Catena Aurea 10428

vv. 28-33

10428 Lc 14,28-33

S. Grég. (hom. 37 sur les Evang). Notre-Seigneur vient de donner de sublimes préceptes, il les appuie par la comparaison d'un grand édifice qu'il s'agit de construire: «Quel est celui d'entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne s'assied pas auparavant, pour supputer les dépenses», etc. Toutes nos actions, en effet, doivent être précédées d'une sérieuse réflexion. Voulons-nous donc construire la tour de l'humilité? Préparons-nous tout d'abord aux contradictions du monde. - S. Bas. (Comment. sur Is 2). Ou bien cette tour est un observatoire élevé, d'où l'on peut facilement veiller à la garde de la ville et découvrir les approches de l'ennemi; de même Dieu nous a donné l'intelligence pour veiller avec soin sur nos richesses spirituelles et prévoir tout ce qui pourrait nous en dépouiller. Avant de construire cette tour, Dieu nous commande de nous asseoir pour calculer si nous avons des ressources suffisantes pour l'achever. - S. Grég. de Nyss. (Liv. sur la Virg., chap. 18). Il faut, en effet, de grands efforts pour mener à bonne fin toute grande entreprise spirituelle qui s'élève sur la pratique successive de tous les commandements de Dieu, et accomplir l'oeuvre de Dieu, car une seule pierre ne suffit pas pour construire une tour, et la pratique d'un seul commandement ne peut nous conduire à la perfection; mais il faut d'abord poser le fondement, et selon la recommandation de l'Apôtre placer dessus des assises d'or, d'argent et de pierres précieuses (1Co 3,12), «de peur, ajoute Notre-Seigneur, qu'après avoir posé les fondements, et n'avoir pu l'achever», etc.

Théophyl. Nous ne devons donc pas nous contenter de poser le fondement de cet édifice (c'est-à-dire, de pratiquer les premiers éléments de la doctrine de Jésus-Christ), et de le laisser inachevé, comme ceux dont parle l'évangéliste saint Jean: «Dès ce moment-là plusieurs de ses disciples s'éloignèrent et ne marchèrent plus avec lui» (Jn 6,66).

Ou bien, on peut entendre par ce fondement la doctrine que Notre-seigneur vient d'exposer sur la mortification. Or, il faut ajouter à ce fondement l'édifice des oeuvres, pour achever la tour forte qui doit nous défendre contre nos ennemis (Ps 61,4). Autrement cet homme deviendra un objet de moquerie pour tous ceux qui le verront, aussi bien pour les hommes que pour les démons. - S. Grég. (hom. 37). Car lorsque nous nous livrons à la pratique des bonnes oeuvres, si nous ne nous mettons soigneusement en garde contre les esprits de malice, nous serons en butte aux railleries de ceux-là mêmes qui nous ont entraînés dans le mal. Notre-Seigneur ajoute à ce premier exemple une comparaison plus importante, pour montrer comment les plus petites choses élèvent notre esprit aux plus grandes. «Ou quel est le roi qui, se disposant à aller faire la guerre à un autre roi, ne s'assied d'abord pour se demander s'il peut, avec dix mille hommes, faire face à un ennemi qui vient contre lui avec vingt mille ?» - S. Cyr. «Nous avons, en effet, à combattre contre les esprits de malice répandus dans l'air». (Ep 6,12). Nous sommes assiégés d'ailleurs par mille autres ennemis: l'aiguillon de la chair, la loi de péché qui tyrannise nos membres, et toutes les passions réunies, telle est la multitude redoutable de nos ennemis. - S. Aug. (Quest. évang., 2, 31). Ou bien les dix mille hommes de ce roi qui se prépare à combattre contre celui qui en a vingt mille, signifient la simplicité du chrétien qui doit combattre contre la duplicité du démon. - Théophyl. Ces deux rois, c'est encore d'un côté le péché qui règne dans notre corps mortel (Rm 6,12), de l'autre notre âme, à qui Dieu a donné en la créant, un pouvoir vraiment royal. Si donc elle veut résister victorieusement au péché, qu'elle réfléchisse sérieusement en elle-même, car les démons sont comme les soldats du péché qui paraissent être vingt mille contre les dix mille que nous avons, parce que leur nature incorporelle leur donne sur nous qui avons un corps une force beaucoup plus grande.

S. Aug. (Quest. évang., 2, 31). Notre-Seigneur combat l'idée de construire une tour qu'on ne pourrait achever par la crainte des railleries auxquelles on s'exposerait: «Cet homme a commencé à bâtir, et il n'a pu achever»; ainsi dans la parabole du roi, contre lequel il faut combattre, il désapprouve et condamne la paix qu'on est obligé de faire: «Autrement, tandis que celui-ci est encore loin, il envoie des ambassadeurs demander la paix». Il nous enseigne par là que ceux qui ne renoncent pas à tout ce qu'ils possèdent, sont incapables de soutenir les assauts des tentations du démon, et qu'ils sont obligés de faire la paix avec lui, en consentant au péché qu'il les engage à commettre.

S. Grég. (hom. 37). Ou bien encore, dans le jugement redoutable qui nous attend, nous ne pouvons nous présenter à forces égales devant notre juge; nous sommes dix mille contre vingt mille, un seul contre deux. Dieu marche donc avec deux armées contre une seule, parce que nous ne nous sommes préparés que sur les oeuvres, tandis qu'il s'apprête à discuter à la fois nos actions et nos pensées. Pendant qu'il est encore éloigné, et qu'il ne nous fait pas sentir sa présence comme juge, envoyons-lui des ambassadeurs, nos larmes, nos oeuvres de miséricorde, des victimes de propitiation, telle est l'ambassade qui peut apaiser ce roi qui s'avance contre nous.

S. Aug. (Lettre à Laet., 38). Le Sauveur nous fait voir clairement le but qu'il s'est proposé dans ces paraboles en ajoutant: «Ainsi donc, quiconque d'entre vous ne renonce pas à ce qu'il possède, ne peut être mon disciple». Ainsi les ressources nécessaires pour construire cette tour, la force et le courage des dix mille qui marchent contre le roi qui en a vingt mille, ne signifient qu'une chose, c'est que chacun doit renoncer à tout ce qu'il possède. Le commencement de ce discours s'accorde parfaitement avec la conclusion; car le précepte de renoncer à tout ce qu'on possède, renferme celui de haïr son père, sa mère, son épouse, ses enfants, ses frères, ses soeurs, et même sa propre vie. Toutes ces choses, en effet, sont la propriété d'un chacun, et la plupart du temps, elles sont pour lui un obstacle qui l'empêche d'obtenir non les biens particuliers du temps, qui passent si vite, mais ces biens communs à tous qui doivent durer éternellement.

S. Bas. (régl. abrég., quest. 263). L'intention de Notre-Seigneur dans les deux comparaisons précédentes, n'est pas de laisser croire à chacun qu'il a le droit ou la permission d'être ou de n'être pas son disciple, de même qu'on est libre de ne pas poser les fondements de la tour ou de ne pas faire la paix; mais de montrer l'impossibilité de plaire à Dieu au milieu de toutes ces affections qui divisent l'âme et la mettent en péril, parce qu'elle est ainsi plus exposée à tomber dans les embûches et dans les pièges que lui tend le démon.

Bède. Il y a une différence entre renoncer à tout, et abandonner tout ce qu'on possède. C'est le partage d'un petit nombre de quitter tout absolument, c'est-à-dire de sacrifier entièrement toutes les sollicitudes de ce monde; mais c'est une obligation pour tous les fidèles de renoncer à tout, c'est-à-dire d'user des choses du monde, sans en devenir jamais l'esclave dans le monde.


vv. 34-35

10434 Lc 14,34-35

Bède. Notre-Seigneur venait de nous recommander non seulement de commencer, mais d'achever la tour des vertus; les paroles suivantes: «Le sel est bon», se rapportent encore à cette recommandation; c'est-à-dire il est bon d'assaisonner les parties intimes de notre coeur avec le sel de la sagesse spirituelle, et même de devenir comme les Apôtres le sel de la terre (Mt 5). - Eusèbe. (Ch. des Pèr. gr). Le sel est naturellement composé d'eau et d'air mêlés d'un peu de terre; il absorbe la partie liquide des corps corruptibles, et les conserve ainsi après leur mort. C'est donc avec raison qu'il compare les Apôtres au sel, parce qu'ils ont été régénérés par l'eau et par l'esprit; et que par leur vie toute spirituelle et séparée des inclinations de la chair, ils étaient comme le sel qui changeait la vie corrompue des hommes qui vivaient sur la terre, et répandait sur leurs disciples l'assaisonnement agréable d'une vie vertueuse. (cf. Lv 2,13).

Théophyl. Ce ne sont pas seulement ceux qui ont reçu le pouvoir d'enseigner les autres, mais les simples fidèles qui sont obligés d'être utiles à leur prochain à la manière du sel. Mais si celui qui devait être utile aux autres, devient mauvais lui-même, comment pourra-t-on venir à son secours? Si le sel s'affadit, comment lui rendra-t-on sa saveur? - Bède. C'est-à-dire, si quelqu'un après avoir été éclairé par le sel divin de la vérité, devient apostat, quel docteur pourra le ramener à la vérité, alors qu'effrayé des persécutions du monde, ou séduit par ses charmes trompeurs, il a renoncé à cette sagesse dont il avait goûté la douceur? «Il n'est plus propre ni pour la terre, ni pour le fumier», etc. Le sel, en effet, lorsqu'il a perdu sa force pour assaisonner les aliments ou pour dessécher les viandes, ne peut plus servir à aucun usage. Il n'est plus propre ni pour la terre qu'il rendrait inféconde, ni pour le fumier qui sert d'engrais à la terre. Ainsi celui qui, après avoir connu la vérité, retourne en arrière (He 10,26-27 2P 2,21), devient incapable et de produire aucun fruit de bonnes oeuvres, et d'en faire produire aux autres; il doit être jeté dehors, c'est-à-dire séparé de l'unité de l'Église.

Théophyl. Comme ces enseignements paraboliques pouvaient avoir quelque obscurité, Notre-Seigneur exhorte ses auditeurs à bien entendre ce qu'il a dit du sel: «Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende», c'est-à-dire qu'il comprenne selon la mesure de la sagesse qui lui est donnée. Car les oreilles figurent ici la force intellectuelle de l'âme, et son aptitude à saisir la vérité. - Bède. Qu'il entende aussi sans mépriser la parole qu'il entend, et en mettant en pratique ce qu'il a appris.


CHAPITRE XV



vv. 1-7

10501 Lc 15,1-7

S. Ambr. Les enseignements qui précèdent vous avaient appris à ne vous point laisser absorber par les préoccupations du siècle, et à ne point préférer les choses passagères aux biens éternels. Mais comme la fragilité humaine ne peut tenir pied dans les voies si glissantes du monde, ce médecin plein de bonté vous a indiqué les remèdes contre vos erreurs, et ce juge miséricordieux ne vous a pas refusé l'espérance du pardon: «Or, les publicains et les pécheurs s'approchaient de Jésus pour l'entendre». La Glose. (interlin). C'est-à-dire ceux qui exigeaient les impôts publics ou qui les affermaient, et ceux qui cherchent à acquérir les richesses de ce monde par les opérations du commerce.

Théophyl. Notre-Seigneur remplissait ici la fin pour laquelle il s'était incarné, en accueillant avec bonté les pécheurs, comme un médecin accueille les malades. Mais les pharisiens, véritables accusateurs de leur nature, ne répondent que par des murmures à cette conduite pleine de miséricorde: «Et les pharisiens et les scribes murmuraient en disant: Cet homme accueille les pécheurs et mange avec eux».

S. Grég. (hom. 34 sur les Evang). Nous pouvons conclure de là que la vraie justice est compatissante, tandis que la fausse est pleine d'une hauteur dédaigneuse. Les justes, il est vrai, traitent et justement les pécheurs avec une certaine dureté, mais il faut bien distinguer ce qui est inspiré par l'orgueil et ce qui est dicté par le zèle pour la discipline. Car bien que les justes, par amour pour la règle, paraissent excéder dans les reproches qu'ils adressent, ils conservent cependant toujours la douceur intérieure sous l'inspiration de la charité; ils se mettent dans leur coeur bien au-dessous de ceux qu'ils reprennent, et en agissant de la sorte, ils maintiennent dans la vertu ceux qui leur sont soumis, et se conservent eux-mêmes dans la grâce de Dieu par l'humilité. Au contraire, ceux qui s'enorgueillissent de leur fausse justice, affectent un grand mépris pour les autres, n'ont aucune condescendance pour les faibles, et deviennent d'autant plus grands pécheurs, qu'ils s'imaginent être exempts de péché. De ce nombre étaient les pharisiens qui, reprochant au Seigneur d'accueillir favorablement les pécheurs, accusaient avec un coeur desséché la source même de la miséricorde. Mais comme ils étaient malades, au point de ne point connaître leur maladie, le céleste médecin leur prodigue les soins les plus dévoués pour les amener à ouvrir les yeux sur leur triste état: «Et il leur proposa cette parabole: Quel est celui d'entre vous qui, ayant cent brebis, s'il en perd une, ne laisse les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert? etc.» Il choisit une comparaison dont l'homme pouvait reconnaître la vérité en lui-même, mais qui s'appliquait surtout au Créateur des hommes; car le nombre cent étant un nombre parfait, Dieu a été le pasteur de cent brebis, lorsqu'il est devenu le Maître des anges et des hommes. C'est pour cela qu'il ajoute: «Qui a cent brebis».

S. Cyr. Jugez de là quelle est l'étendue du royaume de notre Sauveur. Il fait remarquer que cet homme avait cent brebis pour exprimer par un chiffre déterminé, et par un nombre complet, la multitude des créatures raisonnables qui lui est soumise, car le nombre cent, composé de dix décades, est un nombre parfait. Une de ces brebis s'est égarée, c'est-à-dire le genre humain qui habite la terre. - S. Ambr. Qu'il est riche ce pasteur, puisque nous ne sommes que la centième partie de son troupeau ! «Et s'il en perd une, ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres», etc. - S. Grég. (hom. 34, sur les Evang). Une brebis s'est égarée, lorsque l'homme par son péché a quitté les pâturages de la vie. Les quatre-vingt-dix-neuf autres étaient restées dans le désert, parce que le nombre des créatures raisonnables, (c'est-à-dire des anges et des hommes), qui avaient été créées pour jouir de la vue de Dieu, se trouvait diminué par la perte de l'homme. C'est pourquoi il s'exprime de la sorte: «Ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert ?» parce qu'en effet il a laissé dans le ciel les choeurs des anges. L'homme a quitté le ciel lorsqu'il a commis le péché, et c'est pour que le nombre des brebis fût ramené dans le ciel à son intégrité primitive, que Dieu condescend à chercher sur la terre l'homme qui s'était égaré: «Et il va après celle qui est perdue», etc. - S. Cyr. Est-il donc cruel pour toutes les autres, en se montrant si tendre pour celle qui s'est égarée? Non sans doute. Car les autres sont en sûreté, entourées comme d'un rempart de la protection de la main du Tout-Puissant; mais il fallait avant tout avoir pitié de celle qui allait périr, afin que le troupeau ne restât pas incomplet, car le retour de cette brebis rétablit le nombre cent dans sa perfection première. - S. Aug. (Quest. Ev., 2, 32). Ou bien les quatre-vingt-dix-neuf qu'il laisse dans le désert, figurent les orgueilleux, qui portent pour ainsi dire la solitude dans leur âme, en cherchant à concentrer l'attention sur eux seuls. L'unité leur manque pour qu'ils soient parfaits, car quand on se sépare de l'unité véritable, c'est toujours par un sentiment d'orgueil; on veut être son maître, et jouir de soi-même, et on ne veut plus suivre l'unité qui n'est autre que Dieu. Or, c'est à cette unité qu'il ramène tous ceux qui sont réconciliés par la grâce de la pénitence, qui ne peut s'obtenir que par l'humilité.

S. Grég. de Nyss. Lorsque le pasteur eut retrouvé sa brebis, il ne la châtia point, il ne la ramena pas au bercail avec violence, mais il la chargea sur ses épaules, et la porta avec tendresse pour la réunir au troupeau: «Et lorsqu'il l'a trouvée, il la met avec joie sur ses épaules». Il met sa brebis sur ses épaules, c'est-à-dire qu'en se revêtant de notre nature, il a porté sur lui nos péchés. (1P 2,24 Is 53,4). Après avoir retrouvé sa brebis, il retourne à sa maison, c'est-à-dire que notre pasteur, après l'oeuvre de la réparation du genre humain, est rentré dans son céleste royaume: «Et venant à sa maison, il appelle ses amis et ses voisins, leur disant: Réjouissez-vous avec moi, parce que j'ai trouvé ma brebis qui était perdue». Ses amis et ses voisins ce sont les choeurs des anges qui sont vraiment ses amis, parce qu'ils accomplissent sa volonté d'une manière constante et immuable; ils sont aussi ses voisins, parce qu'étant toujours en sa présence, ils jouissent de la claire vision de Dieu.

Théophyl. Les esprits célestes reçoivent ici le nom de brebis, parce que toute nature créée, en comparaison de Dieu, est comme un animal dépourvu de raison, mais cependant il les appelle ses amis et ses voisins, parce que ce sont des créatures raisonnables.

S. Grég. (hom. 34, sur les Evang). Remarquez qu'il ne dit pas: Réjouissez-vous avec ma brebis, mais: «Réjouissez-vous avec moi», parce que notre vie fait sa joie, et lorsque nous sommes ramenés dans le ciel, nous mettons le comble à son allégresse et à son bonheur.

S. Ambr. Les anges étant des créatures raisonnables, il est juste qu'ils se réjouissent de la rédemption des hommes: «Ainsi, je vous le dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un pécheur qui fait pénitence, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de pénitence». Quel puissant encouragement au bien, pour chacun de nous à qui il est permis de croire que sa conversion sera un sujet de joie pour les anges dont il doit rechercher la protection, autant qu'il doit craindre de la perdre ! - S. Grég. (hom. 34). Le Sauveur nous déclare que la conversion des pécheurs donnera plus de joie dans le ciel que la persévérance des justes; souvent en effet, ceux qui ne se sentent point chargés du poids de fautes énormes, persévèrent, à la vérité, dans les voies de la justice, mais ne soupirent point avec ardeur après la céleste patrie, et demeurent presque toujours indifférents à la pratique des oeuvres de perfection, parce qu'ils ont la conscience de ne pas s'être rendus coupables de fautes bien graves. Au contraire, ceux qui se rappellent la gravité des fautes qu'ils ont commises, puisent dans ce souvenir le principe d'une douleur plus vive, et d'un amour de Dieu plus ardent, et la considération de leurs longs égarements les excite à compenser leurs pertes passées en acquérant de nouveaux mérites. Ils sont donc pour le ciel le sujet d'une plus grande joie, parce qu'un général aime mieux un soldat qui, après avoir fui honteusement devant l'ennemi, revient sur ses pas et le charge avec intrépidité, que celui qui n'a jamais pris la fuite, mais qui aussi n'a jamais fait aucune action d'éclat. C'est ainsi que le laboureur préfère de beaucoup la terre qui, après avoir porté des épines, produit des fruits en abondance, à celle qui n'a jamais produit d'épines, mais qui aussi ne s'est jamais couverte d'une riche moisson. Et cependant, il faut le reconnaître, il est un grand nombre de justes, dont la vie est pour le ciel un si grand sujet de joie, qu'aucune pénitence des pécheurs convertis ne peut lui être préférée. Comprenons par là quelle joie donnent à Dieu les larmes du juste qui gémit dans l'humilité de son âme, puisque le pécheur produit dans le ciel une si grande joie lorsqu'il désavoue et pleure par la pénitence le mal qu'il a commis.


vv. 8-10

10508 Lc 15,8-10

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr). La parabole précédente où le genre humain était comparé à une brebis égarée, nous apprenait que nous sommes les créatures du Dieu très-haut, qui nous a faits, car nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes, et nous sommes les brebis de sa bergerie (Ps 94). Le Sauveur à cette première parabole en ajoute une seconde, qui nous rappelle que nous avons été faits à l'image et à la ressemblance d'un roi, c'est-à-dire à l'image et à la ressemblance du Dieu tout-puissant, car la drachme est une pièce de monnaie qui porte l'empreinte de la figure du roi: «Ou quelle est la femme qui ayant dix drachmes, si elle en perd une», etc. - S. Grég. (hom. 34, sur les Evang). Celui dont le pasteur était la figure nous est encore représenté par cette femme; c'est Dieu lui-même, c'est la sagesse de Dieu. Il a créé les anges et les hommes pour qu'ils puissent le connaître, et il les a faits à sa ressemblance. Il avait dix drachmes, parce qu'il y a neuf choeurs des anges, et que pour rendre complet le nombre des élus, l'homme a été créé le dixième. - S. Aug. (quest. Evang., si, 33). Ou bien ces neuf drachmes comme les quatre-vingt-dix-neuf brebis représentent ceux qui par un sentiment de présomption se préfèrent aux pécheurs repentants, car il manque une unité au nombre neuf pour faire dix, et au nombre quatre-vingt-dix-neuf pour faire cent, et c'est à cette unité qu'il compare tous ceux qui obtiennent la réconciliation par la pénitence. - S. Grég. (hom. 34). Comme la drachme porte l'empreinte d'une figure royale, cette femme a perdu sa drachme, lorsque l'homme qui avait été créé à l'image de Dieu, a perdu par le péché sa ressemblance avec son Créateur. Le Sauveur ajoute: «Si elle en perd une, n'allume-t-elle pas sa lampe ?» etc. Cette femme qui allume sa lampe, c'est la sagesse de Dieu qui s'est manifestée sous une forme humaine, car une lampe est une lumière dans un vase de terre, et cette lumière dans un vase de terre c'est la divinité dans une chair mortelle. Après qu'elle a allumé sa lampe, «elle bouleverse sa maison», c'est-à-dire qu'aussitôt que la divinité a brillé à nos yeux dans l'humanité dont elle s'était revêtue, notre conscience a été toute bouleversée. Cette expression, «elle bouleverse toute sa maison», ne diffère point de cette autre qu'on lit dans certains manuscrits: «elle balaye sa maison»; car l'âme du pécheur ne peut être purifiée de ses habitudes vicieuses qu'après avoir été profondément remuée par la crainte de Dieu. La maison ainsi mise sens dessus dessous, la drachme se retrouve: «Et elle cherche soigneusement jusqu'à ce qu'elle la trouve», car c'est grâce à ce trouble salutaire de la conscience, que l'homme répare en lui l'image de son Créateur.

S. Grég. de Naz. (Disc. 42, 2° sur la fête de Pâques). Aussitôt qu'il a retrouvé la drachme qu'il avait perdue, il veut faire partager sa joie aux esprits célestes qu'il a établis les ministres de sa miséricorde: «Et lorsqu'elle l'a retrouvée, elle assemble ses amies et ses voisines», etc. - S. Grég. (hom. 34). En effet les vertus des cieux sont d'autant plus voisines de la divine sagesse qu'elles en sont plus rapprochées par la grâce de la claire vision de Dieu. - Théophyl. Ou encore: elles sont ses amies, parce qu'elles exécutent ses volontés; elles sont ses voisines, parce qu'elles ont une nature incorporelle. Ou encore, toutes les vertus célestes sont les amis de Dieu; ses voisines sont celles qui sont plus rapprochées, c'est-à-dire: les trônes, les chérubins et les séraphins.

S. Grég. de Nyss. (De la virginité, chap. 12). Ou bien dans un autre sens, voici la vérité que Notre-Seigneur a voulu nous enseigner sous la comparaison de cette drachme qui est perdue et que l'on cherche; c'est que nous ne pouvons retirer aucune utilité des vertus purement extérieures, figurées ici par les drachmes, (les eussions-nous toutes réunies), si notre âme est dépourvue et comme veuve de celle qui seule peut lui donner l'éclat de la ressemblance divine. La première chose qu'il nous ordonne de faire, c'est d'avoir une lampe allumée; c'est-à-dire la parole divine qui découvre les choses cachées: ou bien encore la lampe de la pénitence. Or, c'est dans sa propre maison, (c'est-à-dire en soi-même et dans sa conscience), qu'il faut chercher cette drachme qu'on a perdue, c'est-à-dire cette image de notre roi qui n'est pas entièrement effacée et perdue, mais qui est cachée sous le fumier, qui figure les souillures de la chair. Il faut enlever ces souillures avec soin, et lorsqu'on les a fait disparaître de la drachme, la sainteté de la vie est alors dans tout son jour ce que l'on cherchait. Il faut donc se réjouir de l'avoir retrouvée et appeler à partager sa joie ses voisines, c'est-à-dire les puissances de notre âme, la partie raisonnable, et la partie irascible ou sensible et toutes les autres puissances de notre âme qui doivent se réjouir dans le Seigneur. Le Sauveur conclut ensuite cette parabole par ces paroles: «Ainsi, je vous le dis, sera la joie parmi les anges de Dieu pour un pécheur qui fait pénitence. Faire pénitence, c'est pleurer les fautes passées, et cesser de commettre celles qu'on déplore; car celui qui déplore ses fautes anciennes, sans cesser d'en commettre de nouvelles, ne sait pas encore ce que c'est de faire pénitence, ou fait l'hypocrite. Il faut encore bien réfléchir qu'une des satisfactions à offrir au Créateur, c'est de s'interdire même les choses permises, parce qu'on s'est permis des choses défendues, c'est d'être sévère pour soi dans les plus petites circonstances, parce qu'on se rappelle d'avoir été infidèle dans les plus grandes.




vv. 11-16

10511 Lc 15,11-16

S. Ambr. Saint Luc raconte successivement trois paraboles de Notre-Seigneur, celle de la brebis égarée et ramenée au bercail, celle de la drachme qui était perdue et qui fut retrouvée, et celle du fils qui était mort et qui fut ressuscité, pour que la vue de ces trois remèdes différents nous engage à guérir nos propres blessures. Jésus-Christ, comme un bon pasteur, vous porte sur ses épaules; l'Église vous cherche comme cette femme qui avait perdu sa drachme; Dieu vous reçoit comme un tendre père; dans la première parabole, nous voyons la miséricorde de Dieu; dans la seconde, les suffrages de l'Église; dans la troisième, la réconciliation. - S. Chrys. (hom. sur le père et ses deux fils). Il y a encore entre ces trois paraboles une différence fondée sur les personnes ou les dispositions des pécheurs; ainsi le père accueille son fils repentant, qu'il a laissé user de sa liberté pour lui faire connaître d'où il était tombé, tandis que le pasteur cherche sa brebis égarée et la rapporte sur ses épaules, parce qu'elle était incapable de revenir; cette brebis, animal dépourvu de raison, est donc la figure de l'homme imprudent qui, victime de ruses étrangères, s'est égaré comme une brebis. Or Notre-Seigneur commence ainsi cette parabole: «Un homme avait deux fils». Il en est qui prétendent que le plus âgé de ces deux fils figure les anges, et que le plus jeune représente l'homme qui s'en alla dans une région lointaine, lorsqu'il tomba des cieux et du paradis sur la terre, et ils appliquent la suite de la parabole à la chute d'Adam et à son état après qu'il eut péché. Cette interprétation me paraît pieuse, mais je ne sais si elle est aussi fondée en vérité. En effet, le plus jeune fils revint de lui-même à la pénitence, au souvenir de l'abondance dont il avait joui dans la maison de son père, tandis que le Seigneur est venu appeler lui-même à la pénitence le genre humain, qui ne songeait même pas à retourner au ciel d'où il était tombé. Ajoutez que l'aîné des deux fils s'attriste du retour et du salut de son frère, tandis que Notre-Seigneur nous déclare que la conversion d'un pécheur est un sujet de joie pour tous les anges. - S. Cyr. Suivant d'autres, le fils aîné représente le peuple d'Israël, selon la chair (Rm 9,6), et celui qui quitte la maison paternelle, la multitude des Gentils.

S. Aug. (Quest. év., 2, 33). Cet homme qui a deux fils représente donc Dieu, père aussi de deux peuples, qui sont comme les deux souches du genre humain, l'une composée de ceux qui sont restés fidèles au culte d'un seul Dieu, et l'autre de ceux qui ont oublié le vrai Dieu, jusqu'à adorer des idoles. Ainsi, c'est dès l'origine du monde et immédiatement après la création des hommes, que l'aîné des fils embrasse le culte du seul et vrai Dieu, et que le plus jeune demande à son père la portion du bien qui devait lui revenir: «Et le plus jeune des deux dit à son père: Mon père, donnez-moi la portion de bien qui doit me revenir». Ainsi l'âme, séduite par la puissance qu'elle croit avoir, demande à être maîtresse de sa vie, de son intelligence, de sa mémoire, et à dominer par la supériorité de son génie; ce sont là des dons de Dieu, mais elle les a reçus pour en disposer selon sa volonté. Aussi le père accède à ce désir: «Et il leur partagea leurs biens». - Théophyl. Le bien de l'homme, c'est la raison accompagnée du libre arbitre; tout ce que nous tenons de la main libérale de Dieu, peut aussi être regardé comme notre bien, le ciel, la terre, toutes les créatures, la loi et les prophètes.

S. Ambr. Vous voyez que le patrimoine que nous tenons de Dieu est donné à tous ceux qui le demandent, et ne pensez pas que le père ait commis une imprudence en le donnant au plus jeune de ses fils. Pour le royaume de Dieu, nul âge n'est trop faible, et les années ne sont jamais un poids trop lourd pour la foi. D'ailleurs ce jeune homme s'est jugé capable d'administrer ce patrimoine, puisqu'il en demande le libre usage. Et plût à Dieu qu'il ne se fût pas éloigné de son père, il n'eût pas connu l'impuissance de l'âge: «Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant rassemblé tout ce qu'il avait, partit pour une région lointaine», etc. - S. Chrys. (comme précéd). Le plus jeune fils part pour un pays lointain, ce n'est point par le changement et la distance des lieux qu'il s'éloigne de Dieu, qui remplit tout de son immensité, mais par les affections du coeur, car le pécheur fuit Dieu pour s'en tenir éloigné. - S. Aug. (serm. 34 sur les paroles du Seigneur). Celui qui veut se rendre semblable à Dieu en conservant toute sa force en lui (Ps 58,8), ne doit point s'éloigner de Dieu, mais s'attacher étroitement à lui pour conserver l'image et la ressemblance à laquelle il a été fait. Mais s'il veut imiter Dieu d'une manière coupable, et à l'exemple de Dieu, qui ne reconnaît point de maître, vivre indépendant et affranchi de toute autorité, que doit-il arriver? C'est qu'en s'éloignant de la chaleur il tombera dans l'engourdissement, c'est qu'en s'éloignant de la vérité, il se dissipera dans la vanité. - S. Aug. (quest. évang., 2, 33). C'est peu de jours après, qu'ayant rassemblé tout ce qu'il avait, il part pour une région lointaine, qui est l'oubli de Dieu, c'est-à-dire, que ce fut peu de temps après la création du genre humain que l'âme voulut, à l'aide de son libre arbitre, se rendre maîtresse de sa nature et s'éloigner de son Créateur dans un sentiment exagéré de ses forces, qu'elle perdit d'autant plus vite qu'elle se sépara de celui qui en était la source. Aussi quelle fut la suite: «Et il y dissipa son bien en vivant dans la débauche». Il appelle une vie d'excès ou de débauche, une vie de prodigalité, qui aime à se répandre, à errer en liberté et qui se dissipe au milieu des pompes extérieures du monde, cette vie qui fait qu'on poursuit toujours de nouvelles choses, tandis qu'on s'éloigne davantage de celui qui est au-dedans de nous-mêmes: «Et après qu'il eut tout consumé, il survint une grande famine dans ce pays». Cette famine, c'est l'indigence de la parole de vérité.

«Et il commença à sentir le besoin». - S. Ambr. C'est par une juste punition qu'il tombe dans l'indigence, lui qui a volontairement abandonné les trésors de la sagesse et de la science de Dieu, et la source inépuisable des richesses célestes: «Il alla donc, et s'attacha à un habitant de ce pays-là». - S. Aug. (Quest. évang). Cet habitant de cette région, c'est quelque puissance de l'air, faisant partie de la milice du démon (Ep 6,42). Cette maison des champs, c'est une des manières dont il exerce sa puissance, comme nous le voyons par la suite: «Il l'envoya dans sa maison des champs pour garder les pourceaux». Les pourceaux sont les esprits immondes dont le démon est le chef. - Bède. Mener paître les pourceaux, c'est commettre ces actions infâmes qui font la joie des esprits immondes: «Et il désirait se rassasier des caroubes que les pourceaux mangeaient». - S. Ambr. La silique (ou ce que la Vulgate a traduit par ce mot), est une espèce de légume vide au-dedans et assez tendre à l'extérieur, qui remplit le corps sans le fortifier, et qui, par conséquent, est plus nuisible qu'utile. - S. Aug. (Quest. évang). Ces siliques, dont les pourceaux se nourrissaient, sont donc les doctrines du siècle, aussi vaines qu'elles sont sonores, dont retentissent les discours et les poèmes consacrés à la louange des idoles et les fables des dieux qu'adorent les nations et qui font la joie des démons. Ainsi ce jeune homme qui voulait se rassasier, cherchait dans cette nourriture un élément solide et réel de bonheur, et cela lui était impossible: «Et personne ne lui en donnait».

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr). Les Juifs sont souvent accusés dans la sainte Écriture, de crimes multipliés (Is 29,13 Jr 2,5); comment donc peut-on appliquer à ce peuple ces paroles du fils aîné: «Voici tant d'années que je vous sers, et je n'ai jamais manqué à vos commandements ?» Voici donc le sens de cette parabole. Les pharisiens et les scribes ayant accusé le Sauveur d'accueillir avec bonté les pécheurs, il leur proposa cette parabole, dans laquelle il compare Dieu à un homme qui est le père de ces deux frères (c'est-à-dire des justes et des pécheurs); le premier degré est celui des justes qui ne se sont jamais écartés des sentiers de la justice; le second degré comprend les hommes qui ont été ramenés par la pénitence dans les sentiers de la vertu. - S. Bas. (sur Is 3). Ce qui donne à l'aîné plus de constance dans le bien, c'est moins son âge avancé et ses cheveux blancs que sa maturité et la gravité du caractère; et celui qui est ici condamné n'est pas le plus jeune par l'âge, mais celui qui, jeune par sa conduite, suit les inspirations de ses passions. - Tite de Bostra. Le plus jeune de ces deux fils, dont l'esprit n'était pas encore arrivé à la maturité, s'en va donc et demande à son père la portion de l'héritage qui doit lui revenir, afin de n'être plus dans la nécessité de lui être soumis, car nous sommes des êtres raisonnables doués de la faculté du libre arbitre.

S. Chrys. (comme précéd). Le père, dit l'Évangile, leur partagea donc également son bien, c'est-à-dire la science du bien et du mal, source de richesses vraies et durables pour l'âme qui sait en faire un bon usage. En effet, la faculté de la raison que l'homme reçoit de Dieu en naissant est donnée également à tous ceux qui viennent au monde; mais dans la suite, chacun se trouve avoir plus ou moins de cette faculté de la raison suivant le genre de vie qu'il adopte: l'un, en effet, regarde et conserve comme appartenant à son père, le patrimoine qu'il en a reçu, l'autre en use comme d'un bien qui lui appartient en propre et le dissipe dans tous les excès. Nous avons du reste dans la conduite de ce père une preuve démonstrative du libre arbitre, il ne retient pas le fils qui veut se séparer de lui pour ne point blesser son libre arbitre, il ne force point non plus l'aîné de quitter la maison paternelle, pour ne point paraître le premier auteur des malheurs qui suivraient cette séparation. Or, ce fils s'en va, non point en changeant de lieu, mais par l'éloignement de son coeur: «Il partit, dit l'Évangile, pour une région étrangère et lointaine». - S. Ambr. Quel éloignement plus grand, en effet, que de s'éloigner de soi-même et d'être séparé, non par la distance des contrées, mais par la différence des moeurs? Celui, en effet, qui se sépare de Jésus-Christ, est un exilé de sa patrie et un habitant du monde. Et il n'est pas surprenant qu'en s'éloignant de l'Église, il ait dissipé son patrimoine. - Tite de Bostr. Aussi donne-t-on le nom de prodigue à celui qui dissipe tout son bien, c'est-à-dire, la droiture de son intelligence, les leçons de la chasteté, la connaissance de la vérité, le souvenir de son père, la pensée de son origine.

S. Ambr. Il survint dans cette région une grande disette, non d'aliments, mais de bonnes oeuvres et de vertus, privation des plus déplorables. En effet, celui qui s'éloigne de la parole de Dieu, ressent bientôt l'aiguillon de la faim; car l'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole de Dieu (Mt 4,4); et celui qui s'éloigne d'un trésor, tombe dans l'indigence. Il commença donc à se trouver dans l'indigence et à souffrir de la faim, parce que rien ne peut suffire à une volonté prodigue. «Il s'en alla donc, et s'attacha à un habitant de ce pays»; car celui qui s'attache est comme pris au piège; cet habitant paraît être le prince de ce monde. L'infortuné est envoyé dans cette maison des champs achetée par celui qui s'est excusé de venir au festin royal (Lc 14,18). - Bède. Etre envoyé dans une maison des champs, c'est devenir l'esclave des désirs des jouissances de ce monde. - S. Ambr. Il garde les pourceaux dans lesquels le démon a prié qu'on le laissât entrer (Mt 8,31 Mc 5,12 Lc 8,32), et qui vivent dans l'ordure et le fumier. - Théophyl. Garder les pourceaux, c'est être supérieur aux autres dans le vice, tels sont les corrupteurs, les chefs de brigands, les chefs des publicains, et tous ceux qui tiennent école d'obscénités.

S. Chrys. (comme précéd). Celui qui garde les pourceaux est encore celui qui est dépouillé de toute richesse spirituelle (de la prudence et de l'intelligence), et qui nourrit dans son âme des pensées impures et immondes. Il mange aussi les aliments grossiers d'une vie corrompue, aliments doux à celui qui est dans l'indigence de tout bien; car les âmes perverties trouvent une certaine douceur dans les plaisirs voluptueux qui énervent et anéantissent les puissances de l'âme; l'Écriture désigne sous le nom de siliques ces aliments destinés aux pourceaux, et dont la douceur est si pernicieuse (c'est-à-dire les attraits des plaisirs charnels). - S. Ambr. Il désirait remplir son ventre de ces siliques; parce que ceux qui mènent une vie dissolue n'ont d'autre souci que de satisfaire pleinement leurs instincts grossiers. - Théophyl. Mais personne ne peut lui donner cette satiété dans le mal; car celui qui a ce désir est éloigné de Dieu, et les démons s'appliquent à ce qu'on ne trouve jamais la satiété dans le vice. - La Glose. Ou bien encore, personne ne lui en donnait, car le démon ne donne jamais satisfaction pleine aux désirs de celui dont il s'est emparé, parce qu'il sait qu'il est mort.



Catena Aurea 10428