Catena Aurea 10216

vv. 16-21

10216 Lc 12,16-21

Théophyl. Notre-Seigneur confirme la vérité qu'il vient d'enseigner, que l'abondance des richesses ne peut prolonger la vie humaine, par la parole suivante: «Il y avait un homme riche, dont les terres avaient rapporté beaucoup de fruits». - S. Basil. (hom. 6 de l'avar). Notre-Seigneur ne dit pas que cet homme voulut faire aucun bien avec ses grandes richesses, et il rend plus éclatante la longanimité de Dieu, qui étend sa bonté même aux méchants, et fait tomber sa pluie sur les justes et sur les coupables. Or, comment cet homme témoigne-t-il sa reconnaissance à son bienfaiteur? Il oublie la nature qui lui est commune avec tous les hommes, il ne pense pas qu'il y a obligation pour lui à distribuer aux indigents son superflu; ses greniers étaient surchargés par l'abondance de ses récoltes, mais son coeur insatiable n'était pas rempli. Il ne voulait rien donner des fruits anciens, tant était grande son avarice; il ne savait ni recueillir les nouveaux, tant ils étaient abondants, aussi sa prudence est aux abois et ses soucis frappés de stérilité: «Et il s'entretenait lui-même de ces pensées: Que ferai-je? car je n'ai point où serrer ma récolte». Il s'inquiète à l'égal des pauvres; n'est-ce pas là, en effet, ce que dit l'indigent: Que ferai-je? Comment me procurer la nourriture et le vêtement? Tel est aussi le langage de ce riche, il est comme accablé sous le poids de ses richesses, dont ses greniers regorgent et dont il ne veut point les laisser sortir pour le soulagement des misérables, semblables à ces gens avides et affamés, qui aimeraient mieux être victimes de leur voracité, que de laisser les restes de leur table aux indigents.

S. Grég. (Moral., 15, 13). O inquiétudes, qui êtes le fruit de l'abondance et de la satiété ! En disant: «Que ferai-je ?» ne montre-t-il pas clairement qu'il est comme accablé par l'accomplissement de ses désirs, et qu'il gémit, pour ainsi dire, sous le fardeau de ses liens? - S. Bas. (comme précéd). Quoi de plus facile que de dire: J'ouvrirai mes greniers, je réunirai tous les pauvres; mais non, une seule pensée le préoccupe, ce n'est point de distribuer le trop plein de ses greniers, c'est d'entasser sa nouvelle récolte: «Voici, dit-il, ce que je ferai: Je détruirai mes greniers». Vous faites là une bonne action, ces greniers d'iniquité méritent d'être détruits; abattez donc ces greniers d'où la consolation n'est jamais sortie pour personne. Il ajoute: «Et j'en ferai de plus grands». Et si vous parvenez encore à les remplir, les détruirez-vous de nouveau? Mais quelle folie que ce travail sans fin? Vos greniers (si vous voulez), doivent être les maisons des pauvres. Vous me direz: A qui fais-je tort, en gardant ce qui m'appartient? Car ce riche ajoute: «Et j'y amasserai le produit de mes terres et tous mes biens». Dites-moi quels sont les biens que vous avez en propre? De quelle source les avez-vous tirés pour les apporter dans cette vie? Semblables à un homme qui, arrivant avant l'heure du spectacle, empêcherait les autres d'y venir, et prétendrait avoir la jouissance exclusive de ce qui est destiné au public, les riches regardent comme leur appartenant en propre des biens dont ils se sont emparé, lorsqu'ils étaient la propriété commune de tous les hommes. Si chacun ne prenait que ce qui suffit à ses besoins, et abandonnait tout le superflu aux indigents, il n'y aurait plus ni riche ni pauvre.

S. Cyr. Écoutez une autre parole inconsidérée de ce riche: «J'y amasserai tout le produit de mes terres et tous mes biens». Ne semble-t-il pas qu'il n'est pas redevable à Dieu de ses richesses, et qu'elles sont le fruit de ses travaux? - S. Bas. (comme précéd). Mais si vous reconnaissez que vous les tenez de Dieu, est-ce que Dieu serait injuste en nous distribuant inégalement les biens de la fortune? Pourquoi êtes-vous dans l'abondance, celui-ci dans la pauvreté, si ce n'est pour vous donner occasion d'exercer une générosité méritoire, à ce pauvre de recevoir un jour le prix glorieux de sa patience? Or, n'êtes-vous pas un véritable spoliateur, en regardant comme votre propriété ces biens que vous n'avez reçus que pour en faire part aux autres? Ce pain que vous conservez, appartient à cet homme qui meurt de faim; cette tunique que vous serrez dans votre garde-robe, appartient à cet autre qui est sans vêtement; cette chaussure qui dépérit chez vous, est à celui qui marche pieds nus; cet argent que vous avez enfoui dans la terre, appartient aux indigents; vous commettez donc autant d'injustices que vous pourriez répandre de bienfaits. - S. Chrys. Mais il se trompe encore en regardant comme des biens véritables, des choses tout à fait indifférentes. Il y a, en effet, des choses qui sont essentiellement bonnes, d'autres essentiellement mauvaises, d'autres enfin qui tiennent le milieu. La chasteté et l'humilité, et les autres vertus sont de véritables biens, et rendent bon celui qui les pratique. Les vices opposés à ces vertus sont essentiellement mauvais, et rendent également mauvais celui qui s'y livre. D'autres choses tiennent le milieu, comme les richesses, tantôt elles servent à faire le bien, l'aumône, par exemple, tantôt elles sont un instrument pour le mal, c'est-à-dire pour l'avarice. Il en est de même de la pauvreté, elle conduit tantôt au blasphème, tantôt à la véritable sagesse, selon les dispositions intérieures des personnes.

S. Cyr. Ce ne sont point des greniers permanents, mais de passagère durée, que ce riche construit, et ce qui est une folie plus insigne, il se promet une longue vie: «Et je dirai à mon âme: Mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années». O riche, tes greniers, il est vrai, regorgent de fruits, mais qui peut te garantir plusieurs années de vie? - S. Athan. (contre Antig). Celui qui vit comme s'il devait mourir chaque jour, à cause de l'incertitude naturelle de la vie, ne commettra point ce péché; car cette crainte de la mort prémunit contre l'attrait séduisant des voluptés; mais au contraire, celui qui se promet une longue vie, aspire après les plaisirs de la chair. Écoutez en effet ce riche: «Mon âme, repose-toi, mange, bois, fais bonne chair», c'est-à-dire fais des repas somptueux. - S. Bas. (comme précéd). O riche, tu es si oublieux des biens de l'âme, que tu lui donnes en nourriture les aliments du corps ! Si cette âme est vertueuse, si elle est féconde en bonnes oeuvres, si elle s'attache à Dieu, elle possède alors de grands biens, et jouit d'une véritable joie; mais comme tu es tout charnel et esclave de tes passions, tes désirs et tes cris viennent tout entiers du corps et non de l'âme. - S. Chrys. (hom. 39 sur la 1 Epît. aux Cor). Il ne convient nullement de se plonger dans les délices, d'engraisser le corps et d'affaiblir l'âme, de lui imposer un lourd fardeau, de l'envelopper dans les ténèbres et de la couvrir d'un voile épais. Lorsque l'homme vit dans les délices, l'âme qui devait être reine, devient esclave, et le corps qui devait obéir, domine et commande. Les aliments sont nécessaires au corps, mais non pas les délices; il faut le nourrir, mais non pas le débiliter et l'amollir. Or, les délices sont nuisibles au corps autant qu'à l'âme; de fort qu'il était, elles le rendent faible; à la santé, elles font succéder la maladie; à l'agilité, la pesanteur; à la beauté, la laideur; à la jeunesse, une vieillesse prématurée.

S. Bas. (comme précéd). Cet homme a été laissé libre de délibérer sur toutes ces choses, et de faire connaître ses intentions, afin que son avarice insatiable reçût le juste châtiment qu'elle méritait. Tandis, en effet, qu'il parle ainsi dans le secret de son âme, ses pensées et ses paroles sont jugées dans le ciel, d'où lui vient cette réponse: «Insensé ! cette nuit même, on te redemandera ton âme». Entendez-vous ce nom d'insensé que votre folie vous a mérité, ce ne sont pas les hommes, c'est Dieu lui-même qui vous l'a donné. - S. Grég. (Moral., 22, 2. sur ces par. de Jb 26: «Si j'ai regardé l'or», etc). Il fut enlevé cette nuit-là même, lui qui s'était promis de longues années, et tandis qu'il avait amassé des biens considérables pour un grand nombre d'années, il ne voit même pas le jour du lendemain. - S. Chrys. (disc. 2 sur Lazare). «On te redemandera ton âme», etc. Peut-être quelques puissances terribles étaient envoyées pour lui redemander son âme; car si nous ne pouvons sans guide passer d'une ville à une autre, combien plus l'âme, séparée du corps, a-t-elle besoin d'être conduite vers les régions inconnues de l'autre vie. C'est pour cela que l'âme, sur le point de quitter le corps, résiste fortement, et rentre dans les profondeurs du corps; car toujours la conscience de nos péchés nous fait sentir son aiguillon; mais c'est surtout lorsque nous devons être traduits devant le tribunal redoutable du juste Juge, que toute la multitude de nos crimes vient se placer sous nos yeux et glacer notre âme d'effroi. Comme des prisonniers sont toujours dans les angoisses, surtout lorsqu'arrive pour eux le moment de paraître devant leur juge; ainsi l'âme est alors attristée et torturée par le souvenir de ses péchés, mais bien plus encore lorsqu'elle est sortie du corps. - S. Grég. (Moral., 25, 2). Cette âme a été enlevée pendant la nuit, c'est-à-dire dans l'obscurité du coeur; elle est séparée du corps pendant la nuit, parce qu'elle a fermé les yeux à la lumière de la raison qui aurait pu lui faire prévoir les supplices qu'elle s'exposait à souffrir.

Dieu ajoute: «Et ce que tu as amassé, pour qui sera-t-il ?» - S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr. et hom. 23 sur la Gen). Car vous laisserez tous ces biens, et non seulement vous n'en retirerez aucun avantage, mais vous serez accablé sous le poids de vos péchés. Toutes ces richesses que vous avez amassées, passeront le plus souvent aux mains de vos ennemis, mais c'est vous qui aurez à en rendre compte.

«Il en est ainsi de celui qui thésaurise pour soi, et qui n'est pas riche selon Dieu». - Bède. C'est un insensé qui doit être enlevé dans la nuit. Que celui donc qui veut être riche selon Dieu, n'amasse pas de trésors pour lui; mais qu'il distribue aux pauvres ceux qu'il possède. - S. Ambr. Pourquoi, en effet, amasser des richesses dont on ne sait faire aucun emploi? Pouvons-nous regarder comme nous appartenant des choses que nous ne pouvons emporter avec nous? La vertu seule nous accompagne au sortir de cette vie, la miséricorde seule nous suit, et nous conduit après la mort dans les tabernacles éternels (Lc 16,9).


vv. 22.23

12423 Lc 12,22-23

Théophyl. Notre-Seigneur élève peu à peu ses disciples à une doctrine plus parfaite. Il leur a enseigné à se mettre en garde contre l'avarice, et leur a cité à l'appui la parabole du riche, pour leur démontrer plus clairement la folie de celui qui désire des choses superflues; il va maintenant plus loin, il ne nous permet pas même la sollicitude pour le nécessaire, et arrache ainsi de nos coeurs, jusqu'à la racine de l'avarice: «C'est pourquoi je vous dis Ne vous mettez pas en peine», etc. C'est-à-dire puisque vous avez compris la folie de celui qui se promettait une longue vie, et que cette espérance rendait encore plus avare; ne vous mettez pas en peine pour votre âme de ce que vous mangerez. Notre-Seigneur s'exprime de la sorte, non que l'âme spirituelle et intelligente se nourrisse d'aliments corporels, mais parce que la nourriture de notre corps est une condition essentielle de l'union de l'âme et du corps; ou bien encore, comme c'est le propre du corps animé de prendre de la nourriture, le Sauveur attribue à l'âme le soin de la nourriture; car l'âme est appelée la vertu nutritive du corps, et ses paroles peuvent recevoir ce sens: «Ne vous mettez pas en peine pour la partie nutritive de votre âme, de ce que vous mangerez». Le corps, au contraire, même privé de la vie, peut être couvert de vêtements; aussi Notre-Seigneur ajoute: «Ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez». - S. Chrys. (hom. 22 sur S. Matth). «Ne vous inquiétez pas», ne veut pas dire: Ne travaillez pas; mais: «Ne vous laissez pas absorber par les choses de la terre»; en effet, on peut très bien se livrer au travail, mais sans préoccupation, sans agitation d'esprit. - S. Cyr. La vie est supérieure à la nourriture, et le corps au vêtement, au témoignage du Sauveur: «La vie est plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement», c'est-à-dire: Dieu qui a fait le plus, ne dédaignera pas de faire le moins. Que des choses si peu importantes ne soient donc point l'objet unique de nos pensées, que notre esprit ne soit pas l'esclave du vêtement et de la nourriture, mais qu'il se préoccupe surtout des moyens de sauver l'âme et de l'élever jusqu'au royaume des cieux. - S. Ambr. Rien de plus propre à établir cette vérité, que Dieu accorde tout à ceux qui se confient en lui, que de voir ce souffle céleste qui, sans effort de notre part, perpétue l'union intime du corps et de l'âme, dans une communauté de vie à qui l'aliment nécessaire ne fait défaut, que lorsqu'arrive le jour de la séparation et de la mort. Puisque donc l'âme est enveloppée du corps comme d'un vêtement, et que le corps, à son tour, puise sa vie dans la vigueur de l'âme, n'est-ce pas une absurdité de craindre que la nourriture puisse nous faire défaut, alors que Dieu nous a donné et nous continue le bienfait précieux de la vie ?



vv. 24-26

10224 Lc 12,24-26

S. Cyr. De même que dans ce qui précède, Notre-Seigneur a voulu produire dans l'esprit de ses disciples une foi vive et ferme à la Providence par l'exemple des oiseaux qui sont de peu de valeur, il se sert encore de la même comparaison, pour nous inspirer une ferme et inébranlable confiance en Dieu: «Considérez les corbeaux, ils ne sèment ni ne moissonnent (pour se procurer la nourriture), ils n'ont ni cellier ni grenier (pour mettre leur récolte), et Dieu les nourrit. «Combien ne valez-vous pas mieux qu'eux». - Bède. C'est-à-dire, vous êtes d'un plus grand prix, car un être raisonnable tel que l'homme, occupe dans la nature un rang plus élevé que les êtres dépourvus de raison, comme sont les oiseaux.

S. Ambr. C'est là un grand exemple offert à notre foi. En effet, les oiseaux qui n'ont ni les travaux de la culture, ni de riches moissons, trouvent cependant leur nourriture dans le fond inépuisable de la providence divine. Il est donc vrai que la cause de notre indigence, c'est notre avarice; car pourquoi les oiseaux reçoivent-ils sans travail aucun une abondante pâture? C’est parce qu'ils ne cherchent pas à s'approprier la possession des biens destinés à la nourriture commune de tous les êtres. Pour nous, au contraire, nous perdons nos droits à ces biens communs, en voulant les posséder en propre. Et d'ailleurs quelle propriété véritable pouvons-nous avoir, là où il n'y a rien de durable, quelles richesses assurées, là où tous les événements sont incertains ?

S. Chrys. (hom. 22 sur S. Matth). Notre-Seigneur pouvait donner en exemple ces hommes qui ont professé une souveraine indifférence pour les choses de la terre, comme Élie, Moïse, Jean-Baptiste, et d'autres semblables, mais il préfère emprunter ses comparaisons aux oiseaux, suivant en cela l'exemple de l'Ancien Testament, qui renvoie l'homme à l'abeille et à la fourmi (Pr 6,6 Pr 6,8), et à d'autres animaux qui ont reçu du Créateur des instincts qui leur sont propres. - Théophyl. Or, il cite l'exemple des corbeaux, de préférence aux autres oiseaux, parce que la providence de Dieu nourrit les petits des corbeaux avec un soin tout particulier. En effet, les corbeaux, après que leurs petits sont éclos, les abandonnent sans se mettre en peine de les nourrir, et c'est le vent qui, d'une manière vraiment merveilleuse, leur porte à travers les airs leur pâture qu'ils reçoivent dans leur bec entr'ouvert. Peut-être encore parle-t-il ainsi par synecdoque, en prenant la partie pour le tout. En effet, dans saint Matthieu (Mt 6), il nous renvoie aux oiseaux du ciel en général, ici, au contraire, il nous donne pour exemple les corbeaux, comme plus avides et plus voraces. - Eusébe. Peut-être aussi, l'exemple des corbeaux a-t-il une signification particulière; car les oiseaux qui se nourrissent de graines et de plantes, trouvent plus facilement leur pâture; tandis que les corbeaux qui sont carnivores, la trouvent avec plus de difficulté, et cependant ces derniers eux-mêmes ne manquent jamais de nourriture, grâce à cette providence de Dieu qui s'étend à tout. Il prouve ensuite la même vérité par un troisième raisonnement: «Qui de vous, pourrait avec tous ses soins, ajouter une coudée à sa taille ?»

S. Chrys. (hom. 22 sur S. Matth). Remarquez que l'âme que Dieu nous a donnée, demeure toujours la même, tandis que le corps prend tous les jours de nouveaux accroissements, voilà pourquoi Notre-Seigneur passe sous silence l'âme qui n'est point susceptible d'accroissement, et ne parle que du corps; et il nous donne à entendre que ce n'est point aux aliments seuls qu'il doit son accroissement, mais à la providence divine, par cette raison, que personne ne peut à l'aide de la nourriture ajouter quelque chose à sa taille: «Donc, conclut-il, si vous ne pouvez pas même les moindres choses, pourquoi vous inquiéter des autres ?» - Eusèbe. (Ch. des Pèr. gr). Comme s'il disait: Si aucun homme n'a pu par tous ses soins se donner sa teille, s'il ne peut, avec toute son industrie, ajouter un seul instant à la durée que Dieu a fixée à son existence, pourquoi s'inquiéter outre mesure des choses nécessaires à l'entretien de sa vie? - Bède. Laissez donc le soin de gouverner votre corps à celui qui a pris soin de le créer, et de lui donner la taille qui lui convenait.

S. Aug. (quest. Evang., 2, 28). Notre-Seigneur dit de l'accroissement du corps que c'est une chose moindre, parce qu'en effet, c'est pour Dieu une de ses moindres oeuvres que de créer des corps.


vv. 27-31

10227 Lc 12,27-31

S. Chrys. (hom. 23, sur S. Matth). Notre-Seigneur donne ici pour le vêtement, la même leçon qu'il vient de donner pour la nourriture: «Considérez les lis, comment ils croissent; ils ne travaillent ni ne filent», pour se faire des vêtements. En nous proposant dans ce qui précède l'exemple des oiseaux qui ne sèment, ni ne moissonnent, le Sauveur n'a point condamné l'ensemencement des champs, mais les soins superflus; de même ici en nous proposant celui des lis qui ne travaillent point, et ne filent point, il ne condamne pas le travail, mais les vaines sollicitudes.

Eusèbe. Que celui qui désire se parer de vêtements précieux considère que Dieu étendant sa providence jusqu'aux fleurs qui naissent sur la terre, les a ornées de couleurs variées en donnant à leurs membranes délicates, des teintes plus vives que celles de la pourpre et de l'or, à ce point que les plus grands rois, et Salomon lui-même qui fut si célèbre parmi les anciens par ses richesses, sa sagesse et sa magnificence, n'eurent jamais une si riche parure, au témoignage de Notre-Seigneur: «Je vous déclare que Salomon même, dans toute sa gloire, n'était pas vêtu comme l'un deux».

S. Chrys. (comme précéd). Pourquoi Notre-Seigneur n'apporte pas ici l'exemple des oiseaux, tels que le cygne et le paon, mais celui des lis? C'est pour faire ressortir davantage ces deux extrêmes, la fragilité des choses qui brillent d'un si vif éclat, et la richesse de la parure qu'il a donnée aux lis. Aussi dans la suite de son discours, il ne les appelle plus les lis; mais l'herbe des champs: «Or, si l'herbe qui est aujourd'hui dans les champs». Il ne dit pas non plus: Et qui ne sera plus demain, mais: «Qui demain sera jetée au feu». Remarquez encore qu'au lieu de dire simplement: Si Dieu la revêt, il emploie cette locution plus expressive: «Si Dieu la revêt ainsi», et qu'il ajoute: «Combien plus le fera-t-il pour vous», paroles qui expriment à la fois l'excellence du genre humain, et la providence dont il est l'objet. Enfin, au lieu des reproches que méritaient ses disciples, il leur parle avec douceur, et les accuse, non pas de leur manque absolu de foi, mais de leur peu de foi: «Combien plus le ferait-il pour vous hommes de peu de foi ?» Langage persuasif qui a pour objet de nous ôter la préoccupation des vêtements et de l'éclat des vaines parures. - S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr). Il suffit aux sages en effet d'avoir, pour satisfaire à la nécessité, des vêtements convenables et simples, et la nourriture dont ils ont besoin. Et quant aux saints ils se contentent de ces délices spirituelles que donne l'union avec Jésus-Christ, et de la gloire qui doit les suivre. - S. Ambr. Notre-Seigneur met une simple fleur en comparaison avec l'homme, il lui donne même la préférence sur l'homme dans la personne de Salomon, pour nous faire voir dans l'éclat de ses vives couleurs une image de la grâce des anges du ciel, qui sont véritablement les fleurs de ce monde, parce qu'ils en sont l'ornement par l'éclat de leur perfection, qu'ils répandent partout le parfum de leur sainteté, et que sans être préoccupés d'aucun souci, ni fatigués d'aucun travail, ils conservent en eux les dons de la libéralité divine et de leur nature toute céleste. Aussi est-ce avec raison qu'il est dit ici que Salomon était revêtu, et dans saint Matthieu (Mt 6,9), qu'il était couvert de sa gloire, parce qu'en effet il revêtait de la gloire de ses oeuvres la faiblesse de sa nature corporelle, qui était comme couverte et enveloppée par les vertus de son âme. Quant aux anges dont la nature plus parfaite est exempte des infirmités du corps, ils sont justement mis au-dessus du plus grand des hommes. Cependant nous ne devons pas pour cela désespérer de la miséricorde de Dieu, nous à qui Dieu promet par la grâce de la résurrection, des qualités aussi éclatantes que celles des anges.

S. Cyr. Il eût été contraire à la raison que les Apôtres, qui devaient donner aux autres la règle et l'exemple d'une vie parfaite, se rendissent coupables des défauts dont ils devaient préserver les autres. Aussi écoutez la recommandation du Sauveur: «Ne vous mettez donc pas en peine de ce que vous mangerez, ou de ce que vous boirez». En détachant ainsi ses disciples des préoccupations de la terre, il les applique tout entier aux intérêts de la prédication. Remarquez cependant qu'il ne dit pas: Ne vous occupez pas, ne vous inquiétez point de la nourriture, ou de la boisson, ou du vêtement; mais: «Ne vous mettez pas en peine de ce que vous mangerez, ou de ce que vous boirez». Paroles qui condamnent ceux qui, dédaignant la manière de vivre, ou de se vêtir du commun des hommes, recherchent un genre de nourriture, ou de vêtement plus somptueux, ou plus austère que ne l'adoptent ceux au milieu desquels ils vivent.

S. Grég. de Nyss. (1 Disc. sur l'orais. dom). Il en est qui ont demandé et obtenu en priant la puissance, les honneurs, les richesses, pourquoi donc nous défend-on d'en faire l'objet de nos prières? Que tous ces biens dépendent de la volonté divine, il n'est personne qui n'en soit convaincu; cependant Dieu les accorde à ceux qui les demandent, afin que nous nous élevions au désir de biens plus parfaits, en voyant que Dieu nous accorde des grâces bien moins importantes; c'est ainsi que nous voyons les enfants, aussitôt qu'ils sont nés, s'attacher de toutes leurs forces au sein maternel, mais lorsque l'enfant grandit, il laisse le sein de sa mère, et demande des parures ou quelqu'autre chose qui charme ses yeux; lorsqu'enfin son esprit s'est développé avec le corps, il rompt avec tous les désirs de l'enfance, et demande à ses parents ce qui est en rapport avec son âge plus parfait.

S. Aug. (quest. évang., 2, 29). Après avoir défendu toute sollicitude de la nourriture et du vêtement, Notre-Seigneur nous recommande conséquemment d'éviter l'orgueil: «Ne vous élevez pas si haut». Car l'homme recherche d'abord ces choses pour satisfaire à ses besoins, mais lorsqu'il les a en abondance, il en conçoit de l'orgueil, semblable à un homme qui, s'étant blessé, se vanterait d'avoir quantité de remèdes dans sa maison, alors qu'il lui serait mille fois plus avantageux d'être sans blessure, et de n'avoir point besoin de remèdes. - Théophyl. Ou bien cette élévation de l'esprit que le Sauveur défend, c'est un mouvement inconstant de l'âme qui embrasse une foule de pensées, et passe de l'une à l'autre pour nourrir son orgueil. - S. Bas. (Ch. des Pèr. gr). Voulez-vous bien comprendre en quoi consiste cette élévation, rappelez-vous la vanité de vos jeunes années, alors qu'étant seul, vous pensiez à la vie et à ses honneurs, promenant vos désirs de dignité en dignité, amassant des richesses, bâtissant des palais, comblant de bienfaits vos amis, et vous vengeant de vos ennemis. Or, de telles pensées sont coupables, parce qu'en mettant son plaisir dans les choses superflues, l'âme s'éloigne de la vérité; aussi Notre-Seigneur ajoute: «Car ce sont ces choses que les nations du monde recherchent». - S. Grég. de Nyss. Car c'est le propre de ceux qui n'ont ni l'espérance de la vie future, ni la crainte du jugement, de s'inquiéter de tous ces biens extérieurs. - S. Bas. Quant aux choses nécessaires: «Votre Père sait que vous en avez besoin». - S. Chrys. (hom. 23, sur S. Matth). Il ne dit pas: Votre Dieu, mais: «Votre Père», pour leur inspirer une plus grande confiance, car quel est le Père qui laisserait manquer ses enfants du nécessaire? Et vous ne pouvez pas objecter qu'il est Père, il est vrai, mais qu'il ne connaît pas vos besoins; car celui qui a créé notre nature, sait bien ce qui lui est nécessaire.

S. Ambr. Notre-Seigneur montre ensuite que la providence et la grâce de Dieu ne feront jamais défaut aux fidèles, ni pour le temps présent, ni pour l'avenir, à la condition toutefois qu'en désirant les biens du ciel, ils ne chercheront pas avec inquiétude les biens de la terre, car il serait honteux à des hommes qui combattent pour un royaume de s'inquiéter de la nourriture. Est-ce que le roi ne sait pas comment il doit entretenir, nourrir et vêtir sa maison? «Cherchez donc premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît». - S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr). Ce n'est pas seulement son royaume, mais des richesses que Jésus-Christ nous promet; car si nous-mêmes nous nous faisons un devoir de délivrer de tout souci, ceux qui sacrifient leurs intérêts pour s'occuper des nôtres, à plus forte raison Dieu agira-t-il de la sorte. - Bède. Il distingue dans les dons de Dieu, ce qui est essentiel de ce qui n'est que de Surcroît, parce qu'en effet nous devons nous proposer les biens éternels comme la fin de notre vie, et faire simplement usage des biens du temps présent.


vv. 32-34

10232 Lc 12,32-34

La Glose. Après avoir banni du coeur de ses disciples la sollicitude des choses de la terre, Notre-Seigneur en exclut la crainte, qui est le principe des vaines inquiétudes: «Ne craignez point, petit troupeau», etc. - Théophyl. Notre-Seigneur appelle petit troupeau ceux qui veulent devenir ses disciples, ou bien à cause de la pauvreté volontaire qu'ils ont embrassée, ou parce qu'ils sont au-dessous de la multitude des anges, dont la nature est incomparablement supérieure à la nôtre. - Bède. Notre-Seigneur appelle encore petit le troupeau des élus, soit par comparaison avec le grand nombre des réprouvés, soit plutôt à cause de l'amour des élus pour l'humilité.

S. Cyr. Il leur donne ensuite la raison qui doit bannir de leur coeur toute crainte: «Parce qu'il a plu à votre Père de vous donner son royaume». Comme s'il leur disait: Comment celui qui vous destine un si précieux héritage pourrait-il refuser de vous traiter avec bonté? Car bien que ce troupeau soit petit (par la nature, le nombre, et l'éclat), cependant c'est à ce petit troupeau que la bonté du Père a donné l'héritage des esprits célestes, c'est-à-dire, le royaume des cieux. Si vous voulez donc posséder le royaume des cieux, méprisez les richesses de la terre: «Vendez ce que vous avez», etc. - Bède. Notre-Seigneur veut leur dire: Ne craignez pas qu'en combattant pour le royaume de Dieu, vous manquiez jamais du nécessaire; loin de là, vendez même ce que vous avez, conseil qui est noblement pratiqué par celui qui, non content d'avoir fait pour Dieu le sacrifice de tous ses biens, travaille ensuite de ses mains pour suffire à ses besoins et pouvoir encore donner l'aumône. - S. Chrys. (hom. 25, sur les Actes). Il n'est point de péché que l'aumône ne puisse effacer, c'est un remède efficace pour toutes les blessures. Or, on ne fait pas seulement l'aumône en donnant de l'argent, mais en faisant des oeuvres de charité, en défendant le faible, en guérissant les malades, en donnant un sage conseil.

S. Grég. de Nazianze. (Disc. sur l'am. des pauv). Je crains que vous ne regardiez la pratique de la miséricorde non comme obligatoire, mais comme facultative; c'était d'abord aussi mon avis, mais je suis épouvanté par la vue des boucs placés à la gauche du Sauveur, non pour avoir ravi le bien d'autrui, mais pour avoir négligé d'assister Jésus-Christ dans la personne des pauvres. - S. Chrys. (hom. sur S. Matth). Sans l'aumône en effet, il est impossible de posséder le royaume; une source qui retient ses eaux, se corrompt, il en est de même de ceux qui conservent leurs richesses pour eux-mêmes.

S. Bas. (Régl. abrég., 92). On me demandera peut-être pour quel motif il faut vendre ce que l'on possède? Est-ce parce que les biens de la terre sont naturellement mauvais, ou à cause des tentations dont ils peuvent-être la source? Je réponds premièrement, que si une seule des choses qui existent dans le monde, était essentiellement mauvaise, elle cesserait par là même d'être créature de Dieu, car toute chose créée de Dieu est bonne (2Tm 4); secondement que le sauveur en nous disant: «Faites l'aumône», ne nous commande pas de nous dépouiller de nos richesses comme si elles étaient mauvaises, mais de les distribuer aux pauvres.

S. Cyr. Peut-être ce commandement paraîtra-t-il dur aux riches; cependant quels avantages il offre à des esprits raisonnables, puisqu'ils peuvent ainsi gagner le royaume des cieux: «Faites-vous des bourses que le temps n'use point ?» etc. - Bède. En faisant des aumônes dont la récompense durera éternellement, il ne faut pas croire cependant qu'il soit défendu ici aux chrétiens de rien avoir en réserve, soit pour leur usage, soit pour celui des pauvres, puisque le Seigneur lui-même, qui était servi par les anges (Mt 4), avait cependant une bourse (Jn 12), pour conserver les offrandes des âmes fidèles. Notre-Seigneur veut simplement dire qu'on ne doit ni servir Dieu en vue de ces biens, ni abandonner la pratique de la justice dans la crainte de les perdre. - S. Grég. de Nyss. (ch. des Pèr. gr). Il leur recommande de placer leurs biens et leurs richesses terrestres dans le ciel où la corruption ne pourra les atteindre: «Faites-vous un trésor qui subsiste dans les cieux». - Théophyl. C'est-à-dire: Ici bas les vers peuvent ronger ces biens, mais ils ne les rongent pas dans le ciel, et comme il y a des biens qui sont à l'épreuve des vers, il ajoute: «Et où les voleurs n'ont point d'accès», car l'or ne peut-être rongé par les voleurs, mais il peut être enlevé par les voleurs.

Bède. Il faut donc entendre simplement ce passage, dans ce sens que l'argent mis en réserve se perd, tandis que s'il est donné au prochain, il produit des fruits éternels pour le ciel; ou encore, que le trésor des bonnes oeuvres, s'il est amassé en vue d'un avantage terrestre, se corrompt facilement et se perd, tandis que s'il est acquis en vue du ciel, il ne peut être atteint ni extérieurement par la vaine estime des hommes (semblable au voleur qui ravit au dehors), ni intérieurement par la vaine gloire (qui, comme le ver, ronge et déchire au dedans). - La Glose. Ou bien les voleurs sont les hérétiques et les démons, qui ne cherchent qu'à nous dépouiller des biens spirituels: le ver qui ronge secrètement les vêtements, c'est l'envie qui ronge et déchire le zèle où le fruit des bonnes oeuvres et réduit le lien de l'unité (Ep 4,46).

Théophyl. Mais comme il est des biens qui ne peuvent être enlevés par les voleurs, Notre-Seigneur donne une raison plus décisive et qui ne souffre aucune réplique: «Là où est votre trésor, là est votre coeur»; comme s'il leur disait: Soit, que vos biens ne soient ni rongés par les vers, ni enlevés par les voleurs, mais quel supplice ne mérite pas celui qui attache son coeur à un trésor qu'il a enfoui, et qui ensevelit ainsi dans la terre son âme, oeuvre de Dieu par excellence? - Eusèbe. (Ch. des Pèr. gr). En effet, tout homme devient naturellement l'esclave de ce qui fait l'objet de ses affections; il applique toute son âme aux choses dont il espère retirer de plus grands avantages. Si donc il met dans les biens de la vie présente toute son âme, et toutes ses intentions, il est tout entier plongé dans les choses de la terre. Si, au contraire, il dirige toutes les facultés de son âme vers les choses du ciel, il y aura aussi son coeur, il paraîtra vivre avec les hommes par le corps seul, tandis que par son âme, il sera déjà en possession des demeures célestes. - Bède. Cette vérité ne s'applique pas seulement aux richesses, mais à toutes les passions; les festins sont les trésors de l'homme sensuel; les vains amusements, les trésors de l'homme dissolu; la volupté, le trésor de l'impudique.




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