Bible chrétienne Pentat. 5230

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Pour une justice juste

Dt 16-17 Dt 19).


Nous regroupons sous ce titre ce que nous gardons de ces 3 chapitres, reportant au paragraphe suivant le ch. 18 (qui concerne plus particulièrement les prêtres et les prophètes).

Dt 16,18-20 // Jn 8,3-7Des jugements justes... La justice: c'est la justice: La répétition vient de l'hébreu, rappelant que s'il y a bien des façons de chanter à côté de la note, il n'y en a qu'une qui soit juste dans la note. Mais cette rigueur de justesse, qui a son côté tranchant, se tempère du fait qu'elle doit tenir compte de toutes les données du jugement, y compris des fautes du juge (la paille et la poutre), et par conséquent de sa part de responsabilité. Dostoïevski est dans le prolongement de l'Évangile de la Femme adultère quand il fait dire au sterretz Zosime :

Avant tout rappelle-toi que tu ne peux être le juge de personne, car il n'est pas possible d'être à la fois juge et criminel; et le juge doit savoir avant tout qu'il est lui-même criminel, exactement comme celui qui se tient devant lui; et qu'il est peut-être coupable plus que tous du crime de celui qui se tient devant lui. Quand il aura compris cela, alors il pourra tenir le rôle déjuge. Non-sens, dira-t-on? Non, c'est la vérité. Car si j’étais moi-même un juste, peut-être n'y aurait-il pas de criminel à se tenir devant moi. Et si tu peux prendre à ton compte le crime de celui qui se tient devant toi (et que tu juges dans ton coeur un criminel), prends-le aussitôt et souffre toi-même à sa place, et laisse-le aller sans lui faire de reproches. Et même si la loi t'a établi son juge, autant qu'il te sera possible agis dans cet esprit; car il s'en ira, et se condamnera lui-même plus sévèrement que ton tribunal. S'il s'endurcit et se moque de toi, n'en sois pas ébranlé: c'est donc que son heure n’est pas encore venue, mais elle viendra. Si elle ne vient pas, c'est égal: à sa place un autre comprendra, souffrira, s'accusera et se condamnera lui-même, et la vérité sera accomplie. Crois-le fermement : telle est l'espérance et la foi des saints...

Si la scélératesse des gens t'inspire de la peine et de l'indignation, et que tu te sentes sur la défensive et désires même leur rendre le mal pour le mal, crains ce sentiment plus que tout : aussitôt, inflige-toi la même peine que si tu étais toi-même coupable de leur forfait. Accueille cette peine et endure-la; et ton coeur s'apaisera. Tu comprendras que toi aussi tu es coupable, car tu aurais pu luire, éclairant les coupables, même si tu avais été le seul juste — et tu n'as pas lui. Si tu avais lui, ta lumière leur aurait montré une autre route; et le crime qu'ils ont accompli, ils ne l'auraient peut-être pas accompli, à cause de ta lumière.

El même si tu as lui, mais t'aperçois que tu ne sauves personne, et que les gens s'endurcissent à cause de ta lumière: ne doute pas de la puissance de la lumière céleste. Crois bien ceci: même s'ils n'ont pas été sauvés pour cette fois, ils seront sauvés plus tard. Et même s'ils ne sont pas sauvés plus tard, leurs fils seront sauvés; car ta lumière ne meurt pas, bien que toi-même tu meures » (Les frères Karamazov, vi — traduction de Mère Elisabeth de Solms: Églises russes, Ed. Zodiaque 1969, p. 105-108).

Comme toujours, l'Évangile accomplit l'Ancien Testament. Loin d'opposer à la Justice la Charité, il met la charité, la solidarité, dans la justice elle-même et pousse la charité jusqu'à refaire 'justes' ceux qui s'étaient rendus injustes. Ainsi le Christ échappe-t-il à tous ceux qui voudraient « le tenter* et pouvoir l'accuser » (// Jn 8,6) :

AUGUSTIN: Traité 33,4 sur Saint-Jean (PL 35,1648): L'accuser de quoi? Est-ce lui, qui avait été pris en flagrant délit? Ou cette femme avait-elle quelque lien avec lui? ... Mais ils avaient remarqué qu'il était bon, qu'il était doux. Le prophète avait dit de lui: «... Avance et règne, pour la vérité, la douceur, la justice ». Il apportait la vérité comme docteur, la mansuétude comme libérateur, et la justice comme « le Dieu qui sait ». Ne pouvant le trouver en faute sur la vérité ni la douceur, ses ennemis dévorés d'envie lui tendirent un piège sur la justice. Pourquoi? Parce que la Loi avait ordonné de lapider les adultères: et si quelqu'un s'opposait à la Loi, il serait convaincu d'injustice. Ils se dirent donc: C'est sur la justice qu'il faut lui chercher querelle. S'il ordonne de lapider cette femme, il n'est pas bon; s'il la renvoie indemne, il n'observe pas la justice ». Mais voici que le Seigneur, dans sa réponse, observera la justice et ne se départira pas de sa bonté.

Voyez quelle plénitude de justice, de mansuétude, de vérité! « Que celui de vous qui est sans péché lui jette la première pierre. » O réponse de sagesse ! Comme il les réintroduit en eux-mêmes! Au-dehors, ils cherchaient la querelle, au-dedans ils ne se voyaient pas eux-mêmes. O docteurs de la Loi, vous avez entendu Celui qui vraiment garde la Loi, mais vous n'avez pas encore compris qu'il est le Législateur. Quel sens cela a-t-il pour vous, quand d'un doigt il écrit sur le sol? La Loi fut écrite par le doigt de Dieu.

Et Rupert de Deutz (PL 169,532) conclut somptueusement: Là furent gravées les secondes Tables, écrites du doigt de Dieu comme les premières. Qu'ici Jésus se penche une fois de plus, pour écrire sur la terre, cela signifie la grâce nouvelle, écrite par l'Esprit de Dieu sur les tables de notre coeur de chair.

Ainsi l'Évangile répond au Pentateuque, en réalisant la promesse d'Ez 36,26 de donner à la fermeté de la pierre la bonté compréhensive du coeur de chair, comme le constate saint Paul (): en 3 lignes géniales, Rupert a montré la convergence de la Loi et des Prophètes avec l'Évangile et l'enseignement des Apôtres.

Dt 17 // 1Co 6,1-2 Saint Paul dit bien ici (au v. 7) que la Réalité de la vie chrétienne, c'est l'identification à la douceur du Christ, la pratique des Béatitudes et de la Loi nouvelle donnée sur la Montagne (Mt 5-7), bref l'instauration du Royaume des cieux en une Église « sainte et immaculée » (Ep 5,27). Dès le baptême, « nous sommes devenus Un avec le Christ, dans le signe de sa mort... et celui qui meurt est délivré du péché » pour vivre une vie de ressuscité (Rm 6). Mais c'est une réalité 'sacramentelle', dont mystique — intérieure, « cachée avec le Christ en Dieu » — et notre conduite extérieure, ou même nos réactions psychologiques ne sont pas immédiatement conformes à cette réalité plus profonde. À nous d'y conformer peu à peu nos sentiments et nos actes. La grâce et l'amour de Dieu nous en donneront la générosité, mais au besoin, nous pouvons recourir aussi à l'aide et aux conseils de nos frères: directeur de conscience, communauté chrétienne dont nous sommes membre, etc... (Dt), en évitant d'étaler nos difficultés sur la place publique ou dans la presse (1Co 6). Ainsi les prescriptions de la Loi du Sinaï ont-elles gardé toute leur valeur.

Dt 19,14 et // — Insérée au milieu d'un chapitre sur l'homicide, clause sur le respect de la propriété — que nous joignons donc aux ch. 16-17.

Mais le motif donné à l'interdiction est moins directement moral (ou : de respect de la justice) que religieux, puisqu'il vient du souci de garder l'Héritage attribué à chacun en Israël par le Testament de Dieu. Et, bien sûr ! s'il convient d'accepter avec reconnaissance le Don de Dieu, même dans ce qu'il a de terrestre, que ce ne soit pas pour nous faire oublier le véritable Héritage, céleste, dont les Bénédictions* de cette vie temporelle ne sont que les arrhes (/ Mt 6,19-20 — Le Christ utilise d'ailleurs des images classiques chez les Prophètes et les Sages, pour rappeler la précarité de la condition humaine — Jb 4,19 Jb 13,28 Ps 39,12 Is 50,9 Is 51,8 — Mais l'avidité sans scrupules dans l'acquisition des biens terrestres sera plus précisément dénoncée par les Prophètes — // Is 5,8 Mi 2,1-4 — et dans l'affaire de la vigne de Nabot — 1R 21 et 2R 9,30-37).

Dt 19,15-20 et // — Règle de prudence pour éviter le risque du faux témoignage isolé, ou même concerté (par l'interrogatoire séparé des deux témoins, comme l'histoire de Suzanne en donne l'exemple convaincant — Dn 13). Cette règle jouera dans le procès du Christ (Mt 26,59-61), et sera reprise dans la jurisprudence de l'Église (). Jésus lui-même l'invoquera pour garantie de son propre témoignage: « S'il m'arrive déjuger, moi, mon jugement est véridique parce que je ne suis pas seul, mais avec moi Celui qui m'a envoyé » (Jn 8,16-17).

Mais cette médiation des témoins ne vaut pas seulement pour la condamnation : les médiateurs peuvent avoir aussi un rôle de réconciliation (// Mt 18,16-17). Quant à la répression (Dt 19,19-21) dont on voit que son rôle dissuasif est expressément reconnu (v. 20), cette fois encore, loin d'être atténuée dans le N.T., elle demande « un supplice beaucoup plus terrible », à proportion de l'enjeu qui est cette fois non plus justice humaine mais divine (// He 10,28).

Dt 19,21 — Sur le talion, cf Lv 24,19-22*. Âme pour âme: L'expression peut ici fort bien signifier seulement:’Vie pour vie'. Mais Dhorme garde la traduction textuelle qui a l'avantage de souligner que, dans la vie, il y a plus important que la seule vie physique, et que le sort de l'âme s'y trouve engagé.

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Vrais et faux prophètes

Dt 18,9-20).


À l'interdiction des cultes païens, d'ailleurs rappelés ici dans ce qu'ils ont de plus abominable — v. 9 : le sacrifice des enfants — s'ajoute celle des pratiques divinatoires, plus ou moins liées à ces cultes. Et une fois de plus, ce premier des commandements est si décisif pour tout le reste (cf. Rm Rm 1,22-32 / Qï) qu'à lui seul le respect de l'amour sans rival pour le Dieu de l'Alliance assure déjà l'intégrité de l'Alliance (v. 13).

En hébreu,’Tamim' signifie, objectivement: intègre, complet, parfait, sans défaut, comme doit l'être par exemple l'animal offert en sacrifice. Moralement, il désigne celui qui est innocent, immaculé, juste, intègre, parfait, irréprochable, pur. C'est ce que Dieu demande à Abraham (Gn 17,1), ce qui lui plaît en David (Ps 78,72 cf. Pr Pr 11,20) ou en Job, et qui peut donner à celui-ci confiance dans son malheur (Jb 4,6 cf. Jb 2,3); c'est le voeu du psalmiste (19,14; 101,6; // 119,1). Être honnête dans notre engagement envers Dieu, c'est à la fois le commencement et l'accomplissement du contrat d'Alliance.

Dt 18,15-20 — La référence à la demande des hébreux du Sinaï(Ex 20,19 — soulignée en Dt 5,4-5 et 22-33) montre que ce Prophète doit être un médiateur, chargé de transmettre sous un mode plus accessible aux hommes la Parole fulgurante de Dieu. Moïse en est donné comme le type, annonçant le médiateur et le prophète, en qui les juifs contemporains avaient reconnu que ce serait le Messie attendu. Quand ils demandent à Jean-Baptiste: « Es-tu le prophète » (Jn 1,25)? quand les disciples d'Emmaus désespèrent de ce Jésus qui pourtant s'était montré « un prophète puissant en oeuvres et en paroles devant Dieu » (Lc 24,19), on peut supposer que leur question s'appuie sur Dt 18,15 (cf. Ex 34,9-11*). En tous cas, ce que Moïse prédisait sur un ton quelque peu désabusé: « Lui, vous l'écouterez » (Dt 18,15), corne en écho le Père lui-même l'ordonne sur Jésus transfiguré: «Ecoutez-le!» (// Mc 9,4-7 cf. Ex 24,12-18*). Aussi, dès les lendemains de la Pentecôte, Pierre ou Etienne prêchent le Christ, prophète annoncé par Moïse (Ac 3,22-23 et 7,37). Ce que la Tradition chrétienne commentera en soulignant que Jésus est bien par excellence à la fois le Médiateur entre Dieu et les hommes, et le Prophète du Père:

Cyrille d'alexandrie : Sur Jn 5,46 (pg 73,427-429) : Voici qu'à nouveau le mystère du Christ nous est révélé en Moïse: « Un prophète comme moi » — Moïse confirme qu'il est médiateur parce que la faiblesse des Juifs ne peut supporter l'extraordinaire manifestation divine. Réfère ce 'type’ à la vérité, et tu y discerneras le Christ, Médiateur de Dieu et des hommes, enseignant à ses disciples av 'c une voix humaine — quand il est né pour nous d'une femme — la volonté ineffable de Dieu et son Père, volonté qui lui est connue à lui seul, en tant qu'il est Fils de Dieu et Sagesse de Dieu, connaissant toutes choses, même les profondeurs de Dieu. Comme nous ne pouvions regarder de nos yeux charnels la gloire divine pure, nue, ineffable — car « l'homme ne peut voir ma Face et vivre » — le Verbe, Fils Unique de Dieu, s'est conformé à notre infirmité: il a revêtu un corps mortel, suivant l'ineffable dessein de sa Providence ; et il nous a manifesté la volonté d'en haut, c'est-à-dire de Dieu et son Père, en disant: « Tout ce que j'ai entendu de mon Père, je vous le fais savoir » ; et encore: «Je ne parle pas de moi-même, mais le Père qui m'a envoyé m'a commandé lui-même ce que je dois dire ».

Donc, en ce qui regarde l'image de la médiation, nous devons regarder Moïse comme le type du Christ, puisque Moïse rapportait aux fils d'Israël les décrets divins; mais la médiation de Moïse était une médiation de serviteur, tandis que la médiation du Christ est libre et mystique, puisque par nature il touche les deux extrêmes dont il est Médiateur, et appartient aux deux: à Dieu son Père et à l'humanité.

Interprétant semblablement Dt 18,15, Rupert y montre en outre comment le Christ lui-même s'en réclame indirectement, lorsqu'il donne pour preuve de l'authenticité de sa mission le signe donné en Dt 18,21-22: l'accomplissement de ce qui a été prédit :

Rupert de Deutz: Op. cit., In Dt 1,4 (PL 167,920): Ce grand prophète (à venir)est certainement le Christ Fils de Dieu, prophète et Seigneur des prophètes. Dieu tint pour une supplique les paroles des Israélites, car parler ainsi c'était demander un Médiateur. Toi qui as demandé que la Parole de Dieu se fasse pour toi moins redoutable, tu pourras l'écouter, en effet: quand ce Médiateur te parlera, la majesté fulgurante de sa divinité sera cachée dans la chair comme dans une nuée. Et il leur propose ce signe: « Si tu dis en toi-même: Comment puis-je discerner que le Seigneur n'a pas dit telle parole? Eh bien: quand un prophète aura prophétisé au nom du Seigneur et que la chose n'arrivera pas, c'est que le Seigneur ne l'a pas dite mais que le prophète l'a imaginée dans l'orgueil de son coeur. Et donc, tu n'en tiendras pas compte » (Dt 18,21-22). Le Christ, sachant que cette Écriture est en sa faveur, dit aux Juifs qui le calomnient : « Les oeuvres que mon Père m'a données pour que je les fasse, ces mêmes oeuvres que je fais, témoignent pour moi que le Père m'a envoyé » (Jn 5). Et ailleurs: « Les paroles que je dis, je ne les dis pas de moi-même. Mon Père, qui demeure en moi, fait lui-même les oeuvres » (Jn 14). Votre Loi vous dit que tel sera le signe du grand prophète auquel vous devrez obéir: Je poserai, moi, mes paroles en lui; et «si quelqu'un ne veut pas l'entendre, c'est moi qui serai le Vengeur » (Dt 18,19).

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Sur la guerre et le butin de guerre

Dt 20-21.


Le Dt ne statue pas sur la guerre en général, mais sur celles qu'auront à soutenir les Hébreux, choisis par Dieu comme « le moins nombreux d'entre les peuples » (Dt 7,7 et ici, v. 1), s'appuyant d'autant plus entièrement sur son Dieu (Dt 20,1-4 // Ps 44,5-8): c'est une épreuve de confiance du même type que la pérégrination dans le désert.

Cette perspective combattante ne saurait être exclue de la condition humaine si, au dire de Job, « la vie de l'homme sur cette terre est un combat ».

Mais le N.T. lui-même, tout en bénissant les pacifiques, souligne pourtant combien le Royaume des cieux exige d'efforts, de « résistance jusqu'au sang dans la lutte contre le péché » (He 12,3), pour « tenir ferme en luttant pour la foi» (Ph 1,27-30), et même de violence (Mt 11,12) sur soi-même, pour «remporter le prix» () et «combattre le bon combat» (1Tm 6,12 2Tm 4,7). Encore plus, l'Apocalypse nous parle-t-elle d'un état de guerre. C'est dire qu'ici comme et plus qu'ailleurs, le sens historique est typique d'une attitude chrétienne valant pour chacun de nous (intérieurement, dans notre vie morale) comme pour toute l'Église militante attendant et préparant l'Avènement du Royaume, lors de la Parousie du Seigneur et la Fin des temps troublés.

Car bien entendu, l'aide divine promise à Israël nous assure mieux encore d'être vainqueurs, c'est-à-dire sauvés (la 'victoire' que chantent les Psaumes étant constamment le Salut). « Si nous peinons et combattons, c'est que nous avons mis notre espérance dans le Dieu vivant, le Sauveur de tous les hommes, des croyants surtout » (1Tm 4,10). Le Christ est à la tête des légions d'anges — qu'il n'a pas voulues à son secours durant son agonie (agonie signifie:’combat') — pour la grande bataille qui l'oppose à toutes les forces du Mal liguées contre lui et son Église (Ap 19). Notre meilleure arme pour « propager l'Evangile de paix » est donc « le bouclier de la foi, le glaive de l'Esprit, c'est-à-dire la Parole de Dieu » (Ep 6,10-20) et la prière (Rm 15,30).

Dt 20,5-9 // Lc 14,15-24 — Le parallèle est cette fois antithétique. Car le combat d'Israël, tel que l'institue le Dt, se recrute dans une élite: Gédéon et ses 300 hommes en seront l'illustration (Jg 7 — cf. aussi 1M 3,56). Par contre le Christ enrôle tout le monde, si bien que les excuses admises par le Dt n'ont plus cours dans l'Évangile.

Dt 20,10-18 // Lc 10,3-14La Paix est le seul but cherché. Mais pour qui la refuse, l'anathème n'est pas moins dur dans l'Évangile qu'au Dt. Seulement, il doit rester bien entendu qu'au moins les chrétiens ne sauraient s'en réclamer dans un sens seulement littéral de massacre: il leur faut comprendre de façon plus intérieure et spirituelle ce travail « efficace et incisif de la Parole de Dieu pénétrant jusqu'au point de division de l'âme et de l'esprit... » si bien que le Sauveur lui-même apparaisse comme « un signe de contradiction pour la chute et le relèvement d'un grand nombre » (He 4,12 Lc 2,34-35 / Or).

Comme des agneaux parmi les loups (// Lc 10,3-4): et comme David s'avançant à la rencontre du géant Goliath, « au nom de Yahvé Sabaoth, le Dieu des troupes d'Israël que tu as défiées » (1S 17,45).

Dt 20,19-20 — Déjà le sort de l'arbre se juge d'après ses fruits (// Mt 7 Mt 18-19). On sait que le Christ lui-même maudira le figuier qui ne portait pas de fruits (Mc 11,12-14 Mc 11,20-21). Il n'avait pourtant pas manqué à sa nature, puisque ce n'était pas la saison. Il avait seulement manqué de répondre à l'appel divin (qui ne va pas sans la grâce correspondante nous permettant d'accomplir cette vocation). Et le Père lui-même, en bon vigneron, nous émonde pour que nous portions beaucoup de fruit (Jn 15).

Dt 21,10-14 // Mt 5,43-46 Mt 5,48 ...puisque tu l'as humiliée »: Mot rare. Nous prenons l'interprétation qui est celle de la Septante et de la Vulgate, et traduit si bien ce que la conduite du vainqueur avait d'offensant pour la dignité et la liberté fondamentale de la femme du vaincu. À plusieurs reprises, le Dt témoignera de ce beau souci d'introduire plus d'humanité dans les moeurs de l'époque. Mais l'Évangile, lui, veut nous convertir aux moeurs et à la perfection divines, précisément jusqu'à ce point-là, le plus extrême, de l'amour des ennemis. Notons cependant que si l'Ancien comme le Nouveau Testament ordonne de « haïr le Mal », et de supprimer les germes de sa contagion, donc ce qui est ennemi de Dieu, ce n'est pas dire que, dans toute 1'Écriture, il soit une seule fois expressément commandé de « haïr nos ennemis ».

préceptes divers (Dt 21,18 à 26,19). Même s'il y a une certaine répartition entre la vie civile, familiale et sociale, puis la vie religieuse, ce que nous en distinguons est insuffisant pour lier en faisceaux des lois qui ont plutôt en commun l'esprit du Dt que nous avons dit: conscience de l'élection d'Israël par le Dieu saint, exigeant en retour sainteté, rectitude morale et humanité.

Dt 21,18-21 et // — Le fils rebelle: Le grand nombre des Proverbes touchant au respect filial tient à l'importance de cette vertu, si naturelle dans la vie des peuples. Mais a fortiori pour Israël dont le Dieu s'est fait le Père, rendant ainsi filiale la religion tout entière.

Dt 21,22-23 et // — L'insertion de ce paragraphe au milieu d'un ensemble sur la vie familiale et quotidienne entre voisins (22,1-4) paraît curieuse. Mais s'il est vrai que cette disposition de la Loi ancienne annonce l'ensevelissement précipité du Christ, comme cela vient parfaitement à la suite des dispositions contre « le fils rebelle » que nous sommes tous envers notre Père des cieux, et dont le Christ a précisément pris sur lui le châtiment !

Un pendu est une malédiction de Dieu: non au sens que cette mort serait causée par cette malédiction, mais parce que l'exemple terrible que donne cette mort exposée sur une sorte de pilori est le signe de l'état où se trouve l'âme rebelle, séparée du Dieu de toute bénédiction *.

L'hébreu peut du reste se traduire aussi: Un pendu est maudit de Dieu, comme le fait la Vulgate: « Maledictus a Deo est qui pendet in ligno ». Ce que Rupert de Deutz interprète ainsi :

La lettre de la vérité hébraïque dit: « Il est maudit de Dieu, celui qui pend au bois. » Elle ne dit pas: Qu'il soit maudit de Dieu, celui qui pend au bois. C'est une énonciation, non une imprécation.

Et maintenant, voyons quelle est l'intention de cet énoncé de malédiction — surtout qu'on ordonne d'ensevelir le supplicié précisément parce qu'il est maudit de Dieu. N'est-ce donc pas une bénédiction pour les morts, de recevoir la sépulture? Et n'est-ce pas au contraire une malédiction que d'être privé de sépulture? — ainsi qu'y fut condamné par un terrible verdict un roi qui l'avait bien mérité: « Tu seras enseveli de la sépulture des ânes », ce qui veut dire : aucune sépulture (Jr 22). Les saints, les grands ancêtres et patriarches, n'ont-ils pas recommandé avec soin d'ensevelir leur corps, et parfois même de les transférer? N'ont-ils pas attaché un grand prix à être ensevelis, et non pas n'importe où, mais dans les sépulcres de leurs Pères ? (Gn 35 et 50).

Qu'il est donc admirable et antique, le dessein de notre Crucifié qui, si longtemps avant de venir, donna ce précepte d'ensevelir son corps, si bien que le commandement écrit pour lui seul profita à tous les crucifiés ! Car il était licite aux bourreaux de laisser sans sépulture et de jeter aux chiens un homme lapidé ou égorgé: pour les seuls crucifiés, et à cause du Juste qui serait un jour crucifié, la Loi prophétique, écrite du doigt de Dieu, interdit qu'on leur refuse la sépulture. Ne croyez-vous pas que l'Esprit prophétique de notre Crucifié rugissait dans le coeur de Moïse, avec des gémissements inérarrables, tandis que celui-ci écrivait une telle loi ? Tous les crucifiés seraient ensevelis, en vertu de la Loi, afin que cet « Unique » crucifié pour le salut du monde et maudit par Dieu ne manquât pas de sépulture — et notez que ce « maudit par Dieu » ne se lit dans aucune des malédictions de la Loi. Par exemple, quand la Loi dit: « tu seras maudit dans la ville, maudit dans les champs... (Dt 23), nulle part n'ajoute « par Dieu », sinon en ce seul verset. Pourquoi? sinon que le Christ crucifié est seul maudit « par Dieu », en ce sens que Dieu a posé sur lui, comme le dit le prophète, les iniquités de nous tous ? (Is 53). « Que soit donc enseveli, dit la Loi, celui qui pend au bois » ; car un jour, il y en aura un qui pendra au bois, et qui sera maudit par Dieu : par Dieu, dis-je, faisant peser sur lui toutes les malédictions du genre humain (In Jn 19 PL Jn 169,24-93 — Se retrouve aussi In Dt; PL Jn 167,154).

Dt 22,1-4 et / — Entraide: C'est la vie quotidienne, et c'est la Loi du Christ.

Dt 22,5 et // — Triste exemple d'une interprétation aveugle parce qu'uniquement matérielle du précepte: Jeanne d'Arc. Le // Rm 1,24-25 (cité plus longuement en / Qi) met au contraire l'accent sur la raison morale de cette interdiction des déviations contre la nature, c'est-à-dire contre la création telle que Dieu l'a faite.

Dt 22,6-7 et // — Autre exemple de l'humanité du Dt: ce souci ne viendrait-il pas de ce que précisément cette loi est divine11. Puisque Dieu s'occupe du moindre passereau et qu'il « a souci de l'humble », quoi d'étonnant s'il légifère à ce propos?

Dt 22,9-11 et // — Ces mélanges indus iraient contre l'oeuvre divine de Séparation* qui est à l'origine de la création; ils feraient donc le jeu du Mal, puissance de désagrégation et de confusion :

Grégoire de nysse : De Instituto christiano (pg 46,293): Le bienheureux Moïse a dit: « Tu n'attelleras pas ensemble dans ton aire des animaux de diverses espèces tels qu'un boeuf et un âne; mais tu battras ton grain en mettant sous le joug les animaux de même espèce. Tu ne tisseras pas du lin avec de la laine dans un même vêtement. Dans le sol de ta terre, tu ne sèmeras pas deux graines différentes l'une sur l'autre dans la même année. Tu n'accoupleras pas deux animaux d'espèces différentes, mais tu mettras ensemble ceux de la même espèce » (Dt 22,9-11 et Lv 19,19).

Que veulent dire ces énigmes, pour le saint? Qu'il ne faut pas semer dans la même âme le vice et la vertu, partager sa vie entre des contraires, cultiver à la fois les épines et le froment. Il ne faut pas que l'Épouse du Christ commette l'adultère avec les ennemis du Christ: elle ne peut enfanter d'une part la lumière, d'autre part les ténèbres.

Car ces choses ne sont pas faites pour aller ensemble, ni les parties de la vertu avec celles du vice. Quelle amitié pourrait se nouer entre la modération et l'intempérance? Quel accord entre la justice et l'injustice? Quelle société entre la lumière et les ténèbres? N'arrivera-t-il pas infailliblement que l'un cédera le terrain à l'autre, et ne voudra pas rester en face de l'assaillant?

Il est donc nécessaire que le sage agriculteur répande, comme d'une source bonne à boire, les eaux pures de la vie sans mélange d'aucun bourbier; car il ne doit connaître que les seules récoltes de Dieu, et y travailler persévéramment toute la vie. Alors, même si une pensée étrangère vient à pousser, à couvert des fruits de la vertu. Celui qui voit tout regardera tes labeurs; et rapidement, par sa propre puissance, il tranchera cette racine de mauvaises pensées, fausse et cachée, avant qu'elle ne germe. Car si quelqu'un persévère aux labeurs de la vertu, la grâce de l'esprit l’accompagne en détruisant au plus tôt les semences du vice. Et il est impossible que celui qui adhère toujours à Dieu perde l'espérance ou soit laissé sans secours.

Dt 22,13 à 23,1 — Questions concernant le respect du 6° commandement, pour lesquelles on peut se référer à Lv 20,8-26 Lv 20,

Dt 23,13-15 et // — Si la Loi n'est pas à interpréter en un sens uniquement matériel, ce n'est pas dire qu'elle néglige les nécessités les plus humbles. Mais alors même, ce qui est visé, c'est la sainteté du peuple de Dieu — jusque dans son environnement, dirait-on aujourd'hui.

C'est ce qui vient du coeur... : Voilà pourquoi il ne suffit pas de mettre en cause les institutions, si l'on n'obtient pas une conversion intérieure.

Dt 23,16-17 et // — Accueillir l'esclave: Contre la dureté des institutions, non seulement l'humanité, mais la fraternité chrétienne.

Dt 23,22-24 et // — Accomplissement des voeux.

Dt 23,25-26 et // — Mesure complétée en Dt 24,19-21.

Dt 24,1-4 // Jr 3,1 — Le parallélisme comme le sens habituellement sombre des prédictions de Jérémie porteraient à comprendre que le retour en grâces d'Israël infidèle à son Dieu lui est interdit (Dans le même sens, cf. He He 6,4-8). D'où la traduction habituelle du dernier vers, où triompherait l'indignation: «Et tu reviendrais à moi?», bj adoucit en: «Tu prétends revenir à moi ».

Mais l'Écriture tout entière témoigne bien plutôt de la miséricorde inlassable de Dieu qui, au moindre signe de repentir, pardonne. Jérémie lui-même que prêche-t-il en définitive, sinon cette miséricorde, mais conditionnée par une conversion véritable? D'où l'interprétation miséricordieuse de la Vulgate, qui n'est donc pas abusive: « Reviens à Moi et je t'accueillerai ». Pour laisser ouvert ce sens favorable, nous préférons au conditionnel d'indignation le futur miséricordieux: « et tu pourras revenir à Moi ».

En tous cas, Jérémie nous montre que le précepte du Dt ne vaut pas seulement du mariage entre l'homme et la femme, mais de l'Alliance nuptiale de l'homme avec son Dieu. Et si elle se trouve conclue dans l'incarnation rédemptrice du Christ, de sorte que le lien conjugal prenne désormais la force du « sacrement », signe visible du « Grand Mystère de l'union du Christ et de l'Église » (Ep 5), comment ce lien ne serait-il pas plus indissoluble encore dans la Nouvelle Alliance que dans la Loi de Moïse? (// Mt 5 et Mc 10).

Dt 24,6-22 et // On parlerait aujourd'hui de 'législation sociale'. Mais ce souci du pauvre et de l'étranger est de toute l'Écriture, du Pentateuque aux Prophètes, aux Sages et au Nouveau Testament (/ Jc 5,4). Ici, au Dt, revient par deux fois le leitmotiv: « Souviens-toi que tu as été esclave en Egypte ». Difficile de ne pas oublier dans la prospérité les difficultés passées — mais qui demeurent présentes à ceux qui n'en sont pas sortis (Dt 24,14-15).

Dt 24,16 // Ez 18 — La reconnaissance de ce que la culpabilité a de strictement personnel — puisque c'est le degré de conscience et de liberté qui mesure cette culpabilité — intervenant ici au milieu de cette législation sociale met par avance en garde contre certaines généralisations, faciles mais abusives, sur 'la culpabilité collective'. Si toute faute a un retentissement collectif, qui l'aggrave d'autant, on ne peut en conclure que chacun soit directement et automatiquement condamnable des fautes commises par les autres, ni de toutes les déficiences des institutions. Cette délimitation de notre propre culpabilité — nécessaire à une bonne santé morale — ne nous empêche évidemment pas de prendre volontairement en charge ce qui ne va pas de par le monde, et d'essayer de l'améliorer (au sens où l'entendait Dostoïevski, en Dt 16,18-20*; au sens où le Christ, Agneau de Dieu — sans nulle culpabilité — n'en a que mieux pris en charge la responsabilité de tous les péchés du monde, et leur châtiment).

Toutes les âmes sont à Moi (Ez 18,4) — Ici encore, nous traduisons 'Nephesh’ par âme, sans qu'il puisse y avoir danger de tomber dans le 'dualisme' qu'y soupçonnent les exégètes. Bien à tort la plupart du temps, car le langage de la Bible" est rarement du genre philosophique, où l'ambiguïté serait en effet à éviter. En tout autre genre littéraire, le mot âme, si naturel à la poésie autant qu'à la religion, présente le grand avantage de rappeler la hiérarchie entre le corps et l'âme — plus nécessaire en un monde tenté par le matérialisme — et convient en tous cas parfaitement lorsque c'est Dieu qui parle (Cf « Foi et Langage» 1977/ 13, p. 166-168).

Mais ce n'est pas mépriser le corps et ses besoins, bien sûr! Dt 23,13-15 en témoignait dignement.

Dt 25,1-3 et /: Châtier sans avilir: C'est le même respect de la dignité humaine que dans la loi en faveur des captives (Dt 21,10-14*). Le N.T. prévient cette revendication d'être reconnu juste et d'obtenir le châtiment du coupable par l'avertissement évangélique: Remettez les dettes que l'on a envers vous, si vous ne voulez pas que Dieu soit impitoyable à réclamer vos dettes, incomparablement plus grandes, envers Lui (Cf. le texte de DOSTOÏEVSKI, à Dt 16,18-20*).

(Dt 25,4/ — Tu ne muselleras pas le boeuf...:théodoret de cyr : Question 31 sur le Dt (pg 80,432) : L'Apôtre a donné le sens spirituel de ce commandement. Le sens littéral est plein d'humanité: car il serait injuste que l'animal qui se fatigue à labourer la terre ou à fouler le grain n'ait aucune part à la récolte.

Dt 25,5-10 // Rt 4,7-12 Mt 1,5La loi du Lévirat: Elle est donc intervenue dans la génération du Christ.

théodoret: Question 32 sur le Dt (pg 80,432-33): Pourquoi la Loi ordonne-t-elle de cracher au visage de l'homme qui ne veut pas épouser la veuve de son frère mort sans postérité? — La Loi veut imposer l'amour fraternel sous peine d'infamie. Il serait plus noble que le vivant prenne l'intérêt du mort par affection ; mais tous ne respectent pas cette loi de nature.

Dt 25,13-16 // Mt 7,1-5 — Cet appel à la justice complète les prescriptions des ch. 16-17 et 19. Il vaut non seulement dans les transactions matérielles, mais dans les jugements de l'esprit. L'Évangile le montre encore mieux en détectant d'où vient que nous sommes si sévères pour le prochain: c'est qu'infestés nous-même du Mal, nous réagissons d'autant plus vivement. Ce qui ne serait pas mauvais si, faisant alors un retour sur nous-mêmes, nous commencions par nous corriger de ce qui nous choque si fort seulement quand nous le voyons chez les autres (Ici encore, cf. Dostoïevski, à Dt 16,18-20* ).

Dt 25,17-19 — Nous ne donnons pas cette réitération de l'anathème sur Amalec, donc la portée a été expliquée par D. Barsotti, en Ex 17,8-14. Citons ici Rupert de Deutz (Op. cit. In Dt 1,40 PL Dt 167,187-188), qui met en rapport la faute d'Amalec et ses conséquences lointaines: Souviens-toi de ce que t'a fait Amalec, quand tu étais en route, sortant d'Egypte: comment il t'a assailli et frappé... quand tu étais accablé de fatigue et de faim. Il n'a pas craint Dieu. Donc, quand le Seigneur ton Dieu t'aura donné le repos et t'auras soumis toutes les nations qui sont autour de toi, sur la terre qu'il t'a promise, tu effaceras son nom de dessous le ciel. » H y a là un commandement très grave contre Amalec, aussi bien dans ce chapitre du Deutéronome : « Veille à ne pas oublier », que dans l'Exode où nous lisons: « Écris cela dans le livre pour qu'on en garde mémoire, et transmets-le à Josué: J'effacerai la mémoire a"Amalec de dessous le ciel ». C'est à Saiil que revient l'exécution de cet ordre, quand le Seigneur lui dit: « J'ai tenu le compte de tout ce qu’Amalec a fait à Israël, comment il s'est opposé à lui sur la route, après la sortie d'Egypte. Maintenant donc, va et frappe Amalec » (Is 15). Il n'est donc pas étonnant que Saiil ait été rejeté irrémédiablement pour sa faute (quand il épargna Agag, roi d'Amalec), car il transgressait l'ordre qui avait été répété jusqu'à trois fois.

Dt 26,1-11L'offrande des prémices : Tout vient de Dieu le Créateur. Il est donc naturel de le 'reconnaître' — au sens d'en prendre conscience et de l'en remercier — par l'offrande soit des premiers nés (Ex 13*), soit des prémices de la récolte (Lv 2,14 Lv 23,10-11).

Le prêtre prendra de tes mains la corbeille, et la déposera (v. 4)... J'apporte les prémices... Et tu les déposeras (v. 10): Les deux versets ne sont pas forcément contradictoires, ni l'ordre du rite inversé, comme si l'offrande était 3( deux fois présentée, par le donateur d'abord, puis par le prêtre. Bien plutôt convient-il de comprendre que ce rite relève du seul ministère du prêtre. Mais celui-ci est si bien habilité à le faire au nom des hommes qu'il re-présente devant Dieu (He 5) que, par son office, c'est bien le donateur lui-même qui peut être assuré d'avoir « déposé » les prémices devant Dieu. Tu diras... (v. 5-10): Les paroles accompagnant le rite qui est si naturel (reconnaissance au Créateur de sa Bénédiction * manifestée par la fécondité de la création), le chargent d'une signification nouvelle, historique cette fois, la récolte témoignant que Dieu a tenu «la promesse faite à Abraham», en délivrant son Peuple de l'esclavage d'Egypte, et en lui donnant de s'établir en Terre de Canaan.

« La déclaration prescrite prend aux vv. 5-9 les dimensions d'une profession de foi, à peu près unique dans /'a. t. En revanche, le fait que son contenu soit exclusivement historique est normal dans la Bible (cf. Jos Jos 24,1-13 / Te; Ne 9,7-25 Ac 7,1-54 Ac 13,17 etc. ). Les événements cités sont ceux de l'ensemble du Pentateuque. Mais plutôt qu'une formule très ancienne qui aurait servi de canevas aux récits de Gn et Ex, ces versets apparaissent comme un résumé de la première partie du livre; l'abondance des formules deutéronomiques en est une preuve » (p. buis & J. leclercq : Le Deutéronome, p. 167).

Dt 26,5Mon père était un Araméen errant... : Tel est le sens obvie de l'hébreu, retrouvé d'abord par l'exégèse juive (du xn° siècle), puis chrétienne (du xvi°), aujourd'hui unanimement reconnu. Mais, depuis le III° ou iv° siècle avant notre ère jusqu'au xn° siècle, juifs et chrétiens avaient compris la phrase en sens inverse: L'Araméen chercha à perdre mon père.

Ce père étant Jacob, comme l'indique la suite, l’Araméen serait alors Laban, quand il poursuivit son gendre, parti avec les deux filles qu'il lui avait données — Léa et Rachel — ses enfants et tous ses troupeaux (Gn 31).

Sans nier le bien fondé des traductions modernes, le P. Dreyfus vient de montrer que l'interprétation traditionnelle n'était pas si grammaticalement aberrante qu'il paraît. Surtout, elle élargit les perspectives de tout le passage et lui donne valeur permanente. C'est donc un exemple de plus de la lecture actualisante de la Bible, qui fut celle de la tradition tant juive que chrétienne, dont ce P. Dreyfus a si bien expliqué la valeur (cf. notre Introduction Générale), et que nous nous efforçons nous-même de pratiquer.

Avec l'introduction:’ L'Araméen voulait tuer mon père', le 'petit Credo’ de Dt 26,5-10 recevait une dimension nouvelle qui favorisait son actualisation à toutes les étapes du peuple de Dieu. La sortie de l'Egypte, qui était le centre de cette profession de foi (v. 6-8), était ainsi arrachée à sa contingence événementielle pour devenir une constante de l'histoire d'Israël. Ce n'était plus seulement un événement isolé, singulier, mais le deuxième épisode de l'histoire d'une délivrance qui avait commencé avec Jacob sauvé de la mort que Laban voulait lui faire subir. Cette présentation peut s'appuyer sur le Pentateuque lui-même où l'on discerne un parallèle voulu entre Jacob et Laban d'un côté, Moïse et Pharaon de l'autre. On voit dès lors la richesse doctrinale de cette interprétation qui fait du Dt 26,5-10 une clef donnant le sens de tous les épisodes où Israël a été sauvé par Dieu de l'anéantissement menaçant. Ceci est exprimé en clair dans la Haggada pascale dans une phrase qui figure dans le texte le plus ancien que nous possédions : « Car ce n'est pas un seul homme qui s'est dressé contre nous pour nous exterminer, mais dans chaque génération se sont levés (des hommes pour nous exterminer) et le Saint, béni soit-il, nous a délivrés de leurs mains ». Cette phrase permet d'actualiser la célébration pascale de la sortie d'Egypte. Les épreuves actuelles ne sont que les dernières en date d'une longue série de malheurs qui ont commencé avec Jacob notre père... Dieu nous sauvera comme il l'a toujours fait et ce salut est le gage du salut définitif que nous attendons. Ainsi peut être exécutée cette prescription très ancienne de la Haggada pascale, déjà reproduite dans la Mishna: « Dans chaque génération, tout homme doit se 6,5 considérer comme étant lui-même sorti d'Egypte » (dans : De la Tôrah au Messie, p. 153-154).

Dt 26,1-11 et // — Dans la vie spirituelle aussi, il y a des prémices qu'il ne faut pas oublier d'offrir. De notre résurrection, celle du Christ est le gage, l'exemple, le premier fruit (// ). De notre filiation à Dieu, nous avons reçu les prémices par le Don de son Esprit Saint. (/ et Rm 8,23). De ce fait, les chrétiens eux-mêmes sont devenus prémices de la Nouvelle Création (// Jc 1,18 cf. Rm Rm 8,18-22 / U).

Pleine filiation (// Rm Rm 8,23) : Ce n'est pas une glose, mais seulement une façon de traduire la plénitude que saint Paul entend donner à ce mot de filiation.

Dt 26,16-19 et // — C'est la conclusion de tout ce second discours, après tous les rappels de la Loi des ch. 12 à 26, et qui les remet dans la perspective constante du Pentateuque tout entier, donc aussi des « Deux Testaments » (cf. les // ): L'Alliance, offerte par Dieu, qui fait d'Israël un peuple saint, consacré à Yahvé et béni de Lui (v. 19).



Bible chrétienne Pentat. 5230