Catena Aurea 10809

vv. 9-14

10809 Lc 18,9-14

S. Aug. (serm. 36 sur les par. du Seig). Comme la foi ne peut être donnée aux orgueilleux, mais qu'elle est le partage des humbles, à la parabole qui précède, Notre-Seigneur en ajoute une autre, pour recommander l'humilité et condamner l'orgueil: «Il dit encore cette parabole pour quelques-uns qui se confiaient en eux-mêmes», etc.

Théophyl. L'orgueil est de toutes les passions celle qui tourmente le plus le coeur des hommes, aussi le Sauveur en fait-il plus souvent la matière de ses enseignements. Or, l'orgueil est le mépris de Dieu, car toutes les fois qu'on s'attribue à soi-même le bien qu'on fait, au lieu d'en renvoyer à Dieu la gloire, c'est une véritable négation de Dieu (cf. Jb 31,27). Cette parabole est donc à l'adresse de ceux qui se confient en eux-mêmes, ne renvoient pas à Dieu la gloire de leurs bonnes oeuvres, et qui, pour cela, n'ont que du mépris pour les autres. Notre-Seigneur veut nous y apprendre que lors même que la justice approcherait l'homme de Dieu, si elle est entachée d'orgueil, elle le précipite dans l'abîme: «Deux hommes montèrent au temple», etc.

Astér. (Ch. des Pèr. gr). Notre-Seigneur nous a enseigné le zèle pour la prière par la parabole de la veuve et du juge, il nous apprend par l'exemple du pharisien et du publicain, quelles doivent être les conditions de nos prières, si nous ne voulons qu'elles soient frappées de stérilité, car le pharisien fut condamné pour avoir mal prié: «Or, le pharisien se tenant debout, priait ainsi en lui-même». - Théophylacte. Sa contenance seule indique une âme superbe, et son attitude trahit un orgueil excessif. - S. Bas. (sur Is 2). «Il faisait en lui-même cette prière», c'est-à-dire qu'il ne l'adressait pas à Dieu, parce que dans son orgueil il n'envisageait que lui-même: «Mon Dieu, je vous rends grâces». - S. Aug. (serm. 36 sur les par. du Seig). Ce qui est répréhensible dans la conduite de ce pharisien, ce n'est pas de rendre grâces à Dieu, mais de ce qu'il semblait ne plus rien désirer pour lui-même. Vous êtes donc parfait, vous avez tout en abondance, vous n'avez plus besoin de dire: «Remettez-nous nos dettes» (Mt 6,12). Quel crime n'est-ce pas de combattre la grâce avec impiété, puisque cet homme est coupable pour avoir rendu grâces avec orgueil. Écoutez donc, vous qui dites: C'est Dieu qui m'a fait homme, c'est moi-même qui me fais juste. Ah ! Vous êtes pire que le pharisien, et votre orgueil plus détestable que le sien. Son orgueil le portait à se proclamer juste, mais cependant il en rendait grâces à Dieu.

Théophyl. Considérez attentivement toute la suite de sa prière. Il énumère d'abord les défauts dont il est exempt, puis les vertus qu'il croyait avoir: «Je vous rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes», etc. - S. Aug. (comme précéd). S'il disait seulement: Je ne suis pas comme un grand nombre d'hommes. Mais qu'est-ce que le reste des hommes? Tous les hommes, excepté lui seul. Pour moi, dit-il, je suis juste, tous les autres sont pécheurs.

S. Grég. (Moral., 4, 23). L'orgueil des âmes arrogantes se manifeste sous quatre formes différentes: ou elles s'imaginent que le bien qui est en elles vient d'elles-mêmes; ou elles attribuent à leurs mérites personnels de l'avoir reçu de Dieu, ou elles se vantent de vertus qu'elles n'ont point, ou enfin elles veulent qu'on ne soit occupé que du bien qu'elles peuvent faire et qu'on n'ait que du mépris pour les autres. C'est ainsi que le pharisien n'attribue qu'à lui seul le mérite de ses bonnes oeuvres. - S. Aug. Mais voici que le publicain qui était près de lui, devient pour lui l'occasion d'un plus grand orgueil: «De ce que je ne suis pas comme ce publicain», comme s'il disait: Je suis seul de mon côté, celui-ci est du reste des hommes. - S. Chrys. (Disc. sur le phar. et le publ). Le genre humain tout entier n'avait pu assouvir ce désir de mépris, il faut qu'il s'attaque à ce publicain. Son péché eût été moins grand s'il eût excepté le publicain; mais au contraire, d'une seule parole il s'en prend aux absents, et rouvre les blessures de celui qu'il a sous les yeux. Or, l'action de grâces n'est pas une invective contre le prochain, si vous rendez sérieusement grâces à Dieu, ne vous occupez que de lui seul, sans tourner vos regards du côté des hommes pour condamner votre prochain. - S. Bas. (comme précéd). L'orgueilleux ne diffère de celui qui insulte que par l'extérieur; celui-ci abaisse les autres par ses outrages, celui-là s'élève au-dessus par les efforts présomptueux de son âme. - S. Chrys. (comme précéd). Or, celui qui outrage son prochain, se nuit considérablement en même temps qu'il fait beaucoup de mal aux autres. D'abord il rend plus mauvais celui qui l'écoute. Est-il pécheur, il est dans la joie d'avoir trouvé un complice de ses péchés. Est-il juste, les fautes des autres le portent à avoir de lui une meilleure opinion. Secondement, il fait tort à la société de l'Église, car ceux qui sont témoins de ces outrages, ne blâment pas seulement celui qui s'en rend coupable, mais ils comprennent la religion chrétienne elle-même dans leur condamnation et leurs mépris. Troisièmement, il est cause que la gloire de Dieu est blasphémée, car nos péchés font blasphémer le nom de Dieu, de même que nos bonnes oeuvres le font glorifier. Quatrièmement, il couvre de confusion celui à qui s'adressent les outrages, le rend plus inconsidéré et s'en fait un ennemi. Cinquièmement, il se rend digne de châtiment pour avoir proféré des paroles outrageantes et coupables.

Théophyl. Mais il ne suffit pas d'éviter le mal, il faut encore faire le bien. Aussi après avoir dit: «Je ne suis pas comme le reste des hommes, voleurs, injustes, adultères»; il ajoute par opposition: «Je jeûne deux fois la semaine», (dans le sabbat). Les Juifs donnaient à la semaine le nom de sabbat, de son dernier jour qui était un jour de repos. Or, les pharisiens jeûnaient le second et le cinquième jour. Ce pharisien oppose donc ses jeûnes à la passion de l'adultère, car la dissolution vient de la sensualité. Aux voleurs et à ceux qui commettent des injustices, il oppose le paiement fidèle de la dîme: «Je donne la dîme de tout ce que je possède», comme s'il disait: Je suis si éloigné des rapines et des injustices, que je distribue mon propre bien. - S. Grég. (Moral., 19, 42). C'est ainsi que par son orgueil, ce pharisien a ouvert la cité de son coeur aux ennemis qui l'assiégeaient; vainement il l'a fermée par les jeûnes et la prière, vainement il a fortifié tous les autres côtés, puisqu'il a laissé sans défense l'endroit ouvert par lequel l'ennemi peut entrer dans la place.

S. Aug. (comme précéd). Cherchez dans ses paroles, vous n'en trouverez aucune qui soit l'expression d'une prière à Dieu. Il était monté au temple pour prier, mais au lieu de prier effectivement, il a préféré se louer lui-même et insulter celui qui priait. Quant au publicain, le sentiment de sa conscience le tenait éloigné, mais sa piété le rapprochait de Dieu: «Le publicain se tenant éloigné», etc. - Théophyl. Bien que le publicain nous soit représenté comme se tenant debout, il différait cependant du pharisien par son langage autant que par son attitude et le repentir de son âme. Il n'osait lever les yeux vers le ciel, il les jugeait indignes de contempler les choses d'en haut, parce qu'ils avaient préféré regarder et chercher les choses de la terre. Il frappait encore sa poitrine, comme le remarque le Sauveur, meurtrissant pour ainsi dire son coeur pour le punir de ses mauvaises pensées et le réveiller de son sommeil. Aussi n'a-t-il recours qu'à la miséricorde de Dieu: «Mon Dieu, ayez pitié de moi, qui ne suis qu'un pécheur». - S. Chrys. Il a entendu le pharisien dire: «Je ne suis pas comme ce publicain»; loin d'en concevoir de l'indignation, il s'en humilie avec compassion; le pharisien a découvert la blessure, il en cherche la guérison. Que personne donc ne prononce cette froide parole: Je n'ose, j'ai trop de honte, je ne puis ouvrir la bouche. Cette crainte est diabolique, le démon veut vous fermer les portes qui donnent accès auprès de Dieu.

S. Aug. (serm. 36, sur les par. du Seign). Pourquoi vous étonner que Dieu pardonne au publicain, puisqu'il se juge lui-même? Il se tenait éloigné, mais néanmoins il s'approchait de Dieu, et le Seigneur était près de lui attentif à ses paroles, car le Dieu très-haut abaisse ses regards sur les humbles (Ps 137,6). Il ne levait pas les yeux vers le ciel, il ne regardait point pour mériter d'être regardé. Sa conscience l'accablait, l'espérance le relevait, il frappait sa poitrine, il se punissait lui-même; aussi le Seigneur lui pardonnait-il les péchés qu'il confessait si humblement. Vous avez entendu l'orgueilleux accusateur, vous avez entendu l'humble coupable, écoutez maintenant la sentence du juge: «Je vous le dis, celui-ci s'en retourna justifié dans sa maison, et non pas l'autre».

S. Chrys. (hom. sur la nat. incompréh. de Dieu). Cette parabole nous représente deux chars et deux conducteurs dans une arène, l'un porte la justice unie à l'orgueil, l'autre le péché avec l'humilité; et vous voyez le char du péché dépasser celui de la justice, non par ses propres forces, mais par la vertu de l'humilité qui lui est unie, tandis que le char de la justice reste en arrière, retardé non par la faiblesse de la justice, mais par la masse pesante de l'orgueil. En effet, de même que l'humilité par son élévation et son excellence triomphe du poids du péché, et s'élance pour atteindre Dieu; ainsi l'orgueil par sa masse pesante entrave facilement la marche de la justice. Ainsi quand vous auriez fait un grand nombre d'actions vertueuses, si elles sont pour vous un sujet de vaine présomption, vous avez perdu tout le fruit de votre prière, elle est tout à fait stérile pour vous. Au contraire, votre conscience fût-elle chargée d'une multitude innombrable de fautes, si vous vous estimez le dernier de tous, vous pourrez vous présenter devant Dieu avec une grande confiance. Notre-Seigneur donne la raison de la sentence qu'il vient de prononcer: «Car quiconque s'exalte sera humilié, et quiconque s'humilie sera exalté». Le nom d'humilité s'applique à plusieurs choses toutes différentes. Il y a la vertu d'humilité que nous voyons dans ces paroles: «Mon Dieu, vous ne rejetterez pas un coeur contrit et humilié» (Ps 50,19); il y a l'humilité produite par les tribulations: «Il a humilié mon âme jusqu'à terre» (Ps 142,3). Il y a l'humilité ou l'humiliation qui est la suite du péché, de l'orgueil, du désir insatiable des richesses, car quelle humiliation plus profonde que celle de ces hommes qui se rendent esclaves, qui s'abaissent et s'avilissent dans la recherche des honneurs et des richesses, et qui les regardent comme le comble de la grandeur? - S. Bas. (sur Is 2). Il y a aussi une fierté louable, c'est celle de l'âme qui dédaigne de penser aux choses de la terre, et qui s'élève avec noblesse jusqu'à la hauteur de la vertu. Cette grandeur d'âme consiste à dominer les chagrins, à faire preuve de courage dans les tribulations, à mépriser toutes les choses de la terre, pour penser à celles du ciel. Cette grandeur de l'âme diffère autant de la hauteur qui est le produit de l'orgueil, que l'embonpoint d'un corps bien portant diffère de la grosseur qui vient de l'hydropisie.

S. Chrys. (comme précéd). Ce faste orgueilleux peut précipiter du ciel celui qui s'y abandonne, de même que l'humilité peut retirer le pécheur de l'abîme de ses crimes. C'est elle qui a justifié le publicain de préférence au pharisien, c'est elle qui a conduit dans le paradis le bon larron avant les apôtres eux-mêmes, tandis que l'orgueil étant entré dans l'esprit des puissances célestes (Ep 2,12), a été la cause de leur perte. Or, si l'humilité jointe au péché marche si rapidement qu'elle dépasse la justice qui est unie à l'orgueil, quelle ne sera pas la rapidité de sa course, si vous l'unissez à la justice? Elle se présentera avec confiance devant le tribunal de Dieu au milieu de l'assemblée des anges. Mais d'un autre côté, si l'orgueil joint à la justice peut ainsi l'abaisser, dans quel abîme nous précipitera-t-il, s'il est uni au péché? Je parle de la sorte, non pour nous faire négliger la pratique de la justice, mais pour nous faire éviter l'orgueil. - Théophyl. On s'étonnera peut-être que ce peu de paroles dites à sa louange ait suffi pour faire condamner le pharisien, tandis que Job qui fit plusieurs discours pour se justifier, fut récompensé de Dieu. Nous répondrons que le pharisien en se vantant de ses bonnes oeuvres, accusait les autres sans motif aucun, tandis que Job accusé par ses amis, et pressé par la souffrance fut forcé de faire l'énumération de ses vertus dans l'intérêt de la gloire de Dieu, et afin que les hommes ne fussent point découragés.

Bède. Dans le sens figuré, le pharisien représente le peuple des Juifs, qui fier de la justice qui vient de la loi exalte bien haut ses mérites; le publicain représente le peuple des Gentils, qui se tient éloigné de Dieu, et confesse humblement ses péchés; l'orgueil de l'un fut cause de son humiliation, et les humbles gémissements de l'autre lui méritèrent de s'approcher de Dieu et la grâce d'une élévation sans égale.



vv. 15-17

10815 Lc 18,15-17

Théophyl. Notre-Seigneur montre immédiatement dans sa conduite la pratique des leçons d'humilité qu'il vient de donner, en ne repoussant pas les petits enfants, mais en les accueillant avec bonté: «On lui présentait aussi des petits enfants, pour qu'il les touchât». - S. Aug. (serm. 36, sur les par. du Seign). A qui présente-t-on ces enfants pour être touchés? Au Sauveur. Mais s'il est le Sauveur, c'est pour qu'ils soient sauvés qu'on les présente à celui qui est venu sauver ce qui avait péri. Or, quand ces enfants ont-ils pu périr, innocents qu'ils sont de toute faute? Mais selon la doctrine de l'Apôtre: «Le péché est entré dans ce monde par un seul homme» (Rm 5). Que ces petits enfants viennent donc comme des malades à leur médecin, comme des coupables à leur Rédempteur.


S. Ambr. Il peut paraître dur à quelques-uns que les disciples aient empêché ces petits enfants de s'approcher du Seigneur, car l'Évangéliste ajoute: «Ce que voyant, ses disciples les repoussaient avec de rudes paroles». Mais il faut voir dans cette conduite des disciples, ou un mystère ou une marque d'attention pour le Sauveur, En effet, ils n'agissaient pas ainsi par un sentiment d'envie ou de dureté à l'égard de ces enfants, mais par un empressement de zèle attentif pour leur divin Maître qu'ils ne voulaient point exposer à être pressé par la foule. Il faut en effet renoncer à nos intérêts, lorsque la gloire de Dieu se trouve compromise. Leur conduite renferme d'ailleurs un mystère, c'est-à-dire, qu'ils désiraient que le peuple juif dont ils descendaient selon la chair, fût sauvé le premier. Ils savaient bien que les deux peuples devaient être appelés à la foi, puisqu'ils avaient prié le Sauveur en faveur de la Chananéenne, mais ils ne savaient pas encore dans quel ordre cette vocation devait avoir lieu. Que leur répond Jésus? «Mais Jésus les appelant, dit: Laissez les enfants venir à moi», etc. Ce n'est donc point l'âge de l'enfance qu'il préfère à un autre âge de la vie, autrement il serait nuisible de croître et de se développer. Pourquoi donc déclare-t-il que les enfants sont plus propres au royaume des cieux? Peut-être parce qu'ils sont sans malice, sans tromperie, qu'ils n'osent se venger, qu'ils sont étrangers à toute volupté coupable, qu'ils ne désirent ni les richesses, ni les honneurs, ni les dignités. Cependant la vertu ne consiste pas à ignorer toutes ces choses, mais à les mépriser, car la vertu n'est point dans l'impuissance de commettre le péché, mais dans la volonté de le fuir. Ce n'est donc pas l'enfance, mais la vertu qui imite la simplicité de l'enfance que Notre-Seigneur nous recommande ici. - Bède. Aussi a-t-il soin de dire: «Le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent», et non pour ces enfants, nous montrant ainsi que ce n'est pas l'âge, mais les moeurs de l'enfance qui donnent accès dans le royaume des cieux, et que c'est à ceux qui imitent leur simplicité et leur innocence que la récompense est promise. - S. Ambr. C'est cette même vérité que Notre-Seigneur veut exprimer lorsqu'il ajoute: «En vérité je vous le dis, quiconque ne recevra pas comme un enfant le royaume de Dieu, n'y entrera pas». Quel est cet enfant que Jésus propose à l'imitation de ses apôtres? C’est celui dont Isaïe a dit: «Un petit enfant nous est né (Is 9); qui, lorsqu'on le maudissait, ne répondait point par des injures». (1P 2,23). Il y a donc dans l'enfance quelque chose des moeurs vénérables de la vieillesse; comme la vieillesse à quelque chose de l'innocence des enfants. - S. Bas. (Règl. abrég. quest. 127). Or, nous recevrons le royaume de Dieu comme un enfant, si nous apportons aux enseignements du Seigneur les dispositions d'un enfant aux instructions qui lui sont données; il ne contredit pas ses maîtres, il ne dispute pas avec eux, mais il reçoit leurs leçons avec confiance et soumission. - Théophyl. Au contraire, les sages parmi les Gentils, cherchant la sagesse dans le mystère qui est le royaume de Dieu, et ne voulant l'admettre qu'autant qu'il serait appuyé sur des preuves tirées de la raison, ont été justement exclus de ce royaume.


vv. 18-23

10818 Lc 18,18-23

Bède. Un des principaux d'entre le peuple avait entendu dire au Seigneur qu'on ne pouvait entrer dans le royaume de Dieu, si l'on ne devenait semblable aux enfants; il le prie donc de lui apprendre non en paraboles, mais ouvertement les oeuvres nécessaires pour mériter la vie éternelle: «Alors un jeune homme de qualité lui fit cette demande: Bon Maître», etc. - S. Ambr. C'était pour tenter le Sauveur que cet homme l'appelle bon Maître, lui qui aurait dû l'appeler Dieu bon: car bien que la divinité soit inséparable de la bonté, comme la bonté de la divinité, cependant en l'appelant bon Maître, il ne confesse sa bonté que dans un sens non général, mais particulier, car Dieu est bon dans le sens le plus étendu de ce mot, tandis que l'homme ne l'est que d'une manière limitée.

S. Cyr. Ce jeune homme s'imagina qu'il allait surprendre Jésus-Christ, qui peut-être en lui répondant jetterait le blâme sur la loi de Moise pour lui substituer ses propres commandements. Il s'approche donc du divin Maître, et en l'appelant bon maître, il lui dit qu'il vient dans l'intention de s'instruire, tandis qu'il ne venait que pour lui tendre un piège. Mais celui qui surprend les sages dans leur propre finesse (Jb 5,13 1Co 3,50), lui fait une réponse digne de lui: «Jésus lui dit: Pourquoi m'appelez-vous bon? Nul n'est bon que Dieu seul». - S. Ambr. Il ne nie pas qu'il ne soit bon, mais il fait entrevoir qu'il est Dieu; car celui-là seul est bon qui a la plénitude de la bonté. Vous êtes impressionné de ces paroles: «Nul n'est bon», mais faites donc attention à celles qui suivent: «Si ce n'est Dieu». Si vous ne pouvez concevoir Dieu sans son Fils, vous ne pouvez concevoir Jésus-Christ sans la bonté; car comment pourrait-il n'être pas bon, étant né de celui qui est la bonté par essence? Car tout bon arbre produit de bons fruits (Mt 7). Comment pourrait-il n'être pas bon, puisque la substance de sa bonté qu'il a reçue du Père n'est point dégénérée dans le Fils, de même qu'elle n'est point dégénérée dans l'Esprit saint: «Votre bon Esprit, dit le Psalmiste, me conduira dans la terre de la justice» (Ps 140). Or, si l'Esprit est bon de la bonté qu'il a reçue du Fils, comment le Fils, qui est le principe de cette bonté, ne serait-il pas bon lui-même? Mais comme celui qui venait pour tenter Jésus-Christ était un docteur de la loi, ainsi que nous l'avons démontré dans un autre livre, le Sauveur lui répond on ne peut plus à propos: «Nul n'est bon, si ce n'est Dieu», afin de lui rappeler qu'il est écrit: «Vous ne tenterez point le Seigneur votre Dieu», et de le porter à rendre gloire au Seigneur, parce qu'il est bon (Ps 117 Ps 135).

S. Chrys. (Hom. 64 sur S. Matth). Ou bien encore, je ne craindrai pas d'avancer que ce jeune homme de qualité ne venait point pour surprendre Jésus-Christ, mais qu'il était avare (car le Sauveur lui en fait un reproche indirect). - Tite de Bostr. En faisant à Jésus-Christ cette question: «Bon maître, que dois-je faire pour posséder la vie éternelle ?» il semble lui dire: Vous êtes bon, daignez répondre à la question que je vous adresse: Je suis instruit de tout ce que contient l'Ancien Testament, mais je trouve vos enseignements supérieurs, car ce ne sont point les biens de la terre que vous promettez, c'est le royaume des cieux que vous annoncez; dites-moi donc, que ferai-je pour arriver à la vie éternelle? Comme la foi est le chemin qui conduit aux oeuvres, le Sauveur, ne considérant que l'intention de ce jeune homme et sans répondre à la question qu'il lui fait, l'amène à la connaissance de la foi. Il agit comme un médecin à qui son malade demanderait: Que dois-je manger? et qui lui répondrait en lui prescrivant ce qu'il doit faire avant de prendre de la nourriture. Le Sauveur élève donc son esprit jusqu'à son Père, en lui disant «Pourquoi m'appelez-vous bon ?»Ce n'est pas qu'il ne fût bon; car il était le bon fruit d'un bon arbre. - S. Aug. (Quest. évang., 1). Le récit de saint Matthieu présente ici une différence (Mt 19); Notre-Seigneur dit à ce jeune homme: «Pourquoi m'interrogez-vous sur ce qui est bon ?» ce qui répond plus directement à cette question: Quel bien dois-je faire ?» etc., car ces paroles renferment une question qui a pour objet ce qui est bien. On peut donc parfaitement admettre que Notre-Seigneur a fait ces deux réponses: «Pourquoi m'appelez-vous bon ?» et «pourquoi m'interrogez-vous sur ce qui est bon ?» deux choses, dont l'une revient à l'autre.

Tite de Bostr. Après lui avoir donné la connaissance de la foi, le Sauveur ajoute: «Vous connaissez les commandements ?» comme s'il lui disait: Après avoir commencé par connaître Dieu, il est naturel que vous cherchiez à savoir ce que vous devez faire. - S. Cyr. Ce jeune homme de qualité s'attendait à ce que Jésus lui dit: «Laissez les commandements de la loi de Moïse, et suivez les miens»; mais au contraire, le Sauveur le renvoie aux préceptes de la loi: «Vous ne tuerez point, vous ne commettrez pas d'adultère», etc. La loi cherche d'abord à prévenir les fautes dans lesquelles nous tombons plus facilement, comme la fornication et l'adultère, pour lesquels nous avons en nous un penchant naturel, et l'homicide, parce que la fureur fait de nous comme autant de bêtes féroces. Le vol et le faux témoignage sont des crimes que l'on commet plus rarement, et qui sont généralement moins graves que les précédentes. Aussi Notre-Seigneur place en second lieu le vol et le faux témoignage, parce qu'ils sont de moindre gravité, et entraînent moins souvent les hommes.

«Vous ne déroberez point». - S. Bas. (cf. Is 1,23). Par voleurs, il ne faut pas seulement entendre les coupeurs de bourse, et ceux qui font métier de voler dans les bains, mais encore ceux qui sont placés à la tête des légions, ou préposés au gouvernement des villes et des provinces, les premiers volent furtivement, les seconds emploient la violence et la force ouverte. - Tite de Bost. Remarquez ici que l'observation des préceptes consiste à s'abstenir; en effet, si vous ne commettez pas d'adultère, vous serez chaste; si vous ne dérobez point, vous serez honnête et bon; si vous ne faites point de faux témoignages, vous serez vrai dans votre conduite. Voyez comme la vertu nous est rendue facile par la bonté de celui qui nous en fait un devoir, il nous impose la fuite du mal, plutôt que la pratique du bien. Or, il est bien plus facile de s'abstenir du mal, que de pratiquer le plus petit acte de vertu.

Théophyl. L'outrage contre les parents est un grand crime, mais comme ce crime est peu fréquent, Notre-Seigneur le place en dernier lieu: «Honorez votre père et votre mère». - S. Ambr. Or, cet honneur ne consiste pas seulement dans le respect qu'on leur témoigne, mais dans l'assistance qu'on leur donne; car c'est leur rendre honneur que de les assister en reconnaissance de leurs bienfaits. Nourrissez votre père, nourrissez votre mère; et lorsque vous les aurez nourris, vous n'aurez pas encore payé les douleurs et les déchirements que votre mère a soufferts pour vous. Vous devez à votre père ce que vous avez, à votre mère ce que vous êtes. Quel jugement sévère vous attend si l'Église nourrit ceux que vous avez refusé de nourrir. Mais, direz-vous, je préfère donner à l'Église, ce que je donnerai à mes parents. Le Seigneur ne veut pas d'un don qui condamne vos parents à mourir de faim. Cependant, de même que l'Écriture fait un devoir de nourrir ses parents, ainsi elle commande de les quitter pour Dieu, s'ils sont un obstacle aux sentiments religieux de l'âme.

«Il répondit: J'ai gardé tous ces commandements depuis ma jeunesse». - S. Jér. (sur Mt 19). Ce jeune homme fait ici un mensonge. En effet, s'il ava it accompli le commandement suivant: «Vous aimerez le prochain comme vous-même», il ne se serait pas retiré plein de tristesse en entendant ces paroles: «Allez, vendez tout ce que vous avez, et donnez-le aux pauvres». - Bède. On peut admettre aussi que sans faire de mensonge, il a simplement avoué quelle avait été sa vie extérieure, autrement saint Marc n'aurait pas ajouté que Jésus, ayant jeté les yeux sur lui, conçut pour lui de l'affection.

Tite de Bost. Le Sauveur nous apprend ensuite qu'on n'est point parfait pour accomplir tout ce que commande l'Ancien Testament, mais qu'il faut encore suivre Jésus-Christ: «Ce qu'entendant, Jésus lui dit: Une chose vous manque encore, vendez tout ce que vous avez, et donnez-le aux pauvres». C'est-à-dire: Vous me demandez comment vous pourrez arriver à la vie éternelle, distribuez vos biens aux pauvres, et vous la mériterez, ce que vous donnez est peu de chose, ce que vous recevrez est immense. - S. Athan. (Ch. des Pèr. gr). Ne pensons pas, en effet, avoir fait un grand sacrifice en renonçant aux biens de ce monde; car la terre tout entière est bien petite en comparaison du ciel; fussions-nous donc maîtres de toute la terre, le sacrifice que nous en ferions ne serait rien en comparaison du royaume des cieux. - Bède. Que celui donc qui veut être parfait, vende tous ses biens, non en partie, comme Ananie et Saphire, mais sans réserver rien absolument. - Théophyl. «Vendez tout ce que vous avez»; le Sauveur conseille donc la pauvreté absolue, si vous vous réservez quelque chose, ou s'il vous reste quelque partie de votre bien, vous en êtes l'esclave.

S. Bas. (règ. abrég., quest. 92). Cependant si Notre-Seigneur conseille à ce jeune homme de vendre ses biens, ce n'est pas qu'ils soient mauvais par leur nature, autrement ils ne seraient pas des créatures de Dieu. Le Sauveur ne lui conseille pas de les rejeter, mais de les distribuer aux pauvres, et ce que Dieu condamne dans quelques-uns, ce n'est pas la possession des richesses, mais le mauvais usage. Au contraire, en les distribuant aux pauvres selon le commandement de Dieu, on efface ses péchés et on mérite le royaume des cieux. C'est ce que Notre-Seigneur indique par ces paroles: «Et donnez-le aux pauvres». - S. Chrys. (hom. 22 sur la 1 re Epit. aux Cor). Dieu, sans doute, pouvait nourrir les pauvres sans l'intermédiaire de notre compassion pour eux, mais il a voulu établir des liens de charité entre ceux qui donnent et ceux qui reçoivent. - S. Bas. (rég. développ., quest. 9). Devant cette parole formelle du Sauveur: «Donnez-le aux pauvres», la négligence dans l'accomplissement de ce devoir n'est permise à personne, et chacun doit s'en acquitter avec le plus grand soin, par lui-même autant que cela est possible; ou s'il ne le peut, par celui dont la prudence et la fidélité lui sont connues; car: «Maudit est celui qui fait les oeuvres de Dieu avec négligence». (Jr 48,18). - S. Chrys. (comme précéd). Mais comment Jésus-Christ enseigne-t-il que la perfection consiste à distribuer tous ses biens aux pauvres, tandis que saint Paul déclare que sans la charité, c'est une oeuvre très-imparfaite? Ce qui suit fait disparaître toute opposition entre le maître et le disciple: «Alors, venez et suivez-moi», ce qui ne peut se faire que par un motif de charité; «car tous reconnaîtrons que vous êtes mes disciples, si vous avez la charité les uns pour les autres» (Jn 17). - Théophyl. Le chrétien doit joindre, en effet, à la pauvreté toutes les autres vertus, c'est pour cela que Jésus dit à ce jeune homme: «Et venez, et suivez-moi», c'est-à-dire soyez mon disciple en tout, et suivez-moi constamment.

S. Cyr. Mais cet homme de qualité n'était point capable de contenir ce vin nouveau, il était comme ces outres trop vieilles dont parle Notre-Seigneur (Mt 9 Mc 2 Lc 5), et il fut brisé par la tristesse: «Mais lui, entendant ces paroles, devint triste, parce qu'il était fort riche». - S. Bas. (hom. sur l'aum). Le marchand ne s'attriste pas de dépenser son avoir dans les marchés publics pour acheter les choses dont il a besoin, et vous vous affligez de donner une misérable poussière pour acquérir la vie éternelle ?


vv. 24-30

10824 Lc 18,24-30

Théophyl. Ce riche ayant entendu la réponse du Sauveur, qu'il fallait renoncer à ses biens, en devint tout triste, jusque là que Jésus en exprime son étonnement: «Voyant qu'il était devenu triste, Jésus lui dit: Que difficilement ceux qui ont des richesses entreront dans le royaume de Dieu !» Il ne dit pas: Il est impossible, mais: «Il est difficile». En effet, les riches peuvent acquérir au moyen de leurs richesses les biens célestes, mais ils ne le peuvent que difficilement, parce que les richesses sont plus gluantes que la glu elle-même, et que le coeur qui s'y laisse prendre peut à peine s'en détacher. Cependant le Sauveur semble insinuer par la comparaison qui suit, qu'il y a pour eux une véritable impossibilité: «Il est plus facile à un chameau de passer par le chas d'une aiguille, qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu». Le mot grec peut signifier également un chameau, ou un câble, ou cordage de navire. De quelque manière que vous l'entendiez, il est impossible que l'un ou l'autre puisse passer par le trou d'une aiguille. Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille, qu'à un riche d'être sauvé. Or, ce qui est plus facile est impossible; donc l'impossibilité pour le riche d'être sauvé est encore plus grande. Que dire donc à cela? D'abord qu'il est vrai, en effet, qu'un riche ne peut être sauvé. Ne me dites pas que des riches ont été sauvés pour avoir distribué leurs richesses, ce n'est pas comme riches qu'ils ont été sauvés, mais parce qu'ils se sont faits pauvres, ou qu'ils ont été les simples administrateurs de leurs biens. Il y a, en effet, une grande différence entre un riche et un économe ou un administrateur: le riche garde toutes ses richesses pour lui, l'économe ou l'administrateur ne les tient en réserve que pour l'utilité des autres. - S. Chrys. (hom. 24 sur la 1 re Epît. aux Cor). Abraham possédait ses richesses dans l'intérêt des pauvres; et ceux qui en sont les justes possesseurs, reconnaissent qu'ils les tiennent de Dieu pour les employer conformément à ses préceptes. Ceux au contraire qui les ont acquises contre la volonté de Dieu, les dépensent également contre sa volonté, en débauches ou en festins, ou les enfouissent dans la terre, sans que les pauvres y aient la moindre part. (Hom. 18 sur S. Jean). Dieu ne défend donc point d'amasser des richesses, mais de se rendre esclave des richesses. Il veut qu'elles soient employées à nos besoins, et non pas conservées comme un dépôt inutile. La fonction du serviteur est de garder ce qui lui est confié, le privilège du maître est de pouvoir distribuer ce qu'il possède. Si Dieu avait voulu que les richesses fussent tenues en réserve, il ne les aurait pas données aux hommes, il les aurait laissées ensevelies dans le sein de la terre.

Théophyl. Remarquez que pour le riche, le Sauveur déclare qu'il lui est impossible d'être sauvé, tandis que pour celui qui possède les richesses, cela est simplement difficile, c'est comme s'il disait: Le riche, qui est épris des richesses jusqu'à en devenir l'esclave, ne pourra être sauvé; mais celui qui possède les richesses, c'est-à-dire, celui qui en est vraiment le maître, se sauvera difficilement, tant est grande la fragilité humaine. En effet, tant que le démon nous voit posséder des richesses, il fait tout pour nous perdre, et il est bien difficile d'échapper aux pièges qu'il nous tend; aussi la pauvreté est un véritable bien qui nous met à l'abri des tentations. - S. Chrys. (hom. 81 sur S. Matth). Car à quoi servent les richesses, lorsque l'âme est dans l'indigence, et en quoi peut nuire la pauvreté à l'âme qui nage au sein des richesses? Si le signe le plus assuré de la richesse est de n'avoir besoin de rien, comme le signe le plus certain de la pauvreté est de manquer de tout, n'est-il pas évident qu'on devient d'autant plus riche qu'on est plus pauvre, car il est bien plus facile de mépriser les richesses dans la pauvreté qu'au sein de l'abondance? Qui ne sait, en effet, qu'une fortune immense, loin d'apaiser le désir des richesses, ne fait que l'enflammer davantage, comme un feu dans lequel on jette un nouvel aliment. De plus, les peines qui paraissent attachées à la pauvreté, lui sont communes avec les richesses, tandis que les richesses en ont qui leur sont exclusivement propres.

S. Aug. (Quest. évang., 2, 47). Le riche ici, dans le sens que lui donne le Sauveur, est celui qui est avide, des biens de la terre et en fait un aliment pour son orgueil. Ceux qui sont opposés à ces riches, sont les pauvres d'esprits auxquels appartient le royaume des cieux. Dans le sens mystique, on peut dire qu'il est plus facile à Jésus-Christ de souffrir pour ceux qui aiment le siècle, qu'à ces derniers de se convertir à Dieu. Le Sauveur a voulu se représenter sous la figure du chameau, parce qu'il s'est humilié volontairement pour se charger du fardeau de nos faiblesses; l'aiguille signifie les piqûres, les piqûres, les douleurs qu'il a endurées dans sa passion, et le trou de l'aiguille figure les angoisses de sa passion.

S. Chrys. (hom. 64 sur S. Matth). Ce discours si relevé était au-dessus des forces des disciples de Jésus, aussi «ceux qui l'écoutaient, lui dirent: Qui peut donc être sauvé ?» Ce n'est point pour eux-mêmes qu'ils craignent, c'est pour le monde entier. - S. Aug. (Quest. évang). Comme le nombre des pauvres qui peuvent espérer d'être sauvés est incomparablement plus considérable que celui des riches qui se perdent, les disciples comprirent qu'il fallait mettre au nombre des riches, tous ceux qui aiment les richesses, alors même qu'ils ne peuvent les acquérir: «Jésus leur répondit: Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu»; paroles qu'il ne faut pas entendre dans ce sens que les riches puissent jamais entrer dans le royaume des cieux, elles signifient simplement qu'il est possible à Dieu de les ramener de la cupidité et de l'orgueil à la pratique de la charité et de l'humilité. - Théophyl. Le salut est donc impossible, comme on vient de le dire, à ceux dont les affections rampent sur la terre, mais il est possible avec le secours de Dieu, car si l'homme veut prendre Dieu pour conseiller, se pénétrer des enseignements divins sur la manière dont Dieu nous justifie, et sur la pauvreté, et de plus invoquer son secours, toute difficulté s'aplanira.

S. Cyr. Il est juste que le riche qui a fait le sacrifice d'une fortune considérable, en attende une grande récompense; mais il était aussi à propos de demander ce que devait espérer celui qui avait renoncé au peu qu'il possédait: «Pierre lui dit alors: Voici que nous avons tout quitté pour vous suivre». Saint Matthieu ajoute: «Que nous sera-t-il donc donné ?» (Mt 19). - Bède. C'est-à-dire, nous avons fait ce que vous avez commandé, quelle récompense nous donnerez-vous? Et parce qu'il ne suffit pas de renoncer à tout ce qu'on possède, il ajoute, ce qui nous rend parfaits: «Et nous vous avons suivi». - S. Cyr. Il est nécessaire de remarquer que ceux qui renoncent au peu qu'ils possèdent, à ne considérer que leur intention et leur obéissance, ont aux yeux de Dieu le même mérite que les riches, parce que c'est la même disposition de renoncement qui leur a inspiré le sacrifice volontaire de tout ce qu'ils possèdent: «Jésus leur répliqua: En vérité, je vous le dis, il n'est personne qui ait quitté sa maison, etc., qui ne reçoive beaucoup plus en ce monde même, et dans le siècle à venir, la vie éternelle». Le Sauveur élève l'âme de ceux qui l'écoutent aux plus douces espérances, en joignant à sa promesse la formule ordinaire du serment: «En vérité». En effet, lorsque la prédication de la divine parole vint appeler le monde à la foi de Jésus-Christ, quelques-uns, par considération pour leurs parents infidèles, ne voulurent point les contrister eux ou leurs propres frères, en embrassant la foi chrétienne; d'autres, au contraire, quittèrent généreusement leur père, leur mère, et sacrifièrent toutes les affections de famille par amour pour Jésus-Christ.

Bède. Voici donc le sens de ces paroles: Celui qui, pour mériter le royaume de Dieu, aura renoncé à toutes les affections de la terre, et foulé aux pieds toutes les richesses, tous les plaisirs et toutes les joies du monde, recevra dans le siècle présent beaucoup plus qu'il n'aura quitté. Il en est qui cherchent à appuyer sur ces paroles de Jésus-Christ, l'opinion fabuleuse de certains Juifs, qui prétendent qu'après la résurrection, les justes jouiront sur la terre de mille ans de bonheur, pendant lesquels tout ce que nous avons sacrifié nous sera rendu, en attendant que nous entrions en possession de la vie éternelle. Ils ne voient pas, les insensés, que si pour tout le reste, cette récompense abondante peut être digne, de Dieu, elle serait d'une souveraine inconvenance pour ce qui est des femmes (d'après les autres évangélistes, on doit recevoir au centuple), d'autant plus que Notre-Seigneur nous atteste qu'il n'y a plus de mariage après la résurrection; d'ailleurs saint Marc, affirme que tout ce que nous aurons quitté nous sera rendu dans cette vie avec les persécutions, et, de leur propre témoignage, ces mille ans doivent être entièrement exempts.

S. Cyr. Nous affirmons donc que celui qui aura renoncé aux jouissances de la chair, recevra beaucoup plus qu'il n'a quitté, à l'exemple des Apôtres, qui, pour avoir sacrifié bien peu de chose, ont reçu les dons multipliés de la grâce, et sont devenus célèbres par tout l'univers. Un bonheur semblable nous attend; celui qui abandonne sa maison recevra en échange la demeure des cieux; s'il quitte son père il de viendra fils du Père céleste; s'il quitte ses frères, il aura Jésus-Christ pour frère; s'il se sépare de son épouse, il s'unira à la sagesse divine qui lui donnera des fruits spirituels; s'il quitte sa mère il trouvera la Jérusalem céleste qui est notre mère à tous. (Ga 4,26). Dès cette vie même il trouvera une affection beaucoup plus douce et plus pure dans les frères et les soeurs qui lui sont unis par les liens spirituels d'une même résolution.




Catena Aurea 10809