Catena Aurea 5669

vv. 69-75

5669 Mt 26,69-75


S. Aug. (De l'accord des Evang., 3, 6). Le triple renoncement de Pierre eut lieu pendant que le Seigneur était en butte aux outrages dont on vient de parler. Les évangélistes ne le rapportent pas tous dans le même ordre: saint Luc raconte la chute de cet Apôtre avant les indignes traitements qu'on fit à Jésus, tandis que saint Matthieu et saint Marc ne rapportent le renoncement de Pierre qu'après ces scènes d'ignominie. «Pierre cependant était au dehors, assis dans la cour» - S. Jér. Il était assis dehors pour attendre le dénouement de cette affaire, et il ne s'approchait pas de Jésus pour n'inspirer aucun soupçon aux serviteurs du grand prêtre. Pierre, lorsqu'on ne faisait que se saisir de son maître, s'était montré enflammé de zèle jusqu'à tirer son épée et couper l'oreille d'un des serviteurs du grand-prêtre, et maintenant qu'il est témoin des opprobres de Jésus-Christ, il devient apostat et ne peut supporter les questions pressantes d'une pauvre jeune fille: «Et une servante s'approcha de lui et lui dit: Vous étiez aussi avec Jésus de Galilée». - Rab. Comment se fait-il que soit par une femme que Pierre soit d'abord reconnu, alors que les hommes qui étaient là auraient dû bien plus facilement le reconnaître, si ce n'est pour nous montrer que ce sexe concourait aussi par ses péchés à la passion du Sauveur, et devait être racheté par sa mort. «Mais il le nia devant tous en disant: Je ne sais ce que vous dites». Il nia devant tout le monde, parce qu'il craignait d'être découvert; et, en déclarant qu'il ne connaît pas le Sauveur, il montre ainsi qu'il n'est pas disposé à mourir pour lui. - S. Léon. (Serm. 9 sur la Passion). Or, Dieu permit cette hésitation coupable, pour nous apprendre, par l'exemple du chef des Apôtres, à trouver dans la pénitence le remède de nos fautes, et à ne jamais nous confier dans notre vertu, puisque saint Pierre lui-même n'a pu échapper aux tristes suites de la mutabilité naturelle à l'homme.

S. Chrys. (hom. 85). Dans un si court espace de temps, Pierre renonce son maître, non seulement une fois, mais deux et trois fois, «Et comme il sortait dans le vestibule», etc. - S. Aug. (De l'accord des Evang., 3, 6). Il faut comprendre que le coq chanta pour la première fois, lorsque Pierre sortit dehors, après le premier renoncement. - S. Chrys. (hom. 85). Nous voyons par là que le chant du coq ne l'arrêta pas dans cette voie de renoncement, et ne le fit pas se souvenir de sa promesse. - S. Aug. (De l'accord des Evang., 3, 5). Ce n'est pas dehors et devant la porte qu'il renia son maître une seconde fois, mais après qu'il fut revenu près du feu, car cette autre, servante n'était pas sortie, et ne l'avait pas vue dehors; mais elle le vit lorsqu'il sortait, c'est-à-dire lorsqu'il se levait pour se diriger vers la porte, et elle dit à ceux qui étaient présents et autour du feu avec elle: «Celui-ci était aussi avec Jésus de Nazareth». Or, Pierre, qui venait de sortir, revint sur ses pas pour se justifier, en niant ce que cette femme venait de dire. Ou bien, ce qui est plus vraisemblable, il n'avait pas entendu ces paroles en sortant, et c'est lorsqu'il rentra que la servante et un autre, dont parle saint Luc, lui dirent: «Certainement, vous êtes aussi de ces gens-là». Ou bien, d'après saint Jean: «N'êtes-vous pas aussi des disciples de cet homme».

«Et il nia de nouveau avec serment», etc. - S. Jér. Je sais qu'il en est qui, par un sentiment de pieuse affection pour l'apôtre saint Pierre, ont entendu ce passage dans ce sens: que Pierre n'avait pas nié en Jésus-Christ le Dieu, mais l'homme, et que sa réponse signifie: Je ne connais pas l'homme, car je connais le Dieu. Un lecteur intelligent comprendra facilement la futilité de cette explication, car si Pierre n'a pas renié son maître, le Seigneur a donc menti en lui disant: «Vous me renoncerez trois fois». - S. Ambr. (sur saint Luc, 22) J'aime mieux que Pierre ait renié le Sauveur que de soutenir que le Sauveur s'est trompé. - Rab. Or, ce renoncement de Pierre nous autorise à dire qu'on ne renonce pas seulement Jésus-Christ, lorsqu'on soutient qu'il n'est pas le Christ, mais en niant qu'on soit chrétien, lorsqu'on l'est en effet.

S. Aug. (De l'accord des Evang., 5, 6). Examinons maintenant le troisième renoncement: «Peu après ceux qui étaient là s'approchèrent et dirent à Pierre: Assurément, vous êtes aussi de ces gens-là». Saint Luc dit que ce fut une heure après; et comme preuve convaincante, ils ajoutent: «Car votre langage vous fait assez connaître». - S. Jér. Ce n'est pas que Pierre parlât une autre langue, ou appartînt à une autre nation (car celui qu'on voulait convaincre et ceux qui le questionnaient étaient tous hébreux), mais c'est que chaque province, chaque contrée a son dialecte particulier, et qu'on ne peut jamais éviter en parlant l'accent naturel de son pays (Jg 12,5). - Remi. Voyez combien sont funestes les entretiens avec les méchants, puisqu'ils forcent Pierre à renoncer le Seigneur, qu'il avait autrefois proclamé le Fils de Dieu. «Alors il se mit à faire des imprécations et à jurer», etc. - Rab. Remarquez qu'en premier lieu, Pierre s'est contenté de répondre: «Je ne sais pas ce que vous dites», qu'en second lieu il nie avec serment, qu'enfin il se met à faire des imprécations et à jurer qu'il ne connaît pas cet homme. C'est ainsi que la persévérance dans le péché devient une cause de crimes plus énormes, et que celui qui méprise les fautes légères tombe nécessairement dans les grandes.

Remi. Dans le sens spirituel, Pierre, qui renonce Jésus avant que le coq ait chanté, figure ceux qui, troublés par sa mort, ne croyaient pas à sa divinité avant sa résurrection. Lorsqu'il le renonce une seconde fois après le chant du coq, il est la figure de ceux qui ont des idées fausses sur les deux natures de Jésus-Christ, sa nature divine et sa nature humaine. La première servante représente la cupidité; la seconde, la délectation charnelle; et ceux qui étaient présents, les démons, car ce sont les démons qui excitent les hommes à renier Jésus-Christ. - Orig. Ou bien, par la première servante, on peut entendre la synagogue des Juifs, qui contraignit souvent les fidèles à renier Jésus-Christ; par la seconde, la réunion des peuples qui ont persécuté les chrétiens; et par ceux qui se tiennent dans la cour, les ministres des diverses hérésies. - S. Aug. (Quest. Evang., 1, 23). Pierre a renié trois fois le Seigneur, et l'erreur des hérétiques s'est toujours renfermée dans ces trois objets: la divinité de Jésus-Christ, ou son humanité, ou les deux natures à la fois. - Rab. Après le troisième renoncement, le chant du coq se fait entendre: «Et aussitôt le coq chanta». Ce coq est la figure du docteur de l'Église, qui réprimande ceux qui sont endormis, et leur dit: «Réveillez-vous, justes, et ne péchez pas» (1Co 15,34). Or, la sainte Écriture a la coutume d'exprimer le mérite des actions dont elle parle, par le temps où elles se font; c'est ainsi que Pierre, qui a renié son maître au milieu des ténèbres, s'est repenti au chant du coq. «Et Pierre se ressouvint de la parole que Jésus lui avait dite: Avant que le coq ait chanté, vous me renoncerez trois fois». - S. Jér. Nous lisons dans un autre Évangile (Lc 22,61), qu'après le renoncement de Pierre et le chant du coq, le Seigneur regarda Pierre, et, par ce regard, lui fit verser des larmes amères. Il n'était pas possible en effet qu'il restât dans les ténèbres, après avoir été regardé par la lumière du monde; aussi l'Évangéliste ajoute: «Et étant sorti, il pleura amèrement». Il ne pouvait faire pénitence en restant dans la cour de Caïphe, et il sort du milieu de l'assemblée des impies, pour laver, dans des larmes amères, la honte de ce timide et lâche renoncement. - S. Léon. (Serm. 9 sur la Pass). Heureuses sont vos larmes, ô saint Apôtre, puisqu'elles eurent, pour effacer le crime de votre renoncement, la vertu des eaux du baptême. Vous avez été soutenu par la droite du Seigneur Jésus-Christ, qui vous reçut lors de votre chute, avant que vous fussiez tombé dans l'abîme, et qui vous rendit inébranlable au moment même où vous alliez tomber sans retour. Pierre recouvra donc aussitôt sa fermeté, avec la force toute divine qui lui fût communiquée, et après avoir tremblé à la vue de la passion de Jésus-Christ, il fut sans crainte et resta inébranlable devant son propre supplice.


CHAPITRE XXVII


vv. 1-6

5701 Mt 27,1-6

S. Aug. (De l'accord des Evang., 3, 7). Le récit qui précède comprend tout ce que Notre-Seigneur a eu à souffrir depuis le soir jusqu'au matin; l'Évangéliste revient ensuite sur ses pas, pour raconter le renoncement de Pierre, et il reprend son récit au matin du même jour pour le continuer. «Or, le matin étant venu, tous les princes des prêtres et les anciens du peuple tinrent conseil contre Jésus pour le faire mourir». - Orig. Ils espéraient, par sa mort, anéantir ses enseignements et éteindre la foi dans le coeur de ceux qui avaient cru en lui comme étant le Fils de Dieu. Dans le dessein d'exécuter contre lui ce projet sanguinaire, ils firent charger de chaînes Celui qui brise les chaînes des autres captifs (Is 61,1): «Et l'ayant lié, ils l'emmenèrent et le livrèrent au gouverneur Ponce-Pilate. - S. Jér. Voyez la criminelle sollicitude des prêtres: ils se concertent pendant toute la nuit sur les moyens de commettre cet homicide, et ils envoient Jésus chargé de chaînes à Pilate, car c'était leur coutume de livrer ainsi garrotté au gouverneur celui qu'ils avaient condamné à mort. - Rab. Remarquons cependant qu'ils ne l'enchaînèrent pas alors pour la première fois; ils l'avaient lié et enchaîné aussitôt qu'ils se furent saisis de lui, comme le rapporte saint Jean (Jn 18,12). - S. Chrys. (hom. 85). Ils ne voulurent pas le mettre à mort secrètement, parce qu'ils voulaient le couvrir d'opprobres, et qu'un grand nombre était rempli pour lui d'admiration. Ils s'efforcent donc de le faire mettre à mort publiquement et aux yeux de tout le peuple, et c'est dans ce dessein qu'ils l'amènent au gouverneur.

S. Jér. Or, Judas, voyant que le Sauveur était condamné à mort, rapporte aux prêtres le prix de sa trahison, comme s'il était en son pouvoir de changer la sentence inique rendue par les ennemis de Jésus: «Alors Judas, qui l'avait trahi, voyant qu'il était condamné, fut touché de repentir, et reporta les trente pièces d'argent aux princes des prêtres et aux anciens du peuple, en disant: J'ai péché, en livrant le sang innocent».

Orig. Que ceux qui inventent des fables sur les natures essentiellement différentes, nous disent d'où vient que Judas, après avoir reconnu son crime, s'écrie: «J'ai péché, en livrant le sang innocent», si ce n'est en vertu du bon plant et des semences de vertu que Dieu répand dans toute âme raisonnable, mais que Judas ne prit pas soin de cultiver, ce qui fut cause qu'il commit ce crime affreux. Mais s'il est dans la nature de certains hommes de se perdre, qui plus que Judas appartint à cette nature? Si Judas avait tenu ce langage après la résurrection du Sauveur, on aurait pu dire que c'était la gloire et la puissance de la résurrection qui l'avait porté à se repentir; mais c'est au moment qu'il voit Jésus livré à Pilate qu'il est touché de repentir. Peut-être se rappelle-t-il alors les prédictions fréquentes que Jésus a faites de sa résurrection; peut-être aussi Satan, qui était entré en lui, ne le quitta point que Jésus ne fût livré à Pilate? Mais, après avoir obtenu ce qu'il voulait, il se retira de lui, et c'est alors que le repentir pût avoir accès dans son âme. Mais comment Judas pût-il savoir la condamnation de Jésus? car Pilate ne l'avait pas encore interrogé. On peut répondre que, le voyant entre les mains de ses ennemis, il vit dans les prévisions de son esprit, quels en seraient les résultats. Il en est qui prétendent que ces paroles: «Judas voyant qu'il était condamné», se rapportent, non pas à Jésus, mais à Judas lui-même, car c'est alors qu'il mesura toute l'étendue du crime qu'il venait de commettre, et qu'il comprit qu'il était condamné. - S. Léon. (Serm. 1 sur la Pass). Bien qu'il dise: «J'ai péché en livrant le sang innocent», il persévère dans la perfidie de son impiété, en continuant de croire, jusque dans les derniers moments de sa vie, et aux approches de la mort, que Jésus n'était pas le Fils de Dieu, mais seulement un homme d'une condition semblable à la nôtre, car il aurait certainement fléchi sa miséricorde, s'il n'avait pas refusé de reconnaître sa toute-puissance. - S. Chrys. (hom. 85). Remarquez qu'il se repent lorsque son crime est consommé et qu'il a produit tous ses effets, car le démon ne permet pas à ceux qui ne veillent pas sur eux-mêmes de voir le mal avant qu'il soit consommé.

«Ils répondirent: Que nous importe? c'est votre affaire. - Remi. C'est-à-dire: «Que nous importe qu'il soit innocent, cela vous regarde», c'est-à-dire on verra quelle est la nature de votre action. Il en est qui prétendent qu'on doit réunir ces deux membres de phrase en traduisant de cette manière: «Que paraissez-vous à nos yeux? qu'êtes-vous pour nous ?» c'est-à-dire que devons-nous penser de vous qui confessez l'innocence de celui que vous avez trahi.

Orig. Lorsque le démon se retire d'un homme, il épie le moment favorable pour rentrer, et lorsqu'il a saisi ce moment, et qu'il a entraîné cet infortuné dans un second péché, il étudie avec soin l'occasion de le tromper une troisième fois. C'est ainsi que le Corinthien (1Co 5,1-2 2Co 2,7), qui abusa de l'épouse de son père, se repentit de ce crime affreux, mais le démon voulut ensuite lui faire porter cette tristesse jusqu'à l'excès pour accabler ce malheureux sous le poids de son chagrin. Il arriva quelque chose de semblable à Judas; car après s'être repenti, il ne sut pas mettre son coeur à l'abri du désespoir, et il y laissa entrer cette tristesse excessive, que le démon lui inspira pour l'accabler entièrement: «Et il se retira, et alla se pendre». S'il eût pris le temps de se repentir et qu'il eût épié le temps favorable pour faire pénitence, il aurait, sans doute, rencontré celui qui a dit: «Je ne veux pas la mort du pécheur». (Ez 33,11). Ou bien, peut-être pensa-t-il à devancer son Maître qui allait mourir, et à se présenter devant lui avec son âme dépouillée par la mort, pour mériter son pardon par ses aveux et par ses prières; et il ne comprit pas que le vrai serviteur de Dieu ne doit point s'ôter à lui-même la vie, mais qu'il doit attendre le jugement de Dieu. - Rab. Or, Judas se pendit pour témoigner par ce genre de mort qu'il était en horreur au ciel et à la terre. - S. Aug. (du Nouv. et de l'Anc. Test). Mais puisque les princes des prêtres étaient occupés depuis le matin jusqu'à la neuvième heure à presser l'exécution de la mort du Sauveur, comment peut-on admettre que Judas leur aurait reporté avant la passion du Seigneur le prix de sa trahison, et qu'il leur aurait dit dans le temple: «J'ai péché, en livrant le sang innocent ?» Il est constant, en effet, que tous les princes des prêtres et les anciens du peuple ne se trouvaient pas dans le temple avant la mort du Sauveur, et la preuve, c'est qu'ils l'insultaient lorsqu'il était sur la croix. On ne peut pas le conclure non plus de ce que ce fait est raconté avant la passion de Notre-Seigneur, puisqu'il est certain qu'il est un grand nombre de faits qui, bien que s'étant passés antérieurement, sont cependant racontés en dernier lieu. Peut-être pourrait-on dire que ce fait a eu lieu à la neuvième heure, et que Judas, voyant le Sauveur mis à mort, le voile du temple déchiré, la terre trembler, les rochers se briser, les éléments dans la consternation, il aurait conçu, sous l'inspiration de la crainte, le repentir de son crime. Mais après la neuvième heure, les anciens et les princes des prêtres étaient tout entiers, ce me semble, à la célébration de la Pâque. D'ailleurs la loi défendait de porter de l'argent le jour du sabbat. Je crois donc qu'on ne peut fixer d'une manière vraisemblable ni le jour ni l'heure où Judas mit fin à sa vie en se pendant.


vv. 6-10

5706 Mt 27,6-10


S. Chrys. (hom. 86). En reconnaissant qu'ils avaient acheté le sang qu'ils voulaient répandre, les princes des prêtres se condamnèrent par le témoignage de leur propre conscience: «Les princes des prêtres, ayant pris l'argent, dirent: Il ne nous est pas permis de le mettre dans le trésor, parce que c'est le prix du sang». - S. Jér. Voilà bien les gens qui filtrent et rejettent le moucheron, et qui ne craignent pas d'avaler un chameau (Mt 23,24). Car s'ils n'osent mettre l'argent dans le trésor du temple, avec les offrandes faites à Dieu, sous prétexte qu'il est le prix du sang, pourquoi n'ont-ils pas horreur de répandre ce sang lui-même ?

Orig. Ils jugèrent que le meilleur emploi qu'ils pussent faire de cet argent était de le consacrer aux morts, parce que c'était le prix du sang. Mais comme il y a différents lieux de sépultures pour les morts, ils employèrent le prix du sang de Jésus pour acheter le champ d'un potier, afin d'y ensevelir les étrangers, qui ne pourraient, suivant leurs désirs, être ensevelis dans les tombeaux de leurs aïeux: «Et ayant délibéré là-dessus, ils en achetèrent le champ d'un potier pour la sépulture des étrangers. - S. Aug. (serm. sur la Cène). Je regarde comme un effet particulier de la providence divine, que le prix de la vente du Sauveur n'ait pas tourné au profit des pécheurs, mais ait servi à procurer un lieu de repos aux étrangers, pour montrer que Jésus-Christ rachetait ainsi les vivants par le sang de sa passion, et qu'il sauvait aussi les morts au prix du même sang répandu. Le champ du potier est donc acheté avec le prix du sang du Seigneur. Or, nous lisons dans les Écritures que le genre humain tout entier a été racheté par le sang du Sauveur. Par ce champ, il faut donc entendre le monde enfler, et ce potier, qui doit avoir l'empire sur tout l'univers, est celui qui a formé du limon de la terre les vases de notre corps. C'est le champ de ce potier qui a été acheté avec le prix du sang de Jésus-Christ pour les étrangers sans famille, sans patrie, exilés, et errants sur toute la terre, et à qui le sang du Sauveur prépare un lieu de repos. Ces étrangers sont les chrétiens pleins de dévouement qui, renonçant au siècle, et ne possédant rien dans le monde, trouvent leur repos dans le sang de Jésus-Christ, car la sépulture de Jésus-Christ est le vrai repos du chrétien. «Nous avons été ensevelis avec lui par le baptême pour la mort du péché, dit l'Apôtre» (Rm 6,4). Nous sommes donc des voyageurs en ce monde, et comme des étrangers sur cette terre. - S. Jér. On peut dire aussi que nous étions étrangers à la loi et aux prophètes, et que les mauvaises dispositions des Juifs ont été pour nous une cause de salut. - Orig. Ou bien, nous appelons ici étrangers, ceux qui demeurent séparés de Dieu jusqu'à la fin; car si les justes ont été ensevelis avec Jésus-Christ dans le sépulcre neuf qui a été taillé dans le roc, ceux qui demeurent jusqu'à la fin étrangers à Dieu, sont ensevelis dans le champ de ce potier qui façonne la boue, champ qui a été acheté avec le prix du sang et qui est appelé pour cela le champ du sang: «C'est pourquoi ce champ est encore aujourd'hui appelé haceldama, c'est-à-dire le champ du sang». - La Glose. Ce qu'il faut rapporter au temps où l'Évangéliste écrivait.

Il apporte ensuite à l'appui de ce fait, le témoignage du prophète: «ils ont reçu les trente pièces d'argent, prix de celui qui a été mis à prix suivant l'appréciation des enfants d'Israël, et ils les ont données pour en acheter le champ d'un potier, ainsi que me l'a prescrit le Seigneur». - S. Jér. On ne trouve aucune trace de cette prophétie dans Jérémie, mais nous lisons quelque chose de semblable dans Zacharie, le dernier des douze petits prophètes (Za 11,12); c'est-à-dire que le sens est à peu près le même, bien que la contexture de la phrase et les expressions soient différentes. - S. Aug. (de l'accord des Evang., 3, 7). Si l'on prétendait s'autoriser de cette difficulté pour contester l'autorité de l'Évangéliste, nous rappellerions d'abord qu'on ne lit pas dans tous les exemplaires de l'Évangile, que ces paroles aient été dites «par le prophète Jérémie», mais simplement «par le prophète». Toutefois, je ne puis admettre cette solution, car un grand nombré d'exemplaires, et des plus anciens, portent le nom de Jérémie, et il n'y a aucune raison qui ait pu faire ajouter ce nom et altérer ainsi le texte. On explique parfaitement, au contraire, le retranchement de ce nom, en l'attribuant à une ignorance téméraire, que troublait, peut-être, le passage en question. Or, il a pu arriver, que tandis que saint Matthieu écrivait son Évangile, le nom de Jérémie se soit présenté à son esprit à la place de celui de Zacharie, comme il arrive souvent, erreur qu'il aurait certainement corrigée sur l'observation qui a dû lui en être faite de son vivant par les lecteurs de cet Évangile, s'il n'avait pensé que le nom d'un prophète ne s'était pas présenté à son esprit pour un autre au moment où il écrivait sous l'inspiration de l'Esprit saint, sans que Dieu l'eût ainsi voulu. Quel les sont les raisons de cette conduite? La première, c'est que Dieu montrait ainsi que tous les prophètes avaient parlé sous l'inspiration du même esprit, et que l'accord le plus admirable régnait entre eux; prodige bien plus étonnant que si tous les oracles prophétiques avaient été annoncés par un seul homme, et d'où il résulte que l'on doit considérer toutes les paroles que l'Esprit saint a prononcées par leur bouche, comme si chacune d'elles appartenait à tous, et toutes à chacun d'eux. Car, encore aujourd'hui, il peut arriver qu'une personne, qui veut citer les paroles de quelqu'un, les cite sous le nom d'un de ses amis intimes, et que s'apercevant aussitôt de sa méprise, elle se reprenne, en ajoutant toutefois: mais j'ai bien dit, parce qu'elle ne considère que la parfaite union qui existe entre les deux amis. Or, à bien plus forte raison, on doit raisonner ainsi des saints prophètes. Il y a encore une autre raison pour laquelle l'Esprit saint a permis, ou plutôt a voulu positivement que le nom de Jérémie fut conservé à la place de celui de Zacharie. On lit dans Jérémie qu'il acheta un champ au fils de son frère, et qu'il lui en donna l'argent, mais non pas le même prix des trente pièces d'argent qui se trouve indiqué dans Zacharie (Jr 32,9). Or, il est évident que l'Évangéliste a voulu appliquer la prophétie des trente pièces d'argent à ce fait qui vient de s'accomplir dans la personne du Seigneur. Mais on peut voir aussi au sens spirituel une preuve que la prophétie de Jérémie, à l'occasion du champ qu'il achète, s'applique au même événement, dans le nom de Jérémie qui parle du champ acheté, mis à la place du nom de Zacharie qui précise les trente pièces d'argent. Le dessein de Dieu en cela, est que celui qui lit l'Évangile, et qui, en voyant cité Jérémie, n'y trouve cependant rien des trente pièces d'argent, mais seulement ce qui concerne le champ qu'il achète, soit amené à comparer les deux prophètes, et à éclaircir le vrai sens de la prophétie en l'appliquant à ce qui s'est accompli dans la personne du Seigneur. Quant à ce que saint Matthieu ajoute à ces paroles «Suivant l'appréciation des enfants d'Israël, et ils les donnèrent pour le champ du potier comme le Seigneur l'a ordonné», on ne le trouve ni dans Jérémie ni dans Zacharie. D'où nous devons conclure que c'est l'Évangéliste lui-même qui a fait cette addition dans un sens spirituel, parce qu'il connaissait, par une révélation divine, que cette prophétie s'appliquait au prix que Jésus-Christ a été vendu.

S. Jér. (de la meilleure méthode d'interp. Lettre 51). Loin de nous la pensée qu'on puisse accuser d'erreur un fidèle compagnon de Jésus-Christ, qui se préoccupa bien plus du sens dogmatique, que des mots et des syllabes. - S. Jér. (sur S. Matth,) J'ai lu dernièrement dans un texte hébreu apocryphe de Jérémie, qu'un juif de la secte des Nazaréens m'avait procuré, et j'y ai trouvé la reproduction littérale de cette citation. Mais il me paraît plus vraisemblable qu'elle a été empruntée au prophète Zacharie, selon la coutume des Évangélistes et des prophètes qui, sans tenir compte de la suite des paroles, ne citent que le sens de l'Ancien Testament à l'appui des faits qu'ils racontent.


vv. 11-14

5711 Mt 27,11-14

S. Aug. (de l'accord des Evang., 7et 8). Après avoir achevé de raconter ce qui concerne le traître Judas, saint Matthieu reprend la suite de son récit: «Or, Jésus comparut devant le gouverneur». - Orig. Considérez combien celui que Dieu le Père a établi le juge de toute créature, s'est humilié en consentant à comparaître devant un homme qui était alors un simple juge de la terre de Judée, et à s'entendre adresser une question que Pilate lui fait pour se moquer de lui, ou sans croire à la vérité qu'elle contient. «Et le gouverneur l'interrogea en ces termes: Êtes-vous le roi des Juifs ?» - S. Chrys. (hom. 86). Pilate interroge Jésus sur ce qui était le sujet continuel des récriminations de ses ennemis; car comme ils savaient que Pilate n'avait nul souci des questions purement légales, ils formulent contre lui une accusation en matière politique. - Orig. Ou bien, la proposition de Pilate est affirmative, et c'est ce qui lui fit écrire au-dessus de sa croix: «Roi des Juifs» (Jn 19,19). Or, en répondant au prince des prêtres, Jésus avait condamné indirectement le doute exprimé par sa question, tandis qu'il se contente de confirmer la proposition de Pilate par ces paroles: «Vous le dites». - S. Chrys. (hom. 86). Jésus confesse qu'il est roi, mais roi du ciel, comme nous le lisons plus clairement dans un autre évangile: «Mon royaume, dit-il, n'est pas de ce monde» (Jn 18,36), afin que Pilate et les Juifs soient inexcusables d'insister sur ce chef d'accusation. - S. Hil. Ou bien, lorsque le grand-prêtre lui a demandé s'il était le Christ, il lui a répondu «Vous l'avez dit», parce qu'il avait dû apprendre de la loi, que le Christ demeurait éternellement (Jn 12,34 Ps 109 Ps 116 Is 10,9), mais ici que cette même question: «Êtes-vous le roi des Juifs ?» lui est faite par un homme qui ne connaît pas la loi, il lui répond: «Vous le dites», parce que c'est par la foi de leur confession actuelle que les Gentils obtiennent le salut. - S. Jér. Remarquez que Jésus satisfait en partie à la question de Pilate qui le jugeait malgré lui, tandis qu'il garde un silence absolu devant les anciens et les princes des prêtres qu'il regarde comme indignes de toute réponse: «Et comme les princes des prêtres et les anciens l'accusaient, il ne répondit rien». - S. Aug. (de l'accord des Evang., 2, 8). Saint Luc nous apprend quels sont les crimes dont ils l'accusèrent. «Et ils commencèrent à l'accuser en disant: «Nous avons trouvé cet homme qui pervertissait le peuple, qui empêchait de payer le tribut à César, et qui se disait le Christ roi. Il importe peu à la vérité des faits qu'ils soient rapportés dans un ordre plutôt que dans un autre, ou qu'un Évangéliste passe sous silence ce que l'autre raconte. - Orig. A ces nouvelles accusations, Jésus ne répond pas plus qu'il n'a fait à la première; car la parole de Dieu ne devait plus se faire entendre aux Juifs comme elle s'était autrefois révélée par le moyen des prophètes. D'ailleurs, Pilate lui-même n'était pas digne de réponse, lui qui n'avait point d'opinion constante et arrêtée sur la personne de Jésus-Christ, mais qui se laissait entraîner aux idées les plus opposées. «Alors Pilate lui dit: Vous n'entendez pas de combien de choses ils vous accusent». - S. Jér. Celui qui méprise ainsi Jésus-Christ est un païen, mais il en fait retomber la responsabilité sur le peuple juif. - S. Chrys. (hom. 86). Or, il parlait de la sorte, parce qu'il voulait le délivrer, en profitant d'une réponse qui l'aurait justifié. «Mais Jésus ne répondit à aucun de ces griefs, de sorte que le gouverneur en était dans l'étonnement». Malgré tant d'épreuves évidentes qu'ils avaient de sa puissance, de sa douceur et de son humilité, ils ne laissent pas de conspirer contre lui, et de l'accabler sous le poids de leurs injustes accusations. C'est pour cela qu'il ne leur répond rien, ou s'il leur répond quelquefois, c'est en peu de mots, et pour qu'on ne put qualifier d'opiniâtreté son silence absolu. Ou bien, Jésus ne voulut rien répondre, dans la crainte qu'en se justifiant, il ne fût mis hors de cause par le gouverneur, et que les biens immenses que la croix devait produire, ne fussent ainsi différés. - Orig. Or, le gouverneur s'étonne de la constance de Jésus, lui qui savait, peut-être, qu'il avait le pouvoir de le condamner à mort, et qui le voyait tranquille, calme dans la sagesse, et d'une dignité que rien ne pouvait troubler. Voilà ce qui l'étonne grandement, car il regardait comme un prodige surprenant que Jésus, sous le coup d'une sentence capitale, fût sans crainte et sans trouble devant la mort, qui inspire à tous les hommes une si grande terreur.


vv. 15-26

5715 Mt 27,15-26

S. Chrys. (hom. 86). Comme Jésus n'avait répondu aux accusations des Juifs rien qui permit à Pilate de le renvoyer déchargé des crimes qu'on lui reprochait, il a recours à un autre expédient pour le délivrer. «Or, le gouverneur avait coutume au jour de la fête de Pâques d'accorder au peuple la délivrance de celui des prisonniers qu'il demandait». - Orig. C'est ainsi que les gouvernements accordent quelques grâces aux nations qu'ils ont conquises, jusqu'à ce qu'ils les aient complètement assujetties à leur joug. Cependant cette coutume existait autrefois chez les Juifs; car nous voyons Saül acquiescer è la demande qui lui est faite par tout le peuple, de ne pas faire mettre à mort son fils Jonathas. - S. Chrys. (hom. 86). Pilate voulut profiter de cette coutume pour essayer de délivrer Jésus-Christ, et pour ne pas laisser aux Juifs l'ombre même d'excuse, il met en parallèle de Jésus un homicide déclaré. «Il y avait alors un criminel fameux, nommé Barrabas». L'Évangéliste ne se contente pas de le qualifier de voleur, mais il l'appelle un voleur insigne, c'est-à-dire connu par sa scélératesse. - S. Jér. Barrabas, d'après l'Évangile, selon les Hébreux, veut dire le fils de leur maître, et il avait été condamné pour cause d'homicide et de sédition. Or, Pilate leur offre de délivrer, à leur choix, Barrabas ou Jésus, ne doutant pas qu'ils ne choisissent Jésus. «Les ayant donc assemblés, Pilate leur dit: Lequel voulez-vous que je vous délivre de Barrabas ou de Jésus qui est appelé Christ ?» - S. Chrys. (hom. 86). C'est comme s'il leur disait: Si vous ne voulez pas l'absoudre comme innocent, du moins graciez-le comme coupable à l'occasion de cette grande fête; en effet, ils auraient dû le délivrer malgré des crimes manifestes, à combien plus forte raison devant des accusations aussi peu fondées. Mais voyez comme les choses sont renversées; c'est le peuple qui ordinairement demande la grâce des condamnés, et le pouvoir qui la leur accorde; ici, c'est le contraire qui arrive; l'autorité fait cette demande au peuple, et le peuple n'en devient que plus acharné à sa proie.

La Glose. L'Évangéliste nous apprend pourquoi Pilate travaillait à délivrer le Sauveur: «Car il savait que c'était par envie qu'ils l'avaient livré». - Remi. Saint Jean nous fait connaître la cause de cette envie, en nous racontant ce qu'ils se disaient entre eux: «Voici que tout le monde le suit, et si nous le laissons ainsi, tous finiront par croire en lui» (Jn 11,48). Il faut remarquer qu'au lieu de ce que nous lisons dans saint Matthieu: «Ou Jésus qui est appelé Christ ?» Saint Marc dit: «Voulez-vous que je vous délivre le roi des Juifs ?» Car les rois des Juifs seuls recevaient l'onction, et le nom de christ à cause de cette onction.

S. Chrys. (hom. 86). L'Évangéliste ajoute une autre circonstance qui aurait dû les rappeler tous à des sentiments plus modérés: «Et pendant qu'il siégeait sur son tribunal, sa femme lui envoya dire: Ne vous embarrassez pas dans l'affaire de ce juste», et le songe de cette femme vient ajouter un grand poids aux preuves de faits déjà si imposants. - Rab. Remarquons que le tribunal est le siège des juges, le trône, celui des rois, et la chaire celui des docteurs. Or, la femme d'un païen comprit dans un songe et dans une vision, ce que les Juifs ne voulurent ni croire ni comprendre en plein jour. - S. Jér. Il faut observer aussi que Dieu s'est souvent servi de songes pour révéler la vérité aux Gentils, et que Pilate et sa femme, confessant l'innocence du Seigneur, personnifient en eux le témoignage rendu à Jésus-Christ par les Gentils. - S. Chrys. (hom. 86). Mais pourquoi n'était-ce point à Pilate lui-même que ce songe fut envoyé? Parce que sa femme en était plus digne que lui, ou bien, parce qu'on aurait cru moins facilement Pilate, ou bien enfin, parce qu'il n'en aurait point parlé. C'est donc par un dessein particulier de Dieu qu'une femme a eu cette vision dans un songe, pour qu'elle arrivât à la connaissance de tous. Et non seulement elle a cette vision, mais elle en est étrangement tourmentée: «J'ai beaucoup souffert dans un songe à cause de lui». Dieu le permet ainsi, afin que l'affection de Pilate pour sa femme le détournât de consentir à la condamnation de Jésus. L'heure même où cette vision avait eu lieu venait encore à l'appui, car c'était cette nuit là même. - S. Aug. C'est ainsi que Dieu épouvante le juge dans la personne de sa femme, et afin qu'il ne se rende point, par sa sentence, complice du crime des Juifs, il trouve son propre jugement dans la vision et dans les inquiétudes de sa femme; il est jugé, lui qui a le pouvoir de juger, et il souffre le premier avant qu'il en fasse souffrir un autre. - Rab. Ou bien dans un autre sens, le démon comprend enfin que Jésus-Christ va lui arracher ses dépouilles, il reprend donc le plan qu'il avait suivi dès le commencement, en introduisant la mort dans le monde par une femme, et il veut encore, par l'entremise d'une autre femme, arracher Jésus des mains des Juifs pour ne point perdre, par sa mort, l'empire de la mort qu'il avait sur tous les hommes.

S. Chrys. (hom. 86). Tant de motifs réunis ne peuvent fléchir les ennemis du Sauveur, parce que l'envie les avait complètement aveuglés. Aussi cherchent-ils à corrompre le peuple en le rendant complice de leur noire méchanceté «Mais les princes des prêtres et les anciens persuadèrent au peuple de demander Barrabas, et de faire périr Jésus. - Orig. Voyons donc mainte nant comment le peuple juif se laisse persuader par les anciens et par les docteurs de la loi, et entraîner à concourir à la mort de Jésus.

«Le gouverneur donc, reprenant la parole, leur dit: Lequel des deux voulez-vous que je vous délivre ?» - La Glose. L'Évangéliste dit ici que Pilate répondit, parce qu'il a pu répondre, en effet, soit à l'avertissement que sa femme lui avait donné, soit à la demande du peuple qui voulait, selon l'usage, qu'on lui délivrât quelqu'un dans ce jour de fête. - Orig. Or, la foule, comme une troupe de bêtes féroces qui suivent la voie large, demanda qu'on lui délivrât Barrabas: «Et ils répondirent: Barrabas». Voilà pourquoi cette nation est déchirée par des séditions, des homicides, des brigandages, crimes que plusieurs de ses enfants commettent extérieurement, et dont tous se rendent coupables dans leur âme. Car là où Jésus n'est pas, il n'y a que disputes et combats; là, au contraire, où il est, se trouvent tous les biens et la paix. Tous ceux encore qui sont semblables aux Juifs, ou dans leur croyance ou dans leur vie, veulent la délivrance de Barrabas; car tout homme qui fait le mal, délivre en lui-même Barrabas, et y tient Jésus captif; celui au contraire qui fait le bien, a dans son âme Jésus-Christ libre de tout lien, et y tient Barrabas enchaîné. Pilate, cependant, voulut leur inspirer la honte d'une si flagrante injustice: «Et il leur dit: Que ferai-je donc de Jésus qui est appelé Christ ?» Ce n'est pas pour ce seul motif qu'il leur fait cette question, mais pour voir jusqu'où irait leur cruelle impiété. Or, ils ne rougissent pas d'entendre Pilate proclamer que Jésus est le Christ, et ils ne mettent plus de bornes à leur sacrilège: «Ils s'écrièrent tous: Qu'il soit crucifié». Ils comblent ainsi la mesure de leurs crimes, non seulement en demandant la vie d'un homicide, mais encore en demandant la mort d'un juste et la mort ignominieuse de la croix (Sg 2,20). - Rab. Les crucifiés, attachés au bois de la croix par des clous qui leur traversaient les pieds et les mains, mouraient d'une mort prolongée, et vivaient longtemps encore sur cet instrument de supplice. Ce n'était pas, toutefois, pour prolonger leur vie, mais pour retarder leur mort, afin de prolonger leurs souffrances, qu'on leur infligeait ce supplice. Mais tandis que les Juifs ne pensaient qu'à faire souffrir à Jésus la mort la plus honteuse, ils lui préparaient, sans le comprendre, le genre de mort que le Seigneur avait lui-même choisie; car il devait placer la croix elle-même sur le front des fidèles comme le trophée de sa victoire sur le démon.


S. Jér. Pilate ne se rend pas encore à cette cruelle réponse des Juifs, mais sous l'impression de l'avertissement que sa femme lui a donné: «Ne vous mêlez pas de l'affaire de ce juste», il insiste de nouveau. «Le gouverneur lui dit: Mais quel mal a-t-il fait ?» Pilate décharge ainsi Jésus de toute accusation. «Mais ils se mirent à crier encore plus fort: Qu'il soit crucifié», accomplissant ainsi cette prédiction du Roi-prophète. «Un grand nombre de chiens m'ont environné; l'assemblée des méchants m'a assiégé (Ps 22,17) », et cette autre de Jérémie:» Ceux qui étaient mon héritage, sont devenus pour moi comme le lion dans la forêt, ils ont élevé leur voix contre moi» (Jr 12,8). - S. Aug. (de l'accord des Evang., 3, 8). Pilate discuta long temps avec les Juifs, dans le désir de délivrer Jésus, ce que saint Matthieu nous indique en ces quelques mots: «Pilate, voyant qu'il ne gagnait rien, mais que le tumulte ne faisait qu'augmenter», réflexion qui prouve que Pilate avait fait les plus grands efforts (bien que l'Évangéliste n'entre pas dans le détail) pour arracher Jésus à leur fureur.

«Il prit de l'eau, et se lava les mains devant le peuple en disant: Je suis innocent du sang de ce juste», etc. - Remi. C'était la coutume chez les anciens, quand un homme voulait prouver son innocence, qu'il se fit apporter de l'eau et se lavât les mains devant le peuple.

S. Jér. Pilate se fit apporter de l'eau conformément à ces autres paroles du Roi-prophète: «Je laverai mes mains parmi les innocents», et il semble dire par là à haute voix «Pour moi, j'ai voulu délivrer l'innocent, mais comme une sédition est prête d'éclater, et qu'on veut m'accuser du crime de haute trahison contre César, je suis innocent du sang de ce juste». Ainsi ce juge, que l'on force de rendre une sentence de mort contre le Seigneur, ne condamne point celui qui lui est présenté, mais il confond ceux qui l'amènent devant son tribunal, en proclamant l'innocence de celui qu'ils veulent crucifier. Il ajoute: «A vous d'en répondre», c'est-à-dire: Je suis l'exécuteur des lois, mais c'est votre voix qui répand le sang innocent: «Et tout le peuple répondit: Que son sang soit sur nous», etc. Cette imprécation pèse encore aujourd'hui sur les Juifs, et le sang du Seigneur s'attache à eux jusqu'à ce jour.

S. Chrys. (hom. 86). Considérez d'ailleurs jusqu'où va leur fureur aveugle et insensée; leur impiété, et la funeste passion de l'envie qui les domine, ne leur permet plus de voir leurs plus chers intérêts, ils se dévouent eux-mêmes à la malédiction en s'écriant: «Que son sang soit sur nous», et ils appellent cette malédiction jusque sur leurs enfants: «Et sur nos enfants». Ce pendant le Dieu plein de miséricorde n'a pas ratifié entièrement leur jugement; car il en a choisi parmi eux et parmi leurs enfants qui ont fait pénitence, un Paul par exemple, et ces milliers de Juifs qui embrassèrent la foi dans la ville de Jérusalem (Ac 2,41 Ac 4,4).

S. Léon. (serm. 8 sur la passion). Le crime des Juifs surpasse de beaucoup la faute de Pilate, mais il ne laisse pas toutefois d'être coupable, lui qui sacrifie ses convictions personnelles pour se rendre complice du crime d'autrui: «Alors il leur accorda la délivrance de Barrabas, et après avoir fait flageller Jésus, il le leur livra pour être crucifié». - S. Jér. Pilate ne fit en cela qu'exécuter la loi romaine, qui ordonnait de flageller d'abord celui qui devait être crucifié. Jésus fut donc livré aux soldats pour être flagellé, et les coups de fouets déchirèrent le corps si saint, et cette poitrine où Dieu reposait. - S. Aug. Voici qu'on s'apprête à flageller le Seigneur, voici qu'on le frappe, sa peau se déchire sous la violence des coups de fouets, et ces coups, que la cruauté multiplie, laissent sur ses épaules leurs traces sanglantes. O douleur ! Un Dieu est là étendu devant l'homme, et il souffre le châtiment des vils criminels, lui en qui on n'a pu trouver aucune trace de péché. - S. Jér. Or, tout cela s'est fait, parce qu'il est écrit: «De nombreux coups de fouets sont réservés aux pécheurs» (Ps 32,10), et que cette flagellation nous en délivre. Pilate, en se lavant les mains, proclame que les oeuvres des Gentils sont purifiées, et que nous devenons étrangers à l'impiété des Juifs.

S. Hil. (can. 33). A l'instigation des prêtres, le peuple choisit Barrabas, dont le nom signifie le fils du père. Ce nom est une prophétie de la future infidélité des Juifs, qui préféreront à Jésus-Christ, l'antéchrist le fils du péché. - S. Jér. Barrabas, l'homme qui excitait des séditions, et qui est délivré à la demande des Juifs, est la figure du démon qui règne jusqu'à présent sur eux, et leur rend ainsi toute paix impossible.



Catena Aurea 5669