Bible chrétienne Pentat. 2230

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3. L'épreuve du désert

Ex 15,22-17,14)


(Ex 15,22 — C'est Dieu qui fait partir son peuple vers le désert. Littéralement: ’arracher' (les piquets de la tente), tout départ étant un arrachement. De même, c'est l'Esprit qui pousse Jésus au désert (Mt 4,1), pour y être tenté (cf. Ex 17*).

Le désert est une épreuve, dont le sens est révélé en Dt 8-9*. C'est l'épreuve de la foi, exigeant un abandon à Dieu, au jour le jour (Ex 16,19), puisqu'on ne peut y subsister que par Lui. La tentation est alors de perdre confiance, de murmurer ou de regretter la viande et les oignons d'Egypte (Ex 16,3 Nb 11,5). Autres murmures dès Ex 14,11, et ici Ex 15,24; et encore: 17,3. Murmure qui peut tourner en révolte (Nb 14,1-4 Nb 16,3 Nb 16,12-14 Nb 20,2-5). Sur le sens de cette « tentation », cf. Ex 16,4* et Ex 17,7*.

Dieu n'abandonne pas son peuple, mais pour ne pas le priver de cet apprentissage de la foi et de l'humilité (Dt 8), il ne lui donnera que le strict nécessaire à sa subsistance : l'eau (Ex 15,25 et ch. Ex 17) et la manne (Ex 16), ainsi que de l'emporter sur ceux qui tenteront de s'opposer à son passage (Ex 17,8-16). Ainsi, sur ce point, tout est dit en 2 chapitres.

Cette épreuve et cette grâce du désert vaut pour toute vie spirituelle. François de Sales l'a joliment dit à Jeanne de Chantal: «Parmi tant de détours... notre Seigneur nous conduira par les déserts à sa sainte terre de promission, et de temps en temps il nous donnera de quoi priser les déserts plus que les fertiles campagnes dans lesquelles les blés croissent en leurs saisons, mais la manne pourtant n'y tombe pas » (Lettre du 12 août 1613).

Ex 15,25 — Cet assainissement des eaux provient ici d'un bois. Sirach le Sage y verra un encouragement à la médecine naturelle (Si 38,5) ; mais la suite même du passage précise que c'est plutôt pour nous apprendre que c'est Yahvé qui te guérit, à la mesure de notre foi (v. Si 38,14), tout comme Jésus dans l'Évangile. D'autre part, le miracle parallèle d'Elisée (// 2R 2,19-22) se réalise à partir du sel, symbole de la Sagesse. Réunissant tous ces thèmes, la Tradition chrétienne en conclura: ce qui purifie l'amertume de cette vie (cf. Rt 1,20, où Noémi se fait appeler Mara « Car Dieu m'a remplie d'amertume ») ou les préceptes de l'Ancienne Loi, c'est le Bois de la Croix, et plus précisément « La Sagesse — ou le ’Logos' — de la Croix », telle que saint Paul la définit au début de sa 1° Épître aux Corinthiens (// 1Co 1,18). De même, l'abondance des eaux vives annoncées par le Christ (Jn 7,37-39 / Jv) adoucira jusqu'à l'eau de la mer (Ez 47,8 // Ap 22,1-2): « Le bois qui adoucit les eaux de Mara préfigurait la gloire et la grâce du Christ » (AUGUSTIN : Sur l'Heptateuque, q. 57 (PL 34,615).

Ephrem : Hymne sur l'Epiphanie (Lamy i, 8) : Quand le peuple murmurait et s'irritait Moïse rendit douces les eaux amères, figure du baptême où le Maître de la vie rend doux les hommes méchants.

Ex 15,26Si tu écoutes... et fais: déjà l'essentiel de ce qui sera constamment demandé, au Livre du Deutéronome, comme réponse de l'Homme à l'Alliance proposée par Dieu

Ex 16 — C'est le Christ lui-même qui a pris la manne comme exemple de pain véritable, qu'il nous assurerait en se donnant lui-même (// Jn 6). Mais quelle que soit son excellence, la communion eucharistique garde le caractère probatoire de la manne: celle-ci n'assurait la subsistance qu'au jour le jour, afin de donner à chacun l'avantage de faire la preuve de son obéissance et de son abandon à Dieu, en ne gardant aucune réserve (v. Ex 16,4) :

Augustin: Sur l'Heptateuque, q. 58 (PL 34,616): « Je les éprouverai pour voir s'ils marchent suivant ma Loi, ou non ». Ce n'est pas une tentation, c'est une probation; cela n'a rien à voir avec la séduction du péché. Et Dieu éprouve non pas pour savoir, mais pour démontrer; afin que les hommes, voyant ce qu'ils sont en réalité, deviennent plus humbles quand ils demandent le secours de Dieu, et reconnaissent la grâce de Dieu.

Noter que la ’provocation' de Dieu se retrouve dans l'Évangile (// Jn 6,6). De même aussi, le Christ nous fait demander « notre pain de chaque jour »; et le Corps du Christ même ne nous transforme pas d'un seul coup, mais nous sustente (ou bien, suivant l'étymologie de la « communio »: nous munit) jusqu'à la fois suivante.

Ex 16,7 — Reprise de l'exhortation avant le Passage de la Mer: « Vous verrez le salut de Yahvé... aujourd'hui » (Ex 14,13*). La gloire de Yahvé: à la fois en elle-même (au v. Ex 16,10; comparer avec Ex 24,17 Ex 33,18-23 Ex 40,34-35), et dans sa manifestation par le miracle, comme pour le Christ à Cana : « Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en Lui » (Jn 2,11).

Ex 16,13La caille: Histoire et sens de cette ’tentation' en Nb 11,18-23 Nb 11,31-34, et // .

Ex 16,14-15 // Jn 6,31-35, Augustin: Sur Jn 6,3l (lx. 25,13): Moïse n'a donc pas donné le pain du ciel. C'est Dieu qui donne le pain — mais quel pain? La manne? Non: le pain que signifiait la manne: à savoir le Seigneur Jésus lui-même. Mon Père vous donne le vrai pain. Car le pain de Dieu, c'est Celui qui donne la vie au monde. Ils lui dirent donc: «Seigneur, donne-nous toujours de ce pain! » Comme une femme de Samarie avait dit: «Seigneur donne-moi de cette eau », ceux-ci disent: «Seigneur, donne-nous de ce pain qui restaure et ne manque jamais. »
Jésus leur dit: « Je suis le pain de vie. Qui vient à moi n'aura pas faim, qui croit en moi n'aura jamais soif... Vous désirez le pain du ciel? Vous l'avez devant vous, et vous ne le mangez pas. Je vous l'ai dit, vous m'avez vu, et vous n'avez pas cru. Malgré cela, je n'ai pas détruit mon peuple: votre infidélité pourrait-elle annuler la fidélité divine? » Le texte poursuit, en effet: « Tout ce que le Père me donne viendra à moi; et celui qui viendra à moi, je ne le jetterai pas dehors. » Quel est cet «intérieur», d'où l'on n'est pas jeté dehors? O douce intimité, doux secret sans lassitude, sans l'amertume des mauvaises pensées, sans la rançon des tentations et de la douleur! N'est-ce pas dans cette intimité qu'entrera le bon serviteur quand on lui dira: « Entre dans la joie de ton Dieu » ?

Ex 16,17-18 — Rupert de Deutz: Op. cit. (PL 167,666): En ce qui concerne la vertu (l'efficacité) de la nourriture spirituelle et du breuvage spirituel, c'est-à-dire du corps et du sang du Christ, il faut savoir et tenir fermement que l'un n'obtient pas plus ni l'autre moins de la grâce de l'Esprit vivifiant, quelle que soit la portion de l'espèce visible du pain et du vin qu'ils ont reçue dans leur bouche; mais tous et chacun recueillent «ce qu'ils peuvent manger », c'est-à-dire: ils reçoivent la rémission des péchés et la vie éternelle dans la mesure où ils croient. De même que notre père qui pécha le premier, et dont nous portons la faute, subit la juste sentence et la condamnation sans qu'entrât en compte la quantité de fruit qu'il avait mordue — car pour consommer son infidélité et sa désobéissance, une seule bouchée eut le même résultat que s'il avait dévoré tous les fruits de l'arbreainsi, chacun de nous reçoit la grâce et la vie sans proportion avec la toute petite part de pain vivifiant que l'on fractionne pour lui, qu'il reçoit dans sa bouche et qu'il broie sous ses dents: le fragment qu'il a reçu vaut tout autant, pour lui obtenir la justice, que s'il avait à lui seul reçu dans sa bouche tout ce qui a été offert. La Sainte Église du Christ a donc bien raison de ne pas faire de grands pains pour le sacrement du Corps du Christ, mais plutôt des pains petits et très minces.

// 2Co 8,13-15, L'équité, équilibre communautaire, plus qu'égalité, réclamée par l'envie individualiste. Comme cette équité est aujourd'hui très ignorée, donnons l'exemple qu'on en trouve dans la tradition monastique bénédictine. On y retrouve ces autres grands axes de l'Exode que sont le ‘service’, l'apprentissage (‘schola’) par l'épreuve du désert et la Loi du Sinaï (asperum et grave; institutio):

Dom Ildefons Herwegen: Sinn und Geist der benediktiner Regel (Benziger, Kôln 1944, p. 44 ss): « Dictante aequitatis ratione » veut dire: comme l'ordonne la loi immuable de l'équité. Ici, le législateur lui-même se trouve devant une loi, sans l'observance de laquelle l'existence de la Communauté serait en danger. Le principe juridique du «jus strictum » cède la place, aussi bien en droit public qu'en droit privé, au principe de l’ ‘aequitas’, de la mesure, de la discrétion. Seule la discrétion d'un bon intendant sait attribuer à chacun ce qui lui revient. Seul, ce traitement différencié des divers cas individuels donne sa valeur au principe de la clémence. L'équité établit l'équilibre entre le droit et la vie, entre le point de vue de la Communauté et celui de l'individu. C'est la notion d'équité de l'ancienne Rome qui, à travers les siècles, a gardé sa force au droit romain et lui a permis de s'adapter aux circonstances changeantes. Elle ne laissera pas non plus se figer la législation de la Sainte Règle, mais lui donnera une souplesse vivante pour suivre toujours le cours de la vie dans une communauté de moines.
Malgré toute sa fermeté et toute sa grandeur, l’institutio' de Benoît porte le caractère de la douceur et de la mesure. Les mots ’asperum', ’grave', évoquent la rudesse et l'âpreté des anciens Pères du désert. Benoît ne veut rien de pareil. Si la vie du moine est un ’servitium', elle ne doit pourtant faire de personne un esclave. Cependant, la vie d'une communauté comportera toujours certaines choses dures, puisque côté des forts il y a aussi des faibles. Dans la ’schola' de saint Benoît doit être réalisé un service normal, pouvant être rempli par tous. Mais même ainsi, bien des choses devront être imposées à l'un plus strictement, à l'autre moins strictement, comme le demande une équité qui pèse les circonstances. L'équité, c'est l'adaptation du droit formel à la vie, c'est-à-dire aux circonstances individuelles. Elle préside à la considération des données psychologiques qui interviennent dans le jugement à porter; elle pèse, en face de la loi, toutes les circonstances atténuantes venant des choses ou des personnes. Dans la vie claustrale, cette équité peut comporter pour l'un une certaine surcharge, signifier pour l'autre un soulagement assez considérable. Si en quelque chose on traite un moine un peu plus sévèrement et rudement ( « paululum restrictius ») parce qu'il lui incombe de fournir tout ce dont un autre n'est pas capable, il peut bien ressentir cette mesure comme une certaine dureté. Il peut aussi se faire que la même chose semble légère à l'un, lourde à l'autre. Ceci se produira toutes les fois que la moyenne de la vie commune sera plutôt élevée. Alors, tel doit faire un sacrifice là où ses voisins ne voient rien de semblable. Mais pour tous, l'équité veut dire qu'on s'adapte et qu'on tient bon, même dans les situations pénibles. Ces sacrifices procurent l'amendement des vices. Tous ceux qui entrent apportent, avec eux, leurs défauts dans le cloître: l'un plus, l'autre moins. La vie réglée du monastère est faite pour corriger ces lacunes par la compensation réalisée dans la vie commune. Ainsi seulement se gardera la charité, âme de la vie commune et lien d'unité. Certes, il n'est pas toujours facile de supporter tout le monde en communauté; et cependant c'est bien l'amour qu'il faut «opposer » à tous. Dès l'abord on saisit tout ce qu'une attitude si pleine de charité peut exiger de sacrifices: c'est ainsi que la vie de communauté se déroule dans une paix où les éléments contraires s'équilibrent. Une grande sagesse de vie s'exprime ici dans les paroles de Benoît. Il sait que pour la conservation et l'avancement de la Communauté, vices et vertus, charité et égoïsme, doivent se rencontrer et se compenser. Si d'un côté les vices l'emportent, alors il faut que de l'autre côté la vertu soit d'autant plus forte. Si l'un manque d'amour, les autres doivent fournir une mesure d'amour d'autant plus grande. Là où les uns se refusent, les autres doivent se donner davantage. La « conservation de la charité » exige ainsi un sacrifice douloureux qui ne cesse jamais. Il sera fructueux s'il n'est pas simplement ressenti comme une dure souffrance personnelle mais plutôt comme une force, grâce à laquelle toute la communauté s'élève et grandit. Celui qui considère les trois motifs que saint Benoît fait valoir pour aller jusqu'à une certaine rigueur: l'équité, l amendement des vices, et la conservation de la charité, ne s'effraiera pas des difficultés du début, ne se laissera surtout pas détourner de la voie du salut.
A part la première partie du Prologue, Benoît a toujours parlé au pluriel. Mais voici que le singulier reparaît tout à coup : « non réfugias ». La raison de ce changement est que l’ ‘aequitas' trouve son application dans les cas individuels. Si la communauté entière venait à se soustraire aux choses dures et âpres qui lui sont promises, la ’schola’ serait licenciée. Il n'y en a jamais que quelques-uns, et surtout des commençants, à ne pas saisir le sens profond de ces souffrances ; d'où cet avertissement adressé au nouvel arrivant: qu'il ne quitte pas la voie du salut avant d'avoir compris tout ce qu'elle renferme.

Ex 16,22-30 — Origène: Hom 7sur l'Ex (SC 16,174): Je demande quel jour la manne commença à être donnée du ciel. D'après les Écritures, c'est un dimanche que la manne fut envoyée pour la première fois, puisque le texte dit: « Elle fut récoltée six jours de suite, et elle cessa le septième jour qui était un samedi » ... En notre jour de dimanche, le Seigneur fait toujours pleuvoir la manne du ciel.

Baudouin de ford: Op. cit. (SC 94,516-522): « Le repos du sabbat sera consacré au Seigneur ». Le Seigneur aime le repos : il aime se reposer en nous, et qu'ainsi nous nous reposions en lui... On parvient au repos du siècle futur par les six oeuvres de miséricorde qui sont énumérées dans l'Évangile: « J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger ... etc. ». Car il y a six jours pendant lesquels il faut travailler, et après les six jours c'est le sabbat, le repos des âmes après l'accomplissement de toutes les bonnes actions.

... Deux vies nous sont proposées dans ce texte: la vie active et la vie contemplative. Bien que la vie contemplative appartienne surtout au siècle futur, elle est représentée en ce monde par un saint repos que l'on consacre à vaquer à Dieu; et Moïse ajoute à ce sujet: « Que chacun reste chez soi ». Ceci nous avertit qu'au temps de la contemplation nous ne devons pas nous répandre au dehors par nos désirs, mais recueillir par la pureté du coeur toute notre intention pour pensera Dieu seul et n'aimer que lui seul.

Ex 16,33 — Baudouin de ford: Op. cit. (SC 94,528): Aaron dépose la manne dans un vase quand le prêtre annonce le Christ conçu du Saint-Esprit dans le sein de la Bienheureuse Vierge Marie, enseigne qu'elle est « Theotokos » et comme « l'urne d'or qui renferme la manne ».

Ex 16,35 — Baudouin de ford: Op. cit. (SC 94,530-32 SC 94,558): La parole de Dieu, ou le corps du Christ, est notre nourriture selon le mode dont, pour le moment, nous pouvons y participer ... Nous toucherons les frontières de Canaan (Ex 16,35) lorsque nous quitterons cette vie pour entrer dans la Terre des Vivants, la Terre de la Promesse...

La manne de la parole, sous les figures de la Loi, a cessé quand le Christ, au quatorzième jour de la lune, vers le soir, a célébré la vraie Pâque avec ses disciples et leur a donné à manger le fruit de la Terre Promise. Ce fruit peut signifier le Christ lui-même dont il est écrit: « Notre terre donnera son fruit » (Ps 85,13), ou les fruits de la justice et de la perfection évangélique.

// Sg 16,20-29 — La Sagesse nous révèle en ce don de la manne: la bonté paternelle de Dieu (donnant la becquée... nourricier universel), son équité en se donnant lui-même (v. 21 a) suivant le désir de ses pauvres enfants (20 d. 21 b-c); la diversité des effets de son unique Providence (v. 24 — cf. Introduction à Ex 7-10); les liens entre la nourriture eucharistique et l'écoute de la Parole, aliment et probation de la foi (v. 26 — ‘les deux tables de la Parole et du Pain’, comme aujourd'hui encore à notre messe chrétienne): ces liens se trouvent aussi dans le discours du Christ qui unit indissolublement la foi en sa Parole et le don de son corps pour la vie du monde. La valeur sur-naturelle (26 c) de cette nourriture est indiquée par l'expression « aliment des anges » (20 b et // Ps 78,24-25), c'est-à-dire donnant la vie éternelle (Jn 6,54). Il n'y manque même pas l'invitation aux vigiles eucharistiques, préparant aux messes de l'aurore de la tradition primitive (28-29).

Sur les liens de la nourriture eucharistique et de la foi, dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament, Baudouin de ford écrit, en commentant 1Co 10: « Tous mangèrent la même nourriture spirituelle »: Cette nourriture spirituelle se mange de deux manières: par le sens de la foi, et par la réception du sacrement. Tous les justes de tous les temps ont mangé cette nourriture spirituelle, car ils ont cru dans le Christ; et en participant au Christ, ils ont reçu de vivre spirituellement. Mais beaucoup ont mangé la manne visible et sont morts spirituellement, parce qu'ils n'ont pas vécu spirituellement; et beaucoup n'ont pas mangé la manne visible mais ont vécu spirituellementce qui prouve qu'ils ont mangé la nourriture spirituelle.

Or la manne était le signe visible du sacrement de l'autel qui contient en lui le Christ... Ceux donc qui eurent la même foi que nous, mangèrent aussi le pain du ciel, le pain des anges, c'est-à-dire crurent de coeur au Christ. De bouche, nous n'avons pas reçu la même chose, eux et nous, mais de coeur nous avons reçu la même chose: la nourriture spirituelle qui est le Christ, qui est le pain du ciel et le pain des anges (Op. cit. SC SC 94,336).

Ex 17,1-7 Nb 20,9-12 — Exceptionnellement, nous joignons ici deux récits complémentaires, relatifs au même événement.

Plus encore que la faim, la soif est significative du désir spirituel: « Comme le cerf aspire aux sources des eaux... » (Ps 42). Celles-ci prennent donc elles-mêmes valeur de symbole des grâces fertilisantes de Dieu et mieux encore, de son Esprit d'Amour, principe de tous ses dons. Aussi la promesse des eaux vives par les prophètes (// Is 41,17-20) ou par le Christ (// Jn 7,37-39) vient compléter celle de la Terre, dès la bénédiction de Jacob (Gn 27,28). Voir dans vtb l'article ‘Eau'.

Tel est l'aspect positif de ce chapitre, souligné en 1Co 10,4 (/ Jw), et retenu par la tradition chrétienne :

Chrysostome: Hom. sur 1Co 10 (c'est donc la suite du texte capital donné en Ex 14,19-20*):

As-tu bien compris, à propos du baptême, ce qu'est le type et ce qu'est la vérité? Eh bien, je te montrerai encore que la table des mystères fut présente au désert — toujours à condition que tu n'exiges pas une ressemblance complète, mais que tu considères les événements de jadis dans la perspective qui est la leur, celle d'ombres et de figures. Saint Paul dit encore: « Tous mangèrent la même nourriture spirituelle, et tous burent le même breuvage spirituel ». De même que toi, quand tu remontes des eaux, tu cours à la table, eux aussi, remontant de la mer, accédèrent à une table nouvelle et miraculeuse: la manne. Et de même que toi, tu reçois un breuvage miraculeux — le sang du Sauveur — eux aussi reçurent un breuvage miraculeux ; ils ne trouvèrent pas des sources ni des fleuves : mais d'une pierre dure et sèche ils reçurent de l'eau en abondance. C'est pourquoi l'Apôtre appelle ce breuvage « spirituel » : non qu'il le fût par nature, mais il l'était par la manière dont ils le recevaient. Car il ne leur était pas donné selon le cours de la nature, mais par l’opération de Dieu qui les conduisait... Et l'Apôtre justifie son dire: « Ils buvaient en effet de la pierre spirituelle qui les accompagnait, et la pierre était le Christ ».

Rupert de Deutz: Op. cit. (PL 167,658): Le Christ lui-même accourt vers nous — ses ennemis — avec le pain et l'eau: le pain de son corps et l'eau qui sur la croix coula pour nous de la pierre frappée, c'est-à-dire du Christ crucifié, et il nous exhorte à nous réconcilier au Père...

Cette eau qui jaillit de la pierre est encore la grâce invisible de l'Esprit Saint, dont lui-même a dit à la Samaritaine: « Celui qui boira de l'eau que je donne n'aura plus jamais soif, mais l'eau que je lui donnerai deviendra en lui une source jaillissant en vie éternelle » (Jn 4 — puis Rupert cite Jn 7,37-39).

Rupert: Sur St-Jean (PL 169,520-521): « Le dernier jour... Jésus clamait... » Le dernier jour de cette fête, c'est le huitième. Il est écrit dans le Lévitique (Lv 23): « Le premier jour et le huitième seront très saints et très solennisés ». Le mystère du Seigneur debout et qui clame, annonce que cette année-là il va y avoir une fête de Pâque qui sera la dernière de l'Ancien Testament et la première du Nouveau. Car, après cette soirée pascale où le Seigneur qui allait être livré mangea la Pâque figurative avec ses disciples, tout ce que les Juifs ont pu célébrer n’est plus une fête ni une solennité.

En cette ultime grande fête, Jésus se tint devant son Père, offrant ses prières et ses supplications comme le dit l'Apôtre, avec un grand cri et des larmes (He 5). Frappé par les coups de la Passion — comme le préfigurait cette pierre que Moïse frappa de son bâton (Ex 17 Nb 20) — il répandit d'abord, de son côté, l'eau qui nous laverait et le sang que nous boirions (// Jn 19,34). Puis il souffla sur ses Apôtres en leur donnant l'Esprit Saint (Jn 20); et, d'après un autre évangéliste, il leur ouvrit l’intelligence pour qu'ils comprennent les Ecritures (Lc 24): ce qui est vraiment boire les eaux du salut. Et depuis, il est toujours là debout, clamant avec force, clamant à toutes les nations et disant d'une manière ou d'une autre: «Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et boive ! »

Baudouin de Ford: Le Sacrement de l'autel (SC 94,342): Le breuvage spirituel peut également s'entendre du calice du Christ, et ce calice du Christ signifie trois choses: le sang même du Christ répandu pour nous, et que nous buvons à l'autel; la Passion du Christ, qui nous oblige à souffrir avec lui; l'imitation de la Passion du Christ, qui nous permet de lui rendre la pareille selon notre petite mesure.

Éphrem, remonte du Christ-eaux-vives au sein de la Vierge d'où il naît (Hymne 12 De Beata Maria ; Lamy II, 574) :

En Horeb, — la pierre, ô Vierge, te préfigura
car elle enfanta sans être creusée
et donna à boire au camp d'Israël
qui languissait et mourait de soif.

Ton ombre toucha la pierre, et la féconda,
car de toi naquirent les eaux célestes
qui étanchent, par grâce, la soif du monde.

En Horeb, dit Éphrem, suivant Ex 17,6: « le rocher de l'Horeb. » Le miracle se passe à Rephidim, surnommé ’Massa et Meriba' au verset suivant. Mais c'est la dernière station avant le Sinaï ( = l'Horeb). D'où l'assimilation, que fait donc déjà l'Exode.

Mais ce chapitre est important aussi pour un autre thème: celui de la Tentation, ou de la Querelle, qui donnera au lieu de cet épisode son double nom de Massa et de Mériba (Ex 17,7), et en fera par la suite un exemple à ne pas suivre (Dt 6,16 Dt 33,8 // Ps 95,8-9).

Cette tentation joue dans les deux sens : non seulement Israël est dit tenter Dieu, comme ici (Ex 17,2 Ex 17,7 Nb 20,1-13), mais plus encore c'est Dieu qui dit tenter son peuple; par l'amertume de l'eau à Mara (Ex 15,25), ou par la quotidienneté de la manne (Ex 16,4), et plus généralement par le séjour au désert (Dt 8,2); plus tard, par les faux prophètes (Dt 13,4), ou par les populations païennes au milieu desquelles Israël devra maintenir sa fidélité à Yahvé (Jg 2,22).

Cette ‘tentation’ n'a donc pas le sens restreint d'induire au Mal : l'Épître de saint Jacques déniera formellement que l'on puisse attribuer cette perversité au Dieu de tout Bien (Jc 1,13-15). Comme le disait Augustin (Introduction au ch. 16) : c'est une épreuve, une probation, l'occasion de montrer si le peuple élu garde les ordres, la loi ou les voies de son Dieu, de même qu'à l'inverse Israël veut ’voir si' Dieu peut donner de quoi se nourrir et apaiser sa soif (Ps 78,18-20 Ps 106,14). Dieu, lui, sait bien la réponse, et tout ce que cette épreuve aurait pu apporter à son peuple s'il en avait triomphé (/ Ps 81); mais Israël ’tente' Dieu, et ce « pour voir si » est à lui seul offensant comme une incrédulité. Même Moïse, au lieu d'être affirmatif, c'est-à-dire d'ajouter foi à la Parole toute affirmative de Dieu (Ex 17,6 — avec le ’Voici' de ses grandes oeuvres : cf. Gn 1,29-30 * ), éprouve Dieu en doutant si... Pourtant :

Dieu rappelle à Moïse les miracles d'Egypte: « Prends ce bâton, avec lequel tu as frappé le fleuve » — comme s'il disait: Ce bâton, qui a changé un fleuve en sang, pourra facilement faire jaillir l'eau, et cela pour une bonne raison: « Je me tiens là » (Ex 17,6). Tu ne seras pas seul, tu ne seras pas l'auteur du prodige, je te montrerai moi-même la pierre, et je préparerai le miracle: parle à la pierre, et c'est moi qui serai la force et l'efficacité de tes paroles.

Moïse aurait dû avoir confiance — il douta, pourtant: « Pensez-vous que je puisse tirer de l'eau de cette pierre? » et il frappa la pierre deux fois, comme si rien n'allait arriver de ce qu'on attendait. Pour changer le fleuve en sang, il n'avait tendu son bâton qu'une fois. C'est pourquoi Dieu lui fait ce reproche: « Vous n'avez pas cru, et vous ne m'avez pas glorifié devant les fils d'Israël. »

,7 (Cyrille d'alexandrie : Sur l'Exode, m (PG 69,492 — Sur tous ces points, cf. le tableau récapitulatif de Paul Beauchamp dans L'un et l'autre Testament, Seuil 1976, p. 302-303).

Dans le Nouveau Testament aussi, bien entendu, se retrouve le verbe ’tenter — éprouver' ('Peirazô' — cf. Concordance). Le Christ l'interdit à Satan (/ Mt 4,7). Mais n'est-il pas remarquable, justement, qu'il ait lui-même, une fois « mené au désert », voulu être éprouvé par les trois tentations du peuple élu : la faim, l'exigence du miracle, la possession de la Terre?

Sg 16,26 (en // à la fin du ch. 16 de l'Exode) fait allusion à la tentation de la faim (Mt 4,4 — même si le Christ s'y réfère à la foi en la Parole de Dieu suivant la formulation parallèle de Dt 8,3). La seconde tentation est celle du miracle, au sens d'Ex 17,7. Quant à la possession de la terre, Moïse mettra en garde contre elle en Nb 32,5-7). Or c'est en Jésus que nous voyons parfaitement surmontée la triple épreuve, donc la probation de l'Homme satisfaisante, et « toute tentation achevée » (Lc 4,13).

Mais en outre, le Christ a encore été reconnu comme préfiguré, à Massa même, par cette ’pierre' dont 1Co 10,4 dit bien qu'elle était le Christ, lui qui, comme l'expliquait plus haut Rupert de Deutz, à sa mort, de son côté ouvert nous donna les eaux vives des sacrements:

Par les eaux qui coulaient de la pierre fut calmée la soif des Israélites; Voici que du côté du Christ coule la source de vie. (Éphrem : Hymne 5 sur l'Epiphanie, Lamy i, 54)

Or tout cela est bien « pour notre instruction ». C'est toujours le même ’Aujourd'hui' de la tentation au désert, et le même risque d'« endurcir nos coeurs » — malheur qui n'est pas le fait du seul Pharaon, mais guette chacun de nous (// Ps 95,8-9 cf. la leçon qu'en tire He 3,7-4,11, donné en // à Nb 14, plus en rapport avec les versets 10-11 de ce même Ps 95,10-11).

Urs von Balthasar en conclut (Nouveaux points de repère, Fayard 1980, p. 51-52): « Tandis qu'il n'est question nulle part dans la Bible d'une expérience de Dieu (peira) par l'homme, le thème de l'expérience que Dieu fait de l'homme en l'éprouvant (peirasmos) traverse toute l'histoire du salut (citation de // Jdt 8,26-27, puis de la tentation du Christ au désert, enfin de Massa)... L'endurance à l'épreuve reçue de Dieu rend l'homme éprouvé. C'est pourquoi Paul veut «se glorifier des tribulations, sachant bien que la tribulation produit la constance, la constance une vertu éprouvée, la vertu éprouvée l'espérance, et l'espérance ne déçoit point... » (Rm 5,3-5). Cette espérance est comme la lumière renvoyée vers l'homme par la joie de Dieu devant la réussite de l'épreuve qu'il lui a fait subir. Jacques peut donc dire: « Tenez pour une joie suprême, mes frères, d'être en butte à toutes sortes d'épreuves (peirasmois). Vous le savez: ce qui éprouve votre foi produit la constance, et celle-ci accomplit l'oeuvre parfaite afin que vous ne laissiez rien à désirer » (Jc 1,2-4).

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Victoire sur Amaleq

(Ex 17,8-14)


 — Grégoire de nysse replace l'épisode à la fois dans le cheminement de l'Exode (entre le don de la manne et celui de la Loi), mais aussi dans les rapports entre Ancien et Nouveau Testament, entre premier et nouveau Moïse, et comme s'appliquant par conséquent à toute vie chrétienne (PG 44,372): Le prêtre Aaron soutient les bras alourdis de Moïse et se fait aider par un membre de sa famille, circonstance qui n'est pas indifférente au contexte spirituel. Car le vrai sacerdoce, par le Verbe de Dieu à qui il est uni, ressaisit le dynamisme de la Loi qui était prostré jusqu'à terre par la pesanteur de l'interprétation judaïque, et le redresse vers le ciel. Il soutient sur la pierre la Loi défaillante, pour que debout et les bras en croix elle montre par cette figure où elle conduit ceux qui l'honorent. Car vraiment, pour quiconque sait regarder la Loi par en haut, le mystère de la Croix s'y découvre, éminemment visible. C'est pourquoi l'Évangile dit que « ni le iota ni l'apex de la Loi ne passeront », désignant ainsi le trait vertical et le trait horizontal qui ébauchent la figure de la croix. C'est même ce signe, visible en Moïse (car Moïse représente la Loi), qui fut cause de victoire et de triomphe pour les Israélites attentifs à le regarder.

Une fois déplus le Verbe conduit par la main notre âme, en une ascension progressive vers les sommets de la vertu. Le combattant qui a refait ses forces en prenant de la nourriture, qui a montré sa vaillance dans la mêlée, et a remporté la victoire sur l'armée ennemie, est introduit à l'ineffable connaissance de Dieu. L'Écriture nous apprend ainsi que de choses il faut faire dans sa vie pour oser un jour poser le pied sur le mont de la connaissance de Dieu, affronter le son des trompes, puis entrer dans la ténèbre où est Dieu, recevoir les caractères écrits par Dieu sur les tables; et si ces tables viennent à être brisées par la faute de qui que ce soit, rapporter à Dieu d'autres tables faites de main d'homme pour que le doigt de Dieu y trace à nouveau les mêmes lettres.

Ex 17,14 // Dt 25,19, J'effacerai la mémoire d'Amaleq... Souviens-toi... Tu effaceras... Ne l'oublie pas: Cette dureté de la sentence risque d'être incomprise, donc de scandaliser. Pourtant, Dieu insiste: « Ne l'oublie pas ». Ce n'est donc pas de ces choses que l'on puisse pudiquement essayer de se cacher. Tout comme l'endurcissement de Pharaon, et en attendant les consignes d'extermination des habitants de Canaan, l'affrontement d'Israël et des Amalécites doit être replacé dans l'ensemble du Dessein de Dieu et de l'histoire d'Israël, D. Barsotti en rappelle les étapes dans Meditazione sul libro di Ester (Ed Queriniana, Brescia 1981, p. 116-118 et 94): Dans l'Ancien Testament, Israël est le peuple de l'Alliance. Dieu s'est lié à Israël par un lien particulier d'amour: aller contre Israël, c'est aller contre Dieu. C'est pourquoi l'Ancien Testament est si terrible contre ceux qui veulent l’extermination du peuple saint...

(Ex 17) Après cette victoire, Dieu dit dans l'Exode: «J'effacerai la mémoire d'Amaleq de dessous le ciel ». La raison en est évidente: si Israël avait été exterminé par Amaleq, et cela précisément alors que Dieu venait de conclure une Alliance avec Israël en vue du salut de toutes les nations, le dessein de Dieu aurait été frustré. Car c'est Israël qui devait porter à toutes les nations la Révélation, la Loi, et la Promesse du salut. Dans le Deutéronome, les paroles contre Amaleq sont encore plus graves.

(1S 15): Or il arrive que Saul combat contre Amaleq. Le prophète Samuel lui rappelle que tout devra être voué à l'anathème; mais Saul épargne les meilleures têtes de bétail, pour les sacrifier à Dieu; et surtout il épargna la vie d'Agag, le roi. Saul qui est allé contre un ordre formel de Dieu sera réprouvé.

(Est 3): Assuérus éleva aux plus hautes dignités Aman, fils de Ham-data, la descendance d'Agag (donc le roi d'Amaleq vaincu par Saul)... Aman fit le projet d'exterminer tous les Juifs qui habitaient dans le royaume d'Assuérus.

(Est 7): Esther demande grâce pour son peuple. 8: Assuérus fait pendre Aman et donne pouvoir aux Juifs de tuer tous leurs ennemis.

En réalité, la lutte entre Mardochée et Aman est la lutte des amis de Dieu contre les ennemis de Dieu. Aman est à la fois Agag et Antiochus Épiphane (puisque ce livre est écrit dans la dernière période du judaïsme ), Esther et Mardochée sont la contrepartie de Saul (et dans la réprobation de Saul, l'auteur inspiré voit probablement la réprobation de la monarchie qui a commencé avec lui). Maintenant, le peuple de Dieu n'a plus de roi, il a été déporté à Babylone, et il vit en exil soumis à Assuérus. Il n'y a plus de roi. Mais il y a une reine: Esther fait contrepoids à Saul, elle obtient la mort d'Aman, l'Agaghite. Dans cette exécution, l'auteur inspiré voit peut-être une reprise de l'histoire d'Israël et l'accomplissement de la parole de Dieu: « Tu effaceras la mémoire d'Amaleq de dessous le ciel: ne l’oublie pas ! »

Est 9,15-16: Les Juifs égorgèrent soixante quinze mille de leurs adversaires mais ne se livrèrent pas au pillage.

Et cette fois, Israël renonce au butin: il n'a pas le droit de profiter de la victoire, car la victoire appartient à Yahvé. De même que le péché d'Amaleq est un péché contre Dieu parce qu'il s'est attaqué au peuple de l'Alliance, ainsi la réparation appartient à Dieu: tout est au Seigneur, et donc tout doit être détruit. En plusieurs passage, l'Ancien Testament voit dans l'hécatombe de la guerre un sacrifice (Sophonie).

la rencontre de jéthro et moïse (Ex 18) — Ce chapitre 18ème de l'Exode a la même importance que le chapitre 14ème de la Genèse. L'histoire d'Abraham mentionnait la rencontre mystérieuse de « l'ami de Dieu » avec le roi de Shalem, Melchisédech, l'offrande sacrificielle que fit ce roi, et la bénédiction qu'il donna à Abraham. Dans l'Exode c'est Jéthro, prêtre de Madian, qui vient à la rencontre de Moïse; et c'est le prêtre madianite — devant qui Moïse se prosterne — qui bénit Dieu pour tout ce que Dieu a fait en faveur d'Israël. Jéthro donne même des conseils à Moïse sur la manière de gouverner son peuple. Dans les deux cas la révélation prophétique rencontre la révélation cosmique, et toute opposition entre elles est exclue.

Quelque chose d'analogue se produira quand on passera de la révélation prophétique à la révélation chrétienne. Alors, le dernier des prophètes devra reconnaître le Christ; mais avant de s'éclipser et de disparaître, il baptisera Jésus, qui ce jour-là fera figure de disciple ... Dans la rencontre au bord du Jourdain, Jésus est conscient de sa supériorité, et cependant il prend position d'inférieur par rapport à Jean-Baptiste: il déclare même que ce geste est nécessaire, bien que le Baptiste en personne, reconnaissant la mission du Christ, fasse difficulté de l'admettre au baptême de pénitence (D. Barsotti: Meditazione sull'Esodo, p. 159). Pour montrer l'importance de cette intégration des législations de l'époque dans la constitution même d'Israël comme 'peuple', et non plus seulement comme simple masse d'esclaves évadés de l'Egypte, nous ne pouvons que renvoyer aux travaux savants qui s'attachent à repérer dans la Loi de l'Alliance les nombreux emprunts aux civilisations environnantes. De cette façon-là, surtout, Israël a « emporté les richesse de l'Egypte » (Ex 11,3*) ou du Moyen-Orient. L'extra-ordinaire est d'en avoir gardé uniquement ce qui, une fois purifié, décanté, pouvait servir un strict monothéisme, si rare alors, et qu'un Akhenaton même n'avait pas réussi à imposer de façon durable...

// Ps 136 — La bénédiction * est l'oeuvre propre confiée à Israël, et que le Christ fera sienne encore, en récitant ce psaume du Hallel au moment d'aller à sa Passion (Mc 14,26). Or, elle se retrouve en substance dans la prière et le sacrifice du 'prêtre de Madian', auquel Moïse ne craint pas de communier « devant Dieu » (Ex 18,10-12). Ainsi, aussitôt après le combat contre Amaleq, et au moment de l'Alliance du Sinaï, où la religion d'Israël semble se restreindre à lui seul, se trouve rappelé que, s'il passe par un homme et un peuple particulier, Dieu n'en est pas moins le Dieu de tous, et sauve tous les hommes, puisqu'il reçoit les hommages de Jéthro. Cependant, même ici où Moïse emprunte aux civilisations païennes, « le Salut vient des juifs », puisque la révélation du vrai Dieu vient à Jéthro des miracles de l'Exode (v. 11), comme plus tard pour Nabuchodonosor ou Darius (Da 3-4 Da 6).

/ Ac 6,1-7 — L'institution des diacres répond au même souci que celle des juges en Ex 18 : que les tâches de la charité envers le prochain n'empêchent pas Moïse ou les Apôtres d'être les intercesseurs de tous devant Dieu, et les révélateurs de sa volonté (Ex 18,19-20 // Ac 6,2).

Augustin: Sur l'Heptateuque, q. 68 (PL 34,619): Quand Jéthro donne à son gendre, Moïse, le conseil de ne pas se laisser accabler par les jugements quotidiens, on se demande pourquoi Dieu qui parlait si souvent avec Moïse le fait avertir par un étranger. L'Ecriture nous enseigne par là qu'il ne faut pas mépriser un juste conseil, d'où qu'il vienne. Peut-être Moïse risquait-il d'être tenté de superbe quand il siégeait seul, avec les honneurs du pouvoir judiciaire, et que tout le peuple se tenait debout devant lui. Un détail incline vers cette interprétation: c'est que Jéthro suggère de choisir comme juges des hommes qui haïssent la superbe. En outre, l'avertissement de l'Ecriture « Mon fils, ne te répands pas en multiples activités » (Si 11,10), se vérifie dans ce passage. Et il faut encore méditer ces paroles de Jéthro: « Maintenant donc, écoute-moi, je te donnerai un conseil et Dieu sera avec toi ». Ce texte signifie, me semble-t-il, qu'un esprit trop occupé d'actions humaines se vide de Dieu. Il se remplit de Dieu, au contraire, dans la mesure où il se tend, plus libre, vers les choses célestes et éternelles... Nous trouvons encore ici un exemple d'humilité: Moïse, qui «parlait avec Dieu », ne dédaigne ni ne méprise le conseil de son beau-père, un étranger.



Bible chrétienne Pentat. 2230