Catena Aurea 3505

v. 5

3505 Mt 5,5

S. Amb. (sur S. Luc, liv. 9, Tit. des béatit). Lorsque je serai parvenu à me contenter de la médiocrité, à être exempt de toutes sortes de maux, j'aurai encore à établir la règle dans mes moeurs. Que me servirait-il de renoncer aux biens de la terre, si je ne pratique pas la douceur? Aussi le Sauveur ajoute-t-il: «Bienheureux ceux qui sont doux». - S. Aug. (Serm. sur la mont., liv 1, chap. 3). Les hommes doux sont ceux qui cèdent devant les injustes dont ils sont victimes, qui ne font pas de résistance au mal, mais triomphent du mal par le bien. - S. Amb. (sur S. Luc, liv. 4). Modérez donc les mouvements de votre âme, pour ne pas vous mettre en colère, ou du moins pour ne pas vous livrer à une colère coupable. Il est beau de soumettre à la raison les saillies du coeur, et il ne faut pas moins de vertu pour contenir la colère qui est souvent l'indice d'une âme énergique, que pour ne pas la ressentir du tout, ce qui ordinairement est le propre d'un caractère sans vigueur.

S. Aug. (serm. sur la mont). Que ceux qui ne connaissent pas la douceur, se querellent et soient en contestation pour les choses de la terre et du temps, mais «bienheureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont la terre», d'où on ne pourra les arracher, cette terre dont il est dît au Ps 142,6: «Mon partage est dans la terre des vivants», c'est-à-dire dans un héritage permanent, éternel, où l'âme se repose par une sainte affection, comme dans le lieu qui lui est propre, de même que le corps se repose dans la terre, et où elle s'y nourrit de son aliment comme le corps se nourrit de la terre; cet héritage est le repos et la vie des saints. - S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien cette terre, suivant l'opinion de quelques-uns est la terre des morts tant qu'elle reste dans l'état actuel, parce qu'elle est assujettie à la vanité, mais lors qu'elle sera délivrée de la corruption, elle deviendra la terre des vivants et les mortels la recevront comme un héritage libre des atteintes de la mort. J'ai lu une autre explication, d'après laquelle le ciel que doivent habiter les saints est appelé terre des vivants, en ce sens que c'est le ciel par rapport à la région inférieure, et la terre comparativement au ciel supérieur. D'autres prétendent que cette terre c'est notre corps; tant qu'il est soumis à la mort, c'est la terre des morts, mais il sera la terre des vivants, lorsqu'il deviendra semblable au corps glorieux de Jésus-Christ.

S. Hil. (Can. 4 sur S. Matth). Ou bien Notre-Seigneur promet à ceux qui sont doux l'héritage de la terre, c'est-à-dire l'héritage de ce corps qu'il a choisi lui-même pour y habiter; et puisque c'est à cause de la douceur de notre âme que le Christ habite en nous, il nous revêtira aussi de cet éclat dont son corps glorieux sera environné (Ph 3,21).

S. Chrys. (hom. 15). Ou bien encore, le Christ mêle ici les promesses temporelles aux promesses spirituelles. Celui qui fait profession de douceur passe aux yeux du monde pour perdre tout ce qu'il possède. Jésus-Christ lui promet donc ici le contraire en l'assurant que celui qui est doux possède en sûreté ce qui lui appartient, tandis que celui qui est arrogant perd bien souvent et son âme et l'héritage de ses pères. Or, le Sauveur emprunte ici pour les mêler à son discours ces paroles du Roi prophète: «Ceux qui sont doux auront la terre en héritage» (Ps 37,11).

La Glose. Les hommes doux qui ont su se posséder eux-mêmes, posséderont plus tard l'héritage du Père céleste. Or, c'est une plus grande récompense de posséder cette terre que d'avoir simplement le royaume des cieux, car que de choses nous perdons dès que nous les avons.


v. 4

3504 Mt 5,4

S. Amb. (sur S. Luc). Lorsque vous aurez acquis la pauvreté d'esprit et la douceur, souvenez-vous que vous êtes pécheurs, et pleurez vos péchés; c'est la troisième des béatitudes: «Bienheureux ceux qui pleurent». Il est juste, en effet, que la troisième bénédiction soit pour celui qui pleure ses péchés, puisque c'est la Trinité qui les pardonne. - S. Hil. (Can. 4 sur S. Matth). Ceux dont il est ici question ne sont pas ceux qui pleurent les pertes, les injures ou les dommages qu'ils ont soufferts, mais ceux qui pleurent leurs péchés passés. - S. Chrys. (sur S. Matth). Ceux qui pleurent leurs propres péchés sont heureux, mais d'un bonheur limité; beaucoup plus heureux sont ceux qui pleurent les péchés des autres, et tels devraient être tous ceux qui sont les maîtres et les docteurs de leurs frères. - S. Jér. Les morts qu'il faut ici pleurer ne sont pas ceux qui ont payé le tribut à la commune loi de la nature, mais ceux qui sont comme ensevelis dans leurs péchés et dans leurs vices (cf. Ep 2,15 Rm 6,2 1P 2,24). C'est ainsi que Samuel pleura Saül (1S 16) et saint Paul ceux qui n'avaient pas fait pénitence de leurs impuretés (2Co 12,21).

S. Chrys. (sur S. Matth). La consolation de ceux qui pleurent, c'est que leurs larmes cessent de couler, et voilà pourquoi ceux qui pleurent leurs péchés seront consolés par le pardon que Dieu leur accordera. - S. Chrys. (homél. 15). Bien que ce pardon dût leur suffire, Dieu ne borne pas sa récompense à la rémission des péchés, mais il répand sur eux l'abondance de ses consolations, ici-bas et dans la vie future, car les récompenses divines surpassent toujours beaucoup les travaux qui les ont méritées.

S. Chrys. (sur S. Matth). Quant à ceux qui pleurent les péchés des autres, ils seront aussi consolés; car lorsqu'ils verront dans l'autre vie se dérouler devant eux les desseins de la Providence divine, et qu'ils comprendront que ceux qui ont péri n'appartenaient pas à Dieu, dont la main ne se laisse jamais ravir ce qu'elle tient, ils cesseront de les pleurer, et trouveront leur joie dans leur propre bonheur. - S. Aug. (serm. sur la mont). Le deuil, c'est la tristesse que nous fait éprouver la perte de ceux qui nous sont chers; or ceux qui se convertissent à Dieu perdent ce qui leur était cher dans le monde, leurs joies changent alors de nature et d'objet; mais tant que l'amour des choses éternelles ne vit pas dans leur coeur, il est comme blessé par je ne sais quelle tristesse. Ils seront donc consolés par l'Esprit saint qui s'appelle pour cela Paraclet, c'est-à-dire consolateur, et qui au moment où ils perdent une joie passagère, les enrichit d'une joie éternelle, qu'expriment ces paroles: «Ils seront consolés».

La Glose. Par ce deuil on peut encore entendre deux sortes de tristesse, ayant pour cause, l'une les misères de ce monde, l'autre le désir du ciel: c'est en figure de cette vérité que la fille de Caleb demanda des champs qui fussent arrosés en haut et en bas (Jos 15,19 Jg 1,15). Cette tristesse n'est propre qu'à celui qui a l'esprit de pauvreté et de douceur, et qui n'aimant pas le monde, reconnaît sa misère, et par cette connaissance s'élève jusqu'au désir du ciel. C'est avec raison que la consolation est promise à ceux qui pleurent, et il est juste que la joie de l'autre vie compense la tristesse et les larmes de la vie présente. Or la récompense de celui qui pleure est plus grande que celle qui est donnée aux pauvres d'esprit et à ceux qui sont doux, car il vaut mieux se réjouir dans le royaume que de l'avoir et de le posséder simplement. Que de choses en effet nous avons et que nous possédons au milieu de la douleur !

S. Chrys. (hom. 15). Remarquez que c'est avec dessein que dans l'énoncé de cette béatitude, Notre Seigneur ne dit pas: «ceux qui sont dans la tristesse», mais plus énergiquement «ceux qui pleurent, ceux qui sont dans les larmes», et en cela il nous donne une leçon de haute sagesse, car si ceux qui pleurent la mort de leurs enfants ou des autres personnes qui leur sont chères, cessent pendant ce temps de désirer les richesses ou les honneurs, et sont insensibles aux outrages ou aux atteintes des passions, à combien plus forte raison doit-on voir ces heureux effets dans ceux qui pleurent leurs péchés.


v. 6

3506 Mt 5,6


S. Amb. (sur S. Luc, liv. 4). Après que j'ai pleuré mes péchés, je commence à ressentir la faim et la soif de la justice, car ce n'est point au milieu d'une maladie grave qu'on éprouve cette faim. Notre-Seigneur ajoute donc: «Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice». - S. Jér. Il ne nous suffit pas de vouloir la justice, mais il nous faut souffrir la faim de la justice, expression figurée qui doit nous faire comprendre que nous ne serons jamais assez justes, et que nous devons désirer toujours plus ardemment les oeuvres de la justice. - S. Chrys. (sur S. Matth). Tout bien que les hommes ne font point par l'amour du bien lui-même n'a point de valeur aux yeux de Dieu. Or on a faim de la justice lorsqu'on désire vivre selon les règles de la justice divine; on a soif de la justice lorsqu'on désire acquérir la science de Dieu.

S. Chrys. (hom. 15). La justice dont il est ici question est, ou la justice universelle, ou la justice particulière opposée à l'avarice. Le Sauveur va parler de la miséricorde, il nous enseigne par avance comment nous devons l'exercer; ce ne doit pas être avec les produits de l'avarice ou du vol. C'est pour cela qu'il donne à la justice les caractères de l'avarice, la faim et la soif.

S. Hil. (Can. 4 sur S. Matth). A ceux qui ont faim et soif de la justice, il promet le bonheur, et nous apprend ainsi que la pieuse avidité des Saints pour la doctrine divine sera complètement rassasiée dans les cieux; c'est le sens de ces paroles: «Parce qu'ils seront rassasiés». - S. Chrys. (sur S. Matth). Ils seront rassasiés de l'abondance des libéralités de Dieu, car les récompenses qu'il accorde aux Saints dépassent de beaucoup leurs désirs. - S. Aug. (serm. sur la mont). Ou bien peut-être ils seront rassasiés dans la vie présente de cette nourriture dont le Seigneur a dit: «Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père» (Jn 4,34), (qui est la justice), et de cette eau dont il est dit qu'elle deviendra en celui qui l'aura bue une source d'eau qui rejaillit jusque dans la vie éternelle (Jn 4,14).

S. Chrys. (hom. 15). Peut-être même s'agit-il ici de récompense terrestre. Comme on pense communément que c'est l'avarice qui satisfait abondamment nos désirs, Notre-Seigneur attribue au contraire cet effet à la justice, car celui qui la désire possède tous les biens sans crainte de les perdre.


v. 7

3507 Mt 5,7

La Glose. La justice et la miséricorde doivent être tellement unies ensemble, qu'elles se tempèrent mutuellement l'une par l'autre. La justice sans la miséricorde n'est que cruauté, et la miséricorde sans justice n'est que faiblesse. C'est pour cela que le Sauveur fait venir la miséricorde après la justice en disant: «Bienheureux les miséricordieux». - Remi. Le mot miséricordieux veut dire qui a pour ainsi parler le coeur des malheureux, parce que l'homme miséricordieux regarde comme sienne la misère d'autrui, et s'en afflige comme si elle lui était personnelle. - S. Jér. Par miséricorde, il faut entendre ici celle qui non seulement se répand en aumônes, mais qui s'étend aux fautes de nos frères, et nous fait porter mutuellement les fardeaux les uns des autres. - S. Aug. (serm. sur la mont. liv. 1, chap. 2). Il proclame heureux ceux qui viennent au secours de l'infortune, et qui reçoivent en récompense la délivrance de leurs propres maux, comme il le déclare lui-même: «Parce qu'ils obtiendront eux-mêmes miséricorde». - S. Hil. (can. 4). Dieu se plaît tellement à voir en nous ce sentiment de bienveillance pour tous nos frères, qu'il ne promet sa miséricorde qu'à ceux-là seuls qui sont miséricordieux.

S. Chrys. (hom. 15). La récompense paraît ici être simplement égale au mérite, mais elle lui est bien supérieure, car il n'y a point de comparaison entre la miséricorde des hommes et la miséricorde de Dieu. - La Glose. C'est donc avec raison que Dieu fait miséricorde aux miséricordieux, et bien au-dessus de leurs mérites. Aussi de même que celui dont les désirs sont comblés et au-delà, reçoit beaucoup plus que celui qui est simplement rassasié, ainsi la gloire des miséricordieux l'emporte sur la gloire des béatitudes précédentes.


v. 8

3508 Mt 5,8

S. Amb. (sur S. Luc). Celui qui fait miséricorde perd ses droits à la miséricorde divine, s'il n'a point agi avec un coeur pur, car s'il a cherché la vaine gloire dans les oeuvres de miséricorde, il ne lui en revient aucun fruit; aussi Notre-Seigneur ajoute: «Bienheureux ceux qui ont le coeur pur». - La Glose. La pureté du coeur est placée convenablement en sixième lieu, car c'est le sixième jour que l'homme a été créé à l'image de Dieu, image qui avait été obscurcie en lui par le péché, et qui a été réparée par la grâce dans ceux qui ont le coeur pur. Cette béatitude vient parfaitement après les cinq premières, car sans les vertus qui précèdent, Dieu ne peut créer dans l'homme un coeur pur. - S. Chrys. (hom. 45). Les coeurs purs dont parle ici le Sauveur sont ceux qui ont toutes les vertus et n'ont à se reprocher aucun mal, ou bien ceux dont la tempérance réprime les désirs sensuels, vertu absolument nécessaire pour voir Dieu, selon ces paroles de saint Paul: «Efforcez-vous d'avoir la paix avec tout le monde, et de vivre dans la sainteté, sans laquelle personne ne peut voir Dieu» (He 12,14). Il en est beaucoup, en effet, qui sont miséricordieux, mais qui se livrent à l'impureté, et le Sauveur, pour leur montrer que la miséricorde ne suffit pas, exige de plus cette pureté du coeur.

S. Jér. Dieu qui est pur, ne peut-être vu que par un coeur pur, car le temple de Dieu doit être sans souillure, c'est pour cela qu'il ajoute: Parce qu'ils verront Dieu». - S. Chrys. (sur S. Matth). Celui qui veut et accomplit toute justice, voit Dieu des yeux de son âme, car la justice est l'image de Dieu, Dieu étant la justice par essence. Rappelons-nous donc que celui qui se sépare du mal et fait le bien, en vertu même de cet effort, voit Dieu plus ou moins, toujours ou par intervalles, autant qu'il est possible à la nature humaine. Mais dans l'autre vie, ceux qui ont le coeur pur verront Dieu face à face, et non pas comme ici-bas dans un miroir et sous des images obscures (cf. 1Co 13,12). - S. Aug. (serm. sur la mont). Il faut être insensé pour chercher à voir des yeux du corps Dieu qu'on ne peut voir que des yeux du coeur, ainsi qu'il est écrit ailleurs: «Cherchez-le dans la simplicité du coeur» (Sg 1,1), car le coeur simple, c'est le coeur pur. - S. Aug. (Cité de Dieu, liv. dern. chap. 29). Il est évident que si les yeux spiritualisés de notre corps n'ont pas plus de vertu que ceux que nous avons maintenant, ils ne pourront nous servir à voir Dieu.

S. Aug. (Liv. 1 de la Trinité, chap. 8 et 13). Cette vue de Dieu est la récompense de la foi, et c'est par la foi que Dieu nous y prépare en purifiant nos coeurs ainsi qu'il est écrit: «Purifiant leurs coeurs par la foi» (Ac 15,9). La preuve de cette vérité se trouve surtout dans cette maxime: «Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu».

S. Aug. (sur la Genèse expliq. littéral., liv. 12, chap. 25). Aucun de ceux qui aspirent à voir Dieu ne doit vivre ici-bas de la vie périssable des sens; s'il ne meurt radicalement à cette vie, soit en quittant tout à fait son corps, soit en devenant tellement étranger aux mouvements de la chair qu'il ne sache plus ainsi que l'apôtre, s'il est encore ou non avec son corps (2Co 12,2), il ne pourra jamais s'élever jusqu'à cette vision.

La Glose. La récompense est ici plus magnifique que dans les béatitudes précédentes; c'est celle de l'homme qui non seulement est nourri dans la maison du roi, mais encore peut jouir de sa présence.


v. 9

3509 Mt 5,9

S. Amb. (sur S. Luc, liv. 4). Lorsque vous aurez purifié votre intérieur de toutes les souillures du péché, commencez par établir la paix en vous, de sorte qu'il ne s'élève dans votre coeur ni dissensions ni troubles; vous pourrez ainsi porter la paix plus facilement aux autres. C'est ce que signifient ces paroles: «Bienheureux les pacifiques». - S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 19, chap. 13). La paix est la tranquillité de l'ordre; l'ordre est cette disposition qui donne aux choses ou semblables ou opposées la place qui leur convient. Il n'est personne qui ne désire le bonheur, personne aussi qui ne désire la paix; et ceux-mêmes qui veulent la guerre n'ont d'autre but que d'arriver par les armes à une paix glorieuse. - S. Jér. Les pacifiques que le Sauveur proclame heureux sont ceux qui font régner la paix dans leur coeur, avant de la rétablir entre leurs frères divisés; car que vous sert de pacifier les autres si vous souffrez que les vices se livrent mille combats dans votre âme ?

S. Aug. (serm. sur la mont. liv.1, chap. 2 ou 3). Ceux qui sont pacifiques sont ceux qui règlent tous les mouvements de leur âme, les soumettent à la raison, tiennent sous le joug toutes les passions indomptées de la chair, et deviennent ainsi le royaume de Dieu. Dans ce royaume l'ordre y est tellement établi, que ce qu'il y a en nous de plus noble et de plus excellent commande à cette autre partie de nous-même qui résiste, et qui nous est commune avec les bêtes; tandis que la partie supérieure, c'est-à-dire l'âme et la raison, est elle-même soumise à un être plus élevé, qui est la vérité et le Fils de Dieu. Nous ne pouvons commander à ce qui est au-dessous de nous, à moins d'être soumis à ce qui est au-dessus. Telle est la paix promise sur cette terre aux hommes de bonne volonté (Lc 2,14). - S. Aug. (liv. 1, chap. 19). Personne cependant ne peut arriver en cette vie à détruire complètement dans ses membres cette loi qui combat contre la loi de l'esprit; mais en domptant ici-bas les passions de la chair, les pacifiques se préparent à recevoir un jour la plénitude de la paix. - S. Chrys. (sur S. Matth). C'est se montrer pacifique envers les autres, non seulement de réconcilier les ennemis entre eux, mais encore d'oublier les injures par amour de la paix; car la paix qui donne le bonheur n'est pas celle qui n'existe que sur les lèvres, mais celle qui repose dans le coeur, et ceux qui l'aiment sont vraiment les enfants de la paix.

S. Hil. (Can. 12). Le bonheur des pacifiques, c'est la récompense de l'adoption que le Sauveur exprime par ces paroles: «Parce qu'ils seront appelés enfants de Dieu». Dieu est le Père unique de tous les hommes, et nous ne serons dignes de faire partie de sa famille qu'en vivant ensemble dans la paix d'une charité toute fraternelle. - S. Chrys. (hom. 15 sur Matth). Ou bien les pacifiques étant ceux qui ont horreur de la dispute, n'ont de haine contre personne, et de plus cherchent à réunir ceux qui sont divisés, c'est à juste titre qu'ils sont appelés fils de Dieu, car la mission propre du Fils unique de Dieu a été de réunir ce qui était dispersé et de pacifier les éléments les plus contraires. - S. Aug. (serm. sur la mont). Ou bien comme la perfection est dans la paix, là où rien ne résiste, les pacifiques sont appelés enfants de Dieu parce que rien ne résiste à Dieu; d'ailleurs les enfants doivent ressembler à leur père. - La Glose. Les pacifiques sont donc revêtus d'une dignité qui surpasse toutes les autres, de même que le fils du roi est au-dessus de tous les autres dans la maison de son père. Cette béatitude est placée la septième, parce que c'est au jour du sabbat et du vrai repos que nous sera donnée la paix véritable lorsque les dix âges du monde seront écoulés.


v. 10

3510 Mt 5,10

S. Chrys. (hom. 15). Notre-Seigneur voulant détruire cette pensée que c'est toujours un bien de rechercher pour soi la paix, ajoute: «Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, c'est-à-dire pour la vertu, pour la défense des autres, pour la piété; car le Sauveur emploie ordinairement le mot justice pour exprimer toute vertu de l'âme. - S. Aug. (serm. sur la mont. liv. 1, chap. 2 ou 8). La paix une fois établie et affermie au-dedans de nous, quelles que soient les persécutions que soulève au dehors celui que nous avons chassé de notre âme (cf. Jn 12,13), il ne fait qu'augmenter la gloire qui est selon Dieu. - S. Jér. Le Sauveur ajoute cette expression significative: «Pour la justice», car il en est beaucoup qui souffrent pour leurs péchés; et qui sont loin d'être justes. Remarquez en même temps que cette huitième béatitude qui est comme l'octave de la vraie circoncision, a pour objet le martyre (cf. Ph 3,2-3). - S. Chrys. (sur S. Matth). Il ne dit pas: «Bienheureux celui qui souffre persécution de la part des Gentils», car vous pourriez penser que ce bonheur n'est promis qu'à celui qui est persécuté par les païens, parce qu'il refuse d'adorer leurs idoles. Celui donc qui souffre persécution de la part des hérétiques, pour défendre contre eux la vérité, a droit à ce bonheur parce qu'il souffre pour la justice. Et si un des puissants du monde qui sont chrétiens en apparence, vous persécute, parce que peut-être vous l'auriez repris de ses vices, estimez-vous heureux avec Jean-Baptiste. Car s'il est vrai que les prophètes mis à mort par leurs concitoyens ont été de vrais martyrs, on ne peut douter que celui qui souffre pour la cause de Dieu, bien que la persécution lui vienne des siens, ne reçoive aussi la récompense du martyre. Et c'est pourquoi l'Écriture n'a pas désigné la personne des persécuteurs, mais la cause seule de la persécution, afin que vous ne considériez pas quels sont ceux qui vous persécutent, mais la cause pour laquelle vous souffrez persécution.

S. Hil. (Can. 4 sur S. Matth). Le Seigneur réserve donc pour la dernière béatitude, ceux dont le coeur est préparé à tout souffrir pour Jésus-Christ (qui est la justice). A eux aussi il promet le royaume des cieux, parce que le mépris du siècle les a rendus pauvres d'esprit. C'est pour cela qu'il ajoute: «Le royaume des cieux leur appartient». - S. Aug. (serm. sur la mont., liv. 3, chap. 2 ou 9). Ou bien la huitième béatitude revient à la première comme à sa source, parce qu'elle la montre élevée à sa plus haute perfection. Aussi voyez, dans la première comme dans la huitième, se trouve nommé expressément le royaume des cieux. En effet les sept béatitudes sont les différents degrés de cette perfection; la huitième lui donne le dernier trait et la montre dans tout son éclat, et la récompense de la première béatitude s'y trouve rappelée pour que ces deux degrés extrêmes communiquent leur perfection aux degrés intermédiaires. - S. Amb. (sur S. Luc). Ou bien autrement, le royaume du ciel promis en premier lieu sera pour les saints l'affranchissement des liens du corps (cf. Ph 1,25), le second qui suivra la résurrection, les réunira pour toujours à Jésus-Christ. C'est après la résurrection en effet, que vous commencerez à posséder la terre qui est à vous sans plus craindre la mort, et que vous trouverez la consolation dans cette possession paisible. Le plaisir suit la consolation, et il est suivi à son tour par la divine miséricorde, or Dieu ne peut faire miséricorde à quelqu'un sans l'appeler, et le fruit de cette vocation, c'est de voir Dieu qui nous appelle. Celui qui a vu Dieu a droit à son tour aux honneurs de la filiation divine, et c'est alors enfin que comme fils de Dieu il trouve sa joie dans les richesses du royaume des cieux. D'un côté donc le bonheur commence, de l'autre il est dans sa plénitude. - S. Chrys. (hom. 15). Ne soyez pas surpris, si à chaque béatitude, il n'est pas fait mention du royaume des cieux, car ces expressions: «Ils seront consolés, ils obtiendront miséricorde», et autres semblables, sont autant d'insinuations mystérieuses du royaume des cieux. En s'exprimant ainsi le Sauveur veut que l'objet de votre espérance n'ait rien de sensible, car on n'est pas heureux quand on n'a pour récompense que des choses qui passent avec cette vie.

S. Aug. (serm. sur la mont. liv. 1, chap. 3). Il faut étudier avec soin le nombre de ces béatitudes. Nous voyons en effet les sept opérations de l'Esprit saint décrites par Isaïe (Is 11), correspondre aux sept degrés des béatitudes, mais avec cette différence, que le prophète suit une marche opposée dans l'énumération, parce qu'il nous montre le Fils de Dieu descendant jusque dans l'abîme de notre misère, et qu'ici nous voyons l'homme montant de cet abîme jusqu'à la ressemblance de Dieu. Le premier des dons de l'Esprit saint est la crainte qui est le propre des âmes humbles dont il est dit: «Bienheureux les pauvres d'esprit», c'est-à-dire ceux qui ne se nourrissent pas de hautes pensées, mais qui se tiennent dans la crainte (cf. Rm 11,20 Rm 12,16). Le second est la piété qui convient à ceux qui sont doux, car celui qui cherche avec piété fait profession de respect, il ne s'érige pas en censeur, il ne résiste pas, ce qui constitue la vertu de douceur. Le troisième est la science, qui se rapporte à ceux qui pleurent, car ils savent dans quelle dure captivité les retiennent ces maux, qu'ils avaient demandés comme des biens. Le quatrième est la force, qui convient à ceux qui ont faim et soif, parce qu'en cherchant leur joie dans les véritables biens, ils font tous leurs efforts pour se détacher des choses de la terre. Le cinquième est le conseil, qui se rapporte aux miséricordieux, car l'unique remède pour échapper à tant de maux, c'est de pardonner et d'être charitable. Le sixième est l'intelligence qu'ont en partage ceux qui ont le coeur pur, et dont l'oeil purifié pénètre ce qu'ils ne pouvaient voir auparavant. La septième est la sagesse, qui est le propre des pacifiques dans l'âme desquels n'existe aucun mouvement de révolte, mais où tout est soumis à l'esprit. Il n'y a qu'une seule récompense, c'est le royaume des cieux qui reçoit diverses dénominations. Il est expressément nommé et avec raison dans la première béatitude qui est le commencement de la divine sagesse, comme s'il était dit: «Le commencement de la sagesse est la crainte du Seigneur» (Ps 111,10). A ceux qui sont doux est promis l'héritage, comme à des enfants dont la piété filiale cherche le testament de leur père; à ceux qui pleurent la consolation, parce qu'ils savent ce qu'ils ont perdu, et dans quels maux ils sont plongés; à ceux qui ont faim l'abondance, comme aliment réparateur, après les fatigues endurées pour le salut; à ceux qui sont miséricordieux, la miséricorde parce qu'ils se sont ménagé sagement le bénéfice de l'indulgence dont ils ont fait preuve à l'égard des autres; à ceux qui sont purs la faculté de voir Dieu, car, eux seuls ont un oeil capable de voir et de comprendre les choses éternelles; à ceux qui sont pacifiques, la ressemblance avec Dieu. Or toutes ces promesses peuvent s'accomplir en cette vie comme nous croyons qu'elles se sont réalisées dans les apôtres; car aucune parole ne saurait exprimer l'objet des promesses éternelles.


vv. 11-12

3511 Mt 5,11-12

Rab. Les maximes précédentes avaient une application générale, Jésus-Christ s'adresse ici personnellement à ceux qui l'écoutent, et il leur prédit les persécutions qu'ils auraient à supporter pour son nom. «Vous serez heureux» leur dit-il, «lorsque les hommes vous maudiront et vous persécuteront et diront toute espèce de mal contre vous». - S. Aug. (serm. sur la mont., liv. 1, chap. 3 ou 9). On peut demander quelle différence existe entre maudire et dire toute espèce de mal, parce que maudire c'est justement dire du mal; nous répondrons qu'il y a une différence entre maudire et outrager quelqu'un en face, et déchirer sa réputation en son absence. Quant au mot persécuter, il signifie user de violence contre quelqu'un, ou lui tendre des embûches.

S. Chrys. (sur S. Matth). S'il est vrai que celui qui donne à son frère un verre d'eau ne perd pas sa récompense, par la même raison celui qui aura supporté la plus légère parole outrageante, ne peut manquer d'être récompensé. Mais pour que les imputations injurieuses lui donnent droit à ce bonheur, il faut deux choses, qu'elles soient fausses, et qu'il les souffre pour la cause de Dieu; si l'une des deux conditions manque, il ne peut espérer la récompense de cette béatitude, aussi le Sauveur ajoute-t-il: «Mentant à cause de moi». - S. Aug. (serm. sur la mont). Je présume que ces mots ont été ajoutés pour ceux qui veulent se glorifier des persécutions qu'ils souffrent et du déshonneur qui s'attache justement à leur réputation, et qui prétendent faire partie des disciples de Jésus-Christ, parce qu'ils sont en butte à mille discours injurieux. Mais c'est à tort, car ces discours ne sont que l'expression de la vérité quand ils ont pour objet leurs erreurs, et si parfois on les accuse à faux, ce n'est nullement pour Jésus-Christ qu'ils le souffrent.

S. Grég. (sur Ezéchiel). Qui pourra donc nous nuire, si les hommes nous discréditent, et que nous n'ayons pour nous défendre que le témoignage de notre conscience? Cependant si nous ne devons pas, de dessein prémédité, exciter contre nous la langue de ceux qui veulent entamer notre réputation, pour ne pas les pousser eux-mêmes à leur perte; une fois que leur méchanceté les arme contre nous, il faut le supporter patiemment pour augmenter notre mérite, et c'est ce que le Sauveur nous recommande en ajoutant: «Réjouissez-vous et tressaillez de joie, parce que votre récompense est abondante dans les cieux». - La Glose. Que votre âme se réjouisse, que votre corps lui-même tressaille d'allégresse, parce que votre récompense non seulement est grande comme celle des autres, mais parce qu'elle est abondante dans les cieux.

S. Aug. (serm. sur la mont). Je ne pense pas que les cieux désignent ici les parties supérieures de ce monde visible, car ce n'est pas dans les choses extérieures que nous devons placer notre récompense; par les cieux il faut donc entendre ici le firmament spirituel qu'habite l'éternelle justice. On peut déjà pressentir cette récompense quand on place sa joie dans les biens spirituels, mais cette jouissance ne sera parfaite, que lorsque ce corps mortel aura revêtu l'immortalité (1Co 15,54). - S. Jér. Si nous voulons que notre récompense se prépare dans les cieux, nous devons donc nous réjouir et tressaillir d'allégresse, ce que ne pourra jamais faire celui qui est esclave de la vaine gloire. - S. Chrys. (sur S. Matth). En effet, autant on met sa joie dans les louanges des hommes, autant on s'attriste de leurs mépris; mais celui qui ne désire que la gloire des cieux, ne craint nullement les opprobres de la terre. - S. Grég. (sur Ezéchiel). Nous devons cependant mettre un frein quelquefois aux langues des calomniateurs, de peur qu'en répandant leur venin contre nous, ils ne viennent à corrompre les âmes innocentes que nous aurions pu porter au bien par nos discours.

La Glose. Ce n'est pas seulement par la perspective de la récompense, mais par la puissance de l'exemple qu'il les invite à la patience. «C'est ainsi ajoute-t-il qu'ils ont persécuté les prophètes qui étaient avant vous». - Remi. C'est une grande consolation en effet pour celui qui se trouve dans la tribulation, de se rappeler les souffrances de ceux qu'on lui donne comme un exemple de patience, c'est comme si le Sauveur disait: «Souvenez-vous que vous êtes les apôtres de celui dont ils furent les prophètes». - S. Chrys. (hom. 15). Il déclare aussi par ces paroles qu'il est égal en honneur à son Père, car il semble dire: «De même qu'ils ont souffert pour mon Père, ainsi vous souffrirez pour moi». En leur disant: «Les prophètes qui furent avant vous», il leur apprend qu'ils sont devenus prophètes eux-mêmes. - S. Aug. (serm. sur la mont). La persécution est prise ici dans un sens général, et signifie tous les discours outrageants, et toutes les atteintes à la réputation.



Catena Aurea 3505