Catena Aurea 4128


CHAPITRE XII


vv. 1-8


4201 Mt 12,1-8

La Glose. Après avoir raconté les prédications et les miracles qui eurent lieu l'année qui précéda le supplice de Jean-Baptiste, l'Évangéliste passe aux événements de l'année qui suivit la mort du saint précurseur, alors que Jésus-Christ commence à être en butte à toutes sortes de contradictions, et il ouvre son récit par ces paroles: «Dans ce temps-là», etc.

S. Aug. (de l'accord des Evang., liv. 2, chap. 34). Ce qui suit est raconté par saint Marc (Mc 2) et par saint Luc (Lc 6) sans l'ombre même de contradiction; mais ils ne disent pas: «En ce temps là»; d'où l'on peut conclure que saint Matthieu suit dans sa narration l'ordre des faits, et les autres l'ordre de leurs souvenirs, à moins qu'on ne donne un sens plus large à ces paroles: «En ce temps là», c'est-à-dire dans le temps où toutes ces choses et une foule d'autres faits avaient lieu. Toutes ces choses se seraient donc passées après la mort de Jean; car on croit qu'il fut décapité peu de temps après qu'il eut envoyé ses disciples consulter Jésus-Christ. Cette locution: «Dans ce temps-là», exprimerait alors un temps indéterminé.

S. Chrys. (hom. 40). Mais pourquoi le Sauveur, dont la prescience s'étendait à tout, conduisait-il ses Apôtres le long des blés un jour de sabbat si son intention n'était pas que le sabbat fût violé? Il le voulait en effet, mais non pas absolument, c'est-à-dire sans raison, et il choisissait une occasion légitime de mettre fin à la loi, sans paraître la violer. Aussi pour adoucir les esprits des Juifs prévenus contre lui, il met en avant la nécessité: «Ses disciples ayant faim». Ce n'est pas, sans doute, qu'il puisse y avoir jamais d'excuse, pour ce qui est évidemment péché; ainsi ni l'homicide ne peut s'excuser par l'excès de la colère, ni l'adultère par la violence de ses désirs ou par toute autre cause; ici néanmoins, en alléguant la nécessité de la faim, il délivre ses disciples de toute culpabilité.

S. Jér. Nous lisons dans un autre Évangéliste que les disciples, importunés par la foule, n'avaient même pas le temps de manger (Mc 6): ils avaient donc naturellement faim. Ils apaisent cette faim en broyant entre leurs mains des épis de blé, preuve de l'austérité de leur vie; ils n'ont pas besoin d'aliments recherchés, la plus simple nourriture leur suffit. - S. Chrys. (Hom. 40). Admirez ces disciples, qui dans une aussi dure nécessité, n'ont aucun souci de leur corps, oublient la nourriture qu'il réclame, et qui, bien que pressés par la faim, ne se séparent pas de Jésus-Christ; car ils n'auraient pas eu recours à ce moyen s'ils n'y avaient été poussés par une faim violente. Que trouvèrent donc à reprendre les pharisiens dans cette action? L'Évangéliste nous l'apprend: «Ce que les pharisiens voyant, ils lui dirent: Voilà que vos disciples font ce qu'il n'est pas permis de faire le jour du sabbat». - S. Aug. (du trav. des moines, chap. 23). L'accusation des Juifs contre les disciples du Seigneur porte plutôt sur la violation du sabbat que sur le vol qu'ils auraient commis; car la loi défendait aux enfants d'Israël, de ne saisir comme voleur dans leurs champs, que celui qui voulait emporter quelque chose avec lui, et ils devaient laisser aller en liberté, et sans lui infliger aucune peine, celui qui n'y avait pris que ce qu'il voulait manger (cf. Dt 23,24-25).

S. Jér. Remarquez que les premiers Apôtres du Sauveur, en détruisant l'observation littérale du sabbat, condamnent les Ébionites, qui reçoivent tous les Apôtres à l'exception de saint Paul, qu'ils rejettent comme transgresseur de la loi. Or, quelle excuse le Sauveur donne-t-il de leur conduite: «N'avez-vous pas lu ce que fit David lorsqu'il avait faim ?» Pour détruire l'accusation calomnieuse des pharisiens, il leur rappelle ce fait de l'histoire ancienne, alors que David, fuyant la colère de Saül, vint à Nobé, où il fut reçu par le grand-prêtre Achimélech, et lui demanda de lui donner à manger (1S 21). Achimélech, n'ayant pas de pain ordinaire, lui donna les pains sanctifiés, qu'il n'était permis de manger qu'aux prêtres seuls et aux lévites (Lv 24); il jugea qu'il valait mieux arracher des hommes au danger de la faim que d'offrir un sacrifice à Dieu, car sauver les hommes, c'est une hostie qui lui est on ne peut plus agréable. C'est cette raison que le Seigneur leur oppose par ce raisonnement: si vous regardez David comme un saint, si vous n'osez incriminer la conduite du grand-prêtre Achimélech, alors que tous deux ont transgressé la loi pour une raison plausible, tirée de la faim qu'il éprouvait, pourquoi ne pas accepter en faveur de mes disciples le motif d'excuse que vous approuvez dans les autres? Il y avait d'ailleurs une grande différence entre ces deux faits: les uns ne faisaient que broyer quelques épis entre leurs mains le jour du sabbat, tandis que les autres avaient mangé des pains destinés aux seuls lévites dans un jour où les fêtes des Néoménies (cf. Nb 28,11 Nb 28,15 Nb 10,10) venaient s'ajouter à la solennité du sabbat. C'était, en effet, à l'occasion de ces fêtes que David, qui devait s'asseoir à la table du roi, s'était enfui de la cour (1S 20).

S. Chrys. (hom. 40). Notre-Seigneur cite l'exemple de David pour excuser ses disciples, car l'autorité du Roi-Prophète était grande parmi les Juifs. Et ils ne pouvaient lui objecter que David était prophète, car ce titre ne lui donnait aucun droit de manger des pains réservés aux prêtres seuls. Or, plus l'exemple qu'il choisit est grand, plus le motif d'excuse qu'il invoque en faveur de ses disciples est péremptoire. D'ailleurs si David était prophète, les gens de sa suite ne l'étaient pas. - S. Jér. Remarquez cependant que ni David ni les gens de sa suite ne mangèrent des pains de proposition qu'après avoir affirmé qu'ils étaient purs de tout contact avec les femmes. - S. Chrys. (hom. 41). Mais on me dira: Que fait cet exemple à la question qui nous occupe? Car David n'a pas transgressé le sabbat. Notre-Seigneur nous montre ici son admirable sagesse, en choisissant l'exemple d'une transgression plus grande que la violation du sabbat, car on est beaucoup moins coupable de transgresser le sabbat, ce qui est bien souvent arrivé, que de toucher à cette table sainte, ce qui n'était permis à personne. Il donne ensuite une solution différente et plus directe en ajoutant: «Est-ce que vous n'avez pas lu dans la loi que les prêtres violent le sabbat dans le temple, et ne sont pas néanmoins coupables ?» - S. Jér. Comme s'il disait: Vous accusez mes disciples de ce qu'étant pressés par la faim ils ont broyé quelques épis le jour du sabbat, lorsque vous-mêmes vous violez le sabbat dans le temple en immolant des victimes, en égorgeant des taureaux, en brûlant des holocaustes sur des bûchers enflammés; et d'après le texte d'un autre Évangéliste (Jn 7,23), vous donnez la circoncision à vos enfants le jour du sabbat, violant ainsi la loi du sabbat pour en observer une autre. Les lois de Dieu ne se détruisent pas réciproquement, et c'est avec une sagesse vraiment admirable que pour justifier ses Apôtres de les avoir transgressées, il montre qu'ils n'ont fait que suivre les exemples d'Achimélech et de David. Il fait voir en même temps que les auteurs de cette calomnie sont eux-mêmes coupables d'une transgression du sabbat bien plus réelle, sans avoir pour eux l'excuse de la nécessité.

S. Chrys. (hom. 40). Et ne me dites pas que ce n'est pas se justifier que de s'appuyer sur l'exemple d'un autre qui est également coupable; car lorsque l'auteur d'un fait n'est pas accusé, ce fait peut être invoqué comme moyen de justification. Mais Notre-Seigneur ne se contente pas de cette raison, et il en apporte une bien plus forte en ajoutant que ceux qu'il a choisis pour exemples ne sont point coupables. Et voyez que de circonstances réunies: le lieu, c'est dans le temple; le temps, c'est le jour du sabbat; le fait lui-même, ce n'est pas une simple infraction, c'est une violation de la loi, et cependant non seulement ils ne sont soumis à aucune peine, mais ils sont exempts de toute faute; ce qu'il exprime en ces termes: «Et ils ne sont pas coupables». Or, ce second exemple n'est cependant point semblable au premier. Le premier n'a eu lieu qu'une fois, il a été donné par David qui n'était pas prêtre, et qui avait pour lui l'excuse de la nécessité; le second, au contraire, se reproduit tous les jours du sabbat dans la personne des prêtres, et il est selon la loi, et ainsi ce n'est plus seulement par indulgence, mais en suivant la rigueur de la loi, que la conduite de ses disciples est justifiée. Mais est-ce que les disciples sont prêtres? Ils sont plus que prêtres, car ils avaient avec eux le Seigneur du temple, qui n'est plus une figure, mais bien la vérité; c'est pour cela qu'il ajoute: «Je vous dis qu'il y a ici quelqu'un plus grand que le temple». - S. Jér. Le mot hic doit être pris ici non pas comme pronom, mais comme adverbe de lieu, c'est-à-dire que le lieu où se trouvait le maître du temple était plus grand que le temple lui-même.

S. Aug. (Quest. évang., liv. 2, chap. 40). Il faut remarquer que Notre-Seigneur emprunte le premier exemple à la puissance royale dans la personne de David, et le second au ministère sacerdotal dans la personne des prêtres qui violent le sabbat pour le service du temple. L'accusation tirée des épis froissés le jour du sabbat ne pouvait donc en aucune manière peser sur lui, qui était vrai roi et le prêtre véritable. - S. Chrys. (hom. 40). Ce qu'il venait de dire pouvait paraître dur à ceux qui l'entendaient; il les ramène de nouveau à la pensée de la miséricorde, et en parle avec une certaine force de langage en leur disant: «Si vous saviez bien ce que signifie cette parole: Je veux la miséricorde et non le sacrifice, vous n'auriez jamais condamné des innocents». - S. Jér. Nous avons déjà expliqué plus haut (Mt 9,13) ce que signifient ces paroles: «J'aime mieux la miséricorde que le sacrifice». Quant à celles qui suivent: «Jamais vous n'auriez condamné des innocents», elles doivent s'entendre des Apôtres dans ce sens: «si vous approuvez la commisération d'Achimélech qui donne du pain à David pressé par la faim, pourquoi condamnez-vous mes disciples ?» - S. Chrys. (hom. 40). Voyez comment il revient de nouveau sur la nécessité de la miséricorde, et comment il prouve que les disciples sont au-dessus du pardon, en déclarant qu'ils sont innocents, comme il l'avait dit plus haut des prêtres. Il donne ensuite une nouvelle raison de leur innocence, en ajoutant: «Le Fils de l'homme est maître même du sabbat». - Remi. Or, le Fils de l'homme, c'est lui-même, et voici le sens de ces paroles: Celui que vous regardez comme un simple mortel est Dieu, le Seigneur de toutes les créatures, et le maître du sabbat; il peut donc changer la loi à son gré, puisque c'est lui qui l'a faite. - S. Aug. (cont. Faust, 16, 28). Il ne défend pas à ses disciples de broyer des épis le jour du sabbat, pour condamner les Juifs d'alors et les Manichéens qui devaient venir plus tard, et qui n'osent arracher l'herbe, de peur de commettre un homicide.

S. Hil. (can. 12 sur S. Matth). Dans le sens mystique, remarquons tout d'abord que ce discours commence par ces paroles: «Dans ce temps-là», c'est-à-dire dans le temps où il rendit grâces à Dieu son Père du salut auquel il appelait les Gentils. Ce champ que traversent les disciples, c'est le monde; le sabbat, c'est le repos; la moisson, le progrès de ceux qui doivent embrasser la foi et s'avancer vers la maturité. Donc cette entrée dans le champ le jour du sabbat, c'est l'avènement du Seigneur dans le monde, lorsque la loi était comme frappée d'inactivité; cette faim, c'est le désir qu'il avait du salut des hommes. - Rab. Ils cueillent des épis, lorsqu'ils arrachent les hommes aux désirs de la terre; ils broient ces épis lorsqu'ils dépouillent les âmes de la concupiscence de la chair; ils mangent les grains, lorsqu'ils incorporent à l'Église les âmes qu'ils viennent de purifier. - S. Aug. (Quest. évang., 2, 2). Personne ne peut faire partie du corps de Jésus-Christ, s'il ne s'est dépouillé de ses vêtements charnels, selon cette recommandation de l'Apôtre: «Dépouillez-vous du vieil homme» (Col 3,9 Ep 4,22). - La Glose. Les Apôtres font cette action le jour du sabbat, c'est-à-dire dans l'espérance du repos éternel auquel ils invitent tous les hommes. - Rab. On peut dire aussi que ceux qui trouvent leurs délices dans la méditation des Écritures, marchent le long des blés avec le Seigneur; ils ont faim, parce qu'ils ont le désir d'y trouver le pain de vie, c'est-à-dire l'amour de Dieu; ils arrachent les épis et ils les broient lorsqu'ils discutent les témoignages de l'Écriture pour y trouver ce qui est caché sous la lettre, et ils font cela le jour du sabbat, alors qu'ils sont plus libres des pensées tumultueuses du monde.

S. Hil. Les pharisiens, qui croyaient avoir entre leurs mains la clef des cieux, reprochent aux disciples d'avoir fait ce que la loi leur défendait. Le Seigneur leur répond en leur donnant un avertissement qui contient une espèce de prophétie; et pour montrer que ce genre d'actions renfermait une souveraine efficacité, il ajoute: «Si vous saviez ce que signifient ces paroles: Je préfère la miséricorde au sacrifice». En effet, l'oeuvre de notre salut ne dépend pas du sacrifice, mais de la miséricorde; et, la loi cessant d'exister, nous sommes sauvés par la bonté de Dieu. Or, s'ils avaient compris la grandeur de ce don, jamais ils n'auraient condamné des innocents, c'est-à-dire les Apôtres, qu'ils accusaient par jalousie d'avoir transgressé la loi. Car les anciens sacrifices étant abrogés, la loi nouvelle, loi de miséricorde, venait au secours de tous les hommes par le moyen des Apôtres.


vv. 9-13

4209 Mt 12,9-13

S. Jér. Comme Notre-Seigneur avait victorieusement justifié ses disciples du reproche qu'on leur faisait d'avoir violé le jour du sabbat, les pharisiens s'attachent à le calomnier lui-même. «Étant parti de là, dit l'écrivain sacré, il vint dans leur synagogue». - S. Hil. (can. 12). Ce qui précède s'était passé au milieu des champs, et ce n'est qu'après qu'il entre dans la synagogue. - S. Aug. (de l'accord des Evang., 2, 35). On pourrait croire que le fait des épis et la guérison que saint Matthieu raconte à la suite ont eu lieu le même jour, puisque dans ce dernier cas il fait encore mention du jour du sabbat, si d'ailleurs saint Luc ne nous apprenait qu'il opéra cette guérison un autre jour de sabbat. Cette manière de s'exprimer de saint Matthieu: «Et partant de là, il vint dans leur synagogue», signifie donc seulement qu'il ne vint dans la synagogue qu'après avoir quitté le champ, sans indiquer si c'est immédiatement ou plusieurs jours après; et cela suffit pour donner raison au récit de saint Luc, qui rattache cette guérison à un autre jour de sabbat.

S. Hil. (can. 12). A peine est-il entré dans la synagogue, qu'ils lui présentent un homme dont la main est desséchée, et lui demandent s'il est permis de guérir le jour du sabbat, pour trouver dans sa réponse une occasion de le condamner. «Et il se trouva là un homme qui avait une main desséchée, et ils l'interrogeaient», etc.

S. Chrys. (hom. 41). Ils interrogent non pour s'instruire, mais pour trouver occasion de l'accuser, comme l'Évangéliste le dit clairement: «Afin de pouvoir l'accuser». Le fait seul suffisait à leurs mauvais desseins, mais ils veulent le prendre dans ses paroles pour se ménager contre lui un plus grand nombre de sujets d'accusation. - S. Jér. Ils lui demandent s'il est permis de guérir le jour du sabbat, afin de l'accuser de cruauté, d'impuissance s'il s'en abstient, et de transgression de la loi s'il guérit cet homme.

S. Aug. (de l'accord des Evang., 2, 35). On peut être surpris de ce que saint Matthieu dit que ce sont les pharisiens eux-mêmes qui demandent au Seigneur s'il est permis de guérir le jour du sabbat, tandis que saint Marc et saint Luc racontent que c'est le Seigneur lui-même qui leur fait cette question: «Est-il permis de faire du bien le jour du sabbat ou de faire du mal ?»Il faut donc comprendre qu'ils l'interrogèrent les premiers, en lui demandant: «Est-il permis de guérir le jour du sabbat ?» Le Seigneur, voyant dans leur pensée qu'ils cherchaient une occasion de l'accuser, place au milieu d'eux celui qu'il devait guérir, et leur adresse la question rapportée par saint Marc et saint Luc (Mc 3,4 Lc 6,9); et comme ils gardent le silence, il leur propose la comparaison de la brebis, et il conclut en leur disant: «Il est donc permis de faire du bien les jours du sabbat». Il leur répond donc en ces termes: «Quel est celui qui, parmi vous, ayant une brebis», etc. - S. Jér. La réponse qu'il fait à cette question est une condamnation de leur avarice. Comment, leur dit-il, vous vous hâtez, le jour du sabbat, de retirer une brebis ou un autre animal de la fosse où ils sont tombés, et cela non point par compassion pour cet animal, mais par un sentiment de vil intérêt, et moi je ne devrais pas délivrer un homme qui vaut mille fois plus qu'une brebis ! - Rab. Cet exemple est parfaitement choisi pour répondre à leur question et pour leur prouver qu'ils violent continuellement le sabbat par esprit de cupidité, eux qui lui reprochent de le violer pour une oeuvre de charité, et qui, par une fausse interprétation de la loi, prétendent que les bonnes oeuvres sont interdites le jour du sabbat, tandis qu'on ne doit s'abstenir que des mauvaises; c'est pour cela qu'il est dit: «Vous ne ferez pas ces jours-là d'oeuvres serviles», c'est-à-dire de péchés. C'est ainsi que dans le repos éternel il y aura cessation du mal et non pas du bien. - S. Aug. (de l'accord des Evang., 2, 35). La conclusion de cette comparaison, c'est qu'il est permis de faire de bonnes oeuvres le jour du sabbat. «Donc, leur dit-il, il est permis de faire du bien les jours du sabbat».

S. Chrys. (hom. 41). Remarquez que d'excuses différentes il apporte pour justifier la violation du sabbat; mais comme la maladie de cet homme était incurable, il en vient à sa guérison. Alors il dit à cet homme: «Étendez votre main». - S. Jér. Dans l'Évangile dont se servent les Nazaréens et les Ébionites, et que plusieurs regardent comme l'Évangile authentique de saint Matthieu, il est dit que cet homme, dont la main était desséchée, était maçon, et qu'il pria Jésus en ces termes: «J'étais maçon, demandant ma nourriture au travail de mes mains; je vous en prie, ô Jésus, rendez-moi la santé, afin que je ne sois pas réduit à mendier honteusement mon pain». - Rab. Jésus choisit le jour du sabbat de préférence pour enseigner et pour guérir, non seulement en vue du sabbat spirituel, mais aussi à cause du grand concours de peuple qui était plus favorable au salut de tous, unique objet de ses désirs.

S. Hil. Dans le sens mystique, après le retour des champs où les Apôtres avaient cueilli les fruits de la moisson, Jésus vient dans la synagogue pour y préparer l'oeuvre d'une nouvelle moisson; car plusieurs de ceux qui furent guéris se joignirent plus tard aux Apôtres. - S. Jér. Jusqu'à l'avènement du Dieu Sauveur, la main dans la synagogue des Juifs demeura desséchée et incapable des oeuvres de Dieu; mais lorsqu'il fut venu sur la terre, les Apôtres rendirent l'usage de cette main droite à ceux qui embrassèrent la foi, et elle recouvra la même force d'action qu'auparavant. - S. Hil. Toute guérison se fait par la parole, et la main redevient semblable à l'autre, c'est-à-dire qu'elle devient propre au ministère du salut comme celle des Apôtres. Aussi le Sauveur apprend-il aux pharisiens à ne pas voir avec peine l'oeuvre du salut des hommes confiée aux Apôtres, puisque eux-mêmes, s'ils veulent croire, deviendront dignes du même ministère. - Rab. Ou bien cet homme, dont la main est desséchée, c'est le genre humain qui est devenu complètement stérile en bonnes oeuvres pour avoir étendu vers le fruit défendu cette main qu'a guérie une autre main innocente étendue sur la croix. C'est dans la synagogue que se trouve cette main desséchée, parce que la science, lorsqu'elle est départie avec abondance, expose à des fautes plus graves et sans excuse. Jésus commande d'étendre cette main desséchée qu'il veut guérir; car l'infirmité d'une âme ne peut être guérie par un remède plus efficace que par d'abondantes aumônes. Cet homme avait la main droite desséchée, parce qu'elle était comme engourdie pour les oeuvres de charité; sa main gauche était saine, parce qu'elle servait ses intérêts. A l'arrivée du Seigneur, la main droite devient saine comme la gauche, parce qu'elle distribue par un sentiment de charité ce qu'elle avait amassé par esprit d'avarice.


vv. 14-21

4214 Mt 12,14-21

S. Hil. (can. 12). L'envie soulève contre Jésus l'esprit des pharisiens, parce qu'ils ne voyaient en lui que l'homme, et qu'ils ne voulaient pas y découvrir Dieu dans les oeuvres qu'il opérait. L'Évangéliste ajoute donc: «Mais les pharisiens, étant sortis», etc. - Rab. Ils sortent, parce que leur âme s'est détournée de Dieu; ils tinrent conseil pour prendre les moyens de perdre la vie et non de la trouver pour eux-mêmes. - S. Hil. (can. 42). Jésus, connaissant leurs des seins, se retire pour s'éloigner de ce conseil d'iniquité. «Or, Jésus, le sachant», etc. - S. Jér. Il se retire, parce qu'il connaît les pièges qu'ils veulent lui tendre, et qu'il veut leur ôter l'occasion d'exercer contre lui leurs projets impies. - Remi. Ou bien il se retire comme homme pour se dérober à leurs embûches, ou bien encore parce que ce n'était ni le temps ni le lieu où il devait souffrir; car il ne convenait pas qu'un prophète fût mis à mort hors de Jérusalem, comme il le dit lui-même (Lc 13). Il s'éloigne encore de ceux qui le haïssent et le persécutent, pour aller où il trouvera un grand nombre de coeurs qui l'aiment et qui lui sont dévoués. C'est ce que l'Évangéliste nous indique en disant: «Et beaucoup de personnes le suivirent». Ainsi, tandis que les pharisiens réunissent tous leurs efforts pour le perdre, une multitude sans instruction le suit, en professant pour lui un attachement unanime. Aussi ne tarde-t-il pas à récompenser leurs désirs; il est dit, en effet: «Et il les guérit tous». - S. Hil. Il commande à ceux qu'il guérit de garder le silence sur leur guérison. «Et il leur commanda de ne point le faire connaître». La santé qu'il avait rendue à chacun d'eux était un témoignage en sa faveur; mais en commandant le silence, ou en faisant une obligation du secret, il évite toute occasion de vaine gloire; et cependant il se fait connaître par cela seul qu'il commande le secret, puisqu'on ne garde le silence qu'à l'égard d'une chose dont on ne doit point parler. - Hil. Il nous apprend aussi, lorsque nous avons fait quelque action importante, à ne point rechercher les louanges des hommes.

Remi. Un autre motif pour lequel il leur commande de ne point le découvrir, c'est afin de ne point rendre ses persécuteurs plus coupables. - S. Chrys. (hom. 41). De peur que ces actes de folie, incroyables dans les pharisiens, ne vous jettent dans le trouble, Jésus apporte le témoignage du Prophète. Car l'exactitude des prophètes est si grande en ce qui concerne le Christ, qu'ils ont rapporté les moindres détails de sa vie, ses voyages, ses marches, et jusqu'aux intentions qui le faisaient agir, pour vous montrer que toutes ces choses leur étaient dictées par l'Esprit saint. Il est impossible, en effet, de connaître les pensées d'un homme, à plus forte raison les intentions du Christ, à moins que l'Esprit saint ne les révèle. L'Évangéliste ajoute donc: «Afin que cette parole du prophète Isaïe fût accomplie: «Voici mon serviteur», etc. - Remi. Notre-Seigneur est appelé le serviteur du Dieu tout-puissant, non pas comme Dieu, mais suivant l'économie de son incarnation; car par la coopé ration du Saint-Esprit il a pris dans le sein de la Vierge une chair exempte de la tache du péché. Quelques exemplaires portent: «L'élu que j'ai choisi»; car il a été choisi, c'est-à-dire prédestiné par Dieu le Père, pour être non pas son fils adoptif, mais son propre fils. - Rab. Il dit: «Je l'ai choisi» pour une oeuvre que nul autre n'a faite, pour racheter le genre humain, et rétablir la paix entre le monde et Dieu.

Suite. «Mon bien-aimé, en qui j'ai mis mon affection», car lui seul est cet Agneau sans tache dont le Père a dit: «Voici mon Fils bien-aimé en qui mon âme a mis ses complaisances». - Remi. Ces paroles: «Mon âme», ne doivent pas être entendues en ce sens que Dieu le Père ait une âme comme la nôtre; c'est par métaphore que le prophète lui attribue une âme pour exprimer son affection. Et en cela rien d'étonnant, puisque nous lui attribuons de la même manière les différents membres de notre corps. - S. Chrys. (hom. 41). Le Prophète a commencé par l'énumération de ces deux caractères, pour vous indiquer que tout ce qui suit s'est fait selon le bon plaisir du Père; car celui qui est aimé agit conformément à la volonté de celui qui l'aime. De même celui qui est élu ne détruit pas la loi par opposition à celui qui l'a choisi, il ne se présente pas comme l'ennemi du législateur, mais comme en parfaite harmonie avec lui. Or, c'est parce qu'il est mon bien-aimé que «je ferai reposer mon esprit sur lui». - Remi. Dieu le Père fit reposer son esprit sur lui, lorsque par l'opération du Saint-Esprit il prit un corps dans le sein de la Vierge Marie, et lorsque étant fait homme, il fut inondé de la plénitude de l'Esprit saint.

S. Jér. L'Esprit saint repose non pas sur le Verbe de Dieu, sur ce Fils unique qui sort du sein du Père (Jn 1,18 Jn 8,4), mais sur celui dont il a été dit: «Voici mon serviteur». Que doit-il opérer par son ministère? Écoutez la suite: «Il annoncera la justice aux nations». - S. Aug. (Cité de Dieu, 21, 30). C'est qu'en effet, il est venu annoncer le jugement à venir à ceux qui l'ignoraient. - S. Chrys. (hom. 41). Il fait ensuite connaître son humilité, en ajoutant: «Il ne disputera point», car il s'est offert selon le bon plaisir de son Père, et il s'est livré de lui-même entre les mains de ses persécuteurs. «Il ne criera point», car il s'est tu comme un agneau devant celui qui le tond. «Personne n'entendra sa voix sur les places publiques». - S. Jér. La voie qui conduit à la perdition est large et spacieuse, et il en est beaucoup qui la prennent; or il en est beaucoup qui n'entendent pas la voix du Sauveur, parce qu'ils sont non dans la voie étroite, mais dans la voie large (Mt 7,13). - Remi. Le mot grec ðëáôåéá, correspondant au mot latin platea, place publique, veut dire étendue; personne donc n'a entendu sa voix dans les lieux spacieux, parce qu'il a promis à ceux qui l'aiment, non pas les jouissances de la vie, mais de rigoureuses privations.

S. Chrys. (hom. 41). Le Sauveur voulait, par cette douceur, guérir l'esprit des Juifs; mais bien qu'ils aient rejeté les avances de sa bonté, il ne voulut pas leur résister en les détruisant. Aussi le Prophète nous fait-il connaître à la fois sa puissance et leur faiblesse dans les paroles suivantes: «Il ne brisera pas le roseau cassé, et il n'éteindra pas la mèche qui fume encore». - S. Hil. Celui qui ne tend pas la main au pécheur, et qui ne porte point le fardeau dont son frère est chargé, achève de briser le roseau cassé; et celui qui méprise la plus petite étincelle de foi dans le dernier des croyants, éteint la mèche qui fume encore. S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 30). Il ne voulut donc ni briser ni éteindre les Juifs ses persécuteurs, comparés ici au roseau brisé, parce qu'ils n'avaient plus leur intégrité, et à la mèche qui fume, parce qu'ils avaient perdu la lumière; cependant il leur pardonne, car il n'était pas encore venu pour les juger, mais pour être jugé par eux. - S. Aug. (Quest. évang., 2, 3). A l'occasion de cette mèche qui fume, remarquez qu'en perdant sa lumière, elle exhale une mauvaise odeur.

S. Chrys. (hom. 41). Ou bien par ces paroles: «Il n'achèvera pas de briser le roseau cassé», il leur fait voir qu'il lui était facile de les briser tous, comme on brise un roseau, et non pas un roseau quelconque, mais un roseau déjà cassé. Ce qui suit: «Il n'éteindra pas la mèche qui fume encore», nous montre leur fureur allumée contre lui, et la toute-puissance de Jésus-Christ pour éteindre cette fureur avec la plus grande facilité, et c'est en cela qu'il fait paraître l'excès de sa douceur. - S. Hil. (can. 12). Ou bien par ce roseau qu'il n'achève pas de briser, il nous apprend que les nations fragiles et déjà brisées, n'ont pas été broyées entièrement, mais qu'elles ont été réservées pour le salut; et en ajoutant: «Il n'éteindra pas la mèche qui fume encore», il nous montre que la dernière étincelle de feu n'est pas éteinte dans cette mèche qui fume encore, c'est-à-dire que l'esprit de la grâce ancienne n'a pas entièrement disparu du milieu des restes d'Israël, parce qu'elles ont conservé, avec la faculté de faire pénitence, le pouvoir de recouvrer la lumière dans tout son éclat. - Rab. Ou bien, au contraire, ce roseau brisé, ce sont les Juifs agités par le vent, et dispersés bien loin les uns des autres. Cependant le Seigneur ne les condamne pas immédiatement, mais il les supporte avec patience. Cette mèche qui fume encore serait alors le peuple, formé des nations, qui, après avoir éteint dans son coeur la chaleur de la loi naturelle, était enveloppé de toutes parts d'erreurs ténébreuses, semblables à une épaisse fumée qui blesse les yeux. Or, non seulement le Seigneur n'éteignit pas cette mèche fumante, et ne la réduisit pas en cendres, mais au contraire il fit jaillir de cette étincelle la flamme la plus vive et le feu le plus ardent.

S. Chrys. (hom. 41). On pourra peut-être objecter: Quoi donc, en sera-t-il toujours ainsi? Supportera-t-il jusqu'à la fin ceux qui se laissent emporter à cet excès de malignité et de folie? Non; mais lorsque sa mission sera terminée, il passera à un autre ordre de choses, et c'est ce qu'il nous déclare par ces mots: «Jusqu'à ce qu'il fasse triompher la justice de sa cause». Comme s'il disait: Lorsqu'il aura accompli l'objet de sa mission, ce sera le tour de la vengeance absolue; car alors ses ennemis seront sévèrement châtiés, lorsqu'il aura rendu son triomphe si éclatant qu'il n'y aura plus de place pour leurs insolentes contradictions. - S. Hil. (can. 12). Ou bien jusqu'à ce qu'il fasse triompher le jugement en dépouillant la mort de toute sa puissance et en faisant revenir avec lui la justice dans son retour triomphant. - Rab. Ou bien encore jusqu'à ce que le jugement dont il était l'objet aboutisse à une victoire éclatante, car après avoir triomphé de la mort par sa résurrection, après avoir chassé le prince de ce monde, il est rentré triomphant dans le royaume des cieux et s'est assis à la droite de son Père, jusqu'à ce qu'il ait réduit tous ses ennemis sous ses pieds (1Co 1,15). - S. Chrys. (hom. 41). Mais sa puissance ne se bornera pas à punir ceux qui auront refusé de croire en lui, il entraînera encore après lui tout l'univers: «Et les nations espéreront en son nom». - S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 30). Nous voyons déjà l'accomplissement de cette dernière partie de la prophétie, et cet accomplissement qui est incontestable nous garantit l'accomplissement du jugement dernier, que quelques-uns ont la témérité de nier, jugement qui aura lieu sur la terre parce que le Christ descendra lui-même du haut des cieux. En effet, qui aurait jamais cru que les nations espéreraient dans le nom du Christ, alors qu'il était au pou voir de ses ennemis, chargé de chaînes, frappé de verges, bafoué et attaché sur une croix, et quand ses disciples eux-mêmes avaient perdu le peu d'espérance qu'ils avaient placée en lui. Ce qu'alors un voleur seul avait à peine espéré sur la croix, est devenu l'objet de l'espérance de toutes les nations répandues sur la face de la terre, et tous les hommes recourent au signe de cette croix sur laquelle il est mort pour se garantir eux-mêmes de la mort éternelle. Que personne donc ne doute que Jésus-Christ n'accomplisse un jour ce dernier jugement tel qu'il a été prédit.

Remi. Remarquons que ce témoignage du prophète ne vient pas confirmer seulement la vérité de ce passage, mais la vérité d'une multitude d'autres. Ainsi ces paroles: «Voici mon serviteur», se rapportent à cet endroit où le Père dit: «Celui-ci est mon Fils», (Mt 3); et ces autres: «Je placerai mon esprit en lui», au miracle de l'Esprit saint descendant sur le Seigneur au moment de son baptême (Lc 3). Ce qu'il ajoute: «Il annoncera la justice aux nations», se rapporte à ce que saint Matthieu dit ailleurs: «Lorsque le Fils de l'homme s'assiéra sur le trône de sa gloire» (Mt 25). Ces autres paroles: «Il ne disputera ni ne criera» se sont vérifiées lorsque le Seigneur ne répondit presque rien au prince des prêtres et à Pilate (Mt 26,27), et qu'il garda un silence absolu devant Hérode (Lc 23). Ce qui suit: «Il n'achèvera pas de briser le roseau cassé»se rapporte à ce trait de la vie du Sauveur où il se dérobe à la fureur de ses ennemis pour leur éviter un plus grand crime (Jn 7 Jn 8); enfin ces paroles: «Les nations espéreront en son nom» peuvent se rapporter à ce passage de saint Matthieu: «Allez, enseignez toutes les nations» (Mt 28).



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