Catena Aurea 5546

v. 46

5546 Mt 25,46

S. Aug. (de la foi et des oeuvres, chap. 15). Il en est qui cherchent a se tromper eux-mêmes, en soutenant que c'est le feu et non pas le supplice, que Notre-Seigneur déclare être éternel, et c'est en prévision de cette erreur qu'il conclut en ces termes: «Et ceux-ci iront dans le supplice éternel, et les justes dans la vie éternelle». Remarquez que précédemment ce n'est qu'après avoir dit aux élus: «Venez les bénis de mon Père», qu'il adresse aux réprouvés ces terribles paroles: «Retirez-vous maudits», parce qu'il est dans la nature d'un Dieu bon de se rappeler les bonnes oeuvres des justes avant les crimes des méchants; ici, au contraire, il prédit le supplice des méchants avant la récompense des bons, pour nous faire éviter les malheurs qui doivent nous inspirer d'abord une crainte salutaire avant que nous désirions les biens qui doivent nous combler d'honneur et de gloire. - S. Grég. (Moral., 15, 9). Si le châtiment de celui qui est accusé de n'avoir pas donné son bien est si grand, que sera le supplice infligé à celui qui sera convaincu d'avoir pris le bien des autres ?

S. Aug. (Cité de Dieu, 19, 11). Or, la vie éternelle est notre souverain bien, et la fin de la Cité de Dieu, dont l'Apôtre a dit: «La fin, c'est la vie éternelle» (Rm 6,22). Mais comme ceux qui ne sont pas familiarisés avec le langage des saintes Écritures pourraient aussi entendre la vie éternelle de la vie des méchants, parce que leur âme est immortelle, ou à cause des supplices sans fin dont leur impiété est punie, on doit, pour être compris de tous, dire que la fin de cette cité dans laquelle on jouira du souverain bien, est la paix dans la vie éternelle, ou la vie éternelle dans la paix. - S. Aug. (de la Trin., 9). Ce que Dieu disait de lui-même à son serviteur Moïse: «Je suis celui qui suis» (Ex 3,14), c'est ce que nous contemplerons en vivant éternellement, comme Notre-Seigneur lui-même le déclare: «La vie éternelle, c'est de vous connaître, vous le seul Dieu véritable»; car cette vue de Dieu nous est promise comme la fin de toutes nos oeuvres, et le complément éternel de toutes nos joies, et c'est d'elle que saint Jean a voulu parler, lorsqu'il disait: «Nous le verrons tel qu'il est» (1Jn 3,2).

S. Jér. Remarquez, sage lecteur, que les supplices sont éternels, et que la vie éternelle n'a plus à craindre désormais d'épreuves fâcheuses. - S. Grég. (Moral., 34, 16). Mais, dit-on, c'est une simple menace que Dieu fait aux pécheurs pour les arrêter dans le chemin du vice. Si Dieu, répondrons-nous, a menacé de châtiments imaginaires pour retirer les pécheurs de l'iniquité, il a promis également des récompenses mensongères pour exciter à la pratique de la vertu; et c'est ainsi qu'en s'efforçant de défendre la miséricorde de Dieu, ils ne craignent pas de détruire ouvertement sa vérité. Mais, dira-t-on encore, une faute finie ne peut-être punie par un supplice infini? Nous répondrons que ce raisonnement serait juste, si le juste juge examinait et pesait seulement les actions des hommes, et non pas leurs coeurs et leurs intentions. La justice fait donc un devoir à ce juge équitable de ne laisser jamais sans supplice des âmes qui, en ce monde, n'ont voulu rester aucunement sans péché. - S. Aug. (Cité de Dieu, chap. 11) Sous aucune législation, la justice ne s'attache à proportionner la durée du châtiment à la durée du crime. Jamais personne n'a soutenu, par exemple, que la peine qui punit l'homicide ou l'adultère, ne dût pas se prolonger au-delà du temps qu'ont duré ces crimes. Lorsqu'un homme est condamné à mort pour quelque grand crime, est-ce que les lois mesurent sa punition sur le temps que dure son supplice? et n'est-ce pas plutôt parce que la mort le retranche pour toujours de la société humaine? Et d'ailleurs, la confiscation, la flétrissure, l'exil, l'esclavage, lorsque toutes ces peines sont appliquées dans toute leur rigueur et sans aucun adoucissement, ne sont-elles pas semblables aux peines éternelles, autant qu'elles peuvent l'être en cette vie? si elles ne sont pas éternelles, c'est que la vie elle-même qu'elles atteignent ne dure pas éternellement. Mais, ajoute-t-on, où est la vérité de cette parole de Jésus-Christ: «Vous serez mesurés avec la même mesure dont vous vous serez servis à l'égard des autres» (Mt 7,2). Si un péché qui n'a duré qu'un instant est puni par un supplice éternel? Nous répondons qu'en parlant de la sorte, on ne fait pas attention que cette même mesure, dont parle le Sauveur, doit s'entendre non pas d'une peine égale en durée à la faute, mais de la peine elle-même qui, par une juste réciprocité, sera le châtiment du mai qu'on aura fait aux autres. Or, l'homme s'est rendu digne d'un mal éternel pour avoir détruit en lui-même un bien qui le pouvait être.

S. Grég. (Moral., 34, 46). On fait une nouvelle objection: il n'y a pas d'homme juste qui puisse se complaire dans des cruautés gratuites, et si un maître qui est juste, fait battre de verges son serviteur coupable, c'est pour le corriger de ses vices, mais quel sera le but de ces feux éternels dans lesquels les méchants seront éternellement consumés? Nous répondons que le Dieu tout-puissant ne peut se repaître des tourments des malheureux, parce qu'il est miséricordieux, ni être apaisé par le supplice des coupables, parce qu'il est juste; mais une des fins pour lesquelles les méchants seront brûlés éternellement, c'est afin que les justes se reconnaissent éternellement d'autant plus redevables à la grâce divine, en voyant punies pour l'éternité des fautes que le secours de la grâce leur a fait éviter. - S. Aug. (Cité de Dieu, 21, 3). Mais, ajoute-t-on encore, Dieu n'a créé aucun corps qui soit sujet à la souffrance, sans être sujet à la mort. Nous répondons qu'il est nécessaire qu'il vive pour souffrir, mais qu'il n'est pas nécessaire que la souffrance lui ôte la vie. Est-ce que toute souffrance donne actuellement la mort à nos corps qui sont cependant mortels? Il est en effet des douleurs qui produisent cet effet, mais la cause en est que l'union actuelle de l'âme avec le corps ne peut résister, et cède devant des souffrances excessives. Mais alors, la nature du corps au quel l'âme sera unie, et les liens eux-mêmes qui établiront cette union seront à l'épreuve de toutes les douleurs. On ne peut pas dire qu'il n'y aura plus alors de mort; mais la mort sera éternelle, parce que l'âme ne pourra vivre privée de Dieu, et qu'elle ne pourra échapper par la mort aux douleurs du corps. Parmi ceux qui ont nié l'éternité des peines de l'enfer, le plus miséricordieux est Origène qui a cru que le démon lui-même et ses anges, après de rigoureux et longs supplices proportionnés à leurs fautes, obtiendraient leur délivrance, et rentreraient dans la société des saints anges. Mais l'Église l'a condamné avec raison pour cette erreur et d'autres encore; et il perdit jusqu'à ces faux dehors de miséricorde en créant aux saints de véritables souffrances, qui seraient pour eux des châtiments expiatoires, et une félicité mensongère, où leur joie n'aurait aucune sécurité, parce qu'elle ne serait point éternelle. Mais une erreur bien différente, et qui part toujours d'un faux sentiment de compassion, est celle qui prétend que les souffrances des hommes condamnés dans ce jugement n'auront qu'un temps, et qu'après avoir été délivrés tôt ou tard, ils jouiront d'un bonheur éternel. Mais pourquoi cette miséricorde, qui se répand sur toute la nature humaine, se tarit-elle aussitôt qu'elle arrive à la nature angélique? - S. Grég. (comme précédemment). Mais comment, objecte-t-on encore, peut-on croire à la sainteté de ceux qui ne prieront point pour leurs ennemis qu'ils verront alors la proie des flammes? Les saints prient pour leurs ennemis, tant que leurs prières peuvent amener leurs coeurs à un repentir utile et salutaire, mais pourquoi prieraient-ils pour ceux qui ne peuvent plus en aucune façon être séparés de l'iniquité ?

S. Aug. (Cité de Dieu, 19). Il en est d'autres encore qui promettent la délivrance des peines éternelles, non pas à tous les hommes indistinctement, mais seulement à ceux qui ont été justifiés par le baptême de Jésus-Christ, et qui participent à son corps, quelle qu'ait été d'ailleurs leur vie; et ils se fondent sur les paroles du Seigneur: «Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement». Il en est d'autres qui font cette promesse, non pas à tous ceux qui ont participé au sacrement du Christ, mais aux seuls catholiques, bien que leur vie soit répréhensible, et cela parce qu'ils ont mangé en réalité le corps de Jésus-Christ, en faisant partie de son corps mystique qui est l'Église; et ils leur garantissent ce bonheur quand même ils se raient tombés plus tard dans l'hérésie ou dans l'idolâtrie. Il en est encore qui s'appuient sur ces paroles du Sauveur: «Celui qui aura persévéré jusqu'à la fin, sera sauvé» (Mt 24,13), pour promettre exclusivement le bonheur éternel à ceux qui persévéreront dans l'Église catholique, quoiqu'ils y vivent d'une manière déréglée, parce que, disent-ils, en vertu du fondement de la foi qu'ils auront conservée, ils seront sauvés par le feu (1Co 3,15) qui doit devenir le supplice des méchants au dernier jour. Mais l'Apôtre condamne toutes ces erreurs par ces paroles: «Il est aisé de connaître les oeuvres de la chair qui sont l'impureté, la fornication, et autres crimes semblables, et je déclare que ceux qui les commettent, ne posséderont pas le royaume de Dieu» (Ga 5,21). Si quelqu'un, en effet, préfère les choses de la terre à Jésus-Christ, bien qu'il paraisse avoir la foi de Jésus-Christ, Jésus-Christ n'est cependant pas le fondement (1Co 3,11) de ses oeuvres, puisqu'il lui préfère des biens périssables; mais s'il fait plus, et qu'il commette l'iniquité, ce n'est plus seulement le second rang, mais le dernier, qu'il donne à Jésus-Christ. J'en ai rencontré aussi qui pensent que la peine des flammes éternelles n'atteindra que ceux qui auront omis d'expier leurs péchés par de dignes aumônes; c'est pour cela, disent-ils, que le souverain juge n'a voulu rappeler au jugement dernier que les aumônes qui ont été faites ou omises. Mais celui qui expie ses péchés par des aumônes proportionnées à ses fautes, devrait commencer par se faire l'aumône à lui-même; car c'est une indignité que de se refuser à soi-même ce qu'il accorde à son prochain, lorsqu'il entend le Seigneur lui dire: «Vous aimerez votre prochain comme vous-même», et encore: «Ayez pitié de votre âme, en vous efforçant de plaire à Dieu». Or, comment peut-on dire qu'il expie dignement ses péchés par ses aumônes, lui qui ne fait point à son âme l'aumône de plaire à Dieu? Il faut donc faire des aumônes pour nous rendre Dieu favorable lorsque nous le prions de nous pardonner nos péchés passés, mais non pas dans la pensée que nous pouvons persévérer dans ces mêmes péchés, et que nous achetons par nos aumônes la liberté de faire le mal. Et si le Seigneur promet qu'il placera à sa droite ceux qui ont fait l'aumône, et à sa gauche ceux qui ont négligé ce devoir de charité, c'est qu'il veut nous apprendre toute la puissance de l'aumône pour effacer les péchés passés, mais non pas assurer à jamais l'impunité de ceux que l'on pourrait commettre.

Orig. Ou bien, l'on peut dire que le Seigneur ne récompense pas ici une seule espèce de justice, comme plusieurs le pensent; car quelque soit le précepte de Jésus-Christ qu'on accomplisse, on apaise la faim et la soif de Jésus-Christ, qui se nourrit et s'abreuve de la justice, et de la vérité des fidèles De même nous couvrons de vêtements les membres glacés de Jésus-Christ, lorsque nous prenons le tissu de la sagesse, pour enseigner aux autres la saine doctrine et les revêtir des entrailles de la miséricorde. Lorsque nous ornons notre coeur des différentes vertus chrétiennes pour recevoir Jésus-Christ ou ceux qui lui appartiennent, c'est Jésus-Christ voyageur que nous recevons dans la demeure de notre âme. Lorsque nous visitons un frère in firme dans la foi ou dans les bonnes oeuvres, soit par la parole qui enseigne, soit par la réprimande, soit parla consolation, c'est Jésus-Christ lui-même que nous visitons. Enfin toute la terre est une véritable prison pour Jésus-Christ et pour ceux qui lui appartiennent, et qui, pendant cette vie, sont comme des prisonniers enchaînés dans les nécessités de la nature humaine. Toutes les fois donc que nous faisons du bien à nos frères, nous les visitons dans leur prison, et Jésus-Christ dans leur personne.


CHAPITRE XXVI


vv. 1-2


5601 Mt 26,1-2

S. Hil. (can. 28 sur S. Matth). Après avoir prédit que son second avènement aurait lieu dans tout l'éclat de sa gloire, Notre-Seigneur annonce que sa passion approche, pour faire comprendre à ses disciples l'union étroite qui existe entre le mystère de la croix et la gloire de l'éternité: «Et Jésus ayant achevé tous ses discours». - Rab. C'est-à-dire touchant la fin du monde et le jour du jugement, ou bien pour signifier qu'il avait achevé toutes les oeuvres et toutes les prédications qui étaient l'objet de sa mission, depuis le commencement de l'Évangile jusqu'à sa passion. - Orig. (Traité 35 sur S. Matth). L'Évangéliste ne dit pas simplement: Tous les discours, mais: «Tous ces discours», car le Sauveur devait encore en prononcer d'autres avant d'être livré à ses ennemis.


«Et il dit à ses disciples: Vous savez que la Pâque se fera dans deux jours». - Rab. Comme nous le voyons également dans saint Jean, Jésus vint à Béthanie six jours avant la Pâque, et, de là, se rendit à Jérusalem, où il fit son entrée monté sur un ânon, et c'est alors qu'il faut placer tous les événements qui eurent lieu à Jérusalem, d'après le récit des Évangélistes. Quatre jours s'étaient donc écoulés depuis l'arrivée de Jésus à Béthanie, puisque deux jours seulement le séparait de la Pâque. Il y a cette différence entre la Pâque et le jour des azymes, que le nom de Pâque était spécialement réservé au jour où on immolait, sur le soir, l'agneau pascal, c'est-à-dire au quatorzième jour de la lune du premier mois; et le quinzième jour qui correspond à la sortie du peuple juif de l'Egypte, avait lieu la fête des azymes. Cependant, les Évangélistes prennent indifféremment un jour pour l'autre. - S. Jér. Le mot Pâque (en hébreu phasach) ou passage ne vient pas du mot grec ðáóåßí (souffrir), et ne signifie point passion, mais passage, parce qu'en effet l'ange exterminateur, en voyant le seuil des portes des Israélites marqué du sang de l'agneau, passa sans les frapper (Ex 12,13), ou bien, parce que le Seigneur passa lui-même au-dessus d'eux pour venir au secours de son peuple. - Remi. Ou bien encore, ce nom vient de ce que le peuple d'Israël, délivré par la puissance du Seigneur, a passé de la servitude d'Egypte à la vraie liberté. - Orig. Notre-Seigneur ne dit pas: La Pâque sera ou viendra, mais «se fera», pour montrer qu'il ne voulait point parler de la pâque qui se célébrait conformément à la loi (Ex 12), mais d'une pâque nouvelle, telle qu'on ne l'avait point faite jusqu'alors. - Remi. Le mot pâque a un sens mystérieux, parce que c'est en ce jour que Jésus-Christ a passé du monde à son Père, de la corruption à l'incorruptibilité, de la mort à la vie; ou bien, parce qu'il a délivré le monde de l'esclavage du démon par son passage plein de grâce. Après les deux jours de la brillante lumière que répandent l'Ancien et le Nouveau Testament, la véritable pâque est célébrée (1Co 5,7); nous célébrons aussi notre Pâque ou notre passage, si nous laissons les choses de la terre pour nous hâter de nous diriger vers les choses du ciel.


Orig. Le Sauveur prédit à ses disciples qu'il sera livré, en ajoutant: «Et le Fils de l'homme sera livré pour être crucifié». Il les avertit d'avance, dans la crainte qu'ils ne soient stupéfaits et interdits en voyant leur maître attaché à la croix sans avoir été préparés. Il se sert de cette expression impersonnelle: «Il sera livré», parce que Dieu l'a livré par miséricorde pour le genre humain; Judas par avarice; le démon par la crainte de voir les enseignements du Sauveur arracher les hommes à sa puissance, et il ne voyait pas que le genre humain serait bien plus efficacement délivré par la mort de Jésus-Christ qu'il ne l'avait été par sa doctrine et par ses miracles.


vv. 3-5

5603 Mt 26,3-5

- La Glose. L'Évangéliste nous raconte les préparatifs de la passion que Jésus-Christ venait d'annoncer et les noires intrigues qui la précédèrent: «Alors les princes des prêtres s'assemblèrent», etc. - Remi. L'expression «Alors», rattache cette circonstance à ce qui précède; «Alors», c'est-à-dire avant la célébration de la Pâque. - Orig. Ce n'étaient point de vrais prêtres ni de véritables anciens, mais les prêtres et les anciens d'un peuple qui n'avait que l'apparence du peuple de Dieu, et qui était en réalité un vrai peuple de Gomorrhe. Ils ne comprirent pas que Jésus était le souverain Pontife de Dieu, et ils lui tendirent des pièges; ils ne reconnurent pas en lui le premier-né de toute créature, celui qui précède tous les hommes par l'ancienneté de son origine, et ils tinrent conseil contre lui.

S. Chrys. (hom. 79). Pleins de leurs projets iniques, ils viennent trouver le prince des prêtres, pour demander le pouvoir d'agir à celui qui aurait dû s'opposer à leurs desseins. Il y avait alors plusieurs grands prêtres, quoique, d'après la loi, il ne devait y en avoir qu'un seul, ce qui prouve un commencement de dissolution et de décadence dans le peuple juif, car Moïse avait établi qu'il n'y aurait qu'un seul grand prêtre, et qu'on ne lui donnerait un successeur qu'après sa mort; mais, dans la suite, la dignité de grand prêtre devint annuelle. L'Évangéliste appelle donc ici princes des prêtres ceux qui avaient été revêtus de cette dignité. - Remi. Or, ce qui les rend inexcusables, c'est cette double circonstance: qu'ils étaient grands prêtres, et qu'ils se réunissent pour faire le mal, car plus le nombre de ceux qui s'assemblent pour concerter un crime est grand, plus ils sont distingués par leur dignité, par leur position, par leur naissance, plus le crime qu'ils commettent devient énorme, et plus aussi le châtiment qui les attend est terrible. L'Évangéliste ajoute, pour montrer la simplicité et l'innocence du Seigneur: «Afin de se saisir de lui par ruse et de le faire mourir». Comme ils ne pouvaient trouver aucun motif légitime de le faire mourir, ils tinrent conseil pour se saisir de lui par la ruse et le mettre à mort. - S. Chrys. (hom. 79). Ils tinrent donc conseil pour se saisir de lui secrètement et le faire mourir, car ils craignaient le peuple, et ils voulaient attendre que la fête de Pâque fût passée. «Et ils disaient: Il ne faut point que ce soit pendant la fête». Le démon ne voulait pas que le Christ souffrît pendant la fête de Pâque, pour ne point donner un trop grand éclat à son supplice. Quant aux princes des prêtres, peu sensibles à la crainte de Dieu et à l'énormité bien plus grande d'un crime commis pendant cette grande fête, ils n'étaient préoccupés que d'une crainte toute humaine, c'est-à-dire que l'arrestation de Jésus ne suscitât quelque tumulte parmi le peuple». - 051G. Car les sentiments du peuple étaient différents: les uns aimaient Jésus-Christ, les autres le haïssaient; les uns croyaient en lui, les autres n'y croyaient pas.

S. Léon. (serm. pour le jour de Pâque). Les princes des prêtres prenaient des mesures pour qu'aucun tumulte n'eût lieu dans ce saint jour de fête; mais ce qui les préoccupait, ce n'était pas la solennité du jour, c'était l'exécution de leur crime, et ils redoutaient qu'une sédition ne vint à éclater pendant la principale fête de l'année, non pas dans la crainte que le peuple ne se rendît coupable, mais de peur que Jésus ne vint à leur échapper. - S. Chrys. (hom. 79). Mais l'excès même de leur méchanceté les fit changer de résolution, et ayant trouvé un traître à leur disposition, ils firent mourir Jésus-Christ pendant la fête même de Pâque. - S. Léon. (comme précéd). Nous devons reconnaître que c'est par un dessein bien marqué de la providence de Dieu que les princes des Juifs, qui avaient si souvent cherché l'occasion de satisfaire leur fureur contre Jésus-Christ, ne reçurent le pouvoir de l'exercer contre lui qu'à la fête de Pâque. Il fallait en effet que les promesses annoncées depuis si longtemps par des mystères figuratifs eussent un accomplissement visible et éclatant, que le véritable agneau prît la place de celui qui l'avait figuré, et qu'un sacrifice unique tint lieu désormais des victimes multipliées de l'ancienne loi. Afin donc que les ombres s'évanouissent devant la réalité, et que les figures dis paraissent en présence de la vérité, une victime succède à une victime, le sang est remplacé par le sang, et la solennité légale reçoit son accomplissement en faisant place à une autre.


vv. 6-13

5606 Mt 26,6-13

Après nous avoir fait connaître le conseil que tinrent les princes des prêtres pour faire mourir Jésus, l'Évangéliste va nous apprendre comment ils le mirent à exécution, en nous racontant comment Judas conclut avec les Juifs le traité qui devait leur livrer le Sauveur. Mais il nous instruit tout d'abord des causes de cette trahison, ce fut la peine qu'il éprouva qu'on n'eût pas vendu le parfum que cette femme répandit sur la tête de Jésus-Christ, car il désirait retenir quelque chose sur le prix; ce fut donc pour se dédommager de cette perte qu'il conçut le dessein de trahir son maître, «Or, comme Jésus était à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux», etc. - S. Jér. Ce n'est pas qu'il fut encore actuellement lépreux, mais parce qu'il avait été guéri précédemment de la lèpre, et l'Évangéliste lui conserve le nom de lépreux pour rappeler la puissance de celui qui l'avait guéri.

«Une femme s'approcha de lui, tenant un vase d'albâtre plein d'un parfum de grand prix», - Rab. L'albâtre est une espèce de marbre blanc veiné de diverses nuances et dont on se sert ordinairement pour des vases destinés à contenir des parfums et qui ont la propriété, dit-on, de les préserver de toute altération. - S. Jér. Un autre Évangéliste (Jn 12,3), au lieu d'un vase d'albâtre plein d'un parfum précieux, parle d'un parfum de nard fidèle, c'est-à-dire vrai et sans mélange. - Rab. Le mot grecðßóôéò (pistis) veut dire foi, d'où vient le mot p éóôßïí (pisticon), c'est-à-dire fidèle, et ce parfum était fidèle, parce qu'il était pur et sans mélange.

«Et elle le répandit sur sa tête lorsqu'il était à table». - Orig. Peut-être pourrait-on dire que les évangélistes on parlé de quatre femmes différentes; mais, à mon avis, ils n'ont parlé que de trois: l'une dont saint Matthieu et saint Marc font mention, l'autre dont parle saint Luc, et la troisième dont parle saint Jean. - S. Jér. Il ne faut point penser que ce fut la même qui répandit le parfum sur la tête et qui le répandit sur les pieds. Celle qui le répandit sur les pieds les lava de ses larmes, les essuya de ses cheveux, et elle est appelée expressément une femme de mauvaise vie, tandis qu'on ne dit rien de semblable de celle-ci, D'ailleurs, une femme pécheresse n'aurait pas été digne tout d'un coup de répandre des parfums sur la tête du Sauveur. - S. Ambr. On peut donc admettre que ce n'est pas la même femme, et ainsi disparaît toute contradiction entre les évangélistes. On peut encore résoudre cette difficulté, en tenant compte de la différence des temps et du mérite de cette femme, pécheresse en premier lieu, et femme vertueuse et parfaite dans la seconde circonstance. - S. Chrys. (hom. 80). A s'en tenir au récit des trois évangélistes, saint Matthieu, saint Marc et saint Jean, ce serait une seule et même personne. Or, ce n'est pas sans raison que l'Évangéliste rappelle que Simon était lépreux; il veut ainsi nous apprendre ce qui inspira à cette femme la confiance de s'approcher de Jésus. La lèpre était une maladie qui rendait impur, et cette femme voyant que Jésus en avait guéri cet homme chez qui il se trouvait, conçut la ferme espérance qu'il pourrait facilement purifier son âme de la lèpre impure du péché. Tandis que toutes les autres femmes ne s'étaient approchées de Jésus que pour lui demander la guérison de leur corps, seule cette femme s'approcha du Sauveur, pour lui rendre les honneurs qui lui étaient dus et pour en obtenir la guérison de son âme, car elle n'avait aucune infirmité corporelle; aussi, est-ce là ce qui la rend vraiment digne de notre admiration. D'après l'évangéliste saint Jean, au contraire, ce ne serait pas la même personne, mais une autre, la soeur admirable de Lazare. - Orig. Et la raison en est que saint Matthieu et saint Marc racontent que ce fait a eu lieu dans la maison de Simon le lépreux, tandis que saint Jean nous apprend que Jésus vint dans la maison où était Lazare, et que ce n'était pas Simon mais Marthe et Marie qui le servaient. D'ailleurs, selon saint Jean, c'est six jours avant la fête de Pâque que Marthe et Marie offrirent à Jésus un repas, tandis que lorsqu'il était à la table de Simon, on n'était plus séparé que par deux jours de la fête de Pâque. Dans saint Matthieu et dans saint Marc, nous voyons encore que ce sont les disciples qui manifestent leur mécontentement de la pieuse action de cette femme, tandis que, dans saint Jean, Judas seul s'en indigne parce qu'il aimait à voler; dans saint Luc, nous ne voyons personne murmurer de cette action. - S. Grég. (hom. 33 sur les évang). Ou bien, il faut dire que saint Luc appelle femme pécheresse cette même femme à qui saint Jean donne le nom de Marie. - S. Aug. (De l'accord des Evang., 2, 79). Saint Luc raconte un fait semblable, et celui chez qui Notre-Seigneur se trouvait alors à table porte le même nom, puisque saint Luc l'appelle Simon. Cependant, comme il n'est contraire ni à la raison, ni à l'usage que le même nom soit porté par deux personnes différentes, il est plus vraisemblable qu'il y avait à Béthanie un autre Simon, différent de Simon le lépreux, et chez lequel s'est passé cette scène. Je pense donc que la femme dont il est ici question n'est point différente de la pécheresse qui était venue se jeter alors aux pieds de Jésus, mais que c'est la même appelée Marie qui a fait la même action dans deux circonstances différentes; saint Luc a raconté la première et saint Jean lui-même la rappelle, comme trait distinctif de Marie, avant l'arrivée du Sauveur à Béthanie. «Or, il y avait un homme malade nommé Lazare, qui était du bourg de Béthanie, où demeuraient Marie et Marthe sa soeur. Cette Marie était celle qui répandit sur le Seigneur une huile de parfums, et qui essuya ses pieds avec ses cheveux, et Lazare, qui était alors malade, était son frère». Marie avait donc déjà répandu une fois des parfums sur le Seigneur, et elle répète cette action une seconde fois, dans une circonstance dont saint Luc ne parle pas, mais qui est racontée par les trois autres évangélistes, saint Jean, saint Matthieu et saint Marc. Saint Matthieu et saint Marc disent, il est vrai, qu'elle répandit ce parfum sur la tête du Seigneur, tandis que saint Jean le lui fait répandre sur les pieds. Mais il n'y a point en cela de contradiction, si nous admettons que cette femme répandit ce parfum, non seulement sur la tête, mais sur les pieds du Seigneur. Peut-être nous objectera-t-on, dans un esprit de chicane, que, suivant le récit de saint Marc, cette femme brisa le vase d'albâtre avant de répandre le parfum sur la tête du Seigneur, et qu'il est impossible qu'il en soit resté assez dans ce vase brisé pour parfumer ses pieds. Mais que les contradicteurs veuillent bien remarquer qu'elle a pu répandre le parfum sur les pieds du Sauveur avant de briser le vase, et qu'il en est resté assez dans ce vase entier pour répandre sur sa tête lorsqu'elle l'eut brisé.

S. Aug. (doct. chrét., 3, 12). Personne, pour peu qu'il fasse usage de sa raison, n'ira croire que le Seigneur a permis que cette femme répandit ces parfums sur ses pieds, à l'exemple des hommes sensuels et voluptueux. Dans toutes ces choses, ce n'est point l'usage qui est coupable, mais la mollesse voluptueuse de ceux qui s'en servent. Celui qui, dans l'usage qu'il en fait, dépasse les limites que s'imposent les personnes vertueuses au milieu desquelles il vit, ou fait preuve de dépravation, ou annonce que sa conduite a quelque chose de mystérieux. La même chose donc qui, dans les autres, est presque toujours coupable, dans une personne divine ou dans un prophète, peut être un symbole ou une figure; car la bonne odeur figure la bonne réputation, et celui qui s'en rend digne par les oeuvres d'une vie vertueuse, en suivant les pas de Jésus-Christ, semble répandre sur ses pieds un parfum d'un grand prix.

S. Aug. (de l'accord des Evang., 2, 78). Il semble qu'il y ait contradiction entre saint Matthieu et saint Marc, qui, après avoir dit que la Pâque se ferait dans deux jours, mentionnent tous les deux que Jésus était à Béthanie, où ce parfum précieux fut répandu sur sa tête, tandis que saint Jean place le même fait six jours avant la fête de Pâque. Mais ceux qui font cette difficulté, ne remarquent pas que c'est par récapitulation que saint Matthieu et saint Marc racontent ce fait; car aucun d'eux, après avoir dit que la Pâque se ferait dans deux jours, ne continue son récit en ajoutant: «Ensuite comme Jésus était à Béthanie».

S. Chrys. (hom. 80). Mais comme les disciples avaient entendu le divin Maître proclamer cette vérité: «J'aime mieux la miséricorde que le sacrifice» (Mt 9,12), ils se disaient en eux-mêmes: s'il n'a point pour agréables les holocaustes, à plus forte raison l'usage que l'on fait de ce parfum. «Ce que ses disciples voyant, ils s'indignèrent et dirent: A quoi bon cette perte, car on aurait pu vendre», etc. - S. Jér. Je sais qu'il en est qui attaquent ce passage; car d'après saint Jean, disent-ils, Judas seul s'indigna, parce qu'il avait la bourse, et qu'il avait volé dès le commencement; saint Matthieu, au contraire, raconte que tous les disciples s'élevèrent contre cette femme. Mais ils oublient qu'il y a ici cette figure de mots, appelée syllepse (óýëëçøéò), qui consiste à employer le singulier pour le pluriel, et le pluriel pour le singulier. C'est ainsi que dans son épître aux Hébreux, saint Paul dit des justes de l'ancienne loi: «Ils ont été sciés» (He 11,37), tandis que d'après l'opinion commune, Isaïe seul a souffert ce supplice. - S. Aug. (de l'accord des Evang., 2, 79). On peut encore admettre que les autres disciples partagèrent ces mêmes sentiments, et peut-être à la persuasion de Judas; c'est cette impression générale que saint Matthieu et saint Marc ont voulu exprimer. Mais Judas tint ce langage, parce que c'était un voleur, les autres y participèrent par un sentiment de charité pour les pauvres, et saint Jean n'a fait mention que de Judas, parce qu'il a voulu constater à cette occasion l'habitude qu'il avait de voler.

S. Chrys. (hom. 80). Telles étaient les pensées des disciples, mais le Seigneur, qui voyait l'intention de cette femme, la laisse agir, tant est grande la piété qui l'inspire, et le zèle qui l'anime. Il condescend donc à ses désirs, et lui permet de répandre ce parfum sur sa tête. Le Père céleste avait souffert qu'on lui offrit l'odeur des victimes et la fumée des sacrifices (Gn 8,2), ainsi Jésus-Christ daigne accepter le parfum que cette femme répand sur lui par un sentiment de religion, tandis que ses disciples la blâment, parce qu'ils ignorent l'intention qui la fait agir. «Mais Jésus, sachant leurs murmures, leur dit: Pourquoi faites-vous de la peine à cette femme ?» - Remi. Preuve évidente qu'ils avaient dit quelque chose de blessant pour cette femme, Il ajoute cette parole remarquable: «Elle vient de faire une bonne oeuvre envers moi», c'est-à-dire, ce n'est point là comme vous le dites une perte, mais une bonne oeuvre, un acte de piété et de religion. - S. Chrys. (hom. 80). Il ne se borne pas à dire: «Elle a fait une bonne oeuvre envers moi», mais il commence par réprimander ses disciples: «Pourquoi faites-vous de la peine à cette femme ?» parce qu'il veut nous apprendre à encourager, à exciter celui qui fait une bonne action quelle qu'elle soit, fût-elle d'ailleurs accompagnée de quelques négligences, et à ne point exiger tout d'abord la perfection. Si on l'avait interrogé avant que cette femme fit cette action, il ne lui en aurait pas fait une obligation; mais après que ce parfum eut été répandu, le reproche des disciples n'avait plus d'application, et c'est pour ne point étouffer les saints désirs de cette femme qu'il s'exprime ainsi pour sa consolation.

«Car vous aurez toujours des pauvres avec vous». - Remi. Notre-Seigneur leur prouve ici par une raison claire, qu'il ne fallait pas incriminer la conduite de ceux qui l'assistaient de leurs biens pendant le cours de sa vie mortelle; car il y aurait toujours des pauvres dans l'Église, et les fidèles trouveraient toujours l'occasion de leur faire du bien quand ils le voudraient, tandis qu'il devait rester peu de temps avec eux revêtu d'un corps mortel. «Mais pour moi, vous ne m'aurez pas toujours». - S. Jér. On peut se demander comment Notre-Seigneur a pu dire à ses disciples après sa résurrection: «Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation du monde» (Mt 28,20), tandis qu'il leur déclare ici qu'ils ne l'auront pas toujours. Je réponds que dans cette dernière circonstance, il veut parler de sa présence sensible dont ils ne devaient plus jouir après sa résurrection, comme ils en jouissaient maintenant en toute intimité dans le commerce habituel de la vie. - Remi. Ou bien, cette question peut se résoudre en disant que c'est à Judas seul que Notre-Seigneur a adressé ces paroles, et s'il n'a pas dit: Tu auras, mais: «Vous aurez», c'est que dans la personne de Judas, il a eu en vue tous ses imitateurs. Il dit aussi: «Vous ne m'aurez pas toujours», bien que les méchants ne l'aient même pas pour un temps, parce qu'ils paraissent avoir Jésus-Christ pendant cette vie en se mêlant avec ses membres, et en s'approchant de sa table, mais ils ne l'auront pas toujours de cette manière, parce que ce n'est qu'aux seuls élus qu'il dira: «Venez les bénis de mon Père».

«Car en répandant ce parfum», etc. C'était un usage chez les Juifs d'embaumer avec divers parfums les corps des morts, pour les préserver plus longtemps de la corruption, et comme cette femme devait avoir la pensée d'embaumer le corps du Seigneur après sa mort, pensée qu'elle ne pourrait exécuter, prévenue qu'elle serait par la résurrection, Dieu permit, par une disposition providentielle, qu'elle couvrît de parfums le corps vivant de Jésus. C'est ce que signifient ces paroles: «En répandant ce parfum sur mon corps, elle l'a fait pour m'ensevelir», c'est-à-dire qu'en répandant ce parfum sur mon corps pendant ma vie, elle a comme annoncé ma mort et ma sépulture.

S. Chrys. (hom. 80). Le Sauveur vient de parler de mort et de sépulture, il ne veut pas laisser cette femme sous l'impression de tristesse, que ces paroles devaient lui causer, il la console donc de nouveau en ajoutant: «Je vous le dis en vérité, partout où sera prêché», etc. - Rab. C'est-à-dire dans tous les lieux où s'étendra l'Église, dans tout l'univers on racontera ce qu'a fait cette femme, etc. Ces dernières paroles nous apprennent que de même que Judas en blâmant cette action, s'est couvert à tout jamais d'infamie, ainsi cette femme recueille dans tous les siècles la gloire de son pieux dévouement. - S. Jér. Voyez quelle connaissance de l'avenir, lui dont la passion et la mort devaient avoir lieu dans deux jours, il sait que son Évangile sera prêché dans tout l'univers. - S. Chrys. (hom. 80). Or, voici que cette prédiction a reçu son accomplissement; et dans quelque partie de la terre que vous alliez, vous verrez cette femme devenue célèbre par la puissance de celui qui a fait cette prédiction. Les victoires d'une multitude de rois et de généraux sont ensevelies dans le silence et l'oubli, et on ne connaît ni le nom, ni les actions d'un grand nombre de ceux qui ont construit des villes et réduit en servitude une infinité de nations. Mais cette femme a répandu un vase de parfum dans la maison d'un lépreux, en présence de douze hommes, et voici que tous la célèbrent à l'envi par toute la terre, et malgré le temps qui s'est écoulé depuis, le souvenir de cette action n'est pas effacé. Mais pourquoi Notre-Seigneur n'a-t-il point promis de récompense particulière à cette femme, mais seulement une mémoire éternelle? Parce que sa récompense est clairement indiquée dans les paroles du Sauveur; car puisqu'elle a fait une bonne oeuvre, il est évident qu'elle en recevra la récompense.

S. Jér. Dans le sens mystique, celui qui doit souffrir pour l'univers entier, s'arrête à Béthanie dans la maison de l'obéissance, autrefois la maison de Simon le lépreux, Simon veut dire aussi obéissant, et selon une autre explication, il signifie le monde, et c'est dans sa maison que l'Église a été guérie. - Orig. Partout, dans les Écritures, l'huile signifie ou une oeuvre de miséricorde qui entretient la lampe de la parole et lui donne son éclat, ou la doctrine destinée à nourrir la parole de la foi, qui brille en nous comme une lumière. Généralement on donne le nom d'huile à tout ce qui sert à oindre le corps. Mais parmi les huiles, il y a les parfums, et parmi les parfums, il en est de plus précieux les uns que les autres. Ainsi tout acte, selon la justice, s'appelle une bonne oeuvre; mais parmi les bonnes oeuvres, celles que nous faisons pour les hommes ou d'une manière toute humaine, sont différentes de celles que nous faisons pour Dieu et dans l'intention de lui plaire. De même dans les actions que nous faisons pour Dieu, les unes sont utiles aux hommes, les autres ne tendent qu'à la gloire de Dieu. Ainsi, par exemple, un homme fait du bien à son semblable par un sentiment naturel de justice, et sans songer à plaire à Dieu, comme le faisaient parfois les Gentils, cette action est une huile ordinaire, qui n'a point d'odeur exquise, elle est cependant agréable à Dieu; car, comme le dit saint Pierre dans les écrits de saint Clément, les bonnes oeuvres que font les infidèles leur servent dans ce monde, mais non dans l'autre où elles sont stériles pour la vie éternelle. Ceux qui agissent pour Dieu, en recueillent surtout le prix dans l'autre vie, et c'est un parfum qui exhale une odeur délicieuse. Quelquefois ils agissent dans l'intérêt du prochain en faisant des aumônes, ou d'autres oeuvres semblables, et celui qui exerce ces oeuvres de miséricorde à l'égard des chrétiens, répand des parfums sur les pieds de Jésus-Christ. C'est ce que font ordinairement les pécheurs repentants pour obtenir la rémission de leurs péchés. Celui, au contraire, qui s'applique à la pratique de la chasteté, qui persévère dans les prières, dans les jeûnes et dans d'autres oeuvres qui ne tendent qu'à la gloire de Dieu, répand des parfums sur la tête du Seigneur; c'est un parfum précieux dont l'odeur se répand dans toute l'Église, et c'est l'oeuvre propre, non pas des pénitents, mais des parfaits. Ou bien, le parfum répandu sur les pieds du Sauveur, c'est la doctrine qui est nécessaire aux hommes, tandis que la connaissance de la foi qui n'a pour objet que Dieu est le parfum répandu sur la tête de Jésus-Christ, et c'est par ce parfum que nous sommes, par le baptême, ensevelis avec Jésus-Christ pour mourir au péché. - S. Hil. Cette femme figure le peuple des Gentils, c'est elle qui, dans la passion de Jésus-Christ, rend gloire à Dieu; car elle a répandu des parfums sur sa tête, et la tête du Christ c'est Dieu; l'huile, c'est le fruit des bonnes oeuvres. Les disciples, dans le désir qu'ils avaient de sauver Israël, prétendent qu'on aurait dû vendre ce parfum pour en distribuer le prix aux pauvres, c'est-à-dire aux Juifs qu'ils appellent par une inspiration prophétique des pauvres, comme étant privés des richesses de la foi, et le Seigneur leur déclare qu'ils auront tout le temps nécessaire pour prendre soin de ces pauvres. D'ailleurs ce n'est que par son ordre exprès qu'ils pourront porter le salut aux Gentils qui ont été ensevelis avec lui, et couverts du parfum répandu par cette femme; car la régénération ne sera donnée dans le baptême qu'à ceux qui seront morts avec lui. Or, partout où l'Évangile sera prêché, on racontera ce qu'a fait cette femme, parce qu'après la chute du peuple d'Israël, la foi des Gentils proclamera la gloire de l'Évangile.



Catena Aurea 5546