Bible chrétienne Pentat. 2122

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Le retour de moïse

Ex 4,19-31)


 — Ex 4,19-20 // Mt 2,20-21 — L'Egypte est point de départ de l'Exode, mais Moïse doit d'abord y retourner pour être à pied d'oeuvre et commencer sa mission. Ce n'est donc pas tant le sens du trajet qui compte, et l'inversion, de Moïse à Jésus, n'empêche pas le parallélisme des situations et de leur formulation.

Ex 4,21-23 — Encore l'annonce des événements à venir, dont Yahvé s'avère parfaitement maître. C'est ce que signifiera notamment l'endurcissement de Pharaon: cf. Ex 5,2*.

Ex 4,22Israël est mon fils premier-né: Déclaration officielle d'adoption, non plus seulement d'Abraham, Isaac et Jacob, mais de tout le peuple qui en descend. Elle s'ouvre même implicitement à tous les fils à venir des Nations; mais Israël n'en gardera pas moins le titre de « premier-né » (// Si 36,11), à qui appartiennent par droit d'aînesse « l'adoption, les alliances, le culte et les promesses » (Rm 9,4-5), même dans la Nouvelle Alliance (Rm 11). Laisse aller mon fils pour qu'il célèbre mon culte : La racine Avad donne lieu à tout un éventail de significations: travail, volontaire ou forcé, donc aussi servitude; mais, vis-à-vis de Dieu: adorer, célébrer son culte, et plus généralement craindre, aimer Dieu, lui obéir, le suivre, s'attacher à lui, le servir. Ce qui est désigné en ce cas, c'est donc l'attitude religieuse fondamentale, et le titre de Serviteur (de Yahvé) sera décerné aux patriarches, à Moïse, aux prophètes, et au Messie, Serviteur de Yahvé par excellence (Is 42,49,50,52-53). Ce mot est en particulier la clef de l'Exode qui, comme l'a bien dit G. auzou, est l'histoire du passage de la servitude au service (Ed. de l'Orante 1961 — Donne les références aux différents emplois de ‘Servir’ dans la Bible, aux pages 79-82).

Présenter l'Exode comme un modèle de ’libération' au sens social de ce mot, c'est donc trahir la Bible. Il est vrai que le service de Dieu doit amener aussi entre les hommes des rapports plus fraternels, et la Loi du Sinaï prendra la défense du pauvre et de l'étranger. A fortiori pour des chrétiens, l'amour de Dieu devrait aussi porter des fruits sociaux. Mais de toute évidence, il n'en reste pas moins que ni l'Exode ni l'Évangile ne visent directement la promotion sociale : « Cherchez d'abord le Royaume des cieux, et tout le reste... » Le but du « Laisse aller mon peuple... » c'est : pour qu'il me serve. Et comme le dira l'Épître aux Romains, il n'y a pas de possibilité, de terrain neutre où l'homme pourrait être parfaitement autonome, libéré de tout service. On ne peut sortir de l'esclavage du péché qu'en devenant « esclaves de Dieu, donc de la justice ». Pour que nul n'en ignore, saint Paul le répète même par trois fois (Rm 6,16-23). Déjà c'était la Bonne Nouvelle annoncée par Zacharie dans son cantique: « Le Dieu d'Israël a visité (comme en Ex 3,16) et délivré son peuple... afin que, sans crainte, délivrés de la main de nos ennemis, nous le servions dans la justice et la sainteté... » (Lc 1,68-76).

Contrairement à ce qu'en ont conclu certains exégètes, en cela mal inspirés, ce n'est donc pas un piège, conduisant le peuple asservi à une servitude plus astreignante encore (celle de la Loi). Car s'il est vrai que le véritable esclavage est celui du péché, ainsi que du mensonge qui lui est inhérent, la véritable libération est de laisser la Vérité révélée — Loi mosaïque et Loi du Christ — transformer nos existences : « La Vérité vous libérera » (Jn 8,31-36).

Laisse aller mon fils premier-né (sinon) Moi, je tuerai ton premier-né: Voilà annoncé le sens des dix plaies d'Egypte: les neuf premières ne sont qu'avertissement d'un drame qui, par l'endurcissement de Pharaon, s'exaspérera jusqu'au dénouement tragique: la mort des premiers-nés de l'Egypte pour le départ des fils d'Israël vers le Sinaï (cf. 5,1-2*).

Ex 4,24-26 — La brutalité de l'attaque surprend, et son anthropomorphisme est évident. Mais le campement de nuit rappelle le combat de Jacob avec l'Ange de Yahvé, en des circonstances parallèles puisqu'il y a aussi un camp, la nuit, et que Jacob est comme Moïse au moment de rentrer dans son pays d'origine. Si dans cet affrontement avec le Redoutable, Moïse est en danger de mort, c'est qu'il lui manque le signe de l'Alliance, prescrit à Abraham et ses descendants: il avait même été précisé que, celui qui n'en est pas muni, sera passible de mort, comme ayant violé cette Alliance (Gn 17,11-14).

On dira: mais Moïse n'en était pas responsable, puisqu'il avait été élevé à l'égyptienne! — Ce n'est pas une question morale, mais proprement ontologique : rencontrer Dieu est mortel si l'on n'a la robe nuptiale — que ce soit le sang de la circoncision ou le vêtement blanc du baptême. Balaam aussi frôlera la mort, bien qu'il soit parti comme Moïse, comme Jacob, sur l'ordre de Dieu (Nb 22,20 ss). Si la peine paraît excessive, l'Évangile aussi, qui rejette l'invité au festin mais sans habit de noces « dans les ténèbres du dehors », en deçà du Royaume où Jacob et Moïse, eux, vont pénétrer.

Ex 4,27-31 — Premier stade, encore spontané, non éprouvé de la foi-espérance. Les signes miraculeux ont pour but de rendre crédible l'Envoyé de Dieu, Moïse ou Jésus (// Jn 2,11). C'est le tremplin nécessaire pour que l'acte de foi soit « raisonnable » et donc requis de l'homme. Reste à cet acte de foi à se mettre sur orbite, où il ne sera plus appuyé, polarisé que sur la Parole de Dieu, même si les signes cessaient ou semblaient devenir contraires, comme on va le voir au chapitre suivant.

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Le redoublement de la misère

Ex 5)


Ex 5,1-3 — Dès la première entrevue, l'enjeu est bien précisé. D'un côté Moïse, l'Alliance, donc la vie à Dieu et à son service, donc le désert. À l'encontre Pharaon, niant Dieu et ses droits, pour réduire les hommes en servitude, à son profit. Mais si Moïse n'est que le porte-parole de Yahvé, intervenant pour Israël, on n'a pas de peine à deviner derrière l'orgueil intraitable de Pharaon, le Non serviam du Prince de ce monde. En deux paragraphes, Origène campe admirablement cet enjeu du drame, ses véritables acteurs et sa permanente actualité:

Origène: Hom 3 sur l'Exode (SC 16,110-111):... Moïse ne veut pas que le peuple offre un sacrifice au Seigneur en Egypte, mais plutôt qu'il aille au désert, et là, offre un sacrifice au Seigneur... Ne croyez pas qu'en ce temps-là seulement Moïse conduise le peuple hors de l'Egypte. Maintenant encore Moïse, que nous avons avec nous — car « nous avons Moïse et les prophètes », c'est-à-dire la Loi de Dieu — veut nous faire sortir d'Egypte, car les paroles de Sagesse s'apprennent dans le silence et le repos.

... Que répond le prince de ce monde? — «Je ne connais pas Dieu ». Voilà l'orgueil à l'état brut! Il ne partage pas les souffrances des hommes et n'est pas flagellé avec eux; c'est pourquoi l'orgueil le tient (Ps 73,5). Mais bientôt les catastrophes vont l'améliorer. Le même homme qui dit à présent: «Je ne connais pas le Seigneur », dira, quand il aura senti les coups: « Priez pour moi le Seigneur » (Ex 9,27-28).

Ex 5,2 — C'est dès la première entrevue que Pharaon montre la dureté de son coeur. Quand Dieu a déclaré qu'il allait « endurcir le coeur de Pharaon », ce n'est donc pas au sens qu'il aurait à créer ou déterminer cette mauvaise volonté: elle est déjà là. Bien plus, c'est Pharaon qui, dès ce premier affrontement, provoque Dieu: « Qui est Yahvé... Je ne connais pas Yahvé ». Et il montre immédiatement cette méchanceté en profitant de l'incident pour pressurer encore davantage le peuple esclave. L'endurcissement sera seulement le résultat de son entêtement à maintenir ce premier refus.

C'est bien en ce sens que les Pères expliquent comment « le Seigneur endurcit le coeur du Pharaon »: Il a employé les événements extérieurs (les plaies d'Egypte) comme révélateur de l'orgueil inflexible qui était au coeur de Pharaon, dans un dernier essai pour l'en sauver:

Augustin: Sur L'Heptateuque, il, 18 (PL 34,601): À plusieurs reprises Dieu dit: «J'endurcirai le coeur du Pharaon », et il ajoute, comme une motivation « et j'accomplirai en Egypte mes signes et mes prodiges », comme si l'endurcissement du Pharaon était nécessaire pour que les miracles de Dieu s'accomplissent ou se multiplient en Egypte. C'est que Dieu se sert des coeurs mauvais pour ce qu'il veut démontrer aux bons ou réaliser en leur faveur. La malice qui est dans un coeur — son inclination au mal — vient de son propre vice, qui grandit suivant les choix de sa volonté; mais cette même malice se porte ici ou là d'après les causes extérieures qui émeuvent l'esprit: et ces causes extérieures ne dépendent pas de la volonté de l'homme, mais elles se produisent en dépendance d'une providence cachée, infiniment juste et sage, celle de Dieu même disposant et gouvernant tout ce qu'il a créé. Que Pharaon eût un coeur mal disposé, au point que la patience de Dieu, loin de le pousser à la crainte filiale le pousserait à l'impiété, ce fut le résultat de son vice à lui. Mais les événements sous la pression desquels son coeur mauvais résista aux ordres de Dieu (c'est là le sens du « coeur endurci » : au lieu de fléchir avec souplesse, il résistait, inflexible), ces événements, dis-je, venaient de la dispensation divine. Le gouvernement divin préparait, pour un si mauvais coeur, des châtiments qui seraient non seulement justes en soi, mais justes avec évidence, afin d'instruire les coeurs craignant Dieu.

Prenons un exemple: l'appât du gain, qui peut conduire au meurtre, ne produit pas le même effet sur un avare ou sur un homme qui méprise l'argent: il incline l'un vers l’assassinat, l'autre vers la crainte de Dieu: mais l'occasion qui se présente n'est pas venue de la volonté, ni de l'un ni de l'autre. Ainsi les méchants rencontrent des causes extérieures qui ne viennent pas de leur volonté, mais ces causes font d'eux, si j'ose dire, ce qu'ils étaient déjà, installés dans leurs vices par des choix antérieurs. On pourrait donc traduire «J'endurcirai » par « Je démontrerai combien il est dur ».

Origène: Philocalie 27 (SC 226, p. 279 ss): Dieu, qui est le Créateur, connaît la maladie de chacun et peut seul appliquer savamment et efficacement le remède qui convient. Quand le mal est très profond, le médecin l'attire à la surface, infligeant au malade, plus d'inflammations, de douleurs et de tumeurs qu'il n'en supportait avant d'être soigné ... C'est ainsi que Dieu traite la malice cachée qui a pénétré dans l'intime de l'âme, et c'est ainsi qu'il déclare dans l'Ecriture : « J'endurcirai le coeur du Pharaon ».

... En réfléchissant, on comprend que jusque dans cette parole la bonté de Dieu se manifeste, car les miracles amènent à la foi le peuple hébreu d'abord, puis un grand nombre d'Égyptiens qui suivirent les Hébreux, car « une grande foule d'Egyptiens voisins sortirent avec eux » (Ex 12,38). Enfin, plus mystérieusement, le Pharaon lui-même aurait pu — le venin étant désormais à découvert — rejeter ses péchés et descendre en paix dans le monde souterrain. « Il faut bien des coups pour dompter l'impie », dit le psalmiste (Ps 32,10), et Dieu corrige le fils qu'il adopte. David prophétise encore: « Si ses fils abandonnent ma Loi, je visiterai, verge à la main, leur faute (Ps 89,31 ss), mais je n'éloignerai pas d'eux ma miséricorde ».

Si l'endurcissement de Pharaon revient comme un refrain au cours de ces chapitres, tantôt c'est « Yahvé qui endurcit le coeur de Pharaon » (7,3; 9,12; 10,20; 10,27; 11,10), tantôt Pharaon lui-même endurcit son coeur (7,13; 8,11 ; 8,15; 8,28; 9,7; 9,35). L'un ou l'autre comme indifféremment. La première conclusion de ce simple relevé des textes est que l'insistance porte donc sur le fait redoutable de l'endurcissement du coeur, qui nous guette tous, plutôt qu'elle ne cherche à désigner précisément le responsable de ce fait.

Pourtant, reste que d'après le texte inspiré, Dieu a prédit tout cela: « J'endurcirai son coeur » (4,21). Et saint Paul renchérit: « Dieu a pitié de qui il veut, et II endurcit qui il veut » (Rm 9,14-24 / lu). C'est le mystère même, si mal nommé, de la « prédestination », non moins inéluctable qu'humainement insoluble parce qu'il est du ressort même de Dieu, donc appartient au mystère de son éternelle et toute puissante bonté. Rappelons seulement ce qui est sûr :

1) Dieu veut le salut de tous les hommes, y compris des pires pécheurs, et il patiente pour leur donner le temps de se repentir, en multipliant les occasions (1Tm 1,15). Il en a donné un exemple dans le délai de 400 ans laissé aux Cananéens avant qu'ils ne soient voués à la disparition (Gn 15,16).

2) L'homme est libre de choisir pour ou contre Dieu, c'est-à-dire le ciel ou l'enfer. C'est un autre point capital et intangible de la foi chrétienne.

3) C'est Dieu lui-même qui a créé l'homme libre, et lui donne intérieurement la force de l'être, pour le meilleur ou pour le pire.

4) Dans la perspective temporelle (successive) qui est la nôtre, l'acte libre est imprévisible. Mais dire que Dieu est éternel, c'est dire qu'il embrasse toute la succession des temps à la fois (« tota simul »). Ce qui est encore à venir librement, donc indéterminé, est présent en Dieu dans une vue éternelle qui embrasse aussi sa détermination (future pour nous, non pour Dieu).

Ainsi, est-ce bien Pharaon qui s'endurcit lui-même, bien que Dieu, qui le sait, lui offre désespérément neuf occasions successives de se convertir.

Ex 5,6-21 — La suite du chapitre nous met en présence d'un autre mystère, non moins exemplaire: l'épreuve imposée à la foi naissante d'Israël. Pourquoi toute cette souffrance redoublée à ceux qui avaient cru, et adoré Dieu qui leur envoyait Moïse (4,31)?

Nous en avons eu déjà l'explication à propos d'Abraham. Sa foi, réconfortée par la naissance d'Isaac en des conditions miraculeuses, avait dû être bientôt mise à l'épreuve par Dieu, lui demandant le sacrifice du seul gage de réalisation de la Promesse qu'il en avait reçu: ainsi Abraham se dépassa-t-il lui-même en « espérant contre toute espérance » (Gn 22*. Cf. Rm 4,18-24 / Bx). De même, quand Dieu vient au secours de son peuple (Ex 4,30-31), le premier effet de cette intervention est un alourdissement de la tâche quotidienne, déjà écrasante. L'apparence contredit maintenant la foi... Alors, de deux choses l'une: ou bien l'on en reste aux apparences (pour ou contre), et l'on pourra en discuter indéfiniment, comme de tout savoir ou opinion de l'Homme — et l'on est retombé hors de la foi; ou bien l'on ancrera sa foi en la Promesse divine, même si, momentanément les apparences la contredisent. Et c'est en cela que consiste la foi.

La foi fait crédit (crédit vient de croire) ; elle est espérance : « Je sais à qui j'ai fait crédit (credidi, en qui j'ai mis ma confiance), et je suis assuré que Dieu est assez puissant pour garder ce que j'ai placé en Lui, jusqu'au Jour (éternel) » (2Tm 1,12). C'est en cela que la foi fait à Dieu l'honneur de le croire « sur Parole ».

// 1Tm 1,15-17 — Donné ici en rappel de la première des certitudes inventoriées plus haut. Au Dieu unique, plutôt qu'« à Dieu seul », car ’monos' indique la nature de Dieu, comme les épithètes précédentes.

Ex 5,22-23 — Première des remontrances de Moïse à Dieu. Souffrance du Serviteur qu'au lieu de soulager et pacifier, il mette en action le glaive de la Parole de Dieu, « révélant les pensées intimes d'un grand nombre », tant des juifs que des égyptiens ou des chrétiens, tranchant entre ceux qui croient vraiment et tous les autres (He 4,12 Lc 2,35). En cela encore, Moïse préfigure le Christ, qui apporte ce même glaive qui sépare croyants et incroyants, fussent-ils de la même famille (Mt 10,34-39).

Ex 6,1 — Yahvé réitère sa Promesse de 4,21 -23 : Dieu ne change pas. Le reste du chapitre est un autre récit de la vocation de Moïse; il a donc été donné en // à Ex 3 / Ic-Id. Puis vient la généalogie de Moïse, Aaron et des lévites (Ex 6,14-27). Ici comme en Gn, ne pas donner la liste des noms, assez aride, ne signifie pas que le souci biblique de rappeler la généalogie soit sans importance. Nous y reviendrons surtout en Introduction aux Nombres.



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3. Les plaies d'égypte

Ex 7-10)


Ex 7,8-10 — Un coup pour rien: en guise d'avertissement, Moïse montre seulement ce dont il est capable, de par Dieu. Ensuite seulement commencera la série des neuf plaies d'Egypte.

Ex 7,14 à 10,29 — De l'une à l'autre des neuf plaies, le scénario se répète, signe de la longanimité de Dieu qui multiplie les occasions d'un repentir de Pharaon, plus que relation détaillée d'une histoire sans doute moins linéaire: Moïse demande à Pharaon: « Laisse aller mon peuple afin qu'il adore dans le désert, sinon... » ; Pharaon refuse ou du moins essaie de retenir des gages qui obligeraient ses esclaves à lui revenir. Alors Moïse déclanche la plaie puis, sur la demande de Pharaon, la fait disparaître. Mais Pharaon s'endurcit dans son refus, et il faut recommencer.

La nature des plaies ne varie guère: invasions (grenouilles, moustiques, taons, sauterelles), épidémies (peste, ulcères), calamités (eau infectée, grêle, ténèbres); il s'agit en somme de catastrophes naturelles, dont certaines pourraient même être provoquées par les « magiciens » de l'Egypte et les « apprentis-sorciers » des derniers jours annoncés par saint Paul — qui nous apprend même le nom des magiciens d'Egypte (Ex 7,22 Ex 8,3 // 2Tm 3,1-9 / Ip). Ces fléaux n'en dépassent pourtant pas moins le pouvoir des hommes, par leur ampleur et leur à-propos, venant et surtout repartant au commandement de Moïse. Les magiciens eux-mêmes ne s'y trompent pas: « C'est le doigt de Dieu » (8,14-15), comme le Christ s'en réclamera lui-même auprès de ses contradicteurs (// Lc 11,20 / Iq). Il n'est d'ailleurs pas exclu que l'expression soit volontairement reprise de l'Exode, nouveau signe que le Christ est bien le Nouveau Prophète annoncé au Deutéronome (Dt 18,15-18 Dt 34,10-12, à comparer avec Lc 24,19 et Ac 7,22).

Augustin : Sur l'Heptateuque n, 25 (PL 34,604) : Les mages dirent au Pharaon: « C'est le doigt de Dieu! » (Ex 8,15) parce qu'ils ne purent faire sortir des moustiques. Connaissant la puissance de leur art, ils comprirent tout de suite que leurs efforts étaient rendus vains par un tout autre pouvoir — et que Moïse n'était pas simplement un mage plus savant qu'eux: le doigt de Dieu était là, qui opérait par l'intermédiaire de Moïse. L'Évangile dit ouvertement que le doigt de Dieu, c'est l'Esprit Saint; car, en racontant un même épisode, saint Luc écrit: « Si c'est par le doigt de Dieu que je chasse les démons ... » (Lc 11,20), et saint Matthieu: « Si c'est par l'Esprit de Dieu que je chasse les démons ... » (Mt 12,28). Voilà donc que les mages, en qui Pharaon avait confiance, avouaient: « C'est le doigt de Dieu » — et cependant le coeur du Pharaon se durcit ! Fallait-il qu'il soit dur !

Augustin: Ibidem, 9,24 (PL 34,603): «Pharaon vit qu'il y avait un répit, et son coeur s'endurcit ». La patience même de Dieu — qui épargnait — fut cause de l'endurcissement du Pharaon; car suivant les dispositions du coeur, la patience de Dieu est utile aux uns pour les amener à pénitence, et nuisible aux autres qu'elle provoque à persévérer dans le mal: ce n'est pas en soi, qu'elle est nuisible, certes, mais dans sa rencontre avec le coeur mauvais. Et l'Apôtre écrit: « Ignores-tu que la patience de Dieu t'amène à pénitence? Or, suivant la dureté de ton coeur, suivant ton coeur impénitent, tu thésaurises pour toi la colère au jour de la colère, au jour où se révélera le juste jugement de Dieu qui rendra à chacun selon ses oeuvres » (Rm 2,4-6). Et ailleurs, après avoir dit: « Nous sommes en tout lieu le bon parfum du Christ », il ajoute ceci: « aussi bien en ceux qui sont sauvés qu'en ceux qui périssent » (2Co 2,15). Il ne dit pas: « bon pour les sauvés, et mauvais pour les perdus » — il dit seulement « le bon parfum »; car les méchants sont tels que même le bon parfum les fait périr, à cause de l'état de leur coeur.

Mais toutes ces plaies ne viennent pas au hasard: elles font symbole. Et leur signification nous est révélée tant par le Livre de la Sagesse, qui y consacre les ch. 11-12 et 16 à 19, que par l'Apocalypse, puisant au même répertoire d'images et de « plaies ».

La Sagesse souligne d'abord l'à-propos de ces châtiments: le fleuve roule un sang vengeur de celui des enfants israëlites massacrés sur ordre de Pharaon (/ Sg 11,5-7 / /o); les adorateurs de dieux à forme animale sont « punis par où ils ont péché » (Sg 11,16 / /o); châtiment d'autant plus humiliant qu'il s'agit de bêtes minuscules mais innombrables (Sg 11,17-20 et 16,1 / Ir, qui en est la suite directe, le long passage de 11,21 à 15,19 étant un double excursus exaltant la miséricorde divine manifestée jusque dans ces châtiments, puis condamnant l’idolâtrie).

Mais surtout, le Livre de la Sagesse insiste sur une série d'antithèses, déjà marquées dans l'Exode, au moins à partir des taons (8,18-19), pour la peste du bétail (9,4-7), la grêle (9,26) et les ténèbres (10,23).

Augustin: Sur l'Heptateuque, q. 26,30 (PL 34,604-605): « Les maisons des Egyptiens seront pleines de taons ... mais je discernerai mon peuple de ton peuple ». Comprenons que cette indication de l'Écriture est vraie aussi pour les signes précédents comme pour les suivants: le pays qu'habitait le peuple de Dieu ne fut pas touché par les plaies. C'était bien le lieu de le dire, quand allaient commencer les signes que les mages n'essayeraient même pas d'imiter...

Disparu le taon, l'Écriture dit de Pharaon: « Et cette fois encore le Pharaon endurcit son coeur » — non pas « le coeur du Pharaon s'endurcit », mais « Pharaon endurcit son coeur » ... car les causes extérieures émeuvent les coeurs des hommes, l'un d'une manière, l'autre d'une autre; mais même si les causes sont analogues les résultats peuvent être divers suivant les dispositions qui dépendent de la volonté.

Ce qui, pour les Égyptiens, est un fléau de Dieu, devient pour le peuple élu épreuve bienfaisante (// Sg 11,10-13 / Io): soif devant l'eau infectée, soif d'Israël au désert, abreuvé aux sources vives de Yahvé; grenouilles et cailles du désert; sauterelles ou moustiques et serpent d'airain (cf. Nb Nb 21,6-9); grêle et manne du désert (/ Sg 16,15-16 / /v,et 16,20-29 / Ju)\ ténèbres et colonne de feu (// Sg 17,1-21 Sg 18,1-4 / Iy); et enfin mort des premiers-nés d'Egypte, délivrance d'Israël premier-né de Yahvé (// Sg 18,5-161 Ja. Jh), engloutissement ou passage de la Mer Rouge (// Sg 19 / Jn. Jp).

L'explication de cette diversité des effets de la Providence divine, de soi uniquement bienfaisante, est donnée en Sg 16,24-25 / Ju: La création est au service de qui sert Dieu; mais à qui, dans son orgueil, refuse comme Pharaon d'obéir à Dieu, la création même refuse de le servir, perd son merveilleux équilibre écologique et se corrompt de façon irrémédiable; à moins que le pécheur, vaincu par les effets de ses actes, ne se décide à se retourner vers Dieu, comme Pharaon lui-même s'y résoud un moment (Ex 9,27-28*). Car Dieu reste toujours prêt à pardonner, n'ayant jamais cessé d'aimer tout ce qui n'existe que par suite de cet amour (Sg 11,21-26 Sg 12,15-22 / Kq).

Ainsi le Livre de la Sagesse, commentant l'Exode — c'est-à-dire Dieu nous apprenant à lire à son point de vue les événements — nous révèle dans les Plaies d'Egypte le retour au chaos où mène l'endurcissement du refus de Pharaon contre Dieu, tandis que, pour les ’serviteurs de Dieu', ces mêmes Plaies, puis l'Exode qui s'en suit, vont être une nouvelle Genèse: « Toute la création fut refaçonnée... pour que tes enfants fussent gardés indemnes » (Sg 19,6).

C'est ce retentissement cosmique de la perversion de l'homme ou de sa conversion à Dieu (cf. Rm Rm 8,19-23) qui donne aux Plaies d'Egypte leur valeur apocalyptique, donc toujours actuelle si nous n'y prenons garde, comme nous en avertissent les // de l'Apocalypse : le sang (// Ap 6,4-7 / Io) ; les grenouilles (// Ap 16,13-14 / Ip); la plaie maligne (// Ap 16,1-2 // /); la grêle (// Ap 16,21 et 8,7 / /v); les sauterelles (// Ap 9,2-4 Ap 9,11 Ix). La peste, elle aussi se trouve annoncée, avec la famine et la guerre, surtout par les prophètes (// Jr-Ez), et l'endurcissement du coeur en Ap 16,11 I It. Mais cette fois, les plaies cosmiques laissent transparaître les puissances du Mal (démons, en Ap 16,14 I Ip — au service de « l'ange de l'abîme » en Ap 9,11 / Ix), s'attaquant directement aux hommes et cherchant à rassembler toutes les forces humaines contre Dieu (Ap 16,14 / Ip). Si bien que les Plaies d'Egypte se révèlent l'image du permanent combat entre le Bien et le Mal, Dieu et Satan.

Ex 9,7 — Augustin: Sur l'Heptateuque, q. 30 (PL 34,605): Le Pharaon vit que pas une bête ne mourait dans les troupeaux d'Israël; alors, le coeur de Pharaon se durcit. À présent, la cause est inverse, et l'on se demande pourquoi le coeur de Pharaon s'endurcit: car si les troupeaux des Israélites avaient souffert comme les autres, il aurait eu un motif de mépriser Dieu et d'endurcir son coeur; il aurait pu se dire que les mages d'Egypte avaient eu le pouvoir de tuer le bétail des Israélites. Mais quand il vit au contraire que les troupeaux des Hébreux échappaient au fléau, il aurait dû être enclin à craindre, et à croire. Or, son coeur s'endurcit : le durcissement allait jusque là.

Ex 9,27 — Repentir de Pharaon (comme Ex 10,16 encore), avec confession du péché et demande d'intercession, c'est-à-dire exactement les deux parties du ’Confiteor' ou de ses modèles bibliques, par exemple Dn 3, 24-35, et en particulier le v. 35. Pourquoi cette ’conversion' de Pharaon est-elle (comme les nôtres) si momentanée qu'il ’se reprend' l'instant d'après (Ex 9,34)? — Parce qu'il ne fléchit que sous l'empire d'une crainte matérielle devant les dégâts, plus que d'une véritable crainte de Dieu :

Augustin: Sur l'Heptateuque, q. 35 (PL 34,607): Comme Pharaon, épouvanté par la grêle, demandait à Moïse de prier pour lui, confessant l'iniquité qui était la sienne et celle de son peuple, Moïse lui dit : « Je sais que ni toi, ni tes serviteurs, vous ne craignez encore le Seigneur. » Quelle crainte demandait-il? Il savait que la peur du Pharaon n'était pas encore «la crainte du Seigneur ». Car il est facile de craindre le châtiment; mais ce n'est pas là « craindre Dieu » de cette crainte filiale que Jacob évoque en disant: « Si le Dieu de mon père Abraham, si le Dieu que craignait Isaac, n'était avec moi, tu me renverrais maintenant les mains vides » (Gn 31,42).

Ex 10,1-3 // Dt 6,20-25, C'est le devoir de transmission, de tradition, réitéré à propos de la Pâque (Ex 12,26-27 Ex 13,8 Ex 13,14-15 // Ps 78), de la Pentecôte du Sinaï (Dt 4,9), de l'amour de Yahvé en quoi se fonde toute la Loi (Dt 6,7), et enfin de l'entrée en Terre Promise (Jos 4,6-21). Ainsi, tous les miracles de l'Exode devront rester pour le peuple élu comme les événements fondateurs, comme la référence fondamentale, à partir de quoi il puisse reconnaître « d'où il a été tiré ». « Être juif, c'est transmettre », déclarait Élie Wiesel à la télévision le Vendredi-Saint 1980. De là est née la Bible, cette « Tradition » d'abord orale, puis écrite. Même les chrétiens qui ont à faire leur cette ’tradition' juive de l'Exode, n'ont pas moins à se reconnaître dans cette définition: « Être chrétien, c'est transmettre l'Évangile ». Il n'y a même pas là deux traditions, mais une seule, puisque le Christ lui-même a voulu couler son sacrifice pascal et le don de l'Esprit dans le modèle primordial, à la veille même de son anniversaire, suivant le rite prévu. Seulement, se substituant lui-même, comme Agneau de Dieu, à l'agneau prescrit, il ‘accomplissait’ donc les événements de l'Exode, pourtant réels et historiques, mais qui prenaient désormais valeur de ’figure', ce qui peut signifier ’modèle' mais aussi ’illustration'. L'Exode nous fait voir en images frappantes cela même qui s'accomplit dans nos propres vies, mais sacramentellement, donc en des rites beaucoup plus discrets, signes eux-mêmes d'un ’Exode' spirituel beaucoup trop intérieur pour être aussi visible que celui des Hébreux.

Non ! il n'y a pas deux traditions, puisque transmettre l'Évangile c'est, du même coup, donner à la lecture de tout l'Ancien Testament la lumière qui permet d'en saisir tout le sens, au plus profond du mystère de l'Église. C'est dans la gloire transfigurante qu'au Thabor Jésus s'entretient avec Moïse et Élie de son propre et prochain ‘Exode' (Lc 9,31 / TV?).

Ex 10,19 — Augustin : Sur l'Heptateuque, q. 37 (PL 34,607) : Il ne resta pas une seule sauterelle sur toute la terre d'Egypte: et le Seigneur endurcit le coeur du Pharaon: C'est évidemment un bienfait de Dieu, que mentionne l'Écriture en disant qu'il supprima les sauterelles; et elle ajoute que par ses bienfaits mêmes et sa patience, le Seigneur endurcit le coeur du Pharaon : parce que Dieu l'épargnait, lui s'obstinait. C'est ainsi: les coeurs mauvais s'endurcissent en méprisant la patience de Dieu.

Ex 10,21-27 — Cette neuvième Plaie, dont la Sagesse avait déjà relevé le symbolisme évident (// Sg 18), prend toute sa force à la lumière de l'Évangile, où se révèle cette Lumière véritable en la Personne du Verbe incarné (// in 8,12). Quoi d'étonnant si non seulement Pharaon, mais les Juifs et tous ceux qui rejettent le Christ, sont dans les ténèbres ! Cela en devient même un critère de la valeur et de l'origine même de nos oeuvres et de notre existence (// Jn 3,19-21 — Notre traduction suit la logique du texte, pour rejoindre la pensée de son auteur, même s'il y a ‘estin', et non pas le subjonctif que l'on aurait attendu).

Ex 11,1-3 // Ex 3,21 cf Ex 12,35 et // Sg 10,20 — Ainsi, par trois fois, revient l'ordre d'avoir à emporter les richesses de l'Egypte. On est surpris que la Tradition n'ait pas développé davantage ce thème. Clément d'Alexandrie, Augustin, Théodoret de Cyr, etc... cherchent plutôt à légitimer cet ordre divin en le disculpant d'être une injuste spoliation: « Dieu, conclut par exemple saint Augustin, tenait compte de la longue injustice des Égyptiens, contraignant Israël à des corvées à peine rétribuées, et de l'infirmité des Israélites », encore trop attachés « au salaire bassement temporel, mais salaire juste et dû »(Sur Ps 105,37; pg 37,1400 — Cf. clément d'alexandrie: Stromates I, 23; SC 30,157).

Mais Origène, qui n'avait pas traité cette question dans ses Homélies sur l'Exode, ouvre une perspective plus prometteuse en remarquant, à propos du même Ps 105,37: Dieu fit sortir son peuple avec or et argent: « L'argent et l'or sont les symboles de la Sagesse des Gentils » (dans Pitra, m, 210). C'est important pour compléter He 11,26 / Hx: s'il faut comme Moïse préférer « l'opprobre du Christ aux trésors de l'Egypte », cette préférence ne signifie pas que les richesses d'une civilisation soient mauvaises ou ne valent rien. Elles devront, dans la mesure du possible, être emportées avec nous comme un précieux héritage humain. Tout comme, si l'Évangile prescrit de préférer le Christ à père et mère, fils ou fille, quand il devient inévitable de choisir « l'opprobre ou la croix du Christ » (Mt 10,34-38), ce n'est pas dire que la famille soit une richesse humaine exclue de la vie chrétienne (comme le prétendaient par exemple, les cathares).

(Ex H,4-9 // Sg 18 — Le caractère symbolique de la mort des premiers-nés de l'Egypte, puis de l'armée d'un peuple qui avait voulu faire mourir les enfants mâles du peuple esclave, était annoncé dès Ex 4,22-23 *.

Ex 11,7Yahvé a discerné entre les Egyptiens et Israël: Signe d élection, de consécration et d'adoption, qui jouait déjà au cours des neuf premières plaies (cf. 8,18; 9,26; 10,23; 33,16). Mais cette séparation est aussi le propre de l'oeuvre de création (Gn 1,4*; 12,1 *); et il s'agit bien ici d'une création: celle d'Israël, peuple élu de Dieu.



Bible chrétienne Pentat. 2122