Catena Aurea 5514

vv. 14-30

5514 Mt 25,14-30

La Glose. La parabole précédente nous a fait voir la condamnation de ceux qui n'ont pas fait une provision suffisante d'huile, soit qu'on entende par cette huile, ou l'éclat des oeuvres, la joie de la conscience, ou l'aumône que l'on distribue aux pauvres. Celle-ci est dirigée contre ceux qui ne veulent mettre au service de leur prochain, ni leur argent, ni leur doctrine, ni quelque autre chose que ce soit, et qui cachent tout ce qu'ils possèdent: «Le Seigneur est comme un homme qui entreprend un long voyage». - S. Grég. (hom. 9). Cet homme, qui part pour un long voyage, c'est notre Rédempteur, qui est parti pour le ciel revêtu de la chair qu'il avait prise pour notre salut; car la terre est comme le pays natal de la chair et le lieu de son habitation, et elle part pour un long voyage lorsqu'elle est placée dans le ciel par notre rédempteur. - Orig. (Traité 33 sur S. Matth). Ce n'est pas comme Dieu qu'il fait ce voyage, mais comme homme revêtu du corps qu'il a pris dans le mystère de son incarnation. Car celui qui a dit: «Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles» (Mt 28,20), c'est le Fils unique de Dieu, qui n'est point renfermé dans les limites étroites d'un corps mortel. En parlant de la sorte, nous ne divisons pas la personne de Jésus, mais nous conservons à chaque nature ses propriétés distinctes. Nous pouvons dire aussi que le Seigneur voyage loin de ceux qui marchent par la foi, et ne jouissent pas encore de la claire vue (2Co 5,6). Or, si, lorsque nous serons éloignés de notre corps, nous sommes avec le Seigneur, il sera lui-même avec nous. Remarquez aussi que le texte ne porte pas: «Je suis, ou le Fils de l'homme est comme un homme qui entreprend un voyage», car il se présente à nous dans cette parabole, non pas comme Fils de Dieu, mais comme homme qui part pour un long voyage.

S. Jér. Après avoir appelé ses apôtres, il leur confia la doctrine de l'Évangile. S'il donne à l'un plus, à l'autre moins, ce n'est ni prodigalité d'une part, ni parcimonie de l'autre; il proportionne ses dons à la capacité de ceux qui les reçoivent. C'est ainsi que l'Apôtre nous apprend qu'il avait nourri avec du lait ceux qui ne pouvaient supporter une nourriture plus solide (1Co 3,2). «Et il donne cinq talents à l'un, deux à l'autre», etc. Ces talents, au nombre de cinq, de deux et d'un, représentent les diverses grâces qui furent données à chacun d'eux. - Orig. (Traité 33 sur S. Matth). Parmi ceux à qui Jésus-Christ a confié le ministère de la parole de Dieu, vous voyez que les uns ont reçu davantage, les autres moins, et n'ont pas, pour ainsi dire, la moitié de l'intelligence des premiers; d'autres enfin ont reçu beaucoup moins encore. Or, pourquoi cette différence entre ceux qui ont reçu de Jésus-Christ le même ministère de la parole divine? C'est que la vertu et la capacité n'étaient pas les mêmes dans celui qui a reçu cinq talents, dans celui qui en a reçu deux et dans celui qui n'en a reçu qu'un, et que tous ne pouvaient recevoir la même mesure de grâces. Cependant, celui qui n'a reçu qu'un talent a reçu un don qui n'est pas sans importance, car un seul talent, venant d'un si grand maître, est d'une grande valeur. Il y a toutefois trois sortes de serviteurs, comme il en est aussi trois sortes parmi ceux qui portent des fruits. Celui qui a reçu cinq talents est celui qui peut donner aux figures de l'Écriture sainte un sens plus élevé et tout divin. Celui qui ne connaît que le sens littéral et extérieur de la doctrine a reçu deux talents; car le nombre deux se rapporte aux choses extérieures et charnelles (1Co 3,4). Enfin, celui à qui le père de famille ne donne qu'un talent est moins capable encore. - S. Grég. (hom. 9). Ou bien, dans un autre sens, les cinq talents figurent les dons des cinq sens, c'est-à-dire la science des choses extérieures; les deux talents désignent l'intelligence et l'action, et le talent unique n'indique que le don de l'intelligence.

«Et il partit aussitôt». - La Glose. Il partit, non pas qu'il ait changé de lieu, mais il les abandonne à leur libre arbitre et leur laisse le libre exercice de leur action.

«Celui qui avait reçu cinq talents s'en alla et en gagna cinq autres». - S. Jér. Il double le don des sens corporels qu'il a reçus par la connaissance des choses célestes, c'est-à-dire que les créatures lui font connaître le Créateur, le spectacle de la nature visible, les choses spirituelles, et les biens du temps, qui durent si peu, ceux de l'éternité. - S. Grég. (comme précéd). Il en est plusieurs qui, incapables de pénétrer les secrets de la science spirituelle et mystique, enseignent, dans une intention toute céleste et selon leur charité, la science des choses extérieures qu'ils ont reçue de Dieu, et qui, non contents de se tenir en garde contre les assauts de la chair, l'ambition des honneurs de la terre et les jouissances du corps, cherchent encore à en préserver les autres par leurs conseils. - Orig. (Traité 33 sur S. Matth). Ou bien, ceux qui après avoir exercé leurs sens à la pratique de la vertu, tendent à une science supérieure et l'enseignent aux autres, gagnent cinq autres talents; car on ne peut recevoir l'accroissement d'une vertu si on ne la possède déjà, de même qu'on ne peut enseigner aux autres que ce que l'on sait soi-même. - S. Hil. Ou bien, le serviteur qui a reçu cinq talents est le peuple qui, vivant sous la loi, a embrassé la foi, et qui a doublé les mérites qu'il avait acquis sous la loi en y joignant l'accomplissement parfait des devoirs de la foi chrétienne.

«Celui qui avait reçu deux talents en gagna de même encore deux autres». - S. Grég. (comme précéd). On en voit en effet qui enseignent à la fois par leurs paroles et par leurs oeuvres et qui réalisent ainsi un double bénéfice, car leur prédication s'adressant à l'un et à l'autre sexe, ils doublent ainsi les talents qu'ils ont reçus. - Orig. Ou bien, ils gagnèrent deux autres talents, c'est-à-dire la science des choses extérieures et une autre un peu plus élevée. - S. Hil. Ou bien, ce serviteur à qui son maître a confié deux talents, c'est le peuple des Gentils, qui a été justifié par la foi et par la confession du Père et du Fils, et qui témoigne hautement que Jésus-Christ est à la fois Dieu et homme par l'union de l'esprit et de la chair. Ce peuple a donc reçu deux talents, et, de même que les Juifs ont doublé, en croyant à l'Évangile, la valeur des cinq talents mystérieux, c'est-à-dire de la loi qu'ils avaient reçue, ainsi les Gentils, en faisant fructifier leurs deux talents ont mérité de les voir doublés par le don de l'intelligence et des oeuvres.

«Mais celui qui n'en avait reçu qu'un alla creuser dans la terre et y cacha l'argent de son maître. - S. Grég. (hom. 9). Cacher le talent dans la terre, c'est enfouir, pour ainsi dire, dans des occupations toutes terrestres le don de l'esprit qu'on a reçu. - Orig. Ou bien encore, si vous voyez un homme qui a reçu le don d'enseigner et qui cache ce talent, eût-il d'ailleurs une certaine apparence de religion dans sa conduite, n'hésitez pas à dire qu'il est ce serviteur qui a reçu un talent et qui l'a enfoui dans la terre. - S. Hil. Ou bien enfin, ce serviteur qui a reçu un talent et l'a enfoui dans la terre, c'est le peuple qui s'opiniâtre à suivre la loi, et qui, par un sentiment d'envie contre les Gentils, qui doivent être sauvés, cache le talent qu'il a reçu; car, enfouir le talent dans la terre, c'est cacher la gloire de la prédication de l'Évangile sous les honteuses attaques d'une passion charnelle.

«Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint et leur fit rendre compte», etc. Ce compte qu'il faut rendre, c'est l'examen qui précède le jugement. - Orig. Et remarquez ici que ce ne sont pas les serviteurs qui viennent vers le maître pour en être jugés, mais le maître lui-même qui vient les trouver, lorsque le temps est arrivé, ce que le Sauveur exprime en disant: «Longtemps après», c'est-à-dire longtemps après qu'il leur a donné la mission d'aller gagner et sauver les âmes; et c'est peut-être pour cela qu'on en voit peu de ceux qu'il a jugés propres à ce ministère qui aient été retirés promptement de ce monde, comme le prouve l'exemple des apôtres, qui sont tous parvenus à une assez grande vieillesse; c'est ainsi qu'il dit à Pierre «Lorsque vous serez devenus vieux, vous étendrez les mains» (Jn 21,18); c'est ainsi que saint Paul écrit de lui-même à Philémon (Phm 1,9) : «Paul déjà vieillard». - S. Chrys. (hom. 78). Remarquez encore que le Seigneur ne se fait pas rendre compte immédiatement pour vous apprendre sa longanimité. Ces paroles: «Longtemps après», me paraissent une allusion indirecte à la résurrection. - S. Jér. Il dit: «Longtemps après», parce qu'il doit s'écouler un long espace de temps entre l'ascension du Sauveur et son second avènement. - S. Grég. La lecture de cet Évangile doit nous faire sérieusement réfléchir sur cette vérité: que ceux qui ont reçu en ce monde des grâces plus abondantes seront l'objet d'un jugement plus sévère, car plus on reçoit, plus est grand le compte que l'on devra rendre. Il faut donc s'humilier profondément des dons que l'on a reçus, en considérant que l'on devra être jugé d'autant plus sévèrement sur l'usage qu'on en aura fait.

Orig. Plein de confiance, celui qui avait reçu cinq talents ose se présenter le premier devant son maître: «Et celui qui avait reçu cinq talents s'étant approché». - S. Grég. Ce serviteur qui a doublé les cinq talents qu'il avait reçus mérite les éloges du Seigneur et en reçoit l'éternelle récompense. «Et le Seigneur lui dit: Très bien». - Rab. Le mot euge est une interjection qui marque la joie. Le Seigneur exprime ainsi la joie qu'il éprouve d'appeler à entrer dans la joie éternelle le serviteur qui a bien travaillé, et c'est de lui que le Prophète a dit: «Vous nous comblerez de joie en nous montrant votre visage» (Ps 16,11 Ps 21,7).

S. Chrys. (hom. 78). «Bon serviteur», parce qu'il a été bon pour le prochain, et «fidèle» parce qu'il ne s'est rien attribué de ce qui appartenait à son maître. - S. Jér. Il lui dit: «Vous avez été fidèle en peu de choses, car les biens que nous possédons ici-bas, quels que soient d'ailleurs leur importance et leur nombre, sont toujours petits et peu nombreux en comparaison des biens éternels. - S. Grég. Le serviteur fidèle est établi sur des biens plus considérables, lorsqu'il a triomphé de toutes les atteintes de la corruption, et qu'il est assis dans le ciel au sein des joies éternelles. Il entre parfaitement dans la joie de son maître, lorsque Dieu l'appelle dans l'éternelle patrie, pour l'associer aux choeurs des anges et le remplir d'une joie intérieure, pure et sans mélange d'aucune de ces douleurs qui sont causées par la corruption de la chair. - S. Jér. Quelle récompense plus grande peut-on donner au serviteur fidèle que d'être avec son maître et de voir la joie de son Seigneur? - S. Chrys. (hom. 78). Ces paroles renferment l'idée de toute félicité et d'un bonheur parfait. - S. Aug. (De la Trinité, 1, 10). Car le bonheur parfait pour nous, et supérieur à tout ce que l'on peut concevoir, sera de jouir de la présence du Dieu en trois personnes à l'image duquel nous avons été créés. - S. Jér. Le père de famille accueille avec les mêmes éloges le serviteur qui, avec cinq talents, en avait gagné cinq autres, et celui qui, avec deux talents, en avait gagné deux autres, et il les fait entrer en participation de la même joie, parce qu'il ne considère pas la grandeur du gain qu'ils ont réalisés, mais les efforts de leur volonté. «Celui qui avait reçu deux talents vint aussi se présenter». - Orig. Cette expression «S'étant approché», appliquée à celui qui avait reçu cinq talents, et à celui qui en avait reçu deux, signifie leur passage de ce monde dans l'autre; et il faut remarquer que Dieu tient le même langage à tous les deux, pour nous apprendre que celui qui a reçu de moins grandes facultés, mais qui leur a fait produire tout ce qu'on était en droit d'en attendre, aura aux yeux de Dieu le même mérite que celui qui est doué de facultés supérieures. Dieu n'exige qu'une chose, c'est que l'homme consacre à sa gloire tout ce qu'il a reçu de lui.

S. Grég. (comme précéd). Le serviteur qui n'a pas voulu faire fructifier son talent s'approche de son maître en s'excusant: «Celui qui n'avait reçu qu'un talent s'approchant ensuite», etc. - S. Jér. Ce mauvais serviteur vérifie en lui ces paroles du Psalmiste: «Il cherche à excuser ses péchés» (Ps 141,4), et, au crime de la paresse et de la négligence, il joint celui d'un orgueil insolent. Au lieu de confesser simplement sa fainéantise, comme il aurait dû le faire, et de prier le père de famille de lui pardonner, il ose le calomnier, et il prétend que c'est par prudence qu'il s'est conduit de la sorte, dans la crainte qu'en cherchant à faire fructifier son argent il ne s'exposât à perdre le capital. - Orig. Ce serviteur faisait sans doute partie du nombre des fidèles, mais de ces fidèles dont la conduite est sans assurance, qui cherchent à se cacher, et qui font tout pour ne point paraître chrétiens. Les fidèles de ce genre ont aussi la crainte de Dieu, et le regardent comme un maître sévère et implacable, ce que ce serviteur exprime en disant: «Seigneur, je sais que vous êtes un homme dur». Nous admettons que, dans un sens véritable, Notre-Seigneur moissonne où il n'a pas semé, car le juste sème dans l'esprit, et il moissonne la vie éternelle. Il moissonne encore où il n'a pas semé, et il recueille là où il n'a rien jeté, parce qu'il regarde comme donné à lui-même tout ce qui est semé parmi les pauvres. - S. Jér. De ces paroles qu'ose lui dire le mauvais serviteur: «Vous moissonnez là où vous n'avez pas semé», nous pouvons aussi conclure que la vie pure et vertueuse des Gentils et des philosophes est agréable à Dieu. - S. Grég. Il en est beaucoup dans l'Église dont ce serviteur est la figure, qui craignent d'entrer dans les voies d'une vie plus sainte, et qui ne craignent pas de croupir dans une négligence sensuelle et honteuse; tout en se considérant comme pécheurs, ils redoutent d'embrasser une vie vertueuse et ne tremblent pas de rester dans leurs iniquités. S. Hil. Ou bien, ce serviteur figure le peuple juif qui reste attaché à la loi, et qui, donnant comme prétexte de son éloignement de la liberté évangélique la crainte que lui inspire la loi ancienne, dit à Dieu: «Je vous ai craint», et ajoute: «Voici ce qui est à vous». Ou bien encore, c'est ce même peuple qui s'arrête exclusivement aux commandements du Seigneur, bien qu'il sût que Dieu devait moissonner des fruits de justice là où la loi n'avait pas été semée, et recueillir parmi les Gentils des enfants qui ne provenaient pas de la race d'Abraham (Rm 4).

S. Jér. Mais ce qu'il pensait donner comme une excuse devient la matière même de son accusation: «Mais son maître lui répondit: Serviteur méchant et paresseux». Il l'appelle méchant serviteur, parce qu'il a osé calomnier son maître, et paresseux, parce qu'il n'a point doublé son talent, condamnant ainsi d'un côté son insolence, de l'autre sa négligence: «Puisque vous saviez, lui dit-il, que j'étais dur et cruel, et que j'exigeais ce qui ne m'appartenait pas, vous deviez comprendre que j'exigerais plus exactement ce qui m'appartient, et donner au banquier mon argent ou mes deniers» (le mot grec ñãõñéïí signifie l'un et l'autre). «Les paroles du Seigneur, dit le Psalmiste, sont des paroles pures, un argent éprouvé par le feu» (Ps 12,7). Cet argent, cette monnaie, c'est donc la prédication de l'Évangile, et la parole de Dieu qu'il aurait fallu donner à ceux qui l'auraient fait fructifier, c'est-à-dire ou à d'autres prédicateurs, ce que firent les Apôtres en établissant des prêtres et des évêques dans chaque province (Ac 14,23), ou bien à tous les fidèles pour leur faire produire le double, et rendre ce capital avec usure, en traduisant dans leurs oeuvres les enseignements de cette divine parole. - S. Grég. Les prédicateurs sont exposés à un danger visible, en retenant l'argent du Seigneur; les auditeurs le sont également, car on leur demandera avec usure la doctrine qu'ils ont reçue, c'est-à-dire si, à l'aide de ce qu'ils ont entendu, ils se sont appliqués à comprendre ce qui ne leur était pas enseigné.

Orig. Le Seigneur ne reconnaît pas qu'il soit dur, comme le lui reprochait le mauvais serviteur; mais il lui concède tout le reste. Cependant on peut dire qu'il use véritablement de dureté contre celui qui abuse de la miséricorde de Dieu pour persévérer dans son péché, au lieu d'en profiter pour se convertir. - S. Grég. (comme précéd). Écoutons la sentence que le Seigneur prononce contre le mauvais serviteur: «Qu'on lui ôte donc le talent qu'il a et qu'on le donne à celui qui a dix talents». - Orig. Le Seigneur peut, par sa puissance divine, ôter les moyens rigoureusement suffisants, à celui qui n'a pas su les mettre à profit, pour les donner à celui qui a multiplié ce qu'il avait reçu. - S. Grég. Il paraissait plus naturel de donner ce talent à celui qui en avait reçu deux, plutôt qu'à celui qui en avait reçu cinq, car il est plus juste en apparence de donner à celui qui a moins reçu. Mais, comme les cinq talents figurent la science des choses extérieures, et les deux talents, l'intelligence et l'action; celui à qui son maître a confié deux talents a plus reçu que celui à qui il en a confié cinq, car celui qui, dans les cinq talents, a reçu le don d'administrer les choses extérieures, était cependant privé de l'intelligence des choses éternelles. Donc, ce talent unique, qui représente, comme nous l'avons dit, le don de l'intelligence, a dû être donné à celui qui a fidèlement administré les choses extérieures qui lui ont été confiées, et c'est ce que nous voyons tous les jours dans l'Église: ceux qui administrent avec fidélité les biens extérieurs sont doués d'une intelligence capable de pénétrer les choses spirituelles et intérieures. - S. Jér. Ou bien, ce talent est donné à celui qui avait obtenu dix talents, pour nous apprendre que, si le Seigneur se réjouit également du travail du serviteur qui a doublé ses deux talents et de celui qui a multiplié les cinq qu'il avait reçus, cependant il réserve une plus grande récompense à celui qui a travaillé davantage à faire fructifier l'argent de son maître. - S. Grég. Notre-Seigneur conclut cette parabole par cette maxime générale: «Car on donnera à celui qui a déjà», etc. En effet, celui qui a la charité reçoit aussi les autres dons, et celui qui ne possède pas cette vertu perd jusqu'aux dons qu'il paraissait avoir.

S. Chrys. (hom. 78). Celui qui a reçu le don éclatant de la parole et de la doctrine, pour le mettre à profit, et qui n'en fait aucun usage, perd ce don, tandis que celui qui s'applique avec zèle à le faire fructifier obtient des grâces plus abondantes. - S. Jér. Il en est beaucoup qui ont reçu de Dieu une intelligence naturelle et une grande vivacité d'esprit; s'ils se laissent dominer par la paresse, et qu'ils corrompent ces dons naturels dans une honteuse indolence, ils en seront dépouillés par opposition à ceux qui, moins favorisés de la nature, ont su compenser par leur travail et par leur industrie ce qui leur manquait, et ils verront passer à d'autres la récompense qui leur était promise. On peut encore donner cette explication: celui qui a la foi et une bonne volonté recevra du juge plein de bonté ce que la faiblesse humaine laisserait à désirer dans ses actions, tandis que celui qui n'a pas la foi perdra jusqu'aux autres vertus qu'il paraissait tenir de la nature. Cette expression: «Ce qu'il paraît avoir lui sera enlevé», est pleine de justesse et d'à-propos, car tout don qui est en dehors de la foi en Jésus-Christ ne doit pas être attribué à celui qui en fait un mauvais usage, mais à celui qui n'a pas refusé, même au mauvais serviteur, ces dons naturels. - S. Hil. La gloire qui vient de la loi est accordée à ceux qui savent profiter de la grâce de l'Évangile; mais, pour celui qui n'a point la foi en Jésus-Christ, on lui ôtera jusqu'à cette gloire que la loi semblait lui donner.

S. Chrys. (hom. 78). Le mauvais serviteur n'est pas seulement puni par la perte de ce qu'il possède, mais par un supplice rigoureux, auquel vient se joindre une sentence qui est en même temps un acte d'accusation: «Et quant à ce serviteur inutile, qu'on le jette dans les ténèbres extérieures». - Orig. Là où il n'y a aucune lumière, peut-être même aucune clarté extérieure, et où on ne peut jouir de la vue de Dieu, car ceux qui se sont rendus coupables de ce crime, seront condamnés, comme indignes de voir Dieu, à être jetés dans ces ténèbres qu'on appelle les ténèbres extérieures. Nous avons lu dans un interprète qui nous a devancé, que ces ténèbres sont les ténèbres de l'abîme qui est en dehors de l'univers, et que ces serviteurs inutiles, étant jugés indignes d'habiter aucune partie de ce monde, seront jetés dans cet abîme extérieur, où il n'y a que ténèbres, et qu'aucune lumière ne vient jamais éclairer. - S. Grég. C'est ainsi que le châtiment précipitera dans les ténèbres extérieures celui qui est tombé volontairement par sa faute dans les ténèbres intérieures. - S. Jér. Nous avons dit plus haut ce que sont ces pleurs et ces grincements de dents. - S. Chrys. (hom. 78). Remarquez que ce n'est pas seulement celui qui prend le bien d'autrui ou qui fait le mal qui est condamné au dernier supplice, mais encore celui qui néglige de faire le bien. - S. Grég. Que celui donc qui a reçu le don de l'intelligence évite de garder le silence; que celui qui nage au sein de l'abondance ne se ralentisse pas dans l'exercice de la miséricorde; que Celui qui a reçu le don de diriger l'applique à l'utilité du prochain; que celui qui peut avoir accès auprès des riches intercède pour les pauvres, car, aux yeux de Dieu, la plus petite grâce reçue sera considérée comme un talent qu'il nous a confié. - Orig. Or, s'il vous paraît dur qu'on soit jugé sévèrement pour n'avoir pas instruit les autres, rappelez-vous cette parole de l'Apôtre: «Malheur à moi si je n'évangélise» (1Co 9,16).


vv. 31-45

5531 Mt 25,31-45

Rab. Après les paraboles qui avaient pour objet la fin du monde, le Seigneur décrit les circonstances du jugement dernier. - S. Chrys. (hom. 79). Cette partie du discours du Sauveur est pleine d'attrait, et nous devons l'avoir sans cesse présente à l'esprit pour la méditer avec empressement et componction; car Jésus-Christ lui-même traite ce sujet en termes aussi clairs qu'effrayants. Il ne dit plus comme précédemment: «Le royaume de Dieu est semblable», mais il parle de lui-même ouvertement: «Or, quand le Fils de l'homme viendra», etc. - S. Jér. Deux jours après, il devait célébrer la Pâque, être livré au supplice de la croix et aux insultes de ses bourreaux; c'est donc dans une pensée toute de sagesse qu'il prédit et promet la gloire de son triomphe, pour compenser par la promesse des récompenses à venir le scandale qui devait résulter de sa passion. Et il faut bien remarquer que celui que les hommes contempleront dans sa majesté c'est le Fils de l'homme. - S. Aug. (traité 21 sur S. Jean). Les impies le verront sous une forme humaine, aussi bien que ceux qui seront placés à la droite; car au jour du jugement il apparaîtra revêtu de notre nature, mais ensuite il se révélera dans sa nature divine, que tous les fidèles désirent ardemment de contempler.

Remi. Le Sauveur détruit ainsi l'erreur de ceux qui prétendent qu'il n'a point conservé la forme d'esclave qu'il a revêtu; la majesté dont il parle ici, c'est la divinité qui le rend égal au Père et au Saint-Esprit. - Orig. Ou bien, il veut dire par là qu'il reviendra sur la terre avec cette même gloire dont son corps fut entouré au jour de sa transfiguration sur la montagne. Son trône, ce sont les saints les plus parfaits, dont il est écrit: «Là sont établis les sièges de la justice» (Ps 121,5), ou bien les esprits angéliques, que saint Paul appelle «les Trônes ou les Dominations» (Col 1,16). - S. Aug. (Cité de Dieu 20, 24). Car il descendra avec ses anges qu'il appellera des hauteurs des cieux pour juger les hommes avec lui, c'est pour cela qu'il ajoute: «Et tous ses anges avec lui». - S. Chrys. (hom. 79). Tous les anges l'accompagneront pour attester tous leurs efforts dans l'exercice du ministère qui leur avait été confié par le Seigneur pour le salut des hommes. - S. Aug. Ou bien, sous le nom d'anges, il veut désigner ici les hommes qui jugeront avec Jésus-Christ; car les anges sont des envoyés, et nous pouvons donner à juste titre ce nom à tous ceux qui ont été envoyés pour annoncer le salut aux hommes.

«Et toutes les nations seront rassemblées devant lui», etc. - Remi. Ces paroles établissent la vérité de la résurrection future. - S. Aug. (Cité de Dieu 20, 21). Or, ce rassemblement se fera par le ministère des anges à qui s'adressent ces paroles: «Rassemblez ses saints autour de lui» (Ps 49,5). - Orig. (traité 34 sur S. Matth). Ces paroles peuvent être aussi entendues dans un sens différent d'un rassemblement local, c'est-à-dire que les peuples ne seront plus divisés en une multitude de croyances et d'opinions à l'égard de Jésus-Christ; car sa divinité éclatera aux yeux de tous les hommes sans exception, aux yeux des pécheurs aussi bien que des justes, et il n'apparaîtra pas dans un endroit à l'exclusion d'un autre, comme il a voulu nous l'apprendre lui-même par la comparaison de l'éclair. Tant que les méchants ne connaissent ni eux-mêmes, ni Jésus-Christ, et tant que les justes ne le voient que comme dans un miroir et sous des images obscures (1Co 13,12), les justes ne sont pas séparés des méchants; mais lorsque la manifestation éclatante du Fils de l'homme donnera à tous les hommes cette connaissance, alors le Sauveur séparera les bons des méchants: «Et il séparera les uns d'avec les autres», etc. Car d'un côté les pécheurs verront distinctement les suites de leurs péchés; et les justes, les fruits qu'ont produits les semences de leur justice. Le Sauveur donne le nom de brebis à ceux qui sont sauvés, à cause de la douceur qu'ils ont apprise à l'école de celui qui a dit: «Apprenez de moi que je suis doux» (Mt 11,29), et parce qu'ils ont été disposés à souffrir même la mort, à l'exemple de Jésus-Christ qui a été conduit à la mort comme une brebis (Is 53,7). Les méchants sont appelés des boucs, parce qu'ils gravissent des rochers escarpés et raboteux, et marchent à travers les précipices dont ils sont bordés. - S. Chrys. (hom. 79). Ou bien encore, il appelle les uns des boucs pour montrer leur stérilité; car les boucs ne produisent pas, et les autres des brebis, pour exprimer leur fécondité spirituelle; car les brebis produisent en abondance de la laine, du lait et des agneaux. Mais la brebis, dans les saintes Écritures, signifie plus ordinairement l'innocence et la simplicité. Les brebis sont donc ici une figure touchante des élus. - S. Jér. Le bouc est un animal lascif, toujours ardent pour s'unir à sa femelle, et il était toujours offert sous la loi comme victime pour le péché (Lv 4,23 Lv 9,3 Lv 23,19 Nb 7,82 Nb 15,24 Nb 28,22 Nb 29,38, etc.). Il n'est point ici question des chèvres qui peuvent avoir des petits, et qui sortent pures du lavoir après avoir été tondues.

S. Chrys. (hom. 79). Il les sépare encore en leur donnant une place différente. - Orig. Car les saints, dont les oeuvres ont été conformes à la droiture, recevront pour récompense de ces oeuvres d'être placés à la droite du Roi, au sein du repos et de la gloire, tandis que les méchants, en punition de leurs oeuvres mauvaises et sans droiture, sont tombés à la gauche, c'est-à-dire dans les plus tristes tourments: «Alors le roi dira à ceux qui sont à sa droite: Venez», etc., afin de recevoir en vertu de leur union parfaite avec Jésus-Christ, tout ce qui pouvait leur manquer. Il ajoute: «Les bénis de mon Père», et il fait ainsi ressortir l'excellence de cette bénédiction qu'ils ont reçue auparavant du Dieu qui a fait le ciel et la terre (Ps 113,15). - Rab. Ou bien il les appelle bénis, parce qu'ils ont mérité par leurs bonnes oeuvres l'éternelle bénédiction. Il dit: «Le royaume de mon Père», parce qu'il rapporte la puissance royale à celui qui la lui a transmise par l'éternelle génération, et c'est en vertu de cette puissance royale, qui le couvrira seul de gloire dans ce dernier jour, qu'il prononcera la sentence du jugement. Aussi est-ce d'une manière significative qu'il ajoute: «Alors le roi dira». - S. Chrys. (hom. 79). Remarquez encore qu'il ne dit pas: Recevez, mais: «Possédez», ou bien: «Héritez», comme d'un bien de famille, comme d'un patrimoine, ou de biens qui vous sont acquis depuis longtemps: «Possédez ce royaume qui vous est préparé depuis le commencement du monde». - S. Jér. Il faut entendre ces paroles d'après les règles de la prescience de Dieu pour qui l'avenir est comme le passé.

S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 1). Indépendamment de ce royaume dont le Sauveur doit dire à la fin du monde: «Prenez possession du royaume qui vous a été préparé», l'Église de la terre est aussi appelée son royaume, quoique dans un sens bien différent, royaume où il faut encore combattre contre les ennemis jusqu'à ce que nous parvenions à ce royaume de paix où nous régnerons sans plus craindre d'ennemis. - S. Aug. (de la Pén., hom. 50). Mais peut-être quelques-uns diront: Je n'ai point l'ambition de régner, il me suffit d'être sauvé. Or, ce qui les trompe d'abord, c'est qu'il n'y a point de salut à espérer pour ceux qui persévèrent dans l'iniquité. En supposant ensuite qu'il y ait une différence entre ceux qui règnent et ceux qui ne règnent pas, il faut, toutefois, que tous les élus fassent partie du même royaume, s'ils ne veulent être comptés parmi les ennemis et les étrangers, et condamnés à périr, alors que tous les autres sont couronnés. Est-ce que tous les Romains ne sont pas en possession de l'empire Romain, bien que tous ne soient pas appelés à le gouverner ?

S. Chrys. (hom. 79). Notre-Seigneur fait ensuite connaître les oeuvres qui auront mérité aux saints les biens du royaume du ciel: «J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger», etc. - Remi. Remarquez que le Seigneur fait ici mention de sept oeuvres différentes de miséricorde, et celui qui aura mis tous ses soins à les accomplir, méritera de posséder le royaume qui a été préparé aux élus dès le commencement du monde. - Remi. Dans le sens spirituel, ranimer et nourrir du pain de la parole, ou rafraîchir du breuvage de la sagesse ceux qui ont faim et soif de la justice; recevoir dans le sein de l'Église notre mère ceux qui s'égarent dans les sentiers de l'hérésie et du péché; supporter ceux qui sont faibles dans la foi, c'est observer les prescriptions de la vraie charité. - S. Grég. (Moral., 24, 26). Ceux qui seront placés à la droite et à qui le souverain juge dira: «J'ai eu faim», etc., sont ceux qui ont été admis au nombre des élus et appelés à régner éternellement, ceux qui ont lavé dans leurs larmes les taches de leur vie, qui ont racheté leurs péchés passés par toute la suite de leurs oeuvres, et couvert de leurs aumônes, aux yeux du juste juge, toutes les fautes qu'ils avaient commises. Il en est d'autres qui sont appelés à régner sans être soumis au jugement, ce sont ceux qui ont été bien au-delà des préceptes de la loi par la perfection de leur vertu.

Orig. Par un profond sentiment d'humilité, ils se déclarent indignes des louanges données à leurs bonnes oeuvres, sans toutefois avoir oublié ce qu'ils ont fait, et le Seigneur, par sa réponse, fait éclater toute l'affection qu'il porte aux siens: «Alors les justes lui répondront: Quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim ?» etc. - Rab. S'ils parlent ainsi, ce n'est point qu'ils doutent de la vérité des paroles du Seigneur, mais ils s'étonnent d'une si grande élévation, et de la haute dignité dont il couronne leurs oeuvres. Ou bien ils s'expriment de la sorte, parce que le bien qu'ils ont fait leur paraît peu de chose selon ces paroles de l'Apôtre: «Les souffrances de la vie présente n'ont aucune proportion avec cette gloire qui doit un jour éclater en nous» (Rm 8,18).

«Et le Roi leur répondra: Je vous le dis en vérité, autant de fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits d'entre mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait». - S. Jér. Nous étions libres d'entendre que Jésus-Christ était nourri, et que sa soif était étanchée dans la personne de tous les pauvres, et ainsi des autres bonnes oeuvres; mais ces paroles: «Autant de fois que vous avez agi ainsi à l'égard d'un de mes frères», etc., ne me paraissent pas devoir s'appliquer à tous les pauvres indistinctement, mais seulement aux pauvres d'esprit qu'il indiquait de la main en disant: «Mes frères sont ceux qui font la volonté de mon Père qui est dans les cieux» (Mt 12,49 Mc 13).

S. Chrys. (hom. 79) Mais s'ils sont ses frères, pourquoi les appelle-t-il les plus petits? Parce qu'ils sont humbles, parce qu'ils sont pauvres, parce qu'ils sont délaissés. Or, il veut parler ici non seulement des solitaires qui se sont retirés dans les montagnes, mais de tout fidèle, quel qu'il soit, même de celui qui vit dans le monde; s'il a faim, ou s'il éprouve quelque besoin semblable, il veut que la miséricorde vienne à son secours, car c'est le baptême et la participation aux mêmes mystères qui établissent cette fraternité.

«Il dira ensuite à ceux qui seront à la gauche: Retirez-vous», etc. - Orig. De même qu'il avait dit aux justes: «Venez» (Mt 25,34), il dit aux méchants: «Retirez-vous»; car ceux qui gardent les commandements de Dieu sont près du Verbe, et ils sont appelés à s'en rapprocher encore davantage, tandis que ceux qui n'accomplissent pas ses commandements sont loin de lui, bien qu'ils paraissent en être rapprochés, et il leur dit: «Retirez-vous», pour qu'ils disparaissent entièrement de sa présence. Remarquez aussi que s'il a dit: «Les bénis de mon Père» (Mt 25,34), il ne dit pas ici: «Les maudits de mon Père»; car le Père est la source de toute bénédiction, mais chacun devient pour soi-même une cause de malédiction, en faisant des oeuvres dignes de malédiction. Or, ceux qui s'éloignent de Jésus, tombent dans le feu éternel, feu bien différent de celui qui sert à notre usage; car il n'y a point sur la terre de feu qui soit éternel, ni même qui dure bien longtemps. Considérez aussi qu'il n'a point dit que le royaume fut préparé pour les anges, tandis qu'il déclare que le feu éternel a été préparé pour le diable et pour ses anges. En effet, Dieu n'a point créé les hommes pour leur perte, mais ce sont les hommes qui, par leurs péchés, unissent leur sort à celui du démon; et de même que les élus deviennent semblables aux saints anges, ainsi ceux qui persistent pour l'éternité, deviennent semblables aux anges du démon.

S. Aug. (Cité de Dieu, 21, 10). Nous devons conclure de ce passage, que c'est le même feu qui servira au supplice des hommes et à celui des démons. Mais si le feu doit tourmenter les corps avec lesquels il sera en contact, comment pourra-t-il être le supplice des esprits mauvais, à moins de dire avec quelques-uns que les démons ont une certaine espèce de corps, formés de cet air grossier et humide qui nous entoure. Si l'on prétend, au contraire, que les démons ne sont revêtus d'aucun corps, quel qu'il soit, il est inutile de prolonger la discussion sur cette question. Car pourquoi n'admettrions-nous pas que des esprits incorporels, par des moyens aussi vrais qu'ils sont merveilleux, trouvent leur supplice dans la peine d'un feu matériel, puisque les âmes des hommes, qui sont certainement incorporelles, pourront bien alors être unies à leurs corps par des liens indissolubles, de même qu'elles sont comme enchaînées maintenant dans les corps qu'elles animent. Les démons, bien que d'une nature incorporelle, seront donc comme attachés à ce feu matériel, non pour lui donner la vie, mais pour y trouver leur châtiment. Or, le feu sera corporel, et il sera le tourment tout à la fois des corps des hommes réunis à leurs âmes, et des esprits des démons qui n'ont pas de corps.

Orig. Ou bien peut-être, la nature de ce feu est de brûler les substances invisibles, parce qu'il est invisible lui-même, selon ces paroles de l'Apôtre: «Les choses visibles sont passagères, mais les invisibles sont éternelles» (2Co 4,18). Or, ne soyez pas surpris qu'un feu invisible devienne un instrument de supplice, puisque vous voyez tous les jours les corps eux-mêmes souffrir horriblement d'une chaleur toute intérieure. «J'ai eu soif, et vous ne m'avez pas donné à boire». Saint Paul écrit aux fidèles de Corinthe: «Vous êtes le corps de Jésus-Christ» (1Co 12,27). De même donc que l'âme, qui est unie au corps, bien qu'elle ne puisse avoir faim dans sa substance incorporelle, éprouve cependant le besoin de la faim pour le corps, parce qu'elle lui est unie; ainsi le Sauveur ressent toutes les souffrances de l'Église qui est son corps, tout impassible qu'il est lui-même. Remarquez qu'en s'adressant aux justes, il énumère l'un après l'autre toutes leurs bonnes oeuvres, tandis qu'en parlant aux méchants, il abrège cette énumération en réunissant leurs fautes contre la charité. «J'ai été malade et en prison, et vous ne m'avez pas visité». Il était digne, en effet, de ce juge miséricordieux, d'énumérer avec complaisance, et de rehausser les bonnes oeuvres des hommes, et d'abréger, au contraire, l'énumération de leurs mauvaises actions.

S. Chrys. (hom. 79). Or, considérez que ce n'est point dans une ou deux circonstances, mais dans toutes absolument, qu'ils ont manqué aux devoirs de la miséricorde; car non seulement ils n'ont pas nourri celui qui avait faim, mais ce qui demandait beaucoup moins de peine, ils n'ont pas visité les malades. Voyez, d'ailleurs, quels devoirs faciles il prescrit. Il ne dit pas: J'étais en prison, et vous ne m'en avez pas fait sortir; j'étais malade, et vous ne m'avez pas guéri, mais: «Vous ne m'avez pas visité, vous n'êtes pas venus à moi». Il ne demande pas non plus pour apaiser sa faim une nourriture recherchée, mais ce qui est strictement nécessaire. Tout se réunit donc pour légitimer le supplice qu'il leur inflige. Premièrement, la facilité de donner ce qui leur était demandé, c'était du pain; secondement, la misère de celui qui leur faisait cette demande, et il était pauvre; troisièmement, la compassion naturelle qu'ils devaient éprouver pour lui, car il était homme; quatrièmement, le désir d'obtenir la récompense promise, c'était un royaume; cinquièmement, la dignité de celui qui recevait ces secours, c'était Dieu dans la personne des pauvres; sixièmement, l'honneur extraordinaire que Dieu leur faisait, en daignant recevoir de leurs mains; septièmement, la justice de cette aumône, puisqu'il ne reçoit que ce qui lui appartient. Mais l'avarice rend les hommes aveugles sur toutes choses. - S. Grég. (Moral., 26, 20). Ceux à qui le Sauveur tient ce langage, sont les mauvais chrétiens qui sont jugés avant d'être livrés au supplice, tandis, que les infidèles subissent leur châtiment sans jugement préalable. En effet, on ne discutera pas la cause de ceux qui se présentent devant le tribunal du juge sévère et rigoureux avec la sentence de condamnation que leur a méritée leur infidélité. Ce sont ceux qui ont fait profession de la vraie foi sans en avoir les oeuvres, qui auront à subir le jugement avant d'être punis. Ils entendront le souverain juge prononcer leur sentence, parce qu'ils ont au moins conservé la doctrine de la foi, tandis que les infidèles n'entendront même pas la parole du juge éternel prononçant leur condamnation, parce qu'ils n'ont même pas voulu lui rendre hommage par la confession extérieure de sa parole. C'est ainsi qu'un roi de la terre inflige un châtiment différent au citoyen qui se rend coupable dans l'intérieur du royaume, et à l'ennemi qui l'attaque au dehors; avant de punir le premier, il examine ses droits, tandis qu'il déclare la guerre au second sans s'occuper de ce que la loi renferme sur le châtiment qu'il mérite.

S. Chrys. (hom. 79). Ainsi convaincus par cette accusation du juste juge, ils lui répondent avec douceur: «Mais, Seigneur, quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim ou soif, et que nous avons manqué à vous assister ?» - Orig. Remarquez que les justes s'arrêtent à chaque parole du Sauveur, tandis que les méchants les effleurent comme en courant; car un des caractères des justes lorsqu'on déroule sous leurs yeux le tableau de leurs bonnes oeuvres, c'est de repousser ces éloges et de les réfuter en détail par un profond sentiment d'humilité; les méchants, au contraire, qui ne cherchent qu'à s'excuser, nient effrontément leurs crimes, ou en atténuent le nombre et l'énormité. La réponse de Jésus-Christ vient confirmer cette vérité: «Mais il leur répondra: Je vous le dis en vérité, autant de fois que vous avez manqué de le faire à l'un de ces plus petits», etc. Il veut rehausser la grandeur des bonnes oeuvres des justes, et dissimuler, au contraire, l'énormité des crimes des méchants, il dit aux justes: «Autant de fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères», tandis qu'en parlant aux méchants, il supprime le mot de frères. Les frères de Jésus sont les chrétiens parfaits, et il est plus agréable à Dieu que nous fassions du bien à ceux qui sont plus avancés dans la perfection qu'à ceux qui le sont moins, de même que nous sommes moins coupables de ne pas assister ceux qui sont d'une sainteté moins éminente.

S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 1). Il s'agit donc maintenant du jugement dernier, alors que Jésus-Christ descendra du ciel pour juger les vivants et les morts; nous appelons ce jour du jugement, le dernier jour, c'est-à-dire le dernier temps; car nous ignorons quelle sera la durée de ce jugement, le mot jour étant pris ici pour le temps selon l'habitude des saintes Écritures. Or, nous appelons ce jugement le dernier jugement, parce que Dieu juge dès maintenant, et il a jugé dès le commencement du monde en éloignant nos premiers parents de l'arbre de vie (Gn 3,24), et en punissant les anges prévaricateurs (2P 2,4). Mais dans ce jugement final, les anges seront juges aussi bien que les hommes. Par un effet de la puissance divine, toutes les oeuvres bonnes ou mauvaises que les hommes ont faites, seront rappelées au souvenir de chacun d'eux, elles viendront se placer sous les yeux de leur âme avec une étonnante rapidité, pour que leur conscience y trouve le principe de leur condamnation ou de leur justification.



Catena Aurea 5514