Bible chrétienne Pentat. 1530

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3. LE TESTAMENT DE JACOB

Gn 48-50)

En ces trois derniers chapitres, le rôle principal revient à Jacob, de sorte qu'après le prélude des ch. 1 à 11, la Genèse soit, pour l'essentiel, l'histoire de l'Alliance avec Abraham, Isaac et Jacob.

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éphraïm et manassé

Gn 48)


 — Il y aura 12 Apôtres, mais Paul s'y ajoute, après coup, « comme un avorton » — ce qui n'empêchera pas la grâce divine de le choisir comme le principal Apôtre des païens, et le premier des ’évangélistes' de la Résurrection et de l'Eucharistie. De même, il y a 12 tribus; mais celle de Joseph éclate en deux branches qui seront toutes deux incluses dans les 12 tribus d'Israël (celle de Lévi, par contre, étant mise à part, ce qui rétablit le Nombre 12).

Que le cadet Éphraïm reçoive la bénédiction de la main droite (donc majeure), alors que Manassé, l'aîné pourtant, n'est béni que de la main gauche, n'est pas pour nous surprendre: comme pour Esau et Jacob, la préférence du plus petit révèle à la fois la liberté de l'élection divine, et l'amour spécial de Dieu pour les petits et les humbles — qui ne fera que s'affirmer tout au long de l'Histoire du Salut, y compris dans le choix du peuple modeste que fut toujours Israël entre les deux ’Grands' du Moyen-Orient (c'est Dieu qui le déclare expressément au ch. 7 du Deutéronome).

De fait, après le schisme d'avec le royaume de Juda et Benjamin, c'est la tribu d'Éphraïm qui prendra la prépondérance dans le Royaume d'Israël. D'où les déclarations d'amour à Éphraïm (données en // ), mais qui s'adressent en réalité aux dix tribus d'Israël.

Que, de surcroît, Dieu pratique aussi la bonne mesure du « 13 à la douzaine » parmi ses élus est une image de la surabondance de sa miséricorde. Et c'est pourquoi la Tradition chrétienne y a vu la première ouverture à la vocation universelle des païens, par la médiation du Christ, le Joseph véritable:

Cyrille d'alexandrie : Sur Gn, vi (pg 69,328) : Parce que les deux fils de Joseph étaient nés d'une mère étrangère, Jacob craint que les Israélites ne les aient en abomination. C'est pourquoi il les prend parmi ses fils, « au même titre que Ruben et Siméon ». Après cette explication historique, disons que nous aussi, justifiés par la foi, nous sommes fils de Dieu dans le Christ, nous sommes de la même famille que les saints. Le Christ Médiateur nous unit n lui-même et au Père ainsi qu'au choeur des saints, de même que par l'intermédiaire de Joseph, Éphraïm et Manassé furent comptés parmi les fils de Jacob et inscrits dans la lignée des patriarches ... Nous aussi, nous sommes nés d'une mère étrangère puisque l'Église a été appelée du sein des nations; mais il suffit que l'Emmanuel soit notre Médiateur: il nous transfère dans la gloire des saints, et nous déclare peuple saint...

Israël apercevant les fils de Joseph dit: « Qui sont ceux-là? Joseph répondit: Ce sont mes fils, que Dieu m'a donnés ici». Et Jacob dit: «Fais-les approcher, que je les bénisse » ... Jacob, au comble de la joie, s'écria: Voici! Je t'ai revu, et en outre Dieu m'a encore montré ta descendance ! De même, (à la mort du Christ) le Père fut comme privé de son Fils; mais il ne permit pas que l'Auteur de la vie fût retenu captif par la mort : le Christ est ressuscité, et le Père l'a revu, et il a vu aussi toute la postérité qui vient de lui et qui vit en lui, je veux dire tous les croyants qui sont « peuple saint, sacerdoce royal », et dont le Christ dit avec joie et fierté: «Me voici, avec mes enfants que Dieu m'a donnés » (Gn 48,9).

C'est dans cet esprit que nous donnons ici en // Ep 2,19.

Gn 48,4 — Jacob répète ici la bénédiction reçue d'Isaac en Gn 28,3.

Gn 48,15Qu'Élohim (cf. 46,3*) devant qui ont marché mes pères... (cf. Gn Gn 17,1 *). La Septante donne au verbe le sens d’ ‘être ajusté, commode' (ce qui est beau, par opposition à « la nuque raide » de ce peuple indocile), et par conséquent aussi le sens de ‘plaire'. D'où le commentaire de Chrysostome, qui vaudrait d'ailleurs aussi bien en traduisant: « Que Dieu devant qui ont marché mes pères » : car en toute hypothèse, c'est la même attitude spirituelle de confiance dans l'humilité, déjà illustrée par la prière de Jacob (Gn 32,11-13). «Je marcherai devant le Seigneur / au pays des vivants» (Ps 116,9). Noter que si le verbe hébreu a comme sens premier: ’marcher', « marcher devant le Seigneur », c'est lui plaire. Tout se rejoint là, tout est là...

chrysostome: Hom 66 sur la Gn (pg 54,569): Jacob avait la vue affaiblie par l'âge, mais les yeux de l'esprit étaient clairvoyants : par la foi, il apercevait l'avenir.

... « Que le Dieu à qui ont plu mes pères... » Ne passez pas trop vite sur ces mots; voyez la modestie de Jacob, voyez quelle âme religieuse: il ne dit pas «J'ai plu à Dieu », il dit: « Dieu à qui ont plu mes pères, Dieu qui me conduit depuis ma jeunesse ... l'ange qui m'a délivré de tous les maux ... Que lui-même bénisse ces enfants! » Au nom de la vertu des pères, au nom des bienfaits reçus, il implore la bénédiction.

L'Ange qui m'a racheté (v. 16): identifié à Yahvé lui-même, comme en Gn 16,7 *. Cf. aussi l'image parallèle du Ps 77,16 : « Par la force de ton bras / tu rachetas ton peuple, / les fils de Jacob et de Joseph. »

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La bénédiction de jacob

Gn 49)


 — Il y a deux autres grands poèmes où le sort des 12 tribus se trouve évoqué: le cantique de Débora (Jg 5), qui serait plus ancien, et celui de Moïse (Dt 33) qui serait postérieur à celui de Jacob, avec un parallélisme très marqué. Pour le laisser à sa place, à la fin du Deutéronome, nous préférons choisir à Gn 49 d'autres parallèles, de caractère plus explicatif (car Dt 33 est également sibyllin). Le v. Gn 42,2 est un ‘invitatoire', comme le développeront certains psaumes (Ps 49) ou les livres sapientiaux (Pr 1,8 ss; Pr 2,1 ss; Pr 3,1 ss; Pr 4,1 ss, etc.). La Règle de saint Benoît s'ouvre sur une exhortation du même ton: « Écoute ô mon fils l'invitation du maître, et incline l'oreille de ton coeur; recueille avec amour l'avertissement du père qui t'aime... » Mais le propos de Jacob est donné comme avant tout prophétique (v. 1), et il est clair que la prééminence va aux tribus de Juda et de Joseph, ne serait-ce que par le développement du couplet qui leur est attribué. Mais il est encore plus remarquable que si l'affection de Jacob multiplie les bénédictions sur la tête de Joseph, c'est à Juda qu'est réservé le véritable héritage de la royauté davidique, messianique, promis à la Descendance d'Abraham. C'est que, par suite de la destitution de Ruben, Siméon et Lévi (cf. v. Gn 49,3-7*), Juda devient l'aîné, que le Deutéronome interdira plus tard de déshériter en faveur du fils de la femme préférée (Dt 21,15-17 / Dx).

Gn 49,3Ruben: La loi précitée du Dt reprend l'expression même de Jacob au premier des fils de Léa: « prémices de ma vigueur ». Mais Ruben, par son inceste (// Gn 35,22) — que son père avait tu sans l'oublier comme plus tard David ses ressentiments: cf. 1R 2,5-9 — Ruben a perdu son droit, comme Esau.

Gn 49,5-7 — De même, si Jacob a dû supporter en silence la violence de Siméon et de Lévi, vengeant ainsi la violence faite à leur soeur Dina (// Gn 34,1-31), c'était sans l'approuver, lui le pacifique. Dans l'interprétation de tob du v. Gn 49,5 b: « leurs accords ne sont qu'instruments de violence », ce que réprouverait Jacob serait aussi la ruse d'une alliance mensongère (/ Gn 34,13-25).

La tribu de Siméon n'aura guère d'avenir, mais c'est surtout celle de Lévi qui sera dispersée en Israël. Or cela proviendra des fonctions sacerdotales que se verra attribuer cette tribu, à la suite du rôle de Moïse et Aaron, descendants de Lévi, dans l'Alliance du Sinaï. Tant les dons et l'appel de Dieu sont imprévisibles !

Gn 49,8-12 — Sur Juda. Il est instructif de comparer les notes de Tob, où le sens prophétique de ces versets n'est indiqué que par allusion et de façon hypothétique (exégèse hypnotisée par les soupçons de « la Sorbonne »), ou même les notes de BJ, qui admet ce caractère messianique au moins pour les v. Gn 49,10-12, avec le cantique au Christ mort et ressuscité entraînant après soi tous les peuples, que chante à leur propos la tradition chrétienne. Mais déjà, nombreuses ont été les références à ces versets, non seulement dans le Nouveau mais dans l'Ancien Testament (cf. les // ). Voici au moins quatre exemples, pris parmi les Pères grecs ou latins :

Chrysostome: Hom 67 sur la Gn (pg 54,574): La bénédiction de Juda est mystique, elle signale d'avance tout ce qui regarde le Christ: «Juda, tes frères te loueront ... les fils de ton père se prosterneront devant toi ». Parce que le Christ devait naître de la tribu de Juda, Jacob, rempli du Saint-Esprit prophétise non seulement la descente du Seigneur parmi les hommes mais encore « le mystère du Christ », la croix, la sépulture, la résurrection, tout enfin...

« Juda est un jeune lion ». Ceci annonce le règne du Christ, car il est habituel que l’Écriture figure par le lion l'autorité royale. « Tu t'es couché, tu as dormi, qui le réveillera? » Ces paroles prophétisent la croix et la sépulture. « Qui le réveillera? »: pensons à Jn 10,18 «J'ai le pouvoir de déposer mon âme et j'ai le pouvoir de la reprendre ». Enfin Jacob prévoit même en quel temps viendra le Messie: « Il y aura toujours un prince de Juda, un chef de sa lignée, jusqu'à ce que vienne Celui pour qui se prépare le Royaume: c'est Lui qu'attendent les nations ... Il lavera dans le vin sa robe, dans le sang de la grappe son manteau ». Je pense que sa robe est son corps, le vêtement qu'il a daigné porter, selon le plan divin; et le sens du mot « vin » est éclairé par les mots qui suivent: «... dans le sang de la grappe son manteau ». Ce sang évoque pour nous la croix, la mort, toute la dispensation du mystère.

Cyrille d'alexandrie: Sur Gn, vu (pg 69,349 ss): Cette bénédiction prophétise clairement l'Incarnation de notre Sauveur. Dès les premiers mots, elle exprime le sens même du nom de « Juda » qui veut dire « louange, célébration, confession », et ce nom convient éminemment au Christ, qui selon la chair est né de la tribu de Juda. Le prophète regarde de loin celui qui naîtra de la tribu de Juda, et s'écrie: Oui, ce nom est vraiment tien, car tu seras célébré et tu rapporteras à Dieu ta gloire. Car bien que tu naisses homme et que tu t'anéantisses, tu seras cependant reconnu et confessé comme «saint» et « Éternel ». Ceux qui sont tes frères par la nature humaine s'attacheront à toi, mais non comme à un homme: bien que te voyant parmi eux, ils te célébreront comme leur Seigneur, te glorifieront comme leur Créateur. Bien que tu prennes la forme d'esclave, ils te confesseront comme leur Maître et leur Roi.

... « Ta main sur la nuque de tes ennemis »: c'est de toi que David a prédit: «Je poursuis l'ennemi, le surprends, et ne reviens qu'après l'avoir défait. Je les brise, ils ne peuvent tenir, ils tombent sous mes pieds (Ps 18,38-39).

Origène: Hom sur Gn (pg 12,258): «Tu t'es couché, tu as dormi, comme le lion, comme le lionceau ... » Il est clair que ce sommeil se rapporte à la Passion et à la mort du Christ.

... La mort du Christ fut un triomphe, et fut l'écrasement du démon, car toutes les proies que ce lion ennemi avait emportées par la défaite de l'homme, le Lion qui est le Christ les lui arracha. Remontant des enfers et s'élevant dans les hauteurs, il emmena captive la captivité. C'est donc en dormant que le Lion triompha de celui qui avait l'empire de la mort. « Qui le réveillera? » Sous la forme d'une interrogation, ces paroles désignent la personne qui réveillera le Christ, car l'Apôtre écrit: « Dieu qui l'a ressuscité des morts ressuscitera aussi vos corps mortels, à cause de son Esprit qui habite en vous » (Rm 8,11). Et le Christ dans l'Évangile: « Détruisez ce temple, et moi en trois jours je le relèverai. Il disait cela du temple de son corps » (Jn 2,19). Puisque le Christ dit qu'il relève lui-même son corps, et puisqu'un autre passage de l'Écriture dit « Dieu l'a ressuscité », le prophète ébloui par l'Unité inséparable du Père et du Fils s'écrie avec stupeur: « Qui le réveillera ? »

Augustin : Cité de Dieu xvi, 41 (PL 41,519): C'est la mort du Christ qui est annoncée dans le mot « Tu as dormi ». Et le nom du lion exprime que le Christ goûta la mort non par nécessité mais dans sa puissance — cette puissance dont il parlait lui-même dans l'Évangile en disant: «J'ai le pouvoir de déposer ma vie, et j'ai le pouvoir de la reprendre. Nul ne me l'enlève, mais je la dépose de moi-même, puis à nouveau je la reprends » (Jn 10,18). C'est encore à cette puissance que s'appliquent les mots suivants: « Qui le réveillera? » Nul homme en effet ne l'a réveillé, mais lui seul, lui-même qui a dit en parlant de son corps: « Détruisez ce temple, et je le relèverai en trois jours » (Jn 2,19). Quant au genre de mort, l'élévation sur la croix, il est prédit par un seul verbe « Tu es monté ». La suite: « Tu t'es couché, tu as dormi », correspond aux paroles de l'Evangéliste: «Inclinant la tête, il rendit l'esprit » (Jn 19,30), et peut encore se référer au sépulcre, où le Christ a dormi et d'où nul homme ne l'a réveillé, mais où il s'est lui-même réveillé de son sommeil. « Il lave sa robe dans le vin », c'est la purification par le sang ; et les baptisés connaissent bien le mystère de ce sang.

Gn 49,8 — Comme le remarquait Cyrille d'Alexandrie, il y a rapprochement voulu entre Juda (Yehoudah) et ’yôdû' (t'acclameront). Cf Gn 29,32 *.

Gn 49,8-9a — Saint Jérôme, dont on n'a pas oublié le grand texte initial appliquant au Christ et aux chrétiens le verset Gn 49,8 (voir à la fin de l'Introduction générale), nous invite encore à cette intelligence spirituelle de la lettre même de l'Écriture, à propos de cette vision de l'Apocalypse (ch. Ap 5), où le « Lion de Juda » prophétisé en Gn 49,9 se révèle expressément comme le Christ vainqueur et qui donne à toute l'histoire son vrai sens :

JÉRÔME : Sur Isaïe (PL 24,332) : Comme nul ne se trouvait qui pût ouvrir les sceaux, Jean nous dit qu'il pleura et entendit ces paroles: « Voici, il a vaincu, le lion de la tribu de Juda, la tige de David, pour ouvrir le livre et rompre ses sceaux. » Le lion de la tribu de Juda, c'est le Seigneur Jésus Christ. Il rompt les sceaux du Livre, et non pas d'un seul livre parmi les autres, comme certains le pensent, mais de toutes les Saintes Écritures. Parce que toutes sont l'oeuvre du Saint-Esprit, on les appelle « Le Livre »; et Ézéchiel témoigne que ce livre était écrit dedans et dehors, c'est-à-dire suivant le sens spirituel, et suivant la lettre.

Gn 49,9b — Tu montes avec ta proie: Origène faisait allusion au Ps 68,19, « Tu es monté dans les hauteurs / captivant la captivité, etc... » On pourrait citer aussi cette réalisation imprévue dans le triomphe paradoxal du Crucifié: « Quand je serai élevé de terre, j'attirerai tous les hommes à Moi... » (Jn 12,32).

Gn 49,9c — L'interprétation par les Pères de ce second verbe du stique 9 c : « Tu as dormi », renforce évidemment l'assimilation à la Passion et à la mort du Christ. Exemple d'une lecture de la prophétie à la lumière de son accomplissement. Alors que, bien entendu, le sens exact de toute cette prophétie était indiscernable jusqu'à ce que vienne le Christ pour la réaliser. Elle ouvrait seulement à une attente, que les annonces messianiques successives rendront de plus en plus intense, davantage encore qu'elles ne préciseront la nature et le rôle de ce Messie.

Comme un lion, comme une lionne: même double image dans la prophétie de Balaam, Nb 23,24, mais dans un sens de domination. En Nb 24,9, la reprise de Gn 49,9 sera même littérale.

Gn 49,10 — Vise directement David, auquel sera promis à son tour que « sa royauté serait affermie pour sa Descendance, et subsisterait à jamais » (2S 7,12-16 2S 23,5). Promesse que l'Ange Gabriel annoncera réalisée en Jésus (Lc 1,32-33). Le Psaume Ps 60,9 dira qu'à travers Juda, père de David, père du Christ, c'est Dieu qui prend le sceptre: « Dans le sanctuaire, Dieu a parlé: ... Juda, je te tiens pour mon sceptre ». D'où les Psaumes 93 à 100: « Le Seigneur a pris possession de son règne... Les filles de Juda font des danses / pour fêter, Seigneur, tes jugements » (Ps 97,1 Ps 97,8).

Gn 49,10c-d — Jusqu'à ce que vienne Celui auquel appartient le sceptre: Cette interprétation (discutée) a l'avantage de concorder avec la prophétie parallèle d'Ézéchiel, peut-être inspirée de Gn 49,10 c, qui a certainement un sens messianique, ne serait-ce que par son annonce de retournement de situation typiquement messianique (cf. les cantiques d'Anne et de Marie) : ce qui était ne sera plus : on élèvera ce qui est bas, on abaissera ce qui est élevé. Voir le // Ez 21,31-32.

Et que les peuples lui obéissent: Même si les royautés d'alors se voulaient universelles, passe pour l'Egypte ou l'Assyrie; mais la prétention en aurait été risible pour le petit royaume davidique, n'eût été la Promesse (cf. Ps 72).

Gn 49,11 — On sait que Mt 21,4 (suite du // Mt 21,2) se réfère expressément à la prophétie de Za 9,9, elle-même inspirée de ce verset (voir // ). Il lave... dans le sang de la grappe son manteau : L'Apocalypse dit aussi que les élus « sont ceux qui viennent de la grande tribulation: qui ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l'Agneau » (Ap 7,13-14). Plus directement encore, l'image rappelle la grande parabole de la Rédemption, dans Is 63 /Ov.

Gn 49,12Ses dents sont blanches de lait : Au Cantique des Cantiques, ce sont les yeux du Bien-Aimé qui sont « des colombes se baignant dans le lait » (Ct 5,12). Même si l'on hésiterait à donner un sens trop précis à ces images de douceur et de douleur (« yeux rouges »), reconnaissons-y le ton de la complaisance de l'Amour dans le Bien-Aimé.

Gn 49,13-15 // Mt 4,12-16 — Évocation de la destinée temporelle des tribus de Zabulon (établie sur la côte, au Nord de la Palestine) et d'Issachar, soumis aux Cananéens de la riche plaine d'Esdrelon ou de Jezraël, voie de passage entre le littoral (donc, plus au Sud, l'Egypte) et les empires du Moyen Orient. C'est à ce carrefour qu'Isaïe annoncera la « vive lumière » (Is 9) que l'Évangile de saint Matthieu rapporte à la venue du Christ (Mt 4,12-16).

Gn 49,16-17 // Jg 13,2-5Dan s'illustrera surtout en Samson. D'où notre // .

Gn 49,18 — Bel exemple: au milieu de son poème, Jacob jette son invocation (on nommait autrefois cette forme de prière: oraison ’jaculatoire') comme on se retournerait vers Dieu pour reprendre haleine. Prier, c'est respirer. C'est aussi prendre son ‘inspiration’, dont Jacob témoigne de la sorte qu'il la puise en Dieu. Cf. le cantique d'Isaïe Is 25,9, qui est du même Esprit :

Is 25,9 L'on dira en ce jour: « Voici notre Dieu ! En Lui nous espérions: Il nous sauvera ! C'est Yahvé ! Nous espérons en Lui. Exultons, réjouissons-nous en son Salut ! »

Gn 49,19-21Gad (nous essayons de transcrire la cascade d'allitérations de ce verset) et Asher (établi entre côte et Mont Carmel) : à l'une et l'autre tribu, Débora reprochera de ne pas s'être jointes au combat de Zabulon et Nephtali (cf. // Mt 4) contre Siséra (Jg 5,17-18); et le Ps 68,14 perpétue ce reproche, sous forme voilée, donc peu discernable. Aussi préférons-nous citer l'Apocalypse, réconciliant toutes les tribus dans la gloire céleste.

Gn 49,22-26Joseph. (Sur les limites de ces bénédictions, cf. la fin de l'Introduction à ce chapitre). Plant généreux: L'hébreu, corrompu, autorise plusieurs lectures. Nous adoptons l'image, si fréquente de la fécondité végétale (Ps 1, etc...). Mais on pourrait aussi comprendre: «Joseph est un jeune taureau... » Si c'est moins cohérent avec l'image conjointe de la source, ce parti a le mérite d'accroître le // avec Os 10,11-12. Quelle que soit l'image, en tous cas il s'agit de force fécondante.

Gn 49,23-24 — Force encore, mais cette fois nettement guerrière, très directement rapportée à Dieu en 24-

Le Puissant de Jacob: Nom qui sera retenu en particulier par Isaïe (Is 1,24 Is 49,26) avec d'autres titres semblables tels que ‘le Saint de Jacob’ (Is 29,23) ou ‘le Roi de Jacob’ (Is 41,21). Ce beau titre n'est pas moins donné à Dieu dans le Nouveau Testament (1Tm 6,15) avec cette même assurance que nous pouvons nous en remettre « à celui dont la puissance agissant en nous, est capable de faire bien au-delà de tout ce que nous pouvons demander ou concevoir » (Ep 3,20). Le meilleur témoin en est la Vierge Marie: « Le Puissant a fait en moi des merveilles : Saint est son Nom » (Lc 1,49).

Le Berger, le Rocher d'Israël: Deux autres noms qui tous deux sont faits pour inspirer la confiance. Surtout depuis que le Christ lui-même est venu nous assurer qu'il était cette Pierre, ce Roc sur lequel on peut construire solide (Mt 21,42 Ac 4,11 et Mt 7,24-25). Et ce Bon Pasteur...

Gn 49,25 // Gn 27,27El Shaddaï: cf. Gn 17,1 *. L'accumulation des Bénédictions, appelées de toutes parts, traduit sous forme encore plus lyrique la surabondance de l'héritage promis à Abraham, mais plus primordialement encore à l'Homme, Adam, au i° chapitre de la Genèse. Ce qui est nouveau, c'est que le bénéficiaire en soit nommément Joseph, tandis que désormais la promesse messianique est réservée à la Descendance de Juda — comme plus tard, à celle de Lévi le sacerdoce de l'Alliance avec Moïse et le peuple d'Israël tout entier. Déjà la vie et l'oeuvre du Sauveur à venir se situe hors des prospérités temporelles, pour un Royaume dont le Christ dira clairement à Pilate qu'« il n'est pas de ce monde », mais fruit du sacrifice pascal, comme les Pères ont pu le lire — à la lumière de l'Évangile — dans la Bénédiction de Juda.

Gn 49,26 // Ps 76,5 — Sur la lancée du v. 25, le verset 26 élève pourtant les bénédictions à Joseph jusqu'aux réalités célestes. Le comble de la bénédiction sur cette terre n'étant pas tellement d'être comblé que d'élever son désir jusqu'« aux cîmes éternelles » où Dieu règne (Ps 76,5); « car les choses visibles n'ont qu'un temps, les invisibles sont éternelles » (2Co 4,18). « Pour nous, notre cité se trouve dans les cieux, d'où nous attendons, comme Sauveur, le Seigneur Jésus-Christ, qui transfigurera nos corps... » (Ph 3,20).

Gn 49,26 f (Ps 132,18) — Sur le front de l'Élu (ou: du Couronné): Se retrouve dans la bénédiction de Joseph en Dt 33,16. Plus tard, la loi mosaïque statuera sur le voeu par lequel un homme ou une femme se consacrait ’naziréen' au Seigneur, avec la séparation des autres que cela impliquait, signifiée par la chevelure longue et l'abstention de tout alcool (Nb 6,1-5).

Il est vrai que saint Matthieu écrit de Jésus: « Il vint habiter une ville appelée Nazareth, pour que s'accomplît ce qui avait été dit par les prophètes: qu'il serait appelé Nazôréen » (Mt 2,23). S'il entend rapprocher ’Nazaréen' (habitant de Nazareth) et ‘Naziréen’, à première vue il semblerait jouer sur les mots, et l'on se perd en conjectures sur la prophétie à laquelle il fait ainsi allusion (Jg 13,5-7 — à propos de Samson ?); mais plus profondément, c'est vrai que Jésus est par excellence le Consacré, le Saint de Dieu (les deux expressions de ’Nazarénien' et ’Saint' se trouvent rapprochées en Mc 1,24). C'est encore ce que signifie le mot ’Nazôraios' de l'inscription de la Croix (Jn 19,19). Mot mystérieux, car son correspondant en araméen ‘Natsaraïa’ donne exactement le même chiffre que ’Nazir' en hébreu biblique. Saint Jean fait donc aussi un « appel de sens ». Toutefois, s'il est vrai que, dans le contexte de la bénédiction de Joseph, la visée n'est pas messianique, le terme de ’nazir' viendrait plutôt comme pour ’couronner' tout ce qui précède. Cela rejoint la promesse messianique sur laquelle se ’couronne' elle aussi la prophétie du Ps 132 en faveur de la Descendance davidique (encore accentuée dans la version des lxx). Mais, si nous comprenons bien, davantage encore que le Christ lui-même, cela viserait donc ici, à travers Joseph et sa descendance, les chrétiens « race élue, sacerdoce royal, peuple consacré... » (1P 2,9).

Gn 49,27 — Traditionnellement interprété comme s'appliquant à la conversion de saint Paul. Entre autres, choisissons le 2° Sermon de saint Augustin pour cette fête (S. 279; PL 38,1275-1276): Aujourd'hui nous avons lu dans les Actes des Apôtres comment, de persécuteur des chrétiens, l'Apôtre Paul est devenu héraut du Christ. Le Christ, en effet, terrassa le persécuteur pour faire de lui le docteur de l'Église: frappant et guérissant à la fois, tuant et donnant la vie: l'Agneau tué par les loups a fait des loups des agneaux. Dans la célèbre prophétie où le patriarche Jacob bénissait ses fils (étendant les mains sur ses enfants présents, mais voyant de loin les événements futurs), avait été prédit ce qui s'accomplit en saint Paul.

Paul appartenait à la tribu de Benjamin, lui-même l'atteste. Or quand Jacob bénissant ses fils en vint à bénir Benjamin, il dit de lui: « Benjamin, loup rapace! » Quoi donc? Loup rapace pour toujours? Certes non: «le matin il ravit sa proie, mais le soir il partage le butin ». Voilà ce qui s'est accompli dans l'Apôtre Paul, car c'est lui que visait la prophétie.

Si vous le voulez bien, méditons comment il ravit sa proie le matin, et comment le soir il distribue la nourriture. « Matin » et « soir » sont mis ici pour « d'abord » et « ensuite ». Prenons-le donc ainsi: D'abord, il poursuivra sa proie, plus tard il distribuera la nourriture. Et voici le loup rapace: « Saul, muni de lettres des princes des prêtres, courait saisir les chrétiens, partout où il les trouverait, pour les amener aux prêtres », en vue de les châtier, évidemment.

Il ne respirait que massacre: voilà pour « le matin il ravit sa proie ». En effet, quand Etienne, le premier martyr, fut lapidé pour le nom du Christ, Saul était là, ostensiblement; et il ne faisait qu'un avec ceux qui jetaient les pierres, au point que non content de les jeter lui-même, il gardait les vêtements de tous: en les aidant tous, il prenait à cette lapidation une part plus grande que si lui-même avait jeté les pierres.

Nous savons donc comment il chasse la proie le matin; voyons maintenant comment, le soir, il partage la nourriture: terrassé par la voix du Christ qui venait du ciel, et recevant d'en haut l'ordre de cesser la persécution, il tomba la face contre terre: Dieu ne le prosternait que pour le relever: il le frappait pour le guérir. Car le Christ ne pouvait venir vivre en lui avant de faire mourir la vie mauvaise qui était en lui. Mais que lui fut-il dit, quand il gisait à terre? «Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu?» Et lui: «Qui es-tu, Seigneur? » Et la voix d'en haut: «Je suis Jésus de Nazareth que tu persécutes ». Des membres de son Corps étaient encore sur la terre, mais dans le ciel la Tête clamait; et elle ne disait pas: pourquoi persécutes-tu mes serviteurs, mais « Pourquoi me persécutes-tu? »

Il est prêt à obéir, lui qui mettait tout son zèle à persécuter: déjà le persécuteur se mue en prédicateur. Il entend ce qu'il doit faire, et il devient aveugle. Pour que son âme soit éclairée de la lumière intérieure, la lumière extérieure lui est enlevée temporairement : elle est enlevée au persécuteur pour être rendue au prédicateur. Et en ces heures où il ne voyait rien d'autre, il voyait Jésus. La cécité même de Saul ébauche le mystère de la foi: car quiconque croit au Christ doit le regarder lui seul, et compter pour rien le reste du monde. Que la créature perde son attrait, et que l'âme ressente la douceur de Dieu.


1533

MORT DE JACOB ET FIN DE LA VIE DE JOSEPH

Gn 49,29-50,26) —

Gn 49,29-30 // Mt 27,59-61 — Il y a plus qu'une similitude de choix dans la sépulture, ici et là ‘dans le roc’ : ici et là aussi, une vie finit : Israël semble s'être jeté dans l'impasse de l'Egypte; le Christ semble avoir échoué. Mais ici et là, il y aura un rebondissement des promesses: pour le Christ, la Résurrection; pour Israël, le passage de la Mer Rouge, le Sinaï, la Terre Promise, à laquelle ni Jacob, ni Joseph (50,26) n'ont renoncé puisqu'ils prophétisent que leurs ossements reposeront auprès de ceux d'Abraham, donc à Hébron (Gn 25,9-10). Et pour nous aussi, par delà des perspectives naturelles de vie terrestre, nous est offerte la participation au Mystère pascal de mort et de résurrection, par cet autre passage de la mer qu'est le baptême ainsi que la loi intériorisée de l'Esprit, et le Royaume de Dieu enfin atteint pleinement au ciel après les 40 années de ’désert' de notre vie terrestre, par delà cette autre traversée (du Jourdain) que sera notre mort. Si donc il serait vain de prétendre à quelque sens messianique de la mort de Jacob, puis de Joseph, il n'y en a pas moins cette similitude, ce parallélisme spirituels ou mieux ’mystiques' de l'espérance.

Gn 50,15-22 — Retour aux thèmes de l'histoire de Joseph: dernier accomplissement des songes initiaux dans le prosternement des frères de Joseph (v. 18 — cf. 37,7), tendresse du coeur, pardon avec larmes des torts passés (v. 17 — cf. 45,2-3 // 1 Th 1Th 5,14-15 et Mc 11,26), Providence (v. 19-20), rôle de salut de cet ’Homme envoyé' (// Jn 12,47 et Ps 105,17* / Gs) pour nourrir Israël (v. 20-21), préfigurant le rôle du Verbe incarné envoyé pour sauver le monde (// Jn 12,47 cf. Jn 3,16-17) et rassembler «un peuple nombreux », catholique (v. 20 // Jn 11,51) en se donnant lui-même en nourriture (v. 21 // Jn 6,35).

Mais le // Mc 11,26 dit plus encore que Gn 50,17-19. Car Joseph distinguait avec humilité son propre pardon de la conduite providentielle de Dieu qui, en secret, avait mené toute cette affaire, tandis que l'Évangile nous révèle un lien de conséquence entre notre propre pardon fraternel et celui de Dieu.

Gn 50,19-20 // Jn 6,20 et 5,19 — Si Joseph ne s'attribue pas orgueilleusement le rôle providentiel, mais l'a servi par son abnégation, combien mieux encore le Christ ! Les Pères citent souvent Rm 8,28, « Tout coopère au bien de ceux qui aiment Dieu ». Mais ici, Joseph rappelle plus encore que Dieu veut le bien, même de ces frères jaloux (v. 20) — ce que dit aussi bien entendu l'Épître aux Romains, mais un peu plus haut: « La preuve que Dieu nous aime c'est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous » (5,8).

Gn 50,21Parlant à leur coeur: Évoque la célèbre prophétie d'Osée où, devant l'infidélité d'Israël, son Épouse, Dieu annonce: « Je parlerai à son coeur... comme aux jours où elle montait du pays d'Egypte » (2,16-17).

Gn 50,23Naquirent sur les genoux de Joseph : façon imagée de les adopter.

Gn 50,24-26 Gn 50, chrysostome: Hom 67 sur Gn (PG 54,578): «Le Seigneur vous visitera, et vous emporterez mes os d'ici ». Joseph a le même souci que son père. Il dit à ses frères « Vous emporterez mes os avec vous » pour confirmer leur courage, et les rendre certains qu'ils reviendront dans leur pays. Lui qui en Egypte nourrit le peuple entier d'Israël, il le ramène déjà, en quelque manière, dans la terre de la promesse.






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L'EXODE



« C'est de Moi que Moïse a écrit » (Jn 5,46). Quand le Christ lui-même explique les Écritures aux disciples d'Emmaiis ou quand il « ouvre l'esprit des Apôtres à l'intelligence des Écritures » juste avant de remonter « à la droite du Père », c'est de Moïse qu'il part. C'est « ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse » que Lui seul devait et pouvait accomplir par le mystère pascal de sa mort et de sa résurrection (Lc 24,27 Lc 24,44-47). Rien que ce mot de Pâques, d'ailleurs, nous référerait à l'Èxode.

De fait, l'Exode est d'abord au centre de l'Ancien Testament. Dieu avait promis à Abraham, Isaac et Jacob une Descendance innombrable et une Terre. Mais le Livre de la Genèse ne nous montrait qu'une réalisation de cette Promesse encore limitée à une famille, toujours pérégrinante. Avec l'Exode, c'est le peuple élu qui se constitue, à travers la première paque ae ia uoeration de l'Egypte et le miracle du passage de la Mer, puis l'épreuve du désert et l'Alliance du Sinaï. Celle de Dieu avec Abraham, Isaac et Jacob s'y voit précisée en même temps que proposée à la ratification de tout Israël. Et même auparavant, les premiers chapitres de l'Exode sont une reprise des onze chapitres initiaux de la Genèse puisque, comme nous le verrons, le prélude à l'Exode est une nouvelle création et un nouveau déluge.

Le grand acteur de l'Exode comme de la Genèse est donc Dieu lui-même. Dans l'histoire des hommes dont la pointe civilisatrice, depuis 1500 ans, se situait entre Egypte et Sumer, Dieu intervient. S'il se révèle premièrement au ch. 3 de l'Exode en toute son universalité, il n'en reste pas moins fidèle à son dessein, manifesté par la vocation d'Abraham, de s'attacher ce peuple minuscule, exilé, asservi, sans avenir, pour le libérer, le sauver, l'adopter. L'Exode est Sa victoire contre les forces oppressives de Pharaon, pour appeler à une nouvelle naissance les descendants d'Abraham en un Peuple. Celui-ci est donc, dans la même ligne qu'Abraham (cf. Gn Gn 12,1 *), élu, et de ce fait même « à part », séparé, différent des autres, même si par lui, à leur tour, les nations païennes seront aussi appelées à entrer dans la Descendance d'Abraham. « Le salut vient des juifs », comme Jésus le rappelle à la Samaritaine (Jn 4,22), comme l'explique saint Paul aux Romains.

Ainsi, par l'intervention de Dieu, au coeur ignoré de l'histoire universelle, naît une histoire sainte — au sens d'abord où ce mot signifie une histoire séparée — par où passera le fil d'Ariane de l'histoire de salut, de rédemption, de sanctification, qui s'ouvre dans l'Apocalypse sur la Toussaint éternelle: les douze tribus issues de Jacob, prémices de « la foule immense que nul ne pouvait dénombrer, de toutes nations, peuples et langues », sont admises à la Terre et à la Cité permanente où règne l'Agneau immolé, préfiguré dès la première Pâque.

L'Exode est par conséquent cet événement fondateur dont Israël avait à demeurer le témoin privilégié, comme aussi le gardien et l'apôtre. La suite de l'Ancien Testament en découle donc directement: les Livres historiques en content les aléas, dûs aux infidélités d'Israël à son Alliance avec Dieu « telle que l'avait prescrite Moïse », donc à sa vocation de Nation Sainte; les Prophètes rappellent le souvenir de ce premier Exode, en approfondissent la portée, et en ouvrent les perspectives à l'universalité des peuples et des siècles; les Psaumes et autres Écrits de la Sagesse remplissent le devoir de transmission, de vivante « tradition » et d'action de grâces de ces « Mirabilia Dei », des merveilles opérées par Dieu » à main forte et à bras étendu », lorsqu'il racheta son peuple et lui donna d'expérimenter au désert la séduction d'une vie donnée à Lui, menée par Lui, nourrie de sa Parole comme de sa Manne et de ses Eaux vives (Dt 8 Os 2,16-17).

Mais si l'Exode est d'abord du fait de Dieu, et de bout en bout miraculeux pour que son rôle premier soit saisissant et frappe durablement les esprits de ceux qui auraient à en perpétuer la mémoire (Dt 6,20-25 Ps 78), comme toujours Dieu n'en passe pas moins par l'homme.

Pour sauver l'humanité du Déluge, il avait choisi Noé; pour sortir l'humanité du paganisme, Il avait appelé Abraham. Dans la descendance de Lévi, fils de Jacob, fils d'Abraham, Dieu impose à Moïse, malgré ses dénégations, la mission qu'auront à poursuivre prêtres et lévites.

Comme d'habitude aussi, Dieu recourt au service d'un homme qu'il a, entre tous ses contemporains, comblé de ses dons pour l'habiliter à cette mission. Abraham n'était pas n'importe quel bédouin: il venait d'Ur, la plus ancienne des civilisations connues (Gn 11,27-32*). Païens et juifs pourront se reconnaître en lui. Les autres grandes figures de la Bible seront elles aussi pleines d'humanité, David en particulier. Mais nul ne représente l'Ancien Testament, dans ce qu'il a de spécifique, plus complètement que Moïse.

Entre cent autres témoignages, depuis Philon d'Alexandrie qui exaltait en lui le quadruple don: royal, législatif, sacerdotal et prophétique, jusqu'à nos jours, choisissons celui qu'en donne A. Luneau dans Moïse, l'homme de l'Alliance (Desclée et Cie 1955, p. 283 ss.): • • . Pour la littérature latine des premiers siècles, Moïse sera le chef dont la grandeur humaine en impose au peuple qu'il commande, et reste,jusqu'à nos jours, inégalée.

Chef, Moïse l'est naturellement. Il en a l'étoffe, et l'épisode de l'Égyptien témoigne d'une trempe de caractère peu commune.

Mais ce terrain n'est pas demeuré en friche, et lorsque Dieu alla chercher Moïse derrière ses troupeaux, il n'avait pas affaire à un pasteur inculte. Quarante années avaient précédé la disgrâce et l'exil. Quarante années au cours desquelles Moïse avait été « instruit dans toutes les sciences égyptiennes ». Car la fille de Pharaon avait voulu qu'aucune discipline ne demeurât cachée à son fils adoptif

... Quarante années ont passé, et Moïse a été mûri par l'exil. Il possède toujours cette ardeur, cette ténacité qui force la victoire. Acculé à la Mer Rouge par les troupes égyptiennes, « il exige le triomphe » et l'obtient (ambroise, De off. min., n, 4,10 PL 16,113). Sa prière persévérante obtient de Dieu, au désert, la totale défaite des Amalécites. Ardent à demander à Dieu le salut de son peuple, il est terriblement exigeant pour le culte de Yahvé. Alors, rien ne le rebute, lui qui autrefois préféra l'exil à la soumission ... Pharaon en sait quelque chose, lui qu'il châtia avec une royale autorité, au point d'être pour lui « comme un dieu »...

Cet homme si intelligent est en même temps profondément humble. La façon dont il accepte les remontrances de Jéthro et les fait siennes en est une preuve souvent rappelée: « On découvre ici, remarque Augustin, un exemple d'humilité: favorisé d'entretiens particuliers avec Dieu, il ne dédaigne pas le conseil de son beau-père, un étranger » (In Hept. Il, 69).

Il sait, jusque dans ses plus grandes colères, garder cette douceur qui donne à sa force un lustre incomparable. Ainsi avec Pharaon: il implore pour lui la miséricorde divine et la cessation des fléaux...

Il se montre souvent dur pour le « cou raide » de son peuple mais, en proie à la colère d'une foule qui veut le lapider, il ne se défend pas : il prie pour elle. Sans doute sanctionne-t-il durement l'idolâtrie du Sinaï, mais il supplie Dieu de pardonner à son peuple et refuse de se désolidariser d'avec lui. Car Moïse possède la suprême qualité du chef: l'amour du peuple qu'il commande.

... Nature extrêmement riche travaillée par la grâce de Dieu, il atteint une incomparable hauteur. En lui se rencontrent force et douceur, initiative et prudence, grandeur et humilité.

Ce n'est peut-être pourtant pas encore assez dire, s'il est vrai que la grandeur de Moïse prend surtout sa source dans une intimité avec Dieu qui a fait de ce chef et de ce législateur un « mystique », « parlant à Dieu face à face comme à un ami » et accédant même à une obscure vision de Lui (Ex 33), le porte-parole de Dieu est en cela même un « prophète » (Dt 34,10): « Par un prophète Yahvé fit monter Israël d'Egypte, et par un prophète il fut gardé » (Os 12,14). Plus encore peut-être Moïse est-il — comme Abraham (Gn 18,16-32*) — un intercesseur (Ex 32), et même en un sens, un « rédempteur » (cf. Ex Ex 3,10 // Ac 7,35*).

C'est cette personnalité de Moïse qui donne leur unité aux quatre Livres de l'Exode, du Lévitique, des Nombres et du Deutéronome, quelle que soit la complexité de leurs origines et de leur rédaction.

Ainsi que nous l'avons expliqué dans notre Introduction générale, nous renvoyons délibérément, pour tout ce qui touche à ces recherches d'histoire et de critique littéraire, aux ouvrages spécialisés comme aux livres de vulgarisation qui, à peu près tous, ont choisi ce point de vue rétrospectif. Pour nous, ici plus que jamais, essayons de lire l'Exode suivant la perspective d'avenir, comme le conseillait le Christ lui-même à ses disciples. La Tradition chrétienne n'y a pas manqué, bien sûr ! de Méliton de Sardes aux commentateurs



lliuu^lii^a. i uui nuua 111CL11C U C111U1WV utina vv^ttv pvupwiiw, uiuiu pi ^v*u\*-

ment l'homélie de cet évêque du IIe siècle, vibrante comme une hymne. Comme le feront plus expressément les Pères de l'Eglise aux IIIe et ivc siècles, Méliton annonce en Jésus le nouveau Moïse, l'Agneau et le Pasteur du Nouvel Exode qu'à la suite du Christ, nous sommes invités à suivre, de Noël à Pâques et à la Pentecôte, dans le baptême, l'eucharistie et la docilité à l'Esprit Saint, qui intériorise en nous la divine charité en quoi s'accomplit « toute la Loi et les prophètes ».

Bien des prophètes ont annoncé bien des choses sur le mystère de Pâques, qui est le Christ.

C'est Lui qui, mené comme un agneau et immolé comme une brebis nous délivra de l'esclavage du monde comme du pays d'Egypte, nous libéra de la servitude du démon comme de la main du Pharaon et comme d'un sceau, signa nos âmes de son propre Esprit, nos corps de son propre sang.

C'est Lui, qui couvrit de honte la mort et, ressuscitant, mit en deuil le diable comme avait fait Moïse pour Pharaon.

C'est Lui, qui frappa l'iniquité et priva de ses enfants l'injustice, comme Moïse avait fait pour l'Egypte.

C'est Lui, qui violemment nous fit passer de l'esclavage à la liberté, des ténèbres à la lumière, de la mort à la vie, de la tyrannie au royaume éternel, et fit de nous un sacerdoce nouveau, un peuple élu pour l'éternité.

C'est Lui, qui est la Pâque de notre salut,

c'est Lui, qui en chaque souffrant souffrit la Passion :

C'est Lui, qui en Abel fut tué, en Isaac fut lié, en Jacob exilé, en Moïse exposé, en l'agneau, immolé, en David, persécuté, en les prophètes, privé de l'honneur qui lui était dû.

C'est Lui, qui en la Vierge prit chair, qui au bois fut suspendu, qui en terre fut enseveli, qui d'entre les morts ressuscita, qui dans les hauteurs des cieux s'éleva.

C'est Lui, l'agneau qui reste muet c'est Lui, l'agneau égorgé c'est Lui qui, enfanté par Marie, la belle brebis, fut pris du troupeau et traîné à l'immolation,

tué vers le soir, enseveli de nuit,

qui, sur le bois, ne fut pas brisé ni dans la terre corrompu, et ressuscita l'homme du tombeau des enfers...

C'était Lui, qui te choisit et te conduisit, d'Adam à Noé, de Noé à Abraham, d'Abraham à Isaac et d'Isaac aux douze patriarches.

C'était Lui, qui te conduisit en Egypte, qui là te protégea et te nourrit avec sollicitude.

C'était Lui, qui t'éclaira par une colonne de feu, et qui te couvrit d'une nuée, Lui qui fendit la Mer Rouge et te la fit traverser. Lui qui chassa ton ennemi.

C'est Lui qui, du ciel te donna la manne, Lui qui t'abreuva de la pierre, Lui qui sur l'Horeb te donna la Loi, Lui qui te fit hériter de la Terre, Lui qui t'envoya les prophètes, Lui, qui suscita tes rois.

C'est Lui qui vint jusqu'à toi, qui pour tes malades fut médecin, et qui ressuscita tes morts», méliton de sardes: Homélie sur la Pâque, SC 123, n° 65.67-71 (p. 95 ss), et n° 83-84.86 (p. 109 ss.).

Quant au mouvement suivant lequel le Livre de l'Exode se rassemble et nous entraîne à sa suite, le voici relevé par D. Barsotti à la fin de ses admirables Méditations sur l'Exode:

Malgré la diversité des sources et des traditions, le Livre de i Exode possède une admirable unité: tout a été mis en ordre par Celui à qui obéissent aussi bien les traditions que l'histoire d'Israël.

Le Livre commence par une vision de désolation: l'effet du péché de l'homme est exactement la mort; c'est pourquoi nous voyons Israël condamné à mort, une mort sans échappatoire. Il est opprimé et condamné au génocide, il a oublié jusqu'au nom de Dieu, et Dieu paraît se tenir à l'écart de ce peuple qui n'a pas souci de lui-Mais Dieu choisit un homme. Il l'appelle et lui révèle son nom. Et Moïse résiste au Seigneur, mais en vain: Dieu fait voler en éclats sa résistance: il le veut, pour instrument de son oeuvre divine, et Moïse doit se plier à la toute-puissante volonté de Dieu...

La première intervention de Dieu pour le salut de son peuple est une intervention de mort et de ruine: les plaies d'Egypte. L'Egypte résiste, Dieu la dévaste. De même que Moïse a dû se plier aux ordres divins, ainsi l'Egypte et son pharaon devront se plier à la toute-puissante volonté de Dieu.

Israël quitte la terre de servitude. Le sacrifice de l'agneau est comme une préparation à l'acte divin; et Dieu intervient en ouvrant les eaux de la mer.

L'action, à mesure qu'on avance, s'enrichit: c'est maintenant la vie de miracle continuel: la manne, les cailles, l'eau jaillie du rocher... il semble que le ciel s'incline et que le monde créé se mette à la disposition de cette humble foule sans nom et sans patrie.

Mais cette providence très spéciale de Dieu envers le peuple d'Israël vise quelque chose de bien plus grand encore: le don de la Loi. Israël deviendra le peuple de Dieu en incarnant la volonté du Seigneur; Dieu vivra au milieu de ce peuple, parce que ce peuple vivra la volonté de Dieu... .

Mais il semble que le don de la Loi, à son tour, ne soit qu'une préparation à autre chose, une purification qui prépare à un acte divin, à une communion avec l'Éternel. Le don de la Loi est une préparation divine à l'expression d'une volonté positive: l'Exode a pour terme la construction du Tabernacle ; et dans cette construction, tous les desseins divins s'accomplissent. Qu'est-ce que le Tabernacle, sinon la Demeure de Dieu au milieu d'Israël, le signe de la divine présence? Dieu est descendu au milieu des hommes, il vit au milieu d'eux, et les hommes vivent avec lui (p. 280-284) — Faute de pouvoir citer tout au long ce commentaire spirituel, nous en résumons les thèmes dans les notes qui vont suivre).





Bible chrétienne Pentat. 1530