Catena Aurea 4529

vv. 29-31

4529 Mt 15,29-31

La Glose. Après avoir guéri la fille de la Chananéenne, Notre-Seigneur retourne dans la Judée: «Jésus, étant sorti de là, vint le long de la mer de Galilée». - Remi. Cette mer porte différents noms; elle s'appelle mer de Galilée, parce qu'elle est proche de la Galilée, et mer de Tibériade, parce que la ville de Tibériade est bâtie sur ses bords.

«Et, étant monté sur la montagne, il s'y assit». - S. Chrys. (hom. 83). Remarquons que tantôt le Sauveur parcourt le pays pour guérir les malades, tantôt il s'assied pour les attendre. C'est donc avec raison que l'Évangéliste ajoute: «Et de grandes troupes de peuple vinrent le trouver». - S. Jér. Le mot grec êõëëïõò, que le traducteur latin a rendu par infirmes, ne signifie pas infirmité en général, mais une infirmité particulière; et de même qu'on appelle boiteux celui qui boite d'un pied, ainsi on appelle êõëëßò ou manchot celui qui est privé de l'usage d'une main. - S. Chrys. Or, ces infirmes manifestaient leur foi de deux manières et en gravissant la montagne, et en étant convaincus qu'il leur suffisait pour être guéris d'être jetés aux pieds de Jésus. Ils ne cherchent pas encore à toucher la frange de ses vêtements, mais ils font preuve d'une foi plus grande, comme le remarque l'Évangéliste: «Et ils les mirent à ses pieds». Il a guéri la fille de la Chananéenne après l'avoir fait longtemps attendre, pour faire éclater la vertu de cette femme, tandis qu'il guérit immédiatement tous ces infirmes, non pas qu'ils fussent meilleurs, mais afin de fermer la bouche aux Juifs incrédules: «Et il les guérit tous». Le grand nombre de ceux qui étaient guéris, et la promptitude avec laquelle il les guérissait les jetaient dans l'étonnement, «de telle sorte», dit le texte sacré, «que ces peuples étaient dans l'admiration en voyant les muets qui parlaient», etc.

S. Jér. Il ne dit rien de ceux qui étaient estropiés, parce qu'il ne pouvait exprimer leur guérison en un seul mot.

Rab. Dans le sens mystique, Notre-Seigneur, après avoir donné une figure de la conversion des Gentils dans la guérison de la fille de la Chananéenne, vient dans la Judée, parce qu'en effet, après que la plénitude des nations sera entrée dans l'Église, tout Israël sera sauvé» (Rm 11,25-26). - La Glose. La mer, sur les bords de laquelle arrive Jésus, est la figure du trouble et de l'agitation de cette vie; c'est la mer de Galilée, parce que les hommes passent de la pratique des vices à celle des vertus. - S. Jér. Il monte sur le sommet de la montagne comme l'oiseau qui provoque ses petits encore faibles à prendre leur essor. - Rab. C'est afin d'élever l'esprit de ses auditeurs jusqu'à la méditation des vérités sublimes et célestes. Il s'assied sur le sommet, pour nous montrer qu'on ne doit chercher le repos que dans les choses du ciel. Pendant qu'il est assis sur la montagne, c'est-à-dire dans la cité des cieux, une multitude de fidèles s'approchent de lui avec un saint empressement, conduisant avec eux les muets et les aveugles», etc., et ils les mettent aux pieds de Jésus, parce que c'est à lui seul qu'ils présentent pour être guéris ceux qui confessent leurs péchés. La manière dont il les guérit excite l'admiration de la foule, et ils rendent gloire au Dieu d'Israël; c'est ainsi que les fidèles chantent les louanges de Dieu, lorsqu'ils voient ceux dont l'âme était languissante et malade s'enrichir des oeuvres des vertus chrétiennes. - La Glose. Les muets sont ceux qui ne louent jamais Dieu; les aveugles, ceux qui ne comprennent pas les voies de la véritable vie; les sourds, ceux qui n'obéissent pas à sa parole; les boiteux, ceux qui ne marchent pas droit dans le chemin du devoir; les infirmes et les estropiés, ceux qui sont comme frappés d'impuissance par les bonnes oeuvres.


vv. 32-38

4532 Mt 15,32-38

S. Jer. Notre Seigneur Jésus-Christ a commencé par rendre la santé aux infirmes, il nourrit maintenant ceux qu'il vient de guérir: Il réunit ses disciples et leur apprend ce qu'il va faire: «Et Jésus», etc. Il agit ainsi pour enseigner aux maîtres, par son exemple, à communiquer leurs desseins à leurs inférieurs et à leurs disciples, et aussi pour que cet entretien rende plus éclatant le miracle qu'il va faire. - S. Chrys. (hom. 54). Cette multitude, qui n'était venue que pour obtenir sa guérison, n'osait demander du pain; mais Jésus, qui est l'ami des hommes et qui prend soin de tous, leur en donne sans attendre qu'ils en demandent: «J'ai compassion de ce peuple», leur dit-il. Et pour qu'on ne puisse pas dire qu'ils avaient apporté leur nourriture avec eux, il ajoute: «Car voilà trois jours qu'ils demeurent continuellement avec moi et ils n'ont rien à manger». Quand même ils auraient eu des vivres avec eux lorsqu'ils arrivèrent, ils étaient déjà consommés; aussi ne fait-il pas ce miracle le premier ou le second jour, mais le troisième, alors que toutes les provisions étaient épuisées, afin que le sentiment du besoin leur fit recevoir avec un désir plus ardent le prodige qu'il allait opérer. Il fait voir qu'ils étaient venus de loin et qu'il ne leur restait plus rien en disant: «Je ne veux pas les renvoyer qu'ils n'aient mangé». Son intention est bien de les nourrir par un nouveau miracle; cependant il en diffère l'exécution, car il veut, par cette question et par la réponse qui doit la suivre, rendre ses disciples plus attentifs et les forcer à manifester leur foi, en lui demandant de faire une nouvelle multiplication des pains. Mais quoique Jésus-Christ eût réuni dans le premier miracle les circonstances qui devaient en rendre toujours présent le souvenir à leur esprit, comme de distribuer eux-mêmes le pain, de recueillir les restes dans les corbeilles, cependant leurs dispositions étaient encore bien imparfaites, ainsi que le prouve la réponse qu'ils font à Jésus: «Comment pourrons-nous trouver», etc. Cette réponse, qui indique une foi faible, met cependant à l'abri de tout soupçon le miracle qui va s'opérer. Car, afin qu'on ne puisse supposer que les provisions ont été apportées de quelque bourg voisin, le miracle se fait dans la solitude, à une grande distance de tout endroit habité. Cependant, le Sauveur, pour élever leur âme, leur adresse une question dont la nature seule doit leur rappeler le premier miracle: «Et Jésus leur dit: Combien avez-vous de pains? - Sept, lui dirent-ils». Mais ils n'ajoutent pas comme la première fois: «Qu'est-ce que cela pour un si grand nombre ?» Ils avaient fait quelques progrès, quoiqu'il y eût encore bien des choses qu'ils ne pussent comprendre. Admirez toutefois leur amour pour la vérité : ils ne songent pas, dans un récit dont ils sont les auteurs, à cacher leurs plus grands défauts; car ce n'est pas une accusation ordinaire, ce n'est pas une faute légère que l'oubli si rapide d'un aussi grand prodige. Admirez encore un autre trait de leur sagesse: comme ils savent dompter le besoin de la faim, et ne se préoccupent guère des soins de la nourriture. Ils sont dans le désert et ils y restent trois jours, n'ayant seulement avec eux que sept pains. Notre-Seigneur suit la même marche que pour le premier miracle: il fait asseoir la foule sur la terre et multiplie les pains dans les mains de ses disciples: «Et il ordonna à la foule de s'asseoir», etc. - S. Jér. Il est inutile de rappeler ici ce que nous avons dit plus haut; arrêtons-nous seulement aux circonstances qui nous offrent quelque différence.

S. Chrys. (hom. 54). Ces deux miracles ne se terminent pas de la même manière. Ils emportent ici sept corbeilles pleines des morceaux qui étaient restés. Or, ceux qui en mangèrent étaient au nombre de quatre mille hommes», etc. Pourquoi les restes furent-ils moins considérables dans ce miracle que dans le premier, alors que ceux qui mangèrent étaient en plus petit nombre? C'est peut-être que les corbeilles étaient plus grandes que les paniers, ou bien le Sauveur voulut-il que la différence de ces deux miracles en rendît le souvenir plus facile. Voilà pourquoi dans le premier il y avait autant de paniers que de disciples, tandis que dans celui-ci il y a autant de corbeilles qu'il y avait de pains.

Remi. Dans ce récit de l'Évangile, nous devons considérer la double opération de la divinité et de l'humanité dans Jésus-Christ. La compassion qu'il ressent pour ce peuple est une preuve qu'il a pris les sentiments de notre faible nature, et le miracle qu'il fait en multipliant les pains et en nourrissant cette multitude fait éclater en lui la toute-puissance divine. Ainsi se trouve renversée l'erreur d'Eutychès, qui ne voulait reconnaître en Jésus-Christ qu'une seule nature.

S. Aug. (De l'acc. des Evang., 2, 50). Il n'est pas inutile de remarquer ici que si l'un des Évangélistes avait raconté ce miracle sans avoir rapporté celui de la multiplication des cinq pains, on pourrait le supposer en contradiction avec les autres. Mais comme ce sont les mêmes qui ont raconté à la fois le miracle des cinq et celui des sept pains, il n'y a plus de difficulté et il faut admettre la vérité de ces deux miracles. Nous faisons cette remarque afin que lorsque l'on trouve dans un Évangéliste un fait de la vie de Notre-Seigneur qui paraît contredire dans une de ses circonstances un fait semblable raconté par un autre Évangéliste, sans qu'on puisse les concilier, on en conclue que ces deux faits distincts ont eu lieu et que l'un a été raconté par un Évangéliste et l'autre par un autre.

La Glose. Remarquons encore que Notre-Seigneur commence par guérir les infirmités et qu'il donne ensuite à manger à ceux qu'il a guéris, parce qu'en effet il faut d'abord faire disparaître les péchés de l'âme avant de la nourrir de la parole de vie. - S. Hil. (can. 13). Ce peuple qu'il a nourri en premier lieu représentait les Juifs qui embrassèrent la foi; ainsi cette nouvelle multitude est une figure du peuple des Gentils, et dans ces quatre mille personnes rassemblées nous voyons représentée cette multitude innombrable réunie des quatre parties du monde. - S. Jér. Nous ne comptons pas ici cinq mille personnes, mais quatre mille seulement. Le nombre quatre a toujours une signification heureuse: la pierre qui est carrée ne vacille pas, elle n'est point sujette à chanceler, et c'est pourquoi les Évangiles se trouvent consacrés par ce nombre quatre. Dans le miracle précédent, comme le chiffre de la multitude se rapproche du nombre des cinq sens, ce n'est pas le Seigneur qui paraît y faire attention, mais ses disciples; ici, au contraire, c'est le Sauveur lui-même qui déclare qu'il a compassion de ce peuple qui depuis trois jours persévère avec lui, parce qu'en effet ils croyaient au Père, au Fils et au Saint-Esprit. - S. Hil. (can. 3). Ou bien ils passent avec le Seigneur un temps égal à celui de sa passion; ou bien encore, avant de recevoir le baptême, ils confessent qu'ils croient à sa passion et à sa résurrection; ou bien enfin, par un mouvement de sympathique compassion, ils veulent jeûner tout le temps qu'a duré la passion du Seigneur. - Rab. Ou bien, dans un autre sens, cette circonstance nous rappelle les trois époques où, pendant toute la durée des siècles, la grâce nous est donnée; la première avant la loi, la seconde sous la loi, la troisième sous la grâce, la quatrième s'accomplira dans le ciel dont la perspective ranime celui qui en fait le terme de tous ses efforts. - Rémi. Ou bien enfin, c'est qu'en faisant pénitence des péchés qu'on a commis, on se convertit au Seigneur dans les pensées, dans les paroles et dans les actions. Le Seigneur ne voulut pas renvoyer ce peuple sans qu'il eut mangé, de peur qu'il ne tombât en défaillance dans le chemin, car c'est ainsi que les pécheurs convertis par la pénitence sont exposés à périr dans le cours de cette vie qui passe, si on les renvoie privés de la nourriture de la sainte doctrine.

La Glose. Les sept pains sont les écrits du Nouveau Testament qui nous révèle et nous donne à la fois la grâce de l'Esprit saint. Ce ne sont point des pains d'orge, comme précédemment, parce que, dans le Nouveau Testament, l'aliment qui donne la vie n'est pas de même que sous la loi, enveloppé de figures, comme d'une paille qui adhère fortement. Nous n'avons point ici deux poissons, figure des deux seules personnes qui, sous la loi, recevaient l'onction sainte, le grand-prêtre et le roi, mais quelques poissons, figure des saints du Nouveau Testament, qui, arrachés aux flots du siècle, supportent les agitations de la mer et, nous ranimant par leur exemple, nous empêchent de défaillir dans le chemin.

S. Hil. Or, la multitude s'asseoit sur la terre, car elle n'avait pu se reposer sur aucune des oeuvres de la loi, et elle tenait encore fortement à l'origine de son corps et à la source de ses péchés. - La Glose. Ou bien on peut dire que dans le premier miracle elle s'asseoit sur le gazon pour comprimer les désirs de la chair: ici elle est assise sur la terre, car il lui est ordonné d'abandonner le monde. La montagne sur laquelle le Seigneur nourrit ce peuple, c'est la hauteur du Christ. D'un côté, la terre est recouverte de gazon, parce que la hauteur du Christ s'y trouve recouverte, pour les hommes charnels, d'espérance et de désirs terrestres; ici, au contraire, tout désir charnel est éloigné, et la fermeté d'une espérance permanente soutient les convives du Nouveau Testament. Là il y a cinq mille hommes, parce que les hommes charnels sont esclaves de leurs sens; ici, quatre mille, figure des quatre vertus qui donnent à l'âme la vie spirituelle, c'est-à-dire la tempérance, la prudence, la force, la justice. De ces quatre vertus, la première donne la connaissance de ce qu'il faut rechercher et de ce qu'il faut éviter; la deuxième met un frein à la cupidité des plaisirs des sens; la troisième nous donne la fermeté pour supporter toutes les épreuves de la vie; la quatrième, qui se répand dans toutes les autres, est l'amour de Dieu et du prochain. De part et d'autre, les femmes et les enfants ne sont point comptés, car, dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament, ceux qui ne peuvent atteindre l'état de l'homme parfait, soit par faiblesse, soit par légèreté d'esprit, ne peuvent être admis près du Seigneur. Ces deux collations ont eu lieu sur la montagne, car les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament nous rappellent à la fois la sublimité des préceptes divins et des récompenses célestes et proclament la grandeur et l'élévation du Christ. Quant aux mystères plus sublimes que la multitude ne peut comprendre, les Apôtres les soulèvent et les accomplissent, et ils sont en cela la figure des coeurs parfaits que la grâce de l'Esprit aux sept dons a remplis d'intelligence. Les corbeilles sont ordinairement faites avec des joncs et des feuilles de palmier; elles représentent les saints qui enfoncent la racine de leur coeur dans la source même de la vie; semblables au jonc dans l'eau, ils ne sont point exposés à se dessécher et ils portent dans leur coeur la palme de la récompense éternelle.


v. 39

4539 Mt 15,39

S. Chrys. (hom. 54). Le Seigneur renvoie maintenant le peuple, comme il a fait après le miracle des cinq pains, et il ne prend pas pour se retirer le chemin de terre, mais il monte dans une barque pour que la foule ne puisse le suivre. «Après cela, Jésus ayant renvoyé la foule, monta dans une barque et vint sur les confins de Mageddan. - S. Aug. (De l'acc. des Evang., 2, 51). Saint Marc (Mc 8,10) dit: «dans le pays de Dalmanutha»; mais il est évident qu'il s'agit du même lieu, car, même dans plusieurs exemplaires de saint Marc, on ne trouve que le mot Mageddan. - Rab. Mageddan est un pays situé en face de Gerasam; il signifie fruits ou nouvelles et il est une figure de ce jardin dont il est dit: «Jardin fermé, fontaine scellée», (Ct 4) jardin qui produit les fruits des vertus et où le nom du Seigneur est annoncé. Cette interprétation apprend aux prédicateurs qu'après avoir distribué au peuple le pain de la parole sainte, ils doivent, dans le secret de leurs coeurs, reprendre de nouvelles forces en se nourrissant des fruits des vertus.


CHAPITRE XVI


vv. 1-4

4601 Mt 16,1-4

Remi. «Les pharisiens et les sadducéens s'approchèrent de lui», etc. Etonnant aveuglement des pharisiens et des sadducéens ! Ils demandent un prodige dans le ciel, comme si les faits dont ils étaient témoins n'étaient pas de véritables prodiges. Saint Jean nous apprend (Jn 6,30) quelle espèce de miracle ils lui demandaient, en rapportant qu'après que Jésus eut nourri le peuple avec cinq pains, le peuple s'approcha de lui, et lui dit: «Quel miracle faites-vous, afin que nous le voyions et que nous croyions en vous ? Nos pères ont mangé la manne dans le désert, ainsi qu'il est écrit: Il leur a donné à manger le pain du ciel» (Ps 78,24). C'est dans ce même sens que les pharisiens lui disent ici: «Faites-nous voir un prodige dans le ciel», c'est-à-dire faites tomber la manne un ou deux jours de suite, afin que tout le peuple soit rassasié, comme cela s'est fait si longtemps dans le désert. Mais le Sauveur qui, comme Dieu, pénétrait leurs pensées, et savait bien qu'alors même qu'il ferait paraître à leurs yeux un prodige dans le ciel ils ne croiraient pas davantage, ne voulut pas leur donner le signe qu'ils demandaient. «Il leur répondit: Le soir vous dites: Il fera beau», etc. - S. Jér. Cette phrase manque dans plusieurs des exemplaires grecs. Le sens, d'ailleurs, en est clair, c'est-à-dire que d'après les phénomènes réguliers des éléments, on peut prédire d'avance le beau temps et les jours de pluie. Mais les scribes et les pharisiens qui paraissaient être les docteurs de la loi, ne pouvaient reconnaître dans les oracles des prophètes le temps de la venue du Christ. - S. Aug. (Quest. évang., 1, 20). Ces paroles du Seigneur: «Le soir vous dites: Il fera beau, car le ciel est rouge», peuvent signifier que la rémission des péchés est accordée dans le premier avènement par le sang que Jésus-Christ a versé dans sa passion; et les autres: «Le matin vous dites: il y aura de l'orage aujourd'hui, car le ciel est d'un rouge sombre», que dans le second avènement le Christ sera précédé par le feu. - La Glose. Ou bien dans un autre sens, le ciel est sombre et rougeâtre, c'est-à-dire les Apôtres auront à souffrir après ma résurrection, et vous pouvez savoir qu'après eux, je dois exercer mon jugement; car si je n'épargne pas les souffrances à mes serviteurs, à plus forte raison ne les épargnerai-je pas aux autres un jour à venir.

«Vous savez donc discerner les différentes apparences du ciel, et vous ne savez pas reconnaître les signes des temps ?» - Rab. Ces signes des temps sont, dans la pensée du Seigneur, son avènement ou sa passion qui nous sont représentés par un ciel qui est rouge le soir; et la tribulation qui précédera son second avènement, figurée par un ciel qui, le matin, est sombre et rougeâtre.

S. Chrys. (hom. 54). De même que dans le ciel les signes qui annoncent le beau temps sont différents de ceux qui présagent la pluie, ainsi en est-il de ce qui me concerne. Maintenant, dans mon premier avènement, il est nécessaire que j'opère ces prodiges qui éclatent sur la terre, ceux qui auront le ciel pour théâtre sont réservés pour mon second avènement. Je suis venu actuellement comme un médecin alors je viendrai comme un juge. C'est pour cela qu'aujourd'hui je suis venu en voilant ma divinité; alors je viendrai avec un grand éclat, et toutes les puissances du ciel seront ébranlées. Mais le temps de ces prodiges n'est pas encore arrivé; car je suis venu pour mourir, et souffrir auparavant toutes les ignominies. Cette génération corrompue et adultère demande un prodige, et il ne lui sera pas donné. - S. Aug. (de l'accord des Evang). Saint Matthieu a déjà rapporté ces mêmes paroles (Mt 12), ce qui doit nous convaincre que le Seigneur a souvent dit plusieurs fois la même chose; et lorsque nous ne pouvons faire disparaître la contradiction qui existe entre deux récits, nous devons en conclure que ces paroles ont été dites dans deux circonstances différentes. - La Glose. Il les appelle génération corrompue et adultère, c'est-à-dire, n'ayant qu'une intelligence charnelle, incapable de comprendre les choses spirituelles. - Rab. Le Seigneur ne donnera donc point, à cette génération qui le tente, de prodige dans le ciel, comme ils le demandent, eux qu'il a rendus témoins de tant de prodiges sur la terre; mais il réserve ces prodiges pour la génération de ceux qui cherchent le Seigneur (Ps 23,6 Ps 99,9-10), c'est-à-dire pour les Apôtres qui le virent monter au ciel, et auxquels il envoya l'Esprit saint.

S. Jér. Nous avons dit plus haut ce que signifie ce prodige de Jonas (Mt 12,40-41). - S. Chrys. (hom. 54). Or, les pharisiens qui entendaient cette réponse pour la seconde fois auraient dû interroger le Sauveur, et lui demander quel était le sens de ces paroles? Mais ils se sont gardés de faire cette demande au Seigneur dans le désir de s'instruire. C'est pourquoi Notre-Seigneur se sépare d'eux. «Et, les laissant là, il s'en alla». - Rab. C'est-à-dire ayant quitté cette mauvaise génération des Juifs, il passa au-delà du lac, et le peuple des Gentils le suivit. Et remarquez qu'il n'est point dit qu'il se retira après avoir renvoyé le peuple comme dans les autres circonstances, mais qu'il les abandonna, parce que l'erreur de l'incrédulité s'était emparée de leurs esprits orgueilleux.


vv. 5-12


4605 Mt 16,5-12


La Glose. Notre-Seigneur avait abandonné les pharisiens en punition de leur incrédulité; par une conséquence naturelle, il enseigne à ses disciples qu'ils doivent éviter leur doctrine. «Or, ses disciples étant passés au-delà du lac, avaient oublié de prendre des pains». - Remi. Ils étaient si étroitement attachés à leur Maître, qu'ils ne pouvaient s'en séparer, même un instant. Remarquons encore combien les disciples de Jésus étaient loin de rechercher les délices de la vie, eux qui se préoccupaient si peu du nécessaire, qu'ils oubliaient même de prendre du pain, nourriture indispensable de notre faible nature.

«Il leur dit: Ayez soin de vous garder du levain des pharisiens», etc. - S. Hil. Le Sauveur avertit ici les Apôtres de n'avoir aucun commerce avec la doctrine des Juifs; car les oeuvres de la loi n'avaient été ordonnées que pour recevoir leur accomplissement par la foi, et comme figure de ce qui devait se réaliser dans l'avenir. Ceux donc qui avaient le bonheur de vivre dans le temps où la vérité se manifestait sur la terre, devaient regarder comme désormais inutiles les figures de la vérité, de peur que la doctrine des pharisiens, qui ne connaissaient pas le Christ, ne vînt à corrompre les effets de la vérité de l'Évangile. - S. Jér. Celui qui se garde du levain des pharisiens et des sadducéens, ne s'attache pas aux préceptes de la loi et de la lettre, et ne se met pas en peine des traditions humaines; son unique souci c'est d'accomplir les commandements de Dieu. C'est là ce levain dont l'Apôtre a dit: «Un peu de levain corrompt toute la masse» (1Co 5 Ga 5). Il faut à tout prix se garder d'un tel levain, qui est celui de Marcion, de Valentin, et de tous les hérétiques. Le levain a une force telle, que si on le mêle à la farine en petite quantité, il se développe bientôt, et communique la saveur qui lui est propre à toute la pâte à laquelle il se trouve mêlé; il en est de même de la doctrine des hérétiques: quelque faible que soit l'étincelle qu'elle aura jetée dans votre coeur, vous la verrez bientôt produire un grand incendie qui envahit l'homme tout entier. - S. Chrys. (hom. 54). Mais pourquoi le Sauveur ne leur dit-il pas ouvertement: «Gardez-vous de la doctrine des pharisiens ?» parce qu'il veut leur rappeler le miracle de la multiplication des pains qui vient d'avoir lieu. Il savait qu'ils l'avaient oublié, et comme il ne jugeait pas à propos de leur reprocher directement cet oubli, il profite de l'occasion qu'ils lui présentent pour leur rendre ce reproche plus supportable. C'est pour cela que l'Évangéliste nous dévoile ce qui se passait dans leur âme: «Et ils pensaient entre eux, et disaient: Nous n'avons pas pris de pains». - S. Jér. Comment se fait-il qu'ils étaient sans pain, eux qui, après en avoir rempli sept corbeilles, montent dans la barque, viennent sur les frontières de Magedan et entendent Jésus leur dire pendant la traversée, qu'ils doivent se garder du levain des pharisiens et des sadducéens? Nous répondons à cette question que l'Écriture affirme qu'ils avaient oublié de prendre des pains avec eux.

S. Chrys. (hom. 54). Comme les Apôtres se traînaient encore dans l'attachement aux observances judaïques, Notre-Seigneur leur en fait un vif reproche dans la pensée d'être utile à tous les autres. «Ce que Jésus connaissant, il leur dit: Pourquoi vous entretenez-vous ensemble que vous n'avez point de pain, hommes de peu de foi?» - La Glose. C'est-à-dire pourquoi pensez-vous que j'ai voulu parler de ces pains matériels, au sujet desquels vous ne devez avoir aucun doute après qu'un si petit nombre de pains a produit des restes si considérables? - S. Chrys. (hom. 54). Son dessein, ici, est de les affranchir de toute inquiétude pour la nourriture. Mais pourquoi ne leur a-t-il pas adressé ce reproche lorsqu'ils lui exprimèrent cette pensée de défiance: «Comment pourrons-nous trouver un si grand nombre de pains dans le désert ?» Il semble qu'il eût été mieux placé dans cette circonstance. Cependant Notre-Seigneur ne les reprend pas alors, pour ne point paraître prendre l'initiative des miracles qu'il opère, et aussi pour que le peuple ne fût pas témoin des reproches qu'il leur adressait. Ces reproches, d'ailleurs, furent bien plus motivés lorsque après le double miracle de la multiplication des pains, il les voit encore inquiets de leur nourriture. Mais voyez quelle douceur dans ce reproche. Il répond lui-même comme pour excuser ceux qu'il vient de reprendre, en ajoutant: «Ne comprenez-vous point encore, et ne vous souvient-il point que cinq pains ont suffi pour cinq mille hommes, et combien vous avez remporté de paniers? et que sept pains ont suffi pour quatre mille hommes ?» etc. - La Glose. C'est-à-dire: «Est-ce que vous ne comprenez pas ce mystère? Est-ce que vous n'avez pas conservé le souvenir de ma puissance ?» - S. Chrys. Il leur remet ainsi en mémoire les miracles qui avaient eu lieu, et les rend plus attentifs à ceux qui doivent suivre.

S. Jér. En leur adressant ce reproche: «Pourquoi ne comprenez-vous pas ?» il veut leur apprendre en même temps ce que signifient les cinq pains, et ensuite les sept autres qui furent multipliés; et encore les cinq mille hommes, et après les quatre mille qu'il nourrit dans le désert. Car si le levain des pharisiens et des sadducéens ne signifie pas le pain matériel, mais les traditions corrompues et les dogmes des hérétiques, pourquoi les pains qui servirent à nourrir le peuple de Dieu ne figureraient-ils pas la doctrine pure et véritable? - S. Chrys. (hom. 54). Si vous voulez connaître l'efficacité du reproche de Jésus sur ses disciples, et comment il réveilla leur âme endormie, écoutez ce que dit l'Évangéliste: «Ils comprirent alors qu'il ne leur avait pas dit de se garder du levain qu'on met dans le pain, mais de la doctrine des pharisiens et des sadducéens», bien que Jésus ne leur ait pas donné cette explication. Le reproche du Seigneur les sépare des observances judaïques, leur fait secouer leur indifférence, les rend plus attentifs, et fortifie leur foi encore si faible. Et s'il leur arrive maintenant d'être presque sans pain, ils seront sans crainte, et apprendront à mépriser jusqu'aux nécessités de la vie.


vv. 13-19


4613 Mt 16,13-19

La Glose. Après avoir inspiré à ses disciples un profond éloignement pour la doctrine des pharisiens, Notre-Seigneur choisit ce moment favorable pour jeter dans leurs âmes les fondements profonds de la doctrine évangélique, et pour donner à son enseignement plus de solennité; l'Évangéliste nous désigne l'endroit où elle se passa: «Or, Jésus vint dans les environs de Césarée de Philippe». - S. Chrys. (hom. 54). Il ne dit pas simplement Césarée, mais Césarée de Philippe; car il y a une autre ville de Césarée, celle de Straton. Ce n'est point dans celle-là, mais dans la première, que Jésus fait cette question à ses disciples; il les emmène loin des Juifs, afin que, sans crainte aucune, ils disent librement ce qu'ils ont dans le coeur. - Rab. Ce Philippe était frère d'Hérode, il était tétrarque de l'Iturée et de la Trachonitide. Il avait appelé Césarée, en l'honneur de Tibère, la ville qui est maintenant connue sous le nom de Panéas.

La Glose. Le Sauveur veut confirmer ses disciples dans la foi, il commence donc par éloigner de leur esprit les opinions et les erreurs que d'autres pouvaient y avoir jetées. «Et il interrogea ses disciples en leur demandant: Que disent les hommes qu'est le Fils de l'homme ?» - Orig. En interrogeant ainsi ses disciples, il veut nous apprendre par leurs réponses qu'il y avait alors sur le Christ diverses opinions parmi les Juifs, et aussi nous faire rechercher nous-mêmes l'opinion que les hommes peuvent avoir de nous. S'ils en disent du mal, nous devons cesser d'y donner occasion, et s'ils en disent du bien, nous devons redoubler nos efforts pour mériter leur approbation. Les disciples des évêques doivent apprendre aussi, à l'exemple des Apôtres, à informer leurs supérieurs de ce qu'ils entendent dire au dehors sur leur personne.

S. Jér. L'expression dont il se sert: «Que disent les hommes qu'est le Fils de l'homme», est parfaitement choisie, car ceux qui parlent du Fils de l'homme sont des hommes; mais ceux qui comprennent sa divinité sont appelés, non pas des hommes, mais des dieux. - S. Chrys. (hom. 54). Il ne leur demande pas: Que disent de moi les pharisiens et les scribes? mais: «Que disent les hommes ?» Car il cherche à connaître la pensée du peuple, qui n'était pas tourné au mal. L'idée que le peuple avait du Christ était sans doute bien au-dessous de la réalité, mais au moins elle était pure de toute malice, tandis que l'opinion que les pharisiens se formaient de sa personne était pleine de méchanceté.

S. Hil. (can. 16 sur S. Matth). «Que disent les hommes qu'est le Fils de l'homme ?» Il nous apprend par ces paroles que l'on doit voir en lui autre chose que ce qui paraît au dehors, car il était vraiment le Fils de l'homme. Quelle idée voulait-il donc qu'on eût de lui? Non pas, sans doute, celle qu'il avait fait connaître lui-même; la vérité qui faisait l'objet de cet examen était cachée, et c'est cette vérité que la foi des chrétiens doit embrasser. Or, telle doit être notre profession de foi: nous devons croire qu'il est le Fils de Dieu comme il est le Fils de l'homme; car l'une de ces deux croyances, sans l'autre, ne peut en rien nous donner l'espérance du salut; aussi est-ce avec intention qu'il dit: «Que disent les hommes du Fils de l'homme ?» - S. Jér. Il ne dit pas: Que disent-ils que je suis, mais: «Que disent-ils qu'est le Fils de l'homme ?» pour éviter dans cette question toute apparence de recherche personnelle. Remarquons encore que partout où nous lisons dans l'Ancien Testament: Fils de l'homme, le texte hébreu porte: Fils d'Adam.

Orig. Les disciples rapportent les différentes opinions qu'on se formait du Christ: «Et ils lui répondirent: Les uns disent Jean-Baptiste, c'est-à-dire ceux qui partageaient l'opinion d'Hérode (Mt 14,2); les autres, Élie, et ceux-là pensaient ou bien qu'Élie avait reçu une seconde naissance, ou que n'ayant point été autrefois soumis à la mort du corps, il se manifestait dans le temps présent; les autres, Jérémie, que le Seigneur avait établi prophète parmi les nations, et ils ne comprenaient pas que Jérémie était la figure du Christ; ou l'un des prophètes, pour une raison semblable, à cause des choses que Dieu avait révélées aux prophètes, bien qu'elles n'aient pas reçu leur accomplissement en eux, mais seulement dans Jésus-Christ. - S. Jér. Cependant le peuple a bien pu se tromper en prenant le Christ pour Élie et pour Jérémie, de même qu'Hérode qui le prenait pour Jean-Baptiste; aussi suis-je étonné de voir quelques interprètes rechercher les causes de toutes ces erreurs.

S. Chrys. (hom. 54). Après que les disciples lui ont fait connaître l'opinion du peuple, il les presse par une seconde question de se former une plus haute idée de lui; «Et Jésus leur dit: Et vous, qui dites-vous que je suis ?» Vous, dis-je, qui êtes toujours avec moi, qui avez été témoins de plus grands miracles que le peuple, vous ne devez point partager sa manière de voir. Aussi ne leur fît-il pas cette question au début de sa prédication, mais après avoir fait un grand nombre de miracles, et leur avoir souvent parlé de sa divinité. - S. Jér. Remarquez que d'après ce langage du Sauveur, les Apôtres ne sont pas appelés des hommes, mais des dieux, car après avoir dit: «Les hommes, que disent-ils qu'est le Fils de l'homme ?» il ajoute: «Et vous, que dites-vous que je suis ?» c'est-à-dire les hommes qui ne sont que des hommes ont de moi une opinion tout humaine; mais vous qui êtes des dieux, que pensez-vous que je suis ?

Rab. Ce n'est point sans doute par ignorance que le Sauveur s'informe de l'opinion que ses disciples et le peuple peuvent avoir de sa personne; s'il demande à ses disciples ce qu'ils pensent de lui, c'est pour récompenser dignement leur confession de foi, conforme à la vérité. Aussi s'informe-t-il d'abord de l'opinion du peuple, afin qu'après avoir rapporté les jugements de ceux qui se trompent, on soit obligé de reconnaître que les disciples ont puisé la vérité de leur profession de foi, non pas dans les idées du peuple, mais dans une révélation particulière du Sauveur.

S. Chrys. (hom. 54). Lorsque Notre-Seigneur demande quelle opinion le peuple a de lui, tous répondent; mais lorsqu'il demande à ses disciples quelle est leur opinion personnelle, Pierre répond au nom de tous comme étant la bouche et la tête du collège apostolique: «Simon Pierre, prenant la parole, lui dit: Vous êtes le Christ Fils du Dieu vivant». - Orig. Pierre rejette toutes les fausses idées que les Juifs se faisaient de Jésus, et il confesse hautement cette vérité qu'ignoraient les Juifs: «Vous êtes le Christ», et ce qui est bien plus grand: «Le Fils du Dieu vivant», qui avait dit par les prophètes: «Moi je vis, dit le Seigneur (Is 49,18 Jr 22,24 Ez 5,11 Ez 14,16 Ez 14,18 Ez 14,20 Ez 17,19 Ez 18,3 Ez 33,11 Ez 33,27 Ez 34,8) ». On l'appelait vivant, mais d'une manière éminente, parce qu'il est supérieur à tous les êtres qui ont la vie; car seul il possède l'immortalité, et il est la source de la vie. C'est lui que nous appelons dans un sens véritable Dieu le Père. Or, celui qui dit: «Je suis la vie» (Jn 11,25-26 Jn 14,6), est lui-même la vie qui sort comme de la source. - S. Jér. Pierre dit: «Du Dieu vivant», par opposition avec ces dieux qu'on regarde comme des dieux, et qui ne sont que des morts: je veux parler de Saturne, de Jupiter, de Vénus, d'Hercule, et des autres divinités. - S. Hil. Au contraire, la foi vraie et inviolable, c'est que le Fils est sorti Dieu de Dieu, et que de toute éternité il a possédé l'éternité du Père. Croire et confesser qu'il a pris un corps semblable au nôtre, et qu'il s'est fait homme, c'est la perfection de la foi. Aussi la déclaration de l'Apôtre embrasse tout, en formulant aussi clairement la nature et le nom du Christ, et résume toutes les vertus. - Rab. Par un admirable contraste, c'est Notre-Seigneur lui-même qui confesse les humiliations de la nature humaine dont il s'est revêtu, tandis que le disciple proclame les grandeurs de son éternelle divinité.

S. Hil. La confession de Pierre mérita une récompense digne d'elle, parce qu'il avait reconnu le Fils de Dieu sous les dehors de l'homme: «Jésus lui répondit: Vous êtes heureux, Simon, fils de Jean, parce que ce n'est ni le sang ni la chair qui vous ont révélé ceci». - S. Jér. Le Sauveur paie d'un juste retour le témoignage que lui a rendu son apôtre. Pierre lui avait dit: «Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant»; Jésus-Christ lui répond: «Vous êtes heureux, Simon, fils de Jean». Pourquoi? Parce que ce n'est ni la chair ni le sang, mais mon Père qui vous a révélé cette vérité. Ce que la chair ni le sang n'ont pu révéler, l'a été par la grâce de l'Esprit saint. Cette confession lui a donc mérité le nom qui lui est donné de fils de l'Esprit saint, à qui il devait cette révélation; car dans notre langue, Barjona veut dire fils de la colombe. Quelques-uns l'entendent simplement en ce sens que Simon (c'est-à-dire Pierre), était fils de Jean, d'après cette question que le Sauveur lui adressa dans un autre endroit: «Simon, fils de Jean, m'aimez-vous ?» (Jn 21,15) Ils prétendent que c'est par une erreur des copistes qu'au lieu de Bar-joanna, c'est-à-dire: fils de Jean, nous lisons Barjona, avec une syllabe de moins (Jn 1,43). Or, Joanna signifie grâce de Dieu, et ces deux noms peuvent recevoir une interprétation spirituelle, c'est-à-dire que la colombe représente le Saint-Esprit, et la grâce de Dieu, les dons spirituels.

S. Chrys. (hom. 54). Il eût été inutile de dire: Vous êtes le fils de Jona, ou de Joanna, si le Sauveur n'avait eu l'intention de montrer que le Christ est aussi naturellement le Fils de Dieu que Pierre est fils de Jona, c'est-à-dire de la même substance que celui qui l'a engendré.

S. Jér. Comparez ces paroles: «Ce n'est point la chair ni le sang qui vous l'ont révélé», à ces autres de l'Apôtre: «Aussitôt j'ai cessé de prendre conseil de la chair et du sang (Ga 1,16); ce sont les Juifs qu'il veut désigner sous le nom de la chair et du sang, et nous y trouvons une preuve que dans cet endroit, ce n'est point par la doctrine des pharisiens, mais par la grâce de Dieu, que le Christ, Fils de Dieu, a été révélé à Pierre. - S. Hil. Ou bien dans un autre sens, Pierre est heureux parce qu'il a eu le mérite d'étendre ses regards au-delà de ce qui est humain, et que sans s'arrêter à ce qui venait de la chair et du sang, il a contemplé le Fils de Dieu par un effet de la révélation divine, et a été jugé digne de reconnaître le premier que la divinité était dans le Christ.

Orig. (traité 1 sur S. Matth., 16). C'est ici le lieu de demander si, lorsque le Sauveur envoya ses disciples prêcher l'Évangile, ils savaient déjà qu'il était le Christ, car d'après ce passage, Pierre confesse ici pour la première fois que le Sauveur était le Christ, le Fils du Dieu vivant. Comprenez donc, si vous le pouvez, que c'est une grâce bien moindre de croire que de connaître que Jésus est le Christ, et nous dirons alors que lorsqu'il envoyait ses disciples prêcher l'Évangile, ils croyaient qu'il était le Christ, mais qu'ensuite ils arrivèrent jusqu'à le connaître. Ou bien nous répondrons que les Apôtres n'avaient alors que le commencement de la connaissance du Christ et que cette connaissance était très restreinte, mais qu'ensuite ils firent tant de progrès dans cette connaissance, qu'ils comprirent ce que le Père avait révélé du Christ, comme Pierre, que Jésus proclame bienheureux, non seulement pour avoir dit: «Vous êtes le Christ», mais surtout pour avoir ajouté: «Le Fils du Dieu vivant».

S. Chrys. (hom. 54). Or, si Pierre n'avait pas confessé que le Christ est réellement né du Père, il n'aurait pas eu besoin de révélation, et il n'aurait pas été proclamé bienheureux pour avoir cru que le Christ était un des nombreux enfants adoptifs de Dieu. En effet, bien auparavant, ceux qui étaient dans la barque lui avaient dit: «Vous êtes vraiment le Fils de Dieu» (Mt 14,33); Nathanaël lui-même lui avait dit: «Maître, vous êtes le Fils de Dieu» (Jn 1,49). Cependant ils n'ont pas été déclarés bienheureux, parce qu'ils n'ont pas confessé la même filiation que Pierre. Ils croyaient que le Christ était semblable à beaucoup d'autres, mais non pas qu'il fût le Fils de Dieu; ou bien s'ils lui reconnaissaient une supériorité réelle sur tous les autres, ils ne le regardaient cependant pas comme étant né de la substance même du Père. Vous voyez donc comme le Père révèle le Fils, et comment le Fils révèle le Père; car on ne peut connaître le Fils que par le Père, comme on ne peut connaître le Père que par le Fils, ce qui établit clairement que le Fils est consubstantiel au Père, et doit recevoir les mêmes adorations. Or, Jésus prend occasion de cela pour enseigner à ses Apôtres que plusieurs croiront un jour ce que Pierre vient de confesser: «Et moi, je vous dis que vous êtes Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église». - S. Jér. C'est-à-dire parce que vous avez fait cette confession de foi: «Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant», moi je vous dis non point par un discours vain et sans objet, mais je vous dis (car pour moi, dire c'est faire): «Vous êtes Pierre». De même que précédemment lui qui est la véritable lumière avait donné à ses Apôtres le nom de lumière du monde et d'autres noms figuratifs; ainsi il a donné le nom de Pierre à Simon, qui croyait que Jésus-Christ était la pierre par excellence. - S. Aug. (de l'accord des Evang., 2, 53). Il ne faut pas croire cependant que ce fut dans cette circonstance que Pierre reçut son nom; ce nom lui fut donné dans une autre circonstance rapportée par saint Jean, alors que Jésus-Christ lui dit: «Vous vous appellerez Céphas», ce qui veut dire Pierre (Jn 1,42)

S. Jér. C'est en suivant cette métaphore de la pierre que le Sauveur lui dit: C'est sur vous que je bâtirai mon Église, comme il l'ajoute en effet: «Sur cette pierre, je bâtirai mon Église». - S. Chrys. (hom. 54). C'est-à-dire, sur cette foi et sur cette confession, je bâtirai mon Église. Nous apprenons de là qu'un grand nombre croira ce que Pierre vient de confesser, et il élève en même temps son intelligence et lui donne la charge de suprême pasteur. - S. Aug. (Liv. de Retract., 1, 21). J'ai dit dans un certain endroit, de l'apôtre saint Pierre, que l'Église avait été bâtie sur lui comme sur la pierre; mais je me rappelle avoir plus tard expliqué cette parole: «Vous êtes Pierre, et sur cette pierre je bâtirai», etc., en ce sens que d'après ces paroles du Sauveur, l'Église est bâtie sur celui que Pierre a confessé en ces termes: «Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant». De cette manière, l'Apôtre aurait reçu son nom de cette pierre et il représenterait l'Église qui est bâtie sur cette pierre. En effet, le Sauveur ne lui dit pas: Vous êtes la pierre (petra), mais «Vous êtes Pierre» (Petrus); la pierre, c'était le Christ (1Co 10,4) dont Simon a confessé la divinité, comme toute l'Église le confesse, et c'est pour cela qu'il a reçu le nom de Pierre. Le lecteur peut choisir entre ces deux opinions celle qui lui paraîtra la plus probable.

S. Hil. Dans ce nouveau nom donné au prince des Apôtres, nous trouvons un présage heureux de la solidité des fondements de l'Église et une pierre digne de cet édifice qui devait briser et réduire en poudre les lois et les portes de l'enfer et tous les cachots de la mort, et c'est pour montrer la force de l'Église bâtie sur cette pierre que Jésus ajoute: «Et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle». - S. Jér. Les portes de l'enfer sont, à mon avis, les vices et les péchés des hommes, ou du moins les doctrines des hérétiques qui séduisent les hommes et les entraînent dans l'abîme.

Orig. Tous les esprits de malice répandus dans les airs sont aussi les portes de l'enfer auxquelles sont opposées les portes de la justice (Ps 97,19). - Rab. Les portes de l'enfer sont encore les tourments et les séductions que mettent en usage les persécuteurs. Ce sont aussi les oeuvres mauvaises des incrédules, et leurs discours absurdes, parce qu'ils font connaître le chemin de la perdition. - Orig. Notre-Seigneur ne précise pas si c'est contre la pierre sur laquelle le Christ a bâti son Église ou si c'est contre l'Église elle-même, bâtie sur la pierre, que ces portes de l'enfer ne prévaudront pas. Mais il est évident qu'elles ne prévaudront ni contre la pierre, ni contre l'Église. - S. Cyr. D'après cette promesse du Seigneur, l'Église apostolique, placée au-dessus de tous les évêques, de tous les pasteurs, de tous les chefs des Églises et des fidèles, demeure pure de toutes les séductions et de tous les artifices des hérétiques dans ses pontifes, dans sa foi toujours entière et dans l'autorité de Pierre. Tandis que les autres Églises sont déshonorées par les erreurs de certains hérétiques, seule elle règne, appuyée sur des fondements inébranlables, imposant silence et fermant la bouche à tous les hérétiques; et nous, si nous ne sommes ni égarés par une téméraire présomption de notre salut, ni enivrés du vin de l'orgueil, nous confessons et nous prêchons en union avec elle la règle de la vérité et de la sainte tradition apostolique. - S. Jér. Qu'on ne s'imagine pas que ces paroles doivent s'entendre en ce sens que les Apôtres n'ont pas été soumis à la mort, quand on sait la gloire éclatante de leur martyre. - Orig. Et à nous aussi il sera dit: «Vous êtes Pierre». Aussitôt que nous aurons confessé que Jésus-Christ est le Fils du Dieu vivant par un effet de la révélation du Père qui est dans les cieux (Ep 3), c'est-à-dire lorsque nous-mêmes nous vivrons déjà pour ainsi dire dans le ciel. Car la pierre, c'est tout fidèle imitateur du Christ; mais celui contre lequel prévalent les portes de l'enfer n'est ni la pierre sur laquelle le Christ bâtit son Église, ni cette Église, ni aucune partie de cette Église, dont le Seigneur assoit les fondements sur la pierre.

S. Chrys. (hom. 54). Le Sauveur donne ensuite une autre prérogative à Pierre, en ajoutant: «Et je vous donnerai les clefs du royaume des cieux». C'est-à-dire: De même que mon Père vous a fait la grâce de me connaître, je vous accorderai aussi une faveur particulière, c'est-à-dire les clefs du royaume des cieux. - Rab. Celui qui a reconnu et confessé le roi des cieux avec plus d'ardeur que tous les autres reçoit aussi d'une manière plus particulière que tous les autres les clefs du royaume des cieux, afin qu'il fût bien démontré pour tous que sans cette confession et sans cette foi, personne ne peut entrer dans le royaume des cieux. Les clefs du royaume des cieux sont la puissance et le droit de juger: la puissance, pour lier et délier; le pouvoir de juger, de discerner ceux qui sont dignes et ceux qui ne le pas. - La Glose. «Et ce que vous lierez», c'est-à-dire celui que vous aurez jugé indigne d'absolution pendant sa vie, en sera jugé indigne devant Dieu lui-même». Et ce que vous aurez délié», c'est-à-dire celui que vous aurez jugé digne d'être absous ici-bas, recevra de Dieu la rémission de ses péchés. - Orig. Voyez quelle grande puissance a été donnée à cette pierre sur laquelle l'Église est bâtie; ses jugements sont irrévocables, comme si Dieu lui-même les avait prononcés par sa bouche. - S. Chrys. (Hom. 54). Voyez aussi comme Jésus-Christ inspire à Pierre une haute idée de sa personne: il promet de lui donner ce qui n'appartient qu'à Dieu seul, c'est-à-dire le pouvoir de remettre les péchés et de rendre l'Église immuable au milieu de toutes les tempêtes, des persécutions et des souffrances.

Rab. Quoique le Seigneur paraisse donner exclusivement à Pierre ce pouvoir de lier et de délier, il l'accorde également aux autres Apôtres (Mt 18,18) et maintenant encore à toute l'Église dans la personne des évêques et des prêtres; mais Pierre a reçu d'une manière plus particulière les clefs du royaume des cieux et la primauté du pouvoir judiciaire, afin que tous les fidèles répandus dans l'univers comprennent que du moment où, de quelque manière que ce soit, on se sépare de l'unité de la foi ou de la société de Pierre, on ne peut être délivré des liens du péché, ni voir ouvrir devant soi les portes du royaume du ciel.

La Glose. Notre-Seigneur a donné d'une manière particulière ce pouvoir à Pierre pour nous inviter à l'unité; il l'a établi prince des Apôtres afin que l'Église eût au-dessus de tous les autres un seul vicaire de Jésus-Christ, auquel tous les membres de l'Église pussent recourir si la division venait à s'introduire parmi eux; s'il y avait plusieurs chefs dans l'Église, le lien de l'unité serait rompu. Quelques-uns prétendent que cette expression: «Sur la terre» signifie que ce pouvoir de lier et de délier ne lui a été donné que sur les vivants et non sur les morts, car celui qui exercerait ce pouvoir sur les morts ne l'exercerait pas sur la terre.

Conc. de Constant. Comment s'en trouve-t-il qui osent dire que ce pouvoir ne doit s'exercer que sur les vivants? Ignorent-ils donc que la sentence d'anathème n'est autre chose qu'une sentence de séparation? On doit toujours éviter tout commerce avec ceux qui sont esclaves de crimes énormes, qu'ils soient du nombre des vivants ou parmi les morts, car on doit toujours se séparer de ce qui est coupable et nuisible. D'ailleurs nous avons d'Augustin, de pieuse mémoire, et qui jeta un si vif éclat parmi les évêques d'Afrique, plusieurs lettres où il enseigne qu'il faut anathématiser les hérétiques même après leur mort. Les autres évêques d'Afrique ont conservé cette tradition ecclésiastique, et la sainte Église romaine elle-même a anathématisé aussi quelques évêques après leur mort, quoique leur foi n'eût pas été incriminée pendant leur vie.

S. Jér. Quelques évêques et quelques prêtres qui n'ont pas l'intelligence de ce passage, affectent en quelque sorte d'imiter la conduite orgueilleuse des pharisiens en condamnant les innocents et en s'imaginant qu'ils peuvent absoudre les coupables, lorsqu'ils devraient savoir que Dieu tient compte non tant de la sentence des prêtres que des dispositions des coupables. Nous lisons, dans le passage du Lévitique qui ordonne aux lépreux de se présenter devant les prêtres (Lv 13-14), que, s'ils sont atteints de la lèpre, ils soient alors déclarés impurs par le prêtre, non pas que ce soient les prêtres qui les rendent lépreux et impurs, mais parce qu'ils connaissent les caractères qui distinguent le lépreux de celui qui ne l'est pas, celui qui est pur de celui qui est impur. De même donc que dans l'ancienne loi le prêtre déclarait le lépreux impur, ainsi l'évêque ou le prêtre exercent le pouvoir de lier et de délier, non pas à l'égard de ceux qui sont innocents et purs, mais dans ce sens qu'après avoir entendu la confession des diverses espèces de péchés, ils savent quels sont ceux qu'ils doivent lier et ceux qui méritent d'être déliés.

Orig. Celui donc qui exerce le pouvoir de lier et de délier de manière à être jugé vraiment digne d'exercer ce pouvoir dans le ciel est irrépréhensible. Or, les clefs du royaume des cieux sont données aussi comme récompense à celui qui par ses vertus peut fermer les portes de l'enfer». En effet, lorsqu'un homme commence à pratiquer toutes les vertus chrétiennes, il s'ouvre à lui-même la porte du royaume des cieux, c'est-à-dire que le Seigneur la lui ouvre par sa grâce, de manière que la même vertu est tout à la fois la porte et la clef de la porte. Peut-être même pourrait-on dire que chacune des vertus est le royaume des cieux.



Catena Aurea 4529