Bible chrétienne Pentat. 2300

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III. L'ALLIANCE DU SINAÏ



D. barsotti: Meditazione sull'Esodo (p. 165 ss): Le chapitre 19 constitue la partie centrale de l'Exode, la plus sacrée de tout l'Ancien Testament: il raconte le don de la Loi, don fait par Dieu au peuple d'Israël, et à travers lui à tous les peuples de la terre... Dieu dicte à l'homme sa volonté. A sa parole, ce n'est plus le chaos qui répond (comme dans la première création), c'est l'homme... La mystique hébraïque dira que par le don de la Loi c'est maintenant de l'homme que Dieu attend une création nouvelle, bénie, qui en quelque sorte unira l'homme à Dieu. L'oeuvre de la première création n’était révélation de Dieu que comme un vestige imprécis: le don de la Loi est le don de Dieu même, en sa volonté. Autour du don de la Loi gravite toute la vie religieuse d'Israël...

Le récit est interrompu par les quatre chapitres 20-23 et reprend au chapitre 24. Moïse donne lecture de la Loi au peuple, et accomplit le rite de l'Alliance; puis, accompagné des soixante-douze anciens, il gravit la montagne où tous voient Dieu. La théophanie racontée au verset onzième du chapitre 24 est la plus grandiose de l'Ancien Testament. Les anciens voient Dieu, puis ils mangent et boivent: l'Alliance ne s'accomplit pas uniquement par l'aspersion du sang, mais par la communion avec Dieu...

Mais alors, comment l'homme pourra-t-il vivre avec Dieu? Il faut à tout prix qu'il vive ce qu'a vécu Moïse: un rapport d'intimité personnelle, un rapport impliquant que la Loi est dépassée, un rapport d'amour.

Comment le chrétien vivra-t-il ce rapport? Il faut qu'autre chose de bien plus grand prenne la place de la Loi: le don de l'Esprit Saint lui-même. La Loi, dans le christianisme, c'est l'Esprit Saint, dira Thomas d'Aquin...

Il est essentiel que la Loi soit l'expression d'une volonté personnelle, qui commande: «Je suis le Seigneur ton Dieu »; avant de donner la Loi, Dieu se révèle: la Loi est la Loi parce qu'elle est promulguée par Lui. Rencontre personnelle, où Dieu parle et où l'âme répond, où Dieu est libre et où l'homme est libre ... Ceci ne veut pas dire que la loi morale n'existe plus: je dois toujours éviter de commettre le péché. Mais si le Christ vit en moi et si je suis guidé par son Esprit, toute la Loi est accomplie.

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1. L'alliance

Ex 19-24)

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Préparation et théophanie

Ex 19)


 — À la sainteté de Dieu qui va se manifester, doit répondre la sanctification non seulement des participants (v. 10.14.15), mais du lieu bien délimité de la théophanie (v. 12.13). Comme jadis à Béthel: « Vraiment ce lieu est redoutable... » (Gn 28,16-17*).

Ex 19,1Le troisième mois: la tradition, tant juive que chrétienne, précisera que c'est au 50° jour après la Pâque, rapprochant ainsi par la similitude de l'écart, les fêtes chrétiennes des événements de l'Exode (// Ac 2 / Kd). « Il y a donc une remarquable concordance: cinquante jours après la Pâque antique, la loi — écrite du doigt de Dieu sur les tables de pierre — «fut donnée par Moïse » ; mais « grâce et vérité se firent par Jésus Christ » fJn I ), et furent écrites dans le coeur des Apôtres par l'Esprit Saint envoyé du ciel » (rupert : Op. cit. PL 167,672).

En ce jour-là: Expression qui annonce d'emblée que le récit nous reporte à des temps primordiaux, c'est-à-dire d'une rencontre avec le divin telle que c'est comme la matrice éternelle suivant laquelle, par la suite, les hommes auront à s'efforcer de rejoindre Dieu (Cf. Mircéa éliade: Traité d'histoire des religions, Payot 1949, p. 332-349). Il est heureux qu'après avoir supprimé cette expression en tête de l'Évangile de la messe, on l'ait rétablie; car c'est elle qui donne à cette lecture sa portée liturgique, son efficacité rituelle, pour rendre l'assemblée présente à cet événement primordial entre tous que sont la vie et les paroles du Christ.

Ex 19,3Moïse monta vers Dieu: le texte mentionne trois allées et venues (v. 3-6; 9-13; 20-24) qui soulignent en Moïse le médiateur entre Dieu et les hommes. C'est que d'abord, l'approche de Dieu est permise à lui seul (v. 12-13 et 22, que nous joignons pour cela), puisa Moïse et Aaron(v. 24). Même les 72 Anciens, admis à la vision de Dieu (24,10-11), ne s'en approchent pas comme Moïse (24,2 et 14-15). Le peuple élu craindra même d'écouter directement la voix de Dieu et préférera s'en remettre à ce qu'en rapporte Moïse (20,19).

Ex 19,4Je vous ai portés sur les ailes de l'aigle : l'expérience de la familiarité avec Dieu depuis la Pâque a donc précédé pour Israël la révélation de sa Transcendance inaccessible. Et il faut prendre ‘familiarité’ au sens le plus fort d'appartenance à la famille de Dieu, se révélant comme un père pour ses petits — comme le dira Moïse en reprenant cette chère image dans son cantique final (Dt 32,10-11). Le verbe ’porter' annonce déjà la parabole d'Osée 11 (// Is et Os).

RUPERT de DEUTZ : Op. cit. (PL 167,674) : S'il était juste de rappeler cela aux Israélites afin qu'ils ne soient pas ingrats, combien plus devons-nous rappeler que, délivrés de nos péchés par une grâce plus magnifique, le Dieu fait homme nous a portés jusqu'au Mont Sion et à la Cité du Dieu Vivant, la Jérusalem céleste? Il nous a portés comme sur des ailes d'aigle, volant d'emblée au plus haut et portant puissamment ses petits, et « les prenant sur lui » afin que là où il est nous soyons nous aussi.

Ex 19,5Et maintenant : Introduction habituelle de la conclusion parénétique (morale) d'un discours. De fait, ici, il ne s'agit de rien moins que de la proposition de l'Alliance. Avant même d'être promulguée, la Loi est donc annoncée comme la condition même de cette Alliance : « Si... »

C'est bien celle qui a été proposée aux patriarches; « Je serai votre Dieu et vous serez mon peuple » : ici, mon bien propre. L'expression se retrouve en Dt 7,6 et 14,2, mais aussi comme la promesse dernière de la dernière page de l'Ancien Testament (du moins dans l'ordre habituel à nos bibles): « Au jour (du Jugement), ceux qui craignent Yahvé seront mon bien propre, dit Yahvé Sabaoth, comme, pour un père, son fils qui le sert » (Ml 3,17). Car toute la terre est à Moi: paradoxe ! Dieu est le maître de tout et il aime tous les hommes. À quel titre Israël peut-il donc être davantage son bien propre? — Par élection, mais aussi pour se l'être acquis par les miracles de l'Exode; en attendant que ce soit au prix du sang de son propre Fils que l'Église lui soit 'acquise' (Ac 20,28).

Ex 19,6 // 1P 2,9 Ap 1,6Un royaume de prêtres, une nation sainte: Ce titre est heureusement remis en valeur dans l'Église. Mais que signifie-t-il? Voilà ce qu'en dit a. neher, suivant la tradition juive:

Un royaume de prêtres! Tel est le mot-clé de la thora. Les hommes s'étaient trompés jusqu'ici sur le sens du monde: ils avaient vécu dans l'illusion d'être les propriétaires de leurs domaines. Or, les domaines sont à Dieu... Dieu seul est l'autorité, lui seul est Roi !...

Ce que la thora demande toutefois, ce n'est pas que le monde s'anéantisse devant Dieu, mais qu'il se transforme pour l'accueillir, non pas qu'il renonce à sa vocation physique mais qu'il l'ouvre au métaphysique. Le chemin tracé par la thora ne va pas d'une Cité des hommes à une Cité de Dieu, mais, dans les seules limites de la vie, il va de l'isolement de Dieu et des hommes à leur participation au sein d'une Cité commune (Moïse, p. 105).

C'est dans la ligne de l'Exode: Dieu nous libère du servage de l'Egypte, mais pour nous appeler à le servir (Ex 4,22*). Et quand le N.T. reconnaît ce titre à tout le peuple chrétien, qu'est-ce que ce sacerdoce, sinon de s'offrir (de s'ouvrir, disait Néher), en louange de gloire au Dieu créateur et sauveur. Quelques versets avant le passage célèbre, saint Pierre a précisé: «un sacerdoce saint en vue d'offrir des sacrifices spirituels » (1P 2,5). Et saint Paul : « Je vous exhorte donc à offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu: c'est là le culte spirituel que vous avez à rendre » (Rm 12,1). « Qui a des oreilles, qu'il entende... »

Ex 19,7-8 — C'est déjà la ratification de l'Alliance, célébrée seulement de façon plus solennelle en Jos 24, suivant les indications de Moïse en Dt 27*. Ainsi, en ces quelques versets introductifs (3-8) se trouve indiqué tout l'essentiel du programme de l'Alliance du Sinaï.

Ex 19,9 — Ne pas supprimer arbitrairement cette ouverture solennelle du Voici (Gn 1,29-31*).

Dans l'épaisseur de la Nuée: celle d'Ex 13,19-22* et 14,19-20*, que nous avons vue porteuse du Christ (Mt 17,5). Grégoire de Nysse en sera le génial interprète (cf. pages citées en 19,17-20*; 20,21; et 33,18-23*).

Afin que le peuple croie en toi: // He 13,7: — Les chefs de votre Église: ‘Hègoumenôn’, mot difficile à traduire. ’Higoumène', sa transcription immédiate, a pris un sens particulier dans les Églises de l'Orient chrétien. Duce, Fuhrer, leader, meneur, sont trop liés à la politique ; mais c'est bien le même sens de montrer la voie, d'entraîner sur la voie — de l'union à Dieu.

Ex 19,10-14 — « Prépare toi, Israël à rencontrer ton Dieu » (Am 4,12). À la Pentecôte chrétienne aussi, Marie et les Apôtres se sont préparés dans la prière (// Ac 1,14).

Grégoire de nazianze : Oratio 20, n° 2 (Mauristes, p. 377): La foule avait été convoquée à la montagne, mais tous, y compris Aaron et ses deux fils, reçurent l'ordre d'adorer de loin: Moïse seul monte, entre dans la nuée, parle avec Dieu et reçoit la Loi. Pour la foule, c'est la Loi de « la lettre », mais pour ceux qui montent plus haut, c'est « la loi de l'Esprit ».

Ex 19,13 Ex 19,16 Ex 19,19 He 12,19La trompe évoque le Shofar des liturgies d'Israël, mais aussi les sonneries qui annonceront la résurrection des morts, comme saint Paul y insiste en 1Co 15,52 (cf. l'interprétation de ce son de trompe par Grégoire de Nysse, à Ex 19,20*).

Ex 19,16-20 — Devant cette grandeur épique, théophanique, se demander s'il s'agit de la description d'une éruption volcanique ou d'un orage, c'est, hélas ! témoigner d'un manque du sens littéraire le plus élémentaire, et en rester à l'école du Réalisme, dans ce qu'elle a de plus pauvrement primaire... Par contre, le // He 12,18-24 précise quelle est la réalité supérieure annoncée dans ces images grandioses, de même que les // Dt 4,12-16 et He 12,25-28 en tirent la conclusion pratique, qui sera la Loi et, a fortiori (He 12,25), le Royaume (He 12,28).

Ex 19,19 // Dt 4,12-16Dieu répondait par une Voix... rien qu'une Voix: Avantage des parallèles! L'intention ressort avec plus d'évidence. Moïse veut d'abord tirer cette conclusion: « D'image vous n'en avez pas vu (donc)... aucune image ». Sur ce point, nous qui avons vu « la parfaite image du Dieu invisible » (Col 1,15 Jn 1,18), n'avons pas la même interdiction. Par contre, demeure la leçon plus fondamentale: Il y a la vision (24,10); mais Moïse, comme Abraham, est surtout à l'écoute de la Parole de Dieu: « Fides ex auditu »... Car ce que Dieu, d'après toute l'Écriture, attend de l'homme, ce n'est pas l'expérience directe de Dieu — qu'il donne à qui il veut, comme une récompense, cf. Ex 33,18-23* — ce que Dieu attend de nous, ce que nous seuls pouvons lui donner, c'est de le croire sur Parole.

Ex 19,20Et Moïse monta: symbolisme universel de 'monter'. Grégoire de nysse : Vie de Moïse (pg 44,376) : C'est vraiment une montagne abrupte, difficile à gravir, que le mont de la connaissance de Dieu. À peine la masse du peuple peut-elle en atteindre le pied. Mais quand il s'agit d'un Moïse, s'il parvient à une certaine hauteur, il entend, à mesure qu'il avance, la clameur des trompes dont l'histoire affirme qu'elle se faisait de plus en plus forte. La révélation de la nature divine est en vérité un son de trompe qui cause la stupeur: déjà fort en ses premières vibrations, il augmente jusqu'à être vers la fin un bruit de tonnerre.

La Loi et les prophètes annoncèrent comme à son de trompe le mystère divin de l'Incarnation; mais les premières notes en étaient trop faibles pour frapper des oreilles dures; c'est pourquoi la pesanteur juive ne perçut pas le son des trompes. Mais en avançant, comme dit le texte, les trompes devinrent plus fortes, et les dernières notes, celles de la prédication évangélique, furent entendues.

(Ibid. 316-317); Alors que la plupart des hommes craignent moins quand ils sont ensemble, Moïse laissé seul n'en a que plus d'assurance. Il dépose comme un fardeau la crainte qui émouvait le peuple, et laissé à lui-même il entre hardiment dans la nuée: désormais, il est «dans l'invisible» et n'apparaît plus aux regards qui le cherchent. Car ayant franchi le seuil de l'initiation divine, lui-même n'est plus visible. Nous devons, je pense, apprendre de lui qu'il nous faut mépriser tout ce qui se voit si nous voulons être avec Dieu, et diriger notre esprit vers l'invisible et l'incompréhensible comme vers le sommet du mont: car Dieu est là où ne parvient pas la pensée.

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La loi de l'alliance

Ex 20-23)


 — Nous regroupons au début du Lévitique l'introduction générale sur l'importance de la Thora pour les juifs et les chrétiens. Disons seulement ici, pour éclairer le parallèle avec la Loi évangélique (Mt 5-7, etc.), qu'il faut éviter les deux excès: soit de faire de la pratique de la Loi un absolu se suffisant à soi-même — erreur des pharisiens durement dénoncée par tout le N.T. — soit de la rabaisser au contraire comme si nous étions désormais au-dessus de ça. Le Christ n'est pas venu diminuer les exigences de la Loi, mais les accroître en même temps qu'il nous donnait de quoi y répondre: « non pas abolir mais parachever ». Et malheur à qui ose prétendre en supprimer un iota : il ne mérite que mépris (// Mt 5,17-20).

La première condition pour une juste estimation de la Loi mosaïque est de n'en pas faire une caricature. Pour l'éviter, commencer par la lire attentivement, telle qu'elle se présente elle-même dans le texte divinement inspiré.

Ex 20,2Je suis Yahvé ton Dieu : Énoncé de l'engagement qui constitue l'Alliance, côté Dieu. Côté homme, c'est: tu seras mon peuple, mon bien propre (Ex 19,5*). La Loi est seulement l'énoncé plus détaillé de ce qu'implique cette appartenance. Elle doit donc être constamment proposée sur ce fond d'Alliance. L'Alliance éclaire, entraîne, exalte et réjouit toute la pratique de la Loi.

D. barsotti: Op. cit. (p. 176-177): L'homme, à présent, connaît vraiment Dieu: il possède dans la Loi le moyen par où le rapport s'établit. De là l'importance que la Loi a toujours eue dans la vie religieuse d'Israël. Dans les religions autres que l'hébraïsme et le christianisme, la vie religieuse n'implique pas, de soi, une éthique... Dans l'hébraïsme, l'Alliance personnelle avec Dieu comporte l'accomplissement de sa volonté, qui est une volonté sainte. Par là-même, l'homme se sent protégé; il se sent, en quelque manière, garanti par la Loi. Autre rédaction du Décalogue: Dt 5.

Ex 20,5Un Dieu jaloux: Origène: Hom 8 sur l'Ex (SC 16p. 197-204): Si l'âme est unie à son époux légitime, à cet époux dont parle Paul quand il dit : « J'ai décidé de vous présenter au Christ comme une vierge pure à son unique époux », et dont il est écrit dans l'Évangile qu'un roi fit les noces de son fils — si l'âme, donc, se donne aux noces de cet époux et contracte avec lui un mariage légitime, même si elle était auparavant pécheresse, même si elle était prostituée, à partir de ce moment où elle se donne à cet époux il ne tolère plus qu'elle se livre au péché. Il ne peut supporter qu'une âme qui l'a pris pour époux se commette avec les adultères: la jalousie de l'époux s'enflamme, et défend la sainteté du mariage ... Donc si ce Dieu jaloux attend et désire que ton âme s'attache à lui, s'il te corrige, s'il te châtie, s'il s'indigne, s'il se fâche et te manifeste une sorte de jalousie, sache que tu as l'espérance du salut.

... Et par suite, quand le Seigneur nous corrige, nous ne devons pas être ingrats. C'est pourquoi le saint Homme Job recevait sans hésitation tous ses tourments, et disait: «Si nous acceptons de la main de Dieu les biens, ne devons-nous pas aussi accepter les maux? Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris; il arrive ce qui plaît au Seigneur: que le nom du Seigneur soit béni! » Et à ceux qui l'aiment, sa fidélité rend mille et mille fois.

Ex 20,3-11 — Dans le Décalogue, les trois premiers commandements non seulement viennent en tête, mais sont à la fois plus solennels et plus développés, pour marquer leur importance fondamentale. Encore, le second et le troisième commandement ne sont-ils que la conséquence du premier.

Tu n'auras pas d'autres dieux: Cf Ex 22,19 // 1Co 10,21 — barsotti: Op. cit. (p. 184): L'unité de Dieu exclut pour l'homme l'idolâtrie, et ce terme d'idolâtrie ne signifie pas, comme on le pense communément, l'exclusion de tout polythéisme, mais l'exclusion de toute division intérieure de l'homme: l'homme devient un comme Dieu est Un. Toute la vie humaine s'unifie dans l'adoration de l'Unique...: « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de tout ton esprit » (Dt 6,5). D. Barsotti a développé ce fondement de toute la spiritualité biblique dans: Il Signore è Uno (Ed. Morcelliana, Brescia 1965), traduit en français par E. de Solms, sous le titre: Dieu est Dieu (Téqui 1980).

Ex 20,7Tu ne prononceras pas en vain le nom de Yahvé... pour le mensonge: La gravité du faux serment ou même seulement de jurer 'en vain', est souvent mal comprise. C'est qu'on oublie le poids du 'Nom', de la faculté de nommer en général, et tout particulièrement Dieu (Gn 2,19*; Ex 3,14-15*). Si, comme le dit fort bien notre langue, nommer quelqu'un c'est l'appeler, quel mépris (même s'il est inconscient, mais défait) que d'évoquer le Dieu Réel et Vrai, l'Absolu de tout, à la légère ou, pire, pour couvrir un mensonge !

Ex 20,8-11 // Ex 31,12-14Une chose sacrée... Qui travaillera... son âme sera retranchée du milieu de mon peuple: Ce n'est donc pas excessif d'avoir traduit: sous peine de mort (de péché 'mortel'). Commandement, pourtant non pas pesant mais désirable, pour donner au chrétien le temps de célébrer la résurrection de son Sauveur, qui devrait faire sa plus profondejoie ! — Cf Gn 2,1-3*; Ex 31,12-17*; Nb 15,32-36*; Dt 5,12-15 et leurs // .

Ex 20,12-17 — D. Barsotti: Meditazione sull’Esodo (p. 187-188): Dans la législation mosaïque, le rapport de l'Israélite avec son prochain est mentionné après le rapport de l'homme avec Dieu. C'est le rapport de l'homme à Dieu qui fonde une législation et établit le rapport d'homme à homme; si bien que le rapport de l'homme avec l'homme n'est plus sur le plan de la justice humaine et ne se borne pas à rendre possible la vie commune entre les hommes ... Tout rapport social devient pour l'homme une manière de culte, une manière de vivre son rapport avec le Seigneur. Toute la vie est sanctifiée, tout est sacré, rien n'est profane. Dans la législation mosaïque, rien ne reste simplement sur le plan de l'éthique — cela, grâce à ces premières paroles qui introduisent la Loi, grâce à ces premiers commandements qui concernent le rapport de l'homme avec Dieu: rapport fondamental, premier, absolu.

// Rm 13,9-10 Mt 19,16-22 — En déclarant que la charité accomplit tout cela, le N.T., bien loin d'abolir, suggère de porter ces commandements à leur comble, avec la générosité de l'Amour infini qui vient de Dieu.

Ex 20,12 — Sur le 4° commandement, cf. Lv 19,3* et Dt 21,18-21 *, avec leurs //. Honorer: honneur d'ailleurs réciproque, incluant pour les enfants un devoir d'assistance à leurs parents devenus âgés (Si 3,1-16). Jésus a violemment dénoncé les belles excuses qu'on en trouve (Mc 7,10-13).

Ex 20,13 cf. Ex 21,12-14 // Mt 5,21-26 — Bel exemple de surenchère évangélique.

Ex 20,14Jn 8,3-7 (Jésus et la femme adultère) se trouve en // à Dt 16*.

Ex 20,15 — Voleurs exclus du Royaume de Dieu, en 1Co 6,10, en même temps que les impudiques, les cupides etc... S'il faut respecter les biens des autres, a fortiori leur liberté. Aussi, comme le précise d'ailleurs Ex 21,16, la tradition juive a reconnu ici l'interdiction de réduire un homme en esclavage, de quelque façon que ce soit.

Ex 20,16 — Cf 23,1-3.

Ex 20,17 — D. Barsotti : Op. cit. (p. 187) : Israël a connu l'intériorité de la Loi, qui n'exige pas seulement l'acte extérieur. Le Dieu qui te demande quelque chose est un Dieu qui t'aime et t'a choisi. C'est donc l'amour qui inspire le commandement divin. Et non seulement l'amour inspire le commandement, mais il te porte à l'amour, parce qu'il te porte à l'union avec Dieu. La Loi veut transformer ton coeur. C'est pourquoi les commandements divins, après avoir établi les conditions de notre rapport avec Dieu et de nos rapports avec le prochain, prescrivent aussi une attitude intérieure, exigent une adhésion intime à la divine volonté: Non concupisces — Tu ne convoiteras pas (Dt 5,21).

Aucune loi humaine ne peut aller aussi loin, aucune loi humaine ne peut atteindre l'homme intérieur. Ce n'est pas seulement le Sermon sur la Montagne, qui situe la racine de la morale dans l'intime du coeur: la législation mosaïque disait déjà: « Tu ne convoiteras pas ». C'est le dernier commandement de la Loi mosaïque; et d'autre part, toute cette législation sera ensuite résumée dans les paroles lapidaires du Deutéronome: « Tu aimeras ». Ce que le Seigneur te demande, c'est ce don total: faire de toute la vie une offrande, un sacrifice d'amour.

Ex 20,18-21 — Cf 19,3* // Ap 21,10 — Symbole correspondant pour la Nouvelle Alliance, suivant le // d'He 12,22 / Ke, avec cet avantage qu'il nous est donné cette fois « d'avoir accès à la Cité du Dieu vivant », parce que l'Incarnation a permis à la Cité sainte de 'descendre'jusqu'à nous.

// Jn 12,31 — Ici encore, ce qui était seulement postulé par l'Ancienne Alliance : « que vous ne péchiez pas », se trouve garanti par la Nouvelle.

Ex 20,21, Grégoire de nysse : Vie de Moïse (pg 44,376) : Que veut donc dire cette entrée de Moïse dans la ténèbre, et comment y voit-il Dieu? Cette description semble contredire quelque peu la première théophanie: Dieu est-il donc tantôt dans la lumière et tantôt dans l'obscurité? Gardons-nous bien de penser que cet épisode s'écarte de l'enchaînement des sens anagogiques que nous contemplons. Le Logos nous apprend ici que la connaissance portée par la piété est d'abord lumière pour ceux qui la reçoivent — car dans notre esprit, ce qui est contraire à la piété est ténébreux, et l'on ne peut chasser les ténèbres sans participer à la lumière; mais quand l'esprit avance, et par une application toujours meilleure et plus parfaite, arrive à l intelligence de la contemplation de l'Être, il voit de plus en plus, à mesure qu'il approche, que la nature divine est invisible.

Laissant en effet tout ce qui est phénomène, non seulement ce que perçoit le sens, mais même tout ce que l'intelligence paraît saisir, il pénètre toujours plus avant jusqu'à ce qu'il s'insinue, par l'exigence impérieuse de son âme, dans l'invisible et l’insaisissable : là, il voit Dieu.

Car en ceci consiste la vraie vision de Celui qu'il cherche — et en ceci consiste le Voir: dans le Non- Voir.

Car ce qu'il cherche dépasse toute vision, pour ainsi dire intercepté de tous côtés par son incompréhensibilité, comme par une ténèbre. (Suite de ce commentaire mystique : Ex 33,18 ss).

Ex 20,22 à 23,31 — Prolongeant le Décalogue, ce premier code conjugue déjà droit civil et pénal (21,1-22,20), prescriptions liturgiques et rituelles (20,22-26; 22,28-31; 23,10-19) et morale sociale (22,21-27; 23,1-9). Voir l'Introduction au Lévitique et, pour la répartition des lois entre Ex Lv Nb et Dt, voir le Tableau m à la fin du Ie volume.

Ex 20,24-25 // Mt 23,18 — L'autel est sacré, parce qu'il est le lieu où se rencontrent Dieu et l'Homme. L'offrande elle-même ne sera consacrée que par ce contact. En outre, se trouve ici préférée pour le culte, la pierre brute plutôt que taillée. Davantage qu'un rejet de l'art — puisque Dieu y fera au contraire appel pour la construction du Tabernacle (Ex 25 ss) — n'y aurait-il pas là choix d'un art sacré suivant la nature, tenant compte de la qualité du matériau, l'homme mettant son intelligence à mettre en valeur les virtualités de la création (« homo additus naturae »), et non pas rivalisant par sa virtuosité avec la création?

Ex 21,1-14 — D'où les villes-refuges: cf. Nb Nb 35
Ex 22,20-25 Ex 23,1-8 et // — Souci des faibles et des pauvres qui est une constante de la loi mosaïque et a fortiori de l'Évangile. Cf. Dt 24,6-22 et // , ainsi que les références données en marge du texte.

Ex 23,14-16 // Mc 14,12 et Lc 22,15 — Ainsi le Christ observe-t-il lui-même la Loi, mais en lui ouvrant des perspectives éternelles.

Ex 23,20-26 — Conclusion de ce premier Code de l'Alliance (qui sera repris et développé en Lv et Dt).

Ex 23,20-23Mon ange : Il semble bien que ce ne soit pas ici ‘l'Ange de Yahvé', s'identifiant à Lui (Gn 16,7*). On pourrait l'entendre des anges protecteurs du Ps 34,8 ou 91,11, et de l'archange Raphaël du Livre de Tobie. Cf. déjà Gn 24,7 et Nb 20,16. De cette promesse, jointe à la parole du Christ sur « les anges de ces petits » qu'il faut également se garder de mépriser (Mt 18,10 — à comparer avec le Respecte-le et écoute sa voix d'Ex 23,21), est née la dévotion aux Anges gardiens.

Mais en un autre sens, l'ange qui introduit en Terre promise évoque mieux encore le Christ lui-même, notre ’précurseur' (He 6,20).

// Ml 3,1-2 fait état de cette suite d'anges ou de précurseurs, tous ’envoyés' du Père. Il y a d'abord un 'ange' chargé d'aplanir la voie devant « le Seigneur que nous cherchons ». L'Évangile lui-même nous dit que ce premier ’ange' est Jean-Baptiste (Mc 1,2-3). Mais le Seigneur que nous cherchons est à son tour appelé ’l'Ange de l'Alliance'. C'est Lui, nous explique Rupert de Deutz, qui est annoncé en Ex 23,20-21 (Op. cit. PL 167,187): Le texte de l'Exode marque la différence quand Dieu dit: « Mon Nom est en lui ». Il ne dit pas « Mon Nom est sur lui », ce qui peut s'appliquer au moindre des élus, mais « Mon Nom est en lui », ce qui veut dire: suivant la nature divine, il s'appelle du même nom que moi; car il est appelé — et il est — comme je le suis : Dieu, Seigneur, Tout-Puissant, Invisible, Incréé, Immense, Éternel, et tout ce qui s'attribue à la nature divine. La seule différence de nom est que relativement à lui je suis Père, et que relativement à moi il est Fils. Je l'enverrai donc « devant toi » pour l'ouvrir les portes de justice et t'introduire au lieu que j'ai préparé. Révère-le: car il ne parle pas de lui-même — il fait mes oeuvres. Et écoute sa voix: car ces deux témoins, sa parole et ses oeuvres, diront qu'il vient au nom du Père. Ne le tiens pas pour méprisable du fait de sa nature humaine.

Ex 23,23-31 — Ce sont déjà les bénédictions (ou malédictions) de l'Alliance, suivant qu'Israël sera fidèle ou non. On les retrouvera, seulement plus développées, en Lv 26* et Dt 28.

Je les exterminerai: cf. Ex 17,14*. Les // Lv 18,2-5 et Sg 12,3-4 donnent les causes qui ont finalement condamné les anciennes peuplades cananéennes, épargnées par Dieu pendant les 4 siècles d'exil d'Israël en Egypte, pour leur laisser le temps de s'amender (Gn 15,16*). Ce que la Sagesse nous apprend à reconnaître dans la Providence divine, c'est un modèle de longanimité (// Sg 12,8 Sg 12,16-20).

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Ratification de l'alliance

Ex 24)


 — Pour un testament, suffit la décision du testateur. Mais un traité ou un contrat doivent être mutuels. Si l'Alliance n'est rien d'autre que le libre amour de Dieu s'offrant au libre amour des hommes (Gn 9,9-10*), à l'engagement de Dieu (« Je serai votre Dieu ») doit répondre un engagement du peuple élu, à l'Alliance, donc à sa Loi (« et vous serez mon peuple ). Alliance matrimoniale, comme nous le rappelle fort justement rupert de deutz (Op. cit. PL 167,691): Qu'est-ce donc que cette conclusion de l'Alliance, sinon l'acceptation de l'acte, conformément aux promesses du testateur: à savoir qu'il serait leur Dieu et qu'eux seraient son peuple suivant toutes les clauses d'une Alliance matrimoniale? Rapportons-nous à ce que dit Ezéchiel: « Passant auprès de toi, je fis alliance avec toi »... etc (Ez 16). En ce cinquantième jour, cette femme, la Synagogue, qui s'était multipliée en Egypte, épousa donc le Dieu unique et reçut toutes les parures de la justice, que le prophète énumère avec les noms d'ornements variés.

Cette ratification de l'Alliance sera répétée solennellement, une fois réalisée la Promesse faite par Dieu dès Abraham, de donner une Terre (Dt 27 // Jos 24). Mais on en trouve tout l'essentiel dès le Sinaï, en ce ch. 24 de l'Exode.

D. Barsotti: Meditazione sull'Esodo (198-204): L'acte de ce rite qui doit ratifier l'Alliance entre Dieu et le peuple est parmi les plus sacrés de toute l'histoire d'Israël. Il commence par la lecture de la Loi et se continue dans l'aspersion du sang — comme la messe, qui commence par la lecture de la parole de Dieu et se continue par l'action sacrificielle. D'abord la divine volonté est signifiée aux hommes, puis la victime est immolée. Le rite qui ratifie /'Alliance du Sinaï est une annonce de la Nouvelle Alliance, comme le dira l'Épître aux Hébreux (// He 9,18-22, et 13-14). Sous l'Ancienne Alliance, le rite symbolique de l'aspersion du sang veut signifier l'unité d'Israël avec Dieu: le même sang qui baigne l'autel — autel qui représente Dieu, qui est le signe de la divine présence — baigne aussi le peuple d'Israël. Un même sang qui baigne tous les ayant cause, démontre leur unité, déclare l'unité de la race. Il n'est pas de liens plus forts que ceux du sang. Dans ce même sang, qui est le sang de Dieu et le sang de l'homme — aspersion de l'autel et aspersion sur Israël — une parenté se crée, une union, une Alliance entre Dieu lui-même et Israël.

Mais ce sang est-il vraiment le sang de Dieu et de l'homme? C'est comme s'il l'était; c'est seulement un signe lointain, une évocation, une figure et une prophétie. L'on ne pouvait en rester à cette parabole, à cette image de la communion avec le Seigneur: aujourd'hui, le sang qui nous unit est vraiment un sang divin; le sang répandu est le sang d'un Dieu, et maintenant il circule dans nos veines. Par la communion eucharistique nous sommes devenus «concorporés », «consanguins » avec Dieu, comme le dit saint Cyrille de Jérusalem. La victime immolée, l'humanité assumée par le Verbe, appartient à Dieu et à nous, devient le lien qui unit les deux termes; le sang d'un Dieu est aussi le nôtre, nous sommes de la famille de Dieu, nous participons de sa vie.

Dans l'Ancienne Alliance, le rite du sang annonce cette communion ; dans la Nouvelle, il est cette communion même.

Ex 24,4-7Moïse écrivit... Il prit le Livre de l'Alliance : Ainsi, en tout contrat, ne suffit-il pas d'un acquiescement oral: il faut qu'en demeure la signature. La Tradition orale, prescrite dès Ex 10,1-3*, doit se fixer dans 'les écritures'. L'écrit se trouve attribué par la suite, soit directement à Dieu (Ex 24,12*; 31,18), soit à Moïse (Ex 24,4 Ex 34,28). Ainsi les exégètes peuvent-ils être plus ou moins attentifs à l'auteur humain; mais en définitive, c'est à Dieu qu'il faut remonter, puisque Moïse lui-même ne se reconnaît que comme mandaté par Yahvé (Ex 3-4).

Ex 24,9-11 — La conclusion d'une alliance par un repas de communion est sans doute l'un des rites les plus naturels et universels. On en trouve l'exemple dès la Gn 26,26-31 *; 31,54*. Ce qui est inouï, et la meilleure preuve de la réalité comme de l'excellence de l'Alliance du Sinaï, c'est qu'une pareille communion s'établisse entre les hommes et Dieu !

Rupert de Deutz : Op. cit. (PL 167,693) : Ils virent le Dieu d'Israël, mais pas « tel qu'il est » ; cette vision est la figure de la vision du ciel, où nous verrons Dieu tel qu'il est (1Jn 3). « Ils mangèrent et burent »: dans la vision céleste, nous mangerons et boirons, car nous serons enivrés de cette vision même, comme le dit le psalmiste: «Je me rassasierai quand ta Gloire apparaîtra » (Ps 17,15), et « Ils seront enivrés des biens de ta maison, tu les abreuveras au torrent de ta félicité » (Ps 36,9).

// Ez 1,4-5 Ez 1,26 Ils virent Dieu... Je vis: Ce qui est frappant, c'est la similitude des deux visions de Dieu: C'était comme une pierre de saphir... sous les pieds du Dieu d'Israël qui a donc l'aspect d'un homme, trônant. Sur ce qu'il y a de profondément signifiant dans cet anthropomorphisme, cf. L. bouyer, reproduit en Gn 18,1-15*.

Mais plus généralement, il y a ici — que ce soit en Exode ou en Ézéchiel — une complémentarité entre les deux versants de l'union à Dieu: dans l'obscurité de la Nuée ou Shekinah (Ex 12,21-23*) et dans la rayonnante Gloire de Dieu, dont Ézéchiel nous rapporte la plus haute vision de l'Ancien Testament, en son incandescente parabole de la ’Merkabah' (le char des chérubins, aux roues éclatantes). Le mystère de Dieu ne nous est accessible qu'à travers le mystère pascal de mort et de glorification :

l. bouyer: La Bible et l'Évangile (p. 155-157): Cette mystique doit nous apparaître comme dominée par ces deux idées-images de la Schekinah et de la Merkabah. Par sa Schekinah, Yahvé descend jusqu'à Israël, il habite sous la tente avec lui dans son pèlerinage terrestre, il se manifeste à lui autant qu'il se peut à l'homme encore retenu par la terre. Sur la Merkabah des Chérubins, Yahvé, cependant, reste libre de tout lien terrestre: il vole au-delà des plus hauts cieux. Mais l'espoir ultime est qu'il appelle à le rejoindre, emporté au ciel par les cavaliers de feu, celui auquel il a condescendu à laisser voir ici-bas quelque chose de lui-même dans la nuée lumineuse de sa Schekinah.

Le grand psaume 18e, le psaume par excellence des théophanies, nous préparait déjà à l'union de ces deux thèmes. La Schekinah y vole sur la Merkabah. Et elle ne descend à l'homme que pour le saisir et l'arracher aux conflits de la terre :

Il étendit la main d'en haut, il me saisit,

il me retira des grandes eaux.

Il me délivra de mon ennemi puissant,

de ceux qui me haïssent, alors qu ils étaient plus forts que moi...

De même, Hénoch, Elie, les amis de Dieu, sont cherchés en ce monde par la Présence qui, après avoir « marché avec eux » dans sa Schekinah, le temps de se faire assez connaître à eux dans ce lieu d'exil, les ravit dans le sillage des Chérubins jusqu'à la Présence supra-céleste. Pénétrés eux-mêmes du feu divin, ils reconnaîtront alors la Face divine, le divin visage dont ils portaient en eux l'obscure ressemblance. Ceci nous fait comprendre combien l'Épître aux Hébreux est fidèle à l'esprit de la tradition juive quand elle présente toute la pérégrination du peuple à travers le désert comme une quête du paradis perdu, ou mieux de la cité céleste où l'homme habite avec Dieu pour toujours, cependant qu'elle voit l'achèvement de l'oeuvre du Christ dans son Ascension comme notre Précurseur jusqu'au sanctuaire du ciel. Saint Paul lui-même (les Pères l'ont bien vu), « ravi au paradis » (2Co 12,4), n'est-il pas le digne successeur des Moïse et des Élie? Comment, d'autre part, formule-t-il pour les Thessaloniciens l espérance chrétienne? « Nous serons ravis sur les nuées à la rencontre du Seigneur dans les airs, et ainsi nous serons pour toujours avec le Seigneur » (2 Th 2Th 4,17). Dès maintenant, pour lui, par la foi, « nous sommes assis dans les lieux célestes en Jésus-Christ » (Ep 2,6).

Nous avons pu dire que le thème johannique de l'incarnation était la dernière révélation de la Schekinah. Le thème non moins essentiel au IVe évangile de l'ascension de Jésus vers le Père par sa croix, de son départ pour nous préparer une place, est l'accomplissement et comme l'exaucement de cette mystique de la Merkabah qui aimantera le suprême espoir d'Israël, qui soulèvera la vision des Apocalypses presque contemporaines de l'Évangile.

Remarquons un dernier trait. Dans toutes ces visions divines, un même mot est revenu à propos de la Présence qui s'y livre. Dieu « passe » auprès d'Abraham, il «passe » devant Moïse, il «passe » devant Elie. Pareillement les chevaux de feu entraînent Élie loin d'Elisée vers le Dieu qui ne demeure dans aucune maison faite de main d'homme. Rappelons-nous aussi que l'acte créateur du peuple d'Israël, l'intervention rédemptrice, avait été la Pâque, c'est-à-dire encore le «passage» de Yahvé en Egypte, entraînant aussitôt « l'exode » d'Israël. Enfin, sur la montagne de la Transfiguration, d'après saint Luc, Jésus s'entretenait avec Moïse et Élie « de son exode qu'il devait accomplir à Jérusalem » (Lc 9,31).

C'est peut-être le trait le plus profond et le plus distinctif de cette mystique d'Israël. Rien de moins statique. La Présence divine, elle-même, y est l'insaisissable par excellence. La Merkabah d'Ézêchiel est bien son symbole: Dieu, à proprement parler, n'est pas plus « au ciel », comme en un lieu surnaturel, qu'en aucun lieu de la terre. Il est la liberté même. Les Esprits cosmiques dont il fait son trône sont des coursiers et des roues de feu: ce trône est un char qui se meut sans cesse, quand même il semble immobile. Aussi le nomadisme est-il, par rapport à la terre où tout est fixé, figé dans la mort, la condition nécessaire des siens. «Nous n'avons pas ici-bas de cité permanente », dira encore l'Épure aux Hébreux, « mais nous cherchons celle qui vient » ... Loin que l'incarnation, comprise selon l'Écriture, doive installer Dieu sur la terre, elle ne l'y fait descendre que pour nous entraîner à sa suite, le voyant « de dos » comme Moïse, dans une ascension où, selon le mot magnifique de Grégoire de Nysse dans son Commentaire du Cantique; « à celui qui se lève vraiment, il faudra toujours se lever; à celui qui court vers le Seigneur, il ne manquera jamais un vaste espace. Ainsi celui qui monte ne s'arrête jamais, allant de commencement en commencement par des commencements qui n'ont jamais de fin ».

Ex 24,12-18 — Comme par un balancement concerté, retour à la mystique de la Nuée obscure. La transcendance et l'initiative de Dieu sont aussi plus marquées, du fait que Lui-même est dit écrire les Tables de la Loi. Mais cette Nuée n'est pas tellement obscure que flamboyante (v. 17). Un autre signe aussi, c'est que Dieu appelle Moïse au septième jour, donc en son sabbat, en son Repos éternel (cf. Aelred de Rielvaux, en Ex 33,12-17*). C'est un // de plus avec l'entrée de l'humanité du Christ, Nouveau Moïse, dans sa propre gloire divine de la Transfiguration, elle-même anticipation de sa glorieuse Ascension (// Mt 17 et Ac 1,9). Même correspondance entre l'annonce par Moïse du ’Prophète' avenir, qu'il faudra écouter (Dt 18,15-19) et l'investiture du Christ à la Transfiguration: «Écoutez-le » (// Mt Mt 17,5).

Ex 24,18Quarante jours et quarante nuits : Cf Ex 34,28 *.



Bible chrétienne Pentat. 2300