Catena Aurea 3529

v. 29

3529 Mt 5,29

La Glose. Il ne suffit pas seulement d'éviter le péché, il faut encore en faire disparaître l'occasion; aussi, après nous avoir enseigné à fuir non seulement l'adultère consommé, mais encore l'adultère intérieur, le Seigneur nous enseigne à retrancher les occasions de péché, en ajoutant: «Si votre oeil droit vous scandalise».

S. Chrys. (sur S. Matth). Si d'après le roi-prophète, il n'y a aucune partie de notre chair qui soit saine, nous devons retrancher tous les membres de notre corps pour égaler leur châtiment à leur malice. Mais voyons si nous devons entendre ce passage de l'oeil ou de la main du corps. Lorsqu'un homme se convertit à Dieu, il est entièrement mort au péché; de même l'oeil lorsqu'il renonce aux mauvais regards est affranchi du péché. Mais ce n'est pas la seule difficulté, car que fait l'oeil gauche pendant que l'oeil droit vous scandalise? Tient-il une conduite différente pour être conservé comme innocent. - S. Jér. Cet oeil droit, cette main droite, signifient donc l'affection que nous avons pour des frères, pour une épouse, pour des parents, pour des proches; si elle devient pour nous un obstacle à la contemplation de la vraie lumière, nous devons retrancher ces parties si chères de nous-mêmes. - S. Aug. (serm. sur la mont., 1, 43). De même que l'oeil est la figure de la contemplation, la main est la figure de l'action. L'oeil est encore pour nous l'image d'un de nos amis les plus chers; aussi ceux qui veulent exprimer vivement leur affection disent-ils: Je l'aime comme l'un de mes yeux. Cet ami dont l'oeil est la figure, est un ami de bon conseil, de même que l'oeil sert à nous indiquer le chemin. C'est l'oeil droit probablement, pour faire ressortir la force de l'amitié, car on craint bien davantage de perdre l'oeil droit. Peut-être aussi par l'oeil droit, faut-il entendre l'ami qui nous conseille dans l'ordre des choses divines, et par l'oeil gauche celui qui donne des conseils sur les choses de la terre. Le sens serait donc: Quel que soit celui que vous aimez à l'égal de votre oeil droit, s'il vous scandalise, c'est-à-dire s'il est pour vous un empêchement au véritable bonheur, arrachez-le et jetez-le loin de vous. Or il n'était pas nécessaire de parler de l'oeil gauche qui scandalise, après avoir dit qu'il ne faut pas épargner l'oeil droit. La main droite représente l'ami qui nous aide dans les oeuvres spirituelles, la main gauche celui qui nous prête son concours dans les choses de la vie présente.

S. Chrys. (sur S. Matth). On peut dire aussi que Notre-Seigneur Jésus-Christ veut que nous prenions garde non seulement de nous exposer au danger personnel de pécher, mais encore de laisser commettre des actions coupables par ceux dont la conduite nous est confiée. Vous avez par exemple un ami qui voit et connaît parfaitement vos affaires, comme votre oeil, ou qui les traite comme votre propre main; vous apprenez qu'il s'est rendu coupable d'une action honteuse, chassez-le loin de vous, parce qu'il vous scandalise, car nous aurons à rendre compte non seulement de nos propres fautes, mais encore des fautes du prochain que nous aurions pu empêcher. - S. Hil (Can. 4). C'est donc ici un degré d'innocence plus parfait; nous devons non seulement nous abstenir de tout péché personnel, mais encore nous garantir de ceux qui peuvent se commettre autour de nous.

S. Jér. Ou bien encore, comme le Sauveur parle plus haut du désir coupable que peut exciter la vue d'une femme, il prend ici l'oeil pour la pensée et le sentiment qui s'égarent sur divers objets; la main droite et les autres parties du corps expriment les premiers mouvements de la volonté et de la passion. - S. Chrys. (sur S. Matth). Cet oeil du corps est le miroir de l'oeil intérieur; le corps a aussi un sens qui lui est propre, c'est l'oeil gauche, et son appétit est figuré par la main gauche. Les facultés de l'âme sont désignées par la droite, parce que l'âme a été créée avec le libre-arbitre et sous la loi de justice, pour juger et se conduire avec droiture. Le corps qui n'a pas la liberté en partage, et qui est sous la loi du péché, nous est représenté par la main gauche. Or on ne nous commande pas de retrancher les sensations ou les appétits de la chair, car nous pouvons réprimer ses désirs et ne pas les satisfaire, tandis que nous ne pouvons empêcher la chair de manifester ces désirs. Lorsque de propos délibéré nous pensons, nous voulons le mal, c'est notre sens droit, c'est notre volonté droite qui nous scandalise, et il nous est commandé de les retrancher, ce que nous pouvons faire à l'aide du libre-arbitre. Ou bien encore dans un autre sens nous devons nous abstenir de toute bonne action qui devient un scandale pour nous ou pour les autres. Ainsi je fais visite à une femme pour un motif de religion, mon intention est bonne, c'est l'oeil droit. Mais si mes visites trop assidues me font tom ber dans le piège du désir, ou deviennent un scandale pour ceux qui en sont témoins, c'est l'oeil droit qui scandalise, c'est le bien qui scandalise, car l'oeil droit c'est le bon regard, c'est la bonne intention, comme la main droite est la bonne volonté. - La Glose. On peut dire encore que l'oeil droit c'est la vie contemplative qui peut devenir un objet de scandale soit en nous jetant dans la paresse ou dans l'orgueil, soit parce que notre faiblesse nous empêche de nous élever jusqu'à la pure vérité. La main droite figure les bonnes oeuvres ou la vie active qui peut nous scandaliser en nous faisant tomber dans le piège que nous tendent la fréquentation du monde et l'ennui des occupations. Que celui donc qui ne peut goûter le bienfait de la vie contemplative ne se laisse pas gagner par la langueur au milieu de la vie active, dans la crainte qu'en se livrant aux occupations extérieures, il laisse se dessécher la douceur intérieure de son âme.

Remi. Mais pourquoi faut-il arracher l'oeil droit; pourquoi faut-il couper la main droite? Le Sauveur nous en donne la raison. «Car il vaut mieux pour vous qu'un de vos membres périsse». - S. Chrys. (sur S. Matth). Nous sommes les membres les uns des autres, il vaut donc mieux pour nous que nous soyons sauvés sans telle bonne intention, ou sans telle bonne oeuvre que de nous perdre avec toutes ces bonnes oeuvres pour avoir voulu les accomplir toutes sans exception.


vv. 30-32

3530 Mt 5,30-32

La Glose. Le Sauveur venait d'enseigner que l'on ne devait pas désirer la femme de son prochain; il défend ici de renvoyer sa propre épouse: «Il a été dit: Quiconque renvoie son épouse doit lui délivrer un acte de répudiation», etc. - S. Jér. Plus tard le Sauveur expliquera plus à fond ce passage, en faisant voir que si Moïse a commandé aux maris à cause de la dureté de leur coeur de donner un acte de répudiation, ce n'est pas pour légitimer le divorce, mais pour prévenir l'homicide. - S. Chrys. (sur S. Matth). Lorsque Moïse délivra les Israélites de l'Egypte, ils étaient enfants d'Israël par leur naissance, mais Égyptiens par leurs moeurs. Or par suite de ces moeurs idolâtres il arrivait souvent qu'un homme concevait de la haine pour sa femme, et comme il ne lui était pas permis de la renvoyer, il était porté ou à la mettre à mort, ou à la fatiguer de mauvais traitements. Il fit donc une obligation au mari de donner un certificat de répudiation, non comme d'une chose bonne en soi, mais comme d'un remède à un mal plus grand. - S. Hil. (Can. 4). Mais le Seigneur voulant assurer à tous les bienfaits de l'équité, veut qu'elle règne surtout dans l'union conjugale pour la paix des époux; il ajoute donc: «Et moi, je vous dis que quiconque aura renvoyé son épouse», etc. etc. - S. Aug. (cont. Faust., 19, 26). Le commandement que fait ici le Seigneur de ne pas renvoyer son épouse, n'est pas contraire aux prescriptions de la loi, comme le prétendent les Manichéens, car la loi ne disait pas: Que celui qui le voudra renvoie son épouse (le contraire alors serait de ne pas la renvoyer). Loin de vouloir le renvoi de la femme par le mari, la loi apportait tous les retards possibles à cette mesure afin que les esprits trop prompts à vouloir le divorce fussent arrêtés par la nécessité de l'acte de répudiation, difficulté d'autant plus grande que chez les Juifs, il n'était permis de faire les actes en langue hébraïque, qu'aux seuls Scribes qui faisaient profession d'une sagesse plus parfaite (cf. Esd 7,6 Esd 7,21). C'est donc aux Scribes que la loi renvoyait celui qui voulait se séparer de sa femme, en leur ordonnant de donner l'écrit de répudiation, dans l'espérance que leur entremise pacifique ramènerait la concorde entre les deux époux, et que l'acte de répudiation serait inutile, à moins que leurs mauvaises dispositions ne rendissent impossible tout moyen de réconciliation. Notre-Seigneur n'accomplit donc pas ici, en y ajoutant, la loi donnée aux premiers hommes; il ne détruit pas davantage la loi donnée par Moïse, en lui opposant une loi contraire, comme le disent les Manichéens; mais il confirme toutes les prescriptions de la loi hébraïque, et tout ce qu'il paraît y ajouter personnellement ne tend qu'à en expliquer les obscurités, ou bien à garantir plus sûrement l'observation de ses prescriptions.

S. Aug. (serm. sur la mont., 25). En cherchant à entraver le renvoi de la femme, Notre-Seigneur a fait comprendre autant qu'il a pu aux hommes les plus durs, qu'il réprouvait le divorce. Pour confirmer ce principe que le renvoi lui-même ne doit pas avoir lieu facilement, il ne lui reconnaît qu'un seul motif, la seule cause de fornication: «Si ce n'est pour cause de fornication». Quant aux autres peines du mariage, quelque multipliées qu'elles soient, il veut qu'on les supporte avec courage dans l'intérêt de la foi conjugale. - S. Chrys. (sur S. Matth). Si nous sommes obligés de supporter les défauts de ceux qui nous sont étrangers, d'après ces paroles de saint Paul: «Portez les fardeaux les uns des autres», à combien plus forte raison les défauts de nos épouses? Or un chrétien doit non seulement éviter ce qui peut souiller son âme, mais encore ce qui serait pour les autres une occasion de se souiller eux-mêmes, car alors le crime d'autrui viendrait s'ajouter à son propre péché, parce qu'il en a été la cause directe. Celui donc qui en renvoyant son épouse devient une cause d'adultère, en exposant sa femme et celui qui la prend à commettre un double adultère, sera condamné lui-même pour ces mêmes fautes: et c'est pour cela qu'il est dit: «Celui qui renvoie son épouse la fait devenir adultère». - S. Aug. (serm. sur la mont). Plus loin Notre-Seigneur déclare également adultère l'homme qui prend la femme renvoyée par son mari, eût-elle un écrit de répudiation; «celui, ajoute-t-il, qui prend la femme qui aura été renvoyée, devient adultère». - S. Chrys. (hom. 47 sur S. Matth). Ne dites donc pas que son mari l'a renvoyée, car même après ce renvoi, elle ne cesse pas d'être son épouse.

S. Aug. (serm. sur la mont). L'Apôtre a déterminé les limites de ce précepte en déclarant qu'il a force de loi pendant toute la vie du mari (1Co 7,39); mais après sa mort, la femme recouvre le droit de se marier. S'il n'est pas permis à une femme de s'unir à un autre du vivant du mari qu'elle a quitté, combien plus lui est-il défendu d'entretenir avec n'importe qui un commerce criminel? Ce n'est pas d'ailleurs enfreindre le précepte qui défend de renvoyer son épouse que de la garder chez soi en n'ayant avec elle que des relations toutes spirituelles; car les mariages où la continence est gardée d'un mutuel accord sont les plus heureux. (chap. 16 ou 26). Ici se présente une question: le Seigneur permet au mari de renvoyer son épouse pour cause de fornication; que faut-il entendre par là? Est-ce simplement la fornication dont on se rend coupable en se livrant à un commerce infâme? Ou bien est-ce cette fornication plus générale que les Écritures appliquent à toute corruption criminelle de l'âme, comme l'avarice, l'idolâtrie, et toute transgression de la loi produite par la concupiscence qu'elle condamne? Or si l'apôtre permet de renvoyer l'épouse infidèle, quoiqu'il soit mieux de ne pas le faire (1Co 7), et que d'un autre côté le Seigneur n'admette d'autre cause de renvoi que la fornication, l'infidélité est donc une véritable fornication. Mais puisque l'infidélité est une fornication, l'idolâtrie une infidélité, et l'avarice une idolâtrie, nul doute que l'avarice elle-même ne soit une véritable fornication. Et si l'avarice est une fornication, qui pourra ôter à une concupiscence coupable, quelle qu'elle soit, le caractère de fornication? - S. Aug. (Retract. 1, 19). Je ne veux pas cependant que, dans une matière aussi difficile, le lecteur croie que l'examen que nous venons de faire de cette question doive lui suffire. En effet, tout péché n'est pas une fornication spirituelle, et Dieu ne perd pas tout homme qui l'offense, lui qui exauce tous les jours cette prière de ses Saints: «Pardonnez-nous nos offenses», tandis qu'il perd celui qui se rend coupable de fornication à son égard (Ps 62,27). Or est-il permis de renvoyer son épouse pour une fornication de ce genre? C'est une question fort obscure: Quant à la fornication qui déshonore le corps il ne peut y avoir de difficulté. - S. Aug. (Liv. des 83 Quest., Quest. dern). Si l'on soutient que le Seigneur n'admet d'autre cause de répudiation que la fornication qui consiste dans l'union coupable des corps, on peut dire que cette défense s'applique aux deux époux, de sorte qu'il n'est permis à aucun des deux de se séparer de l'autre, si ce n'est pour cause d'adultère.

S. Aug. (serm. sur la mont., 1, 16). La permission que donne ici le Seigneur de renvoyer une épouse coupable d'adultère s'étend encore au renvoi qu'un mari fait de son épouse, au moment où il va être forcé de commettre un adultère: car alors il la renvoie pour cause de double fornication; pour cause de fornication du côté de son épouse, parce qu'elle s'y est livrée; pour cause de fornication de son côté, afin de s'en préserver lui-même. - S. Aug. (De la foi et des oeuvres, chap. 16). Un mari peut renvoyer aussi légitimement une femme qui lui dirait: Je ne serai votre épouse qu'à la condition que vous m'enrichirez par le vol, ou qui exigerait des jouissances qui feraient le crime et le déshonneur de son mari. L'homme à qui sa femme tiendra un pareil langage n'hésitera pas, s'il est vraiment chrétien, à retrancher ce membre qui le scandalise. - S. Aug. (serm. sur la mont). Mais c'est une souveraine injustice pour un mari que de renvoyer sa femme pour cause de fornication s'il peut être convaincu d'être lui-même un fornicateur; car alors il est sous le coup de ces paroles: «En condamnant les autres, vous vous condamnez vous-même». Quant à ces autres paroles du Sauveur: «Et celui qui épouse celle que son mari aura quittée commet un adultère», on peut demander si cette femme est coupable d'adultère au même degré que celui qui l'épouse; car l'Apôtre lui ordonne de rester sans se marier, ou de se réconcilier avec son mari; si elle en reste séparée, elle doit demeurer libre de nouveaux liens. Or, il importe beaucoup de savoir si elle a quitté d'elle-même son mari, ou si elle en a été renvoyée. Si c'est elle-même qui s'est séparée de son mari et qu'elle en ait épousé un autre, elle paraît n'avoir agi que par le désir de contracter un second mariage, désir qui est un véritable adultère. Au contraire, a-t-elle été renvoyée par son mari, l'homme et la femme s'unissant d'un commun consentement, on ne voit pas même dans ce cas pourquoi l'un serait adultère, à l'exclusion de l'autre. Ajoutez que s'il y a péché d'adultère pour celui qui s'unit à la femme renvoyée par son mari, c'est elle-même qui le rend adultère, ce qui est formellement défendu par le Seigneur.


vv. 33-37

3533 Mt 5,33-37

La Glose. Le Seigneur avait défendu précédemment toute injustice contre le prochain, la colère aussi bien que l'homicide, le désir en même temps que l'adultère, et le renvoi de l'épouse avec un acte de répudiation. Il défend maintenant toute injustice contre Dieu, en interdisant non seulement le parjure comme un mal, mais encore le serment comme pouvant être occasion de péché: «Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens: «Vous ne ferez pas de parjure». On lit en effet dans le Lévitique (Lv 19,12): «Vous ne commettrez pas de parjure en mon nom, afin que les hommes ne fussent pas exposés à regarder les créatures comme des dieux. Dieu avait ordonné de faire tous les serments en son nom, et défendu de jurer par les créatures. C'est le sens de ces paroles: «Vous vous acquitterez envers le Seigneur des serments que vous avez faits»; c'est-à-dire, s'il vous arrive de faire un serment, vous le ferez au nom du Créateur, et non pas au nom des créatures. C'est ce qui est écrit au Deutéronome (Dt 6,13): «Vous craindrez le Seigneur votre Dieu, et vous ne jurerez qu'en son nom».

S. Jér. La loi leur fit cette concession comme à un peuple encore dans l'enfance; elle leur permit de jurer au nom de Dieu, par la même raison qu'ils devaient lui offrir des victimes pour éviter de les immoler aux idoles. Elle ne regardait pas ces serments comme une chose bonne par elle-même, mais elle aimait mieux qu'on les fit au nom de Dieu qu'au nom des idoles. - S. Chrys. (sur S. Matth). L'habitude de faire des serments fait infailliblement tomber dans le par jure, de même que l'habitude de trop parler expose nécessairement à dire des choses déplacées.

S. Aug. (contre Fauste, 19, 22). Comme le parjure est un péché grave, et qu'on y est beau coup moins exposé en ne jurant pas du tout, qu'en ayant l'habitude d'affirmer la vérité sous serment, le Seigneur a mieux aimé que nous restions dans la vérité sans recourir au serment, que de nous exposer au parjure en jurant même selon la vérité. Aussi ajoute-t-il: «Pour moi je vous dis: Ne jurez pas du tout». - S. Aug. (serm. sur la mont). En cela il confirme la justice des Pharisiens qui condamnaient le parjure, car on ne se parjure pas quand on ne fait aucun serment. Mais comme jurer c'est prendre Dieu à témoin, il nous faut expliquer comment l'Apôtre n'a point enfreint ce précepte, lui que nous voyons souvent recourir à cette espèce de serment, par exemple: «Je prends Dieu à témoin que je ne vous mens point en tout ce que je vous écris»; et encore: «Dieu m'en est témoin, lui que je sers en esprit». Dira-t-on que le serment qui est défendu consiste à jurer directement par un être quelconque et que l'Apôtre ne jure ici en aucune façon, puisqu'il ne dit point: «Par Dieu», mais simplement: «Dieu m'est témoin ?» Ce serait là une explication ridicule. D'ailleurs, on doit se rappeler que saint Paul a fait des serments même de cette sorte lorsqu'il a dit: «Je meurs tous les jours par votre gloire, mes frères». (1Co 15). Et on ne peut interpréter ces paroles en ce sens: Votre gloire me fait tous les jours mourir, car les textes grecs prouvent à l'évidence que c'est là une véritable formule de serment. S. Aug. (contre le Mens). Il y a dans les paroles de l'Écriture bien des choses que nous ne pouvons comprendre; la vie des saints nous apprend alors comment nous devons entendre ces passages dont on pourrait facilement détourner le sens, si leurs exemples ne nous en donnaient la véritable signification. Ainsi l'Apôtre, en employant le serment dans ses Epîtres, nous apprend comment nous devons expliquer ces paroles: «Pour moi, je vous dis de ne pas jurer du tout», dans la crainte qu'en employant le serment on n'y recoure avec trop de facilité, que cette facilité n'entraîne l'habitude, et que l'habitude ne fasse tomber dans le parjure. Aussi ne fait-il usage du serment qu'en écrivant, alors qu'une réflexion plus attentive met en garde contre la précipitation de la langue. Et cependant le Seigneur nous dit de ne point jurer du tout, et il n'a pas fait d'exception en faveur de ceux qui écrivent. Mais comme on ne peut sans crime accuser saint Paul de la violation d'un précepte divin, surtout dans des lettres écrites pour l'édification des peuples, il faut entendre cette expression «pas du tout» dans ce sens: «Autant qu'il vous sera possible». Vous ne devez ni affecter ni désirer avec un certain plaisir de recourir au serment, comme s'il s'agissait d'une bonne action. - S. Aug. (contre Fauste, 19, 23). L'Apôtre fait usage du serment dans des épîtres où l'attention est plus scrupuleuse; il ne faut donc pas croire que l'on pèche en jurant pour la vérité, mais comprendre qu'en nous abstenant du serment nous préservons plus sûrement notre fragilité du parjure.

S. Jér. Remarquez enfin que le Sauveur n'a pas défendu de faire des serments au nom de Dieu, mais de jurer par le ciel, par la terre, par Jérusalem et par votre tête. On sait que les Juifs ont toujours eu cette détestable habitude de jurer par les éléments. Or, celui qui jure aime celui au nom duquel il fait serment, et les Juifs qui juraient par les anges, par la ville de Jérusalem, par le temple et par les éléments, rendaient à ces créatures l'honneur qui n'est dû qu'à Dieu, alors que dans la loi il est ordonné de ne jurer que par le nom du Seigneur notre Dieu. - S. Aug. (serm. sur la mont., 31, 31 ou 17). Notre-Seigneur ajoute peut-être ces mots: «Ni par le ciel», etc., parce que les Juifs ne regardaient pas comme obligatoires les serments qu'ils faisaient par les choses inanimées; il leur dit donc: lorsque vous jurez par le ciel et par la terre, n'allez pas croire que vous n'êtes pas redevables à Dieu de vos serments, car vous avez évidemment juré par celui qui a le ciel pour trône et la terre pour marchepied. Ces expressions ne signifient pas évidemment que Dieu repose ses membres dans le ciel et sur la terre, comme lorsque nous nous asseyons nous-mêmes; le trône de Dieu signifie le jugement de Dieu. Le ciel est sans contredit la plus grande partie de l'univers créé; on dit donc que Dieu est assis dans les cieux comme s'il y manifestait sa présence par une plus grande magnificence, et qu'il foule la terre aux pieds parce qu'il l'a placée au dernier rang, comme la partie la moins brillante de la création. Dans le sens spirituel, le ciel signifie les âmes saintes, et la terre les pécheurs, parce que l'homme spirituel juge toutes choses (1Co 2,15) et que Dieu a dit au pécheur: «Tu es terre et tu retourneras en terre». D'ailleurs, celui qui veut demeurer dans la loi est nécessairement soumis à la loi, et c'est avec raison qu'il est appelé: «L'escabeau de ses pieds». Notre-Seigneur ajoute: «Ni par Jérusalem, parce qu'elle est la ville du grand Roi», expression plus convenable que s'il avait dit: «La ville qui est à moi», bien qu'il le dise en termes équivalents. Or, comme il est en même temps le Seigneur, c'est donc à lui qu'on est redevable des serments que l'on fait par Jérusalem. Il ajoute enfin: «Vous ne jurerez pas non plus par votre tête». Que peut-on imaginer qui nous appartienne davantage que notre tête? Mais comment serait-elle à nous, puisque nous n'avons pas le pouvoir d'en rendre un seul cheveu blanc ou noir? C'est la raison que donne le Sauveur: «Parce que vous n'en pouvez faire un seul cheveu blanc ou noir». Celui donc qui veut jurer par sa tête est redevable à Dieu de son serment et ainsi des autres serments de même nature.

S. Chrys. (hom. 17). Remarquez que si le Sauveur relève ainsi les éléments du monde créé, ce n'est pas en vertu de leur excellence naturelle, mais à cause des liens qui les rattachent à Dieu, pour ne point donner lieu à l'idolâtrie. - Rab. Après avoir prohibé le serment, il nous enseigne comment nous devons nous exprimer: «Que votre discours soit: Cela est, cela est, cela n'est pas, cela n'est pas»; c'est-à-dire, il suffit de dire d'une chose qui est, cela est; et cela n'est pas, d'une chose qui n'est pas. Peut-être l'affirmation et la négation sont-elles répétées ici deux fois pour nous apprendre à prouver par nos oeuvres la vérité de ce que notre bouche affirme, et à ne point confirmer par nos actes ce que nos paroles auraient nié. - S. Hil. (Can. 4). Ou bien encore, il n'est nul besoin de serment pour ceux qui vivent dans la simplicité de la foi, car avec eux, ce qui est est toujours vrai et ce qui ne l'est pas ne l'est pas, et ainsi tout en eux, parole et action est dans la vérité.

S. Jér. La vérité évangélique n'admet donc pas de serment, puisque toute parole d'un chrétien équivaut à un serment. - S. Aug. (serm. sur la mont). Aussi celui qui comprend que la vérité seule ne suffit pas pour légitimer l'usage du serment, s'il n'est d'ailleurs nécessaire, doit s'imposer un frein pour n'y recourir que dans le cas de nécessité, lorsqu'il voit par exemple des hommes peu disposés à croire des choses qui leur sont utiles, si on ne les affirme sous le serment. Ce qui est bien, ce qui est désirable est exprimé par ces mots: «Contentez-vous de dire: Cela est, cela est, ou cela n'est pas, cela n'est pas, ce qui est de plus vient du mal»; c'est-à-dire que la nécessité où vous êtes de jurer vient de la faiblesse de ceux que vous voulez persuader, faiblesse qui est un mal. Aussi le Sauveur ne dit pas: «Ce qui est au-delà est mal», car vous ne faites point mal en faisant usage du serment pour persuader à un autre ce qu'il lui importe de savoir, mais «cela vient du mal», c'est-à-dire de la mauvaise disposition de cet homme dont la faiblesse vous force de recourir au serment». - S. Chrys. (hom. 12). Ou bien cela vient du mal, c'est-à-dire de l'infirmité de ceux à qui la loi permet de jurer. En s'exprimant de la sorte, Notre-Seigneur ne dit pas que la loi ancienne est l'oeuvre du démon, mais il nous fait passer de l'état ancien si imparfait à une nouveauté bien plus parfaite.


vv. 38-42

3538 Mt 5,38-42

La Glose. Après avoir interdit toute injustice contre le prochain, toute irrévérence envers Dieu, le Seigneur nous enseigne comment un chrétien doit se conduire à l'égard de ceux qui lui font quelque injure: «Vous avez appris ce qui a été dit: «oeil pour oeil, dent pour dent (Ex 21,24 Lv 24,20 Dt 19,21) ». - S. Aug. (contre Fauste, 19, 25). Ce commandement a été donné pour éteindre le feu de ces haines violentes qui éclataient entre des ennemis acharnés les uns contre les autres, et pour mettre un frein à des colères sans mesure. Car quel est celui qui se contente d'une vengeance égale seulement à l'injure qu'il a reçue? Ne voyons-nous pas au contraire des hommes légèrement offensés tramer le meurtre, avoir soif du sang et trouver à peine de quoi l'assouvir dans les maux dont ils accablent leurs ennemis? C'est à cette vengeance aussi excessive qu'elle est injuste que la loi a posé de justes bornes en créant la peine du talion, qui mesure rigoureusement le châtiment à l'offense. Le but de cette loi n'est pas de donner une nouvelle force à la fureur, mais de la contenir et de la réprimer; ce n'est pas de rallumer une flamme assoupie, mais de circonscrire celle qui brûlait déjà. En effet, la vengeance, réglée ici par la justice, ne dépasse pas les droits que l'injure donne à celui qui en est offensé. Il peut céder ce qui lui est dû, et c'est bonté de sa part; mais il peut le demander sans injustice. Or, comme il y a péché à poursuivre une vengeance sans mesure tandis qu'il n'y en a aucun à ne vouloir qu'une vengeance modérée, il est évident que celui qui refuse toute vengeance est le moins exposé à pécher, et c'est pourquoi Notre-Seigneur ajoute: «Et moi, je vous dis de ne pas résister au mal». Je pourrais traduire ainsi ces paroles: «Il a été dit aux anciens: Vous ne vous vengerez pas injustement; pour moi, je vous dis: Ne vous vengez pas (ce qui est vraiment accomplir la loi) », si ces paroles paraissaient être dans la pensée du Christ un complément de la loi. Mais il est plus naturel de penser qu'il n'a eu d'autre but que celui même que se proposait la loi de Moïse, c'est-à-dire qu'il recommande de ne se venger en aucune manière, afin d'être plus assuré d'observer ce précepte et de ne pas dépasser les bornes d'une légitime vengeance. - S. Chrys. (sur S. Matth). Sans ce nouveau commandement, celui de la loi de Moïse ne peut se soutenir, car si nous usons de cette concession de la loi pour rendre à tous le mal pour le mal, nous deviendrons tous mauvais, parce que ceux qui nous persécutent sont malheureusement très nombreux; tandis que si, d'après le précepte du Christ, on ne résiste pas au mal, les bons restent bons, quand bien même ils ne pourraient adoucir les méchants. - S. Jér. Le Seigneur, en nous ôtant le droit de nous venger, tranche donc jusqu'à la racine du péché; dans la loi, la faute est corrigée; ici, les commencements mêmes du péché sont détruits.

La Glose. On peut dire aussi que par ces paroles le Seigneur ajoute quelque chose à la justice de l'ancienne loi. - S. Aug. (serm. sur la mont). La justice des Pharisiens qui s'appliquait à ne point dépasser la mesure de la vengeance, est une justice imparfaite, et c'est le commencement de la réconciliation et de la paix; mais la justice parfaite est de s'interdire toute vengeance. Aussi entre cet excès que la loi condamne, de rendre plus de mal qu'on n'en a reçu, et la perfection dont le Sauveur fait un précepte à ses disciples, et qui consiste à ne pas rendre le moindre mal à ceux qui nous en ont fait, nous trouvons ce moyen terme qui ne rend que le mal qu'on a reçu. Et c'est par ce moyen terme que le monde a passé de la plus grande division à l'accord le plus parfait. En effet, si vous prenez l'initiative de l'offense, vous commettez une souveraine injustice; si, sans avoir commencé, vous tirez de votre ennemi une vengeance supérieure à l'offense, vous n'atteignez pas tout à fait le même degré d'iniquité. Si vous ne rendez que le mal que vous avez reçu, vous vous montrez tant soit peu généreux; car celui qui a commencé le premier mérite un châtiment supérieur à l'offense dont il s'est rendu coupable. Mais le Sauveur qui est venu accomplir la loi a porté à sa perfection cette justice ébauchée, exempte de sévérité, et où l'on sent déjà la miséricorde. Quant aux deux degrés intermédiaires, il nous les laisse à comprendre. Car il en est qui tirent une vengeance légère pour une grave offense, et c'est par ce degré qu'on arrive à ne pas se venger du tout. Mais c'est trop peu encore pour le Seigneur, il veut que vous soyez disposé à en supporter davantage. Aussi nous recommande-t-il non seulement de ne pas rendre le mal pour le mal, mais de ne pas résister au mal, etc., c'est-à-dire non seulement de ne pas rendre le mal qui nous aurait été fait, mais encore de ne pas empêcher celui qu'on voudrait nous faire. C'est ce que signifient ces paroles: «Si quelqu'un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui aussi la gauche». C'est donc un acte de miséricorde et de condescendance que le Sauveur demande, et c'est ce que comprennent parfaitement ceux qui acceptent d'être comme les serviteurs de personnes qui leur sont chères, par exemple, des enfants, ou de ceux qui sont atteints de frénésie. Que n'ont-ils pas à en souffrir, et si leur bien le demande, ils sont disposés à en supporter encore davantage. Le Seigneur souverain médecin des âmes enseigne donc ici à ses disciples à supporter les infirmités de ceux dont ils veulent sauver les âmes, car toute méchanceté vient de la faiblesse de l'esprit, et personne n'est plus inoffensif que celui qui pratique la vertu dans sa perfection. - S. Aug. (Du mensonge). La conduite que les Saints ont tenue sous la loi nouvelle sert à nous faire comprendre les exemples de l'Écriture qui nous sont présentés sous forme de préceptes, comme lorsque nous lisons dans l'Évangile: «Vous avez reçu un soufflet, présentez l'autre joue» (Lc 6). Nous ne pouvons certainement trouver de plus parfait exemple de patience que l'exemple du Seigneur lui-même: Or lorsqu'il eut reçu un soufflet dans sa passion, il ne dit pas: «Voici l'autre joue», mais: «Si j'ai mal parlé, faites voir le mal que j'ai dit: et si j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ?» Cet exemple nous prouve que c'est intérieurement qu'il faut être disposé à présenter l'autre joue. - S. Aug. (serm. sur la mont). En effet, Notre-Seigneur était disposé non seulement à recevoir un soufflet sur l'autre joue pour le salut des hommes, mais à voir son corps tout entier attaché à la croix. Mais que signifie cette joue droite? C'est au visage que l'on reconnaît un homme; être frappé au visage c'est donc d'après l'Apôtre devenir l'objet du dédain et du mépris. Mais on ne peut distinguer le visage en visage droit et en visage gauche, et cependant on peut avoir une double dignité, l'une selon Dieu, l'autre selon le monde, de là cette distinction de joue droite et de joue gauche, distinction qui apprend à tout disciple de Jésus-Christ qui voit mépriser en lui son caractère de chrétien à se montrer disposé à souffrir les mépris qui tomberaient sur les honneurs temporels dont il peut être revêtu. Toutes les offenses auxquelles nous sommes exposés peuvent se diviser en deux classes, les offenses qu'on ne peut réparer, les offenses qui peuvent l'être. Or c'est justement dans les offenses où la réparation n'est pas possible, qu'on cherche ordinairement la consolation de la vengeance. On vous a frappé, à quoi vous sert de rendre le coup que vous avez reçu? Avez-vous guéri par là la blessure qu'on a pu faire à votre corps? Non sans doute, il n'y a qu'une âme où la colère déborde qui puisse désirer de pareils adoucissements. - S. Chrys. (sur S. Matth). En rendant à votre ennemi le coup que vous avez reçu, l'avez-vous apaisé et amené à ne plus vous frapper? Bien au contraire, vous l'avez excité à vous porter de nouveaux coups, car la colère loin de calmer la colère ne sert qu'à l'irriter davantage. - S. Aug. (serm. sur la mont., 10, 19, 20, ou 37, 38). Aussi le Seigneur veut-il que nous supportions cette faiblesse de la colère du prochain dans un vrai sentiment de compassion, plutôt que de chercher dans son châtiment un adoucissement à la nôtre. Et cependant il ne défend pas ici la vengeance qui a pour but la correction du prochain, car elle fait partie de la miséricorde et se concilie très bien avec la disposition de souffrir encore davantage de celui qu'on veut corriger. Celui qui est revêtu du pouvoir légitime doit nécessairement tirer vengeance des crimes commis; mais il doit le faire avec le coeur d'un père qui ne peut haïr son enfant. De saints personnages ont puni de mort certains crimes pour inspirer aux vivants une crainte salutaire, et alors ce n'était pas la mort qui était préjudiciable à ceux qui étaient punis, mais bien leur péché, qui aurait pu s'aggraver s'ils avaient continué de vivre. C'est ainsi qu'Élie en frappa plusieurs de mort (cf. 1R 18,40 2R 1,10 Lc 9,54), et les disciples de Jésus-Christ ayant voulu s'autoriser de cet exemple, le Seigneur les reprit, en blâmant non pas l'action du prophète, mais l'ignorance qui les poussait à se venger, et en leur faisant remarquer que ce n'était pas l'amour de la correction fraternelle, mais la haine qui excitait en eux le désir de la vengeance. Mais après même qu'il leur eut enseigné la loi de charité et qu'il eut répandu l'Esprit saint dans leurs âmes, on vit encore de semblables vengeances; c'est ainsi que la parole de Pierre fit tomber morts à ses pieds Ananie et sa femme, et que l'apôtre saint Paul livra un homme à Satan pour mortifier sa chair. C'est pourquoi je ne puis comprendre le déchaînement aveugle de quelques-uns contre les châtiments corporels que nous voyons dans l'Ancien Testament, dans l'ignorance où ils sont de l'esprit et l'intention qui les a fait infliger.

S. Aug. Quel est l'homme de bon sens qui oserait dire aux rois: «Qu'un de vos sujets choisisse d'être religieux ou impie, cela ne vous regarde pas? On ne peut leur dire davantage: Que dans votre royaume on soit débauché ou de moeurs pures, vous n'avez pas à vous en occuper». Sans doute il vaut mieux amener les hommes à la pratique de la religion par l'instruction que par des peines coercitives, mais cependant nous pourrions prouver par l'expérience que pour plusieurs il a été fort utile d'être forcés par la peine ou par la crainte à se faire instruire ou à pratiquer ce qu'on leur avait déjà enseigné. Ceux qui se laissent conduire par l'amour sont évidemment les meilleurs, mais c'est le plus grand nombre qu'on ne ramène que par la crainte. C'est la conduite que Jésus-Christ tient à l'égard de saint Paul: il le dompte d'abord par la force avant de le soumettre par ses divines leçons. - S. Aug. (serm. sur la mont). Un chrétien veut-il observer la juste mesure de vengeance qui lui est ici permise, lors qu'il a reçu quelque outrage de ce genre, que la haine n'entre pas dans son coeur, qu'il soit disposé à souffrir encore davantage, et qu'en même temps il ne néglige pas de se servir de l'influence du conseil ou de l'autorité pour faire rentrer son frère dans le devoir.

S. Jér. Dans le sens mystique, lorsqu'on nous frappe sur la joue droite, nous devons présenter non pas la joue gauche, mais l'autre joue (cf. Pr 4,27 Qo 10,2 Mt 6,3), car le juste n'a pas de gauche. Par exemple, si un hérétique nous frappe dans la discussion, et qu'il veuille porter atteinte au sens droit d'une vérité dogmatique, nous devons lui opposer un autre témoignage semblable tiré de l'Écriture.

S. Aug. (serm. sur la mont). Il est un autre genre d'injures qui peuvent se réparer complètement: elles sont de deux espèces, l'une s'attaque à l'argent, l'autre consiste dans les actions outrageantes. C'est de la première des deux dont Notre-Seigneur ajoute: «Si quelqu'un veut plaider contre vous pour vous prendre votre robe, abandonnez lui encore votre manteau». Or de même que le soufflet reçu sur la joue exprime tous les outrages qui ne peuvent être réparés que par le châtiment, ainsi ce que le Seigneur dit ici du vêtement comprend toutes les injures qui peuvent être réparées sans recourir à la vengeance; et ce précepte doit s'entendre de la disposition du coeur, et non de ce qu'il faut faire en réalité. Ce qui nous est commandé à l'égard de la tunique ou du manteau, nous devons le faire pour tous les biens temporels dont nous avons le domaine, de quelque manière que ce soit. Car si ce précepte porte sur le nécessaire, à plus forte raison devons-nous abandonner le superflu? C'est ce que Notre-Seigneur nous enseigne en disant: «Si quelqu'un veut plaider contre vous». Ces paroles comprennent tout ce qu'on peut nous disputer devant les tribunaux. Mais doit-on y comprendre les esclaves? C'est une grande question, car un chrétien ne peut assimiler la propriété d'un esclave à la propriété d'un cheval, quoiqu'il puisse se faire que le cheval soit d'un prix plus élevé qu'un esclave. Or si votre esclave trouve en vous un maître plus sage que celui qui désire vous l'enlever, je ne sais qui oserait vous conseiller de ne pas y attacher plus d'importance qu'à votre vêtement.

S. Chrys. (sur S. Matth). C'est une chose indigne qu'un chrétien se présente devant le tribunal d'un juge infidèle. Mais quand même le juge serait chrétien, si vous le mettez dans la nécessité de vous juger, lui qui devait respecter en vous la dignité de la foi, vous perdez à ses yeux pour une affaire temporelle cette dignité dont le Christ vous avait revêtu. D'ailleurs tout procès est une source d'irritation et de pensées coupables, car si vous voyez qu'on veut l'emporter contre vous par l'intrigue ou par l'argent, vous vous empressez de recourir aux mêmes moyens dans l'intérêt de votre cause, et certes ce n'est pas ce que vous vouliez dès le début. - S. Aug. (Enchirid. chap. 78). C'est pourquoi le Seigneur défend ici aux chrétiens tout débat devant les tribunaux pour des affaires temporelles. Si donc l'Apôtre en défendant sous les peines les plus sévères tout appel au tribunal des infidèles permet cependant que les causes entre fidèles soient jugées entre eux, il est évident que c'est une concession qu'il fait à leur faiblesse.

S. Grég. (Moral., 31, 10). Parmi ceux qui nous ravissent nos biens temporels nous devons supporter les uns, mais nous devons nous opposer aux autres, tout en conservant la charité à leur égard. En cela nous ne nous opposons pas seulement à ce qu'ils nous enlèvent ce qui est à nous, mais nous les empêchons de se perdre eux-mêmes en ravissant ce qui ne leur appartient pas; car nous devons beaucoup plus craindre pour les ravisseurs eux-mêmes, que désirer avidement des biens privés de raison. Or lorsque nous sacrifions la paix avec le prochain à un bien temporel, il est évident que nous aimons ce bien plus que le prochain.

S. Aug. (serm. sur la mont). La troisième espèce d'injures qui consiste dans des actions dommageables est un mélange des deux premières et peut se réparer par le châtiment ou sans le châtiment. Car celui qui contraint méchamment un homme, et le force malgré lui à l'aider, peut porter la peine de sa méchanceté et rendre ce que l'on a fait pour lui. A l'égard de ces injures le Seigneur veut qu'un coeur chrétien se montre rempli de patience et disposé à en souffrir encore davantage, c'est pourquoi il ajoute: «Si quelqu'un veut vous contraindre à faire mille pas avec lui, faites-en deux mille autres encore», paroles qui exigent beaucoup moins que nous marchions en réalité, que d'être disposés à le faire. - S. Chrys. (hom. 16). Le mot áããáñåõóåé, angariaverit, veut dire entraîner injustement, et tourmenter sans raison. - S. Aug. (serm. sur la mont). Nous pensons que par ces paroles: «Allez avec lui l'espace de deux autres milles», Notre-Seigneur a voulu compléter le nombre trois, nombre qui exprime la perfection, pour rappeler à celui qui agit ainsi qu'il fait acte de justice parfaite. C'est pour cela qu'il appuie ce précepte sur trois exemples et que dans le troisième le nombre deux est ajouté à l'unité pour compléter le nombre trois. Ou bien, peut-être, faut-il entendre ici que dans ce précepte, le Seigneur monte par degré de ce qui est plus facile à ce qui est plus parfait. Il vous commande en premier lieu de présenter l'autre joue à celui qui vous frappe sur la droite, c'est-à-dire d'être disposé à supporter un affront moindre que celui que vous avez reçu. A celui qui veut vous prendre votre tunique, il vous commande d'abandonner votre manteau ou votre vêtement, suivant un autre texte; c'est vous demander de supporter une injure égale, ou de bien peu supérieure à celle qui vous a été faite. Enfin il vous ordonne d'ajouter aux mille premiers pas, l'espace de deux autres mille, c'est-à-dire de faire le double de ce que vous avez fait. Mais comme ce serait peu de ne pas rendre le mal pour le mal, si l'on ne fait positivement le bien, il ajoute: «Donnez à celui qui vous demande». - S. Chrys. (sur S. Matth). Nos richesses ne sont pas à nous, mais à Dieu, et il a voulu que nous en soyons les dispensateurs, et non pas les maîtres. - S. Jér. Si nous restreignons au devoir de l'aumône ces paroles du Sauveur, on ne peut l'appliquer à un trop grand nombre de pauvres, car si les riches donnaient constamment, ils ne pourraient donner toujours. - S. Aug. (serm. sur la mont). Le Seigneur nous dit donc: «Donnez à tout homme qui vous demande», mais non pas à celui qui vous demande toute sorte de choses. Quoi ! Vous donneriez de l'argent à celui qui veut s'en servir pour opprimer un innocent ou pour corrompre la vertu d'une femme ! Il ne faut donc donner que ce qui ne peut être nuisible ni pour vous, ni pour un autre, autant que vous pouvez en juger sur la foi de celui qui demande. Et lorsque vous croirez devoir lui refuser ce qu'il demande, expliquez-lui les justes motifs de votre refus. De cette manière il ne s'en ira point sans avoir rien reçu, et en lui faisant comprendre l'injustice de sa demande vous lui aurez donné quelque chose de bien préférable à ce qu'il demandait. - S. Aug. (Lettre 48 à Vincent). Il est plus utile de retirer le pain à celui qui a faim, et qui assuré de sa nourriture négligerait de pratiquer la justice, que de faire de ce morceau de pain dont il a besoin, un moyen de séduction pour le forcer de consentir au mal. - S. Jér. On peut encore entendre ces paroles du trésor de la doctrine, qui ne s'épuise jamais, mais qui se remplit abondamment à proportion de ce qu'on donne.

S. Aug. (serm. sur la mont). Les paroles qui suivent: «Et ne vous détournez point de celui qui veut emprunter de vous» se rapportent aux dispositions de l'âme, car «Dieu aime celui qui donne gaîment». Tout homme qui reçoit, emprunte, dût-il ne rien rendre, parce que Dieu rend à ceux qui exercent la charité plus qu'ils n'ont donné. Si cependant on ne veut entendre par emprunteur que celui qui reçoit avec l'intention de rendre, il faut dire alors que le Seigneur comprend dans ses paroles ces deux manières de donner, ou le don gratuit, ou le prêt soumis à l'obligation de rendre. Le Seigneur nous exhorte avec raison à ce genre de bienfait, en nous disant: «Ne rejetez point», c'est-à-dire ne détournez pas votre volonté dans la pensée que Dieu ne vous serait plus redevable, parce que votre débiteur se serait acquitté à votre égard, car ce que l'on fait pour obéir à un précepte divin ne saurait demeurer sans fruit. - S. Chrys. (sur S. Matth). Le Christ nous fait donc un devoir de prêter, mais sans condition d'usure, car celui qui prête à cette condition ne donne pas ce qui est à lui; il prend ce qui ne lui appartient pas; il brise un des lieus de l'emprunteur, pour le charger d'un plus grand nombre de chaînes; il donne, ce n'est point par un principe de justice divine, c'est dans une pensée toute d'intérêt personnel. L'argent qu'on prête à usure est semblable à la morsure d'un aspic, de même que le venin de l'aspic répand secrètement la corruption dans tous les membres, ainsi l'usure fait de tous les biens autant de dettes.

S. Aug. (lettre à Marcellin). On nous objecte que cette doctrine de Jésus-Christ n'est pas compatible avec les moeurs publiques, car qui peut, dira-t-on, se laisser ravir quelque chose par l'ennemi? qui serait disposé à ne pas exercer contre ceux qui dévastent les provinces romaines les représailles qu'autorise le droit de la guerre? Nous répondons que ces préceptes de patience doivent toujours se retrouver dans les dispositions de notre coeur, et que cette bonté qui défend de rendre le mal pour le mal doit toujours faire le fond de notre âme. On doit d'ailleurs agir envers ceux qui se refusent aux avances de la charité avec une sévérité pleine de douceur, et qui soit pour eux un châtiment salutaire. Si la société se conduisait d'après les préceptes du christianisme, les guerres elles-mêmes auraient leurs inspirations bienveillantes. On n'y chercherait que l'utilité des vaincus en rétablissant l'union entre l'impiété et la justice, car on gagne à être vaincu quand on perd la liberté de faire le mal. Il n'y a rien, en effet, de plus malheureux que la félicité des pécheurs, car elle alimente l'impunité qui est un châtiment, et fortifie au -dedans de nous cet ennemi intérieur qu'on appelle la volonté du mal.



Catena Aurea 3529