Bible chrétienne Pentat. 2100

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1. MOÏSE ET LES PLAIES D'EGYPTE

Ex 1-11)

Quand Joseph, en larmes, fut emmené comme esclave, ses frères ne soupçonnaient pas que de leur jalousie, Dieu tirerait le moyen d'assurer leur survie à la prochaine famine. Et par un terrible retour des choses, quand Joseph, par la suite, fit venir la famille patriarcale de Jacob en Egypte, il ne se doutait pas que leurs descendants seraient réduits en esclavage. Tels sont les aléas de nos projets humains, toujours à courte vue: d'un mal sort parfois un bien, tandis que parfois aussi ce que nous prévoyons bon s'avère ensuite mauvais.

Quoi qu'il en soit, de tout Dieu sait tirer parti : « Quand vint la famine sur la terre, Dieu avait envoyé devant eux un homme: Joseph fut vendu comme esclave...jusqu'à l'Heure où... » (Ps 105); de même, le sort funeste fait à la descendance d'Abraham ne prend pas Dieu au dépourvu: Il va s'en servir, et doublement: pour se révéler à Israël comme le Sauveur, mais d'abord pour parer à la tentation si naturelle que son peuple s'établisse en Egypte, sans chercher plus loin. La Genèse en avertissait déjà Abraham (// Gn 15,13-14). La persécution même empêchera que les descendants d'Abraham tiennent l'Egypte pour leur patrie. Du même coup, le Dieu d'Abraham qui est aussi le Dieu de tout le monde, pourra donner une leçon à l'orgueil de Pharaon, et laisser aux Cananéens un temps et une dernière chance de se repentir. Si bien que l'établissement d'Israël en Egypte, qui pouvait paraître une embardée par rapport à son destin à venir, s'avère finalement une étape décisive, dans sa prise de conscience de ce qui sera désormais la condition juive, image elle-même de la condition humaine d'Homo viator, et chrétienne de « pèlerins sur la terre » (cf. He 11 / Cq). Au xx° siècle encore, les pogroms russes puis les camps nazis joueront leur rôle dans le retour des juifs en Palestine.

Mais si le destin du peuple élu préfigure et prépare celui de tous les hommes, l'Egypte elle aussi prend valeur symbolique de l'existence trop naturelle ou servile dont il faut sortir pour vivre avec Dieu. Abraham lui-même, qui avait dû sortir de Harân (Gn 12,1-4*; Ex 2,11 *), sera lui aussi un revenant d'Egypte après son équipée de Gn 12,10-20. Plus tard, le nouveau « Retour » de l'exil assyrien sera annoncé par les prophètes sur le modèle de l'Exode (Is 11,15-16 et passim). C'est dans cette même ligne que Jésus, qui aurait à nous tirer de l'esclavage (d'Egypte) et de notre oubli de la Terre Promise éternelle, dut fuir en Egypte et en revenir, suivant la prophétie d'Osée que Saint-Matthieu lui applique: « D'Egypte j'ai rappelé mon fils, dit le Seigneur » (/ Mt 2,15 Os 11,1).

Ex 1,22 // Mt 2,16 n'est donc pas artificiel de rapprocher le massacre des Innocents du meurtre des enfants mâles du peuple élu — même si Hérode n'est pas pharaon d'Egypte mais roi de Judée, si bien que le massacre cette fois eut lieu à Bethléem.

Par ce // comme par la citation d'Os 11,1, l'Évangile nous invite à lire dans la vie du Christ le nouvel et définitif 'Exode' où le Fils de Dieu sera en personne avec nous, pour se donner cette fois Lui-même en agneau pascal, pour nous faire passer la Mer Rouge, nous amener à une alliance meilleure encore que celle du Sinaï (He 12,18-19) et nous introduire à la véritable Terre promise de la Béatitude éternelle (Mt 5).

Ce n'est qu'une seule et même histoire du Salut, par une seule et même Alliance: « Je suis Yahvé ton Dieu depuis le pays d'Egypte » (Os 12,10). Bien entendu aussi depuis Abraham, voire depuis Adam. C'est cette continuité que met en valeur la tradition chrétienne:

Rupert de Deutz: De Trinitate, In Exod. 1,1-2 (PL 167,567-68): Nous allons parcourir ces textes et d'autres, et essayer de mettre en lumière les mystères du Christ qui y sont cachés.

D'abord, nul n'ignore que «ce nouveau Pharaon qui ne connaissait pas Joseph » porte la figure du diable; que l'agneau pascal qui doit être immolé est le type du Christ, Fils de Dieu; que l'Egypte est ce monde; que le passage des fils d'Israël à travers la Mer Rouge annonce le baptême chrétien. Mais afin de procéder par ordre, remontons plus haut et cherchons ce que signifie l'entrée d'Israël en Egypte; nous comprendrons alors que la sortie, aussi bien que l'entrée, est réellement arrivée — mais représente aussi le voyage de tout homme qui dans son voyage ici-bas fixe son regard sur la patrie céleste.

Pour le peuple entier d'Israël, « le peuple bienheureux que le Seigneur s'est choisi comme héritage » (Ps 33), le premier pas vers le salut et la justice est de savoir et de confesser que par sa faute il est en exil, loin de la face de Dieu, loin de cette terre des vivants dans laquelle il verra les biens du Seigneur (Ps 27). C'est par seule grâce qu'un jour il est arraché à ce monde mauvais d'ici-bas, et transféré dans le Royaume du Fils bien-aimé de Dieu. Or, cette conviction, jamais l'Israël (de Dieu ) ne l'aurait saisie ni confessée, si le déroulement d’événements extérieurs ne l'avait introduit, comme une sorte de parabole, à un commencement d'intelligence de la justice. Pour qu'une parabole bien adaptée ne manquât donc pas aux petits — car les enfants ont besoin d'un enseignement élémentaire — il arriva que l'Israël charnel entra en Egypte dans des circonstances et pour des raisons démontrant qu'il y entra par sa faute, mais en sortit par grâce de Dieu. Quand on demande, en effet, pourquoi Israël entra en Egypte, si tu réponds que Dieu le voulut ainsi, ta réponse est véridique mais elle s'arrête en-deçà de la vérité, car il reste à savoir pourquoi Dieu le voulut ainsi. Car Dieu est juste, et il ne veut ou n'ordonne rien sans raison. Poursuivons l'enquête, et nous verrons que si Dieu l'a voulu ainsi, c'est que la Maison d'Israël avait péché, en vendant son frère comme esclave. À cause de cela, « Dieu l'a voulu », en toute justice; à cause de cela, il a convoqué la faim, et lui a livré en toute justice les coupables, comme à un bourreau impitoyable, qui les pousserait en Egypte, dans cette même geôle où ils avaient d'abord envoyé leur frère.

Israël — le patriarche — fut seul exempt de faute: c'est pourquoi il entra en Egypte précédé et suivi de consolations. Car il entendit le Dieu de son père Isaac l'appelant en une vision nocturne et lui disant: « Je suis le Dieu très fort de ton père. Ne crains pas ! Descends en Egypte, car c'est là que je ferai de toi un grand peuple; et Joseph te fermera les yeux » (Gn 46). Il entra donc en Egypte avec la grâce, parce qu'il était sans péché; mais sa Maison, parce qu'elle était chargée d'un crime, marcha sans le savoir vers une prison où elle serait tenue sous la contrainte et les coups — et ce, en toute justice. Il arriva donc « en partie » une histoire qui deviendrait l'image, ou la parabole du salut universel. Je veux dire que « toute la génération de ceux qui cherchent la face du Dieu de Jacob » (Ps 24), serait pleinement instruite par cette parabole, et qu'au principe de sa justification elle s'accuserait elle-même, et qu'à pleine voix elle confesserait en choeur et sa propre faute, et la divine justice.

Car Israël reçut en promesse « la terre où coulerait le lait » quand « Dieu prit l'homme et le posa dans le paradis de délices » à cette condition « qu'il le travaillât » — sous-entendu en obéissant au précepte de Dieu — et aussi « le gardât » — le gardât pour lui (Gn 2). Mais le même Israël vendit son frère à l'Egypte, tout en mangeant (Gn 37,25) quand « celui en qui tous ont péché » (Rm 5) se vendit lui-même au diable pour une bouchée de l'aliment interdit. De cette vente, Dieu se plaint par le prophète : « Vous avez été vendus gratuitement! », et il ajoute aussitôt la promesse d'une délivrance gratuite: « et vous serez rachetés sans argent » (Is 52). Dieu convoqua donc la faim sur la terre pour qu'Israël entre en Egypte quand il dit à Adam : « La terre est maudite à cause de ce que tu as fait. À grand peine tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie; elle produira pour toi des épines et des ronces » (Gn 3). Avec cette sentence, il l'envoya dans l'exil de ce monde. Ce séjour est bien surnommé « l'Egypte », mot qui se traduit « ténèbres », car là où Dieu n'est pas vu, il n'y a que ténèbres. C'est là que se trouve le nouveau Pharaon roi d'Egypte, le diable, nouvel adultère du nom royal, ou plutôt vieux tyran, prince des ténèbres. C'est là qu'habitent les Égyptiens, remplis de haine pour Israël, « les principautés et puissances de ce monde, les gouvernants de ces ténèbres, les forces spirituelles du Mal dans les espaces célestes », contre lesquels, suivant l'Apôtre, nous avons à lutter. (Ep 6).

Ex 1,8 — Origène : Hom 1 sur l'Exode (SC 16, p. 87-88) : Ce Pharaon qui ignore Joseph, on peut considérer que c'est le diable, « l'insensé qui a dit en son coeur: Il n'y a pas de Dieu ». (Ps 14,1). Il dit à son peuple d'anges apostats: « La multitude des fils d'Israël — de ceux qui voient Dieu — est devenue plus forte que nous. Venez, cernons-les, ... qu'ils ne sortent pas de notre terre ». Mais comment le diable sait-il d'avance tout cela, et que nous sortirons de sa terre? Sans doute parce qu'il a souvent combattu et a souvent été vaincu ... L'histoire des Patriarches a dû lui faire pressentir la venue du Christ. Il a vu venir de loin Celui qui dépouillerait ses principautés et les clouerait au bois de la croix (Col 2,14-15).

Ex 1,9Le peuple... est nombreux: C'est une des caractéristiques de la Bible que le passage fréquent du singulier au pluriel ou vice versa, sans crier gare: rappel de la réalité communautaire donc à la fois une et multiple, personnelle et collective, de l'histoire du Salut. Notre traduction gardera donc soigneusement ce trait de style.

Ex 1,11Les villes-entrepôts de Pitom et Ramsès: C'est d'après cette notation que l'on présume la date approximative de l'Exode: sous Ramsès II, le grand pharaon bâtisseur de la xix° dynastie (xin° siècle av. J.C.). Pour les humilier: le verbe est à l'intensif, ce qui donne la nuance, plus matérielle: pour les accabler. Mais la racine anu est celle que l'on retrouvera dans les anawim, les ‘pauvres de Yahvé’, une ligne spirituelle qui s'accomplira en la Vierge de Nazareth et en son fils « doux et humble de coeur », révélant à ses disciples: « Bienheureux les pauvres qui le sont dans l'Esprit (ou dans leur esprit)... Bienheureux ceux qui pleurent... Bienheureux les doux car ils hériteront de la terre (promise). Bienheureux les miséricordieux... Bienheureux les pacifiques, car ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5). L'épreuve de l'Exode est le début de cet apprentissage, toujours à reprendre. Pour ne pas perdre cette précieuse nuance spirituelle, gardons: humilier.

Ex 1,12Faisaient du fruit et se multipliaient: cette expression, rappelant Gn 1,28, contribue à nous alerter sur la « nouvelle création » que Dieu va réaliser par l'Exode: comme il avait tiré Adam de la poussière du sol, Yahvé tirera Israël de sa condition humiliée.

Ex 1,14-16 — Après l'asservissement, le génocide.

// Sg 19,14 — Allusion à Gn 19,4-5, L'Egypte a donc été pire que Sodome.

Ex 1,17Les sages femmes craignirent Dieu: Pie XII les a données en exemple à tous ceux qui travaillent dans les maternités. Exemple plus actuel que jamais.




2110

1. NAISSANCE ET EXIL DE MOÏSE

Ex 2)

(Ex 2,3Elle enduisit la corbeille de bitume et de poix: Comme l'arche de Noé (/ Gn 6,14). Après le rappel de la création et de la chute, au ch. 1°, l'Exode renvoie au déluge (du génocide) dont Dieu sauvera, par Moïse, tout son peuple. Ainsi, tout nouvel épisode de l'histoire du Salut se coule suivant les schémas universels des événements primordiaux évoqués dans les premiers chapitres de la Genèse. Quand Isaïe annonce le salut à tout homme, aimé de Dieu, lui aussi fait allusion à ce déluge — type (// Is 43,2, « Si tu passes par les eaux... ») comme plus tard saint Pierre, pour nous avertir que c'est une des significations de notre baptême (1P 3,20-21 /Au).

Ex 2,5-6 — Scène gracieuse, qui doit répondre aussi à un archétype de notre esprit. On cite la légende mésopotamienne de Sargon, roi d'Agadé (m° millénaire): « Ma mère était prêtresse... en cachette elle m'enfanta, me plaça dans une corbeille de roseaux et avec du bitume ferma ma porte (comme celle de l'arche). Elle me confia au Fleuve (cf. v. 3), qui ne me submergea pas (cf. Is Is 43,2) ». Mais appartiennent à un schème voisin, tout imaginaire cette fois, l'épisode célèbre de Nausicaa, dans l'Odyssée, et tant d'autres enfants sauvés de la mort, dans les contes de fées.

Et il pleurait: « Les instruments de l'oeuvre divine ne sont ni la grandeur, ni la puissance, mais l'humilité, la pauvreté, la faiblesse, l’impuissance... Le monde, cet ennemi de Dieu, se dressera contre toute puissance opposée à la sienne, mais non contre la faiblesse, contre l'impuissance; en face de l'impuissance, lui-même est désarmé... » (barsotti, Op. cit. p. 26).

Ex 2,8-10 — Origène: 2e Hom sur l'Exode (SC 16, p. 100-101): Je pense que la fille du Pharaon peut signifier l'Église, qui se rassemble des nations. Bien qu °Ale ait un père injuste et impie, le prophète lui dit: « Écoute, ma fille, incline l'oreille, oublie ton peuple et la maison de ton père ; car le roi a désiré ta beauté » (Ps 45). Elle est sortie de la maison paternelle, et elle est venue vers les eaux pour être lavée des souillures qu'elle avait contractées dans la maison de son père; aussitôt, elle acquiert des entrailles de miséricorde, et elle a pitié de l'enfant. L'Eglise venue des nations trouve donc dans les roseaux Moïse abandonné par les siens et exposé: elle le confie à une nourrice, et il passe sa première enfance chez les siens ; mais quand il devient plus fort, on le lui amène et elle l'adopte pour fils.

Nous avons déjà dit qu'on appelle souvent la Loi «Moïse»; l'Église venant aux eaux du baptême a recueilli la Loi pour l'introduire à la cour de la Sagesse et dans les palais des rois. Cette Loi a donc passé son enfance parmi son peuple ...; mais quand elle rejoint l'Église, quand elle entre dans la maison de l'Église, Moïse devient grand et fort, car le voile de la lettre est écarté et on trouve en la Loi une nourriture parfaite.

Moïse... retiré des eaux: Étymologie populaire, à partir de l'hébreu: masha, tirer. Mais le nom est plus vraisemblablement d'origine égyptienne, comme Thutmosis, Ahmosis, et même Ramsès, enfant de Thot ou de Râ.

// Ac 7,21-22Ainsi Moïse fut instruit de toute la sagesse des égyptiens : Comme Abraham de la civilisation d'Ur (Gn 11,27-32 * ).

Ex 2,11Moïse grandit... Il y avait déjà, v. 10: L'enfant grandit: De même, par 'deux fois en Saint-Luc: «L'enfant (Jésus) grandissait... en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes » (Lc 2,40 Lc 2,52). Le // pourrait sembler fortuit s'il ne se vérifiait aussi entre: Moïse sortit vers ses frères et l'Incarnation du Fils de Dieu: « Je suis sorti de Dieu et venu dans le monde» (Jn 16,28). À la perte des avantages de Moïse, adopté dans la famille même de Pharaon, correspond la ’kénose' du Verbe renonçant à sa condition divine pour partager notre condition servile, humaine (Ph 2,6-7).

Cyrille d'alexandrie : Sur Ex. i (pg 69,400-401): « Moïse adulte sortit vers ses frères ...» Saint Paul écrit: Quand fut venue la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils... Le Verbe du Père se retira, pour ainsi dire, de la gloire divine, car « étant riche, il s'est fait pauvre » (2Co 8,9), et « il s'est anéanti » (Ph 2,7). Il savait qu'il reviendrait vers le Père et serait assis à sa droite: « Père, glorifie-moi de cette gloire que j'avais auprès de toi avant que le monde fût » (Jn 17,5). Le Verbe sortit donc vers ses frères, qui sont les fils d'Israël: car c'est à eux qu'appartiennent les promesses, et lui-même a dit: «J'ai été envoyé aux brebis perdues de la Maison d'Israël ».

Il vit leur affliction : Si assimilé soit-il à la vie égyptienne, devant l'injustice, Moïse retrouve ses origines, comme tant d'autres juifs, de notre temps encore: « J'ai passé; j'ai médité; j'ai vu; je suis juif; j'ai refait mon âme » (Bernard Lazare, 1903 — cité, entre autres, par a. neher: Ils ont refait leur âme, Stock 1979).

Ex 2,12Il tua l'Égyptien: Autre recommencement de la Genèse. Au début de l'Exode aussi, il y a le meurtre. Sans doute Moïse n'est-il pas Caïn. Le motif n'est plus l'égoïsme, mais le secours de son frère. C'est l'excuse ou le prétexte du terrorisme: pour secourir l'opprimé, on tue l'oppresseur et parfois aussi l'innocent du même coup. Mais la fin ne suffit pas à justifier les moyens; et la violence engendre la violence. Même les frères hébreux de Moïse continuent à se battre, entre eux, et répliquent violemment à sa tentative d'apaisement. « Qui t'a fait chef! » — Ils ont raison, le meurtre n'habilite pas à prendre le pouvoir. C'est Dieu même qui, au chapitre suivant, chargera Moïse de la mission (cf. Ac 7,35 /la).

// Jn 19,15 — La douceur non plus ne suffit pas, et même si, au lieu de tuer Il va donner sa propre vie, le Christ se voit lui aussi dénier le titre de roi, que pourtant Il savait avoir, de droit (Jn 18,33-37). Il faudra que le Père l'habilite, lui aussi, par sa Résurrection des morts.

Ex 2,15Il s'enfuit, et séjourna... s'assit près d'un puits: Comme Jacob (// Gn 29,1-10). Comme Jésus au puits de Jacob (Jn 4).

// He 11,24Il tint l'opprobre du Christ pour une richesse plus grande que les trésors d'Egypte: L'anachronisme est patent. Moïse n'avait pas dans l'esprit la croix du Christ. L'Épître aux Hébreux nous donne donc un nouvel exemple à suivre, en considérant les faits non pas dans leurs limites strictement chronologiques, mais dans leurs rapports spirituels. De ce point de vue, il n'y a qu'un seul choix: l'Egypte (ailleurs nommée « le Monde ») ou le Christ. La jouissance des biens terrestres ou « l'opprobre du Christ ». Saint Paul en témoigne pour sa part: lui aussi « hébreu, fils d'hébreu... » « tout ce qui était pour moi un avantage, écrit-il aux Philippiens, je l'ai regardé, par rapport au Christ, comme étant pour moi un détriment... A cause de Lui j'ai tout balayé, et j'estime tout cela comme balayures afin de gagner le Christ et d'être trouvé en Lui» (3,7-8).

/ He 12,1-3 — Application directe de cette expérience chrétienne à nous tous, comme d'une loi de la vie spirituelle. Aux v. 1,2,3 se retrouve la même racine ‘Passion, pâtir', pour nous comme pour « Celui qui a pâti ».

Ex 2,22«Je suis un hôte en terre étrangère »: Moïse a donc repris l'attitude spirituelle d'Abraham (Gn 12,4-5*), qui sera celle de l'Exode; telle que la définit de façon exemplaire He 11.

La Vulgate, ajoute ici, d'après ce qui sera dit en Ex 18,4: Cippora enfanta un second fils, qu'il appela Éliézer, en disant: Le Dieu de mon père est mon soutien, il m'a arraché de la main de Pharaon.

Ex 2,23-24 — Transition vers l'apparition du ch. 3, soulignant l'initiative de Dieu. « Pourquoi vous préoccuper...? Dieu sait » (Mt 6,25-33). Le roi d'Egypte mourut: De même en Mt 2,19: « Hérode une fois mort », Jésus put revenir au milieu de son peuple à Nazareth. Comme Moïse avait longtemps été préparé à sa mission, il faudra encore 30 ans avant que Jésus apparaisse comme le Sauveur. Mais dès sa vie cachée, il était déjà la preuve secrète que « Dieu a souci de son peuple et sait bien ce qu'il va faire ». Le silence, la patience, l'apparente surdité de Dieu à nos appels sont l'épreuve de notre foi : Longtemps après, souligne l'Exode; cela signifie beaucoup de souffrances et de larmes du peuple asservi. Mais, sans le voir encore, nous croyons que dans le secret, Dieu prépare notre salut et sa gloire, comme Jésus l'explique à ses Apôtres quand il tarde à venir auprès de Lazare à l'agonie (Jn 11,4).




2120

2. LE BUISSON ARDENT ET LA VOCATION DE MOÏSE

Ex 3-5)

Il y a deux faces également essentielles à la révélation de la Parole en Israël. L'une est la révélation d'un dessein providentiel sur le peuple, d'une promesse créatrice de son histoire et dont le contenu se concentre sur l'idée d'Alliance. L'autre est la révélation de Dieu lui-même, de sa personnalité, si l'on ose dire ou, comme diraient les sémites: de son Nom. Le souvenir d'Abraham reste lié à la révélation de la Parole comme promesse. Mais c'est à la révélation par la Parole du Nom de Yahvé que le souvenir de Moïse doit sa signification la plus profonde dans la vision qu'Israël a eue de sa propre histoire. Même le législateur inspiré, en Moïse, passe après le prophète par excellence, celui auquel le Nom divin a été dit... Il est certain que Moïse, c'est l'homme du Sinaï-Horeb. Mais l'Horeb, ce n'est pas d'abord le lieu où furent données les tables de la Loi. C'est le lieu où Yahvé se révéla dans le buisson ardent. Et ceci seul explique cela fh. bouyer: La Bible et l'Évangile,/?. 28-29).

Ex 3,1 — Dieu attend Moïse dans le désert, comme plus tard Élie, le type même du prophète. La mission de Jésus lui-même commence par le mener au désert. Bien plus, c'est tout son peuple que Dieu « conduira au désert pour parler à son coeur...: Je te fiancerai à Moi dans la fidélité, et tu connaîtras Yahvé » (Os 2,16-17 Os 2,21-22). « Comme au jour où la fiancée montait du pays d'Egypte... » tel est encore l'archétype de la Nouvelle Alliance qui, pour nous atteindre « au coeur » (Jr 31,33 Ez 36,26-27), exige aussi solitude, silence, intériorisation — qu'on appelle, aujourd'hui encore « le désert », ou bien une « poustinia » (C. de hueck — doherty : Poustinia ou le désert des villes, Cerf 1976).

À la montagne de Dieu, l'Horeb: c'est un autre nom du Sinaï: cf. Ex 33,6 Dt 18,16 1R 8,9 et surtout 1R 19,8 (où Élie revient donc aux sources de l'Alliance avec Yahvé, qu'il a défendue contre les prêtres de Baal).

Ex 3,2-6L'Ange de Yahvé: C'est Dieu se manifestant: cf. Gn 16,7*. Or la manifestation même du Père, c'est le Fils, c'est Lui « l'Image du Dieu invisible » (Col 1,15). Aussi les Pères, depuis Origène, aiment à relever en toutes ces apparitions comme de premières ébauches ou figures de l'Incarnation. Dès lors, « le Christ domine l'histoire et fait plus que la dominer, il l'emplit tout entière. L'histoire n'est plus que sa présence, présence annoncée, présence anticipée, présence du Christ. Toute l'histoire n'est déjà que le Christ, comme un jour toute la création ne sera que Lui» (v>. Barsotti: Op. cit. p. 58).

Cyrille d'alexandrie : Sur l'Ex. i (pg 69,414-415): «Je suis le Dieu de ton père Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob ». Moïse détourna son visage, car il eut peur de regarder Dieu. La Loi, en effet, fut donnée comme un secours (Ga 3,24), comme un pédagogue en vue du Christ, comme une ombre en signe de l'avenir, jusqu'à ce que la Vérité se levât en son temps. La fin de la Loi de Moïse était le Mystère du Christ, et c'est ce que signifia la vision du buisson ardent: car l'Ange sous la forme d'une flamme s'élevait dans les hauteurs sans consumer les épines ... La Sainte Ecriture a l'habitude de comparer la divinité au feu, par exemple: « Notre Dieu est un feu consumant » (Dt 4,24) — et l'homme à l'herbe des champs: « L'homme est comme l'herbe, comme la fleur des champs » (Ps 103,14). De même que les épines ne peuvent supporter le feu, ainsi l'humanité ne saurait porter la divinité. Cependant cette union s'opéra dans le Christ, car « en lui habite corporellement toute la plénitude de la divinité » (Col 2,9) et il habite la lumière inaccessible (1Tm 6,16).

Dieu demeura en ce temple né de la Vierge, s'abaissant à une humilité merveilleuse, rétrécissant, si l'on peut dire, sa toute-puissance pour y être contenu: il s'adapta à nous comme le feu s'adapta aux épines. Cette chair sujette par nature à la corruption, il la rendit indemne de toute corruption, et plus forte que la mort: c'est ce que préfigura le feu flambant dans le buisson et gardant celui-ci intact. Que le Verbe de Dieu ait vivifié son temple, et l'ait gardé incorruptible, qui donc en doutera? Le feu épargna l'épine, la flamme devint tolérable pour un pauvre et faible arbrisseau — l'humanité devint capable de contenir la divinité. Ce mystère s'accomplit dans le Christ: le Verbe de Dieu habita parmi nous, non pour exiger le châtiment, ni pour intenter un procès: mais nous éclairant peu à peu par des approches faciles et paisibles. Comme il l'a dit lui-même: « Le Père a envoyé son Fils dans le monde non pour juger le monde mais pour sauver le monde ». Comme le feu, qui ne consumait pas le buisson ardent, le Christ ne requiert pas contre nous la peine du péché, mais plutôt il nous illumine par l'Esprit Saint, et il est en nous par cet Esprit en qui nous crions : Abba, Père ! (Rm 8,15).

La liturgie du temps de Noël reprend ce // dans un sens plus particulier: « Le Buisson que Moïse avait vu inconsumé (du feu de la Divinité), nous le reconnaissons dans la conservation de ton admirable virginité: Mère de Dieu intercède pour nous auprès de Lui ! »

Ex 3,4Il répondit: «Me voici...»: Comme Abraham, pour le sacrifice d'Isaac, où se retrouve un autre buisson porteur du Verbe incarné, sous la figure du bélier qui s'y est pris par les cornes (Gn 22,3-13*).

Ex 3,5Ote tes sandales: C'est Dieu même qui demande qu'on ne s'approche pas de Lui sans témoigner par sa tenue de son respect. Car à son seul contact la terre devient sainte (cf. Gn 28,13-17*). Même d'en toucher seulement le bord est interdit au profane (Ex 19,12-13).

Ex 3,6Moïse craignait de regarder Dieu : Après le Sinaï, après le veau d'Or et l'intercession de Moïse, celui-ci demandera à voir la Gloire de Dieu, et c'est Dieu même alors qui « le protégera de sa Droite » pendant qu'il passe, tant il est vrai que, même Moïse ne peut voir Dieu en face durant cette vie terrestre (Ex 33,18-23*). Même révérence sacrée des trois Apôtres à la transfiguration du Christ.

// Lc 5,8 — Saint Pierre nous montre l'exemple: même humanisée en Jésus par l'Incarnation, la sainteté de Dieu demande qu'au moins nous reconnaissions notre péché. C'est ou ce devrait être instinctif.

// Jn 8,23-27 — Le parallélisme est frappant avec la scène du Buisson ardent. Même affirmation par Jésus de sa transcendance divine: Je suis d'En-Haut ; avec attribution à Lui-même du Nom divin : si vous ne croyez pas que je suis (revient au v. 28. Ib), de par son unité avec le Père (v. 26-27. 28-29). On comprend mieux la portée de ce je suis divin en la lisant au sens absolu qui nous est révélé en Ex 3,14*. L'Ancien Testament orchestre le Nouveau.

En revanche, les paroles du Christ soulignent encore autre chose, de non moins capital, pour nous inviter à lire l'Ancien Testament à la lumière du Nouveau. Il y a en effet dans ce « dit » du Christ, une insistance remarquable, précisément sur ce verbe ’dire’ : n Jésus leur dit... 24 Je vous l'ai dit... 25 Ce que je vous dis... 26 J'ai beaucoup à dire sur vous... Ce que j'ai entendu, c'est cela que je dis... 21 II leur parlait du Père». Or, c'est de la nature même du Verbe que de dire: éternellement, en Dieu; une fois incarné, aux hommes. Dans ces conditions, c'est son être même que définirait le v. 25: « Je suis mes paroles mêmes, mon discours même » — s'enchaînant avec le v. 26: « Je suis mes paroles mêmes et mes paroles, c'est de Dieu que je les ai entendues... Je dis au monde ce que j'ai entendu du Père... Je ne suis que la parole du Père ».

En outre, au v. 25, ‘tèn arkhèn’ peut être un accusatif adverbial indiquant la durée. Il n'est pas sans évoquer le « Au Principe » de Gn 1,1 et de Jn 1,1.

Dès lors, la réponse du Christ à la question: « Qui es-tu? » peut se traduire: « Depuis le commencement, ce que je ne fais que vous dire. Depuis l'origine du monde, je ne cesse de vous dire, à vous les hommes et spécialement à vous les juifs, ce que Je suis... Je suis ce que précisément je vous dis depuis le commencement des Écritures ». Ou plus carrément: « Depuis le commencement, c'est Moi qui vous parle » — ce qui enchaîne mieux avec le v. 26.

Mais on peut aussi comprendre cet accusatif comme la réponse directe brève, péremptoire et mot pour mot, à la question des juifs, elle-même brève et péremptoire: « Toi, qui es-tu? — (Moi), tèv arkhèn (eivai) legô » (d'après la grammaire de Burnouf, p. 263, dans une ‘apostrophe véhémente', l'accusatif peut-être lancé, seul, sans ‘legô'). C'est-à-dire: Le commencement, c'est moi. Avec bien entendu référence à l" Arkhè', au ‘Commencement ou Principe' de Gn 1,1 et Jn 1,1. Jésus y ajoute l'article défini : « C'est moi le Principe (ou le Commencement). Et pour que cette déclaration soit plus complète en se référant aussi aux commencements relatifs d'Abraham ou de l'Exode ( = du buisson ardent), cette controverse se terminera par: « En vérité, en vérité je vous le dis : avant qu'Abraham advienne, je suis » (Jn 8,58).

Ex 3,7-10J'ai vu... Je descendrai: L'Exode est bien du fait de Dieu. Moïse n'est appelé à s'en faire l'instrument qu'ensuite, et à la disposition de Dieu (v. 10).

/ Ac 7,35Comme Chef et comme Rédempteur: Titre à retenir, et qui révèle en Moïse une figure du Rédempteur à venir. La présentation du Christ comme Nouveau Moïse semble d'ailleurs chère à saint Luc (Lc 24,19 // à Dt 34,10-12). Sur ce rôle rédempteur de Moïse, cf. Ex 32,7-14 * (barsotti).

Ex 3,11-12Qui suis-je? — Je serai avec toi: Dieu ne se révèle pas uniquement (ni même d'abord) à l'intelligence de l'homme. La révélation de Dieu est aussi une initiation de l'homme à la vie divine... Le chemin que doit faire l'homme n'est pas tant un chemin à travers le désert, la terre de Canaan, qu'un chemin tout intérieur. L'homme pas à pas avance vers Dieu, apprend à le connaître, se fond en Lui, pénètre dans son intimité, devient son ami. La révélation de Dieu signifie précisément l’approfondissement d'un rapport initialement établi par le libre choix de celui qui appelle: « Moïse, Moïse! » (3,4). Et l'homme répond et en répondant il approche de Celui qui l'a appelé (barsotti: Op. cit. p. 63).

Il faut donc prendre au sens fort la promesse du « avec toi » (Gn 26,3-5 * ), que l'on retrouve dans la vocation parallèle de Jr 1,4-8 / // Cette assurance reste le fondement de l'espérance et le signe de ralliement des chrétiens: Dominus vobiscum. Comme toujours en effet, la vocation (d'Abraham, de Moïse ou de nous-même) est une Alliance, donc mutuelle. Dieu ne demanderait pas à l'homme de s'engager si lui-même ne s'engageait avec nous: « La Révélation de Dieu veut dire plus encore que l'entrée de l'homme dans l'intimité de Dieu: elle signifie la venue de Dieu parmi les hommes » (barsotti, p. 64). Cf. v. 8 : Je descendrai délivrer Israël... Par-delà l'Exode, se profile déjà l'Incarnation.

Mais le signe que Dieu en donne à Moïse est une simple promesse, vérifiable seulement après coup: Quand tu auras fait sortir le peuple hors d'Egypte... : pour que la foi et l'espérance ne se fondent pas sur le miracle mais sur la seule Parole de Dieu (au sens ou un homme déjà s'engage sur sa parole), sur la confiance qu'il est assez fidèle et puissant pour tenir sa Promesse, exactement comme l'avait fait Abraham (Gn 12,2*). Ce n'est pas le miracle qui est à l'origine de la foi, c'est la foi qui fait les miracles, à en transporter les montagnes (Mt 17,20).

Vous adorerez Dieu: cf. 4,22*.

Ex 3,13Le Dieu de vos pères m'envoie vers vous: L'Envoyé, c'est le titre même que se donne le Christ. De Moïse aux Apôtres et à leurs successeurs, cet envoi est si bien ce qui les habilite qu'on appelle « mission » leur ministère: « Comme le Père m'a envoyé, je vous envoie dans le monde... Allez... Je suis avec vous... (Jn 17,18 Mt 28,19-20).

Quel est son Nom : Dans la Bible — et en réalité, les poètes le savent bien ! — nommer un être, c'est pour Adam, pour l'Homme, une façon d'en prendre possession (Gn 2,19-20*). Dieu se donnera-t-il à ce point à l'Homme — Oui, mais en son Verbe incarné seulement (He 1,1-3). Et s'il nous révèle son nom de Yahvé, ce Nom nous échappe. Il ne peut être véritablement communiqué que dans la mesure où nous entrons dans l'Amour trinitaire qui est l'être et la vie même de Dieu (/ Jn 17,26).

Ex 3,14 — yahvé, Je suis celui qui suis: Ce Nom peut s'interpréter en 3 « sens » (3 directions infinies), complémentaires :

 — 1) Je suis celui qui est, l'Être même au sens le plus « existentiel ». C'est l'interprétation des Septante, et de la théologie chrétienne.

 — 2) Je suis celui que je suis (ou : Je suis qui je suis), ce qui pourrait être fin de non-recevoir, ou plutôt aveu de ce qu'il y a d'unique et d'ineffable en Dieu. Il est si transcendant que tous nos efforts pour en concevoir la nature, nos concepts comme nos images, sont radicalement insuffisants. C'est l'interprétation qui ouvre la voie à la mystique « apophatique », ou à la « via negationis »: Dieu n'est ni ceci, ni cela, il est l'Unique, l'Incomparable, le Tout-Autre.

 — 3) Je suis celui qui suis, au sens d'être agissant, de faire être, donc plus encore que le Dieu créateur ou providence, le Dieu de l'Alliance qui tient ses promesses et les accomplit. À cette troisième interprétation se rattacherait : Je suis ce que je serai, Je suis ce que vous découvrirez de par mon intervention en votre faveur (et au contraire, à vos dépens, si vous n'êtes fidèle à mon Alliance). Ou bien encore, en liaison avec Jn 8,23-29 et Is 52,6: « Mon peuple connaîtra mon Nom... que c'est Moi qui dis: « Me voici ».

Tout cela est vrai. Et quoi d'étonnant si le Nom de Dieu reste Mystère, de par sa plénitude même (Gn 32,30 Jg 13,18). Mais le contexte immédiat favorise plutôt le sens positif, impératif même: « Je suis m'a envoyé vers vous... » Le JE lui-même ne doit pas être oublié: « Dieu est quelqu'un... Il s'affirme en tant que personne » (barsotti, p. 67-71). « Autrement dit, désormais, pour Israël, le Dieu qui lui parle et qui se fait son Dieu ne sera plus un inconnu. On ne le désignera plus par un pluriel générique, Élohim, correspondant pour nos langues à un terme abstrait appliqué à un individu dont l'identité vous échappe. Ce sera le Dieu connu personnellement, sous son nom propre de Yahvé (l. bouyer: La Bible et l'Évangile,/?. 29).

Ex 3,15 — Rupert de Deutz: Op cit. (pg 167,581): Moïse posait une seule question: «S'ils me demandent ‘Quel est son nom?', que répondrai-je? » Dieu répond en donnant deux noms: « je suis » m'a envoyé vers vous »; et « Yahvé, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob, m'a envoyé vers vous. C'est mon nom pour toujours, de génération en génération ».

Le premier : « Je suis Celui qui suis » est son nom de nature; et le second: «Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob » est son nom de grâce. La parole divine veut honorer la foi et l'obéissance de ces patriarches qui se sont reconnus «pèlerins et hôtes sur la terre », parce qu'ils espéraient une patrie meilleure, celle du ciel (He 11). C'est pourquoi, dit l'Apôtre, Dieu n'a pas honte de s'appeler leur Dieu.

C'est ainsi qu'on m'invoquera: Il faut prendre cette invocation au sens fort d'un « Mémorial » qui non seulement rappelle, mais rend présent celui qui est ainsi invoqué — évoqué. Ce Mémorial effectif prendra la forme de la célébration pascale et, plus effectivement encore mais dans la même ligne, la forme de l'eucharistie chrétienne, Mémorial qui nous rend présent le mystère pascal de Jésus-Christ, Verbe de Dieu, Nom de Dieu incarné.

// Ex 6,2-3El Shaddaï: le Tout-Puissant, cf. Gn Gn 17,1 *.

Ex 3,16-20 // Ex 6,4-8 — Annonce prophétique des événements à venir. Comme pour Abraham en Gn 15,13-16. «Je suis Yahvé qui proclame la justice, qui annonce les choses vraies... Qui avait proclamé cela dans le passé, n'est-ce pas moi, Yahvé? Il n'y a pas d'autre Dieu que Moi » (Is 45,19-25). Même solennité du Dieu assuré de l'avenir lorsque le Christ prédit les persécutions futures: « Je vous ai dit cela pour que, leur heure venue, vous vous rappeliez que je vous l'ai dit... et qu'en Moi vous possédiez la paix » (Jn 16,4 Jn 16,33). Je les ai visités: au sens favorable, que l'Incarnation accomplira. Cf. Gn 18,21*.

Ma main je l'étendrai (Ex 3,20) ... Je vous introduirai dans la terre que j'ai juré en étendant les bras de donner... (Ex 6,8): L'expression « à main forte et à bras étendu », qui reviendra souvent (et en Ex 3,19, déjà), signifie donc immédiatement la Toute Puissance de Dieu, et ses miracles durant l'Exode. Mais en filigrane, ces miracles transparaissent comme la fidélité de Dieu à son serment d'Alliance.

Ex 3,21-22 — Ces deux versets (supprimés) annoncent le dépouillement des Égyptiens, dont la réalisation et la signification seront données en Ex 11,1-3.

Ex 4,1-18 — Autant le ch. 3 était grandiose, comme une révélation de Dieu, autant les échappatoires de Moïse pour éviter une mission qu'il devine surhumaine pourraient de prime abord sembler tragi-comiques. N'en rions pas cependant. Jérémie ou le prophète Jonas ne seront pas plus braves (// Sr 1,4-8; cf. Jon 1,1-3). Même le Christ ne convaincra pas ses compatriotes (// Mt 13,54-58) : ce chapitre 4, c'est le drame de tout homme en proie à Dieu : « Peur de cet enchaînement terrible d'exigences où l'on tombe dès que l'on consent à Dieu... Je ne suis pas fait pour ça ; je suis trop au pas avec la vie. Mon Dieu éloignez de moi la tentation de la sainteté... » (j. rivière : A la trace de Dieu, Ed. Gallimard 1925, p. 279 — Qu'on se rappelle aussi, dans L'annonce faite à Marie, de Claudel, les résistances de Violaine à l'appel qui lui est lancé par Pierre de Craon).

Mais plus positivement, la réaction de Moïse est la seule qui convienne à tout Homme en présence devant Dieu: Qui suis-jel (3,11) devant Je suis (3,14)? Comment bien user de la parole humaine, quand elle doit exprimer quelque chose du Verbe de Dieu? La verge miracle (4,1-4), l'aide même d'Aaron n'y suffisent pas: il y faut l'inspiration de l'Esprit Saint (// Lc 12,11-12).

Origène: Hom. 3 sur l'Exode (SC 16,103-105):... Moïse dit qu'il ne sait pas parler quand il commence à connaître cette « Parole » véritable, « qui était au commencement en Dieu »... . Si quelqu'un contemple le Verbe divin, fixe le regard sur la divine Sagesse, il se reconnaît un animal muet devant Dieu — quelles que soient son érudition et sa science. C'est ce qui arrive à Moïse. Avec la même conviction, le bienheureux David s'exclamait: «Je suis devant toi comme une bête de somme! (Ps 73,22).

... Parce que Moïse a fait ce progrès, de se connaître lui-même, Dieu daigne le récompenser: « J'ouvrirai ta bouche, et je t'instruirai de ce qu'il faut dire ». Bienheureux ceux dont le Seigneur ouvre la bouche! Il ouvre la bouche des prophètes et la remplit de sa parole. Il dit aussi, par David: « Ouvre ta bouche, et je la remplirai » (Ps 81,11). Dieu ouvre donc la bouche de ceux qui annoncent sa parole; par contre, je crains que le diable n'ouvre certaines bouches...

De même que Dieu ouvre la bouche des saints, il leur ouvre l'oreille pour entendre les paroles divines, comme l'écrit le prophète Isaïe: «Le Seigneur m'a ouvert l'oreille pour que je sache quand il faut annoncer la parole » (Is 50,5). Il ouvre aussi les yeux: il ouvrit ceux d'Agar, et elle vit le puits d'eaux vives (Gn 21,19). Le prophète Elisée fait cette prière: «Seigneur, ouvre les yeux du serviteur afin qu'il voie qu'il y en a plus avec nous qu'avec les ennemis. Et le Seigneur ouvrit les yeux du serviteur, et voici que toute la montagne était pleine de cavaliers, de chars, d'auxiliaires célestes » (2R 6,17). Car « l'ange du Seigneur campe autour de ceux qui le craignent, et il les sauve » (Ps 34,8). Dieu ouvre donc la bouche, les oreilles et les yeux, pour que nous puissions dire, voir et entendre ce qui est de Dieu. Et je crois que ceci nous concerne nous tous, toute l'Église de Dieu.


Bible chrétienne Pentat. 2100