Catena Aurea 5117

vv. 17-22

5117 Mt 21,17-22

S. Chrys. (sur S. Matth). On triomphe plus facilement de la malice en lui cédant qu'en essayant de lui résister; car les discours, loin de l'éclairer, la rendent plus violente. Aussi le Seigneur cherche-t-il a apaiser, en s'éloignant, ceux que ses paroles n'ont pu calmer: «Et les ayant laissés là, il sortit de la ville, et s'en alla à Béthanie». - S. Hil. Nous devons conclure de là que Notre-Seigneur était si pauvre, et d'ailleurs si éloigné de flatter personne, que dans une si grande ville, il ne trouva pas un seul hôte, une seule demeure, et qu'il fut obligé de se retirer dans un petit bourg, chez Lazare et ses soeurs; ce bourg qu'ils habitaient, s'appelait Béthanie. «Et il y demeura», ajoute le texte sacré. - S. Chrys. (sur S. Matth). Afin de trouver le repos du corps là où il jouissait du repos de l'âme, car c'est un des caractères des saints d'aimer à se fixer dans les maisons où brille, non le luxe des splendides festins, mais l'éclat de la vertu et de la sainteté.


S. Jér. Lorsque les ténèbres de la nuit furent dissipées, le Seigneur étant revenu à Jérusalem, éprouva le besoin de la faim. «Le matin, dit l'Évangéliste, comme il retournait dans la ville, il eut faim ?» et il donnait ainsi la preuve qu'il s'était vraiment revêtu de la nature humaine. - S. Chrys. (hom. 67). Car en laissant son corps souffrir ce qui est dans sa nature, il prouvait qu'il était sujet à la souffrance. - Bède. Remarquez le zèle toujours croissant de cet ouvrier infatigable, il retourne le matin à la ville pour y prêcher de nouveau, et gagner quelques âmes à son Père. - S. Jér. Or, le Seigneur, avant de souffrir à la vue du peuple et de porter le scandale de la croix, voulut raffermir l'âme de ses disciples par un miracle qui précédât ses humiliations. «Et voyant un figuier, il s'en approcha». - S. Chrys. (hom. 67). Ce n'est point parce qu'il avait faim, qu'il s'en approchait, mais dans l'intérêt de ses disciples, car comme il répandait partout ses bien faits, sans jamais châtier personne, et qu'il fallait cependant donner des exemples de sa justice toute-puissante, il choisit, non pas les hommes, mais un arbre pour en établir la vérité. - S. Hil. (can. 21). C'est en cela qu'il nous donne une preuve de sa bonté. En effet, lorsqu'il voulut prouver par des exemples qu'il venait sauver le monde, il fit sentir les effets de sa toute-puissance aux corps des hommes, établissant ainsi l'espérance des biens futurs, et le salut des âmes par la guérison des maux de cette vie; mais maintenant qu'il veut donner un exemple de sa sévérité contre les rebelles opiniâtres, c'est en faisant mourir un arbre qu'il nous donne l'image des châtiments futurs: «Et il lui dit: Qu'éternellement, aucun fruit ne naisse de toi». - S. Jér. Ou «dans aucun temps»; car le mot grec peut recevoir l'un et l'autre sens.

S. Chrys. (hom. 67). Ce fut seulement dans l'opinion des disciples que ce figuier avait été maudit, parce qu'il ne portait point de fruit; mais pourquoi donc fut-il maudit? pour l'instruction des Apôtres, qui apprenaient ainsi que le Sauveur pourrait mettre à mort ceux qui le crucifièrent. Il est dit, en effet: «Et au même moment le figuier se sécha». Ce ne fut pas sur un autre arbuste, mais sur celui de tous qui a le plus de sève qu'il fit ce miracle, pour le rendre plus éclatant. Or, lorsque vous voyez que des plantes ou des animaux sont l'objet de semblables prodiges, ne demandez pas comment ce figuier a été desséché avec justice, si ce n'était pas le temps des fruits; cette question serait de la dernière folie, puisque dans de semblables objets, il ne peut être question ni de faute ni de peine, mais considérez attentivement ce miracle, et admirez la puissance de celui qui l'opère. C'est ce que font les disciples: «Ce que les disciples ayant vu, ils furent saisis d'étonnement», etc. - La Glose. Le Créateur ne commet pas d'injustice à l'égard de celui à qui appartient un objet quelconque, en usant de sa créature comme il l'entend pour l'utilité des autres. - S. Chrys. (hom. 67). Or, pour vous apprendre que c'est pour l'utilité de ses disciples, c'est-à-dire pour exciter en eux une grande confiance, qu'il a opéré ce miracle, écoutez ce qu'il ajoute: «Alors Jésus leur dit: Je vous le dis en vérité, si vous avez de la foi», etc. - S. Jér. Les chiens des Gentils aboient contre nous, en affirmant que les Apôtres n'ont pas eu la foi, puisqu'ils n'ont pu transporter des montagnes. Nous leur répondons que Notre-Seigneur a fait un grand nombre de miracles qui ne sont pas rapportés par les Évangélistes, et nous croyons également que les Apôtres ont opéré des prodiges de cette nature, mais que les auteurs sacrés n'ont pas rapportés, pour ne pas donner aux infidèles une nouvelle occasion de contredire les vérités chrétiennes. Demandons leur, en effet, s'ils croient ou non aux miracles écrits dans l'Évangile, et, en voyant leur incrédulité à cet égard, nous serons autorisés à conclure qu'ils n'auraient pas cru davantage à de plus grands prodiges.

S. Chrys. (hom. 67). Or, c'est à la prière et à la foi que le Seigneur attribue cette puissance, et c'est pour cela qu'il dit de nouveau: «Toutes les choses que vous demanderez». - Orig. Car les disciples de Jésus-Christ ne demandent rien qui ne soit digne d'être demandé, et pleins de foi dans leur divin: Maître, ils ne demandent que des biens supérieurs aux biens périssables et mortels. - Rab. Or, toutes les fois que nos prières ne sont pas exaucées, cela vient de ce que nous avons demandé des choses contraires à notre sal ut; ou de ce que les mauvaises dispositions de notre âme nous ont rendu indignes d'obtenu ce que nous demandions pour les autres; ou bien enfin, Dieu diffère de nous accorder l'effet de notre prière, pour accroître nos désirs, et nous faire recevoir d'une manière plus parfaite les grâces que nous demandons.

S. Aug. (de l'accord des Evang., 2, 68). Remarquons que les disciples s'étonnèrent de ce que le figuier s'était desséché, et que le Seigneur leur fit connaître l'efficacité de la foi, non pas le deuxième jour où il maudit cet arbre, mais le troisième jour, comme saint Marc le rapporte. En effet, cet Évangéliste raconte que le second jour, Notre-Seigneur chassa les marchands du temple, ce qu'il avait omis le premier jour; le second jour, il dit que le soir étant venu, Jésus sortit de la ville, et que le lendemain matin les Apôtres virent en passant le figuier desséché. D'après le récit de saint Matthieu, au contraire, tout se serait passé le second jour. Lors donc que cet Évangéliste dit: «Et aussitôt le figuier fut desséché»; et que passant tout les événements du second jour, il ajoute immédiatement: «Ce qu'ayant vu les disciples, ils furent saisis d'étonnement», il faut l'entendre en ce sens que ce n'est pas le même jour que le Seigneur vit et maudit le figuier que les disciples furent dans l'étonnement. En effet, ce n'est pas au moment qu'ils le virent desséché que le figuier se dessécha, mais aussitôt qu'il eût été maudit; car ils ne le virent pas se desséchant, mais tout à fait desséché, et c'est ce qui leur fit comprendre qu'il s'était desséché tout d'un coup, à la parole de leur divin Maître.

Orig. (traité 16 sur S. Matth). Dans le sens mystique, le Seigneur, ayant quitté les princes des prêtres et les scribes, sort de la Jérusalem terrestre, ce qui fut la cause de sa ruine. Il vient à Béthanie, la maison de l'obéissance, c'est-à-dire dans l'Église. Lorsqu'il s'y est reposé, après avoir jeté les premiers fondements de l'Église, il retourne dans la ville qu'il avait quittée auparavant, et c'est en y retournant qu'il eut faim. - S. Chrys. (sur S. Matth). Or, si la faim qu'il éprouvait avait été naturelle et avait eu pour objet la nourriture du corps, il ne l'aurait pas ressentie le matin; cette faim du matin, c'est donc la faim du salut des âmes. - S. Jér. Cet arbre qu'il rencontre dans le chemin, c'est la synagogue; elle était le long du chemin, parce qu'elle avait la loi, mais elle ne croyait pas à la voie véritable qui est Jésus-Christ.

S. Hil. (can. 21). Elle est comparée au figuier, parce que les Apôtres, qui furent les premiers d'entre les Juifs pour croire en Jésus-Christ, précéderont les autres, comme des figues précoces, par la gloire et l’époque de leur résurrection. - S. Chrys. La figue, qui renferme une multitude de grains sous une même enveloppe, est comme la réunion de la multitude des fidèles. Or, le Seigneur ne trouve sur le figuier que des feuilles, c'est-à-dire les traditions pharisaïques, et toutes les prétentions orgueilleuses de la loi, sans aucun fruit de vérité. - Orig. Et comme cet arbre, pris au figuré, était pour ainsi dire animé, Notre-Seigneur lui dit, comme s'il était capable de l'entendre: «Que jamais fruit ne naisse de toi». C'est ainsi que la synagogue des Juifs est frappée de stérilité, et qu'elle demeurera sans fruits jusqu'à la fin du monde, jusqu'à ce que la multitude des nations soit entrée dans l'Église, Ce figuier s'est desséché pendant que Jésus-Christ était encore sur la terre, et les Apôtres, voyant avec les yeux de l'âme ce mystère de la foi frappé de stérilité, furent saisis d'étonnement, et immédiatement, en fidèles disciples de Jésus-Christ, et sans la moindre hésitation, ils abandonnent la synagogue qui se dessèche aussitôt, parce que les Apôtres portent aux Gentils toute la sève vivifiante de la grâce. De même encore lorsqu'ils amènent quelqu'un à la foi, on peut dire qu'ils transportent une montagne, c'est-à-dire Satan, et la précipitent dans la mer, c'est-à-dire dans l'abîme. - S. Chrys. (hom. 67). Ou bien la mer signifie la grande confusion du monde où se trouvent des eaux Salées, c'est-à-dire des peuples impies. - Rab. Car Satan se venge d'être chassé du milieu des élus en se déchaînant avec plus de fureur Contre les réprouvés. - S. Aug. (Quest. évang., 1, 29). Ou bien, c'est le langage que le serviteur de Dieu doit tenir à la montagne de l'orgueil pour la repousser loin de lui. Ou bien encore, comme c'est par les Apôtres que l'Évangile a été prêché, le Seigneur, qui est appelé la montagne, a été jeté par les Juifs au milieu des Gentils comme au sein de la mer. - Orig. Tout homme aussi qui se rend docile à la parole de Dieu, est Béthanie, et Jésus-Christ repose dans son coeur. Il abandonne les méchants et les pécheurs, mais lorsqu'il sera au milieu des justes, il ira encore vers d'autres sans quitter les premiers; car il n'abandonne pas Béthanie en venant à Jérusalem. Or, le Seigneur éprouve toujours le besoin de la faim dans les justes, et désire se nourrir en eux des fruits de l'Esprit saint, qui sont à la fois la charité, la joie et la paix (Ga 5,22). Ce figuier, qui n'avait que des feuilles sans porter de fruits, était près du chemin. - S. Chrys. (sur S. Matth). C'est-à-dire dans le monde; car celui qui vit selon le monde ne peut produire les fruits de la justice. - Orig. Or, si le Seigneur vient au milieu des tentations et des épreuves pour recueillir des fruits, et qu'il rencontre un chrétien qui n'ait que la profession extérieure de la foi, c'est-à-dire des feuilles sans fruits, ce chrétien est bientôt frappé de stérilité, et perd même jusqu'au caractère extérieur du christianisme. Tout disciple peut dessécher ainsi un figuier en lui montrant qu'il est tout à fait vide de la sève vivifiante de Jésus-Christ. C'est ainsi que Pierre dit à Simon le Magicien: « Votre coeur n'est pas droit devant Dieu». Il vaut bien mieux qu'un figuier trompeur qui n'a que l'apparence de la vie, et qui ne porte aucun fruit, soit frappé de stérilité par la parole des disciples de Jésus-Christ, que de tromper et de dérober par un faux semblant de religion la confiance des coeurs simples et innocents. Il y a aussi dans tout coeur incrédule une montagne proportionnée à son incrédulité, et que la parole seule des disciples de Jésus-Christ peut faire disparaître.


vv. 23-27

5123 Mt 21,23-27

S. Chrys. (sur S. Matth). Les prêtres, témoins de l'entrée si glorieuse de Jésus-Christ dans le temple, furent en proie à une violente jalousie, et ne pouvant contenir dans leur âme l'ardeur de cette passion qui les dévorait, ils la laissent éclater dans leurs paroles: «Et lorsqu'il fut entré dans le temple, les princes des prêtres et les anciens du peuple vinrent le trouver». - S. Chrys. (hom. 67). Ils ne peuvent calomnier ses miracles, ils l'attaquent sur la défense qu'il a faite de vendre dans le temple, comme s'ils lui disaient: Est-ce que vous occupez la chaire des docteurs? est-ce que vous avez reçu la consécration sacerdotale pour déployer une si grande autorité? - S. Chrys. (sur S. Matth). Par les paroles qui suivent: «Et qui vous a donné ce pouvoir ?» ils reconnaissent qu'il y a plusieurs dignités qui ont le droit de conférer sur la terre la puissance extérieure ou même la puissance spirituelle, et ils semblent dire au Sauveur: «Vous n'êtes pas d'une famille sacerdotale; ni le sénat ni César ne vous ont investi de ce pou voir». S'ils avaient cru que tout pouvoir vient de Dieu, ils ne lui auraient jamais fait cette question: «Qui vous a donné ce pouvoir ?»Car tout homme juge les autres d'après lui-même; le fornicateur ne peut croire qu'il existe un homme chaste; l'homme chaste, au contraire, ne croit pas facilement à la fornication, c'est ainsi que celui que Dieu n'a point établi prêtre, ne croit pas qu'il puisse y avoir de sacerdoce qui vienne de Dieu. - S. Jér. Ou bien, on peut dire qu'ils renouvellent ici la même calomnie qu'ils avaient faite autrefois lorsqu'ils disaient: «C'est par Béelzébub, prince des démons, qu'il chasse les démons». En effet, ces paroles: «Par quelle autorité faites-vous ces choses ?» ne sont-elles pas un doute formel que ce soit au nom de la puissance de Dieu, et ne laissent-elles pas sous-entendre que c'est au nom du démon que Jésus opère ces merveilles? Ils ajoutent: «Et qui vous a donné ce pouvoir ?» et ils nient par là ouvertement qu'il soit le Fils de Dieu, en croyant que c'est par une puissance étrangère et non par sa propre vertu qu'il opère des miracles. Or, Notre-Seigneur pouvait réfuter les calomnies de ceux qui le tentaient, par une réponse claire et sans réplique; mais il aime mieux leur poser une question pleine de prudence, pour qu'ils trouvent leur condamnation, ou dans leur silence ou dans leur science prétendue. «Jésus leur répondit: J'ai moi-même une question à vous faire». - S. Chrys. (sur S. Matth). Ce n'est pas dans le dessein que leur réponse les rende plus dociles, mais pour les embarrasser et les empêcher de le questionner davantage; car il avait lui-même donné le précepte de ne pas donner les choses saintes aux chiens. D'ailleurs, eût-il répondu à leur question, c'eût été sans résultat; car les ténèbres, dont la volupté est environnée, ne lui permettent pas de se laisser pénétrer par la lumière. Il faut éclairer celui qui interroge pour s'instruire; mais pour celui qui ne questionne que pour tendre des pièges, il suffit de le confondre par une réponse pleine de sens, sans lui faire connaître les secrets du mystère qu'il veut pénétrer. Le Seigneur les embarrasse donc dans la question qu'ils lui ont faite par celle qu'il leur adresse, et comme ils ne pouvaient échapper à cette difficulté, il ajoute: «Et si vous m'y répondez, je vous dirai par quelle autorité je fais ceci». Or, voici la question qu'il leur pose: «Le baptême de Jean, d'où était-il? du ciel ou des hommes ?» - S. Aug. (traité 5 sur S. Jean). Jean reçut le pouvoir de baptiser de celui qu'il baptisa lui-même par la suite, et ce baptême qu'il avait reçu le pouvoir de donner, est appelé ici le baptême de Jean. Il est le seul qui ait reçu une telle faveur, et aucun juste avant lui, aucun juste après lui n'a reçu le pouvoir de donner un baptême qui portât son nom. Car Jean vint baptiser dans l'eau de la pénitence pour préparer les voies au Seigneur, mais sans purifier les âmes, ce que ne peut faire un simple mortel.

S. Jér. Or, nous voyons dans ces paroles suivantes: «Mais ils raisonnaient ainsi en eux-mêmes», le conseil qu'ils tinrent sous l'inspiration de leur malice. S'ils répondaient: le baptême de Jean venait du ciel, il était naturel de leur répliquer: «Pourquoi donc n'avez-vous pas reçu ce baptême de Jean ?» S'ils répondaient, au contraire, que ce baptême était d'invention humaine, et n'avait rien de divin, ils craignaient de soulever une sédition parmi le peuple; car il s'était porté en foule pour recevoir le baptême de Jean, et le regardait comme un prophète. Cette faction d'impiété lui répondit donc, et pour mieux cacher ses intentions perfides, elle a recours à cet aveu plein d'humilité, qu'elle ne savait que répondre. «Ils répondirent donc à Jésus: Nous ne savons». Cette réponse était un véritable mensonge, et il semble que le Seigneur aurait dû leur rendre la pareille, en leur disant: «Ni moi non plus je ne sais pas». Mais la vérité est incapable de mensonge. «Il leur répondit donc: Je ne vous dirai point non plus par quelle autorité je fais ceci». Il leur démontre ainsi qu'ils le savent fort bien, mais qu'ils ne veulent pas répondre, et qu'il sait aussi que répondre, mais qu'il ne veut pas le faire, parce qu’eux-mêmes ne veulent pas dire ce qu'ils savent.

Orig. (Traité XVII Sur S. Matth). On trouvera peut-être qu'il était ridicule de demander à Jésus par quelle autorité il faisait ces choses, car il était impossible qu'il répondît que c'était au nom du démon. L'homme de péché (2Th 2), lui-même, ne pourrait répondre, ce qui serait vrai cependant, qu'il agit par la puissance du démon. Dira-t-on que les princes des prêtres ne lui faisaient cette question que pour l'intimider, comme lorsque nous voyons un homme qui entre prend sur notre terrain des choses qui ne nous conviennent pas, nous lui disons pour l'effrayer et le faire cesser: «Qui vous a commandé d'agir ainsi ?» Mais alors, pourquoi le Sauveur leur a-t-il dit: «Répondez d'abord à ma question, et je vous dirai, moi aussi, par quelle autorité je fais ces choses». Voici donc l'explication vraisemblable de ce passage. On distingue, en général, deux pouvoirs opposés; l'un qui vient de Dieu, et l'autre qui vient de Satan; mais, dans les cas particuliers, il faut en admettre un plus grand nombre. Ainsi ce n'était pas la même puissance qui agissait dans les prophètes, lorsqu'ils faisaient des miracles, mais cette puissance était différente dans les différents prophètes. Peut-être cette puissance était moindre pour des choses moins importantes, et plus grande pour de plus grandes circonstances. Or, les princes des prêtres, voyant Jésus opérer une foule de prodiges, voulaient apprendre de sa bouche de quelle espèce et de quelle nature était la puissance au nom de laquelle il agissait. Ceux qui avaient fait des miracles avaient commencé d'agir à l'aide d'un pouvoir limité, et à mesure qu'ils avançaient ils avaient reçu une puissance plus grande; mais, pour le Sauveur, il a opéré tous ses miracles par la seule et même puissance qu'il a reçue de son Père. Or, comme les princes des prêtres n'étaient pas dignes d'entendre de tels mystères, Jésus ne veut pas leur répondre, et, au contraire il les interroge lui-même. - Rab. Il y a deux raisons de cacher la vérité à ceux qui semblent la chercher, lorsque celui qui interroge est incapable de la comprendre, ou bien lors que la haine ou le mépris de la vérité le rendent indigne qu'on lui explique ce qu'il demande.


vv. 28-32

5128 Mt 21,28-32

S. Jér. Après les avoir confondus de la sorte, Notre-Seigneur leur propose une parabole destinée à les convaincre d'impiété et à leur montrer que le royaume de Dieu doit être donné aux Gentils, et il la commence en ces termes: «Mais que vous en semble ?» - S. Chrys. (sur S. Matth). Il choisit pour juges ceux qu'il accuse comme coupables, afin de leur ôter toute espérance d'être absous après qu'ils se seront condamnés eux-mêmes. Il faut avoir une grande confiance dans la justice d'une cause pour en remettre la décision à l'adversaire lui-même. Or, c'est sous les emblèmes des paraboles que Jésus retrace leur conduite, afin qu'ils ne comprennent pas que c'est contre eux-mêmes qu'ils vont prononcer une sentence de condamnation: Et il leur dit: «Un homme avait deux fils», etc. Quel est cet homme, si ce n'est Dieu le Créateur de tous les hommes? Cependant, quoique maître et souverain par nature, il aime mieux être aimé comme père que craint comme maître et seigneur. L'aîné de ces deux enfants, c'est le peuple des Gentils, et le second, le peuple juif; car les Gentils descendaient de Noé (Gn 10), tandis que les Juifs avaient Abraham pour père. «Et s'adressant au premier, il dit: Mon fils, allez-vous-en aujourd'hui», etc.; aujourd'hui, c'est-à-dire pendant la durée de la vie présente. Or, Dieu lui a parlé, non pas extérieurement comme un homme, mais intérieurement comme Dieu, en répandant l'intelligence dans son âme. Travailler à la vigne, c'est pratiquer la justice, et je ne sais s'il y a un seul homme qui puisse la pratiquer dans toute son étendue. - S. Jér. C'est d'abord au peuple des Gentils que Dieu dit par la voix de la loi naturelle: «Allez et travaillez à ma vigne», c'est-à-dire: ne faites jamais à un autre ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fit. Mais sa réponse fut pleine d'orgueil. «Et son fils lui répondit: «Je ne veux pas y aller». - S. Chrys. (sur S. Matth). En effet, les nations qui ont abandonné Dieu dès le commencement pour se livrer au culte des idoles et à toutes sortes de péchés semblent dire dans leur coeur: «Nous ne voulons pas accomplir la justice de Dieu». - S. Jér. Mais ensuite, lors de l'avènement du Sauveur, le peuple des Gentils fit pénitence et travailla dans la vigne de Dieu, et répara par l'activité de son travail l'indocilité de sa réponse, comme nous le voyons dans la suite de la parabole: «Mais après, étant touché de repentir, il y alla».

«Il vint ensuite trouver l'autre et lui fit le même commandement. Celui-ci répondit: J'y vais, Seigneur». - S. Jér. Ce second fils, c'est le peuple juif qui répondit à Moïse: «Nous ferons toutes les choses que le Seigneur nous a dites» (Ex 24,3). - S. Chrys. (sur. S. Matth). Mais ils se détournèrent ensuite de Dieu et se rendirent coupables de mensonge envers lui, selon ces paroles du roi-prophète: «Des fils rebelles ont menti contre moi» (Ps 17,46), et c'est ce qui est exprimé par ces mots: «Et il n'y alla point». Le Sauveur leur fait ensuite cette question: «Lequel des deux a fait la volonté de son père? Le premier, lui dirent-ils». Voyez comme ils ont prononcé leur propre condamnation, en reconnaissant que c'est l'aîné des enfants, le peuple des Gentils qui a fait la volonté de son père; car il est bien mieux de ne pas promettre d'accomplir les commandements de Dieu et de l'accomplir, en effet, que de faire des promesses et d'y être infidèle. - Orig. (Traité 18 sur S. Matth). On peut donc admettre que le Seigneur, dans cette parabole, a voulu parler de ceux qui ne promettent rien ou presque rien, et qui accomplissent cependant de grandes choses, et condamner ceux qui font de grandes promesses et n'en accomplissent aucune. - S. Jér. Il est bon de remarquer que dans les exemplaires authentiques on lit, non pas «le dernier», mais «le premier», et ainsi les Juifs sont condamnés par leur propre jugement. Mais, en supposant qu'il faille lire: «Le dernier», comme le portent quelques manuscrits, l'interprétation est claire, et nous dirons que les Juifs, tout en comprenant la vérité, ont usé de détours à son égard, et n'ont pas voulu dire ce qu'ils pensaient; comme nous les voyons refuser de dire ce qu'ils savaient fort bien que le baptême de Jean venait du ciel.

S. Chrys. (sur S. Matth). Notre-Seigneur confirme pleinement leur jugement: «Et Jésus leur dit: Je vous dis en vérité que les publicains et les femmes de mauvaise vie vous devanceront dans le royaume de Dieu», c'est-à-dire: ce n'est pas seulement le peuple des Gentils, mais les publicains et les femmes prostituées qui valent mieux que vous. - Rab. On peut entendre par le royaume de Dieu l'Évangile et l'Église actuelle, dans laquelle les nations ont précédé les Juifs, car elles ont embrassé bien plutôt la foi. - Orig. Toutefois on ne peut conclure de ce fait que les Juifs n'entreront pas un jour dans le royaume de Dieu, mais ce ne sera que lorsque la plénitude des nations y sera entrée que tout Israël sera sauvé (Rm 11,25-26). - S. Chrys. (sur S. Matth). Je pense que les publicains représentent ici tous les pécheurs, et les femmes de mauvaise vie, toutes les femmes pécheresses; car l'avarice est le péché le plus commun chez les hommes, comme la volupté sensuelle chez les femmes. La femme demeure chez elle comme renfermée dans le repos, et le désordre prend sa source surtout dans l'oisiveté. L'homme, au contraire, dont la vie se passe toute entière parmi les préoccupations d'affaires de tout genre, tombe plus facilement dans le péché d'avarice; mais il est moins exposé aux désordres de la volupté, à moins qu'il ne soit de moeurs tout à fait dissolues, car les soins et les soucis des affaires particulières aux hommes sont presque toujours un préservatif contre la volupté, qui est par conséquent le vice des jeunes gens inoccupés. Or, le Sauveur donne les raisons de ce qu'il vient de dire en ajoutant: «Jean est venu à vous dans la voie de la justice, et vous ne l'avez pas cru». - Rab. Jean vint pour prêcher la voie de la justice, car il montra du doigt le Christ, qui est la consommation de la loi (Rm 10,4). Ou bien il marcha d'une manière si éclatante dans la voie de la justice, que sa vie sainte et vénérable fit une profonde impression sur le coeur des pécheurs: «Les publicains et les femmes de mauvaise vie, au contraire, l'ont cru». Considérez combien la vie sainte d'un prédicateur donne de force à sa prédication, puisqu'elle triomphe des coeurs les plus indomptés. «Pour vous, qui avez vu (la conversion de ces grands pécheurs), vous n'avez pas été touchés de repentir, ni portés à le croire». C'est-à-dire: Les publicains et les femmes pécheresses ont fait ce qu'il y a de plus difficile en croyant, et pour vous, vous n'avez même pas fait pénitence, ce qui était beaucoup plus facile. Cette explication que nous avons donnée d'après un grand nombre d'interprètes me paraît renfermer une contradiction; car, si par ces deux enfants il faut entendre les Juifs et les Gentils, après que les prêtres ont répondu à la question qui leur était faite que c'est le premier qui a fait la volonté de son père, Jésus-Christ aurait dû conclure en ces termes: «Je vous dis en vérité, les Gentils vous précéderont dans le royaume de Dieu», tandis qu'il s'exprime de cette manière «Les publicains et les femmes de mauvaise vie vous précéderont dans le royaume de Dieu», ce qui paraît indiquer plutôt le sort des gens de basse condition que celui des Gentils. Mais on peut, comme nous l'avons dit, entendre ce passage en ce sens: Le peuple des Gentils l'emporte tellement sur vous aux yeux de Dieu, que les publicains eux-mêmes et les femmes de mauvaise vie lui sont plus agréables que vous. - S. Jér. Aussi en est-il qui pensent que cette parabole a pour objet non pas les Gentils et les Juifs, mais simplement les pécheurs et les justes. Ils se fondent sur ce que les pécheurs, après avoir refusé de servir Dieu en commettant le mal, ont ensuite reçu de Jean-Baptiste le baptême de pénitence, tandis que les pharisiens, qui faisaient profession de justice et qui se vantaient de leur fidélité à la loi de Dieu, méprisèrent le baptême de Jean et ne voulurent pas accomplir ses préceptes. - S. Chrys. (sur S. Matth). Jésus leur a proposé cette parabole, parce que ce n'est point pour connaître la vérité, mais pour lui tendre un piège qu'ils lui ont adressé cette question: «Par quelle autorité faites-vous ces choses ?» Or, comme il y en avait un grand nombre qui avaient cru parmi le peuple, il leur propose cette parabole des deux fils pour leur montrer que les hommes du peuple, qui ont toujours mené la vie séculière valent mieux que les prêtres qui ont toujours fait profession de servir Dieu. En effet, les hommes du peuple finissent quelquefois par se repentir et par revenir à Dieu, tandis que les prêtres confirmés dans l'impénitence ne cessent de pécher contre Dieu. Or, l'aîné de ces deux enfants, c'est le peuple, car le peuple n'est pas pour les prêtres, mais ce sont les prêtres qui sont établis pour le peuple.


vv. 33-44


5133 Mt 21,33-44

S. Chrys. (hom 68). A cette première parabole le Sauveur en ajoute une autre, pour montrer que les Juifs sont beaucoup plus coupables encore et indignes de tout pardon. Écoutez une autre parabole: «Il y avait un homme, etc.» - Orig. (Traité 19 sur S. Matth). Cet homme, père de famille, c'est Dieu qui prend le nom d'homme dans quelques paraboles, comme un père qui bégaie avec son petit enfant, et qui descend jusqu'à son langage enfantin pour l'instruire plus facilement. - S. Chrys. (sur S. Matth). On donne à Dieu le nom d'homme, non pas sans doute qu'il en ait la nature, il l'est par comparaison et non pas en réalité; et le Fils, qui prévoyait que ce nom qu'il portait lui-même donnerait lieu aux blasphèmes de ceux qui le regardaient comme un simple mortel, a voulu le donner à son Père, Dieu invisible, qui, par nature, est le Seigneur des anges et des hommes, et qui en est le père par sa bonté. - S. Jér. C'est lui qui a planté la vigne dont Isaïe a dit: «La vigne du Seigneur des armées est la maison d'Israël » (Is 5,7; cf. Ps 80).

Suite. - «Et il l'entoura d'une haie». - S. Jér. Cette haie, ce sont les murs de la cité ou les secours des anges. - S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien, par cette haie, il faut entendre que cette vigne est confiée à la garde des saints patriarches, qui sont devenus comme un rempart pour le peuple d'Israël. - Orig. Ou bien encore, la garde de Dieu, c'est la haie qui entoure cette vigne, et le pressoir le lieu où se faisaient les libations: «Et il y fit un pressoir» - S. Jér. Ce pressoir c'est l'autel, ou bien les pressoirs qui forment le titre des Ps 8 Ps 81 Ps 84 (Heb.); pressoirs qui désignent les martyrs. - S. Hil. (can. 22). Ou bien Dieu a préparé les prophètes comme autant de pressoirs dans lesquels les flots de l'Esprit saint devaient se répandre en abondance, comme un vin qui bouillonne. - S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien encore, le pressoir c'est la parole de Dieu qui crucifie l'homme, malgré les contradictions de la chair.

«Et il y bâtit une tour». - S. Jér. C'est-à-dire le temple, dont le prophète Michée a dit: «Et la tour de la fille de Sion qui est environnée de nuages» (Mi 4,8). - S. Hil. Ou bien, par cette tour, il faut entendre l'élévation de la loi qui, sortant de la terre, élevait les hommes jusqu'au ciel, et du haut de laquelle on pouvait découvrir dans le lointain des âges l'avènement du Christ.

«Et il la loua à des vignerons». S. Chrys. (sur S. Matth). Ce fut lorsque Moïse établit des prêtres et des lévites d'après la loi, et qu'ils reçurent le pouvoir de gouverner le peuple de Dieu. Or de même qu'un fermier, quoiqu'il offre à son maître de ses propres biens, ne peut lui être aussi agréable qu'en lui présentant les fruits de sa vigne; ainsi le prêtre ne plaira jamais autant à Dieu par sa sainteté personnelle qu'en enseignant au peuple à se sanctifier, parce que la justice du prêtre n'est que la justice d'un seul homme, tandis que la justice du peuple c'est la justice d'un grand nombre.

«Et il s'en alla dans un pays éloigné». - S. Jér. Ce n'est pas que Dieu change de lieu, car il est nécessairement présent partout, puisqu'il (Jr 23,23) remplit tout de son immensité; mais il paraît s'éloigner de sa vigne pour laisser aux vignerons toute liberté dans leur travail. - S. Chrys. (hom. 68,) Ou bien il part pour un pays lointain, en usant à leur égard de longanimité, et en ne leur infligeant pas toujours les châtiments que leurs péchés méritaient. - Orig. Ou bien ces paroles signifient que le Seigneur, qui avait marché avec eux sous la forme d'une nuée pendant le jour et d'une colonne de feu pendant la nuit (Ex 13,21-22), ne leur apparut plus ensuite de cette manière. Or, dans le prophète Isaïe, c'est le peuple juif qui est appelé la vigne, et c'est à cette vigne que s'adressent les menaces du père de famille (cf. Is 5,7). Dans l'Évangile au contraire, ce n'est pas à la vigne qu'il fait des reproches, mais à ceux qui la cultivent. C'est qu'en effet, dans l'Évangile, la vigne est le royaume de Dieu; la vie exempte de toute faute en est le fruit. La haie qui entoure la vigne, c'est la lettre de l'Écriture, qui cache aux yeux de ceux qui sont en dehors les fruits mystérieux qu'elle renferme; la profondeur des oracles divins, c'est le pressoir dans lequel ceux qui ont mis à profit la connaissance de la parole de Dieu versent tous leurs soins et toute leur affection comme autant de fruits; la tour qui est élevé dans la vigne, c'est le Verbe qui vient de Dieu lui-même, par l'économie divine de l'incarnation; il a loué cette vigne à des vignerons, c'est-à-dire au peuple qui nous a précédé, tant prêtres que laïques. Or, il part pour un pays lointain, afin de laisser aux vignerons le temps de la cultiver. Le temps de la vendange arrive, et pour chacun en particulier, et pour tout le peuple en général. La première saison de la vie est celle de l'enfance, et alors la vigne, sans rien produire au dehors, n'a encore en elle que la sève de la vie. Lorsque l'enfant commence à parler, c'est le temps où les bourgeons commencent à paraître. Or, plus l'âme de l'enfant fait de progrès, plus aussi la vigne, c'est-à-dire la parole de Dieu, se développe, et c'est à la suite de cet accroissement successif qu'elle produit, dans leur maturité, les fruits de la charité, de la joie, de la paix et d'autres vertus semblables. Pour le peuple qui reçut la loi de Moise, le temps de la vendange approche également: «Or, le temps des fruits étant proche».

Rab. C'est avec raison qu'il dit: «Le temps des fruits», et non le temps de recueillir les produits de cette vigne, car un peuple rebelle et opiniâtre ne produit aucun fruit. - S. Chrys. (hom. 68). Les serviteurs ce sont les prophètes, qui, comme autant de prêtres, offrent au Seigneur les fruits du peuple et les témoignages de son obéissance, qui consiste dans les oeuvres. Or, ces vignerons ont fait paraître toute l'étendue de leur méchanceté, non seulement en ne portant pas de fruits, mais encore en entrant dans une grande colère contre les serviteurs qu'on leur avait envoyés et en plongeant leurs mains dans le sang. «Mais les vignerons s'étant saisis de ses serviteurs», etc. - S. Jér. Ils les battirent de verges comme Jérémie (Jr 27), les tuèrent comme Isaïe, les lapidèrent comme Naboth (1R 21,13-15) et comme Zacharie, qu'ils immolèrent entre le temple et l'autel (Mt 23,35). - S. Chrys. (sur S. Matth). A chaque degré de la malice des Juifs, Dieu ajoutait un degré de miséricorde; mais leur malice s'augmentait en proportion égale de la miséricorde divine, et la méchanceté des hommes engageait ainsi un véritable combat contre la clémence de Dieu. «Il leur envoya encore d'autres serviteurs», etc.

S. Hil. (Can. 22,) Ces prophètes envoyés en plus grand nombre que les premiers désignent le temps où, à la prédication individuelle et successive de chaque prophète, Dieu en fit succéder un plus grand nombre, pour annoncer tous en même temps ses oracles. - Ou bien ces premiers serviteurs qui furent envoyés sont Moïse, qui donna la loi, et Aaron, premier grand prêtre, qu'ils renvoyèrent sans leur avoir donné aucun fruit, après les avoir flagellés par leurs plaintes insolentes. Dans les autres serviteurs, vous pouvez voir les choeurs des prophètes. - S. Hil. Le fils envoyé en dernier lieu signifie l'avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ. «Enfin, il leur envoya son propre Fils».

S. Chrys. (hom. 68). Pourquoi ne l'a-t-il pas envoyé en premier lieu? C'était pour leur laisser le temps de se reconnaître coupables des mauvais traitements qu'ils avaient faits aux premiers envoyés, et que, renonçant à leur fureur, ils fussent saisis de honte en voyant le Fils de Dieu lui-même venir à eux. C'est pour cela qu'il dit: «Ils auront quelque respect pour mon Fils. - S. Chrys. (sur S. Matth). Il le leur envoie, non comme un juge qui porte à des coupables la sentence de condamnation, mais pour offrir le pardon au repentir; il le leur envoie, non pour les châtier, mais pour les couvrir de honte. - S. Jér. Cette parole: «Ils auront quelque respect» ne veut pas dire que le père de famille était dans l'ignorance de ce qui devait arriver; car que peut-il ignorer lui qui n'est autre que Dieu lui-même? Si donc Dieu nous est représenté comme sujet au doute, c'est pour sauvegarder la libre volonté de l'homme. - S. Chrys. (hom. 68). Ou bien le Sauveur exprime ici ce qui aurait dû se faire, car ils auraient dû le respecter, et il montre ainsi toute l'énormité de leur crime et combien ils sont inexcusables. - Orig. Ou bien enfin ces paroles: «Ils respecteront mon fils», se sont accomplies dans ceux d'entre les Juifs qui connurent Jésus-Christ et crurent en lui; et quant à celles qui suivent: «Les vignerons, voyant le Fils, dirent entre eux: Voici l'héritier, venez, tuons-le», elles ont trouvé leur accomplissement dans ceux qui, ayant vu Notre-Seigneur Jésus-Christ, et l'ayant reconnu pour le Fils de Dieu, n'ont pas laissé de le crucifier. - S. Jér. Interrogeons ici Arius et Eunomius: Vous le voyez, leur dirons-nous, on dit du Père qu'il ne sait pas. Tout ce qu'ils pourront répondre en faveur du Père, qu'ils l'appliquent donc au Fils, qui a déclaré ne pas savoir le dernier jour (Mt 22,36 Mc 13). - S. Chrys. (sur S. Matth). Il en est qui prétendent que Jésus-Christ reçut le nom de Fils à son baptême, comme les autres saints; mais le Seigneur lui-même détruit cette interprétation en disant ici: «Je leur enverrai mon Fils». Or, lorsqu'il songeait à leur envoyer son Fils après les prophètes, il était déjà Fils. D'ailleurs, s'il n'est appelé Fils qu'au même titre que tous les autres saints auxquels Dieu a fait entendre sa parole, le Seigneur aurait dû donner aux prophètes le nom de Fils comme au Christ, ou lui donner le nom de serviteur comme aux autres prophètes. - Rab. Cet aveu qu'ils font en disant: «Voici l'héritier», nous prouve clairement que ce n'est point par ignorance, mais par jalousie, que les princes des prêtres ont crucifié Jésus-Christ. Ils comprirent qu'il était celui à qui Dieu a dit par son prophète: «Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage» (Ps 2,8). L'héritage du Fils est, en effet, la sainte Église formée de toutes les nations, héritage que le Père ne lui a pas laissé en mourant, mais qu'il a conquis lui-même d'une manière admirable par sa mort.

S. Chrys. (sur S. Matth). Cependant, ce n'est qu'après qu'il fut entré dans le temple, et qu'il en eut chassé tous ceux qui vendaient les animaux destinés aux sacrifices, qu'ils formèrent surtout le projet de le mettre à mort. Et ils se dirent entre eux: «Venez, tuons-le». Tel était en effet leur raisonnement: «Cet homme fera nécessairement perdre au peuple l'habitude de sacrifier ces victimes qui font notre profit, pour le déterminer à offrir le sacrifice de justice (Ps 4,6 Ps 59,20 Ml 3,3) qui tend directement à la gloire de Dieu, et ce peuple cessera ainsi d'être à nous pour être tout à Dieu. Si, au contraire, nous le mettons à mort, alors que personne ne demande à ce peuple les fruits de la justice, on continuera d'offrir des victimes, et le peuple sera toujours sous notre domination. C'est ce qu'ils expriment en propres termes: «Et nous aurons son héritage». Telles sont les pensées des prêtres qui suivent les inspirations de la chair, et qui, sans se préoccuper que leur peuple vive sans péché, n'ont en vue qu'une seule chose: les offrandes qui sont faites dans l'église, et qu'ils considèrent comme le gain du sacerdoce. - Rab. Ou bien les Juifs cherchaient à lui enlever son héritage après l'avoir mis à mort, en s'efforçant d'éteindre la foi dont il est l'auteur, de lui substituer leur justice, qui vient de la loi, et d'en semer les germes dans le coeur des Gentils qu'ils voulaient former eux-mêmes.

«Ainsi, s'étant saisis de lui, ils le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent». S. Hil. (can. 22). Jésus-Christ fut jeté hors de Jérusalem, comme hors de la vigne, pour y subir la sentence qui le condamnait à mort. - Orig. Ou bien ces paroles: «Ils le jetèrent hors de la vigne», veulent dirent, à mon avis, qu'autant qu'il était en eux, ils le traitèrent comme étranger à la vigne et à ceux qui la cultivaient.

«Lors donc que le maître de la vigne sera venu, que fera-t-il à ces vignerons?» - S. Jér. Le Seigneur leur fait cette question, non qu'il ignore ce qu'ils doivent y répondre, mais pour qu'ils trouvent leur condamnation dans leur propre réponse. Ils lui dirent donc: «Il fera périr misérablement ces méchants», etc. - S. Chrys. (sur S. Matth). Si leur réponse est conforme à la vérité, il ne faut pas en attribuer le mérite à ceux qui ont prononcé une sentence aussi juste, mais à la justice de la cause elle-même; car c'est la vérité qui leur a fait violence. - Orig. Non plus que Caïphe (Jn 11,51); ce n'est pas d'eux-mêmes que les princes des prêtres prononcent contre eux ce jugement prophétique, d'après lequel la parole de Dieu leur sera enlevée pour être donnée aux Gentils, qui produiront des fruits dans leur temps. Ou bien, c'est le Seigneur qu'ils ont mis à mort qui, aussitôt sa résurrection, fit périr misérablement ces mauvais vignerons, et loua sa vigne à d'autres (c'est-à-dire aux Apôtres), qui avaient embrassé la foi parmi le peuple juif.

S. Aug. (de l'accord des Evang., 2, 70). Saint Marc ne donne pas cette réponse comme venant des Juifs (Mc 12,9), mais comme une suite du discours du Seigneur, et comme s'il avait répondu lui-même à la question qu'il avait faite. Mais il est facile de lever cette difficulté en disant que leur réponse suivit de si près la question, que l'Évangéliste n'a pas cru devoir la faire précéder de ces mots: «Ils répondirent», laissant au lecteur le soin de les suppléer; ou bien que cette réponse a été attribuée au Seigneur, parce qu'étant conforme à la vérité, c'est lui qui, étant la vérité même, a parlé par leur bouche. - S. Chrys. (hom. 68). Ou bien encore, il n'y a aucune contradiction, car cette réponse a pu être donnée deux fois, d'abord par les Juifs, et puis par Notre-Seigneur lui-même. - S. Aug. (de l'accord des Evang). Mais une difficulté plus sérieuse, c'est que, d'après saint Luc, non seulement les Juifs n'ont pas fait cette réponse, mais qu'ils en ont donné une toute contraire; car voici comment cet Évangéliste s'exprime: «Ce qu'ayant entendu, c'est-à-dire cette sentence tombée des lèvres du Sauveur, ils dirent: A Dieu ne plaise» (Lc 20,16). Or, on peut lever cette apparente contradiction en disant que parmi le peuple qui l'écoutait, quelques-uns firent la réponse rapportée par saint Matthieu, et d'autres celle de saint Luc: «A Dieu ne plaise». Et on ne doit pas se laisser ébranler par cette circonstance que saint Matthieu raconte que les princes des prêtres et les anciens du peuple s'approchèrent du Sauveur, et continue sa narration jusqu'à la parabole de la vigne louée aux vignerons sans faire paraître d'autres interlocuteurs. Car on peut très bien supposer que tout ce discours s'adressait aux princes des prêtres, mais que saint Matthieu, pour abréger, a omis ce que rapporte saint Luc, c'est-à-dire que la parabole de la vigne fut exposée non seulement devant ceux qui avaient interrogé Jésus sur son autorité, mais encore en présence du peuple, et c'est parmi le peuple qu'il s'en est trouvé pour faire cette réponse: «Il les fera périr, et il donnera sa vigne à d'autres». Saint Marc attribue cette réponse au Seigneur lui-même, à cause de la vérité qu'elle renferme, ou par suite de l'union des membres avec leur chef, union qui en fait un seul corps. Mais il y en eut aussi qui, entendant cette réponse, s'écrièrent: «A Dieu ne plaise», parce qu'ils comprenaient que cette parabole était dirigée contre eux. - S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien encore, saint Luc a rapporté la réponse de leur bouche, et saint Matthieu celle de leur coeur; car ils le contredirent réellement en face en lui répondant: «A Dieu ne plaise», tandis qu'ils l'approuvaient dans leur âme, et répondaient intérieurement: «Il fera périr misérablement ces méchants»; c'est ainsi qu'un homme qui est surpris en faute cherche à excuser sa conduite, qu'il est obligé de condamner dans sa conscience. - S. Chrys. (hom. 68). On peut dire encore, dans un autre sens, que le Seigneur leur a proposé cette parabole pour leur faire prononcer leur propre condamnation sans le savoir, comme Nathan le fit à l'égard de David (2S 12,1-15), mais qu'ayant compris que c'était contre eux-mêmes que cette parabole était dirigée, ils s'écrièrent: «A Dieu ne plaise».

Rab. Dans le sens moral, le Seigneur loue à chacun de nous sa vigne pour la cultiver lorsqu'il nous donne le baptême pour que nous lui fassions produire des fruits de justice. Il envoie un serviteur, puis un second et un troisième lorsqu'on nous lit la loi, les psaumes et les prophéties, pour nous exhorter à faire le bien. Mais nous frappons, et nous chassons ces envoyés lorsque nous méprisons ou, ce qui est plus grave encore, lorsque nous blasphémons la parole de Dieu. Tout chrétien, autant qu'il est en lui, met à mort l'héritier lorsqu'il foule aux pieds le Fils de Dieu et fait outrage à l'esprit de grâce. Après le châtiment du premier vigneron, la vigne est louée à un autre, ce qui arrive lorsque l'âme qui est humble reçoit le don de la grâce que le superbe a méprisé.

S. Chrys. (hom. 68). Mais comme les princes des prêtres n'acceptaient pas ce jugement, le Sauveur leur apporte un témoignage de L'Écriture: «Jésus ajouta: N'avez-vous jamais lu dans l'Écriture: «La pierre qu'ont rejetée», etc. C'est-à-dire: Si vous ne comprenez cette parabole, comprenez au moins ce passage de l'Écriture. - S. Jér. Il leur présente la même vérité sous des paraboles diverses, et ceux qu'il vient d'appeler laboureurs et vignerons, il les présente comme des architectes et des maçons. - S. Chrys. (hom. 68). La pierre, c'est Jésus-Christ, et ceux qui bâtissent sont les docteurs des Juifs qui l'ont rejeté en disant: «Cet homme ne vient pas de Dieu» (Jn 9,16). - Rab. Mais c'est justement parce qu'ils l'ont rejeté qu'il devint cette pierre angulaire qui affermit le sommet de l'angle, parce qu'il réunit dans une même foi ceux qu'il avait choisis dans les deux peuples, et c'est pour cela qu'il ajoute: «Elle est devenue la principale pierre de l'angle». S. Hil. (can. 22). Il est devenu la pierre principale de l'angle, parce qu'il a été le lien qui a uni le peuple de la loi au peuple des Gentils.

S. Chrys. (hom. 68). Il veut leur montrer ensuite que rien en cela n'était contraire à la volonté de Dieu, et il ajoute: «Ceci est l'oeuvre du Seigneur». - Orig. C'est-à-dire c'est Dieu lui-même qui a donné cette pierre à tout l'édifice, et cette pierre angulaire est un spectacle admirable pour nous qui pouvons le voir des yeux de l'intelligence. - S. Chrys. (sur S. Matth). C'est comme s'il leur disait: Comment ne comprenez-vous pas dans quel édifice cette pierre doit devenir le sommet de l'angle. Ce n'est pas dans le vôtre sans doute, puisque vous l'avez rejetée, mais dans un autre. Or, si un nouvel édifice doit s'élever, le vôtre doit donc être abandonné? Aussi ajoute-t-il: «Je vous déclare donc: Le royaume de Dieu vous sera enlevé», etc. - Orig. Le royaume de Dieu, ce sont les mystères du royaume de Dieu, c'est-à-dire les divines Écritures que le Seigneur a données aux hommes, d'abord à ce premier peuple à qui ont été confiés les oracles divins (Rm 3,1-2), et ensuite aux nations qui en ont produit les fruits. Or, Dieu ne donne sa parole qu'à celui qui lui fait produire des fruits, et le royaume de Dieu n'est point donné à celui qui laisse régner en lui le péché. Comment donc a-t-il pu donner ce royaume à ceux qui devaient en être dépouillé? Remarquons ici que les dons de Dieu sont des dons gratuits. Ceux à qui Dieu n'a fait que louer son royaume, il ne le leur a pas donné comme aux élus et comme aux fidèles; ceux, au contraire, à qui Dieu l'a donné, l'ont reçu comme étant marqués du sceau des élus.

S. Chrys. (sur S. Matth). Jésus-Christ est appelé la pierre, non seulement à cause de sa force et de sa consistance, mais parce qu'il doit briser et réduire en poudre tous ses ennemis. Voilà pourquoi il ajoute: «Et celui qui tombera sur cette pierre, se brisera», etc. - S. Jér. Celui qui est pécheur, mais qui croit en Jésus-Christ, tombe il est vrai, sur cette pierre et s'y brise, sans toutefois être entièrement réduit en poudre, car la patience de Dieu lui réserve des occasions de salut. Mais celui sur lequel tombera, c'est-à-dire sur lequel viendra fondre cette pierre, et qui aura tout à fait renié Jésus-Christ, elle le réduira tellement en poudre, qu'il ne restera pas le moindre fragment avec lequel il soit possible de puiser une goutte d'eau (Is 30,14). - S. Chrys. (sur S. Matth). Être brisé et être broyé sont deux choses différentes: quand un objet est brisé, il en reste quelque chose; mais quand il est broyé, il est comme réduit en poussière. Or, ce qui tombé sur une pierre ne se brise pas en proportion de la dureté de la pierre, mais en raison de la violence de sa chute, ou de la force de son poids, ou de la hauteur d'où il tombe; ainsi la ruine du chrétien qui pêche n'est pas en proportion de ce que Jésus-Christ peut faire pour le perdre, mais en raison de ce qu'il fait pour se perdre lui-même par ses oeuvres, en raison de l'énormité de ses péchés ou de la grandeur de sa dignité; la ruine des infidèles, au contraire, n'est qu'en raison de la puissance que Jésus-Christ a pour les perdre. - S. Chrys. (hom. 69). Ou bien il leur indique ici deux ruines différentes: l'une qu'ils éprouveront en venant se heurter contre cette pierre qui a été pour eux un objet de scandale, et à laquelle il fait allusion en disant: «Celui qui tombera sur cette pierre»; l'autre qui viendra à la suite de la captivité qui les menace, et qu'il exprime en ajoutant: «Et elle écrasera celui sur qui elle tombera». - S. Aug. (Quest. évang). Ou bien, ceux qui tomberont sur cette pierre sont ceux qui l'accablent actuellement de mépris et d'outrages; ils ne périssent pas sans ressource; mais ils sont cependant brisés, et ne marchent plus dans les sentiers de la justice; ceux, au contraire, sur lesquels tombera cette pierre, la verront fondre sur eux du haut du ciel au jour du jugement avec des châtiments sans retour; c'est pour cela qu'il ajoute: «Elle les écrasera». Car les impies seront comme la poussière que le vent disperse de dessus la face de la terre (Ps 1,4).



Catena Aurea 5117