Catena Aurea 6101

6101 Mc 1,1

S. Jér. (Prolog). L'évangéliste saint Marc exerçait les fonctions du sacerdoce en Israël. Il était issu de la tribu de Lévi. Après sa conversion au Seigneur, il écrivit son Évangile en Italie. Il y fait ressortir ce que Jésus-Christ devait à sa race. Car en commençant son récit par la parole du prophète, il montre le choix que Dieu fit de l'ordre lévitique, lorsqu'il nous annonce la venue de Jean, fils de Zacharie, que Dieu envoya comme un ange devant le Sauveur. - «Commencement de l'Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu». - S. Jér. Le mot évangile vient du grec, et signifie bonne nouvelle, parce qu'il se rapporte dans son sens propre au royaume de Dieu et à la rémission des péchés; car c'est par l'Évangile que sont venues la rédemption des saints et la félicité des saints. Les quatre Évangiles n'en font qu'un, et un seul les renferme tous les quatre. Le mot hébreu Jésus correspond au mot grec soter óùôÞñ, et au mot latin salvator qui veut dire Sauveur; et le mot Christ est un mot grec ñéóôüò qui veut dire en hébreu Messie, et en latin, unctus ou oint, c'est-à-dire roi et prêtre. - Bède. Il faut comparer le commencement de cet Évangile avec le commencement de l'Évangile de saint Matthieu. Ce dernier s'exprime ainsi: «Livre de la génération de Jésus-Christ, Fils de David, Fils d'Abraham», tandis que saint Marc l'appelle Fils de Dieu; car Notre-Seigneur possède les deux natures, et il est à la fois Fils de Dieu et Fils de l'homme. Or, c'est par un dessein plein de sagesse que le premier Évangéliste l'appelle Fils de l'homme, tandis que le second le proclame Fils de Dieu, afin que notre esprit s'élevât peu à peu aux vérités d'un ordre supérieur, et parvînt par la foi au mystère de l'incarnation, jusqu'à la connaissance des mystères de la divine éternité. Il était également convenable, que celui qui devait décrire la génération humaine de Jésus-Christ, le présentât d'abord comme Fils de l'homme, c'est-à-dire de David et d'Abraham; et que saint Marc, dont l'Évangile s'ouvrait par le commencement de la prédication de Jésus-Christ, l'appelât Fils de Dieu; car il appartenait à la nature humaine de prendre une chair véritable en sortant de la race des patriarches, et il était réservé à la puissance divine d'annoncer l'Évangile au monde. - S. Hil. Ce n'est point par le nom seul qu'il atteste que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, mais parce qu'il en a la nature et les attributs. Nous sommes aussi les enfants de Dieu, mais le Fils de Dieu ne l'est pas de la munie manière; car il est le vrai, le propre Fils de Dieu, par origine et non par adoption, en réalité; et non seulement par le nom qu'il porte; par sa naissance et non par création.


vv. 2-3

6102 Mc 1,2-3

Bède. Saint Marc, avant de commencer le récit des faits évangéliques, cite les témoignages des prophètes pour établir dans tous les esprits, sans y laisser l'ombre de doute, l'autorité des faits qu'il va raconter, en démontrant que les prophètes les ont prédits par avance. En même temps, par ce seul et même exorde, il prépare les Juifs qui avaient reçu la loi et les prophètes, à recevoir aussi la grâce de l'Évangile, et les mystères qui annonçaient leurs prophéties. En même temps, il dispose les Gentils qui sont venus à Jésus-Christ par la prédication de l'Évangile, à reconnaître et à vénérer l'autorité de la loi et des prophètes. Voilà pourquoi il ajoute: «Comme il est écrit dans le prophète Isaïe: Voici que j'envoie», etc. - S. Jér. (lettre 101 à Pammachius). Ces dernières paroles ne sont pas d'Isaïe, mais du prophète Malachie, le dernier des douze prophètes. L'Évangéliste réunit ici on une seule deux prophéties diverses qui se trouvent dans deux prophètes différents. Ainsi dans le prophète Isaïe, après l'histoire d'Ezéchias, on lit ces paroles: «Voix de celui qui crie dans le désert», et ces autres dans le prophète Malachie: «Voilà que j'envoie mon ange». Saint Marc, coupant pour ainsi dire ces deux prophéties, les donne comme venant d'Isaïe, et n'en forme qu'un seul témoignage, sans dire à quel prophète il emprunte ces dernières paroles: «Voilà que j'envoie mon ange». - S. Aug. Comme il savait que toute chose doit être rapportée à son auteur, il attribue cette citation à Isaïe, parce qu'il en avait le premier indiqué le sens. Aussi dès qu'il a cité les paroles du prophète Malachie, il ajoute aussitôt: «Voix de celui qui crie dans le désert», afin de réunir sous le nom de premier prophète, ces deux témoignages qui présentent la même pensée. - Bède. Ou bien, on peut donner cette autre explication, que ces paroles ne se trouvent pas textuellement dans Isaïe, mais qu'on en trouve le sens dans un grand nombre de passages de ce prophète, et surtout dans celui que cite saint Marc: «Voix de celui qui crie dans le désert». Car ce que dit Malachie que Dieu enverra un ange devant la face du Seigneur pour lui préparer la voie, c'est ce que dit Isaïe lui-même en recommandant d'écouter la voix qui crie dans le désert: «Préparez la voie du Seigneur». Des deux côtés, ce qui est recommandé, c'est de préparer la voie du Seigneur, il a pu se faire aussi qu'au moment où saint Marc écrivait son Évangile, le nom d'Isaïe se soit présenté à son esprit pour celui de Malachie, comme il arrive quelquefois; et saint Marc aurait certainement corrigé cette faute sur l'observation de ceux qui ont pu lire son Évangile de son vivant, s'il n'avait réfléchi que ce n'était pas sans raison que le nom d'un prophète s'était présenté pour un autre à son souvenir, dirigé par l'Esprit saint; car Dieu nous apprend ainsi que dans toutes les prophéties que le Saint-Esprit a dictées aux prophètes, ce qui appartient à l'un appartient à tous et réciproquement. - S. Jér. C'est donc par Malachie que la voix du Père se fait entendre au Fils qui est l'image du Père, et par lequel il s'est fait connaître aux hommes.

Bède. Le nom d'ange est donné à Jean, non pas qu'il en ait eu la nature, selon l'erreur d'Origène, mais parce qu'il en a rempli les sublimes fonctions. En effet, le mot grec ange Üããåëïò se traduit en latin par nuntius ou envoyé, et on a pu très bien donner ce nom à celui qui a été envoyé pour rendre témoignage à la lumière, et annoncer au monde le Seigneur qui venait s'y incarner, puisqu'il est certain qu'on peut légitimement donner le nom d'anges à ceux qui sont revêtus du sacerdoce, à cause du pouvoir qu'ils ont reçu d'annoncer l'Évangile, d'après ces paroles du prophète Malachie: «Les lèvres du prêtre garderont la science, et l'on recherchera la loi de sa bouche, parce qu'il est l'ange du Seigneur des armées». - Théop. Le nom d'ange est donc donné au Précurseur de Jésus-Christ, à cause de sa vie tout angélique, et de sa sublime dignité. Ces paroles: «Devant votre face», signifient: Votre envoyé est près de vous, ce qui prouve combien le Précurseur touchait de près à Jésus-Christ; car ceux-là seuls sont admis à marcher aux côtés des rois, qui tiennent de plus près à leur personne. «Il préparera la voie devant vous». C'est en effet par le baptême qu'il a préparé les âmes des Juifs à recevoir Jésus-Christ. - S. Jér. Ou bien la voie par laquelle le Seigneur entre dans le coeur de l'homme c'est la pénitence, c'est pour cela que saint Jean prend pour exorde de sa prédication ces paroles: «Faites pénitence».

Bède. De même que Jean-Baptiste a pu être appelé l'ange du Seigneur, parce qu'il lui a préparé les voies par la prédication, il a pu aussi être appelé la voix, parce qu'il précédait le Verbe de Dieu en faisant retentir sa voix: «Voix de celui qui crie», etc. C'est une vérité certaine, en effet, que le Fils unique de Dieu s'appelle le Verbe du Père, et nous savons, d'après notre manière de parler, que la voix doit commencer par retentir pour que la parole puisse se faire entendre. - Il est appelé la voix de celui qui crie, parce que le cri s'adresse à ceux qui sont sourds et éloignés, ou parce qu'il est l'expression de l'indignation. Or, c'est ce qui s'est vérifié pour le peuple juif, selon ces paroles du Roi-prophète: «Le salut est loin des pécheurs», et ils ont été comme les aspics qui se rendent sourds en se bouchant les oreilles», et ils ont ainsi mérité d'entendre de la bouche de Jésus-Christ des paroles d'indignation, de colère et de tribulation. - S. Chrys. Le prophète ajoute: «Dans le désert», pour établir clairement que les vérités divines ne devaient pas être annoncées dans Jérusalem, mais dans le désert, ce qui s'accomplissait à la lettre dans la personne de Jean-Baptiste, qui annonçait la présence salutaire du Verbe de Dieu dans le désert situé sur les bords du Jourdain. Cette prophétie nous apprend encore qu'outre le désert que Moïse fit connaître au peuple de Dieu, et au milieu duquel il lui traçait un chemin, il y en avait un autre où il annonçait la présence du salut que Jésus-Christ venait apporter au monde. - S. Jér. Ou bien cette voix et ce cri se font entendre dans le désert, parce que les Juifs étaient abandonnés par l'esprit de Dieu, comme une maison vide et balayée (Mt 12,44 Lc 11,25), et qu'ils étaient d'ailleurs sans roi, sans prêtre, sans prophète.

Bède. Mais que criait-il ainsi à haute voix? «Préparez les voies du Seigneur, rendez droits ses sentiers». Tout homme qui prêche la vraie doctrine et la pratique des bonnes oeuvres, que fait-il autre chose que de préparer la voie au Seigneur dans le coeur de ceux qui l'écoutent, pour qu'il les pénètre par l'efficacité de sa grâce, et qu'il les éclaire par la lumière de sa vérité. Il rend aussi droits les sentiers, lorsque par sa parole il engendre de bonnes pensées dans l'âme de ses auditeurs. - S. Jér. Ou bien dans un autre sens: «Préparez la voie du Seigneur», c'est-à-dire: Faites pénitence et prêchez: «Rendez droits ses sentiers», c'est-à-dire qu'en marchant par la voie royale, nous devons aimer le prochain comme nous-mêmes, et nous-mêmes comme le prochain. Ceux qui s'aiment eux-mêmes, sans aimer leur prochain, se jettent à droite de la voie. Il en est, en effet, beaucoup dont la vie est irréprochable, mais qui négligent la correction des autres, comme fut Héli (cf. 1S 8), par exemple. Celui, au contraire, qui se hait soi-même sans aimer le prochain, se jette à gauche de la voie, car il en est aussi beaucoup qui savent bien corriger les autres, mais qui ne se reforment pas eux-mêmes, tels étaient les scribes et les pharisiens. Or, les sentiers font suite à la voie, c'est-à-dire que les préceptes moraux ne peuvent être expliqués et aplanis qu'après la pénitence. - Théophyl. Ou bien, la voie c'est le Nouveau Testament, et les sentiers, l'Ancien Testament semblable à un chemin battu. Il était nécessaire, en effet, de préparer la voie; c'est-à-dire le Nouveau Testament, et de rendre droits les sentiers de l'Ancien Testament.


vv. 4-8

6104 Mc 1,4-8

S. Jér. Selon la prophétie d'Isaïe qui précède, Jean prépare la voie du Seigneur par la foi, le baptême et la pénitence. Il rend droits les sentiers, par cet extérieur austère, ce vêtement de poils de chameau, cette ceinture de cuir, ces sauterelles et ce miel sauvage et ce langage plein d'humilité. Aussi, est-il écrit: «Jean parut dans le désert», car Jean, aussi bien que Jésus, cherche ce qui a été perdu dans le désert lui-même; où Satan a remporté la victoire, il est vaincu à son tour; l'homme se relève là où il est tombé. Jean signifie grâce de Dieu, or, c'est par la grâce que commence ce récit évangélique. En effet, le mot qui suit est celui-ci: baptisant; et c'est par le baptême que la grâce nous est donnée, puisqu'il remet gratuitement les péchés. Mais ce qui est consommé par l'Epoux c'est le paranymphe de l'Epoux qui le commence. Ainsi les catéchumènes, c'est-à-dire, ceux que l'on instruit, reçoivent-ils du prêtre les premiers éléments de la foi, et de l'évêque l'onction du saint-chrême, et c'est là ce qu'expriment les paroles suivantes: «Il prêchait le baptême de la pénitence». - Bède. Il est évident que Jean n'a pas seulement prêché le baptême de la pénitence, mais qu'il l'a administré à un certain nombre; mais il n'a pu donner le baptême pour la rémission des péchés, car la rémission des péchés ne nous est accordée que dans le baptême de Jésus-Christ. Il est donc écrit: «Il prêchait le baptême de la pénitence» pour la rémission des péchés, parce que ne pouvant donner le baptême qui remet véritablement les péchés, il en était du moins le prédicateur; et de même qu'il était le précurseur du Verbe incarné par sa prédication, ainsi il précédait et figurait par son baptême, qui ne pouvait remettre le péché, le baptême de la pénitence où les péchés nous sont pleinement remis. - Theophyl. Ou bien encore: Quoique le baptême de Jean ne pût remettre les péchés, cependant il les conduisait à la pénitence. Il prêchait donc son baptême de pénitence, et cette prédication conduisait à la rémission des péchés. En d'autres termes, ceux qui recevaient Jésus-Christ avec des sentiments de pénitence, le recevaient pour la rémission de leurs péchés.

S. Jér. C'est par Jean, en sa qualité d'ami de l'époux, que l'épouse est présentée à Jésus-Christ comme autrefois Rébecca fut présentée à Isaac par Eliézer, son intendant (Gn 24,61): «Et toute la Judée, continue l'Évangéliste, sortait pour venir à lui», car la gloire et la louange marchent devant lui (Ps 96,6), c'est-à-dire, devant l'Epoux. Celle en effet qui se hâte de descendre de son chameau, c'est l'Eglise qui maintenant s'abaisse et s'humilie à la vue du véritable Isaac, Jésus-Christ son époux. Le mot Jourdain, signifie descente étrangère, parce que étrangers à l'égard de Dieu, éloignés de lui par l'orgueil, mais humiliés dans les eaux du baptême, nous sommes relevés jusqu'aux cieux. - Bède. Ce qui suit: «Confessant leurs péchés», enseigne clairement, à ceux qui désirent le baptême, l'obligation de confesser leurs péchés, et de promettre de mener une vie plus sainte.

S. Chrys. Jean qui prêchait le baptême de la pénitence, en portait les signes dans son vêtement comme dans sa nourriture. «Et Jean était vêtu de poils de chameau». Il était vêtu de poils de chameau et non de laine. Les poils de chameau sont la marque de l'austérité du vêtement, la laine signifie plutôt une vie molle et sensuelle. La ceinture de cuir qu'il portait comme Elie, est le symbole de la mortification (cf. 2R 1,8). Et ce qui suit: «Il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage», annonce un habitant du désert, qui ne recherche pas les mets délicieux, mais qui satisfait simplement aux nécessités de la vie matérielle. - S. Jér. Le vêtement de Jean, sa nourriture, tout son genre de vie représente la vie austère des prédicateurs, et la vocation future des nations au bienfait de la grâce divine dont Jean est le symbole par son nom aussi bien que leur union intérieure et extérieure avec Jésus-Christ, car les poils de chameau signifient les riches parmi les nations; et la ceinture de cuir, les pauvres qui sont morts au monde; les sauterelles vagabondes, ce sont les vrais sages du siècle qui, abandonnant aux Juifs leurs pailles arides, emportent comme sur leurs chars, le froment mystérieux, et, dans l'ardeur de leur foi, s'élancent vers les hauteurs. Par le miel sauvage, il faut entendre les fidèles saintement inspirés qui s'engraissent du produit d'une forêt inculte. - Théophyl. Ou bien: Le vêtement de poils de chameau était le signe extérieur de la douleur qui, comme l'insinue Jean-Baptiste, doit pénétrer un coeur pénitent, car le sac ou le cilice est le symbole de la douleur. La ceinture signifiait la mortification du peuple juif. La nourriture de Jean n'est pas seulement la preuve de son abstinence, mais encore de l'aliment spirituel dont le peuple se nourrissait alors, non qu'il pût encore élever bien haut ses pensées, mais il essayait de s'élever et il retombait bien vite à terre. Ainsi en est-il de la sauterelle qui saute et retombe aussitôt. Le peuple se nourrissait à la vérité d'un miel composé par les abeilles, c'est-à-dire, par les prophètes, mais sans être préparé et à l'état sauvage, car les Juifs avaient bien les Écritures, comme un miel précieux, mais ils n'en avaient qu'une faible intelligence.

S. Grég. (Moral., 31, 12). Ou bien, par ce genre de nourriture, Jean-Baptiste figurait le Seigneur dont il était le précurseur. En effet, lorsqu'il est venu pour nous racheter, la gentilité stérile jusqu'alors, fut à sa bouche comme un miel sauvage, et lorsqu'il s'est incorporé la nation juive, il s'est nourri en quelque sorte de sauterelles qui s'élancent par bonds subits et retombent soudain à terre. Les Juifs, en effet, semblaient vouloir s'élancer lorsqu'ils promettaient d'accomplir les préceptes du Seigneur, mais ils retombaient à terre, lorsque par leurs oeuvres, ils reniaient ces divins oracles, c'est-à-dire qu'ils bondissaient en paroles, et qu'ils retombaient à terre par leurs oeuvres. - Bède. Le vêtement et la nourriture de Jean peuvent aussi exprimer la nature de sa vie intérieure. Il portait des vêtements grossiers et austères parce qu'il ne flattait pas les pécheurs dans leur conduite déréglée, mais les reprenait par de rigoureuses invectives; il portait une ceinture de cuir autour des reins parce qu'il crucifia sa chair avec ses vices et ses convoitises (Ga 5,24). Il mangeait du miel sauvage, parce que sa prédication respirait je ne sais quelle douceur qui ravissait la multitude, et lui faisait croire qu'il était peut-être le Christ (Lc 3,15); mais cette prédication eut un résultat plus désirable et le peuple finit par comprendre qu'il n'était pas le Christ, mais le précurseur et le prophète du Christ. Et, en effet, la qualité du miel, c'est la douceur, le propre des sauterelles, c'est un vol rapide. L'Évangéliste ajoute: «Et il prêchait ainsi: Il en vient un après moi qui est plus puissant que moi». - La Glose. Il tient ce langage pour combattre l'opinion de la foule qui croyait qu'il était le Christ, et il annonce que le Christ est plus puissant que lui, parce qu'il remettrait les pêchés, ce qu'il ne pouvait faire lui-même. - S. Jér. Quel est celui qui est plus puissant que la grâce qui lave et efface les péchés (et dont Jean est le symbole), celui qui remet les péchés septante fois sept fois (Mt 18,21 Mt 3 Ap 7,4 Ap 14,1). La grâce du baptême apparaît la première, il est vrai, mais elle ne remet les péchés qu'une fois, tandis que la miséricorde s'exerce à l'égard des pécheurs depuis Adam jusqu'à Jésus-Christ pendant soixante-dix-sept générations et sur cent quarante-quatre mille personnes.

S. Chrys. On aurait pu le soupçonner en parlant ainsi de vouloir se comparer à Jésus-Christ, il ajoute donc: «Lui dont je ne suis pas digne, etc». Or, délier sa chaussure comme le dit ici saint Marc, n'est pas la même chose que de porter sa chaussure, selon l'expression de saint Matthieu. Et, en effet, les Évangélistes suivant le cours de leur récit, et sans se tromper en quoique ce soit, disent que saint Jean a employé ces deux termes qui ont un sens différent. Les commentateurs l'expliquent l'un et l'autre de plusieurs manières: la courroie ce sont les cordons qui retiennent la chaussure; il use de cette expression pour faire ressortir l'excellence du pouvoir du Christ, et la grandeur de sa divinité comme s'il disait: «Je ne suis pas digne d'être rangé au nombre de ses serviteurs». C'est une grande faveur, en effet, de se prosterner en quelque sorte aux pieds du Christ, pour étudier ce qui a rapport à sa nature corporelle, pour considérer ici-bas l'image de ses perfections divines, et dénouer (pour ainsi dire), chacune des merveilles inexplicables du mystère de l'Incarnation. - S. Jér. La chaussure se place à l'extrémité du corps: ainsi le Sauveur s'est incarné pour accomplir toute justice, à l'extrémité des temps. C'est pour cela que le Prophète dit (Ps 60,10 Ps 108,10 Nv): «J'étendrai mes pas jusqu'à l'Idumée». - S. Grég. La chaussure se fait avec la dépouille d'animaux morts: ainsi le Seigneur venant dans le monde, par son incarnation, apparaît pour ainsi dire avec cette chaussure, Lui qui a élevé jusqu'à sa divinité la dépouille de notre nature mortelle corruptible. Dans un autre sens: c'était un usage chez les anciens que lorsqu'un homme refusait de recevoir pour épouse celle qui lui revenait de droit, son plus proche parent l'épousait alors par droit de parenté, et lui déliait la chaussure. Jean-Baptiste se déclare donc à juste titre indigne de dénouer les cordons de la chaussure du Sauveur, comme s'il disait ouvertement: Je ne puis délier la chaussure du Christ, parce que je me reconnais indigne de prendre le titre d'époux. - Théophyl. On peut encore l'entendre ainsi: Tous ceux qui venaient trouver Jean-Baptiste et qui recevaient son baptême, étaient délivrés des liens de leurs péchés par la pénitence, et en vertu de leur foi en Jésus-Christ. Jean-Baptiste dénouait donc les cordons, c'est-à-dire les liens du péché,» mais il ne put dénouer la chaussure de Jésus-Christ parce qu'il ne trouva pas en lui l'ombre même du péché.

Bède. Saint Jean ne proclame point encore la divinité, la filiation divine du Seigneur, mais il le présente seulement comme un homme plus puissant que lui; car ses auditeurs, encore grossiers, ne pouvaient pénétrer les profondeurs d'un si grand mystère et comprendre que le Fils éternel de Dieu eût daigné se faire homme dans le sein d'une vierge, et prendre une seconde naissance pour venir dans le monde; mais il fallait les initier peu à peu, par la connaissance de son humanité glorifiée, à la foi de son éternelle divinité. Néanmoins, il leur déclare en termes voilés que celui qu'il annonce est véritablement Dieu, en leur disant: «Je vous baptise dans l'eau; mais lui vous baptisera dans le Saint-Esprit», car qui peut douter qu'un autre que Dieu puisse donner la grâce de l'Esprit saint. - S. Jér. Quel rapport y a-t-il donc entre l'eau et le Saint-Esprit qui était porté sur les eaux? (Gn 1,2) L'eau, c'est le signe mystérieux de l'homme; l'Esprit, c'est le signe mystérieux de Dieu. - Bède. Nous sommes baptisés dans l'Esprit saint, non seulement lorsqu'au jour du baptême nous sommes purifiés de nos péchés dans cette source de vie, mais chaque jour, lorsque, par la grâce de ce même Esprit, nous sommes enflammés d'un saint zèle pour l'accomplissement de la volonté de Dieu.


vv. 9-11

6109 Mc 1,9-11

S. Jér. L'évangéliste saint Marc, comme le cerf qui aspire aux sources d'eaux vives, bondit dans la plaine et sur le sommet des collines; comme l'abeille ruisselante de miel effleure et déguste le sommet des fleurs, et il nous montre aussitôt Jésus qui vient de Nazareth: «Et il arriva qu'en ces jours-là», etc. - S. Chrys. Jésus-Christ devait instituer un autre baptême; cependant il vient recevoir celui de Jean qui, rapproché du sien, était bien incomplet, et qui d'ailleurs différait du baptême des Juifs et tenait pour ainsi dire le milieu entre ces deux baptêmes. Il voulait nous apprendre, par la nature même de ce baptême, qu'il n'était point baptisé pour la rémission des péchés, ni comme ayant besoin de recevoir le Saint-Esprit; car le baptême de Jean ne conférait aucune de ces deux grâces. Mais il fut baptisé pour se faire connaître à tous, afin que tous pussent croire en lui et pour accomplir toute justice, c'est-à-dire les préceptes du Seigneur, puisqu'ils commandaient entre autres choses de recevoir le baptême du Prophète. - Bède. Il fut baptisé d'une part pour sanctionner, par l'autorité de son exemple, le baptême de Jean; il voulut aussi sanctifier l'eau du Jourdain et signifier par la descente de la colombe la venue du Saint-Esprit dans les eaux régénératrices des fidèles: «Et comme il sortait de l'eau, dit l'Évangéliste, il vit les cieux ouverts et l'Esprit saint descendant sous la forme d'un colombe et demeurant sur lui».

Or, les cieux sont ouverts, non dans ce sens que les éléments se replient sur eux-mêmes, mais ils sont ouverts aux yeux de l'âme, comme ils le furent pour Ezéchiel dans la vision qu'il raconte au commencement de ses prophéties. Si Jésus-Christ vit les cieux ouverts après son baptême, c'est en notre faveur que fut opéré ce prodige, nous à qui la porte du royaume céleste est ouverte par le bain de la régénération. - S. Chrys. Ou encore, c'était pour montrer que la sanctification des hommes prenait sa source dans le ciel, et l'union étroite des choses de la terre avec les choses du ciel. «Le Saint-Esprit descendit sur lui», non pas qu'il vint en lui pour la première fois, mais pour faire comprendre que le Christ, qui était baptisé par Jean, était pour ainsi dire signalé du doigt à la foi de tous les hommes ! - Bède. La descente visible du Saint-Esprit sur Jésus-Christ dans son baptême est le signe de la grâce spirituelle qui devait nous être conférée dans le baptême. - S. Jér. C'est là cette onction du Christ incarné, c'est-à-dire le Saint-Esprit lui-même, onction dont il est dit (Ps 45,8): «Dieu, votre Dieu, vous a sacré d'une huile de joie qui vous met au-dessus de tous ceux qui doivent la partager».

Bède. Il convenait que l'Esprit saint descendît sous la forme de la colombe, qui est simple, sans fiel, sans malice, afin de nous faire comprendre par cette figure qu'il cherche les coeurs simples et qu'il dédaigne d'habiter dans les coeurs impies. - S. Jér. L'Esprit saint descend sous la forme d'une colombe par cette autre raison que dans le Cantique des Cantiques, le divin Epoux dit à l'Eglise: Mon épouse, mon amie, ma chérie, ma bien-aimée, ma colombe (Ct 2,10 Ct 5,2). Elle est épouse dans les patriarches, amie dans les prophètes, intime dans Marie et Joseph, bien-aimée dans Jean-Baptiste, colombe dans le Christ et les Apôtres, à qui Jésus dit: «Soyez prudents comme des serpents et simples comme des colombes» (Mt 10,16). - Bède. La colombe se reposa sur la tête de Jésus pour ne point laisser penser que cette voix du Père céleste s'adressait à Jean et non au Seigneur. Saint Marc ajoute très-justement: «Elle demeura sur lui», car c'est par un privilège particulier à Jésus-Christ que l'Esprit saint, dont il est rempli, ne s'en sépare jamais. La grâce du Saint-Esprit, au contraire, est conférée aux fidèles pour opérer des miracles et des prodiges, et peut ensuite leur être ôtée. Il n'y a d'exception que pour les oeuvres de piété et de justice, pour l'amour de Dieu et du prochain où la grâce du Saint-Esprit leur est toujours présente. Lorsque Jésus vient à Jean comme les autres, pour recevoir son baptême, la voix du Père nous enseigne qu'il est le vrai Fils de Dieu qui baptisera dans le Saint-Esprit: «Et cette parole se fit entendre du ciel: Vous êtes mon fils bien-aimé en qui j'ai mis toute mes complaisances». Ces paroles n'apprennent pas au Fils de Dieu ce qu'il ignorait jusque là, mais nous enseignent ce que nous devons croire nous-mêmes. - S. Aug. (De l'accord, des Evang., 5, 4). Saint Matthieu rapporte que la voix fit entendre ces paroles: «Celui-ci est mon fils bien-aimé» (Mt 3,17), pour montrer leur rapport avec ces autres: «Celui-ci est mon Fils», et faire comprendre à ceux qui les entendaient que Jésus était vraiment le Fils de Dieu. Et si vous voulez savoir laquelle de ces deux locutions la voix céleste a fait entendre, choisissez celle qu'il vous plaira, pourvu que vous admettiez que les deux Évangélistes, tout en différant dans l'expression, ne diffèrent nullement dans la pensée. Que Dieu se soit complu en son Fils, c'est ce qui ressort de cette parole: «J'ai mis en vous mes complaisances». - Bède. Cette même voix nous enseigne aussi que par l'eau du baptême et l'Esprit sanctificateur, nous pouvons devenir enfants de Dieu. Le mystère de la Trinité nous est aussi révélé dans ce baptême: Le Fils est baptisé; l'Esprit saint descend sous la forme d'une colombe, et on entend la voix du Père qui rend témoignage à son Fils.

S. Jér. Dans le sens moral: Nous sortons de l'instabilité (Ct 1-3 Is 66,2) de ce monde, et, attirés par le parfum et la beauté des fleurs, nous courons avec le jeune âge à la suite de l'époux. De même aussi, dans le sacrement de baptême, nous puisons avec la grâce de la rémission de nos péchés, l'amour de Dieu et du prochain, et nous élevant sur les ailes de l'espérance, nous contemplons, avec les yeux d'un coeur pur, les secrets des cieux. Nous recevons ensuite l'Esprit saint dans un coeur contrit et humilié, l'Esprit saint qui descend dans les âmes amies de la simplicité et de la douceur, et qui fait sa demeure dans une âme où règne une charité persévérante. Cette parole du Seigneur descend aussi du ciel sur nous, enfants chéris de Dieu (Mt 5,9): «Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés enfants de Dieu»; et alors le Père, avec le Fils et le Saint-Esprit, mettent en nous leur complaisance, lorsque nous devenons un seul et même esprit avec Dieu.


vv. 12-13

6112 Mc 1,12-13


S. Chrys. (hom. 13 sur S. Matth). Jésus-Christ, qui dans toutes ses actions comme dans toutes ses épreuves se proposait notre instruction, commence après son baptême par habiter le désert, et il y combat contre le démon, afin que tout chrétien, après son baptême, apprît à supporter patiemment de plus fortes tentations, ne se laissât point troubler comme si elles lui arrivaient contre son attente; mais qu'après en avoir vaillamment soutenu le choc, il en demeurât vainqueur. Dieu permet il est vrai les tentations pour beaucoup d'autres motifs, mais il les permet aussi pour faire connaître que la tentation relève l'homme et l'honore. Le démon, en effet, ne s'attaque qu'à celui qu'il voit environné d'un plus grand éclat. «Et aussitôt, dit l'Évangéliste, l'Esprit le poussa dans le désert». Il nous montre Jésus, non pas allant simplement, mais comme chassé dans le désert, afin de nous faire comprendre qu'il obéissait ici aux secrets de la divine Providence. Par là aussi, l'Évangéliste nous apprend que l'homme ne doit pas s'exposer lui-même à la tentation, mais que si nous y sommes poussés par une cause étrangère, la victoire nous est assurée. - Bède. Il pouvait s'élever quelque doute sur la nature de cet Esprit qui poussait Jésus dans le désert; saint Luc commence donc par dire très à propos que Jésus revint du Jourdain tout rempli du Saint-Esprit, et il ajoute aussitôt: «Et il était poussé par l'Esprit dans le désert (Lc 4,1) afin que personne ne pût s'imaginer que l'esprit immonde ait eu quelque puissance sur celui qui, rempli du Saint-Esprit, allait et agissait d'après sa propre volonté.

S. Chrys. (hom. 13). L'Esprit le poussa donc dans le désert: Jésus-Christ se proposait de provoquer les tentations du démon; il lui en fournit donc l'occasion, non seulement par la faim qu'il endure, mais encore par le lieu qu'il choisit pour demeure, car le démon attaque de préférence ceux qui vivent dans la solitude. - Bède. Il se retira aussi dans le désert pour nous enseigner à fuir les séductions du monde, la société des méchants, et à observer fidèlement tous les divins préceptes. Il est tenté seul par le démon pour nous faire comprendre que «tous ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ souffrent persécution» (2Tm 3,12). «Et il était dans le désert pendant quarante jours et pendant quarante nuits, et il était tenté par Satan». Or, il est tenté quarante jours et quarante nuits pour nous apprendre que tant que nous servons ici-bas le Seigneur, soit que la prospérité (figurée par les jours) nous sourie, soit que nous soyons exposés aux coups de l'adversité (représentée par la nuit), en tout temps l'ennemi est là et ne cesse d'entraver nos pas par ses tentations. Les quarante jours et les quarante nuits représentent toute la durée des siècles. Le monde au milieu duquel nous servons Dieu peut en effet se diviser en quatre parties: il y a dix préceptes par l'observation desquels nous luttons contre l'ennemi, et dix répété quatre fois font quarante.

«Et il était avec les bêtes sauvages». - S. Chrys. L'Évangéliste nous fait ici le tableau de ce désert: Il n'y avait pas trace d'homme, et il était rempli de bêtes sauvages: «Et les anges le servaient». Car après sa tentation et sa victoire sur le démon, Jésus opéra le salut des hommes, et comme dit l'Apôtre (He 1,14): «Les anges sont envoyés pour remplir leur ministère en faveur de ceux qui reçoivent l'héritage du salut». Il faut remarquer ici que les anges viennent se mettre au service de ceux qui sont vainqueurs de la tentation. - Bède. Remarquons encore que Jésus-Christ demeure au milieu des bêtes sauvages en tant qu'homme, et qu'il se sert du ministère des anges comme Dieu. Et nous aussi, lorsque dans la solitude d'une vie sainte, notre coeur reste pur, malgré le contact des moeurs corrompues des hommes charnels, nous méritons l'assistance des anges qui, après notre délivrance des liens du corps, nous transporteront au séjour de l'éternelle béatitude. - S. Jér. Ou bien, les bêtes de la terre sont en paix avec nous comme dans l'arche de Noé, les animaux purs avec les animaux impurs (Gn 7,2-9), lorsque la chair cesse de convoiter contre l'esprit (Ga 5,17). Les anges, après cela, sont envoyés pour nous servir et pour apporter aux coeurs vigilants les oracles et les consolations célestes.




Catena Aurea 6101