Catena Aurea 3119

v. 19

3119 Mt 1,19

S. Chrys. (hom. 4 sur S. Matth). L'Évangéliste après avoir exposé comment Marie devint féconde par l'opération du Saint-Esprit, et sans aucune relation avec son époux, semble craindre qu'on ne le soupçonne, lui disciple de Jésus-Christ, d'entourer la naissance de son Maître de grandeurs imaginaires; il nous présente donc Joseph son époux mis à une si rude épreuve, et rendant ainsi témoignage à la vérité des faits; c'est pour cela qu'il ajoute: «Or Joseph son mari étant juste». - S. Aug. (serm. sur la Nativ). Joseph voyant la grossesse de Marie, est profondément troublé de voir dans cet état celle qu'il avait reçue comme épouse au sortir du temple et avec laquelle il n'avait eu aucune relation. Ces pensées l'agitent tour à tour et se confondent dans son esprit? Que ferai-je? Dois-je faire connaître son crime ou me taire? Si je dévoile sa faute, je proteste contre l'adultère, mais je m'expose au reproche de cruauté, car je sais que d'après la loi de Moïse elle doit être lapidée. Si je garde le silence, je me rends complice du mal, et je fais alliance avec les adultères. Puisque donc c'est un mal de se taire et un plus grand mal encore de pactiser avec l'adultère, je me séparerai d'elle.

S. Amb. (sur S. Luc, liv. 2, chap. 1). Saint Matthieu nous a enseigné admirablement ce que doit faire un homme juste qui a découvert la honte ou le déshonneur de son épouse, s'il veut à la fois ne pas tremper ses mains dans son sang, et ne pas se souiller au contact d'une adultère. Aussi a-t-il soin de nous dire : «Comme il était juste». Joseph en effet conserve dans toutes les circonstances la grâce et le caractère d'un juste, et son témoignage n'en est que plus certain; car la langue du juste tient le langage de la justice, etc. - S. Jér. Mais comment Joseph qui cache le crime de son épouse nous est-il présenté comme juste? Car la loi veut que l'on considère comme coupables non seulement ceux qui ont commis le crime, mais ceux-là mêmes qui en ont eu connaissance. - S. Chrys. (hom. 4 sur S. Matth). Le mot juste, dans la pensée de l'Évangéliste, veut dire qui réunit toutes les vertus. Il y a une justice spéciale, opposée au vice de l'avarice. La justice est aussi une vertu universelle, et c'est dans ce dernier sens que l'Écriture emploie le plus souvent le mot de justice. Joseph étant donc juste, c'est-à-dire plein de douceur et de bonté, voulut la renvoyer en secret, elle qui d'après la loi devait être non seulement traduite ignominieusement, mais condamnée au dernier supplice. Mais Joseph, dont la vie était supérieure à la loi, sauva Marie de ce double danger. De même que le soleil éclaire la terre avant même que ses rayons paraissent sur l'horizon, ainsi Jésus-Christ avant sa naissance a fait briller une multitude d'actes héroïques de vertu. - S. Aug. (Serm. 6 sur les par. du Seig). On peut encore donner cette explication: Si vous êtes seul pour connaître l'offense qu'un de vos frères a commise contre vous, et que vous cherchiez à l'accuser publiquement, vous ne le corrigez pas, vous le trahissez. Aussi voyez le juste Joseph: malgré l'énormité du crime dont il soupçonnait son épouse, sa bonté lui inspire les ménagements les plus grands. Il était tourmenté par un soupçon d'adultère qui approchait de la certitude, et cependant comme lui seul avait cette connaissance, il ne voulut pas dénoncer son épouse, mais la renvoyer en secret, car il désirait encore lui être utile, et ne point attirer sur elle le châtiment dû à son péché. - S. Jér. Ou bien peut-être est-ce un témoignage en faveur de Marie, que Joseph qui ne pouvait douter de sa vertu, et qui admirait d'ailleurs ce qui était arrivé, voile sous le silence ce qui était pour lui un mystère. - Remi. Il voyait donc en état de grossesse celle dont il connaissait la chasteté, et comme il avait lu dans le prophète Isaïe (Is 11,1): «Un rejeton sortira de la tige de Jessé (d'où il savait que Marie tirait son origine); et encore: «Voici qu'une Vierge concevra» (Is 7,14), il ne doutait pas que cette prophétie n'eût reçu en elle son accomplissement.

Orig. Mais si Joseph n'avait aucun soupçon sur son épouse, en quoi se montrait-il juste en renvoyant celle dont la vertu n'avait souffert aucune atteinte? Il voulait la renvoyer, parce qu'il s'estimait indigne d'approcher de ce grand mystère qui s'était opéré en elle. - La Glose. Ou bien, en la renvoyant il se montrait juste, et en la renvoyant en secret; il faisait preuve de bonté, puisqu'il voulait la mettre à l'abri de l'infamie, c'est ce que signifient ces paroles: «Comme il était juste, il voulut la renvoyer». Il pouvait la livrer à la sévérité de la loi, c'est-à-dire la diffamer; il préféra la renvoyer en secret.

S. Amb. (sur S. Luc). On ne peut renvoyer celle qu'on n'a pas reçue; par cela même qu'il veut la renvoyer, Joseph prouve qu'il l'avait prise chez lui comme son épouse. - La Glose. Ou bien comme il ne voulait pas l'introduire dans sa maison pour vivre indissolublement avec elle, il voulut la renvoyer en secret et retarder l'époque de son mariage. Car la bonté sans la justice, ou la justice sans la bonté ne peuvent constituer la vertu véritable, et leur séparation mutuelle les détruit. Ou bien encore, il était juste par la foi qui lui faisait croire que le Christ naîtrait d'une vierge, et le portait à s'humilier devant une grâce aussi extraordinaire.


v. 20

3120 Mt 1,20

Remi. Comme nous venons de le voir, Joseph pensait à renvoyer Marie en secret. Or s'il avait exécuté ce dessein, la plupart auraient vu en Marie une femme perdue plutôt qu'une vierge. Aussi le ciel se chargea-t-il de changer bien vite le dessein de Joseph, ce que l'Évangéliste exprime en ces termes: «Comme il était dans cette pensée». - La Glose. On reconnaît ici l'âme d'un sage qui ne veut rien entreprendre avec précipitation.

S. Chrys. (hom. 4 sur S. Matth). La douceur de Joseph n'est pas moins admirable; il ne confie à personne le soupçon qui l'agite, pas même à celle qui en était l'objet, il garde tout en lui-même. - S. Aug. (serm. 14 sur la Nativ). Pendant que Joseph est dans cette pensée, que Marie la fille de David soit sans crainte, car de même que la voix du Prophète apporta le pardon à David, l'ange du Sauveur vient délivrer Marie. L'ange Gabriel, le paranymphe de la Vierge, apparaît de nouveau comme le dit l'Évangéliste: «Voici que l'ange du Seigneur apparut à Joseph». - La Glose. Ce mot il apparut exprime la puissance de celui qui apparaît, et qui se rend visible quand il veut et de la manière qu'il veut. - Rab. Ces mots: «En songe» expriment comment l'ange apparut à Joseph, c'est-à-dire de la même manière que Jacob vit des yeux de l'esprit comme une image de l'échelle mystérieuse. - S. Chrys. (hom. 4 sur S. Matth). Il n'apparaît pas ouvertement à Joseph comme aux bergers à cause de sa grande foi. Les bergers avaient besoin d'une apparition manifeste à cause de leur grossière ignorance; Marie, à cause des grandes choses dont l'ange devait l'instruire la première. Une apparition de ce genre ne fut pas moins nécessaire à Zacharie avant la conception de son fils.

La Glose. L'ange en apparaissant à Joseph le nomme par son nom, lui rappelle le souvenir de sa famille, et bannit la crainte de son coeur par ces mots: «Joseph, fils de David». En l'appelant par son nom, il le traite comme une personne qui lui est connue, et comme un ami. - S. Chrys. (sur S. Matth). En l'appelant: «Fils de David», il voulut lui remettre en mémoire la promesse faite à David que le Christ naîtrait de sa race. - S. Chrys. (hom. 4). En lui disant: «Ne craignez pas», il nous fait voir qu'il craignait d'offenser Dieu en gardant chez lui celle qu'il regardait comme adultère; autrement il n'aurait pas pensé à la renvoyer. - Sévérianus. Ce chaste époux reçoit l'ordre de bannir la crainte de son coeur, car une âme bienveillante trouve dans la compassion qu'elle éprouve un nouveau motif de crainte. L'ange semble lui dire: Il n'y a point ici cause de mort, mais bien plutôt cause de vie, car celle que la vie a rendue mère ne mérite point d'être mise à mort. - S. Chrys. (sur S. Matth). Ces paroles: «Ne craignez pas», apprennent encore à Joseph que l'ange connaissait les secrets de son coeur et le préparent à croire tout ce qu'il allait dire des biens futurs dont le Christ devait être l'auteur. - S. Amb. (sur S. Luc, liv. 2, chap. 1). Ne soyez pas étonné qu'il donne à Marie le nom d'épouse; il ne veut pas exprimer par là la perte de sa virginité, mais attester la vérité de leur union et la célébration de leur mariage. - S. Jér. (contre Helvid). De ce que l'ange lui donne le nom d'épouse, il ne faut pas conclure qu'elle ne fut plus fiancée, car c'est la coutume de l'Écriture de donner le nom d'époux ou d'épouses à ceux qui ne sont que fiancés comme on peut le prouver par ce passage du Deutéronome (Dt 22,23): «Celui qui, trouvant dans un champ la fiancée d'un autre lui fera violence et dormira avec elle, sera puni de mort, parce qu'il a déshonoré l'épouse de son prochain». - S. Chrys. (hom. 4 sur S. Matth). L'ange lui dit: «Ne craignez pas de la recevoir, c'est-à-dire de la garder dans votre maison, car elle était déjà renvoyée dans son esprit. - Rab. Ou bien ne craignez pas de la recevoir, c'est-à-dire de l'admettre comme épouse à la participation de la communauté conjugale et du foyer domestique.

S. Chrys. (sur S. Matth). L'ange apparut à Joseph et lui tint ce langage pour trois raisons: la première, afin que cet homme juste ne fit point par ignorance une action mauvaise dans une bonne intention; la seconde, pour l'honneur de la mère du Sauveur, car si elle avait été renvoyée, elle n'aurait pas manqué d'être en butte aux soupçons les plus injurieux de la part des infidèles; la troisième raison, afin que Joseph comprenant combien était sainte cette conception, eût encore plus de respect qu'auparavant pour sa chaste épouse. L'ange cependant ne vint trouver Joseph qu'après que la Vierge eut conçu, pour ne point l'exposer aux pensées et au châtiment de Zacharie, qui se rendit coupable d'infidélité en refusant de croire à la maternité de son épouse si avancée en âge, car il était plus incroyable encore qu'une vierge pût concevoir, qu'une femme parvenue à l'extrême vieillesse. - S. Chrys. (hom. 4 sur S. Matth). Ou bien encore, l'ange apparaît à Joseph lorsque le trouble s'est déjà emparé de son esprit, pour faire éclater davantage la sagesse de cet homme juste, et aussi pour que cette apparition devînt pour lui la preuve de ce qu'il lui annonçait. En effet, lorsqu'il entendait l'ange lui parler de ce qui faisait l'objet de ses pensées les plus intimes, n'avait-il pas une preuve indubitable qu'il était l'envoyé de Dieu, à qui seul il appartient de connaître les secrets des coeurs. La véracité de l'Évangéliste en devient elle-même incontestable, car il nous présente Joseph éprouvant tout ce que tout homme aurait éprouvé à sa place. La Vierge elle-même échappe à tout soupçon déshonorant, puisque nous voyons son époux, malgré ce juste sentiment de jalousie, la recevoir et la garder après qu'elle est devenue mère; si elle ne fait pas connaître à Joseph ce que l'ange lui avait annoncé, c'est qu'elle présumait qu'elle n'en serait pas crue surtout après les soupçons qu'il nourrissait contre elle. L'ange au contraire vint trouver Marie avant la conception, pour ne point l'exposer aux inquiétudes qu'elle aurait éprouvées si elle n'avait été instruite de ce mystère qu'après son accomplissement, car il fallait que cette mère privilégiée qui avait reçu dans son sein le Créateur de toutes choses, fût inaccessible au trouble et à l'agitation.

S. Chrys. (hom. 4). L'ange ne se contente pas de justifier la Vierge de tout commerce criminel, mais il apprend à Joseph que cette conception est toute surnaturelle, et après avoir dissipé ses craintes, il lui inspire la joie par ces paroles: «Ce qui est né en elle», etc. La Glose. Naître en elle et naître d'elle sont deux choses différentes: naître d'elle, c'est être mis au jour par elle; naître en elle, c'est être conçu dans son sein. On peut dire aussi que par suite de la prescience que Dieu, pour qui l'avenir est comme le passé, communiquait à l'ange, la naissance était comme accomplie. - S. Aug. (quest. du Nouv. et de l'Anc. Test). Mais si le Christ est né de l'Esprit saint, pourquoi est-il écrit: «La sagesse s'est bâtie une demeure ?» (Pr 9,1). On peut faire à cette question une double réponse: premièrement la maison du Christ est son Église, qu'il s'est bâtie par son sang; en second lieu son corps peut être regardé comme sa maison de même qu'il est appelé son temple. Or l'oeuvre de l'Esprit saint est celle du Fils de Dieu, par suite de l'unité de volonté dans la nature divine; que le Père agisse, que ce soit le Fils ou l'Esprit saint, c'est toujours la Trinité qui agit, et quelle que soit l'oeuvre faite par l'une des trois personnes, c'est toujours l'oeuvre d'un seul Dieu.

S. Aug. (Ench., chap. 39). Mais pourrons-nous dire cependant que l'Esprit saint est le Père du Christ en tant qu'homme, dans ce sens que l'Esprit saint aurait engendré l'homme, comme Dieu le Père a engendré le Verbe? C'est une telle absurdité, qu'il n'y a pas d'oreilles chrétiennes qui puissent la supporter. Dans quel sens disons-nous donc que le Christ est né de l'Esprit saint, si l'Esprit saint ne l'a point engendré? Est-ce parce qu'il l'a fait? Car en tant qu'homme il a été fait, d'après cette parole de l'Apôtre: «Qui a été fait de la race de David, selon la chair» (Rm 1,3). Mais de ce que Dieu a fait le monde, peut-on dire que le monde est fils de Dieu ou qu'il est né de Dieu? Non sans doute, tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il a été fait, créé ou formé par lui. Lors donc que nous confessons que le Christ est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie, pourquoi ne peut-on pas dire qu'il est le Fils de l'Esprit saint, comme il est le Fils de Marie? C'est qu'il est impossible d'admettre que tout ce qui tire sa naissance d'une chose doive par là même en être appelé le fils. Car sans m'arrêter à dire qu'un fils naît autrement d'un homme, que ne naissent de lui les cheveux, les poux et les vers (dont aucun sans doute ne pourra être appelé son fils), certainement les hommes qui naissent de l'eau et de l'Esprit saint ne peuvent être appelés les enfants de l'eau, mais les enfants de Dieu leur père, et de l'Église leur mère. C'est ainsi que le Christ est né de l'Esprit saint, et qu'il est appelé non pas le Fils de l'Esprit saint, mais le Fils de Dieu.


v. 21

3121 Mt 1,21

S. Chrys. (hom. 4 sur S. Matth). Ce que l'ange avait annoncé à Joseph était au-dessus de toute pensée humaine et des lois de la mature; il en confirme donc la vérité, en ajoutant à la révélation du mystère accompli, la prédiction des grandeurs futures: «Elle enfantera un fils. Or Joseph pouvait penser que, puisqu'il avait été étranger à cette conception, il devait l'être désormais aux devoirs de la vie conjugale; l'ange le dissuade en lui apprenant que s'il n'a pas été nécessaire à la conception, il le devient pour les soins de la paternité. Car elle enfantera un fils, et alors il sera indispensable à la mère et au fils: à la mère pour défendre son honneur; au fils, pour être son père nourricier et le faire circoncire. C'est à cette cérémonie de la circoncision que l'ange fait allusion en disant: «Vous l'appellerez Jésus»; car c'est au moment de la circoncision que le nom est donné aux enfants. - S. Chrys. (sur S. Matth). Il ne lui dit pas: «Elle vous enfantera un fils», comme il avait dit à Zacharie: «Voici qu'Elisabeth votre femme vous enfantera un fils» (Lc 1,13). La femme, en effet, qui conçoit de son mari lui enfante un fils, car l'enfant vient plus de l'homme que de la femme; mais celle qui conçoit en dehors de l'homme, n'engendre pas l'enfant à son mari, mais à elle-même. S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien l'ange s'exprime d'une manière générale pour montrer que cet enfant naissait pour le monde entier. - Rab. Il lui dit: «Vous l'appellerez du nom», et non pas: «Vous lui imposerez le nom», car ce nom lui a été donné de toute éternité.

S. Chrys. (sur S. Matth). L'ange dévoile tout ce qu'il y avait d'admirable dans cette naissance, puisque c'est Dieu lui-même qui envoie le nom du ciel par le ministère d'un ange, et ce n'est pas un nom quelconque, mais un nom qui est un trésor de biens infinis. Ce nom, il l'interprète en faisant naître les meilleures espérances et en rendant ainsi plus facile la foi aux choses qu'il annonce, car nous avons une propension naturelle à croire aux espérances qu'on nous donne.

S. Jér. En hébreu le mot Jésus veut dire Sauveur, et c'est l'étymologie de ce nom que l'ange explique en disant: «Il sauvera son peuple de ses péchés». - Remi. C'est ainsi qu'il est à la fois le Sauveur de tout l'univers et l'auteur de notre salut. Il sauve non pas les incrédules, mais son peuple, c'est-à-dire ceux qui croient en lui, et il les délivre non pas tant des ennemis visibles que des ennemis invisibles. Il les sauve du péché sans recourir à la force des armes, mais en brisant les liens du péché qui nous retiennent captifs.

Severianus. Qu'ils viennent et qu'ils prêtent l'oreille ceux qui demandent quel est celui que Marie a enfanté. C'est celui qui sauvera son peuple, et non le peuple d'un autre. Et de quoi le sauve-t-il? De ses péchés. Or, qu'il y ait un Dieu qui remette les péchés, si vous ne voulez pas en croire les chrétiens, croyez-en les infidèles ou les Juifs qui disaient: «Personne ne peut remettre les péchés, si ce n'est Dieu» (Lc 5,1).


v. 22-23

3122 Mt 1,22

Remi. L'Évangéliste a coutume d'appuyer ce qu'il avance sur des témoignages de l'Ancien Testament, et il agit ainsi en faveur des Juifs qui avaient cru en Jésus-Christ et qui pouvaient ainsi reconnaître que tout ce qui avait été prédit sous l'ancienne loi était accompli sous la loi de grâce et de l'Évangile. Mais pourquoi cette manière de s'exprimer: «Tout cela s'est fait, etc., puisqu'il n'a été question que de la conception toute seule? On peut répondre que l'Évangéliste s'est exprimé de la sorte pour nous apprendre que ces événements existaient dans la prescience de Dieu avant qu'ils fussent accomplis aux yeux des hommes; ou bien, comme l'Évangéliste racontait l'histoire des événements passés, il a pu dire: «Tout cela s'est fait», parce que ces événements étaient accomplis alors qu'il écrivait son évangile. - Rab. Ou bien cette expression: «Tout cela a été fait», veut dire que la Vierge fut fiancée, qu'elle demeura vierge, qu'elle fut trouvée grosse, que ce mystère fut révélé par un ange, afin que ce qui avait été prédit fût accompli. En effet, la prophétie qui prédisait qu'une vierge concevrait et enfanterait n'eût pas été accomplie si elle n'avait été fiancée pour échapper au supplice de la lapidation, si l'ange n'avait pas révélé ce secret afin que Joseph pût la recevoir sans crainte et la préserver ainsi du déshonneur d'être renvoyée et du châtiment qui l'attendait. Or, si elle avait été mise à mort avant l'enfantement, que serait devenue cette prophétie: «Elle enfantera un fils ?» (Is 7,14) - La Glose. Ou bien on peut dire qu'ici la particule afin que n'est pas causative, en ce sens que toutes ces choses auraient été accomplies parce qu'elles avaient été prédites, mais qu'elle exprime la conséquence, comme dans ce passage de la Genèse: «Il fit attacher le grand panetier à un gibet, de sorte que l'interprétation du devin fût reconnue vraie (Gn 40,22), c'est-à-dire que le supplice de cet homme suspendu à un gibet fit ressortir la vérité de l'interprétation. C'est dans ce même sens que nous devons entendre ce passage, c'est-à-dire que la prophétie a été accomplie par le fait qui avait été prédit. - S. Chrys. (hom. 5 sur S. Matth). Ou bien encore l'ange, considérant l'abîme de la divine miséricorde, le renversement des lois de la nature, celui qui était élevé au-dessus de tous les êtres créés descendu jusqu'à l'homme, la dernière des créatures intelligentes, exprime toutes ces choses par ces seuls mots: «Tout cela a été accompli», comme s'il disait: Ne pensez pas que toutes ces choses soient récentes dans le bon vouloir de Dieu, il y a longtemps qu'il les avait décrétées, et l'ange rappelle plus à propos cette prophétie à Joseph qu'à Marie, car il était versé dans la connaissance et la méditation des prophètes. Il avait d'abord appelé la Vierge son épouse, maintenant il lui donne le nom de Vierge avec le prophète, afin qu'ils apprissent de la bouche du prophète lui-même que ce mystère était depuis longtemps dans les desseins de Dieu. Aussi ce n'est pas Isaïe, mais Dieu lui-même qu'il appelle en témoignage de la vérité de ce qu'il annonce, car il ne dit pas: «Pour accomplir ce qui a été dit par Isaïe», mais ce que le Seigneur a dit par Isaïe.

S. Jér. (Sur Isaïe, chap. 7). Le prophète fait précéder sa prédiction de cet exorde: «Dieu lui-même vous donnera un signe»; il s'agit donc de quelque chose de nouveau et de merveilleux. Mais s'il n'est question que d'une jeune fille ou d'une jeune femme qui doit enfanter, et non d'une vierge, où est le miracle? Puisque ce nom n'indique plus que l'âge et non la virginité. Il est vrai qu'en hébreu c'est le mot Bethula qui signifie vierge, mot qui ne se trouve pas dans cette prophétie; il est remplacé par le mot halma, que tous les interprètes, à l'exception des Septante, ont traduit par jeune fille. - Or, le mot halma en hébreu a un double sens, car il signifie jeune fille, et qui est cachée. Ainsi il désigne non seulement une jeune fille ou une vierge, mais une vierge cachée qui n'a jamais paru aux regards des hommes, et sur laquelle ses parents veillent avec le plus grand soin. La langue phénicienne, qui tire son origine de l'hébreu, donne aussi au mot halma le sens de vierge; dans la nôtre, halma signifie sainte. Les Hébreux se servent de mots que l'on retrouve dans presque toutes les langues, et autant que je puis consulter mes souvenirs, je ne me rappelle pas que le mot halma ait été employé une seule fois pour exprimer une femme mariée; il sert toujours à désigner une vierge, et non pas une vierge quelconque, mais une vierge encore jeune, car il en est d'un âge avancé. Or, celle-ci était encore dans l'âge de l'adolescence, ou bien elle était vierge, tout en ayant dépassé cet âge où l'on n'est pas en état d'être marié.

Mt 1,23

S. Jér. (Sur S. Matth). Le prophète dit: «Elle recevra dans son sein», tandis que l'Évangéliste saint Matthieu porte: «Elle aura dans son sein»; mais l'Évangéliste, qui racontait l'histoire de ce qui était passé et non de ce qui devait arriver, a substitué au mot elle recevra le verbe elle aura, car celui qui a n'a plus besoin de recevoir.

«Voici qu'une vierge aura dans son sein et enfantera un fils». - S. Léon. (Let. à Flav). Il a été conçu du Saint-Esprit dans le sein de la vierge, sa mère, qui l'enfanta comme elle l'avait conçu sans que sa virginité en eût souffert la plus légère atteinte. - S. Aug. (Serm. sur la Nativ). Celui qui a pu en les touchant rétablir dans leur premier état les membres brisés et séparés les uns des autres, combien plus aura-t-il dû respecter en naissant la pureté qu'il a trouvée dans sa mère? Aussi cette naissance a-t-elle augmenté sa pureté au lieu de la diminuer, et sa virginité, loin d'en être affaiblie, en reçut un nouvel éclat.

Theod. (Serm. au conc. d'Eph). Photin ne voit qu'un homme dans celui qui vient au monde, il prétend que ce n'est pas ici la naissance d'un Dieu, il sépare l'homme de Dieu dans celui qui sort du sein de sa mère; qu'il nous dise donc comment la nature humaine, qui est née du sein d'une vierge, n'a pas brisé le sceau de la virginité. Jamais la mère d'aucun homme n'est restée vierge après son enfantement; mais ici c'est le Verbe Dieu qui a daigné naître dans une chair mortelle, et il a montré qu'il était le Verbe tout-puissant en sauvegardant la virginité de sa mère. Notre verbe, à nous, notre parole ne corrompt point notre âme qui l'enfante; ainsi le Verbe Dieu par cette naissance n'a point porté atteinte à la virginité de celle qu'il avait choisie pour mère.

«Et on l'appellera Emmanuel». - S. Chrys. (Hom. 5 sur S. Matth). C'est la coutume de l'Écriture de présenter les événements sous l'emblème des noms. Ces paroles: «Ils l'appelleront du nom d'Emmanuel» signifient donc: «Ils verront Dieu avec les hommes». C'est pour cela que l'ange ne dit pas: Vous l'appellerez, mais ils l'appelleront. - Rab. Ce sont d'abord les Anges dans leurs chants, ensuite les Apôtres dans leurs prédications, puis les saints martyrs, enfin tous ceux qui croient en lui. - S. Jér. (sur Isaïe, chap. 7). Les Septante et trois autres interprètes ont traduit: «Vous l'appellerez», pour «ils l'appelleront», qui n'est pas dans l'hébreu, car le mot vekarat, qu'ils ont tous traduit par vous l'appellerez, peut signifier aussi: elle l'appellera, c'est-à-dire que la vierge qui concevra et enfantera le Christ l'appellera elle-même Emmanuel ou Dieu avec nous.

Remi. A cette question: Qui a donné l'interprétation de ce nom? Est-ce le prophète, est-ce l'Évangéliste ou un traducteur quelconque? Je répondrai d'abord que ce n'est pas le prophète; ce n'est pas non plus l'Évangéliste, car à quoi bon cette explication, puisqu'il écrivait en hébreu. Peut-être pourrait-on dire que ce nom avait dans l'hébreu une signification obscure, et qu'il avait besoin d'explication. Mais il est plus vraisemblable que cette interprétation a été donnée par quelque traducteur qui aura voulu ainsi faire disparaître ce que ce nom pouvait avoir d'obscur pour les Latins. Or, ce nom exprime parfaitement les deux natures, la nature divine et la nature humaine unies dans la même personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui engendré avant tous les siècles d'une manière ineffable par Dieu son père, est devenu à la fin des temps, en naissant d'une vierge, Emmanuel ou Dieu avec nous. Ce nom: Dieu avec nous peut s'entendre en ce sens qu'il est devenu comme un des nôtres, c'est-à-dire passible, mortel, et semblable à nous en toutes choses à l'exception du péché, ou bien encore qu'il a uni à sa nature divine, en unité de personne, notre pauvre nature humaine. - S. Jér. (sur Isaïe, chap. 7). Rappelons ici que les Juifs prétendent que cette prophétie a pour objet Ezéchias, fils d'Achaz, sous le règne duquel fut prise la ville de Samarie, ce dont ils ne peuvent donner aucune preuve. En effet, Achaz, fils de Ioathan, régna sur Jérusalem et sur Juda seize ans; son fils Ezéchias lui succéda à l'âge de vingt-trois ans et régna sur Juda et sur Jérusalem vingt-neuf ans. Comment donc peut-on dire que la prophétie qui fut faite la première année du règne d'Achaz eut pour objet la conception et la naissance d'Ezéchias, qui avait neuf ans lorsque son père monta sur le trône? Dira-t-on que la sixième année du règne d'Ezéchias, époque où fut prise la ville de Samarie signifie le temps de l'enfance, sinon de son âge, du moins de son règne? C’est là une supposition violente et forcée, même pour les moins intelligents. Un des nôtres, qui aime à judaïser, prétend que le prophète Isaïe a eu deux fils, Joseph et Emmanuel, et qu'Emmanuel était né de la prophétesse son épouse, comme figure du Seigneur-Sauveur, mais cela n'est qu'une fable. - Pierre Alphonse. Je ne sache pas qu'aucun homme de ce temps ait porté le nom d'Emmanuel. Les juifs me diront peut-être: Comment admettre que cette prophétie ait eu pour objet le Christ et sa mère, alors que d'Achaz à Marie il s'est écoulé plusieurs centaines d'années? Pierre Alphonse répond: Quoique le prophète s'adresse à Achaz, la prophétie n'a pas seulement pour objet ce prince ou les choses de son temps, car Isaïe ne lui dit pas: «Écoutez Achaz», mais «Écoutez maison d'Israël» (Is 7,13). Voyez encore la suite: «Le Seigneur vous donnera lui-même un signe». Il ajoute ce mot «lui-même» comme pour dire: ce ne sera pas un autre, d'où il faut conclure que c'est le Seigneur lui-même qui sera ce signe futur. Remarquez enfin qu'en s'exprimant au pluriel, «il vous donnera», et non «il te donnera», le prophète fait entendre que cette prophétie n'est pas pour Achaz ou du moins qu'elle n'est pas pour lui seul. - S. Jér. (sur Isaïe, chap. 7). Voici donc le sens de cette prophétie: cet enfant, qui naîtra d'une vierge, maison de David, doit être appelé dès maintenant Emmanuel, parce que, délivrés bientôt des deux rois ennemis qui vous attaquent, vous éprouverez vous-même que Dieu est présent au milieu de vous. Plus tard il sera appelé Jésus ou Sauveur, parce qu'il sauvera le genre humain tout entier. Ne soyez donc pas surprise, ô maison de David, de cette nouveauté si étrange d'une vierge enfantant un Dieu, revêtu d'une si grande puissance, que tant d'années avant sa naissance, il peut vous délivrer si vous avez recours à lui. - S. Aug. (contre Faust). Qui serait donc assez insensé pour oser dire avec les Manichéens que c'est le caractère d'une foi faible de ne croire en Jésus-Christ que sur témoignages, alors que l'Apôtre lui-même a dit: «Comment croiront-ils en celui dont ils n'ont point entendu parler, et comment en entendront-ils parler si on ne leur prêche ?» (Rm 10,14) Or afin que la prédication des Apôtres ne fût pas exposée au mépris comme un tissu de fables sans réalité, les prophètes lui donnent l'appui de leurs prédictions. En effet, supposez que la prédication des apôtres ne fût autorisée que par des miracles, on n'aurait pas manqué de les attribuer à des opérations magiques, si cette interprétation n'était renversée par le témoignage immuable des prophètes. Personne sans doute n'osera dire qu'il soit au pouvoir d'un homme, longtemps avant sa naissance, de se donner au moyen d'opérations magiques des prophètes qui l'annoncent. De même encore supposons que nous disions à un païen: Croyez en Jésus-Christ parce qu'il est Dieu, et qu'il nous répondît: Pourquoi donc croirai-je? et qu'alors nous établissions clairement l'autorité des prophètes, s'il persistait encore dans son incrédulité, nous lui démontrerions alors que les prophètes sont dignes de foi par le seul fait qu'ils ont prédit longtemps d'avance des événements dont l'accomplissement s'opère sous nos yeux, car il ne pourrait ignorer, je pense, quelles persécutions la religion chrétienne a eu à souffrir de la part des rois de la terre. Or, qu'il considère maintenant tous ces rois soumis à l'empire du Christ, toutes les nations qui le reconnaissent pour maître, autant d'événements qui ont été tous prédits par les prophètes. En prenant connaissance de ces prophéties et en les voyant accomplies sur toute la face de la terre, il serait certainement déterminé à embrasser la foi. - La Glose. L'Évangéliste combat l'erreur des Manichéens en ajoutant: «Afin que fût accompli ce que le Seigneur avait prédit par le prophète». Or il y a une prophétie qui a pour cause la prédestination de Dieu, qui doit de toutes manières arriver, dont l'accomplissement est indépendant de notre volonté, comme celle dont il est ici question, et que le prophète commence en disant: «Voici» pour en démontrer la certitude. Il y a une autre sorte de prophétie qui vient également de la prescience de Dieu, mais à laquelle se trouve mêlé notre libre arbitre. D'après cette prophétie, nous obtenons la récompense avec la coopération de la grâce, ou nous sommes soumis au châtiment lorsqu'elle nous abandonne avec justice. Enfin il y a une troisième sorte de prophétie, qui ne vient pas de la prescience de Dieu, mais qui est l'expression d'une menace comme en font les hommes, et telle que celle-ci: «Encore quarante jours et Ninive sera détruite» (Jon 3,4). Il faut sous-entendre: A moins que Ninive ne se convertisse.



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