Bible chrétienne Pentat. 2320

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2. LA TENTE DE LA RENCONTRE

Ex 25-31)

D. Barsotti: Meditazione sull'Esodo (p. 211 -212) : Après le premier péché, l'homme est banni de la face de Dieu. Le culte prescrit à Moïse ramène chaque jour et pour toujours l'homme et tout le peuple de Dieu devant la face du Seigneur.

Dieu descend au milieu des hommes dans sa Demeure du Temple, dans le sancta sanctorum où l'homme sait pouvoir le trouver. L'homme peut vivre en présence de Dieu, il peut communiquer avec lui. L'Alliance n'est pas seulement un acte qui surmonte le péché, qui annule une division: elle est vraiment le commencement d'une nouvelle communion d'amour, d'une nouvelle communauté de vie entre Dieu et l'homme; et la communauté de vie s'exprime précisément dans le culte... Le culte, c'est vraiment l'Alliance vécue. L'Alliance conclue avec Dieu trouve son expression vitale dans ce nouveau culte qui réalise une présence de Dieu aux hommes et une présence des hommes à Dieu.

Origène: Hom 9 sur l’Ex (SC 16,205-209): Si quelqu'un comprend dignement la sortie d'Egypte, le passage de la Mer Rouge, et encore tout ce long chemin du désert, et encore chacun des déplacements du camp — s'il reçoit aussi la Loi de Dieu, écrite non avec de l'encre mais par l'Esprit du Dieu Vivant (2Co 3,3) — si quelqu'un, dis-je, de progrès en progrès, accomplit en esprit chacune des étapes et obtient l'accroissement de vertus qu'elles comportent, celui-là pourra ensuite parvenir à la vision et à l'intelligence du Tabernacle. Ce Tabernacle, les Ecritures divines en font mémoire dans bien des passages, et elles semblent vouloir signaler certaines réalités que l'homme est à peine capable d'entendre.

Sur l'intelligence de ce Tabernacle, l'Apôtre Paul nous offre certains aperçus d'une science divine; mais, je ne sais pourquoi, ayant égard sans doute à la fragilité des auditeurs, il ferme en quelque sorte cela même qu'il ouvre. Il écrit en effet aux Hébreux (Origène cite ici He 9,1-5 /Kw). Mais ensuite l'Apôtre ajoute: « Ce n'est pas le moment de parler de tout cela en détail ». Certains pensent que « ce n'est pas le moment » se rapporte à l'époque où l'Apôtre écrit aux Hébreux; d'autres croient que, devant la grandeur du mystère, le temps de la vie présente, à supposer qu'on l'y consacre tout entier, lui semble mal adapté pour exposer ces choses sublimes. Cependant l'Apôtre ne nous laisse pas entièrement frustrés : à son habitude, il nous ouvre quelques échappées sur cette vue grandiose, de manière que celle-ci reste fermée aux négligents, mais se laisse trouver par qui cherche, et s'ouvre à qui frappe. Il revient donc au Tabernacle, et dit: « Ce n'est pas dans un sanctuaire fait de main d'homme sur le modèle du vrai, que Jésus est entré: il est entré dans le ciel même, à travers le voile qui signifiait sa propre chair, pour se présenter devant la face de Dieu ». Il interprète donc que le voile du Tabernacle intérieur est la chair du Christ, que le sanctuaire est le ciel même — ou les cieux — que le Christ Seigneur est le Pontife; et il dit que celui-ci est entré une fois dans le sanctuaire parce que l'éternelle rédemption était trouvée. À partir de ce peu de mots, si quelqu'un pénètre le sens de saint Paul, il peut voir quel océan d'intelligence l'Apôtre nous a ouvert...

Voyons si parmi les saints antiques quelques-uns n'ont pas eu, au sujet des Tabernacles, une pensée analogue. Ecoute David, prophète éminent: avec quelle profondeur il parle du Tabernacle ! «Alors qu'on me dit chaque jour: Où est-il, ton Dieu? Je me souviens — mon âme en moi se fond : Oui, j'entrerai dans ce lieu du Tabernacle admirable, jusqu'à la Maison de Dieu » (Ps 42,5). Et dans le Psaume 15: « Seigneur, qui habitera sous ton tabernacle? Qui se reposera sur ta montagne sainte? Celui qui vit sans tache, celui qui accomplit la justice », etc. Qu'est-ce donc que ce lieu du tabernacle admirable d'où l'on parvient jusqu'à la Maison de Dieu? Cette Maison dont il lui suffit de se souvenir pour se fondre en un intolérable désir? Peut-on croire que le Tabernacle fait de peaux, de courtines et de fourrures, et autres matériaux, éveillait chez le prophète un désir tel que tout son esprit en était bouleversé, et que son âme s'écoulait? Et comment alors dire de ce Tabernacle que seul y habite « l'homme aux mains innocentes, au coeur pur » ? Car l'histoire des Rois raconte (1R 2) que des prêtres détestables habitèrent dans le Temple de Dieu, que l'Arche d'Alliance elle-même fut prise par des étrangers et retenue chez des impies et des profanateurs. On peut en conclure que le prophète a tout autre chose en vue quand il parle de ce Tabernacle où habite seulement l'homme aux mains innocentes, au coeur pur (Ps 24,4), qui n'a pas fait de mal à son prochain et n'a pas accepté d'outrage contre lui (Ps 15,5). Un tel homme doit habiter le Tabernacle qui est oeuvre divine, et non humaine.

Mais prenons l'Évangile, pour voir si l'on y parle de tabernacles : une parole du Seigneur lèverait tous les doutes. Nous trouvons donc que le Sauveur Jésus-Christ lui-même a mentionné non pas un tabernacle mais plusieurs, et qui ne sont pas temporels, mais éternels ; car il a dit : « Faites-vous des amis avec le Mammon d'iniquité: quand vous succomberez, ils vous recevront dans les tabernacles éternels » (Lc 16,9). Tu viens d'entendre le Seigneur annonçant qu'il y a des tabernacles éternels; maintenant, l'Apôtre: « Nous désirons revêtir notre tabernacle qui est du ciel » (2Co 5,2). Tout ceci ne t'ouvre-t-il pas une voie pour abandonner la terre, suivre le sens du prophète et de l'Apôtre — suivre, qui plus est, la parole du Christ — monter au ciel, de tout ton esprit et de toute ton âme, et y chercher la magnificence de ce tabernacle éternel dont Moïse a esquissé la figure sur la terre? Car le Seigneur lui a dit expressément: «Regarde, et fais toutes choses d'après l'exemplaire qui te fut montré sur la montagne ».

EPHREM : Hymne des Azymes (Lamy I, 592)

Au Saint des Saints reposaient toutes les figures,

attendant Celui qui tout accomplit. Elles virent, ces figures, l'Agneau de vérité:

ouvrirent les portes du Temple, sortirent au-devant de lui.

En lui toutes s'insérèrent, et demeurèrent, car toutes, partout, l'annonçaient. En lui s'accomplirent les signes et les types, et lui-même, qui tout accomplit, les scella de son sceau.

Ex 25,2-8 // 1Ch 29,16 1Ch 29,18 — Que ce soit pour le Tabernacle ou le Temple de Salomon, la requête est la même : donner de bon coeur... dans la droiture du coeur... offrir spontanément. Même si l'on ne donne jamais à Dieu que ce qui est à Lui, venant de Lui (1Ch 29,16), ce n'en est pas moins un don, qui nous met nous-même en attitude d'offrande, au lieu de nous refermer sur nous-même en accaparant ce que nous avons reçu. De même en 2Co 9,7 : « Que chacun donne selon ce qu'il a décidé dans son coeur... car Dieu aime qui donne avec joie ».

Origène: Hom 9 sur l'Ex (SC 16,210-214): À peine pouvons-nous énumérer ces travaux, à peine pouvons-nous imaginer la forme des objets — qui donc pourrait suffire à expliquer les mystères qui s'y trouvent cachés? Cependant, la raison pour laquelle il faut faire le tabernacle se trouve dans le texte: le Seigneur dit à Moïse (Ex 25,8): « Fais-moi un sanctuaire; et là, je me montrerai à vous ». Dieu veut donc que nous lui fassions un sanctuaire: il promet que si nous lui faisons un sanctuaire, il se rendra visible... Faisons donc, nous aussi, un sanctuaire au Seigneur: tous ensemble édifions un seul sanctuaire. Tous ensemble nous formons une seule Église, qui est sainte, sans tache ni ride.

... Mais chacun de nous peut aussi construire en lui-même un tabernacle pour Dieu. Si, comme quelques-uns l'ont dit avant nous, le tabernacle de l'Exode contient la figure du monde entier, et si chacun de nous peut à son tour représenter l'image du monde — alors, pourquoi chacun ne pourrait-il pas réaliser en soi la forme du tabernacle? Il peut élargir ses parvis en dilatant son coeur.

Ex 25,9 // Ez 40,2-4, Ez 9,23 (/ Kr) explique comment la Nouvelle Alliance nous fait passer de la copie à la réalité elle-même.

D. Barsotti: Meditazione sull'Esodo (p. 216 ss): Quatre fois nous retrouverons une même expression: Chapitre 25,8 à propos du sanctuaire: Qu'ils me construisent un sanctuaire où j'habiterai au milieu d'eux: qu'ils le fassent conforme en tout au modèle que je te montrerai pour le tabernacle et pour tout le mobilier du culte. Puis, à propos du candélabre : Regarde, et fais-le conforme au modèle qui t'a été montré sur la montagne (25,40). Et quand il s'agit du Tabernacle: Tu construiras le Tabernacle conforme au modèle qui t'a été montré sur la montagne (26,30). Enfin, au chapitre 27,8 sur l'autel des holocaustes : Tu ne le feras pas massif, mais creux et vide à l'intérieur, comme il t'a été montré sur la montagne.

Le monde d'ici-bas imite le monde de là-haut. L'enseignement de ces chapitres implique toute une théologie: tout se réalise d'après un modèle. Cette vision exclut la conception moderne d'une originalité absolue de l'acte humain et de toute conquête humaine: le monde ne va pas vers la nouveauté absolue. L'homme va vers Dieu, l'homme doit, si l'on peut dire, réaliser Dieu même; or Dieu est, de toute éternité et pour toute l'éternité. On n'ira pas plus loin.

Et il ne suffirait pas que, seul, l'homme se réfère à Dieu: la création entière est en cause: pour le Tabernacle et tout ce qui s'y rapporte. Moïse est appelé à coopérer avec Dieu dans une nouvelle création — c'est ce qu'enseigne toute l exégèse rabbinique. En face de la première création surgit la seconde: le sanctuaire et tout ce qui le remplit: l'autel des parfums, l'arche, le propitiatoire, le candélabre, la mer d'airain — en réplique à la première création qu'ornaient le soleil, la lune, et toutes les autres créatures.

Ce n'est plus seulement l'homme qui doit se référer au modèle divin, qui doit acquérir une réalité, une consistance, une vie, par son rapport à l'Être divin duquel il reçoit tout; c'est la création entière qui doit être « comme ce qui fut montré à Moïse sur la montagne ». Tout cet univers est l'image d'un autre royaume; la vérité de chaque être est dans sa qualité d'image, de reflet.

Toute la création doit être re-portée devant le Seigneur, devant le monde divin. C'est la raison pour laquelle, au terme de ces chapitres, l'Écriture dit que le culte doit être quotidien. Il doit même être éternel, comme Dieu est éternel; mais il s'exprime dans le cycle de la semaine, avec le sabbat pour terme. Le Livre inspiré dit que Dieu a tout créé en six jours et que le septième il se reposa. L'activité humaine répète l'activité divine.

Le Tabernacle de Moïse est l'annonce de cette « Demeure » qui est le Tabernacle céleste et dont l’Apocalypse nous parle en employant les termes mêmes de l'Exode: elle nous parle d'un autel des parfums, d'un candélabre, d'un sacrifice perpétuel, et de l'Agneau égorgé qui se tient devant le trône — exactement comme Moïse avait parlé de l'autel des parfums, d'un sacrifice perpétuel qui devait s'élever devant Dieu, d'un chandelier qui devait être toujours allumé... Dans l'Apocalypse, Jésus est le chandelier, il est l'autel, il est l'Agneau immolé: éternelle oblation du Verbe qui éternellement s'offre et se donne au Père céleste; oblation du Verbe incarné dans son humanité crucifiée.

Le tabernacle de Moïse, c'est le ciel: c'est l'annonce vraie qui évoque d'abord l'économie chrétienne, puis à travers l'économie chrétienne le royaume de Dieu ... Le tabernacle que Dieu montre à Moïse est une réalité eschatologique: le tabernacle, comme le paradis, comme le Fils de l'homme, préexistent à tout le reste: ils sont la réalité en vue de laquelle tout le reste est créé.

Rupert de Deutz: Op. cit. (PL 167,698): Dieu parlait à Moïse et lui montrait les choses célestes avant qu'il ne fasse les terrestres; il lui montrait les choses spirituelles avant qu'il ne fasse les choses charnelles. Comment les lui montrait-il?par quel mode de vision? Par une vision intérieure,par une vision prophétique, « car il lui parlait face à face, comme un ami à son ami » (Ex 33). Et comment un homme parle-t-il à son ami? En ne lui cachant pas son dessein, en partageant avec lui ses secrets. Puisqu'il lui parlait comme un ami à son ami, allait-il lui cacher le fruit suprême de son amitié, c'est-à-dire le sacerdoce des temps futurs, le sacerdoce céleste du Christ son Fils? Non ! Dieu ne cacha pas à son ami que le Verbe se ferait chair; que le Christ, Dieu et Homme, devait être la propitiation pour nos péchés; que dans sa Tente — qui est l'Eglise présente — il poserait la table de son corps et de son sang; et que le Christ était lui-même le Tabernacle, était lui-même le grand candélabre, et qu'il resplendirait de tous les dons du Saint-Esprit.

Grégoire de nazianze : Oratio 45, n" 11 (Mauristes, p. 853): Tous les Livres de la Loi ne furent que l'ombre des choses futures et spirituelles, nous dit l'Apôtre. Et Dieu lui même ordonne à Moïse: « Tu feras toutes choses suivant l'exemplaire qui t'a été montré sur la montagne ». Puisque Dieu était le Législateur et Moïse son ministre, je tiens pour certain que rien ne fut prescrit ni établi qui fût inconsidéré ou indigne... même s'il nous est difficile de considérer dans le détail chacune de ces ombres.

(Nous-même coupons largement dans ces chapitres 25 à 31Consacrés à la description détaillée puis à la réalisation du Tabernacle. On trouvera au Livre du Lévitique les instructions relatives aux sacrifices et à l'investiture des prêtres).

Ex 31,7-11 // He 9 — Rupert de Deutz: Op. cit. (PL 167,715): Le tabernacle qui serait le second dans la description mais qui est le premier où l'on entre (He 9) figure l'Église présente. Là se trouve la table, et devant la table le candélabre. Dans cette Eglise en effet — ou plutôt dans ce pèlerinage de l'Église et dans son tabernacle temporel — se trouve la table du Seigneur préparée pour ceux qui peinent et luttent. Cette table offre une double réfection: le pain de proposition, qui est l'Écriture Sainte, qui restaure l'âme avec toutes les richesses de la parole de Dieu, et le pain du corps du Seigneur ainsi que le calice de son sang que le chrétien reçoit du saint autel « afin qu'il lui profite pour la vie éternelle ». Le candélabre est là aussi: le Christ qui dit « Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles » (Mt 28). Une fois, ce candélabre a montré visiblement la flamme de ses lampes, quand, déjà monté au ciel, il a manifesté en langues de feu l'Esprit Saint dont il allait éclairer les Apôtres (Ac 2).

En somme, à partir du modèle éternel, céleste, vu par Moïse, évoqué par l'Apocalypse, il y a:

 — 1) Le Tabernacle du désert, puis le Temple de Jérusalem.

 — 2) L'incarnation où Dieu «plante sa tente parmi nous» (Jn 1,14). L'humanité du Christ, devient le vrai Temple. Même détruit par les hommes, il est rebâti (ressuscité) à jamais (Jn 2,19-22).

 — 3) Cette Présence réelle de Dieu parmi les hommes se prolonge dans l'eucharistie. En appelant ’tabernacle' le lieu où sont gardées les hosties consacrées, les chrétiens affirment la continuité du Plan de Dieu, de l'Exode jusqu'à eux.

 — 4) Par la communion eucharistique se forme l'Église. C'est elle désormais la vraie Demeure spirituelle de Dieu parmi les hommes. Les églises de pierre ou de béton n'en sont que le signe et le moyen.

 — 5) Chacun de nous est donc « temple de Dieu », jusque dans son corps (1Co 6,19-20). Suivant la promesse du Christ: « Mon Père et moi ferons chez lui notre demeure... Demeurez en moi comme moi en vous » (Jn 14,23 Jn 15,4). Sur tout cela, cf. J. Daniélou: Le signe du temple (Gallimard 1942).

Ex 31,1-6Pour inventer... qu’ils fassent tout ce que je t'ai ordonné: Statut de l'art sacré. L'invention, l'emploi de toutes les facultés humaines sont bien requis. Mais au service du dessein de Dieu: c'est en cela que toutes ces oeuvres pourront être dites d'un art sacré, consacré à Dieu. Ce qui peut réaliser entre la ’créativité' humaine et le dessein de Dieu une conjonction non pas extérieure et contraignante (restreignante) mais intérieure et libérante, c'est l'inspiration du génie humain par « l'esprit de Dieu », celui-là même qui présida à la première création.

Et ceci vaut de tout ’sage' (v. 6), en particulier de tout auteur des Livres de l'Écriture. L'inspiration divine, loin de restreindre ou de contraindre les capacités humaines, les exalte au suprême degré. C'est pourquoi, dans toutes les civilisations, les plus hauts chefs-d'oeuvre ont été suscités par la religion — comme l'a montré A. Malraux.

Ex 31,7La Tente de la Rencontre: On pourrait traduire aussi: Tente du Rendez-vous, Tente de la Convocation, ce qui aurait l'avantage de faire le lien avec le 'Qahal Yahvé', l'Ekklesia, l'assemblée des croyants convoqués par le Seigneur pour entendre la Parole de Dieu et lui offrir le sacrifice eucharistique. Si nous choisissons ’Rencontre', c'est pour garder l'idée d'Alliance, voire d'intimité, qui vont être mis en valeur dès 33,7-11. Cf surtout ce verset 11.

Ex 29,38-42 — Des multiples prescriptions relatives au Tabernacle, nous insérons ici seulement le sacrifice des agneaux qui, dans la ligne de la première pâque, annoncent l'Agneau de Dieu, dont le propre sang nous sauvera, une fois pour toutes (// He 9,11 à 10,18). Sur les sacrifices, cf. Lv 1-4*.

Ex 31,12-17 // Mc 2,27 — L'Évangile rapporte les controverses de Jésus 2< avec les pharisiens pour dénoncer leur interprétation matérielle, étroite, chicanière. Mais que veut dire exactement que le sabbat est fait ’dia ton anthropon' ou ’propter hominem'? On traduit d'ordinaire: « le sabbat a été fait pour l'homme, non l'homme pour le sabbat ». En réalité, l'homme a bien été fait pour le sabbat, non pas tant au sens de: pour le respecter, que pour jouir de l'éternel Repos de Dieu, symboliquement dès cette terre, puis entièrement au ciel (cf. aelred de rievaux, Ex 33,12-17*). Suivant l'Écriture, le sabbat n'est donc pas cette corvée à éviter ou à minimiser, en utilisant la sentence du Christ pour en faire bon marché... Le sabbat a été institué en faveur de l'homme, à cause de l'homme. Et malheur au travail totalitaire qui l'en prive! Cf. Gn 2,1-3*; Ex 20,8*.

jérôme: Sur Isaïe 58 (PL 24,573): La Loi ordonne de ne pas faire d oeuvres serviles le jour du sabbat, de ne pas allumer de feu, de rester en un même lieu, de faire seulement les actions qui concernent le salut de l'âme. Si nous prenons cela au pied de la lettre, il est impossible de le réaliser: qui pourrait, en effet, ne pas bouger tout un jour et toute une nuit?...

À partir donc d'un seul commandement — impossible à réaliser selon la lettre — nous sommes obligés de comprendre spirituellement les autres aussi: car autrement, nous ferions en réalité oeuvre d'esclave, et perdrions la liberté de l'âme ... Et un commandement non moins obligatoire nous enjoint de ne pas regarder en arrière, mais plutôt d'écouter avec Moïse Celui qui nous dit: « Toi, reste ici avec moi! » (Ex 34,2), et de nous asseoir avec le Seigneur près du puits de la Samaritaine, car nous sommes fatigués, nous aussi, du chemin de ce monde, et avons soif de la conversion et du salut des égarés.

Ex 31,18 // Jn 1,16-17 — Continuité du don de Dieu, dans la transcendance de la Nouvelle Alliance sur l'Ancienne.

Par le doigt de Dieu: Comme déjà les plaies d'Egypte (Ex 8,15*). Si cette image désigne l'action de l'Esprit Saint (cf Augustin, cité en Introduction aux ch. 7-10), elle est de rigueur pour le texte inspiré de l'Écriture.

Augustin: De Civitate Dei, xvi, 43 (PL 41,521-522): Pendant quarante ans, le peuple de Dieu fut conduit par Moïse à travers le désert. On appela « Tente du témoignage » le sanctuaire où Ton rendait un culte à Dieu par des sacrifices qui annonçaient l'avenir. La Loi avait été donnée sur la montagne, dans une épiphanie grandiose: par des signes visibles et des sons extraordinaires, la Divinité s'imposait comme une évidence, cinquante jours après que l'on eût célébré la Pâque... Plus tard, l'Alliance Nouvelle se révélerait: cinquante jours après l'immolation « du Christ notre Pâque », l'Esprit Saint viendrait du ciel. L'Évangile appelle l'Esprit Saint « le Doigt de Dieu » (Lc 11,20), ce qui rappelle à notre mémoire le premier fait annonçant l'attribution de ce nom à l'Esprit Saint: à savoir que les Tables de la Loi furent « écrites par le doigt de Dieu» (Ex 31,18).


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3. LE VEAU D'OR, ET L'INTERCESSION DE MOÏSE

Ex 32-34)

« Contrepoids historique et prophétique à la perfection extatique du culte » (Ex 25-40), dans laquelle cette parenthèse s'inclut (j. cazeaux : Naître en Egypte... dans « R. d'histoire et de philosophie religieuse », 1980/4, p. 407). Le Dessein éternel de Dieu se heurte au péché de l'homme, au Sinaï comme précédemment au Paradis terrestre (Gn 3).

Le Veau d'or ne prélude pas seulement à toutes les idolâtries — notamment celle d'Israël à partir de Jéroboam et des « veaux d'or » qu'il offre au peuple pour le détacher du Temple de Jérusalem (2R 12,28) — car ils cherchent seulement une image de leur Dieu; le péché serait donc plutôt, comme pour Adam et Eve, d'éluder la foi en cherchant à se fier à soi-même, dans le vain espoir de devenir le maître de son destin. Avoir Dieu sous la main, voilà ce que voudraient surtout les Israélites lorsqu'ils demandent cette idole. Ils commencent par mettre en arrière-plan, comme si elle était lointaine, l'intervention de Yahvé, qu'ils attribuent plutôt directement à Moïse (v. 1); par la suite, ils oseront même attribuer la délivrance de l'Egypte à ce Veau d'or nouvellement fondu ! Quand ils demandent « des dieux qui marchent devant nous » (v. 1), ce n'est pas à proprement parler pour se tourner vers d'autres dieux que Yahvé (cf. v. 5), mais parce que, contrairement à la prescription du Décalogue (Ex 20,3-4), ils voudraient tenir une image matérialisant cette présence de Yahvé, insaisissable comme la Colonne de Nuée. Les prophètes s'élèveront à la fois contre l'idolâtrie (// Is 46,6-7) et contre tout recours à un substitut du Seul qui sauve vraiment, de par sa Transcendance même (// Is 45,20-22).

Ex 32,6Ils offrirent des holocaustes... puis se levèrent pour jouer : terme est un euphémisme pour désigner une orgie semblable à celle des cultes cananéens, alors nous avons ici un exemple du processus de dégradation dénoncé en Rm 1,23-24: « Ils ont échangé la gloire du Dieu incorruptible contre une imitation (d'animal). C'est pourquoi Dieu les a livrés aux convoitises de leurs coeurs tendant à l'impureté, et ils ont eux-mêmes déshonoré leurs corps » (/ Qi).

Ex 32,7-14 — D. Barsotti: Op. cit. (p. 225 ss): Le sommet du chapitre trente-deuxième est la prière de Moïse qui détourne du peuple le châtiment d'une destruction complète. Si l'Alliance de Dieu se maintient, on le doit à cette prière. Dans la Genèse nous avons déjà vu Abraham intercéder pour le peuple de Sodome, mais Abraham n'est pas le médiateur : les médiateurs seraient ces cinquante hommes, ou quarante, ou vingt, que Dieu demande pour le salut de la ville. Abraham supplie, mais seule la justice de ces quelques-uns pourrait obtenir le salut de tous...

(Cette fois), tout le peuple a péché. Dieu dit: « ton peuple » (Ex 33,1); Dieu renie Israël: Ton peuple; Moïse appartient toujours au peuple d'Israël, mais Dieu non; Dieu a repris sa liberté par rapport à Israël: il reprend sa liberté pour l'extermination, la destruction, la mort — comme au jour où Jérusalem, plus tard, sera détruite. Dieu veut arracher Moïse à ce peuple renégat, faire de lui le chef d'une autre nation — Et Moïse n'accepte pas. Quelle grandeur dans ce refus !

Moïse est la figure du Messie: un homme écartelé entre le ciel et la terre. Il appartient à Dieu et à la terre: à une terre maudite et à un Dieu qui est le saint. Cette double appartenance le déchire, le brise. Abraham ne connaît pas cette tragédie, car le peuple qui naîtra de lui est à naître: Abraham est seul avec Dieu, il n'est pas déchiré: Moïse au contraire vit une tragédie: il ne peut renier Dieu, et il ne peut renier Israël. Mais ne pas renier Dieu, cela veut dire en quelque manière être avec Dieu contre Israël; et ne pas renier Israël, cela veut dire être avec Israël contre Dieu. Tel est le drame de Moïse. Moïse était pour Dieu, et il était pour Israël. N'est-ce pas comme si déjà Moïse était élevé sur la croix?

Si le prophète, annonçant le Messie comme «Serviteur de Yahvé» pensait à Moïse « serviteur de Dieu », certainement il ne voyait pas seulement en Moïse le chef d'Israël, mais le Médiateur entre Dieu et le peuple, celui qui par sa prière avait lutté contre Dieu pour obtenir la miséricorde et le pardon. Le « Serviteur souffrant », c'était au Sinaï Moïse, lorsqu innocent des péchés du peuple il ne voulut pas se désolidariser de ses frères. Peut-être le prophète vit-il dans la mort solitaire de Moïse au seuil de la Terre Promise, le prix qu'il avait dû verser à la divine justice pour la rémission du péché? Nous ne pouvons l'affirmer avec certitude, mais cette pensée ouvre des horizons.

Jésus est un avec le peuple pécheur, et il est un avec le Dieu de toute sainteté: cette union ou plutôt cette unité avec Dieu et avec les hommes le déchire et le brise: là se trouve le noeud de sa passion ... Moïse est une figure du Christ, et jamais il ne l'est autant que dans cette scène. Tous les écrits rabbiniques, et même les évangiles, voient dans le Messie un « Moïse revenu à la vie ». L'autre propreté, qu'au chapitre 18 du Deutéronome Dieu promet au peuple d'Israël, ne sera ni Élie, ni Jérémie: il ne sera nul autre que le Christ. C'est lui, le Christ, qui sera le chef du nouvel Israël ; c'est lui qui pour le nouvel Israël mourra sur la croix, déchiré par sa double appartenance.

Ex 32,10Une grande nation: Comme en Gn 12,2*. Dieu propose donc à Moïse de repartir à zéro et d'être, tel Abraham, le Père d'un autre peuple de croyants. Annonce du dramatique destin d'Israël, destitué pour son refus du Christ, au profit des nations païennes qui se convertiraient. Destitué, mais non déshérité, puisque « les dons et l'appel de Dieu sont sans repentance » (Rm 11,29).

Ex 32,11L'intercession de Moïse: C'est un de ses rôles fréquents, que ce soit en faveur de Pharaon (Ex 8,4-5 Ex 9,28-29 Ex 10,17-18), de sa soeur Miryam (Nb 12,13) ou, le plus souvent pour Israël (Ex 5,22-23 Nb 11,22 et Dt 9,25-26 Nb 14,13 Nb 16,22 Nb 21,7). Il est même devenu le type de l'intercesseur : cf. Jr 15,1 ; Ps 99,6-8 et // Ps 106,23. Mais ici nous est donné tout le développement de sa prière. Elle se développe en 4 temps :

 — 1) Ex 32,11-14 — Appel à Dieu contre lui-même: ce qu'il a commencé, Dieu pourrait-il, sans se déjuger, ne pas l'accomplir? C'est tirer argument de sa fidélité comme de sa Gloire. Puis le ‘Reviens !’ de l'espérance qui est à l'origine de tout repentir (cf. Ps Ps 85). Puis intercession des patriarches (comme nous ferions appel aux saints), et par conséquent, encore une fois, appel à la fidélité de Dieu en son Alliance (avec Abraham, puisque celle du Sinaï est en question). Déjà, pour l'essentiel, c'est gagné ! (v. 14).

 — 2) Après le rude châtiment infligé au peuple infidèle (cf. plus bas, Ex 32,15-29*), nouvelle prière: Ex 32,30-34. Moïse se solidarise avec le peuple infidèle (voir le commentaire de D. Barsotti, plus haut).

 — 3) À la seconde prière, Dieu a promis d'envoyer son ange pour conduire Israël à la Terre de la Promesse. Mais le péché demeure, donc la séparation d'avec Dieu, qui pourra tout au plus les ‘visiter’, au sens terrible de ce mot (Ex 32,34 cf. Gn 18,21*). Moïse veut maintenant obtenir que l'Alliance soit entièrement reprise, avec ses deux liens essentiels: que Dieu revienne cette fois Lui-même (v. 15), avec nous (v. 16), et que par conséquent Israël redevienne .von peuple entre tous (v. 16). Pour l'obtenir, Moïse use de sa double solidarité: d'une part avec Dieu, et il la rappelle en des termes spécialement touchants, qui sont ceux-là même repris par les prophètes (Is 41,8 Is 43,1-3). Le Christ lui-même ne saura pas mieux caractériser ses liens avec les siens: « Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent » (Jn 10,14). Dieu ne peut renier cette élection, qui doit aller jusqu'à l'union éternelle: « Je te conduirai jusqu'à mon Repos» (v. 14; cf. Ph Ph 1,6). Mais alors, Moïse maintient son autre solidarité avec Israël, déjà affirmée au risque de se perdre avec lui (32,32): moi et ton peuple.

Il a gagné, et Dieu reprend à son compte le motif invoqué par Moïse, bien qu'en inversant l'ordre des propositions : Tu as trouvé grâce à mes yeux et je te connais par ton Nom . Tout cela, bien entendu, présage l'intercession du Christ pour nous sauver de nos péchés.

 — 4) Ex 33,18-23 — Après avoir prié pour les autres et obtenu leur grâce, Moïse demande une faveur personnelle, dont nous reparlerons en son lieu.

Ex 32,15Les Tables du témoignage : témoin de l'Alliance et de sa Loi. Par la suite, ce mot de ’Témoignage' « s'entend de la Loi solennellement proclamée et intimée avec menaces et promesses, et, en particulier du Décalogue; mais au pluriel, il sert à désigner les préceptes de la Loi»

19 (podechard: Le Psautier, Fac. Cath. de Lyon 1949, i, Notes critiques, p. 100 — Cf. PC in, p. 392 et 335).

Ex 32,19-29 — Toute faute demande réparation: d'abord, faire disparaître le scandale en détruisant l'idole (v. 20); ne pas chercher d'excuses comme le fait assez piteusement Aaron (v. 21-24) à l'exemple d'Adam et Eve; mais confesser sa faute (// Dn 3) et se désolidariser du mal, pour le supprimer, quoi qu'il en coûte. Si le remède paraît dur et sanguinaire, l'Évangile sur ce point n'est pas moins radical (// Mt 10,34-39 cf. Mt Mt 18,8-9).

Rupert de Deutz: Op. cit. (PL 167,728): Elle n'est pas inattendue, cette sévérité de Moïse accusant les Juifs quand ils fabriquent un veau de mensonge ou blasphèment l'Arche de vérité qui est le Christ, suivant ce témoignage de l'Écriture: « Celui qui vous accuse, c'est Moïse, en qui vous mettez votre espoir ». Lorsqu'en effet Moïse retient Dieu, arrête sa colère, s'oppose à ce qu'il détruise le peuple, cela ne veut nullement dire qu'il manque de zèle et qu'il ne soit pas jaloux pour le Seigneur: on le voit bien au moment où il dit: « Que chacun mette l'épée au côté, et tue son frère, son ami, son proche ...

Il est beau de voir dans le coeur de Moïse la miséricorde s'alliant à la sévérité. Quand il entendit : « Descends ! Ton peuple a péché » — comme si la voix divine affirmait: le peuple qui est tombé dans un si grand péché n'est plus le mien — et quand Dieu ajouta: «Laisse-moi déchaîner contre eux ma fureur, et je ferai de toi une grande nation », Moïse fit front, pour arrêter l'impétuosité de la colère de Dieu; et revenu auprès du Seigneur il supplia: « Ou bien pardonne-leur ce péché, ou bien efface-moi du Livre que tu as écrit ». Telle est sa miséricorde. Mais auprès de la miséricorde, les supérieurs doivent aussi avoir une autorité capable de sévir par amour: à peine Moïse a-t-il une première fois obtenu le pardon, voici qu'il vient à son peuple : « Que chacun tue son frère, son ami, son proche! » Et vingt-trois mille hommes tombèrent ce jour-là ». Il intercéda pour la vie des hommes, fût-ce au prix de sa propre mort, mais il fit tomber sous le glaive la vie de quelques-uns : à l'intérieur, il brûlait du feu de l'amour; à l'extérieur il était enflammé du zèle de la sévérité. Si grande fut sa charité, que pour eux il ne craignit pas de s'offrir à la mort; et si grande sa sévérité, que devançant le châtiment divin, il les frappa lui-même du glaive. Il aima les siens au point de se sacrifier pour eux, mais il châtia les coupables — qu'il aimait — au point de les abattre, même quand Dieu pardonnait. Dans les deux cas, il est le mandataire plein de puissance, dans les deux cas il est le médiateur miraculeux: auprès du Seigneur, il gagna par ses prières la cause du peup' aupi h du peuple il gagna par le glaive la cause de Dieu.

Ex 32,22Ce peuple est enclin au Mal: Et non pas « dans le malheur » ! Ainsi l'optimisme bonasse tente de gommer la vérité révélée des suites du premier péché d'Adam, et retombe aux banalités mondaines. Moïse ne l'entend pas ainsi : « À moi quiconque est pour Yahvé ! » — Aux lévites d'hier, aux prêtres et exégètes d'aujourd'hui, la tâche pénible de dénoncer le mal, pourvu que ce soit en se solidarisant avec les pécheurs, pour les en sauver, comme fait Moïse, comme fait saint Paul :

Ex 32,30-32 // Rm 9,2-3 — Rupert de Deutz: Op. cit. (PL 167,730-31): C'est dans le même esprit que Moïse a dit: «Ou bien pardonne-leur, ou bien efface-moi de ton livre », et que l'Apôtre s'écrie: «Je souhaiterais être moi-même anathème pour mes frères ». Tous deux parlent avec la même charité, et les termes diffèrent peu ... Ces paroles sont lourdes, au-dessus de nos forces; des hommes de grande science les ont étudiées, et n'ont pu les expliquer suffisamment. Il faudrait être animé du même souffle — et à peine pourrait-on entrevoir comment un saint, qui parle avec Dieu « comme un ami », peut, sous quelque prétexte, pour quelque raison que ce soit, admettre dans son esprit l'hypothèse d'être anathème, ou d'être effacé du livre de Dieu. Et l'on ne comprend pas qu'avec un tel désistement, non seulement il n'encourt pas de coulpe ni de peine, mais au contraire mérite auprès de Dieu une plus grande grâce. Dans l'obscurité d'un si grand mystère, une petite lueur: c'est que Dieu est Amour, et que Dieu est Humilité. Quand donc un homme se tient à distance de Dieu par charité et par humilité — se jugeant plus indigne que ceux pour qui il prie — il monte d'autant plus qu'il s'abaisse, suivant une proportion admirable; il justifie autant qu'il condamne, et il s'approche de Dieu dans la mesure même où il paraît s'en éloigner. Les richesses d'une telle âme, nous les ignorons, nous autres, froids et bornés; et quand nous lisons que l'un désire être anathème, que l'autre s'offre à être effacé du livre, ou bien nous passons de telles paroles, ou bien nous les tordons en un sens appauvri, alors qu'elles furent prononcées avec tout leur poids. Mais celui que le même Esprit couvre de son ombre, a vu « en partie » quelle grande valeur a devant Dieu une telle disposition d'âme, et quels droits lui sont reconnus. Il lui semble apercevoir la Majesté redoutable se levant de son trône et s'approchant du coeur brisé, priant cet « ami » de ne pas s'éloigner, et lui disant par exemple: «Je te montrerai tout bien, et j'invoquerai le Nom du Seigneur » (Ex 33,19). Alors, l'âme bienheureuse comprend: elle use de sa force — car c'est aux seuls superbes que Dieu résiste; et quand Dieu lui dit: « Laisse-moi: que je puisse m'irriter avec ton consentement ! », elle ne l'écoute pas, elle ne consent pas, elle ne tolère pas: mais il faut que pour une fois Dieu fasse la volonté de l'homme. Merveilleusement brisée dans cet effort — comme il est dit au psaume 106 que Moïse se tint devant Dieu dans le brisement — elle est déchirée de l'ineffable brisure de l'amour, et le Très Haut ne peut supporter de voir ce sang, qu'il ne lui fasse droit.

Ex 32,33 // Dt 24,16 Ez 18 — Principe de la culpabilité personnelle, qui se voit donc reconnu dès l'Alliance du Sinaï.

Ex 33,5-11 — La réparation (32,19-29*) ne suffit pas, tant que n'est pas intervenu le pardon de Dieu. En attendant, la séparation demeure nécessaire, de par l'incompatibilité entre Dieu et le Mal: « Le mauvais ne peut habiter avec Toi, ni les injustes soutenir ton regard» (Ps 5,5-6 revoilà ’soutenir' Dieu , cf. Ex Ex 13,19-22 * ). C'est ce que signifiait, dans la discipline antique de la réconciliation, la préalable mise à part des pénitents.

Dépose tes parures : Si le vêtement et les parures sont signe de la grâce (Gn 3,21 *; 24,22*; Lv 8*), elles deviendraient pour l'homme pécheur, dépouillé de la faveur divine, comme la livrée mensongère de sa ’faute', la trompeuse richesse matérielle qui ne peut combler le manque intérieur (/ Ez 7,20).

Moïse déploya la Tente en dehors du camp : Comme précédemment avec le sommet du Sinaï, accessible au seul Moïse, cet ’entre-deux' du Camp et de la Demeure de Dieu, symbolique de l'état réel d'Israël encore non réconcilié, rend aussi manifeste le rôle médiateur de Moïse — ou du Christ.

Car s'il plante sa Tente parmi nous (// Jn 1,14), c'est hors du camp qu'il meurt, où le suivent tous ceux « qui cherchent Yahvé avec Lui » (He 13,12).

Cyrille d'alexandrie : Sur l'Ex. m (pg 69,497): Pour les antiques, Moïse fut pédagogue et médiateur, le plus saint parmi les saints, car il entendit Dieu lui dire: «Je te connais, et tu as trouvé grâce devant moi » (Ex 33,12). Mais la Loi est infirme: elle ne peut procurer parfaitement l'amitié avec Dieu: l'amitié avec Dieu, c'est par le Christ notre Médiateur que nous l'obtenons. Il est en effet « notre Paix » (Ep 2,14); en lui seul se trouve la connaissance parfaite ... Moïse est médiateur, comme une figure et une ombre, mais le Christ est le vrai Médiateur, lui à qui nous sommes incorporés. Car en toute vérité il est descendu vers nous et s'est fait homme, pour que nous devenions participants de sa divinité.

Ex 33,9-11 // Jn 2,19 et 4,21-23 — L'adoration: cf. PC m, 5,8 c* ; 38,13 a-c*). Se situer dans notre vérité, face à la Transcendance dévorante du Tout de Dieu: « Un certain respect de Dieu / Un désir de Lui / Soumission sous Lui / Repos en Lui / Secrète satisfaction d'être à Lui / Disposition intime de voir tout en Lui / Rapporter tout à Lui / Recevoir tout de Lui / Révérer ce qu'il est / Estimer ce qu'il vaut / pour toujours et en tout temps / Sinon sensiblement du moins intimement » (bossuet : Pages inédites publiées dans la « Revue Bossuet » 1905-1906, p. 244-249).

Mais en même temps, de par l'Alliance, la prière est le face à face d'un homme avec son ami, Dieu étant aussi proche des humbles qu'il est transcendant et demande l'adoration. C'est bien dans cette familiarité pleine de respect que se situe Abraham dans sa prière d'intercession (Gn 18,16-32 * ), et Moïse. Durant toute sa prière, donc depuis Ex 32,11*, il faut admirer la liberté avec laquelle il ose prendre Dieu à partie, comme Job: Pourquoi, pourquoi... (32,11-12). Tu me dis... et tu ne me dis pas... Et Toi, Tu avais dit...(Ex 33,12).

Ex 33,12-17 — Situation de cette prière dans l'intercession de Moïse, cf. 32,11 *. Je te conduirai jusqu'à mon Repos (v. 14): C'est aussi vers ce Repos que se dirigera l'Arche, guidée par Dieu à travers le désert ou vers Sion (Nb 10,33 Ps 132,8 cf. PC m, p. PC 415-420). Cf. Gn 2,1-3*. De ce Repos, sera temporairement exclu Israël, pour son manque de confiance en Dieu prêt à lui donner la Terre promise (Nb 14,1-4), ce qui, au dire de l'Épître aux Hébreux, est une invitation, pour nous encore, à mieux écouter la Parole de Dieu (He 3,7 à 4,13, commentant Ps 95,8-11 — donnés en // àNb 14).

L'entrée dans ce Repos de Dieu, qui apparaît dès la Création avec la consécration du 7° Jour, est donc une des perspectives bibliques fondamentales, souvent commentée par la Tradition: Cf les textes patristiques déjà publiés dans PC n/1, p. 42-48. Ajoutons ici la synthèse d'AELRED de rievaux : Spéculum caritatis c. 19-24 (PL 195,522-530): Chaque jour de la création est grand, admirable, mais nul ne peut se comparer au septième: en lui, ce n'est pas la création de l'une ou l'autre nature qui est proposée à notre contemplation: c'est le repos de Dieu même, avec la perfection de toutes les créatures. Car nous lisons: « Le septième jour, Dieu acheva son oeuvre qu'il avait faite, et il se reposa de toute l'oeuvre qu'il avait créée ». O grand jour! Insondable repos, magnifique Sabbat! Ah, si tu pouvais comprendre ! Ce jour n'est pas tracé par la course du soleil visible, ne commence pas à son lever, ne finit pas à son couchant: il n’a de matin ni de soir.

Et le « premier jour »? — si tant est que l'on puisse l'appeler «premier », car l'Ecriture ne dit pas « premier jour », mais «un jour». Comment, diras-tu, peut-on parler du « deuxième jour », s'il n'en est pas un qui soit « premier »?...« Il y eut un soir, il y eut un matin ... Il y eut un soir, il y eut un matin, deuxième jour », et ainsi de suite. Je crois que ces paroles expriment la mutabilité de toute créature: sa défaillance et son progrès, son commencement et sa fin. Du septième jour, rien de tel: on ne lui attribue ni soir ni matin, pas de fin ni de commencement: le jour du «repos de Dieu » n'est pas temporel, il est éternel. Tu imaginais Dieu travaillant dans le temps, et se reposant dans le temps, comme fatigué : ce n'était pas contempler Dieu, c'était fabriquer une idole. Prends garde! Tu pourrais n'avoir pas d'idole dans le Temple de Jérusalem, mais en avoir dans ton coeur. Dieu n'a rien fait laborieusement, puisque « Il dit, et ce fut ». Il ne s'est pas reposé un certain jour, comme fatigué : son repos, c'est son éternité. Tu le croyais semblable à toi? Tu pensais qu'il avait créé ce dont il avait besoin, puis avait pris plaisir à le regarder, en avait joui, et s'était reposé? C'est pour cela que l'Écriture ne parle pas de son « repos » quand elle énumère les créatures : c'est pour que tu saches qu'il n'a besoin de rien, mais qu'il se suffit à lui-même en tout. Il n'a pas créé pour se procurer un objet qui lui manquait, mais par plénitude de charité. Il a créé les choses pour qu'elles soient, il les soutient pour qu'elles demeurent: et elles demeurent, toutes. C'est lui qui conduit toutes choses à la fin qui leur est convenable ; et il le fait sans aucune nécessité, mais par sa seule et très douce volonté. Il atteint d'une extrémité à l'autre avec force, dit l'Écriture, avec une majesté partout présente et toute puissante; Avec douceur il dispose toutes choses, toujours au repos dans sa très bienveillante charité. Tel est son immuable et éternel repos, telle son immuable et éternelle sérénité — tel est son éternel et immuable Sabbat; telle est la cause unique pour laquelle il a créé ce qui était à créer, il régit ce qui est à régir, administre ce qui est à administrer, meut ce qui est à mouvoir, fait progresser ce qui doit progresser, accomplit ce qui doit être accompli. En parlant du repos de Dieu, le texte sacré mentionne donc, très logiquement, la perfection de toute créature. Car la charité de Dieu, c'est sa volonté, c'est sa bonté — qui ne sont autres que son être:pour Dieu, se reposer toujours est la même chose que d'être toujours.

Dans les six jours qui se succèdent, et amènent la variété de leurs matins et de leurs soirs, avec les naissances des êtres créés, c'est donc la mutabilité des créatures que nous apprend le texte sacré; mais ce « septième jour », où rien n'advient, où rien ne passe, où rien ne succède à rien, qui n'est pas limité par un commencement ni terminé par une fin, nous fait contempler l'éternité même de Dieu. Mais pourquoi six? et pourquoi sept? Reçois le peu que nous pouvons en dire.

(Le nombre six représente l'achèvement parfait : ses parties, le « un », le « deux » et le « trois », s'additionnent, se multiplient et se divisent parfaitement, sans reste). Mais c'est le nombre sept, qui porte le sceau du repos de Dieu. Le repos de Dieu, disions-nous, c'est la charité. Car, dit l'Écriture: « le Père aime le Fils, et il lui montre tout ce que Lui-même fait » (Jn 5); et encore: « Comme j'ai gardé les commandements de mon Père et que je demeure dans son amour...» (Jn 15). Le Père lui-même a fait entendre ces paroles « Celui-ci est mon Fils bien-aimé: en lui mon amour est parfait » ( Mt Mt 3). Cette douce dilection entre le Père et le Fils, cette étreinte parfaitement agréée, cette charité bienheureuse par laquelle le Père se repose dans le Fils et le Fils dans le Père, ce repos qui est communion jamais troublée, pure paix, éternelle sérénité, incomparable bonté, indivisible charité: cette unité de l'un et de l'autre, en laquelle ils ne sont qu'Un, nous l'appelons le Saint-Esprit, et ce nom lui est propre parce qu'il est commun à l'un et à l'autre. En effet, le Père et le Fils étant tous deux «Esprit», tous deux «Saint», cette troisième Personne qui est de l'un et de l'autre en tant que leur charité et leur unité consubstantielle, est dite au sens propre « le Saint-Esprit ».

Bien que l'Esprit Saint soit un en lui-même, et Un avec le Père et le Fils, il a pour signe dans les Écritures le nombre sept, à cause de la grâce septiforme qui émane de la plénitude de cette source. D'après Zacharie, l'on voit sept yeux sur une seule pierre (Za 3); et suivant l'Apocalypse, il y a sept Esprits devant le trône de Dieu (Ap 5). Quelle doit être la splendeur de cette charité, en laquelle le Créateur et Maître de toutes choses sabbatise un repos ineffable et éternel!

Si maintenant tu contemples avec plus de pénétration l'ensemble des créatures, de la première à la dernière, de la plus noble à la plus humble, de l'ange le plus élevé au plus petit vermisseau, tu verras que cette divine bontéelle n'est autre, avons-nous dit, que la divine charité — par sa présence substantielle et son incompréhensible simplicité, contient tout, embrasse tout, pénètre tout, joint les contraires aux contraires, les allie dans une concorde paisible, de sorte que dans la tranquillité de l'ordre fixé par Dieu, toutes choses se reposent, pour ainsi dire, dans une paix parfaitement sereine.. .

Toute créature tend vers son ordre et veut gagner sa place: hors de leur ordre, elles sont inquiètes; dans leur ordre, elles se reposent.

Âme spirituelle! Parmi toutes les créatures tu as ce privilège, qu'émergeant de la chair tu tends vers quelque chose de plus haut: et jamais tu ne rassasies ton désir, jusqu'à ce que ta curiosité bienheureuse te fasse parvenir à ce qui est le plus élevé, le meilleur, que rien ne peut surpasser ni égaler. En dessous de ce Bien Suprême, où que tu t'installes — même en un bien noble et agréable — tu te sens malheureuse. Malheureuse parce qu'indigente. Indigente, parce qu'il reste quelque chose que tu désires, quelque chose à quoi tu aspires: et c'est la divine Béatitude.

Mais, ô malheureuse créature, jusqu'où t'es-tu laissée choir! Tu aimes le monde? mais tu es supérieure au monde! Tu adores le soleil? mais tu es plus resplendissante que le soleil. Tu scrutes les secrets des créatures? mais aucune n'est plus mystérieuse que toi! Tu es capable de les jauger toutes, toi qu'aucune d'elles ne peut jauger. N'emploie pas ton amour à les chercher: consacre ton amour à Celui qui t'a préposée à toutes les créatures: il t'a donné la première place, mais non pour que tu mettes ton bonheur en elles: d'honneur en honneur, le fruit bienheureux qui t'est réservé c'est Lui-même, Dieu même.

Lui, cherche-le. — Où?...

... L'homme rassasié jusqu'à la nausée, cherche en vain le sommeil. Le sommeil heureux est plutôt celui dont l'Épouse se glorifie dans le Cantique: « Je dors, et mon coeur veille » ( Ct Ct 5). En un tel sommeil, les sens de la chair et les soucis temporels s'écartent du coeur profond, et l'âme sainte repose dans la douceur de Dieu, goûtant et voyant que le Seigneur est Amour. Ceux qui ont compris la parole du Seigneur: « Cherchez d'abord le Royaume de Dieu, et tout le reste vous sera donné par surcroît », ne songent pas à murmurer quand ils perdent leurs biens: ils supportent, joyeux, qu'on les leur vole, car ils pensent à leur vraie richesse, meilleure et permanente.

Écoutons Celui qui nous invite au repos: « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le fardeau: je veux restaurer vos forces ». C'est la préparation du Sabbat. Et maintenant, le Sabbat lui-même: « Prenez sur vous mon joug, et apprenez de moi que je suis doux, humble de coeur: alors vous trouverez le repos. » Voilà le repos, la tranquillité, voilà le vrai Sabbat.

... Car ce joug ne pèse pas, il unit; ce fardeau a des ailes, au lieu de poids. Ce joug, c'est la charité, ce fardeau c'est la dilection fraternelle. Là, on se repose; là, on sabbatise; là, on est délivré de l'esclavage. Et si, d'aventure, notre infirmité laisse échapper quelque faute, alors la charité couvre la multitude des péchés, et la fête du Sabbat n'est pas interrompue.

Ex 33,16Pour que l'on nous discerne : cf. Ex Ex 11,7 *.

Ex 33,18-20 — Apparente contradiction entre le face à face du v. 11 et l'impossibilité rappelée au v. 20. Cf. Dt Dt 5,24 Jg 6,22-23 Is 6,5 ainsi que le // Jn 1,18,

Grégoire de nysse: Vie de Moïse (pg 44,399-401): Comment cela se fait-il? L'homme qui, au dire de la voix divine, a eu la claire vision de Dieu en tant de merveilleuses théophanies — où l'on dit qu'il parlait à Dieu face à face comme un ami avec son ami — en arrive à demander que Dieu lui apparaisse, comme s'il n'avait pas encore vu Celui qui lui apparaît toujours; comme s'il n'avait pas encore atteint ce que nous croyons qu'il a atteint, car l'Écriture l'affirme.

Et la voix qui vient d'en haut accède d'abord au désir de Moïse, ne lui refuse pas cette grâce de plus; mais elle le rejette après cela dans le désespoir, en déclarant que ce qu'il cherche est hors des prises de la vie humaine. Mais il y a un lieu près de lui, dit Dieu, et dans ce lieu une Pierre et dans la Pierre un creux, ou il ordonne à Moïse de venir se placer: Dieu mettra sa main sur l'entrée de la Pierre, et à l'extérieur Dieu passera, tandis que Moïse verra par derrière Celui qui appelle.

C’est ainsi que Moïse vit Celui qu'il cherchait; et c'est ainsi que fut accomplie la promesse de la voix divine...

Rayonnant de gloire. Moïse brûle encore de désir: insatiable, il veut davantage, il a encore soif de Celui qu'il n'a pas vu en son essence même; il a besoin de l'atteindre comme il ne l'a jamais atteint; et il vient supplier Dieu de se montrera lui, non pas dans la mesure où l'homme est capable de le recevoir, mais tel qu'il est en Lui-même.

Je crois que dans son âme brûlante grandissait l'amour obsédant de la Beauté première; et son espérance l'attirait toujours du beau entrevu à celui qu'il pressentait un degré plus haut. Ce qu'il voyait toujours, enflammait en lui le désir de ce qui restait caché.

Dans sa quête passionnée, il recevait ses révélations comme une image seulement de Ce qu'il cherchait; et d'un désir véhément, il voulait se rassasier de l'Archétype même.

C'est ce que signifie cette prière audacieuse et instante sur la montagne du désir: Moïse demande à jouir de la souveraine Beauté, non plus en miroir ni reflets, mais « Que je voie ton visage! » Et Dieu, par cela même qu'il refuse, donne ce qui est demandé: car en quelques mots, il découvre à la connaissance un abîme.

D'une part, la munificence divine accepte d'accomplir le désir; d'autre part, elle ne promet pas que la quête s'arrête, ni que l'amour soit rassasié. Et Dieu ne se montre pas à son serviteur d'une vue qui stabilise son désir de le voir. Car, voir Dieu, c'est ne jamais finir de désirer le voir.

Dieu dit: « Tu ne pourrais voir mon visage, car l'homme ne peut voir mon visage et vivre. » Ici le Logos n'indique pas que la vue de Dieu cause la mort des hommes qui le voient — comment en effet le visage de la Vie pourrait-il jamais être cause de mort pour ceux qui l'approchent? Mais l'élémentaire de cette nature qui donne la vie, est de ne pas tomber sous les éléments de connaissance. Donc, si l'homme croit la connaître il dévie de ce qui est vers ce qui n'est pas; et il n'a pas la Vie, puisqu'elle ne tombe pas sous les éléments de connaissance. Ce qui peut se saisir n'est pas du tout la Vie; et ce qui n'est pas la Vie ne peut être vivifiant, et par conséquent ne peut combler le désir de Moïse. Son désir reste donc insatisfait.

ephrem: Sermo de Domino nostro (Lamy I, 210 ss): Que dirons-nous de cette parole adressée à Moïse: « L'homme ne peut me voir et vivre »?. .. La vision de « l'Etre » tue ceux qui la regardent: non pas par la colère de cet Être, mais par la véhémence de sa splendeur. C'est pourquoi « l'Être », par grand amour, donna à Moïse de voir sa Gloire, mais, par le même grand amour, l'empêcha de la voir... Dieu, dans son grand amour, voulut que le regard de Moïse se dirigeât vers le rayon béatifique de sa Gloire, mais il ne voulut pas que les yeux de Moïse fussent aveuglés par le choc de ces mêmes rayons. C'est ainsi que Moïse vit et ne vit pas. Dans la mesure où il vit, son humilité fut exaltée; dans la mesure où il ne vit pas, ses yeux infirmes ne furent pas éteints.

C'est par un amour analogue que Moïse empêcha son peuple de voir le rayonnement de son visage: enseigné par Celui qui avait placé sa main divine comme un écran pour lui cacher la splendeur de Sa Gloire, Moïse mit un voile pour que son rayonnement ne blessât pas les yeux infirmes des hommes charnels, (cf. 34,29-35*).

Ex 33,21-23Tu verras la traînée de ma gloire: La préposition hébreue signifie indifféremment: derrière ou après, la voyelle 'i', dont elle est affectée désignant la première personne. Donc: derrière Moi ou après Moi. Par suite, cette vision mystérieuse peut s'interpréter :

1) par derrière, à sa suite: ainsi, Grégoire de nysse : Vie de Moïse (pg 44,408) : Dieu qui passe, cela signifie que Dieu se fait le guide de qui vient à sa suite. Car autrement, il n'est pas possible au voyageur ignorant la route de franchir l'étape en sûreté: il faut qu'il suive immédiatement Celui qui mène. Moïse, pressé de voir Dieu, apprend donc comment il est possible de voir Dieu: Suivre Dieu partout où il nous mène, c'est cela voir Dieu.

2) après, plus tard, lorsque le Dieu invisible se sera rendu visible en Jésus Christ: irénÉe: Adv. Haer. iv, 20,9 (SC 100,654): « Tu verras ce qui vient après... Ma Face, tu ne la verras pas... » Cela signifie deux choses: qu'il est impossible à l'homme de voir Dieu — et qu'il le verra dans les derniers temps, à travers la Sagesse de Dieu, sur le sommet du rocher, c'est-à-dire dans sa venue comme homme. Et c'est pourquoi il (Moïse) a parlé avec lui (le Verbe) face à face sur le sommet de la montagne, ce jour où Élie était également présent, comme le rapporte l'Évangile. Il (le Verbe)réalisait ainsi, à la fin (des temps) la promesse antique. Cf. Ex 34,29-35 origÈne.

Augustin : Sur l'Heptateuque, q. 154 (PL 34,650) : « Je te couvrirai de ma main pendant que je passe, et alors tu verras ce qui vient après moi ». La personne de Moïse signifiait alors ce qui arriva plus tard aux Israélites: comme nous le savons par les Actes, ils crurent en le Seigneur Jésus «après ».

3) Tu me verras de dos, c'est-à-dire dans la traînée, les traces que laisse la Gloire de Dieu, jusque dans sa création: Grégoire de nazianze: Oratio 28, n° 3 (Mauristes, p. 497) : Je courais, avec l'espoir de saisir Dieu: j'ai gravi la montagne, je suis entré dans la nuée, devenu étranger à tout ce qui est matière, recueilli en moi-même autant qu'il est possible. J'ai regardé de toutes mes forces, et c'est à peine si j'ai vu la traînée de la gloire de Dieu — encore était-ce grâce à la pierre dont j'étais tout environné, et qui est le Verbe, incarné pour notre salut. Ce que j'ai vu, ce n'est pas cette nature première et très pure, connue d'elle seule: la Trinité. Elle demeure en elle-même, couverte d'un premier voile, et les Kéroubim forment devant elle un second voile. Ce que j'ai vu, c'est la traînée de sa gloire qui vient jusqu'à nous: cette majesté que David appelle « magnificence », et qui étincelle dans les choses créées et gouvernées par Dieu. La traînée de sa gloire, ce sont les traces qu'il laisse derrière lui et qui nous clament sa divinité — comme un reflet du soleil dans les eaux donne une image du soleil à nos yeux infirmes qui ne pourraient le fixer directement.

4) Tu verras le dos, l'envers de ma Gloire, c'est-à-dire la Passion et l'humiliation, dans l'unique mystère pascal envers de la glorification du Christ: Bernard de clairvaux: Sur le Cantique des Cantiques (Ed. Dom J. Leclercq, p. 152): Avec Moïse, je me blottirai dans le creux de la pierre; et quand le Seigneur passera, il me donnera d'apercevoir au moins l'envers de sa gloire. Car pour le voir autrement qu'en passant, et le voir de face, il faudrait déjà qu'il nous ait introduits non plus dans le sanctuaire, mais dans le saint des saints.

... Ne pensez pas qu'elle soit quelconque ou négligeable, cette contemplation de l'envers de la Gloire. Qu'Hérode la méprise! Moi je la révère d'autant plus qu'elle s'est montrée plus méprisable à Hêrode. L'envers de la Gloire a déjà de quoi nous béatifier: qui sait si Dieu ne va pas se retourner vers nous, et pardonner, et laisser derrière lui sa bénédiction ? Parfois il montrera sa Face, et nous serons sauvés ! Mais en attendant, il suffit qu'il nous prévienne des bénédictions de sa douceur, celles qu'il a coutume de laisser derrière lui. Qu'il nous montre, pour le moment, la trace de ses pas; et une autrefois il se montrera de face, en pleine gloire. Dans son royaume il est sublime, sur la croix il est doux et humble. Qu'il vienne à moi dans la vision de la Croix, qu'il me comble dans celle du Royaume! Les deux visions me sont salutaires, les deux me sont savoureuses, mais l'une dans la sublimité, l'autre dans l'humilité. Dans l'une il resplendit, dans l'autre il pâlit.

... Cet envers de la Gloire est d'or pâle, dit le psaume. Dans la mort, comment ne pâlirait-il pas? Mais l'or pâle est plus précieux que l'airain ardent, et la folie de Dieu est plus sage que les hommes. L'or c'est le Verbe, l'or c'est la Sagesse. Cet or s'est lui-même décoloré, cachant la forme de Dieu et revêtant la forme d'esclave. Il a décoloré l'Église, elle aussi, car elle avoue dans le Cantique: « Le soleil m'a décolorée » ; et d'elle aussi ion peut dire que « la traînée de sa gloire est d'or pâle », puisqu'elle n'a pas eu honte des ombres de la Croix, n'a pas redouté le feu de la Passion, ne s'est pas dérobée aux coups, aux meurtrissures. Disons même que tout l'attrait de l'Église est pour cette Passion, et qu'elle souhaite trouver son propre accomplissement dans une Passion semblable. Et si elle s'entend appeler « ma colombe, dans les trous de la pierre », c'est que de toute sa ferveur elle habite dans les plaies du Christ, et que par une continuelle médiation elle y demeure.

Interprétations complémentaires, où l'on retrouve la mystique de « la Nuée obscure » et celle de la manifestation; et le solide de la ’Pierre' ou du 'Rocher', ou du ’creux du Rocher' (souvent interprétés comme du Christ et de son accueil ’en son coeur'), en même temps que le Dieu insaisissable, qui ’passe'(v. 22).

L. bouyer: La Bible et l'Évangile (p. 151-153): L'importance historique de ce texte est immense. Les commentaires qu'il a suscités chez les Pères et les théologiens sont sans nombre et, selon une tradition constante qui trouve son aboutissement chez saint Thomas d'Aquin, il leur est apparu comme le texte-clef pour toute théologie chrétienne du mysticisme. Plus généralement, d'Origène au Pseudo-Aréopagite, en passant par saint Grégoire de Nazianze et saint Grégoire de Nysse, l'entrée de Moïse dans la nuée apparaît comme l'exemplaire de toute vie mystique. L'expérience qu'on vient de lire reste pour eux le sommet accessible en cette vie à l'ascension mystique.

Cependant, Origène lui-même a reçu cette tradition de Philon. Mais Philon à son tour, sur ce point comme sur bien d'autres dont l'importance est progressivement remarquée par les exégètes de son oeuvre, loin d'être révolutionnaire, manifeste sa fidélité profonde aux traditions juives palestiniennes. Car la même attention et la même signification sont attribuées à ces passages par les rabbins.

Tous ces commentaires s'accordent d'abord pour souligner la valeur de ces expressions symboliques que sont le Nom et la Face de Yahvé. Son Nom, nous l'avons dit déjà, c'est sa révélation personnelle transmise par sa Parole. Mais sa Face, c'est Lui-Même, sa Présence se découvrant directement. Sa Face, a-t-il dit plus haut à Moïse, l'accompagnera pour guider le peuple (Ex 33,14). Moïse a voulu plus que la foi en cette assurance communiquée par la Parole: il a voulu voir. Mais voir la Face même de Dieu, encore une fois, Dieu lui-même le répète, pour l'homme ce serait la mort. Cependant la Gloire divine va passer devant Moïse. Elle va même l'envelopper: Dieu le saisira dans sa main et l'en couvrira, comme pour le protéger de Lui-même. Toutefois Moïse, comme il est dit, ne verra Dieu que de dos.

Avant de scruter cette expression singulière, observons en cette page où la transcendance divine trouve une de ses plus exigeantes formules, comme les anthropomorphismes, loin de disparaître s'accumulent. Cette vision «de dos », pour les Pères chrétiens comme pour les rabbins juifs, ce sera une vision de Dieu encore médiate, atteint encore par ses effets et non dans son essence, mais par des effets qui dépassent déjà tout le créé, à ce point que leur effulgence peut être dite proprement divine. Nous trouvons ici le point de départ de la spéculation rabbinique sur les Sephiroth, distincts de l'En-Soph, de l'ineffable divinité, mais pourtant épiphanie authentique de celle-ci. C'est aussi bien à quoi correspondent les énergies divines, distinguées de l'essence, dans la théologie de Grégoire Palamas, héritière incontestable, croyons-nous, des Cappadociens. Mais c'est également le monde du lumen gratiae et du lumen gloriae de la théologie latine, qui, en introduisant une qualité divine dans le monde du créé, l'amènent à participer de l'incréé.

Pour la mystique juive, c'est la vision dans le clair-obscur de la Schekinah : la plus haute communication à laquelle la Présence divine offerte à Israël puisse ouvrir l'homme de Dieu, dans le peuple de Dieu.

Cette vision dans la ténèbre a si bien uni déjà Moïse à Yahvé, qu'il en sortira resplendissant lui-même de la lumière incréée (Ex 34,29-35). Autre thème destiné à de semblables développements. La Transfiguration du Sauveur, dans les Évangiles, le fera paraître aux yeux des disciples éblouissant de cette splendeur dont un reflet avait touché le prophète (Mc 9,2-13).

Moïse, d'ailleurs, reparaîtra alors auprès de lui. Dans la suite, la contemplation de la lumière du Thabor, contemplation transformante qui imprime quelque chose de l'éclat divin, dès cette vie, sur le contemplatif, deviendra le but de la mystique orientale.


Bible chrétienne Pentat. 2320