violente de Siméon et Lévi, il sera tenu compte, au moment de la bénédiction finale des douze tribus par Jacob (Gn 49,3-7*).

Gn 35,23-26 // Mc 3,13 — Comme le Christ choisira, non sans dessein, parmi tous ses disciples douze apôtres, il y a douze fils de Jacob à l'origine des douze tribus de Jacob, héritières de la Promesse (cf. Introd à Gn 29,31-30,24*). Le parallélisme entre l'Ancienne et la Nouvelle Alliance est souligné jusque dans les nombres.

Gn 35,27-29Mort d'Isaac. Ésatt et Jacob réunis pour ce deuil, comme Isaac et Ismaël à la mort d'Abraham (25,7-10).


1500

V. HISTOIRE DE JOSEPH ET DE SES FRÈRES

Gn 37-48)

Pour Abraham, l'Alliance et les Promesses, renouvelées à Isaac, puis à Jacob. À Moïse, l'Alliance et la Révélation du Sinaï. À David, l'Alliance et la royauté messianique. Mais Joseph? Où le situer dans cette longue préparation à la Nouvelle Alliance, où le Christ récapitulera tout? — Joseph, c'est le fils des bénédictions, qui trouvent en sa vie une première illustration.

Cette histoire de Joseph est d'abord une des plus belles de la Bible, avec celle de David. Touchante. Merveilleuse aussi, comme ces contes de notre enfance que l'on appelle précisément « merveilleux ». Le reconnaître n'est pas insinuer qu'une telle vie serait purement légendaire, sans fondement historique bien réel. Les progrès de l'archéologie comme de l'exégèse ont plutôt confirmé ces immigrations et même ces prises de pouvoir de tribus hourrites et sémitiques — les Hyksos — en Egypte, au temps même de Joseph. Sur cette base historique, ce qu'il y a de « merveilleux » dans l'histoire de Joseph vient en plus : elle nous montre, réalisé, le triomphe du Juste persécuté, qui est l'un des thèmes les plus universellement repris par nos contes, preuve qu'il répond à l'une des attentes constantes du coeur de l'homme. L'histoire du Christ le réalisera enfin pleinement, comme celle de Joseph l'annonce: particulièrement frappant, ce parallélisme, familier à toute la tradition chrétienne, sera relevé à mesure, dans les notes suivant pas à pas le récit.

Par contre, on ne trouve pas une seule fois, dans l'histoire de Joseph, une ’rencontre' ou révélation de Yahvé comme celles dont furent favorisés ses pères. Il ne se heurte pas non plus de front, comme Jacob, avec le mystère de Dieu. Celui-ci d'ailleurs se nommera seulement « Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ». Désormais, l'Alliance est acquise pour les douze fils d'Israël et leurs descendants : Joseph en est justement le témoin.

Pour voir quelqu'un, il faut un minimum de distance et d'altérité : on ne se voit pas soi-même. On peut d'abord affronter Dieu, comme fait un adolescent qui a besoin de contrer pour affirmer sa jeune indépendance. Mais si Dieu se donne par le dedans! Plus moyen de voir, mais aussi plus besoin: l'expérience intime est encore plus complète et convaincante que la vision extérieure — c'est-à-dire seulement des apparences (1Co 2,11-12). On n'est plus seulement vis-à-vis, mais en communion, en symbiose. Donc plus de heurts pour notre liberté, qui se meut au contraire tout à son aise dans le champ de Dieu qui la crée, de ce Père qui nous y éduque.

Joseph n'a évidemment pas pris pour modèle (extérieur, à imiter), le Christ qui devait naître 1700 ans plus tard. Rempli des Bénédictions promises à Abraham, c'est sa vie même qui l'a conformé à Celui qui devait venir, et constitué Sauveur de ses frères. Cette conformité n'a pas besoin d'être cherchée, puis conquise: elle coule de source, comme le don de Dieu, la Promesse réalisée. Ce que nous disions dans l'Introduction générale des rapports entre préparation (historique) et préfiguration (illustrant comme par un art divin) trouve ici un exemple de choix.

Car cette double étape — de rencontre et d'union — semble une loi constante de l'itinéraire spirituel, jusque dans la Nouvelle Alliance. Pour les Apôtres les tout premiers, il y eut une première étape, quand ils ont tout quitté pour ’suivre' Jésus, depuis son Baptême jusqu'à son Ascension. Ils ont alors vécu avec Lui. Et même l'intimité du disciple avec son Maître n'empêchait pas qu'ils lui restent extérieurs, parfois même incompréhensifs et bornés, comme les pauvres hommes qu'ils étaient.

À la veille de sa Passion, Jésus leur annonce la seconde étape: « Il vaut mieux pour vous que je m'en aille. Si je m'en vais, je reviendrai. Je vous enverrai un autre consolateur. Le monde ne me verra plus, mais vous, vous me connaîtrez parce que je vis et que vous vivrez... vous en moi et moi en vous » (Jn 14,16-20 et passim). Ils n'auront plus à suivre le Maître sur les routes de Palestine: leurs voies mêmes les conduiront, car de par la Pentecôte, « le Seigneur est en eux ». Le Christ c'est eux, puisqu'ils sont devenus ses membres; ils le portent au monde comme Joseph ouvre ses bras à ses frères.

Il en va normalement de même pour nous tous, chrétiens. Il y a un temps pour voir Jésus, le découvrir, s'engager à le suivre. Et il faudra toujours y revenir comme au fondement de notre vie spirituelle. Mais il y a aussi un autre temps pour être assimilé à Lui, en vivre, en être transformé, tellement que dans notre humble vie quotidienne, Il rayonne, sinon pour nous qui ne pouvons plus le voir puisqu'il est en nous, du moins pour que les autres en soient réchauffés, pacifiés, conquis, comme le furent les frères de Joseph.

Inspiration, expiration, c'est en alternant ces deux temps d'une seule respiration que, peu à peu, s'accomplit la Bénédiction de notre intégration au Christ, dont la suite des Patriarches de la Genèse nous offre une si parfaite illustration.

D. barsotti: Il Dio di Abramo (p. 310 ss): La Genèse se termine par l'histoire de Joseph. Joseph est le préféré; mais il n'est pas le premier -i.e des douze. En lui se continue le mystère d'une élection toute gratuite qui ne semble tenir aucun compte des droits de la nature. Et comme pour Abel, comme pour Isaac, comme pour Jacob, la prédilection divine est cause que l'élu est soumis à l'épreuve de l'envie et de la jalousie de ses frères.

Toutefois, la lignée patriarcale s'interrompt avec Jacob: Joseph n'est pas sur le même plan qu'Abraham, Isaac et Jacob: ceux-là sont les pères; et la tradition d'Israël les vénère singulièrement, à un titre unique. Ils sont des hommes à part, des hommes que la communion ininterrompue avec Dieu a séparés et continue à séparer de tous les autres. À ces trois s'ajoutera plus tard Moïse qui, comme les trois premiers patriarches, sera considéré comme un homme à part, d'une autre stature que le reste des mortels. La vie intérieure de ces géants, précisément parce qu'elle est caractérisée par une expérience mystique qui les met en rapport direct avec Dieu, transcende la vie des autres hommes; elle est plus admirable qu'imitable. Abraham est certainement un type de juste; mais la justice d'Abraham, réalisée et vécue dans une familiarité avec Dieu qui dépasse toute possibilité d'imitation, est plutôt l'attestation de la grandeur unique du peuple d'Israël, comme le peuple que Dieu a élu globalement dans l'élection de celui qui en était la souche.

Pour la Kabbale, le destin merveilleux d'Israël ne s'identifie pas au destin de toute âme. Le rapport de Moïse avec la Shekinah est une union nuptiale qui préfigure l'union nuptiale de Yahvé avec son peuple, oui: mais jamais l'âme du pieux Israélite ne pourra aspirer à ce degré d'union ! De même, Abraham est le type du juste, mais un type dans lequel l'Israélite voit moins l'idéal de chaque âme que la grandeur unique de la nation née du saint patriarche.

Le type du juste, c'est plutôt Joseph. Pour tout Israélite, Joseph est moins un père qu'un frère. Sa grandeur humaine dépasse peut-être celle des trois premiers patriarches, mais cette grandeur ne le sépare pas de ceux en qui coule le même sang. La vie mystique de Joseph n'est pas comparable à celle des trois premiers patriarches ou de Moïse: l'Écriture ne nous le montre pas vivant une expérience directe de Dieu, qui se montrerait à lui ou converserait avec lui, contracterait une Alliance avec lui personnellement. C'est précisément cette Alliance qui met les trois patriarches à part du peuple, et les rend inaccessibles dans leur solitude.

L'intervention directe de Dieu, qui occupe toute l'histoire d'Abraham, cède la place, dans l'histoire de Joseph, au récit dramatique et profondément humain des péripéties extraordinaires dont il fut le héros. Il n'y a sans doute pas, dans toute la Sainte Écriture, une autre histoire qui soit aussi pleine d'émotion, aussi riche en sentiments humains. Ce qui transparaît en ces pages, c'est la fraîcheur d'un jeune coeur qui s'ouvre à la vie, plein d'assurance, et croit que le monde entier gravite autour de lui. L'ingénuité limpide et heureuse de Joseph explique l'envie et la jalousie qu'il excite autour de lui. Si jamais l'idéal hellénique a coïncidé avec l'idéal moral d'Israël, c'est bien dans l'histoire du jeune Joseph: en lui, bonté et beauté ne font qu'un (Gn 39,6). Caractère franc, ouvert, candide, incapable de sentiments qui ne soient pas nobles, généreux et délicats. La prédilection de Jacob est l'expression visible d'une prédilection divine (Gn 39,5) qui dans un monde de turpitudes et de violences le protège et le sauve. Sa vertu est mise à l'épreuve: mais il semble que la tentation n'effleure même pas son âme, ne trouve pas de prise sur lui. On dirait qu'en lui l'homme est encore dans l'état d'innocence. Dans sa chasteté, la mystique hébraïque, avons-nous dit, voit le type de l'homme juste, de l'homme qui n'a pas péché. Si le péché, dans la Genèse, s'identifie jusqu'à un certain point avec la luxure, la chasteté de Joseph fait resplendir /'idéal parfait de la beauté morale (Voir les deux paragraphes concernant la tentation de Joseph au ch. 39).

Le caractère moins personnel de l'expérience mystique de Joseph se manifeste, entre autres choses, par le changement des noms divins. Alors que dans l'histoire d'Abraham prévaut le nom de Yahvé, dans celle de Joseph on rencontre presque uniquement le nom d'Élohim. Et précisément pour signaler l'importance qu'a dans cette histoire l'épisode de la tentation, il est remarquable que le nom de Yahvé est mentionné pour la dernière fois dans la Genèse au chapitre trente-neuvième : Joseph triomphe de la tentation, et Yahvé est avec lui (Gn 39,21).

On ne trouve pas dans la vie de Joseph apparitions ni paroles de Dieu; mais tout ce qu'il fait est béni du Très-Haut. Dieu garde le silence parce que d'une certaine manière il n'est plus «l'autre » en face de Joseph: Dieu vit la vie de Joseph; tout ce que fait Joseph, Dieu le fait avec lui, tout ce que dit Joseph, Dieu le dit avec lui (Gn 40,8 Gn 41,16 Gn 41,25 Gn 41,32 Gn 41,38 Gn 41,39 Gn 39,2 Gn 39,3 Gn 39,21). Cette conception de la Genèse sur l'unité de l'opération divine et de l'opération humaine dans l'agir de l'homme, est merveilleuse.

Dans la vie intérieure de Joseph, il n'y a plus cette terreur sacrée en présence de la divinité, qui distingue la première rencontre de l'homme avec l'absolu. Il n'y a pas de drame dans sa vie intime; et précisément cette identification mystique se concrétise en un idéal incomparable de vie morale. Ce qu'on a écrit ici ou là sur les défauts de Joseph me laisse peu convaincu:pour l'époque où fut écrite la Genèse, et plus encore pour l'époque où vécut Joseph, il est un modèle indépassable, le type même du juste. C’est pourquoi la mystique hébraïque se plaît à contempler le futur Messie dans l'éclairage du fils de Jacob «pampre de la vigne exubérante», sur lequel paraît s'accomplir la bénédiction d'une fécondité miraculeuse promise par Dieu à Abraham. La mystique de Saphed voit dans la Galilée la patrie du «futur » Messie; et dans la Sainte Écriture, il y a vraiment, à partir de la Genèse, une double tradition prophétique à ce propos. Isaïe, qui rappelle plusieurs fois la victoire de Gédéon sur Madiân, voit l'aurore de la lumière messianique se lever de la terre d'Éphraïm (Mt 4,14). Et si le véritable héritier de la promesse n'est pas Joseph mais Juda (Gn 49,10), Joseph reste, avec Isaac, la figure prophétique la plus impressionnante du « Juste souffrant » qui sauve Israël et les nations.

Il est le type du juste non seulement par ses souffrances et les événements de sa vie, mais plus encore par sa vie intérieure, par les sentiments de son âme et la pureté de son coeur. Joseph est absolument libre de toute amertume à l'égard du mal qu'on lui a fait: c'est là que sa noblesse d'âme brille avec le plus d'éclat. Son esprit est resté pur, et son coeur innocent. Toutes les douleurs, toutes les tempêtes sont passées sur lui et l'ont laissé intact, ne l'ont pas aigri, ne l'ont pas fermé à la tendresse. Tous les honneurs l'ont élevé au-dessus des ambitions humaines les plus audacieuses, et n'ont pas réussi à alourdir son âme du poids de l'orgueil. Au terme de sa vie, il est comme au début : une âme candide, lumineuse, ne connaissant que la bonté, l'amour filial tendre, vif, profond, l'amour fraternel (il ne croit même pas à la méchanceté de ses frères, cf Gn 45,5 Gn 45,8 Gn 45,15); et en même temps (cf. 50,20), la bienveillance attentive et sage envers son maître, puis envers le Pharaon, et enfin à l'égard de tout un peuple étranger qu'il sauve de la pénurie et de la famine.

L'histoire de Joseph nous enseigne surtout qu'une profonde vie religieuse est en même temps morale: je veux dire par là qu'elle s'incarne comme naturellement en un idéal de pureté et de bonté. La connaissance pratique et vivante de la loi morale est le fruit d'une communion avec Dieu, et révèle l'intimité profonde de cette communion. L'expérience religieuse ne dépend pas de visions extérieures : devenant intime à l'âme, elle la transforme. Dieu se révèle dans le secret de la conscience: c'est lui qui est à l'oeuvre, dans cette horreur du péché qui empêche Joseph de céder à la tentation, dans cette bonté qui exclut de son esprit toute pensée de vengeance (Gn 50,21). La vertu morale n'est pas décrite comme une valeur en soi: la vie éthique dans l'histoire de Joseph — et d'ailleurs dans tout l'Ancien Testament — s'identifie à la vie religieuse: Dieu s'est rendu intime à l'homme, et c'est précisément cette révélation intérieure, cette intime expérience de Dieu impliquant un idéal moral élevé, qui par rapport à la religion primitive — où Dieu se fait connaître dans les phénomènes de la nature — marque un progrès, marque exactement le passage de l'Alliance noachique à l'Alliance abrahamique. Cette expérience de Dieu n'a besoin d'aucune manifestation extérieure: c'est une révélation tout intime et personnelle; mais elle n'en est que plus grande.

Une vraie communion de Dieu et de l'homme ne se réalise que dans une telle révélation intime: Dieu en quelque manière s'incarne déjà en l'homme. C'est seulement dans une telle expérience qu'est surmonté l'abîme ouvert par le péché. À une situation de dissidence, de séparation violente, d'opposition, succède par l'Alliance abrahamique le processus d'une intimité croissante qui ne sera jamais rassasiée jusqu'au jour où Dieu et l'homme, dans le Christ, ne seront plus qu'un.


1510

1. PASSION ET GLOIRE DE JOSEPH

Gn 37-41)

Les parallèles sont choisis pour souligner dans les souffrances de Joseph puis dans son élévation la préfiguration du Christ et de son mystère pascal, sans prétendre pour autant que chaque ressemblance doive être tenue pour prophétie.

Gn 37,3 // Jn 3,35 Mt 3,17 — Cyrille d'alexandrie, Sur Gn vi,, Jacob aimait Joseph comme le fils de sa vieillesse. Dieu ne vieillit pas — n'ayant ni commencement ni croissance — mais nous pouvons comparer le Christ et Joseph en ce que l'Emmanuel est venu à la fin des siècles, et le Père l'a aimé d'un amour de prédilection ... Comme Joseph qui partit pour Sichem envoyé par son père, notre Seigneur Jésus-Christ fut envoyé par Dieu et son Père ... Il s'anéantit, se fit homme et fut appelé le frère de ceux qui vivent sur la terre. Pour eux il supporta la croix, accepta la mort, et descendit aux enfers dont la citerne de Joseph était la figure; puis il ressuscita.

Gn 37,3Il lui fit faire une tunique de plusieurs couleurs : L'expression ne se retrouve qu'en 2S 13,18. Nous gardons l'interprétation de la lxx, plus que nous en contact avec l'hébreu biblique, et sur laquelle se basent les commentaires patristiques:

Rupert de Deutz: De Trinitate, vm, 20 (PL 167,507): Le Père, qui n'est pas limité par la succession des temps, engendre son Fils, également éternel. Il l'aime, et « Il lui fit une tunique multicolore ». Qu'est-ce que cette tunique du Verbe, sinon la Sainte Écriture de la Loi et des prophètes? Par amour pour le Fils, pour son témoignage et sa gloire, « les Doigts de Dieu » tissèrent toute cette Écriture Sainte qu'à bon droit nous disons « divinement inspirée ». Le Père anonce cette génération et cet amour, et aussi cette tunique quand le psalmiste chante: « De mon coeur a jailli la Parole merveilleuse: pour le Roi, mes poèmes! » (Ps 45).

Gn 37,4 // Jn 15,24 — Cyrille d'alexandrie : Sur Gn vi (pg 69,289): Au lieu de se réjouir en voyant que la volonté divine honorait leur frère, les autres fils de Jacob sont dévorés d'envie et deviennent furieux, s'en prenant presque à Dieu même qui lui attribue un tel honneur. La même chose advint entre Caïn et Abel: parce que Dieu agréait le sacrifice d'Abel et accueillait son oblation en faisant descendre le feu du ciel, tandis qu'Il se détournait du sacrifice de Caïn, celui-ci en conçut une envie qui alla jusqu'au crime. Il dressa en quelque manière sa propre colère contre la volonté divine: il se jeta sur son frère par ruse, et le tua.

Gn 37,5-11 // Lc 1,33 Lc 19,12 Ps 86,9 Ac 4,11 — Rupert de Deutz, De Trinitate, vin, 21 (PL 167,508): Les paraboles, comme les songes, disent une chose et en suggèrent une autre — de même que l'ombre n'est pas le corps, mais laisse deviner le corps. Comme les songes de Joseph, les paraboles de notre Seigneur semèrent l'envie et la haine, par exemple celle-ci: Un père de famille planta une vigne, l'entoura d'une haie, y creusa un pressoir et y bâtit une tour; il la loua à des vignerons et partit en voyage, etc (Mt 21,33 ss). A la pointe de la parabole, notre Seigneur prédit sa gloire: « N'avez-vous pas lu dans les Ecritures: La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue le sommet de l'angle: c’est le Seigneur qui a fait cela, et c'est une merveille! »... Dans la mesure où Joseph est la figure du Christ, ses songes ressemblent aux paraboles du Seigneur.

éphrem: De Joseph vendito, Sermo 1 (lamy, m, 254): Celui qui possède un or excellent ne craint pas de le soumettre au feu: Dieu ne préserve pas de la fournaise de la tentation le juste qu'il possède .... Ce n'est pas par haine que Dieu mena Joseph au combat: il le fixa au firmament comme le soleil, pour que tous voient sa beauté. Joseph était beau de sa personne, mais sa conduite était plus belle encore.

... Joseph se vit en songe comme un moissonneur qui décharge sa gerbe. Il raconta ce qu'il avait vu, et dont il n'avait pas compris le sens; dans sa candeur il exposa les songes à des retors qui les comprirent: il ne cacha pas ce qu'il avait vu, et eux ne cachèrent pas ce qu'ils comprenaient. Les songes faisaient de lui un moissonneur, mais l'interprétation faisait de lui un roi: « Seras-tu roi au-dessus de tes frères »

Sermo 2 (Lamy, 336): La justice divine, que Joseph n'avait pas lésée, n'a pas non plus l'habitude de léser ceux qui la servent: si elle leur prend quelque chose, elle leur rend cent pour un ... O toi qui accuses les frères de Joseph, garde-toi de cette accusation ! Qu'ils accusent, ceux qui ont la haine dans le coeur! Supporte avec patience, et tu seras couronné. Autrement, c'est que tu n'as rien compris à cette histoire.

Sermo 8 (Lamy, 510): Joseph rendit grâce à Dieu qui l'avait comblé plus que les songes ne le faisaient prévoir. Car les gerbes qu'il avait vues en songe n'étaient que onze; mais au pays d'Egypte, des gerbes sans nombre se prosternaient devant lui.

Cyrille d'alexandrie : Sur Gn, vi (pg 69,292) : « Devrons-nous donc, ta mère et moi, t'adorer? » dit Jacob. Il reprit ainsi Joseph pour l'empêcher de s'enorgueillir et pour calmer l'envie de ses frères. Néanmoins Jacob lui-même attendait l'accomplissement des songes: il les gardait dans son coeur, dit l'Écriture. Il a confiance que tout se réalisera (Sur cette réalisation, cf. Gn 42,6 et Gn 43,26, rupert).

Gn 37,11 // Lc 2,19 — Attitude parallèle de respect devant le Mystère de la vocation divine, pressenti par Jacob (ou, dans l'Évangile, par Joseph), mais annoncé expressément à Marie par l'ange Gabriel (// Lc 1,33). Une telle méditation ne va pas sans rapprocher toutes ces Paroles. On pourrait même traduire Lc 2,19: « les réunissant dans son coeur ». Exemple parfait de la lecture chrétienne de la Bible ou’lectio divina': humble rumination du coeur s'exerçant à discerner les convergences et parallélismes, les préparations et préfigurations, pour y adorer la lente réalisation du dessein divin de notre Salut. Ici, le sens providentiel de la Passion de Joseph se trouvera souligné par la Genèse elle-même (Gn 45,5-8 Gn 50,20) comme par la suite de la tradition biblique (Ps 105,16-17).

Gn 37,12-14 // Ga 4,4 He 10,5-7 Mt 15,24 — ambroise: De Joseph patriarcha, 3: Jacob prophétisait le mystère de l'Incarnation quand il envoyait son fils Joseph voir si tout allait bien pour les troupeaux. Dans ce zèle du saint patriarche, Dieu déjà recherchait les brebis dont le Seigneur Jésus a dit: «Je suis venu pour les brebis perdues de la Maison d'Israël »... . Joseph envoyé par son père à la recherche de ses frères, était surtout envoyé par ce Père qui n'a pas épargné son propre fils mais l'a livré pour nous.

Me voici: La réponse d'Abraham, déjà, pour le sacrifice d'Isaac (Gn 22,1 et Gn 22,11), ou de Marie à l'ange Gabriel (Lc 1,38), et du Christ «entrant dans le monde » (// He 10,7). Sur le sens de ce’Me voici', cf. Yves fauquet, à Gn 2,18-23*.

Gn 37,15-17 // Ct 1,7 — Rupert de Deutz: De Trinitate vm, 23 (PL 167,510): « Va, et vois si tout va oien pour tes Jrères et les troupeaux, et reviens me le dire ». Joseph y mit de la bonne volonté et de la persévérance, puisque n'ayant pas trouvé ses frères à Sichem il erra, jusqu'à ce qu'il les trouve à Dothaïn. C'est là une figure du Mystère du Christ, dont l'Apôtre écrit: « Pour nous il s'est fait obéissant jusqu'à la mort, la mort de la croix » (Ph 2). Notre Seigneur vint à Jérusalem le jour de la Fête (Jn 7) pour redire au Père ce qui se passait : il le lui annonça, non en revenant sur ses pas, mais par la « grande clameur » de son sang (He 5,7).

Le // avec le Cantique des Cantiques (qui peut fort bien être une allusion volontaire de ce dernier) confirme que toute cette recherche de l'Envoyé de Dieu, incarné pour nous, donnant sa vie pour nous « jusqu'à la mort et la mort de la Croix » est bien l'histoire d'un amour qui va jusqu'au bout (Jn 13,1).

Gn 37,18-22 et // — chrysostome: Homél sur la , Cette histoire montre la bonne disposition de Joseph et la volonté cruelle de ses frères, mais elle est arrivée aussi comme une figure de l'avenir, comme une ombre qui longtemps d'avance dessinait la vraie réalité. De même que Joseph alla vers ses frères pour « les visiter », et qu'eux-mêmes n'ayant égard ni à ses liens avec eux ni à ses bonnes intentions pensèrent d'abord à le tuer puis le vendirent aux étrangers, ainsi notre Seigneur, comme s'il imitait l'affection fraternelle, descendit visiter la race des hommes, et prenant la forme de notre chair daigna se faire notre frère..., mais des ingrats crucifièrent celui qui était venu pour notre salut. Les frères de Joseph méditèrent de le tuer mais n'allèrent pas jusqu'au bout: Dieu permit que leur projet fût empêché, afin que son athlète se couvre de gloire et que les songes se réalisent. Il fit en sorte que malgré eux les méchants servent la prédiction divine.

« Ne répandez pas son sang, mais jetez l'enfant dans la citerne », dit Ruben. C'est alors que Joseph arrive; mais eux, au lieu de l'embrasser et de lui demander si leur père va bien, le jettent dans la citerne sans eau et s'installent pour déjeuner. Vont-ils le laisser mourir de faim ? À son tour, Juda conseille de le vendre aux Ismaélites qui passent. Tout cela, pour que soient accomplies les promesses divines! Si vous avez peur des songes et de leur réalisation, croyez-vous pouvoir partir en guerre contre Dieu qui les a envoyés? Si vous n'en croyez rien, les prenant pour du délire, pourquoi infliger à votre père un deuil inconsolable et à vous-mêmes une tache infamante? ... Mais « le Patient » supporte tout courageusement.

Car la main d'en haut le gardait, et lui rendait faciles et légères les choses les plus difficiles. Quand nous sommes portés par la bienveillance divine, nous pouvons habiter même parmi les barbares et nous y trouver plus heureux que ceux qui sont entourés de toutes les joies d'une maison amie mais dépourvus du secours divin. C'est une des leçons de la présente histoire. Dis-moi: Qui donc est misérable et pitoyable: ces frères qui firent à leur frère tant de mal, ou ce Joseph qui tomba en des mains hostiles? Considère cet enfant, qui vivait entouré de la tendresse paternelle : le voilà soudain obligé de porter une dure servitude. Mais le Seigneur se manifestait comme le Seigneur de tous: il humanisait les uns, il infusait à l'autre la patience en toutes choses.

Gn 37,23-30 et // — Rupert de Deutz: De Trinitate vm, 24, (PL 167,510-511): Pour que Joseph fût l'authentique figure du Fils de Dieu, il n'était pas nécessaire que le Père permît le meurtre de Joseph puis le ressuscitât. Car un meurtre n'est pas une figure de la mort, mais est la mort même. Quand l'Apôtre écrit: « Si nous avons été greffés sur le Christ par la ressemblance de sa mort, nous le serons aussi par celle de sa Résurrection » (Rm 6), veut-il dire qu'au baptême la vie du corps nous soit enlevée? Évidemment non ! Pour la similitude, il a suffi que Joseph vivant soit entouré des douleurs de la mort, et d'avance communie par là aux souffrances du Christ. La division des méchants (les uns voulant le tuer, Ruben conseillant la citerne et Juda la vente) protégea le juste pour que le plan divin suivît son cours... Juda dit à ses frères: « Que nous servira de tuer notre frère? Mieux vaut le vendre aux Ismaélites ». Il ne dit pas cela de lui-même, mais on peut le comparer à Caïphe qui prophétisa, disant: « Il vaut mieux qu'un seul homme meure pour le peuple, et que toute la nation ne périsse pas » (Jn 11,50 Jn 18,14). Sous la motion divine, Juda prophétisa: telle était bien la volonté de Dieu. Les frères projetaient un mal pour leur frère, mais Dieu savait comment changer ce mal en bien, et plus tard Joseph lui-même leur dirait: « Pouvons-nous aller contre la volonté divine? Ce que vous méditiez pour moi en mal, Dieu le méditait en bien, pour réaliser ce qui arrive aujourd'hui, pour sauver la multitude du peuple » (Gn 50,19-20). Le Psalmiste en est témoin, qui dit: « Dieu, devant eux, envoya un homme: Joseph, vendu comme esclave » (Ps 105,17). Être vendu comme esclave, voilà ce qui l'assimile au Christ, ce qui le transperça d'un glaive de douleur, car le Psalmiste dit encore: « Ils l'humilièrent, les fers aux pieds: le fer transperça son âme ». Ce fer transperçant l'âme, c'est l'angoisse de son coeur. Ce que put être cette angoisse, les frères l'avouent quand ils se disent entre eux: « Nous souffrons par notre faute, car nous avons péché contre notre frère, voyant l'angoisse de son coeur quand il nous suppliait — et nous ne l'avons pas écouté » (Gn 42).

( Ibid. c. 26, COL 513) De même qu'Isaac conduit à l'immolation fut lié et déposé sur l'autel, mais ne fut pas frappé du glaive, ainsi Joseph, saisi par ses frères pour être tué, fut jeté dans la citerne et vendu, mais non pas tué. Et l'on peut dire qu'il a souffert une passion, et que dans sa passion il a été assimilé au Fils de Dieu. Et de même que le bélier, offert en holocauste en échange d'Isaac, réalisa le sacrement de la ressemblance du Fils de Dieu, ainsi le bélier égorgé dont le sang teignit la tunique de Joseph portait d'avance la même figure et la même ressemblance.

La citerne ou plus littéralement la fosse sont une image parlante de la Passion du Christ, et surtout de notre nécessaire participation au mystère de la Croix, si nous voulons aussi être associés à celui de la Résurrection du Christ. Sous l'Ancienne Alliance, Joseph en est témoin, comme plus tard Jérémie (ch. 38) ou Daniel (ch 6), et le Psalmiste à diverses reprises (notamment Ps 69 ou 88). Dans la mesure même où la Nouvelle Alliance nous associe de plus près au Mystère pascal du Christ, cette participation doit être, pour tous, signifiée-réalisée dans le sacrement premier de notre union au Christ: le baptême (// Rm 6,3-5). Dieu est « Celui qui fait revivre, en tirant notre âme de la fosse de la mort » (Ps 30,4 Ps 103,4 Is 38,17 Jon 2,7).

Gn 37,25-28 — Rupert de Deutz: De Trinitate, vm, 27 (PL 167,515): Les Madianites qui achetèrent puis revendirent Joseph sont comparables aux Princes des prêtres qui, après avoir offert de l'argent pour que le Christ leur fût vendu, le revendirent, si l'on peut ainsi parler, en le livrant à Pilate... Ils donnèrent au disciple trente pièces d'argent pour sa trahison.

Au v. Gn 37,26, enfouir son sang: rappel indirect de l'histoire parallèle de haine fraternelle entre Caïn et Abel. Comme le sang de la victime avait « clamé vers Dieu, de la terre » (Gn 4,10), on prenait soin d'enfouir le sang (Ez 24,7), pour couvrir le cri (Jb 16,18).

Ils l'amenèrent en Egypte (v. 28): comme Jésus devra se réfugier en Egypte pour fuir les craintes meurtrières d'Hérode. Ici et là, même motif en effet: déjouer la prédiction d'une future suprématie, interprétée dans un sens trop temporel. Mais l’éloignement n'empêchera pas le dessein de Dieu de s'accomplir; une fois l'Heure venue.

Gn 37,29-30 // Jn 20,11-13 Mc 16,6 — Évidemment, le rapprochement de la citerne vide et du tombeau vide de l'Évangile n'équivaut pas les deux événements ; mais il n'y en a pas moins parallélisme de sens , Joseph, sauvé de la mort, a été emmené en Egypte, où il préparera la venue de ses frères (Ps 105,17-23) comme le Christ ressuscitera et sera glorifié dans le ciel pour nous y préparer une place (Jn 14,2-3).

chrysostome : Hom 61 sur la Gn (pg 54,531): «Ils tuèrent un bélier, et tachèrent de son sang la robe de Joseph ». Insensés! C'est à vous-mêmes que vous mentez! Vous ne pourrez vous cacher de Celui-là seul qu'il faut vraiment craindre. « C'est le vêtement de mon fils, dit le père, une bête féroce l'a dévoré ». Et vraiment, c'est au milieu d'animaux sauvages que Joseph était tombé. Quant aux Madianites, ils servirent le plan divin en vendant Joseph à Putiphar. Tous les événements fortifient le lutteur, et le préparent à la couronne.

Jacob ne voulait pas être consolé: La suite réelle de ce verset se retrouvera seulement, par delà les aventures de Joseph et de ses frères, au ch. Gn 45,25-28.


Bible chrétienne Pentat. 1432