Bible chrétienne Pentat. 4215

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La part d'aaron

Nb 17,16-18,32).


Nb 17,16-25 // Za 11,7 Is 11,1-4 — On ne saurait confondre qui est un miracle authentifiant le sacerdoce d'Aaron avec la prophétie d'Isaïe, proprement messianique. Mais ce qu'il y a de semblable d'abord, ici et là, c'est l'image de floraison, qui déborde l'objet propre de chacune de ces révélations, en laissant deviner la source divine qui rend féconde la nature comme le sacerdoce, comme la lignée d'où naîtra enfin le Sauveur.

« Je suis la Vie », dira le Christ — le bois vert par opposition au bois mort. « Ne dites pas: je suis un arbre desséché » (Is 56,3); Grâce à Dieu, « notre chair même refleurira » (Ps 28,7 cf. Ez Ez 37). procope de gaza, se référant à ces mêmes images, en conclut que le rameau d'Aaron est espérance de résurrection (pg 87,844). De même Origène: Hom 9sur Nb (pg 12,633): Seuls, les bourgeons avaient été promis: mais vois tout ce que Dieu donne: des bourgeons, des feuilles, des fleurs, et enfin des fruits. Que devons-nous en retenir? D'abord, le mystère de la résurrection des morts.

Les deux textes se rejoignent d'ailleurs dans le Christ si, comme le remarque rupert, le rameau royal issu de Jessé, la fleur virginale et son fruit, plus complètement encore que la verge d'Aaron, confondra l'orgueil des tribus d'Israël: celles-ci prétendaient en effet s'attribuer le sacerdoce de l'Ancienne Loi (représenté par Aaron), mais il n'était que l'annonce du pontife éternel « selon l'ordre de Melchisédech », Jésus-Christ notre Seigneur, en qui « la terre a donné son fruit » (Ps 67,7 — PL 167,883).

Nb 18,1-2 — RUPert de deutz: Op. cit. il, 5 (PL 167,883): Dans l'ordre et l'office de celui qui porte l'iniquité du sanctuaire, qui porte les péchés de son sacerdoce, est désignée mystiquement la charge, la fonction du Christ vrai prêtre, sur qui le Seigneur a placé les iniquités de nous tous, comme le dit le prophète (Is 53).

Nb 18,1-2 Nb 18,20-23 Nous retrouvons ici la solidarité jointe à la séparation qui caractérisait plus généralement les lévites (1,49-52*). A fortiori convient-elle aux prêtres, de par leur vocation de médiateurs dans les relations d'Israël avec Dieu, qui les met à part, même s'ils sont « pris d'entre les hommes », c'est bien évident. Moïse lui-même en est le meilleur exemple, dans la crise du Veau d'Or (Ex 32-34 * ) comme dans les nombreuses tentations du Désert (Nb 11-14. 16-18.21). Solidaire des hommes, certes! mais non moins solidaires de Dieu, tels sont les prêtres de l'Ancien comme du Nouveau Testament (He 5,1-5 I Lz).

procope de gaza : Sur Nb (pg 87,847) : « Tu n'auras pas d'héritage dans leur pays. C'est moi qui suis ta part d'héritage ». — Voilà ce que demandait le Christ à cet homme qui avait accompli toute la Loi et qui voulait être parfait: « Va, vends tout ce que tuas... »

... Pour la même raison, les saints qui savent que le Christ est constitué leurs prémices s'efforcent d'imiter le Christ: ils sont voyageurs parmi les hommes, et n'ont pas de part au milieu d'eux. Et, ce que le Christ est pour eux, eux-mêmes le sont pour les autres hommes ... Ici encore Moïse est le type du Christ, car n'étant oint par aucun homme, il oint Aaron: il possède en effet l'onction divine et invisible... Le Christ a dit, de lui-même: « Dieu le Père l'a marqué de son sceau » (Jn 6,27).


4300

III. PROGRESSION VERS LA TERRE PROMISE

Nb 20-36)
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Bédom, arad, mort d'aaron

Nb 20,14-21,3).


À la différence d'Arad, puis des Amorites, de Moab ou de Madiân, plus tard de Canaan, Édom n'est pas conquis, conformément à ce qu'annonçait la bénédiction d'Isaac (Gn 27,39-40).

Nb 20,23-26 Nb 20,29 Rupert de Deutz: Op. cit. n, 9 (PL 167,888) : Pour un temps, Aaron a pu figurer le Christ Grand Prêtre, par son titre et par son office — mais certes pas par sa mort, dont la cause prochaine est d'avoir été incrédule à Dieu aux eaux de la contradiction. Mourant à cause de son péché, il signifie la fin de ce sacerdoce dont les ministres sont morts dans leur péché.

// Is 63 — La « vengeance » de Dieu au refus d'Édom, adversaire constant d'Israël, on sait bien comme elle se réalisera, mais dans le propre sang du Christ, pour « la justice et le salut » de tous les peuples.

procope de gaza: Sur Nb (pg 87,853 et 856): « Qu Aaron soit réuni à son peuple ... » cette sentence affirme l'immortalité de l'âme. Car l'Écriture déclare constamment que ce «peuple » existe, et qu'il est composé de « vivants » — par exemple quand elle dit que le pauvre Lazare est dans le sein d'Abraham...

Mais la mort du prêtre n'est pas obscure, pas plus que ne l'avait été son ordination; car le sacerdoce est chose merveilleuse, et le flambeau doit être placé sur le chandelier. Nous lisons dans Isaïe: «Monte sur une haute montagne, toi qui annonces à Sion la joie! » (Is 40,9). Cest pourquoi le Seigneur seul agit dans la mort d'Aaron, au moment où il voulut séparer l'esprit du corps.

Nb 21,2-3 // — Arad voué à l’anathème , ‘herem’ signifie le massacre des ennemis, suivant l'ordre de Dieu de faire disparaître ce qui est abominable (on trouve par exemple, les deux sens de ce mot en Dt 7,2 et 26). C'est en ce dernier sens que « l'anathème » reste en vigueur pour ceux qui refusent le Christ, ou son enseignement authentiquement transmis par l'Église dans ses conciles: « Si quelqu'un ne croit pas... qu'il soit anathème ». Il n'y aura donc évidemment plus d'anathème au ciel; mais c'est justement parce que n'y entreront pas les pécheurs qui, faute de recourir au Christ, sont restés dans leur abomination (// Ap 22).




4310

LE SERPENT D'AIRAIN, PREMIÈRES CONQUETES

Nb 21).

CYRILLE D'ALEXANDRIE : Sur St-Jn (pg 73,252): Le Dieu bon et miséricordieux ordonne à Moïse d'ériger dans le désert un serpent d'airain. Nous devons, sous cette image, méditer le Salut qui s'opère par la foi. Car pour ceux qui étaient mordus par les serpents, l'unique remède était de regarder ce serpent d'airain pendu devant eux: et la foi qui accompagnait ce regard les délivrait du péril extrême. Voilà pour l'histoire. Mais scrutons maintenant le mystère de l'Incarnation qui est tout entier dessiné dans cette figure. Le serpent signifie le péché, qui pique l'homme et n'a pour lui que haine. Il menait paître tout le genre humain, goûtant à l'âme de chacun par des morsures multiples, où il répandait les venins les plus variés. Il était devenu si fort, que nous ne pouvions plus l'éviter, sinon par le seul secours divin. Dieu le Verbe a donc pris la ressemblance d'une chair de péché, afin de condamner le péché dans la chair, comme il est écrit (Rm 8,3), et de devenir le Médiateur du Salut éternel pour ceux qui le regardent avec une grande foi, et cherchent vraiment la doctrine divine. Qu'en outre le serpent ait été érigé en haut d'un gibet, cela montre que le Christ a été placé bien en vue, afin que nul n'ignore qu'il a été exalté au-dessus de la terre, comme il l'a dit lui-même à propos de la Passion qu'il a soufferte sur la Croix.

thÉodoret de cyr: Question 38 (pg 80,388-89): Le serpent d'airain préfigurait la Passion qui nous sauve. Car le péché est né par le serpent, et le serpent fut maudit par le Dieu de toute la création. Le serpent était donc à la fois figure du péché et figure de la malédiction. Et puisque le Christ Seigneur est apparu dans la ressemblance de la chair de péché, le serpent d'airain évoque la Passion qui nous sauve. De même que le serpent d'airain portait l'image des serpents mais ne portait pas leur venin, ainsi le Fils Unique prit un corps humain mais sans la tache du péché. Et de même que les hommes mordus par les serpents étaient guéris en regardant le serpent d'airain, de même ceux qui sont blessés par le péché mais croient avec une ferme confiance en la Passion de notre Seigneur, sont déclarés plus forts que la mort et obtiennent la vie éternelle.

Loin d'être par conséquent une pratique idolâtrique s'arrêtant à l'emblème d'airain, elle est prophétiquement instituée par Dieu pour que le regard porte la prière à viser au delà, jusqu'à « Toi seul qui es le Sauveur de tous » (/ Za 12,10 Sg 16,7). À plus forte raison si l'on regarde pieusement son crucifix, ou si l'on prie devant une statue de saint ! Entre foi et pratique religieuse, les liens sont nécessaires et mutuels comme entre signe et signifié.

Nb 21,21-25 — Israël commence donc à s'installer en TransJordanie, entre Arnon et Yabbok. L'Arnon se jette vers le milieu de la côte Est de la Mer Morte. Le Yabbok rejoint le Jourdain, en face de la Samarie. C'est au gué de ce torrent que Jacob eut à lutter avec l'Ange de Yahvé (Gn 32,23-33). Le Bashân, plus au Nord, sera pour les prophètes un exemple de fertilité, de par ses chênes et ses pâturages, comme le Liban de par ses cèdres (Is 2,13 Ez 27,6 Mi 7,14 Za 11,2).

4311

Moab, les oracles de balaam

Nb 22-24).


Épisode justement célèbre dans la Tradition chrétienne, pour sa portée à la fois théologique et prophétique. Le récit montre en effet que Yahvé n'est pas seulement le Dieu d'Israël, mais Providence universelle, conduisant à sa guise les événements, et par ceux-là même qui prétendraient en diriger le cours. De leur côté, les oracles confirment la Bénédiction de Dieu sur le peuple issu d'Abraham, dont le Messie sera le Fruit.

Nb 22,1-20 — Origène: Hom 13 sur , Balaq néglige la force des armes, et met tout son espoir en Balaam pour jeter contre le peuple de Dieu des malédictions en guise de flèches. A-t-on jamais entendu parler d'un roi qui, laissant de côté son armée, s'en remet aux paroles et aux augures d'un devin? ... Mais d'une part, Balaam était extrêmement renommé pour ses malédictions — car il n'avait pas le pouvoir de bénir, mais il avait celui de maudire; d'autre part Balaq avait appris que d'habitude Israël triomphait de ses ennemis par la prière — c'est bien par la prière qu'Israël avait vaincu Pharaon et les Amalécites. Balaq se dit donc: « Moi aussi,je vais chercher des prières et des paroles propres à l'emporter sur les prières de ces gens-là »...

« Je sais, dit-il à Balaam, que ceux que tu bénis sont bénis, et que ceux que tu maudis sont maudits ». Je suppose qu'il a dit cela par flatterie, car l'art des magiciens ne sait pas bénir. Les saintes Lettres parlent, il est vrai, de l'éphod comme vêtement des prophètes, mais autre est la prophétie divine, autre l'augure des magiciens, car il est dit dans l'Écriture: « Il n'y a pas d'augure en Jacob, ni de divination en Israël. En son temps, il sera dit à Jacob et à Israël ce que Dieu fera (Nb 23,23).

Balaam exerce donc son art: et au lieu de voir venir à lui les démons, comme d'habitude, il les voit fuir — et c'est Dieu qui est présent. Il dit donc qu'il interroge Dieu; car les démons accoutumés, il ne les voit nulle part. Et Dieu vient — non que Balaam en soit digne.

Nb 22,6Celui que tu bénis est béni... : C'est la croyance en l'efficacité prophétique des paroles de bénédiction (ou malédiction) pour quiconque en a le pouvoir (soit patriarcal, comme pour Abraham Isaac et Jacob, soit magique, comme ici — comparer avec Gn 27,30-38 * ; 49,28).

Nb 22,8«Je vous répondrai selon ce que m'aura dit Yahvé » : Cette première réponse présente Balaam comme adorateur de Yahvé, avant même que celui-ci ne lui apparaisse (v. 9-12). Toute la suite ne visera qu'à faire de Balaam un véritable ’prophète': quelqu'un qui parle en lieutenant de Dieu dont il transmet seulement les paroles (22,18.20.35; 23,3.12.16.26; 24,2.12-13).

// Dt 18,13-15 Dt 18,20 2P 1,19-21 2P 2,1 2P 2,12-16 2P 2,20-21 Tous les vrais prophètes et plus généralement tous les auteurs inspirés de la Sainte Écriture ne font que répéter « à maintes reprises et sous maintes formes » l'Unique Parole de Dieu, révélée totalement en Jésus-Christ (He 1,1-3 et // 2P 1,21). C'est donc Lui qui, par son être même de Verbe incarné est LE prophète, annoncé par Moïse qui n'en était lui-même que l'humble préfiguration: « Lui, vous l'écouterez », ajoute-t-il (Dt 18,13) — injonction confirmée par le Père à la Transfiguration , « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le » (Mc 9,7). Toutes les prophéties, toute l'Écriture ont le Christ pour point de convergence.

Ce qui n'y rentre pas est soit pseudo-prophétie (des magiciens et devins païens, Dt 18,13), soit prophétie de faussaire (Dt 18,20). Et l'ère des « faux prophètes » ou des « faux docteurs » de perdition n'est pas close (2P 2,1), car l'interprétation elle-même de l'Écriture est sujette à l'erreur si l'on suit « son jugement personnel » au lieu d'y voir cette convergence qu'y a lue la Tradition tant juive que chrétienne.

De ces faux prophètes contemporains dont il ne flatte pas le portrait moral (2P 2,12-14), saint Pierre donne pour exemple Balaam, et plus précisément l'histoire de son ânesse.

C'est l'autre aspect de Balaam: il n'est pas seulement « l'adorateur de Yahvé », le ‘prophète' incapable de dire autre chose que ce que Dieu lui fait dire (cf. Nb 22,8*), même s'il doit y perdre la faveur et les présents du roi Balaq (22,18; 24,10-13). La Bible nous le présente aussi comme intéressé (2P 2,15), complice de Balaq pour perdre Israël en le débauchant avec les « filles de Moab », qui le détourneront de Dieu (Nb 25* — Balaam en serait l'instigateur d'après Nb 31,16 et Ap 2,14). Ainsi aurait-il bien mérité de périr par l'épée d'Israël (Nb 31,8).

Ces deux aspects de Balaam sont-ils inconciliables au point que l'on doive les attribuer à deux traditions orales différentes? Ce n'est pas sûr, tant sont grandes les complexités, les ambivalences de l'homme, cette « attirance simultanée vers le Bien et le Mal » confessée par un Baudelaire ou un Dostoiëvski, et tant d'autres écrivains, à commencer peut-être par l'auteur de La Genèse, avec le symbolisme de son « arbre de la connaissance du bien et du mal ». Pourquoi pas le rédacteur final du Livre des Nombres? De telles incompatibilités ne sont peut-être que l'objectivation de l'incapacité des exégètes à comprendre cette complexité de l'Écriture comme de la réalité qu'elle nous révèle?

Quoi qu'il en soit, c'est un bon exemple du caractère hypothétique de la théorie documentaire de Wellhausen qui, si longtemps, passa pour un dogme exégétique. Pour juger à quel point sont remises en question ces constructions laborieuses, renvoyons au mémoire d'H. rouillard : Analyse littéraire de Nb 22,21-35: L'Ânesse de Balaam, rb. 1980, p. 5-37 et 211-241, avec 3 pages de bibliographie sur le débat antérieur. C'est aussi concluant que l'étude d'A de Pury sur le ch. 28 de La Genèse (cf. Introduction Générale, n° Partie, § Incertitudes du résultat). Tout cela « s'inscrit dans l'actuel débat sur le Pentateuque », et nommément « la contestation radicale de l'hypothèse documentaire de Rendtorff » (cité Ibid. p. 238).

Nb 22,21-35 et // Dt 23,5-7 / Pc — L'ânesse de Balaam: Tout se passe comme si notre épisode n'était que la démonstration, en actes, le mime, de l'ordre divin. Balaam est forcé de voir qu'il ne peut voir que ce que Dieu lui fait voir; à plus forte raison ne pourra-t-il dire et faire que ce que Dieu lui fera dire et faire. L'épisode est la preuve narrative de la force non seulement impérative, mais effective, de l'ordre. Dieu a dit: « Fais ainsi », parce qu'en fait, c'est ainsi. Aussi l'ordre du v. 35, sous couleur de renouer le fil du récit, fait-il plus qu'une répétition simple au niveau du dire. Quelque chose s'est passé, qu'il entérine. Le doublet du v. 35 ne sonne pas comme celui du v. 20: une modulation a eu lieu... : l'impératif a pris la tonalité de l'indicatif (tu l'as vu), tu ne peux dire que ce que je te dirai »). Le raisonnement est presque dialectique: impératif positif ; indicatif négatif (l'impossibilité dépasser outre pour Balaam et son ânesse); impératif positif (équivalent à un indicatif restrictif). Le rédacteur a instauré un suspens narratif, captant l'esprit disponible des auditeurs ou des lecteurs pour transférer dans le domaine du faire ce qui relevait de l'ordre du dire. fH. rouillard: Op. cit. p. 230-31 ).

Sans parler de ce qu'il y a de réjouissant dans la mésaventure de ce voyant qui ne voit même pas ce qu'il est donné à sa brave ânesse de voir) Ainsi le Christ reprochera-t-il aux pharisiens: « Je suis venu dans ce monde pour que voient ceux qui ne voient pas et pour que ceux qui voient deviennent aveugles » (Jn 9,39). « Une bête de somme, voilà ce quej'étais avec Toi. Mais moi, je suis toujours avec Toi... en ton dessein tu me conduis » (Ps 73,22-24). « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux habiles et de l'avoir révélé aux tout petits » (Mt 11,25).

Nb 22,32Ta voie est funeste à mes yeux: pourrait aussi bien se traduire « Car à mes yeux, cette voie est une voie de mort » (que concrétise la présence de l'Ange de Yahvé à l'épée nue sur le chemin de Balaam).

Nb 23-24 — Et Dieu va tirer parti des mauvaises intentions de Balaq, pour le bien d'Israël, donc du monde: Origène: Hom 14 sur Nb (PG 12,677-78): Toutes choses en ce monde sont disposées par la sagesse de Dieu. Rien n'est inutile, ni le bien, ni le mal. Mais expliquons-nous: Dieu n'a pas fait la méchanceté ; celle que les autres inventent, il pourrait l'empêcher — et souvent, il ne l'empêche pas. Il s'en sert, pour de bonnes causes: car, par les méchants, il rend plus lumineux et plus éprouvés ceux qui tendent vers la gloire de la vertu. En effet, s'il n'y avait plus de méchanceté , rien ne ferait obstacle à la vertu; et ne trouvant pas de contradiction, elle ne serait ni éprouvée ni resplendissante. Or une vertu qui n'est pas éprouvée n'est pas une vertu. Mais vous pourriez croire qu'il s'agit là d'une rhétorique subtile, si ces affirmations ne s'appuyaient sur le témoignage des paroles divines. Recourons donc aux Livres Saints, et prenons Joseph. Si tu supprimes la méchanceté de ses frères et leur envie, vois tout ce que tu supprimes en même temps du plan de Dieu : si Joseph n'avait pas été envoyé en Egypte, il n'y aurait eu personne pour expliquer au Pharaon ses songes, personne pour remplir les greniers d'Egypte. L'Egypte aurait péri, et avec elle Israël, qui ne serait ni entré en Egypte ni ressorti d'Egypte avec les Merveilles du Seigneur, le passage de la Mer Rouge, la manne, l'eau du Rocher, enfin tout ce que relatent les Livres de l'Exode, du Lévitique, des Nombres et du Deutéronome.

Nous parlions tout à l'heure de Balaq, roi méchant qui invite Balaam à maudire Israël. Si tu supprimes l'astuce de Balaq, tu supprimes les grandes prophéties sur Israël et les nations.

Nb 23,1-4 — Autels — sacrifices — avancée de Balaam au devant de Yahvé — rencontre avec Lui — retour vers Balaq: le cérémonial se répétera

en 23,14-18 et 27-30, avant le 2° et 3° des oracles. Lc 4°, le plus explicite, survient par contre de but en blanc, comme par surcroît (24,10-14).

Nb 23,7Balaam proféra sa parabole: le terme de ’Mashal' est difficile à traduire, et pourtant, c'est lui qui doit éclairer la portée des oracles qui vont suivre. Sous sa forme verbale, il signifie: comparer. C'est donc le sens de base. Un Mashal est d'abord, d'après les dictionnaires, similitude ou comparaison, donc une parabole, au sens premier de ce terme: une Parole visant au-delà d'elle-même, une énigme (au sens sapientiel), à interpréter comme telle; avec en outre, dans le cas de Balaam, un propos divinatoire — que l'inspiration divine rendra même proprement prophétique.

Si l'on désigne plus particulièrement la forme rythmée que prenait le Mashal, celui-ci désigne plus particulièrement la poésie gnomique des sentences ou des proverbes (le titre hébreu du Livre des Proverbes est le simple pluriel de Mashal) ; et même finalement : l'épigramme.

tob traduit: « Il prononça son incantation, ce qui rend assez bien la « transe » du devin, et le genre poétique de ces oracles. Évidemment, les paraboles évangéliques nous ont davantage habitués à des récits en prose. Mais ce n'est là que différence littéraire, qui ne doit pas faire oublier le principal du sens de la ’parabole'. Aussi, non sans hésitation, gardons-nous ce mot de parabole, qui signifiait d'abord ’énigme' (« À vous, il est donné d'y comprendre les mystères du Royaume des cieux, mais à eux, non » — Mt 13,11), invitant à chercher au-delà des images, la réalité ’mystique' ainsi évoquée. Surtout que, dans la pensée hébraïque, ce que le Mashal évoque ainsi, il contribue pour sa part à le faire être: d'abord parce qu'il prend valeur de vie et force d'une loi de la nature, où il puise ses comparaisons, et aussi dans la mesure où il en « ensemence » l'esprit des auditeurs (comme on le voit dans la parabole du Semeur). On peut même se demander s'il ne conviendrait pas de tenir compte, dans l'explication des paraboles évangéliques, de leur caractère de Mashal ne valant pas seulement comme de belles images, mais prenant force d'une annonce prophétique.

Nb 23,7-10 — Le 1° oracle ne définit encore qu'Israël, comme Peuple de Dieu. Il demeure à part: comme les lévites au service de Dieu, donc à celui des autres tribus (cf. Nb 1,49-52* et 18,1-2,20-21 *), de même Israël est à part entre toutes les nations, pour leur donner le messie (comme le préciseront les oracles suivants). Et la tentation d'Israël, jusqu'à aujourd'hui, sera de se réduire à n'être que l'une d'elles. D'où l'interdiction de se marier à des femmes païennes (// Dt 7,1-6).

La poussière de Jacob : C'est la réalisation littérale de la Promesse faite à Abraham (v. 10 // Gn 13,16).

Que je meure de la mort des justes : à entendre beaucoup moins comme un voeu personnel de Balaam, qui sera mis à mort comme ennemi d'Israël (Nb 31,8), que comme le voeu de toutes les nations d'avoir part à la Bénédiction d'Abraham (Rm 11,25-28 / Pi).

Nb 23,11-13 // Jr 1,8-10 — Courage et fermeté nécessaire au prophète.

Nb 23,18-24 // Ml 3,6 Is 41,4-5 Is 40,28-29 — « Je suis Dieu, Moi, et non un homme ! ... » (Os 11,9): Dieu est tellement fidèle que, par delà l'infidélité de l'homme, la miséricorde divine prolongera cette fidélité jusqu'à le refaire 'juste'*: C'est la définition même de la 'Hésèd'* et le fondement de notre espérance inébranlable, quoi qu'il puisse arriver. À quoi s'ajoute l'identité en Dieu du ’Dire' et du 'Faire', de la Promesse et de sa réalisation (v. ^c-d/ Is 41,4).

Mais ce 2° oracle ajoute au 1 ° une référence (encore générale et voilée) au caractère messianique du Peuple de Dieu tout entier: Dieu est avec lui (ce que réalisera pleinement la naissance de l’Emmanuel à Bethléem); de là même, Israël reçoit sa dignité royale (v. 21 d), dont le couple du lion et de la lionne

est le beau symbole (v. 24). Jacob, déjà, bénissait ainsi Juda (Gn 49,9), ancêtre du Christ « lion de la tribu de Juda », vainqueur de la mort et maître de l'histoire (Ap 5,5). Origène applique l'image aux chrétiens (pg 12,700 ss).

Origène donne à ce triomphe du «véritable Israël » une portée cosmique, en reliant l'histoire de la terre à celle du ciel, suivant Ap 12,7-12 et Jude (que nous avions en // à Nb 16 / Op — Cf. plus bas 23,25-26).

Origène: Hom 16 sur Nb (pg 12, 695, 696 et 699): «Le Seigneur son Dieu est avec lui, les splendeurs des princes sont avec lui »... Ceux qui sont « les vrais Israélites » obtiennent ces splendeurs que possédèrent dans les deux « les princes » de l'origine, princes infidèles qui ne gardèrent pas leur principauté mais désertèrent leur domicile éternel (Jud 1,6). Cette primauté, l'Israël qui lutta et vainquit la recevra.

« Pas d'augure en Jacob, ni de divination en Israël... » il me semble que la connaissance de l'avenir n'est en soi ni bonne ni mauvaise. Parfois c'est le diable qui l'envoie aux hommes, mais parfois la volonté de Dieu est de donner cette prescience aux hommes par les prophètes ;

« Il sera dit en son temps ». Donc, quand il nous est utile de connaître l'avenir, Dieu le fait connaître par son prophète qui est l'Esprit Saint. Mais si Dieu ne nous l'annonce pas, sache qu'il ne nous est pas utile de le savoir... Et Balaam ? diras-tu. Rappelle-toi que c'est le Seigneur qui a mis son Verbe dans la bouche de Balaam. Ce n'est donc pas ici Balaam, c'est le Verbe de Dieu qui nous instruit.

Nb 23,25-26 et 24,1-2 // 1R 22 Mi 6 1P 1,10 — Nouvelle définition de la fidélité prophétique. Et l'on voit qu'en définitive, c'est bien à nous que la prophétie était adressée (1P 1,12). Par ailleurs, la mention que fait saint Pierre de « l'envie des anges », montre que le commentaire précédent d'Origène était bien en situation, non hyperbolique mais surnaturellement réaliste.

Nb 24,1-2Balaam vit que c'était bon, aux yeux de Yahvé, de bénir Israël: instruit par les 2 oracles précédents, Balaam n'a plus à s'avancer à la rencontre de Dieu (23,3-4). Il voit (24,2); et, sous l'emprise de l'esprit de Dieu (ce qui n'était pas précisé jusqu'ici), dans l'Israël présent sous ses yeux, il discerne la vocation divine d'Israël.

Origène transpose cette révélation faite à Balaam à celle que l'on souhaite aux docteurs juifs encore aveuglés: Voici ce que je comprends: ce peuple, qui est maintenant comme annulé, et ses docteurs qui ne croient pas au Christ et retiennent le peuple dans le mensonge, verront un jour, c'est-à-dire dans les derniers jours, quand la plénitude des gentils sera entrée, et que l'Assemblée d'Israël commencera à venir à la foi du Christ: ils verront, dis-je, eux qui maintenant ne voient pas (Hom 17 sur Nb, pg 12,704).

Nb 24,3-7 — Ce 3° oracle roule encore sur le peuple d'Israël, sa prospérité (4-6), sa royauté sur les autres nations (8-9). Mais la progression n'en est pas moins nette, surtout en ceci que la destinée messianique d'Israël se concrétise: Il ne s'agit plus seulement de la Communauté, mais de son roi (v.7*).

Nb 24,7-9, Pour les deux premiers vers du v. 7, nous donnons d'abord la version du texte massorétique, puis celle de la Septante. L'hébreu est d'une poésie magnifique, mais dans le prolongement des Images ’ruisselantes' du v. 6. Avec la Septante, le Messie est cette fois clairement personnifié, ce qui sera, de toute manière l'objet du 4° oracle (v. 17-19). Du coup, aux vers suivants — où nous retrouvons le tm, on comprend mieux à quel point cet homme sera royal, et combien il sera élevé.

De même, aux v. 8-9, l'image du buffle, ou du lion et de la lionne, qui pourraient ne paraître qu'une reprise de 23,22 et 24, prend un sens nouveau. Il y a toujours la force dominatrice (v. 8), mais le lion ne bondit plus, il se courbe; il se couche, mais cette fois on ne dit plus que c'est seulement après avoir « saigné sa proie » (23,24). Cette fois l'image porte sur l'opposition des deux verbes: « il se couche... il se dresse». La lxx l'accentue encore en traduisant: ‘anastèsei’ dont le premier sens est: « Qui le fera lever », mais signifie aussi, dès le grec classique: « Qui le ressuscitera ». D'où les chrétiens tireront l’ ‘anastasis', pour désigner la Résurrection du Sauveur. Pour ne pas majorer le texte, nous nous en tenons à: « Qui le réveillerai » — qui a l'avantage de pouvoir être lu comme la suite de la métaphore: sommeil et réveil du lion, mais aussi comme annonce du mystère pascal de mort et de résurrection, accomplissant ainsi le mystère d'incarnation prophétisé suivant la version des lxx au v. 7a.

La Tradition chrétienne orchestrera ce prolongement du 3° oracle de Balaam. L'iconographie aussi. Mais n'oublions pas qu'en tous cas, la Septante est antérieure au Christ: c'est un exemple, entre tant d'autres, de ce que ces « relectures » successives ont apporté, dès l'A.T. pour mieux comprendre la portée ultime du donné primitif — désormais accomplie par le N.T.

raban maur: Sur la Gn (PL 108,754): Le Christ s'est reposé comme un lion, lorsque sur la croix il a dépouillé les Principautés et les Puissances. Et du sommeil de la mort il est ressuscité comme un lionceau ... « Qui le fera lever? » Cela veut dire que nul, ni ange ni homme, n'a pu ressusciter la chair du Christ, mais que la seule Majesté divine l'a rappelé d'entre les morts. C'est pourquoi le Seigneur dit dans l'Evangile: « Nul ne m'enlève mon âme, mais je la dépose de moi-même. J'ai pouvoir de la déposer, et pouvoir de la reprendre » (Jn 10,18).

// Gn 27,28 Gn 49,9 Gn 27,29 Is 54,2-3 et Is 9,5-6 — Continuité du messianisme, depuis le Péché Originel (Gn 3,15*), la bénédiction de Jacob, puis de ses enfants (Gn 27 et 49), jusqu'aux prophéties d'Isaïe, si impressionnantes que l'on a parlé à leur propos d'un ’Évangile' avant la lettre. Mais dans les ’Poèmes du Serviteur' eux-mêmes, on observe le même passage du messianisme d'Israël tout entier à la personnalisation du « Serviteur souffrant » (Is 42 Is 49 Is 50 Is 52-53). On retrouve ces LE 2 aspects, communautaire et personnalisé, dans les LE 2 // choisis pour le 3° oracle de Balaam , Is LE 54 et Is 9
Nb 24,10-14 // 1R 22,8-9 — C'est constant aussi: on n'écoute les prophètes que dans la mesure où ils parlent conformément à ce qu'on attend. Les faux-prophètes de tous les temps ne se gênent pas pour céder à cette facilité, détournant de la vérité plus austère qu'annoncent les vrais prophètes: Jérémie (23,14-22), Ézéchiel (3,16-21) et tous les autres. Cassandre aussi en a fait l'expérience ; tandis que Ninive est sauvée pour avoir écouté Jonas...

Nb 24,17 — Origène: Hom. 18 sur , «Je le verrai, mais pas maintenant... » Pas maintenant, car c'est à la plénitude des temps que Dieu envoya son Fils... et il s'agit évidemment de cette étoile dont il est dit dans l'Évangile quelle précéda les mages jusqu'à Bethléem (Mt 2,9). Ce qui me surprend, c'est qu'« elle s'arrêta où était l'enfant », dit l'Ecriture, sans ajouter qu'elle disparut ou s'effaça ou s'en alla. C'est peut-être comme pour le baptême de notre Seigneur, où Jean vit l'Esprit de Dieu descendre sous la forme d'une colombe, et « demeurer » sur le Christ. Je pense que l'étoile, elle aussi, « s'arrêta » au-dessus de Jésus et ne le quitta jamais, et que cette étoile est donc le signe de sa divinité. Ensuite Balaam prophétise la nature humaine du Christ: « Un homme se lèvera d'Israël »...

« Orietur Stella ex Jacob ... » Les mages avaient chez eux ces écrits: et à la naissance de Jésus ils reconnurent l'étoile: ils comprirent que la prophétie s'accomplissait...

Nb 24,17 f — Il brise tous les fils de dévastation : Nous traduisons ainsi l'hébreu suivant Zorrel. On comprend d'ordinaire: « les fils de Seth ». D'après bj et Osty, ce seraient « des tribus bédouines » — ou bien encore, les Moabites, ou la tribu de 'Shoutou', d'après tob qui ajoute: « Y a-t-il un rapport avec le fils d'Adam (Gn 4,25) dont le nom ne figure plus dans la Bible en dehors de la généalogie du Christ (Lc 3,38)? » — Une fois de plus l'érudition ne sait rien tirer de la Bible, Origène, lui, interprète suivant le sens que la Septante donne au verbe ‘pronomeuô’ : « emmener captif » : « Il emportera comme butin tous les fils de Seth ». Seth est le père de toute la race humaine après le déluge, puisque la descendance de Caïn périt dans le déluge. Le Christ les entraîne comme son butin, ainsi qu'il est écrit dans l'Épître aux Éphésiens (4,8): « ceux de la captivité, il les emmena captifs », ce qui veut dire: ceux dont le diable s'était emparé pour leur perte, il les reprit comme ses propres captifs: il les ramena de la mort à la vie(Hom 18 sur Nb, pg 12,717-718).

Nb 24,19 // Ps 2 et 110 — De Jacob sortira Celui qui doit régner: C'est reprendre les deux thèmes de 24,7 a-b (suivant lxx) : la génération humaine et la transcendance divine du Messie lors de la Parousie.


Bible chrétienne Pentat. 4215