Catena Aurea 5645

vv. 45-46


5645 Mt 26,45-46

S. Hil. (can. 31). Après ces prières multipliées, après ces démarches répétées, il bannit la crainte de l'âme de ses disciples, il leur rend la sécurité, et les invite à prendre du repos: «Alors il revint trouver ses disciples», etc. - S. Chrys. (hom. 83). Au contraire, c'est alors qu'il fallait veiller; mais il leur parle de la sorte pour leur faire comprendre qu'ils ne pourraient supporter la vue des maux qui allaient fondre sur lui, et que d'ailleurs, il n'avait pas besoin de leur secours, puisqu'il fallait nécessairement qu'il fût livré à ses ennemis. - S. Hil. Ou bien, il s'exprime ainsi, parce qu'il attendait désormais avec confiance l'effet de la volonté de son Père sur ses disciples, d'après la prière qu'il lui avait faite: «Que votre volonté soit faite», assuré qu'il était qu'en buvant le premier le calice qui devait passer jusqu'à nous, il absorbait pour ainsi dire, en sa personne, les infirmités de notre corps, les sollicitudes de la crainte, et la douleur elle-même de la mort. - Orig. Ou bien, ce sommeil qu'il commande maintenant à ses disciples de prendre, n'est pas le même auquel ils ont succombé précédemment; en effet, lors que Jésus vint les trouver alors, ils dormaient, il est vrai, et avaient leurs yeux appesantis, mais ils ne se reposaient pas; maintenant, au contraire, il leur commande, non plus simplement de dormir, mais de dormir d'un sommeil qui les repose, pour que l'ordre naturel des choses soit observé. C'est ainsi que nous devons d'abord veiller et prier pour ne point tomber dans la tentation, afin de pouvoir ensuite nous livrer au sommeil et au repos. Ainsi tout homme qui a trouvé une demeure au Seigneur, un tabernacle au Dieu de Jacob peut monter sur le lit de son repos, et accorder le sommeil à ses yeux (Ps 132,4) Peut-être aussi l'âme qui ne peut toujours supporter la fatigue, accablée qu'elle est sous le poids du travail, obtiendra quelques moments de relâche que l'on compare au sommeil, et qu'elle pourra goûter sans crainte de reproche, afin de pouvoir se lever toute renouvelée après ces quelques instants de repos. - S. Hil. Lorsque Notre-Seigneur revient vers ses disciples, et qu'il les trouve endormis, la première fois, il leur en fait un reproche; la seconde fois, il se tait; la troisième fois, il leur ordonne de se reposer. Voici la raison de cette conduite: premièrement, après sa résurrection, il les trouva dispersés, pleins de défiance et de crainte; secondement, lorsqu'il les visita en leur envoyant l'Esprit saint, leurs yeux étaient appesantis et ne pouvaient contempler la liberté de l'Évangile; car l'amour de la loi, qui les retenait encore tant soit peu, les laissait comme plongés dans le sommeil par rapport à la foi; troisièmement enfin, lorsqu'il reviendra dans l'éclat de sa majesté, il leur rendra la sécurité et le repos.

Orig. Après les avoir tirés de leur sommeil, Jésus, voyant en esprit Judas qui s'approchait pour le trahir, sans que ses disciples pussent encore l'apercevoir, leur dit: «Voici l'heure qui approche», etc. - S. Chrys. (hom. 83). Ces paroles: «L'heure approche», prouvent que tout se faisait par suite d'une disposition toute divine, et ces autres: «Le Fils de l'homme va être livré entre les mains des pécheurs», que sa passion était l'oeuvre de leur méchanceté, et qu'il n'était coupable d'aucun crime qui pût en être la cause. - Orig. Maintenant encore, Jésus est livré entre les mains des pécheurs, lorsque ceux qui paraissent croire en lui l'ont entre les mains, tout pécheurs qu'ils sont. De même, toutes les fois qu'un juste qui possède Jésus en soi, devient esclave du péché, Jésus est encore livré entre les mains des pécheurs.

S. Jér. Après avoir prié pour la troisième fois, et obtenu pour ses Apôtres que leur repentir pût expier leurs craintes, sans inquiétude de sa passion, il se dirige vers ses persécuteurs, et se présente de lui-même à la mort: «Levez-vous, allons», c'est-à-dire, afin qu'ils ne vous trouvent pas en proie aux appréhensions et à la crainte, marchons de nous-mêmes à la mort, et qu'ils soient témoins de l'assurance et de la joie de celui qu'ils vont faire souffrir. «Voici qu'approche celui qui me doit livrer». - Orna. Il ne dit pas: Il s'approche de moi; car le traître disciple ne s'approchait pas de Jésus, lui qui s'en était éloigné par ses péchés. - S. Aug. (de l'accord des Evang., 3, 4). Ce récit de saint Matthieu paraît contradictoire; car comment a-t-il pu dire: «Dormez maintenant et reposez-vous», et ajouter presque immédiatement: «Levez-vous, allons ?» Cette contradiction apparente a porté quelques interprètes à soutenir que ces paroles du Sauveur: «Dormez maintenant et reposez-vous», sont un reproche qu'il leur fait, plutôt qu'une permission qu'il leur donne, explication qu'on pourrait très bien admettre, si elle était nécessaire; mais comme dans le récit de saint Marc après que Jésus a dit: «Dormez maintenant et reposez-vous», il ajoute: «C'est assez», et puis ensuite: «L'heure est venue, le Fils de l'homme va être livré», nous devons comprendre qu'après avoir dit: «Dormez maintenant et reposez-vous», le Seigneur a gardé quelque temps le silence, pour laisser s'accomplir ce qu'il avait promis, et qu'ensuite il ajoute: «Voici que l'heure approche». D'après saint Marc, le Sauveur leur dit: «C'est assez», c'est-à-dire vous vous êtes reposés suffisamment.


vv. 47-50

5647 Mt 26,47-50

La Glose. L'Évangéliste vient de nous dire que le Seigneur avait été lui-même au-devant de ses persécuteurs; il nous raconte maintenant comment ils se saisirent de sa personne: «il par lait encore, lorsque Judas, un des douze», etc. - Remi. Un des douze, c'est-à-dire qu'il était numériquement un des douze, mais qu'il ne méritait pas d'en faire partie, circonstance que l'auteur sacré relève pour faire ressortir l'énormité du crime de Judas qui, d'apôtre, était devenu un traître: «Et avec lui une grande troupe de gens armés d'épées et de bâtons». Pour nous montrer que c'était l'envie qui avait ordonné de se saisir de Jésus, l'Évangéliste ajoute: «Qui avaient été envoyés par les princes des prêtres, et par les anciens du peuple». - Orig. On pourrait dire qu'ils avaient envoyé cette grande troupe pour se saisir de lui, à cause du grand nombre de ceux qui croyaient en lui, et dans la crainte que cette multitude ne vînt à le délivrer de leurs mains. Mais pour moi, je pense que ce fut pour un autre motif, et parce qu'étant persuadés qu'il chassait les démons par Béelzébub, ils s'imaginaient qu'il pourrait, à l'aide de quelques maléfices, s'échapper des mains de ceux qui venaient s'emparer de lui. Il en est encore beaucoup qui combattent contre Jésus, armés de glaives spirituels, c'est-à-dire répandant sur Dieu des erreurs nombreuses et variées. «Or, celui qui le trahit leur avait donné ce signe: «Celui que je baiserai», etc. Il n'est pas inutile de rechercher pourquoi Judas donna un signe pour faire connaître Jésus, alors que sa figure était connue de tous les habitants de la Judée. Or, d'après une tradition qui est parvenue jusqu'à nous, Jésus se manifestait sous deux formes extérieures, l'une sous laquelle tout le monde le voyait; l'autre, sous laquelle il apparut lors de sa transfiguration sur la montagne. De plus, il se manifestait à chacun selon qu'il en était digne, et de même qu'il est écrit de la manne qu'elle avait pour chacun le goût qu'il souhaitait, ainsi le Verbe de Dieu ne se manifeste pas à tous de la même manière. Ce sont ces di verses transfigurations qui rendaient nécessaire un signe pour le faire reconnaître. - S. Chrys. (hom. 83). Ou bien, il leur donna un signe, parce que souvent il s'était échappé de leurs mains, sans qu'ils s'en aperçussent, et c'est ce qu'il eût encore fait, s'il l'eût voulu.

«Et aussitôt, s'approchant de Jésus, il lui dit: Salut, Maître. Et il le baisa». - Rab. Le Sauveur reçoit le baiser du traître, non pour nous apprendre à user de feinte et de dissimulation, mais parce qu'il ne voulait point paraître se dérober à la trahison. - Orig. Si l'on demande pourquoi Judas a trahi Jésus par un baiser, nous répondons que selon quelques-uns ce fut pour conserver les marques extérieures de respect à l'égard de son maître, sur lequel il n'osait se jeter publiquement; selon d'autres, c'est parce qu'il craignit qu'en se déclarant ouvertement son ennemi, il ne fût cause qu'il ne lui échappât, puisque dans sa pensée le Sauveur pouvait se dérober au danger qui le menaçait et se rendre invisible. Pour moi, je pense que tous ceux qui trahissent la vérité, la trahissent par un baiser et en affectant un amour hypocrite pour elle. Tous les hérétiques disent aussi à Jésus, comme Judas: «Je vous salue, Maître». Or, Jésus lui fait une réponse pleine de douceur: «Et Jésus lui répondit: Mon ami, dans quel dessein êtes-vous venu ?» Il l'appelle «mon ami», pour lui reprocher son hypocrisie, car nous ne voyons dans l'Écriture aucun juste appelé de ce nom (Ct 5 2Ch 20 Jdt 8 Is 41), tandis que le Père de famille dit au convive qui n'avait pas la robe nuptiale: «Mon ami, comment êtes-vous entré ici ?» (Mt 22,12); et ailleurs, à l'un des ouvriers qui murmuraient: «Mon ami, je ne vous fais pas de tort» (Mt 20,13) - S. Aug. (Serm. pour le Dim. de la Pas). Jésus lui dit: «Dans quel dessein êtes-vous venu ici ?» C'est-à-dire, vous me donnez un baiser et vous me trahissez. Je sais pourquoi vous êtes venu, vous feignez d'être mon ami, alors que vous n'êtes qu'un traître. - Remi. Ou bien, en lui disant: «Ami, qu'êtes-vous venu faire ici», il sous-entend: Faites ce pourquoi vous êtes venu. «Alors ils s'avancèrent, se jetèrent sur Jésus et se saisirent de lui». Alors, c'est-à-dire quand il le leur permit, car bien souvent ils en eurent le désir sans pouvoir l'exécuter. - Rab. Tressaille de joie, ô chrétien, tu as gagné au trafic de tes ennemis, et tu as acquis ce que Judas a vendu et ce que le Juif a acheté.


vv. 51-54

5651 Mt 26,51-54

S. Chrys. (hom. 84). Saint Luc nous rapporte que le Seigneur avait dit pendant la Cène à ses disciples: Que celui qui a un sac le prenne, de même que sa bourse, et que celui qui n'en a pas vende sa tunique et achète un glaive: «Et les disciples répondirent: Il y a deux glaives ici» (Lc 22). On comprend qu'ils aient eu des glaives avec eux, puisqu'ils venaient de manger l'Agneau pascal. D'ailleurs, comme ils savaient que les ennemis de Jésus-Christ s'approchaient pour se saisir de lui, ils prirent, au sortir du cénacle, des glaives pour défendre leur Maître contre ses persécuteurs ou comme s'ils allaient combattre pour lui. «Alors, un de ceux qui étaient avec Jésus, portant la main à son épée, la tira». - S. Jér. On lit dans un autre évangéliste que ce fut Pierre, et qu'il agit avec la même ardeur qu'il fait paraître en toute circonstance «Et, frappant un des serviteurs du grand-prêtre, il lui coupa une oreille». Ce serviteur du grand-prêtre s'appelait Malchus, et l'oreille qui lui fut coupée était la droite. Or, nous dirons en passant que ce Malchus (c'est-à-dire qui était autrefois roi des Juifs), est devenu esclave de l'impiété et de la cupidité des prêtres, et a perdu l'oreille droite pour ne plus entendre que de l'oreille gauche la pauvreté du sens littéral de la loi. - Orig. Car, bien que les Juifs paraissent encore entendre aujourd'hui la loi, ce n'est pas la vérité, mais l'ombre de la tradition de la loi qu'ils entendent de l'oreille gauche. Au contraire, le peuple qui a embrassé la foi parmi les Gentils est ici représenté par Pierre, et par le fait même qu'ils ont cru en Jésus-Christ, ils ont été cause que les Juifs ont cessé d'entendre de l'oreille droite. - Rab. Ou bien on peut dire que Pierre n'enlève pas à ceux qui écoutent, le sens de la perception de la vérité, mais qu'il ne fait que manifester le juste jugement de Dieu qui ôte ce sens à ceux qui négligent de s'en servir, tandis que l'usage de cette même oreille droite est rendu par un effet de la miséricorde divine à tous ceux qui, parmi le peuple juif, ont embrassé la foi. - S. Hil. (can. 32). Ou bien, dans un autre sens, l'oreille coupée par Pierre au valet du grand-prêtre figure le sens indocile de l'ouïe, qui est retranché par le disciple de Jésus-Christ au peuple esclave du sacerdoce judaïque et qui devient incapable de recevoir la vérité qu'il a refusé d'entendre.

S. Léon. (Serm. 1 sur la Pas). Le Seigneur ne souffre pas que le pieux élan de son zélé disciple aille plus loin: «Alors Jésus lui dit: Remets ton glaive en son lieu». En effet, il eut été contraire au mystère de la rédemption que celui qui venait mourir pour tous les hommes ne consentît pas à se laisser prendre par ses ennemis. Il donna donc à ces furieux le pouvoir d'assouvir leur rage contre lui, pour ne point prolonger, par le retard du glorieux triomphe de la croix, l'empire du démon et la captivité du genre humain. - Rab. Il fallait aussi que l'auteur de la grâce enseignât par son exemple la patience aux fidèles, et qu'il leur apprît à sup porter courageusement la persécution, plutôt que de les exciter à la vengeance. - S. Chrys. (hom. 83). Il use même de menaces pour persuader plus facilement son disciple: «Car tous ceux qui prendront le glaive périront par le glaive». - S. Aug. (contre Fauste, 22, 76). C'est-à-dire, quiconque se sera servi du glaive. Celui qui prend le glaive est celui qui le fait servir à répandre le sang sans l'ordre, le consentement ou la permission de l'autorité supérieure et légitime; car le Seigneur avait bien ordonné à ses disciples de porter un glaive, mais non pas de s'en servir pour frapper. En quoi donc est-ce une indignité qu'après cette faute, Pierre soit devenu le chef de l'Église, de même que Moïse devint le chef et le prince de la synagogue après avoir tué un Egyptien? (Ex 2,11-14). L'un et l'autre outrepassèrent la règle, non par une cruauté détestable, mais par un sentiment de colère bien digne de pardon; l'un et l'autre agirent sous l'impression de la haine contre l'injustice commise sous leurs yeux, bien que l'un ait péché par un excès d'amour fraternel, et le second par une affection vive, quoique charnelle encore, pour son Maître. - S. Hil. Mais la mort par le glaive n'est point le châtiment de tous ceux qui se servent du glaive, car la fièvre ou d'autres accidents en emportent beaucoup de ceux qui ont fait usage du glaive, ou en remplissant les fonctions de juge, ou en résistant nécessairement aux voleurs. Si cependant, d'après la sentence du Sauveur, tout homme qui se sert du glaive doit périr par le glaive, c'est avec justice qu'on faisait mourir par le glaive ceux qui s'en servaient pour commettre quelque crime. - S. Jér. Or, quel est le glaive qui fera périr celui qui se sera servi du glaive? Le glaive de feu qui flamboie à la porte du paradis (Gn 3,24), et le glaive de l'esprit qui se trouve décrit dans l'armure de Dieu (Ep 6,11). - S. Hil. Le Seigneur ordonne que le glaive soit remis dans le fourreau, parce qu'il devait faire périr ses ennemis, non sous les coups d'un glaive matériel, mais par le glaive de sa bouche. - Remi. Ou bien enfin, dans un autre sens, celui qui se sert du glaive pour tuer son semblable, périt tout le premier, victime du glaive de sa malice.

S. Chrys. (hom. 84). Non seulement le Sauveur modère le zèle de ses disciples par cette menace, mais encore en leur montrant que c'était volontairement qu'il souffrait cet attentat: «Penses-tu que je ne puisse prier mon Père, et qu'il ne m'enverra pas à l'heure même plus de douze légions d'anges?» Comme il avait donné de si nombreuses marques de la faiblesse naturelle à l'homme, ils auraient eu peine à le croire s'il leur avait dit qu'il pouvait lui-même se défaire de ses ennemis; c'est pour cela qu'il ajoute: «Penses-tu que je ne puisse pas prier mon Père ?» - S. Jér. C'est-à-dire: je n'ai nul besoin d'être défendu par douze apôtres, quand ils devraient tous s'armer pour ma cause, moi qui puis avoir douze légions d'anges à mon service. Une légion, chez les anciens, était composée de six mille hommes; ces douze légions, par conséquent, formeraient un total de soixante-douze mille anges, correspondant au nombre des nations qui se dispersèrent après la division des langues. - Orig. Nous voyons par là que de même qu'il existe des légions dans la milice de la terre, il y a aussi, dans la milice du ciel, des légions d'anges pour combattre les légions des démons (Mc 4 Lc 8), car toute milice est formée dans le dessein de l'opposer aux attaques de l'ennemi. Toutefois, s'il s'exprime de la sorte, ce n'est pas qu'il ait besoin du secours des anges, mais c'est pour se conformer à la manière de voir de Pierre, qui voulait lui porter secours, car les anges ont plus besoin du secours du Fils unique de Dieu, qu'il n'a besoin lui-même de leur appui. - Remi. Nous pouvons en tendre aussi par ces légions d'anges l'armée des Romains; car, avec Titus et Vespasien, on vit les peuples de toute langue se déclarer contre la Judée, et alors fut accomplie cette prédiction: «L'univers combattra contre les insensés» (Sg 5,21). - S. Chrys. (hom. 84). Ce n'est pas seulement par cette considération qu'il dissipe la crainte de ses Apôtres, mais encore en leur apportant le témoignage des Écritures: «Comment donc s'accomplirent les Écritures, qui déclarent qu'il doit être fait ainsi ?» - S. Jér. Ces paroles prouvent combien il tardait à son âme de souffrir ce que les prophètes auraient inutilement prédit s'il n'avait confirmé par sa passion la vérité de leurs prophéties.


vv. 55-58

5655 Mt 26,55-58

Orig. Après avoir dit à Pierre: «Remettez votre épée», et nous avoir ainsi montré toute sa patience; après avoir donné une preuve de sa souveraine bonté et de sa puissance toute divine en guérissant l'oreille que Pierre avait coupée, comme le rapporte un autre Évangéliste (Lc 22,51) l'auteur sacré continue son récit «En même temps Jésus dit à cette troupe», etc. Si elle avait perdu le souvenir de ses anciens bienfaits, Jésus voulait lui faire au moins reconnaître ceux dont elle venait d'être témoin «Vous êtes venus ici armés d'épées et de bâtons pour me prendre comme si j'étais un voleur». - Remi. C'est-à-dire, c'est le propre des voleurs de chercher à nuire et de se cacher; mais pour moi, je n'ai cherché à nuire à personne, au contraire, j'ai guéri un grand nombre de malades, et j'ai toujours enseigné dans les synagogues: «J'étais tous les jours assis parmi vous, enseignant dans le temple, et vous ne m'avez pas pris». - S. Jér. Il semble leur dire: C'est une absurdité de venir prendre avec des bâtons et des épées un homme qui se livre lui-même entre vos mains, et de chercher de nuit, sous la conduite d'un traître, celui qui enseignait tous les jours dans le temple, comme s'il voulait se dérober à vos recherches.

S. Chrys. (hom. 84). Or, ils ne s'étaient point emparé de lui dans le temple, parce qu'ils n'avaient pas osé le faire, dans la crainte de la foule, et c'est pour leur offrir le lieu et l'occasion favorable pour se saisir de lui, que le Sauveur sortit hors de la ville. Il nous apprend ainsi que s'il ne l'avait permis par un acte libre de sa volonté, ils n'auraient jamais pu s'emparer de sa personne. L'Évangéliste explique ensuite la raison pour laquelle le Seigneur a consenti à être pris en ajoutant: «Tout cela s'est fait afin que s'accomplissent les oracles des prophètes». - S. Jér. «Ils ont percé mes mains et mes pieds». (Ps 22,17) Et ailleurs: «Il a été conduit à la mort comme une brebis (Is 53,7); et plus loin: «Il a été conduit à la mort à cause des iniquités de mon peuple». - Remi. Comme tous les prophètes ont prédit la mort du Christ, le Sauveur ne cite pas un témoignage particulier, mais il dit d'une manière générale que les oracles des prophètes doivent être accomplis. - S. Chrys. (hom. 84). Les disciples qui étaient restés au moment où l'on s'était saisi du Seigneur, s'enfuirent lorsqu'ils eurent entendu ces paroles: «Alors tous les disciples l'abandonnèrent et s'enfuirent». Car ils savaient bien qu'il n'était plus possible de le délivrer, puisqu'il se livrait volontairement entre les mains de ses ennemis. - Remi. Cette conduite prouve, toutefois, la fragilité des Apôtres. Ils avaient promis dans l'ardeur de leur foi de mourir avec leur divin Maître, et ils furent maintenant pleins d'effroi, sans se souvenir de leur promesse. C'est ce que nous voyons encore se renouveler dans ceux qui promettent d'exécuter de grandes choses pour l'amour de Dieu, et qui n'en accomplissent aucune, cependant ils ne doivent pas désespérer, mais se relever avec les Apôtres et se renouveler par le repentir. - Rab. Dans le sens mystique, de même que Pierre qui a lavé la tache de son renoncement dans les larmes du repentir, figure le retour de ceux qui succombent dans l'épreuve du martyre, ainsi les autres disciples qui s'enfuient, enseignent à ceux qui ne se sentent pas assez forts pour affronter les supplices, de chercher prudemment leur salut dans la fuite.

«Ces gens s'étant donc saisis de Jésus, l'emmenèrent chez Caïphe». - S. Aug. (de l'accord des Evang., 3, 5). Cependant il fut conduit en premier lieu chez Anne, beau-père de Caïphe, comme le raconte saint Jean. Il fut amené lié, car il y avait dans cette foule un tribun à la tête d'une cohorte, au témoignage du même Évangéliste. - S. Jér. Josèphe rapporte que Caïphe avait acheté à prix d'argent le pontificat pour cette année-là, contrairement à ce que Moïse avait ordonné de la part de Dieu, que les enfants des grands-prêtres succéderaient à leurs pères dans le pontificat, par ordre de naissance. Qu'y a-t-il d'étonnant qu'un pontife inique ait rendu des jugements d'iniquité? - Rab. Il y a aussi un rapport entre le nom de Caïphe et sa conduite, Caïphe signifie investigateur ou habile dans l'accomplissement de ses mauvais desseins, ou bien, qui vomit de sa bouche; car il fit éclater son impudence dans les mensonges qu'il proféra, et dans l'homicide qu'il ne craignit pas de commettre. Or, ils amenèrent Jésus chez lui, pour ne paraître agir en tout que par l'autorité du conseil, «ou les scribes, les pharisiens et les anciens étaient assemblés». Là où se trouvent Caïphe et les grands-prêtres, là se rassemblent aussi les scribes, c'est-à-dire les secrétaires, dont le ministère est de copier et de garder la lettre qui tombe, et les anciens qui ont vieilli, non dans la vérité, mais dans la vétusté de la lettre.

«Or, Pierre le suivait de loin». Il ne pouvait le suivre de près, mais de loin seulement, sans cependant s'éloigner tout à fait de lui. - S. Chrys. (hom. 84). Le zèle de Pierre était bien ardent, puisque, après avoir été témoin de la fuite des autres, il ne s'enfuit pas lui-même, mais qu'il tient ferme, et entre dans la cour du grand-prêtre. Il est vrai que saint Jean y entre aussi, mais il était connu du prince des prêtres. Or, Pierre ne le suivait que de loin, parce qu'il devait bientôt le trahir. - Remi. Il n'aurait jamais pu renier son Seigneur, s'il fût toujours resté près de lui. Cette circonstance signifie que Pierre devait suivre et imiter le Seigneur jusque dans sa passion. - S. Aug. (Quest. évang., 1, chap. dern). Nous y voyons encore que l'Église doit suivre, c'est-à-dire imiter les souffrances du Seigneur, mais d'une manière bien différente; car l'Église souffre pour elle-même, tandis que le Sauveur souffre pour l'Église.

«Et étant entré dans l'intérieur, il s'assit avec les serviteurs pour voir la fin». S. Jér. C'était par attachement pour son Maître, ou bien par une curiosité toute naturelle, et parce qu'il désirait savoir le jugement que le grand-prêtre prononcerait contre lui, s'il le condamnerait à mort, ou s'il le renverrait après l'avoir flagellé.


vv. 59-68

5659 Mt 26,59-68

S. Chrys. (hom. 84). Les princes des prêtres s'étant assemblés, cette réunion d'hommes corrompus voulut donner aux criminels desseins qu'ils tramaient contre le Sauveur, les formes légales de la justice: «Cependant les princes des prêtres et tout le conseil cherchaient un faux témoignage contre Jésus», etc. Mais ce qui suit prouve jusqu'à l'évidence qu'il n'y avait là qu'un simulacre de jugement, et que toutes leurs délibérations n'étaient que tumulte et confusion: «Et ils n'en trouvèrent point, quoique plusieurs faux témoins se fussent présentés. - Orig. Les faux témoignages ne sont possibles que lorsqu'on peut leur donner quelque semblant de vérité. Mais on ne pouvait même pas trouver ces apparences qui seraient venues fortifier les mensonges qu'ils inventaient contre Jésus-Christ, bien qu'il y eût beaucoup de gens qui eussent voulu être agréable en cela aux princes des prêtres. C'est là, du reste, une gloire éclatante pour Jésus, que toutes ses paroles, que toutes ses actions aient été irrépréhensibles jusque là que ces hommes pervers et consommés dans la malice, n'aient pu trouver l'ombre même d'une faute dans sa conduite.

«Enfin, il vint deux faux témoins». - S. Jér. Comment peut-on les appeler faux témoins, puisqu'ils ne rapportent que ce que le Sauveur a dit lui-même d'après le récit des Évangélistes? C'est que pour être faux témoin, il suffit de ne pas rapporter les choses dans le sens où elles ont été dites. Le Seigneur avait ainsi parlé du temple de son corps, mais ils dénaturent ses paroles, et à l'aide d'une légère addition, ou d'un léger changement, ils semblent formuler contre lui une accusation fondée. Le Sauveur avait dit: «Détruisez ce temple»; ils dénaturent le sens de ses paroles, et lui font dire: «Je puis détruire le temple de Dieu». Détruisez vous-même ce temple, leur dit-il, ce n'est pas moi qui le détruirai». En effet, il ne nous est pas permis de nous donner la mort. Ils ajoutent ensuite: «Et après trois jours je le rebâtirai», de manière que ces paroles parussent se rapporter directement au temple de Jérusalem, tandis que le Sauveur, pour montrer qu'il voulait parler d'un temple vivant et animé, avait dit: «Et dans trois jours je le ressusciterai»; car rebâtir, n'est pas la même chose que ressusciter. - S. Chrys. (hom. 84). Mais pourquoi ne l'accusent-ils pas d'avoir violé le jour du sabbat? C'est parce que bien des fois il les avait confondus sur ce point.

S. Jér. La colère aveugle et impatiente de ne point trouver de fondement à ces calomnies, soulève le grand-prêtre de son siège, et trahit la fureur de son âme par les brusques mouvements de son corps: «Et le grand-prêtre, se levant, lui dit: Vous ne répondez rien à ce que déposent ceux-ci contre vous ?» - S. Chrys. (hom. 84). Il lui parle de la sorte pour lui arracher une réponse répréhensible, et qui pût être tournée contre lui. Or, il était parfaitement inutile au Sauveur de répondre, puisque personne n'était disposé à l'écouter, c'est pourquoi l'Évangéliste ajoute: «Mais Jésus se taisait»; car il n'y avait là que les apparences de la justice, et en réalité, c'était une troupe de brigands se jetant sur leur proie comme dans une caverne, et c'est pour cela qu'il garde le silence. - Orig. Cet exemple nous apprend à mépriser les calomnies et les faux témoignages, et à ne pas même juger dignes de réponse ceux qui tiennent des discours injustes contre nous, surtout alors qu'il est plus digne de se taire librement et courageusement, que de se défendre sans profit. - S. Jér. Car comme Dieu, Jésus savait que l'on tournerait contre lui tout ce qu'il pourrait dire. Mais plus Jésus persiste à garder le silence devant ces faux témoins et ces prêtres impies, indignes de recevoir une réponse, et plus le grand-prêtre, transporté de fureur, le presse de répondre, afin de trouver dans ses paroles, quoi qu'il puisse dire, matière à l'accuser «Et le grand-prêtre lui dit: Je vous adjure par le Dieu vivant de nous dire», etc. - Orig. La loi nous offre quelques exemples d'adjuration (Gn 24 Gn 50 Ex 13 Nb 5 Jos 17 1S 14 1R 4 2R 11 2Ch 18,34 2Ch 18,36 Esd 10 Is 5 Is 12 Tb 18-19 Ct 2-3), mais pour moi, je pense qu'un homme qui veut vivre conformément à l'Évangile, ne doit point en adjurer un autre; car s'il est défendu de jurer, il l'est également d'adjurer. Si l'on objecte que Jésus commandait aux démons, et qu'il donnait à ses disciples le pouvoir de les chasser, nous répondrons que le pouvoir donné par le Sauveur sur les démons, n'est pas une véritable adjuration. Or, le grand-prêtre était grandement coupable de tendre ainsi des pièges à Jésus, et en cela, il imitait son propre père (le démon) qui, dans le doute, avait fait deux fois cette question au Sauveur: «Si vous êtes le Christ, Fils de Dieu» (Mt 4,3 Mt 4,6); et l'on peut en conclure avec raison que douter si le Christ est le Fils de Dieu, c'est faire l'oeuvre du démon. Or, il ne convenait pas que le Seigneur répondit à l'adjuration du grand-prêtre, comme s'il y était forcé. Aussi s'il ne nie pas qu'il fût le Fils de Dieu, il ne le confesse pas non plus ouvertement «Jésus lui répondit: C'est vous qui l'avez dit». Le grand-prêtre n'était pas digne d'entendre les divins enseignements de Jésus-Christ, aussi ne cherche-t-il pas à l'instruire, mais il prend ses propres paroles, et s'en sert pour le convaincre et le condamner. «De plus, je vous le déclare, vous verrez un jour le Fils de l'homme assis», etc. Cette figure, par laquelle Notre-Seigneur se représente assis, me paraît signifier une royauté fortement établie; et en effet, c'est par la puissance de Dieu, qui seul est la véritable puissance, qu'a été fondé le trône de Jésus, qui a reçu de Dieu le Père toute puissance dans le ciel comme sur la terre. Or, il viendra un temps où ses ennemis seront témoins de l'affermissement de son trône, et cette prédiction a reçu un commencement d'exécution dans le temps même de l'incarnation du Sauveur, alors que ses disciples le virent ressusciter d'entre les morts, et solidement établi à la droite de la puissance di vine, ou bien, comme en comparaison de cette durée éternelle qui est en Dieu, le temps qui s'écoule depuis le commencement du monde jusqu'à la fin est comme un seul jour, il n'est pas étonnant que le Sauveur emploie cette expression: «tout à l'heure, bientôt», pour montrer la brièveté du temps qui nous sépare de la fin du monde. Or, il ne leur prédit pas seulement qu'ils le verront assis à la droite de la puissance divine, mais encore qu'ils le verront venir sur les nuées du ciel. «Et, venant sur les nuées du ciel». Les nuées sont les prophètes et les Apôtres de Jésus-Christ, auxquels il commande de répandre la pluie lorsqu'elle est nécessaire (Ps 77). Ce sont des nuées qui ne passent pas, car elles portent en elles l'image de l'homme céleste (1Co 15,47), et elles sont dignes, comme héritières de Dieu et cohéritières du Christ, d'être le siège de Dieu. (Rm 8,17)

S. Jér. Le même accès de fureur qui vient d'arracher le grand-prêtre à son siège, le pousse à déchirer ses vêtements: «Alors le grand-prêtre déchira ses vêtements en disant: il a blasphémé». C'était un usage chez les Juifs (Ac 15) (?) de déchirer ses vêtements lorsqu'on entendait une parole de blasphème, et outrageante pour la divinité. - S. Chrys. (hom. 84). Le grand-prêtre fait cette démonstration pour aggraver le crime dont il veut charger le Sauveur, et confirmer par cet acte la vérité de ses paroles. - S. Jér. Mais en déchirant ses vêtements, il déclare que les Juifs ont perdu la gloire du sacerdoce, et que le siège de leurs pontifes est désormais vide; car par cette action, il déchire aussi le voile qui recouvrait la loi. - S. Chrys. (hom. 84). Après avoir ainsi déchiré ses vêtements, il ne veut pas, ce semble, prononcer la sentence de sa propre autorité, mais il demande aux autres de la porter eux-mêmes: «Que vous en semble ?» Comme s'il s'agissait d'un crime évident, et d'un blasphème manifeste; et il leur fait ainsi dire violence, en devançant leur jugement, et en les forçant de prononcer la sentence de condamnation: «Qu'avons-nous encore besoin de témoins? Vous venez d'entendre vous-mêmes le blasphème» Or, quel était ce blasphème? Dans une circonstance précédente où ils étaient venus le trouver en grand nombre, il leur avait cité ces paroles du Roi-prophète: «Le Seigneur a dit à mon Seigneur», et leur en avait donné l'explication. Or, ils avaient tous gardé le silence et n'osèrent plus depuis le contredire; Comment se fait-il donc qualifient de blasphème ce qu'ils viennent d'entendre? «Et ils répondirent: il mérite la mort», c'est-à-dire qu'ils sont tout à la fois les accusateurs, les témoins et les juges. - Orig. Quelle erreur monstrueuse que de proclamer digne de mort la vie par excellence, et malgré des témoignages si imposants de résurrection, de ne pas reconnaître la source même de la vie, d'où elle se répandait sur toue les hommes. - S. Chrys. (hom. 85). Mais non, ils font éclater leur liesse et leurs transports insensés, comme s'ils avaient rencontré une proie.

Suite. «Alors ils lui crachèrent au visage», etc. - S. Jér. S'accomplissait ce qui avait été prédit: «J'ai présenté ma joue aux soufflets, et je n'ai pas détourné mon visage des outrages et des crachats de l'ignominie». «D'autres lui donnèrent des soufflets en disant: Christ, prophétise-nous», etc. C'est pour l'outrager qu'ils lui tiennent ce langage, et parce qu'il avait voulu passer aux yeux du peuple pour un prophète. - S. Jér. Il eût été contre la raison de répondre à ceux qui le frappaient, et de deviner qui le souffletait, alors que la rage de ceux qui le maltraitaient était si manifeste. - S. Chrys. (hom. 85) Remarquez que l'Évangéliste rapporte avec le plus grand soin les outrages les plus ignominieux, ne dissimulant rien, n'ayant honte de rien, mais regardant, au contraire, comme le comble de la gloire que le souverain Maître de l'univers ait souffert pour nous d'aussi indignes traitements. Méditons donc continuellement ces tristes détails, gravons-les dans notre âme, faisons-en le sujet de notre gloire. - S. Aug. (Quest. évang., 1, 14)Ceux qui lui crachent au visage représentent ceux qui rejettent la présence de sa grâce; il est encore frappé à coups de poing par ceux qui lui préfèrent leur propre gloire; et ceux qui lui donnent des soufflets sont ceux que la perfidie aveugle, qui nient sa venue, et qui voudraient repousser et détruire sa présence sur la terre.



Catena Aurea 5645