Catena Aurea 4318

vv. 18-23

4318 Mt 13,18-23

La Glose. Notre-Seigneur avait déclaré plus haut qu'il n'a pas été donné aux Juifs, mais seulement aux Apôtres, de connaître le royaume de Dieu. Comme conséquence de ces paroles, il leur dit: «Pour vous, écoutez donc la parabole de celui qui sème», vous à qui sont communiqués les mystères du ciel.

S. Aug. (sur la Genèse, 8, 4). Ce que l'Évangéliste raconte, c'est-à-dire que le Seigneur a parlé de la sorte, a véritablement eu lieu; mais le récit du Seigneur n'a été qu'une parabole, et dans ce genre de récit on n'exige pas que toutes les circonstances qui le composent aient leur application littérale. - La Glose. Notre-Seigneur explique ensuite cette parabole: «Celui qui écoute la parole du royaume et ne la comprend pas», phrase qu'il faut entendre ainsi: «Tout homme qui entend la parole», c'est-à-dire ma prédication, laquelle donne les moyens de mériter le royaume des cieux, et qui ne comprend pas. Or, d'où vient ce défaut d'intelligence? Le voici: «L'esprit malin, c'est-à-dire le démon, vient, et il enlève ce qui avait été semé dans son coeur. Or, tout homme à qui ce malheur arrive, c'est celui qui a été semé le long du chemin. Remarquez aussi que le mot semer s'entend de différentes manières: on dit d'une semence qu'elle a été semée, et aussi d'un champ qu'il a été semé, et nous voyons ici cette double signification. Dans cette phrase: «Il enlève ce qui a été semé», c'est de la semence qu'il est question; dans cette autre: «Celui qui a été semé le long du chemin», ce n'est pas de la semence, mais du lieu où elle été répandue, c'est-à-dire de l'homme, qui est le champ ensemencé par la parole de Dieu.

Remi. Dans ces paroles, Notre-Seigneur nous explique ce que c'est que la semence, c'est-à-dire la parole du royaume ou de la doctrine évangélique. Il en est qui reçoivent la parole de Dieu sans aucune affection; aussi les démons enlèvent aussitôt la semence de la parole divine répandue dans leur coeur, comme une semence tombée sur un chemin battu. «Celui qui est semé sur la pierre écoute la parole, mais il n'a pas de racines». En effet, la semence ou la parole de Dieu qui tombe sur la pierre, c'est-à-dire sur un coeur dur et indompté, ne peut fructifier; sa dureté est trop grande, son désir du ciel trop faible, et cette excessive dureté ne lui permet pas d'avoir de racines. - S. Jér. Faites attention à cette parole: «Il est aussitôt scandalisé». Il y a donc une différence entre celui que l'excès des tribulations et de la douleur force pour ainsi dire de renier Jésus-Christ, et celui que le premier vent de la persécution scandalise et fait tomber. - «Celui qui est semé au milieu des épines», etc. Ce qui a été dit autrefois à Adam dans un sens littéral: «Tu mangeras ton pain au milieu des ronces et des épines (Gn 3,18-19) » s'entend ici dans le sens allégorique de tout homme qui se livre aux voluptés du siècle et aux soins de ce monde et qui par là mange le pain céleste et l'aliment de la vérité au milieu des épines. - Rab. C'est avec raison que Notre-Seigneur appelle ces plaisirs des épines, parce qu'ils déchirent l'âme avec les pointes aiguës de leurs pensées, étouffent dans leur germe les fruits spirituels des vertus et ne leur permettent pas de se développer. - S. Jér. Cette expression: «La séduction des richesses étouffe la parole» est aussi élégante que vraie, car les richesses sont séduisantes, et elles ne tiennent pas ce qu'elles ont promis. Rien de plus fragile que leur possession; elles portent tantôt d'un côté, tantôt de l'autre leur faveur inconstante, ou bien elles abandonnent celui qui les possédait, ou bien elles viennent enrichir ceux qui en étaient dépourvus: aussi le Seigneur affirme-t-il qu'il est difficile aux riches d'entrer dans le royaume des cieux (Mc 10,23 Lc 15,34), parce que les richesses étouffent la parole de Dieu et amollissent la vigueur des vertus. - Remi. Ces trois natures de terre différentes représentent tous ceux qui peuvent entendre la parole de Dieu, mais qui ne peuvent lui faire produire des fruits de salut, à l'exception des Gentils, qui n'ont pas même mérité de l'entendre. «Enfin celui qui reçoit la semence dans la bonne terre». La bonne terre, c'est la conscience pure des élus, l'âme des saints qui reçoit la parole de Dieu avec joie, avec désir, avec amour, qui la conserve courageusement dans la prospérité comme dans l'adversité, et lui fait produire des fruits. «Et il porte du fruit, et rend cent, ou soixante, ou trente pour un».

S. Jér. Remarquez que comme il y a trois sortes de mauvaises terres, le chemin, la pierre et le champ couvert d'épines, il y a de même trois espèces différentes de bonnes terres: celle qui rend cent pour un, celle qui rend soixante, celle qui rend trente. Et ce qui fait cette différence, ce n'est pas la nature de la terre, qui est la même d'un côté comme de l'autre, mais la volonté. Or, dans les incrédules comme dans ceux qui croient, c'est le coeur qui reçoit la semence; c'est pour cela que Notre-Seigneur a dit de la première espèce de terre: «L'esprit malin vient et enlève ce qui a été semé dans son coeur», et des deux autres: «C'est celui qui reçoit la parole». Lorsqu'il en vient à la bonne terre, il dit également: «C'est celui qui reçoit la parole». Nous devons donc d'abord entendre, puis comprendre, et, après avoir compris, produire les fruits des enseignements que nous avons reçus, et rendre ou cent, ou soixante, on trente pour un. - S. Aug. (Cité de Dieu, 2, chap. dern). Il en est qui entendent ce passage dans ce sens que les saints, suivant la diversité de leurs mérites, pourront délivrer, les uns trente âmes, les autres soixante, d'autres enfin cent, au jour du jugement, et non dans les temps qui suivront. Or, un sage, voyant que les hommes abusaient pour faire le mal de cette opinion et se promettaient l'impunité au jour du jugement, parce que tous pourraient être sauvés par cette voie, leur répondit qu'il était bien plus prudent de vivre de manière à se trouver parmi ceux dont l'intercession devait délivrer les autres. En effet, ils pourraient être si peu nombreux que, lorsque chacun d'eux aurait délivré le nombre qui lui est assigné, il en restât un plus grand nombre qui ne pourraient être sauvés par leur intercession, et parmi ces derniers se trouveraient tous ceux qui, par une témérité sans fondement, avaient mis toute leur confiance dans les mérites des autres.

Remi. Celui qui prêche la foi en la sainte Trinité rend trente pour un; soixante pour un, celui qui recommande la perfection dans les bonnes oeuvres, car c'est en six jours que l'oeuvre de la création fut achevée (Gn 2,1); et cent pour un, celui qui promet la vie éternelle, car le nombre cent passe de la gauche à la droite. Or, par la gauche, il faut entendre la vie présente, et par la droite la vie future. Dans un autre sens, la parole de Dieu rend trente pour un lorsqu'elle fait germer les bonnes pensées; soixante, lorsqu'elle produit les bonnes paroles; cent, lors qu'elle fait arriver jusqu'aux fruits des bonnes oeuvres.

S. Aug. (Quest. évang., 1, 10). Ou bien le nombre cent, c'est le fruit que produisent les martyrs ou par la sainteté de leur vie ou par le mépris qu'ils font de la mort; le nombre soixante, c'est le fruit que rendent les vierges qui, goûtant les douceurs du repos intérieur, n'ont plus à soutenir les combats de la chair; en effet, on donne la retraite après l'âge de soixante ans aux soldats ou aux fonctionnaires publics; le nombre trente est celui des époux, car c'est l'âge de ceux qui sont appelés à combattre, et ils ont en effet les plus rudes assauts à soutenir pour ne pas être vaincus par leurs passions. Ou bien il faut lutter contre l'amour des biens temporels pour lui disputer la victoire; ou bien il faut le tenir dompté et soumis pour réprimer avec facilité ses moindres mouvements, lorsqu'il veut se soulever; ou enfin, il faut l'éteindre entièrement de manière à ce qu'il ne puisse plus exciter la moindre émotion dans notre âme. Voilà pourquoi nous voyons les uns affronter la mort avec courage pour la défense de la vérité, les autres sans s'émouvoir, d'autres enfin avec joie. Ces trois degrés de vertu correspondent aux fruits que peuvent donner les trois espèces de terre: l'une trente, l'autre soixante, l'autre cent pour un, et il faut au moment de la mort faire partie d'une de ces trois espèces de terre si l'on veut sortir de cette vie dans les conditions qui assurent la récompense.

S. Jér. - Ou bien encore la terre qui rend cent pour un, signifie les vierges; celle qui rend soixante, les veuves; celle qui rend trente ceux qui mènent une vie chaste dans l'état du mariage. Ou bien enfin le nombre trente est une figure du mariage, parce que ce nombre, qui s'exprime par le rapprochement des doigts qui s'unissent par un doux embrassement, représente l'union de l'homme et de la femme. Le nombre soixante représente les veuves qui vivent dans les larmes et dans la tribulation (aussi le nombre soixante s'exprime en abaissant le doigt inférieur), car leur récompense est d'autant plus grande qu'il leur est plus difficile de résister aux séductions de la volupté dont elles ont déjà fait l'épreuve. Enfin, le nombre cent, pour lequel la main droite remplace la main gauche et qui s'exprime par le cercle que forment les mêmes doigts de cette main, représente la couronne de la virginité.


vv. 24-30


4324 Mt 13,24-30

S. Chrys. (hom. 47 sur S. Matth). Dans la parabole précédente, le Seigneur s'est proposé ceux qui ne reçoivent pas la parole de Dieu; ici il veut parler de ceux qui reçoivent une parole de corruption, car c'est un des artifices du démon de mêler toujours l'erreur à la vérité: «Il leur proposa une autre parabole», etc. - S. Jér. Notre-Seigneur agit comme un homme riche qui sert à ses convives une table couverte de mets variés, où chacun peut choisir dans cette variété ce qui convient à son estomac. L'Évangéliste ne dit pas «l'autre parabole», mais «une autre parabole», car s'il avait dit «l'autre», nous n'aurions pu en espérer une troisième, tandis qu'en disant «une autre», il nous fait entendre que d'autres paraboles doivent la suivre. Il nous explique ensuite le sujet de cette parabole en disant: «Le royaume des cieux est semblable à un homme qui sème de bon grain», etc. - Remi. Le royaume des cieux, c'est le Fils même de Dieu, et le royaume est semblable à un homme qui a semé de bon grain dans son champ. - S. Chrys. (hom. 47). Il nous apprend ensuite de quelle manière le démon tend ses embûches: «Pendant que les hommes dormaient, son ennemi vint et sema de l'ivraie au milieu du blé, et il s'en alla». Notre-Seigneur nous enseigne par là que l'erreur ne vient qu'après la vérité, ce que l'expérience ne prouve que trop. En effet, ce n'est qu'après les prophètes que sont venus les faux prophètes; après les Apôtres, les faux apôtres; après le Christ, l'Antéchrist. Si le démon ne voit rien qu'il puisse imiter, s'il ne voit personne qu'il puisse faire tomber dans le piége, il s'abstient de tenter; mais comme il voit ici que l'un rend cent pour un, l'autre soixante, l'autre trente, et qu'il n'a pu enlever ou étouffer ce qui a pris racine, il a recours à d'autres artifices, il mêle les erreurs à la vérité; il leur en donne autant qu'il peut la couleur et la ressemblance pour tromper plus facilement ceux sur qui la séduction exerce depuis longtemps son empire. C'est pour cela que Notre-Seigneur ne dit pas qu'il y sème une autre semence, mais de l'ivraie, parce qu'elle a quelque ressemblance pour la forme avec le grain de froment. Le démon fait éclater encore sa malignité en ne répandant l'ivraie que lorsque les semailles étaient terminées, afin de nu ire davantage aux travaux du laboureur.

S. Aug. (Quest. évang). Il ajoute: «Lorsque les hommes dormaient». C'est en effet lorsque les premiers pasteurs de l'Église se laissèrent aller à la négligence, ou bien lorsque les Apôtres se sont endormis du sommeil de la mort, que le démon est venu et qu'il a semé par-dessus la bonne semence ceux que le Seigneur appelle les mauvais enfants. On peut demander avec rai son s'il a voulu désigner par là les hérétiques, ou bien les catholiques dont la vie n'est pas conforme à leur foi. Il nous dit qu'ils ont été semés au milieu du froment, il semble donc qu'il a voulu désigner ceux qui appartiennent à une même communion. Cependant, comme lui-même nous déclare que ce champ est non seulement l'Église, mais le monde entier, on peut très bien voir dans cette ivraie les hérétiques qui dans ce monde se trouvent mêlés aux justes. Ceux qui conservent la vraie foi tout en la déshonorant par leur vie sont plutôt semblables à la paille qu'à l'ivraie, parce que la paille a la même origine et la même racine que le froment. Quant aux schismatiques, ils ressemblent bien plus aux pailles brisées ou coupées que l'on sépare de la moisson. Il ne faut pas en conclure cependant que tout hérétique et tout schismatique soient extérieurement séparés de l'Église; l'Église en renferme un grand nombre dans son sein qui n'attirent pas l'attention de la multitude en défendant leurs erreurs d'une manière éclatante. S'ils le faisaient, l'Église les retrancherait de la communion. - Et plus bas: Lors donc que le démon en répandant ses détestables erreurs et ses fausses doctrines eut semé de l'ivraie au mi lieu du blé, c'est-à-dire eut jeté les hérésies sur la vérité en se couvrant du nom du Christ, il se cacha avec plus de soin et se rendit invisible; c'est ce que Notre-Seigneur veut exprimer par ce mot: «Et il s'en alla». Il faut cependant admettre, comme il l'explique lui-même, que sous le nom d'ivraie il a voulu comprendre non pas seulement quelques scandales, mais tous les scandales et tous ceux qui opèrent l'iniquité.

S. Chrys. (hom. 47). Notre-Seigneur, dans ce qui suit, nous trace avec soin le portrait des hérétiques: «Lorsque l'herbe eut poussé et qu'elle fut montée en épis, alors l'ivraie parut elle-même». Les hérétiques dissimulent d'abord leur présence, mais lorsque leur confiance s'est accrue, qu'ils sont parvenus à se faire écouter, et qu'ils ont fait quelques prosélytes, ils répandent leur venin. - S. Aug. (Quest. évang). (cf. 1Co 2,15). Ou bien dans un autre sens, lorsque l'homme spirituel commence à juger toutes choses, alors les erreurs se dessinent à ses yeux, il voit clairement que ce qu'il a entendu, ce qui a fait l'objet de ses lectures s'éloignait de la règle de la vérité; mais tant qu'il n'a pas atteint la perfection spirituelle, la vue de tant d'erreurs, de tant d'hérétiques qui se sont couverts du nom du Christ, peut faire impression sur lui, comme nous le voyons dans la suite de la parabole: «Alors les serviteurs du père de famille vinrent le trouver, et lui dirent: Seigneur, n'avez-vous pas semé de bon grain dans votre champ? D'où vient donc qu'il y a de l'ivraie ?» Ces serviteurs sont-ils les moissonneurs dont il sera bientôt question? Notre-Seigneur lui-même, dans l'explication de la parabole, nous dit que les moissonneurs sont les anges, et comme on ne peut dire que les anges ignoraient quel était celui qui avait semé l'ivraie au milieu du blé, il faut en tendre par ces serviteurs les fidèles eux-mêmes; et il n'y a rien d'étonnant s'il les désigne en même temps comme étant la bonne semence, car une même chose peut être représentée sous différentes figures, suivant le rapport sous lequel on la considère; c'est ainsi que le Sauveur a dit de lui-même qu'il était la porte, et aussi qu'il était le pasteur.

Remi. Ils s'approchent de Dieu, non par le mouvement du corps, mais par le coeur et par le désir de l'âme, et Notre-Seigneur leur apprend que cela est arrivé par la malice du démon: «C'est l'homme ennemi qui a fait cela». - S. Jér. Le démon est appelé l'homme ennemi, parce qu'il a cessé d'être Dieu; et c'est de lui qu'il est écrit au psaume neuvième: «Levez-vous, Seigneur, que l'homme ne s'affermisse pas dans sa puissance». Aussi celui qui est placé à la tête de l'Église ne doit pas se laisser aller au sommeil, de peur que l'homme ennemi ne profite de sa négligence pour semer par dessus le bon grain l'ivraie, c'est-à-dire les erreurs des hérétiques. - S. Chrys. (hom. 47). Notre-Seigneur l'appelle l'homme ennemi, à cause du mal qu'il fait aux hommes. C'est sur nous que tombent les effets de sa haine, quoique la cause du mal qu'il nous fait soit non pas son inimitié contre nous, mais son opposition contre Dieu. - S. Aug. (Quest. évang). Lorsque le serviteur de Dieu aura compris que le démon n'avait recours à cette manoeuvre frauduleuse que parce qu'il sentait qu'il ne pouvait rien contre la puissance d'un nom si grand, et qu'il était obligé de couvrir ses fourberies du prestige de ce nom, il peut sentir en lui le désir de faire disparaître de tels hommes du commerce des choses humaines, s'il en avait le temps; mais il consulte la justice de Dieu, pour savoir s'il doit le faire. «Les serviteurs lui dirent Voulez-vous que nous allions l'arracher ?» - S. Chrys. (hom. 47). Nous pouvons admirer ici le zèle et la charité de ces serviteurs: ils ont hâte d'aller arracher l'ivraie, preuve de leur sollicitude pour la semence; ils n'ont en vue qu'une chose, ce n'est pas de faire punir qui que ce soit, mais que les semences ne soient pas perdues. Quelle fut la réponse du Seigneur? «Et il leur répondit: Non». - S. Jér. Dieu veut laisser le temps au repentir, et il nous enseigne à ne pas nous hâter de retrancher un de nos frères de la communion des fidèles, car il peut arriver que celui-là même, dont l'esprit est perverti par une erreur dangereuse, se convertisse et devienne un zèle défenseur de la vérité; c'est pour cela qu'il ajoute: «De crainte qu'en arrachant l'ivraie, vous ne déraciniez en même temps le froment». S. Aug. (Quest. évang). Cette réponse est des plus propres à les calmer et à leur inspirer une grande patience. Le père de famille répond de la sorte, parce que les bons qui sont encore faibles ont besoin dans certaines circonstances d'être mêlés aux méchants, soit afin que ce mélange serve d'épreuve à leur vertu, ou afin que ce rapprochement soit pour les méchants une exhortation puissante à devenir meilleurs. Ou bien peut-être le blé est déraciné lorsqu'on arrache l'ivraie, parce qu'il en est beaucoup qui ne sont d'abord que de l'ivraie et qui deviennent ensuite froment. Or, si on ne les supportait avec patience lorsqu'ils sont mauvais, on ne verrait jamais en eux ce changement admirable; si donc on les arrache, on déracine en même temps le froment, puisqu'ils devaient devenir froment si on les eût épargnés. Dieu veut donc qu'on ne les arrache pas de cette vie, car en s'efforçant de faire périr les méchants on s'exposerait à faire périr les bons, puisqu'ils deviendront peut-être bons; ou à nuire aux bons eux-mêmes puisque les méchants sont pour eux une occasion involontaire de vertu. Ce retranchement se fera donc bien plus à propos lorsqu'à la fin ils n'auront plus le temps de changer de vie, et que le spectacle de leurs erreurs ne pourra plus être pour les bons une occasion de progrès dans la vérité; c'est pour cela qu'il ajoute: «Laissez croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson», c'est-à-dire jusqu'au jugement.

S. Jér. Cette recommandation paraît en opposition avec ce précepte: «Faites disparaître le mal du milieu de vous» (1Co 5,13). Car s'il nous est défendu d'arracher, et si nous devons attendre avec patience la moisson, comment pouvons-nous en retrancher quelques-uns du mi lieu de nous? Le froment et l'ivraie (en latin lolium) se ressemblent beaucoup tant qu'ils sont en herbe et que leur tige n'est pas encore couronnée d'épis, et il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de les distinguer. Le Seigneur nous recommande donc de ne pas nous hâter de prononcer la sentence sur ce qui est douteux, et de laisser le jugement à Dieu, qui, au jour du jugement, rejettera de l'assemblée des saints, non pas sur de simples conjectures, mais pour des crimes évidents. - S. Aug. (contre la lettre de Parmen., 3, 2). Lorsqu'un chrétien, dans le sein de l'Église, est reconnu coupable d'un crime qui mérite anathème, et qu'on n'a pas à craindre le schisme, qu'il soit soumis à l'anathème, avec un sentiment de charité qui se propose, non pas de le déraciner, mais de le corriger. S'il ne reconnaît pas sa faute, s'il n'en fait pas pénitence, il sera mis hors de l'Église, et séparé par sa propre volonté de la communion des fidèles. C'est pour cela que le Seigneur, après avoir dit: «Laissez croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson», en donne cette raison: «De crainte qu'en arrachant l'ivraie, vous ne déraciniez en même temps le froment». Il est donc évident que, lorsqu'on n'a pas à craindre cet inconvénient, et qu'on est tout à fait certain que le bon grain ne court aucun danger, c'est-à-dire lorsque le crime est connu de tous, et qu'il inspire une telle horreur qu'il ne trouve point de défenseur, ou au moins de défenseur qui puisse devenir l'auteur d'un schisme, on ne doit pas laisser dormir la sévérité de la discipline. La répression du crime sera d'autant plus efficace, que les lois de la charité auront été plus respectées; mais si le mal a gagné la multitude, la seule chose utile à faire, c'est de s'affliger et de gémir. Il faut donc reprendre avec miséricorde ce qu'on peut corriger; et ce qui est incorrigible, il faut le supporter avec patience, pleurer et gémir par un sentiment de charité jusqu'à ce que Dieu lui-même se charge de reprendre et de corriger, et attendre jusqu'à la moisson pour arracher l'ivraie et pour jeter la paille au vent. Mais lorsqu'on peut élever la voix au milieu du peuple, il faut atteindre la multitude des coupables par des reproches généraux, surtout si un fléau envoyé du Ciel nous offre l'occasion favorable de leur rappeler qu'ils ont reçu le châtiment qu'ils méritaient. Alors le malheur qui les frappe leur fait écouter avec humilité la parole qui leur démontre la nécessité de changer de vie, et cette parole inspire à leurs coeurs affligés les gémissements d'une confession pleine de repentir plutôt que les murmures de la résistance. Mais alors même qu'aucune calamité ne serait venue frapper les coupables, on peut, toutes les fois que l'occasion s'en présente, reprendre les vices de la multitude en s'adressant à elle directement; car de même que les hommes s'irritent de ce qui leur est reproché en particulier, les reproches qui sont adressés à la multitude dont ils font partie excitent en eux des gémissements salutaires.

S. Chrys. (hom. 47). Le Seigneur fait cette recommandation pour défendre les meurtres; car mettre à mort les hérétiques, ce serait donner naissance à une guerre implacable dans l'univers. Et c'est pour cela qu'il a dit: «De peur que vous n'arrachiez le blé», c'est-à-dire si vous recourez aux armes, si vous mettez à mort les hérétiques, vos coups atteindront nécessairement un grand nombre de saints. Ce qu'il défend, ce n'est donc point de jeter en prison les hérétiques, et de s'opposer à la licence de leurs prédications, à la réunion de leurs synodes, et de rendre inutiles leurs efforts, mais de les mettre à mort. - S. Aug. (Lettre 18 à Vinc). C'était d'abord mon sentiment qu'il ne fallait forcer personne d'embrasser l'unité du Christ, mais agir simplement par la parole, combattre par la discussion, vaincre par la raison, afin d'éviter d'avoir pour catholiques hypocrites ceux que nous avions pour hérétiques déterminés. Cependant mon opinion était combattue, si non par des raisons, du moins par des exemples contraires. En effet, la frayeur qu'inspirent ces lois promulguées par des rois qui servent le Seigneur avec crainte, produit les plus heureux effets (cf. Ps 2,10-11). Ainsi les uns disent: C'était depuis longtemps notre volonté, mais grâces soient rendues à Dieu qui nous a fourni l'occasion favorable, et ôté tout prétexte de différer; d'autres: Nous savions que c'était la vérité, mais nous étions retenus par je ne sais quelles habitudes; grâces à Dieu qui a brisé nos liens; d'autres: Nous ne savions pas que telle était la vérité et nous n'avions aucun désir de l'apprendre, mais la crainte nous a forcés d'y être attentifs et de prendre les moyens de la connaître; grâces au Seigneur qui a secoué notre négligence avec l'aiguillon de la terreur; d'autres encore: Nous craignions d'entrer dans l'Église, retenus par de faux bruits dont nous n'aurions pas reconnu la fausseté si nous n'y étions pas entrés, et nous n'y serions pas entrés si une contrainte salutaire ne nous eût forcés; grâces à Dieu qui par cette sévérité a fait cesser nos hésitations et nous a fait connaître par expérience la futilité et la fausseté des bruits que des voix trompeuses répandaient sur son Église; d'autres enfin: Nous pensions qu'il importait peu de croire en Jésus-Christ dans une religion ou dans une autre; mais grâces au Seigneur qui a mis un terme à notre séparation et nous a enseigné que le seul culte agréable à Dieu est celui qui lui est rendu dans l'unité. Que les rois de la terre se montrent donc les serviteurs du Christ en publiant des lois en faveur de la religion du Christ. - S. Aug. (Lettre 50 au comte Bonif). Quel est celui d'entre vous qui voudrait, je ne dis pas qu'un hérétique périsse, mais qu'il éprouvât même la moindre perte? Cependant la maison de David ne put recouvrer la paix qu'après que son fils Absalon eut été enseveli dans la guerre impie qu'il faisait contre son père (2S 18); quoique David eût recommandé avec le plus grand soin aux chefs de son armée de prendre tous les moyens pour conserver la vie à son fils et que son coeur de père n'attendît que son repentir pour lui pardonner. Mais lorsqu'il fut tombé victime de sa rébellion, que resta-t-il à son père que de pleurer sa mort et de se consoler par la pensée que son royaume avait recouvré la paix? C'est ainsi que notre mère, la sainte Église catholique, lorsqu'elle rassemble dans son sein un grand nombre de ses enfants au prix de la perte de quelques-uns, adoucit et calme la douleur de son coeur maternel par le spectacle de tant de peuples affranchis et délivrés de l'erreur. Que veut donc dire ce qu'ils ne cessent de crier: N'est-on pas libre de croire ou de ne pas croire? A qui donc le Christ a-t-il fait violence? Quel est celui qu'il a contraint d'embrasser la vérité? Nous leur répondons par l'exemple de l'apôtre saint Paul, qui les force de reconnaître que Jésus-Christ a usé de violence à son égard avant de l'enseigner, qu'il l'a frappé avant de le consoler. Et il est remarquable que celui que Dieu a forcé par un châtiment extérieur de se soumettre à l'Évangile a travaillé à la propagation de l'Évangile plus que ceux dont la vocation n'avait été déterminée que par une seule parole. Pourquoi donc l'Église ne forcerait-elle pas ses enfants égarés de revenir dans son sein, alors que ces mêmes enfants en ont forcé tant d'autres à périr ?

«Et au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs: Ramassez d'abord l'ivraie et liez-la en bottes pour la brûler». - Remi. La moisson c'est le temps où l'on recueille, c'est-à-dire le jour du jugement où les bons seront séparés d'avec les mauvais. - S. Chrys. (hom. 47). Mais pourquoi dit-il: «Arrachez d'abord l'ivraie ?» C'est pour ôter aux bons toute crainte que le blé ne partage le sort de l'ivraie. - S. Jér. Or, en commandant d'arracher l'ivraie pour la jeter au feu, et d'amasser le blé dans les greniers, il déclare ouvertement que les hérétiques et les hypocrites sont destinés à brûler dans les feux de l'enfer, et que les saints qu'il appelle le blé ou le bon grain seront recueillis dans les greniers, c'est-à-dire dans les demeures éternelles. - S. Aug. (Quest. évang). On peut demander pourquoi il ne commande pas de faire une seule botte ou un seul tas de toute l'ivraie; c'est peut-être à cause des différentes sortes d'hérétiques qui non seulement sont séparés du bon grain, mais qui sont encore séparés entre eux. Il a donc voulu exprimer par ces bottes d'ivraie les conventicules de chaque hérésie, dont tous les membres sont unis entre eux par des liens communs. Or, ils sont liés ensemble et destinés au feu du moment qu'ils se séparent de la communion catholique et qu'ils commencent à former des Églises particulières. Mais ils ne seront jetés au feu qu'à la fin des temps, bien que depuis, longtemps ils soient réunis en bottes. Cependant s'il en était ainsi, il n'y en aurait pas un si grand nombre qui regretteraient leurs erreurs et les abjureraient pour rentrer dans l'Église catholique. Ce n'est donc qu'à la fin que les bottes seront liées, afin que leur opiniâtreté ne soit point punie sans discernement, mais que chacun d'eux soit puni d'une manière proportionnée à sa perversité.

Rab. Remarquez qu'en disant: «Il a semé du bon grain», il nous fait connaître la bonne volonté dont les élus sont l'objet et qui est en eux; en ajoutant: «L'ennemi vient», etc., il nous avertit d'avoir à nous tenir sur nos gardes; lorsque l'ivraie ayant crû, il dit: «C'est l'homme ennemi qui a fait cela», il nous recommande la patience; et en ajoutant plus bas: «De peur qu'en arrachant l'ivraie», il nous donne l'exemple du discernement dont nous devons faire usage. Les paroles suivantes: «Laissez-les croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson», nous font un devoir de la longanimité, et il nous recommande la justice par celles qui terminent: «Liez-la en bottes pour la brûler».


vv. 31-32

4331 Mt 13,31-32

S. Chrys. (hom. 47). Notre-Seigneur venait de dire que trois parties de la semence étaient perdues et qu'une seule produisait du fruit et que dans cette dernière la perte est encore considérable à cause de l'ivraie qu'on a semée par dessus. Ses disciples pouvaient lui dire: Mais quels seront donc les fidèles, et quel sera leur nombre? Il va au-devant de cette crainte en leur proposant la parabole du grain de sénevé: «Il leur dit encore cette autre parabole: Le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé», etc. - S. Jér. Le royaume des cieux, c'est la prédication de l'Évangile et la connaissance des Écritures, qui conduisent à la vie et dont Notre-Seigneur dit aux Juifs: «Le royaume de Dieu vous sera enlevé». Or, ce royaume du ciel est semblable à un grain de sénevé. - S. Aug. (Quest. Evang., liv. 1, quest. 2). Le grain de sénevé figure la ferveur de la foi, à cause de la vertu qu'on lui attribue d'expulser le poison, c'est-à-dire tous les dogmes pervers des hérétiques.

«Qu'un homme prend et sème dans son champ». - S. Jér. Cet homme qui sème dans son champ, c'est, d'après le sentiment le plus commun, le Sauveur qui sème la vérité dans l'âme des fidèles. Selon quelques autres, c'est l'homme lui-même qui sème dans son champ, c'est-à-dire dans son coeur. Or, quel est celui qui sème en nous si ce n'est notre intelligence et notre sentiment? Ils reçoivent le grain de la prédication, et le nourrissant avec le suc de la foi, ils lui donnent la force de se développer dans le champ de notre coeur.

«Ce grain est la plus petite de toutes les semences». La prédication de l'Évangile est la plus humble de toutes les doctrines, car au premier coup d'oeil elle n'obtient pas la croyance due à la vérité, en prêchant un homme-Dieu, un Dieu mort, et le scandale de la croix. Rapprochez-la des doctrines et des écrits des philosophes, de l'éclat de leur éloquence, de leurs discours étudiés, et vous reconnaîtrez combien la semence de l'Évangile est inférieure aux autres semences.

S. Chrys. (hom. 47). Ou bien la semence de l'Évangile est la plus petite, parce que les disciples étaient les plus faibles des hommes; mais comme ils avaient en eux une grande vertu, leur prédication s'est répandue par toute la terre, comme l'indique la suite de la parabole: «Mais lorsqu'il a crû, il est le plus grand de tous les légumes», c'est-à-dire de tous les dogmes. - S. Aug. (Quest. évang). Les dogmes des sectes sont leurs propres sentiments, c'est-à-dire les opinions dont elles sont convenues. - S. Jér. La doctrine des philosophes, lorsqu'elle se développe, ne présente rien de piquant et n'a aucune apparence de vie, et sa nature molle et languissante ne produit que des plantes et des herbes que l'on voit bientôt se dessécher et périr. Au contraire, la prédication évangélique, qui paraissait peu de chose dans ses commencements lorsqu'elle fut semée, soit dans l'âme des fidèles, soit dans tout l'univers, n'a point produit de simples plantes, mais s'est élevée jusqu'à la hauteur d'un arbre, et sur les branches sont venus habiter les oiseaux du ciel, c'est-à-dire les âmes des fidèles ou les vertus qui sont consacrées au service de Dieu. «Et il devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent se reposer sur ses branches». Je suis porté à croire que ces branches de l'arbre évangélique, qui sont sorties du grain de sénevé, figurent la variété des dogmes, sur lesquels chacun des oiseaux dont nous avons parlé vient se reposer. Prenons donc aussi nous-mêmes les ailes de la colombe (cf. Ps 55,7) et élevons-nous bien haut, afin de pouvoir habiter sur les branches de cet arbre, nous construire un nid au milieu des vérités divines, et nous hâter de fuir la terre et de gagner le ciel.

S. Hil. (can. 43). Ou bien encore le Seigneur se compare lui-même à ce grain de sénevé qui est d'un goût très piquant, la plus petite de toutes les semences, et dont la force augmente lorsqu'il est broyé.

S. Grég. (Moral., 19, 1). Il est en effet ce grain de sénevé qui, après avoir été semé dans le jardin de sa sépulture, s'est élevé comme un grand arbre; c'était un grain lorsqu'il mourut, ce fut un arbre lorsqu'il ressuscita; c'était un grain par l'humilité de la chair, il devint un arbre par la puissance de sa majesté. - S. Hil. (can. 43). Lorsque ce grain eut été semé dans la terre, c'est-à-dire lorsque le Sauveur fut tombé au pouvoir de la multitude, qu'il eut été livré par elle à la mort et que son corps eut été enseveli dans le tombeau comme un grain qu'on sème dans un champ, il devint plus grand que tous les légumes et surpassa de beaucoup la gloire des prophètes. La prédication des prophètes fut donnée comme une herbe salutaire au peuple d'Israël encore faible et infirme, mais aujourd'hui les oiseaux du ciel se reposent sur les branches de l'arbre. Ces branches de l'arbre, ce sont les Apôtres qui par la puissance du Christ se sont étendus sur toute la surface du monde pour lui donner un doux ombrage. C'est sur ces branches que toutes les nations de la terre viendront dans l'espérance d'y trouver la vie et un lieu de repos comme sur les branches d'un arbre, contre la violence des vents, c'est-à-dire contre les orages que soulève le souffle du démon. - S. Grég. (Moral., 19, 1). Sur ces branches se reposent les oiseaux du ciel; en effet, les saintes âmes qui s'élèvent au-dessus des pensées de la terre sur les ailes des vertus, se reposent des fatigues de la vie dans leurs saintes conversations et dans les consolations dont elles sont la source.



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