Catena Aurea 12114

v. 14

12114 Jn 1,14

S. Chrys. (hom. 11 sur S. Jean). Nous avons donc été faits enfants de Dieu et en vertu du mystère du Verbe fait chair; l'Évangéliste nous fait connaître un nouveau bienfait de l'incarnation: «Et nous avons vu sa gloire»; car jamais nous n'aurions pu la voir, si lui-même ne s'était manifesté à nous sous une forme semblable à la nôtre. En effet, si les Hébreux n'ont pu soutenir l'éclat du visage glorifié de Moïse, qu'il fallut couvrir d'un voile, comment, nous, dont l'origine et les instincts sont tout terrestres, pourrions-nous soutenir à découvert la vue de la Divinité, inaccessible même aux vertus supérieures des cieux.

S. Aug. (Traité 2 sur S. Jean). Ou bien encore, ces paroles: «Le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous», nous apprennent que le Verbe a fait du mystère de sa naissance comme un collyre pour éclaircir les yeux de notre coeur, et nous permettre de voir sa Majesté à travers son humanité: «Et nous avons vu sa gloire». Personne ne pourrait voir sa gloire, s'il n'était guéri par l'humilité de son incarnation. L'oeil de l'homme était comme obscurci par la poussière soulevée de la terre, il avait les yeux malades, et Dieu lui met comme de la terre sur les yeux pour les guérir. La chair vous avait aveuglé, c'est la chair qui vous guérit. L'âme était devenue charnelle en donnant son consentement aux affections de la chair, et c'est ainsi que l'oeil du coeur avait été aveuglé. Le médecin vous a fait un collyre en venant revêtu d'une chair mortelle pour réprimer les vices de la chair, car le Verbe s'est fait chair, afin que vous puissiez dire: «Nous avons vu sa gloire».

S. Chrys. (hom. 12 sur S. Jean). Saint Jean ajoute: «Comme la gloire du Fils unique». C'est, qu'en effet, un grand nombre de prophètes ont été glorifiés, tels que Moïse, Elie, Elisée, et beaucoup d'autres qui ont opéré de grands miracles. Il en est de même des anges qui, en apparaissant aux hommes, ont fait briller à leurs yeux la gloire qui est propre à leur nature; c'est ainsi que les chérubins et les séraphins ont été vus par le prophète, environnés d'une gloire éclatante. L'Évangéliste nous élève bien au-dessus de cette gloire, au-dessus de toute nature et de toute gloire créée, et nous conduit jusqu'au faite de tous les biens. Or voici le sens de ses paroles: La gloire que nous avons vue n'est pas la gloire d'un prophète, d'un homme ordinaire, ni même d'un ange, d'un archange, ou de quelqu'une des puissances supérieures, mais c'est comme la gloire du dominateur lui-même, du roi, du Fils unique par nature. - S. Grég. (Moral., 18, 6). En effet, dans les saintes Écritures, les particules, de même, comme (sicut, quasi), n'indiquent pas toujours une simple ressemblance, mais quelquefois une parfaite identité, comme dans ces paroles: «Comme du Fils unique du Père». - S. Chrys. (hom. 12 sur S. Jean). Ceux qui ont vu un roi dans toute sa gloire et sa majesté, dans l'impuissance où ils sont de rendre comme ils le voudraient l'impression produite sur eux par tant d'éclat et de splendeur, s'expriment ordinairement de la sorte: Pourquoi vous en dirai-je davantage? C'était comme un roi. Saint Jean s'exprime de la même manière: «Nous avons vu sa gloire comme, celle du Fils unique du Père». Lorsque les anges apparaissaient, c'était toujours comme des serviteurs qui exécutent les ordres de leur maître; mais le Fils de Dieu, quoique sous une forme humaine, se révèle comme étant le Seigneur. D'ailleurs, les créatures le reconnaissent comme leur Maître; l'étoile, en appelant les mages à son berceau; les anges, en annonçant sa naissance aux bergers; l'enfant (Jean-Baptiste), en tressaillant dans le sein de sa mère. Le Père lui-même lui a rendu témoignage du haut des cieux, et le Paraclet en descendant sur lui lors de son baptême. Que dis-je, toute la nature a proclamé bien plus haut que la multitude qu'il était le roi des cieux. Il mettait les démons en fuite, il guérissait toutes les maladies, faisait sortir les morts de leurs tombeaux, retirait les âmes de l'abîme du mal pour les conduire au sommet des plus éminentes vertus. Qui pourrait dire la sagesse de ses préceptes, la force de ses lois divines et la belle harmonie de la vie toute angélique qu'il est venu établir parmi les hommes ?

Orig. (hom. 2 sur div. suj). Les paroles qui suivent: «Plein de grâce et de vérité», peuvent s'entendre de deux manières différentes, c'est-à-dire de l'humanité et de la divinité du Verbe incarné. Ainsi la plénitude de la grâce se rapporterait à l'humanité, par laquelle le Christ est le chef de l'Eglise et le premier né de toute créature. En effet, c'est en lui que s'est manifesté le plus grand et le plus merveilleux effet de la grâce, en vertu de laquelle l'homme est devenu dieu sans aucun mérite de sa part. La plénitude de la grâce en Jésus-Christ peut encore s'entendre de l'Esprit saint, dont les sept dons remplirent l'humanité du Sauveur. (Is 11) La plénitude de la vérité se rapporte à la divinité. Si vous aimez mieux appliquer au Nouveau Testament cette plénitude de grâce et de vérité, vous pourriez dire avec beaucoup de vraisemblance que la plénitude de la grâce du Nouveau Testament nous a été donnée par Jésus-Christ, et que la vérité des symboles figuratifs de la loi s'est accomplie en lui. - Théophyl. Ou encore, il est plein de grâce, à cause de la grâce de ses paroles, comme le prédit David: «La grâce est répandue sur vos lèvres» (Ps 44); il est plein de vérité, en comparaison de Moïse et des prophètes qui parlaient ou agissaient eu figure, tandis que toutes les paroles comme toutes les actions de Jésus-Christ étaient vérité.


v. 15

12115 Jn 1,15

Alcuin. Nous avons vu plus haut qu'un homme avait été envoyé pour rendre témoignage; l'Évangéliste rapporte ici le témoignage que le Précurseur rend publiquement à l'élévation de l'humanité en Jésus-Christ et à l'éternité de son existence divine: «Jean rend témoignage de lui». - S. Chrys. (hom. 13 sur S. Jean). Ou bien, tel est le motif qui a déterminé l'Évangéliste à rapporter ce témoignage: Ne croyez pas, semble-t-il dire, que c'est pour avoir longtemps vécu avec le Sauveur et nous être assis à la même table, que nous lui rendons ainsi un témoignage de reconnaissance; car Jean-Baptiste qui ne l'avait pas vu auparavant, qui n'avait point vécu avec lui, lui rend le même témoignage. Il revient à plusieurs reprises sur ce témoignage, et le reproduit avec le plus grand soin sous différentes formes, parce que les Juifs avaient Jean-Baptiste en très-grande estime. Les autres évangélistes ont invoqué les oracles des anciens prophètes. «Ceci s'est fait, disent-ils, afin que fût accomplie la parole du prophète» (Mt 1,22). Saint Jean, au contraire, produit un témoin plus élevé, et aussi plus récent, non qu'il prétende donner du crédit au Maître par le témoignage du serviteur, mais pour s'accommoder à la faiblesse de ses auditeurs. Si le Fils de Dieu n'eût pris la forme de serviteur, il n'eût pu être reçu par les hommes; de même s'il n'eût préparé par la voix de son serviteur l'esprit de ses semblables, peu de Juifs eussent consenti à recevoir la parole de Jésus-Christ: «Et il dit à haute voix,» c'est-à-dire qu'il parle publiquement, avec confiance et en toute liberté, et sans rien dissimuler. Toutefois, il ne commence point par dire que Jésus est le Fils unique de Dieu par nature, mais il dit à haute voix: «Voici celui dont je disais: Celui qui doit venir après moi, a été fait plus grand que moi, parce qu'il était avant moi». Les mères des petits oiseaux n'apprennent pas tout de suite à voler à leurs petits; ils commencent par les faire sortir de leur nid, puis les laissent se reposer, puis les exercent de nouveau, et enfin leur font prendre un essor plus rapide dans les airs. Jean-Baptiste fait de même, il ne porte pas tout d'abord les Juifs à de hautes considérations, mais il les élève insensiblement au-dessus de la terre en leur disant que le Christ était au-dessus de lui, ce qui était un grand point. Et voyez avec quelle prudence il lui rend témoignage. Il n'attend pas que Jésus soit présent pour le faire connaître, il l'annonce avant qu'il eût paru au milieu des Juifs. C'est ce qu'indiquent ces paroles: «Voici celui dont je disais», etc. Jean-Baptiste agit de la sorte pour préparer les esprits à recevoir plus facilement Jésus-Christ, sans être arrêté par ses humiliations volontaires et l'extrême simplicité de son extérieur. En effet, le Sauveur avait un extérieur si simple et si ordinaire, que si les Juifs n'avaient entendu parler de lui qu'après l'avoir vu, ils se seraient moqués du témoignage de Jean.

Théophyl. Il dit: «Celui qui vient après moi», dans l'ordre de la naissance temporelle; Jean-Baptiste, en effet, précédait le Christ de six mois sous ce rapport. - S. Chrys. (hom. 13). Ou bien encore, il ne parle pas ici de la naissance de Jésus du sein de Marie; car Jésus était déjà né, quand Jean-Baptiste tenait ce langage, mais du commencement de sa vie évangélique. Il dit: «il a été fait avant moi», c'est-à-dire qu'il est plus illustre et plus digne d'honneur et de gloire. Ne croyez pas, semble-t-il dire, que je sois plus grand que lui, parce que je le précède dans la carrière de la prédication. - Théophyl. Les ariens interprètent ce passage, dans ce sens que le Fils de Dieu n'est pas engendré du Père, mais qu'il a été fait comme toutes les autres créatures. - S. Aug. (Traité 3 sur S. Jean). Ces paroles ne veulent donc pas dire: Il a été fait avant que je fusse fait moi-même, mais il a été placé au-dessus de moi.

S. Chrys. (hom. précéd). Si ces paroles: «Il a été fait avant moi», devaient s'entendre du commencement de l'existence, il serait fort inutile d'ajouter: «Parce qu'il était avant moi». Car qui est assez ignorant, pour ne pas savoir que celui qui a été fait avant lui était avant lui? Si telle avait été son intention, voici comme il aurait dû s'exprimer: Il était avant moi, parce qu'il a été fait avant moi. Ces paroles: «Il a été fait avant moi», doivent donc s'entendre d'une priorité d'honneur, et Jean-Baptiste présente comme étant déjà accompli ce qui devait se faire, selon la coutume des prophètes qui parlaient des choses à venir comme si elles étaient déjà passées.


vv. 16-17

12116 Jn 1,16-17

Orig. (Traité 5 sur S. Jean). Ces paroles sont la continuation du témoignage que Jean-Baptiste rend à Jésus-Christ, et on se trompe en attribuant les réflexions qui suivent à saint Jean l'Évangéliste, jusqu'à ces paroles: «Le Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l'a fait connaître». C'est faire violence au texte que de supposer que le discours du Précurseur est interrompu par les réflexions de l'Évangéliste, et l'enchaînement des paroles est ici visible pour qui est capable de le saisir. Jean-Baptiste venait de dire: «Il a été fait plus grand que moi, parce qu'il était avant moi». Or, poursuit-il, je suis porté à croire et à conclure qu'il est avant moi, parce que nous avons reçu, moi, et les prophètes avant moi, une seconde grâce après la première; car l'esprit de Dieu, après les symboles figuratifs, les a conduits jusqu'à la contemplation de la vérité. En recevant ainsi de sa plénitude, nous comprenons que la loi a été donnée par Moïse, et que la grâce et la vérité ont été données ou plutôt ont été faites par Jésus-Christ; car Dieu le Père a donné la loi par Moïse, et il a fait la grâce et la vérité par Jésus-Christ. Mais puisque Jésus a dit: «Je suis la vérité», comment la vérité a-t-elle pu être faite par lui? Nous répondons que la vérité substantielle, la vérité première qui est le principe et le modèle de toutes les vérités qui existent dans l'esprit de ceux qui enseignent la vérité, n'a été faite ni par Jésus-Christ ni par aucun autre; la vérité qui a été faite par Jésus-Christ est donc celle que nous remarquons dans saint Paul et dans les autres Apôtres. - S. Chrys. (hom. 13 sur S. Jean). On peut dire encore que saint Jean l'Évangéliste joint ici son témoignage à celui de Jean-Baptiste. Ainsi ces paroles: «Et nous avons reçu tous de sa plénitude», etc., ne sont pas les paroles du Précurseur, mais celles du disciple, et voici quel en est le sens: Et nous autres aussi, les douze Apôtres, et toute la multitude des fidèles présents et futurs, nous avons tous reçu de sa plénitude.

S. Aug. (Traité 3 sur S. Jean). Et qu'avez-vous donc reçu? «Grâce pour grâce», c'est-à-dire que nous avons reçu de sa plénitude je ne sais quoi d'ineffable, et ensuite grâce pour grâce. Ainsi nous avons reçu de sa plénitude, d'abord la grâce, et nous avons reçu ensuite grâce pour grâce. Quelle est la première grâce que nous avons reçue? La foi, qui est appelée grâce, parce qu'elle est donnée gratuitement. Le pécheur a donc reçu cette première grâce qui a été pour lui le principe de la rémission de ses péchés; et il a de nouveau reçu grâce pour grâce, c'est-à-dire que, pour cette grâce qui nous fait vivre de la foi, nous en recevrons une autre, c'est-à-dire la vie éternelle. Car la vie éternelle est comme la récompensé de la foi, et comme la foi est une grâce, la vie éternelle est aussi une grâce donnée pour une autre grâce. Cette grâce n'existait pas dans l'Ancien Testament, parce que la loi menaçait sans porter secours; elle commandait sans guérir, elle montrait le mal sans le faire disparaître, et se contentait de préparer les hommes à recevoir le médecin qui devait venir avec la grâce et la vérité. Voilà pourquoi l'Évangéliste ajoute: «La loi a été donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ», car la mort de votre Seigneur a détruit la mort temporelle et la mort éternelle; et c'est là cette grâce que la loi promettait et ne donnait pas.

S. Chrys. (hom. 14 sur S. Jean). Ou bien, nous avons reçu grâce pour grâce, c'est-à-dire une grâce nouvelle pour la grâce ancienne. De même, en effet, qu'il y a justice et justice, adoption et adoption, circoncision et circoncision, il y a aussi grâce et grâce, la première comme figure, la seconde comme vérité. Jean-Baptiste parle de la sorte pour prouver aux Juifs qu'eux-mêmes n'étaient sauvés que par grâce, et que nous-mêmes, tous tant que nous sommes, nous ne pouvons arriver au salut par une autre voie. Ce fut donc une véritable grâce, et un acte de miséricorde que la loi qui fut donnée aux Juifs. Aussi l'Évangéliste, voulant faire ressortir la grandeur des dons qui ont été faits, ajoute: «La loi a été donnée par Moïse, mais la grâce», etc. Il avait plus haut établi une comparaison entre Jésus-Christ et lui, en disant: «Il a été fait plus grand que moi». Ici saint Jean fait cette comparaison entre Jésus-Christ et Moïse qui fut pour les Juifs l'objet d'une bien plus grande admiration que Jean-Baptiste. Et voyez quelle est ici sa prudence: Il n'établit pas la comparaison entre les personnes, mais entre les choses, et il oppose la grâce et la vérité à la loi, aussi bien que cette expression: «A été donnée», à cette autre: «A été faite». Il dit de la loi qu'elle a été donnée, c'était l'oeuvre d'un serviteur qui transmet ce qu'il a reçu selon l'ordre qui lui a été imposé. Ces paroles, au contraire: «La grâce et la vérité ont été faites», indiquent un roi qui remet tous les péchés par sa puissance, c'est ce que faisait Jésus: «Vos péchés vous sont remis (Mc 2,9), et encore: «Afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir de remettre les péchés», etc. (Mc 2,10-11). Vous voyez comme la grâce a été faite par Jésus-Christ, considérez comment la vérité nous est aussi venue de la même manière. Le don du baptême, le bienfait de l'adoption qui nous est donné par le Saint-Esprit, et une multitude d'autres dons sont les preuves et les fruits de la grâce. Quant à la vérité, nous comprendrons mieux comment elle est venue par Jésus-Christ, si nous avons une connaissance parfaite des figures de la loi; car tout ce qui devait s'accomplir dans le Nouveau Testament a été annoncé et figuré dans l'Ancien, et c'est Jésus-Christ qui est venu accomplir toutes ces figures. C'est ainsi que la figure a été donnée par Moïse, et que la vérité a été faite par Jésus-Christ.

S. Aug. (de la Trin., 13, 20). Ou bien encore, nous pouvons rapporter la grâce à la science, et la vérité à la sagesse. Parmi les choses qui ont pris naissance dans le cours des temps, la grâce par excellence qui nous a été donnée, c'est que l'homme ait été uni à Dieu en unité de personne; et dans les choses de l'éternité, la vérité suprême et par excellence doit s'entendre du Verbe de Dieu.


v. 18

12118 Jn 1,18

Orig. (Traité 6 sur S. Jean). C'est sans aucune raison qu'Héracléon prétend que ces paroles ne sont point de Jean-Baptiste, mais de l'Évangéliste. En effet, si les paroles qui précèdent: «Nous avons tous reçu de sa plénitude», ont été dites par le saint Précurseur, comment ne pas admettre comme conséquence, que celui qui avait reçu de la plénitude de Jésus-Christ et une seconde grâce pour la première, celui qui avait déclaré que la loi avait été donnée par Moïse, et que la grâce et la vérité étaient venues par Jésus-Christ, ait compris comment personne n'a jamais vu Dieu, mais que le Fils unique, qui repose dans le sein du Père, a donné la connaissance de ces mystères, non seulement à Jean, mais à tous ceux qui marchent dans les voies de la perfection? Et ce n'est pas la première fois que celui qui est dans le sein du Père les révélait, comme si avant les Apôtres, personne n'avait été digne de recevoir cette révélation; car lui qui existait avant qu'Abraham fût fait, nous apprend qu'Abraham a tressailli du désir de voir son jour, et qu'il en a été rempli de joie.

S. Chrys. (hom. 15 sur S. Jean). Ou bien, c'est l'Évangéliste lui-même qui, pour faire ressortir la prééminence des dons que Jésus-Christ nous a faits sur ceux dont Moïse a été le dispensateur, nous indique le véritable motif de cette supériorité. Moïse, simple serviteur, a été le dispensateur de grâces moins importantes; Jésus, au contraire, le souverain Seigneur et Fils de roi, a répandu sur nous des grâces d'un ordre bien supérieur, lui dont l'existence est éternelle comme celle du Père, et qui jouit éternellement de sa présence. Voila l'explication de ces paroles: «Personne n'a jamais vu Dieu». - S. Aug. (Lettre 112 à Pauline). Que signifient donc ces paroles de Jacob: «J'ai vu le Seigneur face à face», (Gn 32,30) et ce qui est écrit de Moïse, qu'il parlait à Dieu face à face (Ex 33,11), et encore ce que le prophète Isaïe dit de lui-même: «J'ai vu le Seigneur des armées assis sur un trône ?» (Is 6,1) - S. Grég. (Moral., 28, 18) Ces textes nous donnant clairement à comprendre que pendant cette vie mortelle, on peut bien voir Dieu sous certaines figures, mais jamais dans la claire manifestation de sa nature, c'est-à-dire que, l'âme comme inspirée par la grâce de l'Esprit saint, le voit comme à travers ces figures, mais sans pouvoir jamais parvenir à la vue intime de son essence. C'est ainsi que Jacob, qui affirme qu'il a vu Dieu, n’a vu cependant qu'un ange; c'est ainsi encore que Moïse, qui parlait à Dieu face à face, lui fait cette prière: «Manifestez-vous à moi ouvertement, afin que je vous voie et que je vous connaisse» (Ex 33,18). D'où nous pouvons conclure qu'il avait soif de voir dans toute sa splendeur cette nature infinie qu'il avait commencé à voir dans des figures imparfaites.

S. Chrys. (hom. précéd). Si les patriarches de l'Ancien Testament avaient véritablement vu la nature divine, ils ne l'auraient point vue sous des formes différentes, car cette divine nature est simple et sans figure, on ne peut la supposer ni assise, ni debout, ni en marche, toutes choses qui ne conviennent qu'aux corps. Aussi écoutez comment Dieu parle par son prophète: «J'ai multiplié pour eux les visions, et ils m'ont représenté à vous sous des images différentes» (Os 12,10). C'est-à-dire, je me suis accommodé à leur faiblesse; je ne leur ai pas apparu tel que j'étais. Comme le Fils de Dieu devait se manifester à nous dans une chair véritable, il les préparait dès lors à voir Dieu, autant que cela leur était possible.

S. Aug. (Lettr. à Pauline). Mais comment concilier ces paroles: «Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu», (Mt 5,8) et ces autres: «Lorsqu'il apparaîtra, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est» (1Jn 3,2), avec celles-ci: «Personne n'a jamais vu Dieu ?» On peut répondre que les témoignages qu'on vient de citer ont pour objet la vision future de Dieu, et non la vision actuelle. Le texte dit en effet: «Ils verront Dieu», et non: Ils ont vu Dieu; de même encore: «Nous le verrons tel qu'il est», et non pas: Nous l'avons vu. Or, Jean dit ici: «Personne n'a jamais vu Dieu», ou dans cette vie tel qu'il est, ou même dans la vie des anges, où Dieu n'est pas vu comme le sont les objets extérieurs par les yeux du corps.

S. Grég. (Moral., 18, 28). Que cependant, même dans cette chair corruptible, des âmes qui ont fait d'immenses progrès dans la vertu puissent voir la splendeur divine avec les yeux perçants de la contemplation cela n'est nullement en contradiction avec ces paroles; car celui qui a le bonheur de voir la sagesse qui est Dieu, meurt entièrement à la vie présente, et s'affranchit ainsi de toutes ses affections. S. Aug. (De la Gen.; explic. littér., 27) Si, en effet on ne meurt à cette vie soit en se séparant réellement du corps, sent en se détachant si parfaitement des sens extérieurs, qu'on puisse dire avec l'Apôtre, qu'on ne sait si on est avec son corps ou en dehors de son corps (2Co 12,2), ou ne peut être élevé jusqu'à la hauteur de cette contemplation.

S. Grég. (Moral., 18, 28). Il en est qui ont prétendu que, même dans cette région du bonheur, Dieu pourra être vu dans sa gloire, mais nullement dans sa nature. Leurs recherches plus subtiles qu approfondies les ont induits en erreur, car pour cette essence simple et immuable la gloire n'est pas différente de la nature.

S. Aug. (Lettre à Pauline). Dira-t-on que ces paroles: «Personne n'a jamais vu Dieu», doivent s'entendre des hommes seuls, comme l'explique plus ouvertement l'Apôtre, quand il dit: «Qu'aucun homme ou que nul homme n'a vu et ne peut voir». (1Tm 6,16) La difficulté se résout d'elle-même, et ces paroles: «Personne n'a jamais vu Dieu», ne sont nullement en opposition avec ces autres du Sauveur: «Leurs anges voient toujours la face de mon Père», (Mt 18,10) puisqu'il est facile de comprendre que les anges voient Dieu, qu'aucun homme n'a jamais pu voir. - S. Grég. (Moral., 18, 28). D'autres cependant soutiennent qu'il est impossible, même aux anges de voir Dieu. - S. Chrys. (hom. précéd). Certainement, ni les prophètes, ni les anges, ni les archanges, n'ont jamais vu ce qu'est Dieu en lui-même. Si vous interrogez les anges, ils ne vous diront rien de la substance divine, ils se contentent de chanter: «Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté» (Lc 2,14). Désirez-vous apprendre quelque chose de plus des chérubins et des séraphins? Vous n'entendrez sortir de leur bouche que cette hymne mystérieuse de la sainteté de Dieu: «Le ciel et la terre sont pleins de sa gloire». (Is 6,3) - S. Aug. (Lett. à Pauline). Ces paroles sont encore vraies en ce sens, que personne n'a jamais pu comprendre, non seulement des yeux du corps, mais par les forces de son esprit, la plénitude de l'essence divine. Il y a, en effet, une grande différence entre la simple vision et la compréhension parfaite. Nous voyons ce dont nous apercevons la présence de quelque manière que ce soit, mais nous comprenons une chose quand nous la voyons si parfaitement, qu'aucune des parties qui la composent n'échappe à nos investigations. - S. Aug. Il n'y a donc que le Fils et l'Esprit saint qui puissent voir le Père, car comment une simple créature pourrait-elle voir une nature incréée? Personne donc ne connaît le Père, si ce n'est le Fils: «Le Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l'a fait connaître». Et de peur que le nom de Fils vous donne à penser qu'il s'agit ici d'au de ceux qui sont devenus fils de Dieu par sa grâce, l'article précède le mot Fils ( õßïò). Et si cela ne suffit pas encore, on vous dit que c'est le Fils unique.

S. Hil. (De la Trin., 6) Le nom de Fils ne paraissait pas encore assez explicite pour exprimer la nature divine, si Jean-Baptiste n'y ajoutait une propriété qui le rend exclusif et incommunicable. En effet, par l'emploi de ces seuls mots: Fils et unique, il exclue toute idée d'adoption, puisque la nature divine seule peut remplir toute la signification de ce nom. - S. Chrys. (hom. précéd). Il ajoute encore une autre preuve de la même vérité: «Qui est dans le sein du Père», privilège bien supérieur à celui de voir simplement Dieu. Celui qui ne fait que le voir, n'a pas une connaissance parfaite de ce qu'il voit. Mais celui qui demeure dans le sein du Père, ne peut rien ignorer de ce qui est en Dieu. Lors donc que vous entendez ces paroles: «Personne ne connaît le Père, si ce n'est le Fils», ne les prenez pas dans ce sens que le Fils a du Père une connaissance supérieure à celle de tous les hommes, mais qui cependant n'embrasse point l'immensité de son être, car l'Évangéliste vous dit qu'il demeure dans le sein du Père, pour vous faire comprendre son union intime avec le Père, et son existence coéternelle avec lui. - S. Aug. (Tr. 3 sur S. Jean.) «Dans le sein du Père», c'est-à-dire, dans le secret du Père, car Dieu n'a pas de sein comme celui que nous formons avec nos vêtements, il ne s'assoie point comme nous, il ne porte pas de ceinture qui puisse former un sein. Mais on appelle le secret du Père le sein du Père, parce que le sein chez nous est comme une partie intime de nous-mêmes. C'est donc celui qui a connu le Père dans le secret du Père, qui nous a raconté ce qu'il a vu.


S. Chrys. (hom. précéd). Comment nous l'a-t-il raconté? En proclamant qu'il n'y a qu'un seul Dieu; mais c'est ce que Moïse et les prophètes avaient fait avant lui. Que nous a donc fait connaître de plus le Fils, qui demeurait dans le sein du Père? Il nous a enseigné d'abord que les prophètes n'ont annoncé l'existence d'un seul Dieu que par la vertu du Fils unique; secondement, que nous avons reçu par ce Fils unique des grâces bien plus grandes et plus abondantes; troisièmement, que Dieu est esprit, et que ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en vérité (Jn 4), et enfin que Dieu est le Père du Fils unique. - Bède. Si on rapporte au passé ce mot (enarravit), il a raconté, nous dirons que le Fils de l'homme nous a fait connaître ce que nous devions penser et croire de l'unité de la Trinité, comment nous devons nous élever jusqu'à la contemplation d'un si grand mystère et par quelles oeuvres nous pouvons y parvenir. Si on traduit ce mot au futur, le sens sera que le Fils racontera ce qu'il a vu dans le sein du Père, lorsqu'il introduira ses élus dans les célestes clartés de la vision éternelle. - S. Aug. (Traité 3). Il s'est trouvé des hommes qui, trompés par la vanité de leur coeur, ont dit: Le Père est invisible, le Fils, au contraire, est visible. Si dans leur pensée, le Fils est visible, parce qu'il s'est revêtu d'un corps sensible, nous sommes de leur avis, et c'est aussi ce qu'enseigne la foi catholique; mais s'ils prétendent qu'il était visible avant même son incarnation, ils tombent dans une grave absurdité. Jésus-Christ est la sagesse et la vertu de Dieu, or la sagesse de Dieu ne peut pas être vue des yeux du corps. La parole, le verbe de l'homme est invisible pour les yeux de l'homme, comment le Verbe de Dieu pourrait-il être visible? - S. Chrys. (hom. préc). Ce n'est donc pas au Père seul que se rapportent ces paroles: «Personne n'a jamais vu Dieu, mais elles sont également vraies du Fils, dont saint Paul a dit: «Il est l'image du Dieu invisible» (Col 1,15), or, celui qui est l'image d'un être invisible, est invisible lui-même.


vv. 19-23

12119 Jn 1,19-23

Orig. (Traité 6 sur S. Jean). C'est ici le second témoignage que nous voyons Jean-Baptiste rendre à Jésus-Christ, puisque le premier commence à ces paroles: «Voici celui dont je disais: celui qui doit venir après eux», etc., et se termine par ces autres: «C'est lui qui l'a raconté». - Théophyl. On peut dire encore que l'Évangéliste, après avoir rapporté le témoignage rendu par Jean-Baptiste à Jésus-Christ: «Il a été fait plus grand que moi», etc., nous fait connaître l'époque à laquelle le saint précurseur a rendu ce témoignage: «Et tel est le témoignage de Jean, lorsque les Juifs lui envoyèrent», etc. - Orig. (Traité 6). Les Juifs qui envoient cette députation étaient parents de Jean-Baptiste, comme étant eux-mêmes de race sacerdotale, et ils envoient pour demander à Jean qui il était, des prêtres et des lévites de Jérusalem, c'est-à-dire, des hommes élevés au-dessus des autres, et par leur vocation, et par la ville qu'ils habitaient. Ils s'adressent donc à Jean avec les marques du plus grand respect, jamais ils n'agirent de cette manière à l'égard du Sauveur. Mais la démarche qu'ils font aujourd'hui auprès de Jean-Baptiste, le saint précurseur la fit lui-même à l'égard de Jésus-Christ, en envoyant ses propres disciples lui demander: «Êtes-vous celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ?» (Lc 7,19) - S. Chrys. (hom. 16 sur S. Jean). Jean-Baptiste était à leurs yeux si digne de foi, qu'ils étaient disposés à croire au témoignage qu'il rendrait de lui-même: «Ils envoyèrent pour demander: Qui êtes vous ?» - S. Aug. (Traité 4 sur S. Jean). Ils ne lui auraient pas envoyé cette députation, s'ils n'avaient été frappés du caractère de supériorité qui brillait en sa personne et en vertu duquel il donnait le baptême. - Orig. (Traité 6 sur S. Jean). Jean-Baptiste démêlait dans la question des prêtres et des lévites le doute où ils étaient, s'il n'était pas le Christ qui baptisait, doute qu'ils se gardaient bien de produire au dehors, de crainte de paraître téméraires. Aussi s'empresse-t-il tout d'abord de détruire cette opinion erronée, et de préparer ainsi les voies à la vérité, en déclarant ouvertement qu'il n'est pas le Christ. Ajoutons que le temps où le Christ devait venir était pour le peuple juif un temps d'espérance et de joie dont il jouissait par avance, parce que les docteurs de la loi recueillaient dans les saintes Écritures les témoignages qui attestaient que ce temps était proche; c'est ce qui explique comment Théodas réunit autour de lui une assez grande multitude de peuple, et après lui Judas, le Galiléen, au temps du dénombrement du peuple (Ac 5,36-37). Comme l'avènement du Christ était alors l'objet des plus ardents désirs et de l'attente universelle, les Juifs envoient demander à Jean: «Qui êtes-vous ?» pour savoir s'il avouerait qu'il était le Christ. Or, en disant: «Je ne suis point le Christ», il ne nie pas, mais au contraire, confesse ouvertement la vérité. - S. Grég. (hom. 7 sur les Evang). Il nie clairement ce qu'il n'est pas, mais il ne nie pas ce qu'il est. Son langage est celui de la vérité, et il mérite ainsi de devenir le membre de celui dont il ne voulait pas usurper injustement le nom.

S. Chrys. (hom. 16 sur S. Jean). On peut dire encore que les Juifs avaient à l'égard de Jean-Baptiste, des sentiments beaucoup trop humains. Ils regardaient comme indigne de lui d'être inférieur au Christ, à cause de l'éclat extraordinaire qui entourait toutes les circonstances de sa vie, sa naissance illustre (il était fils du prince des prêtres), son éducation austère, et le mépris qu'il faisait des choses humaines. Jésus-Christ, au contraire, paraissait venir d'une famille obscure, comme les Juifs le lui reprochaient: «Est-ce qu'il n'est pas le fils du charpentier ?» (Mt 13,55) et sa manière de se nourrir et de se vêtir n'avait rien qui le distinguât des autres hommes. Or, comme Jean envoyait continuellement à Jésus-Christ, et que les Juifs cependant préféraient l'avoir pour maître, ils lui envoient une députation, dans l'espérance de l'amener par leurs flatteries, à déclarer qu'il était le Christ. Ce ne sont donc point des hommes du peuple qu'ils lui députent (comme lorsqu'ils envoient au Christ des serviteurs et des hérodiens), mais des prêtres et des lévites, et encore n'étaient-ce pas les premiers venus, mais des prêtres de Jérusalem, c'est-à-dire, les plus honorables et les plus distingués d'entre eux. Ils lui envoient donc demander: «Qui êtes-vous ?» non pas qu'ils ignorent ce qu'il est, mais parce qu'ils veulent l'amener à donner une réponse conforme à leurs désirs. Aussi Jean-Baptiste répond à leurs pensées plutôt qu'à leur question: «Il confessa, et il ne le nia point, il confessa: Je ne suis pas le Christ». Et voyez la sagesse de l'Évangéliste, il répète trois fois à peu près la même expression, pour faire ressortir la vertu de Jean-Baptiste, et la malice insensée des Juifs; car c'est le devoir d'un serviteur fidèle, non seulement de ne pas ravir la gloire qui appartient à son maître, mais de la rejeter quand elle lui est offerte, même par un grand nombre. C'était par ignorance que le peuple conjecturait que Jean-Baptiste pourrait être le Christ, tandis que c'est avec mauvaise intention que les prêtres et les lévites lui adressent cette question, espérant l'amener par leurs flatteries au résultat qu'ils désiraient. Si telle n'avait pas été leur intention, lorsque Jean leur eut répondu: «Je ne suis pas le Christ», ils se fussent empressés de dire: Nous n'avons jamais eu cette pensée, ce n'est pas ce que nous sommes venus vous demander. Mais honteux de voir leur pensées ainsi dévoilées, ils passent aussitôt à une autre question: «Qui êtes-vous donc, lui dirent-ils? Etes-vous Elie ?» - S. Aug. (Traité 4 sur S. Jean). Ils savaient qu'Elie devait précéder le Christ, car le nom du Christ n'était ignoré de personne chez les Juifs. Ils ne croyaient pas que Jean-Baptiste fût le Christ, ils n'avaient pas cependant perdu toute espérance de l'avènement prochain du Christ, et avec cette espérance, la venue du Christ fut pour eux comme une véritable pierre de scandale.

«Et il répondit: Je ne le suis pas». - S. Grég. (hom. 7). Cette réponse donne lieu à une difficulté assez grande: les disciples de Jésus l'ayant un jour questionné sur l'avènement d'Elie, il leur répondit: «Puisque vous voulez le savoir, c'est Jean lui-même qui est Elie» (Mt 11,4). Ici on demanda à Jean-Baptiste lui-même s'il est Elie, et il répond: «Je ne le suis pas». Comment peut-il être le prophète de la vérité, si ces paroles sont en désaccord avec celles de la vérité? - Orig. (Traité précédent). On dira peut-être que Jean-Baptiste ignorait qu'il fût Elie, et c'est l'opinion que soutiennent ceux qui professent la doctrine de la transmigration des âmes dans de nouveaux corps. Les Juifs lui demandent donc par les prêtres et les lévites s'il était Elie, parce qu'ils admettent comme véritable le dogme de la transmigration successive des âmes, dogme conforme à leurs traditions et à leurs doctrines secrètes; et Jean-Baptiste leur répond: «Je ne suis pas Elie», parce qu'il ignore sa première existence dans un autre corps. Mais comment peut-on supposer raisonnablement que Jean, qui, comme prophète, a été inondé des lumières de l'Esprit saint, et nous a révélé de si grandes vérités sur Dieu et sur son Fils unique, ait pu ignorer que son âme avait autrefois animé le corps d'Elie? - S. Grég. (hom. 7). Si l'on veut examiner à fond cette difficulté, on trouvera le moyen de concilier cette contradiction apparente. Que dit, en effet, l'ange à Zacharie? «Il marchera devant lui dans l'esprit et la vertu d'Elie» (Lc 1,17), c'est-à-dire, que Jean-Baptiste devait précéder le premier avènement, comme Elie devra un jour précéder le second; de même qu'Elie sera le précurseur du Juge, ainsi Jean-Baptiste devait être le précurseur du Rédempteur; Jean-Baptiste était donc Elie en esprit, mais il ne l'était pas en personne. Ce que le Sauveur affirme de l'esprit d'Elie, Jean le nie de la personne. Il était juste, en effet, que le Seigneur parlât de Jean à ses disciples dans un sens spirituel, tandis que Jean devait répondre au peuple encore grossier, en niant dans le sens littéral, qu'il fût Elie en personne.

Orig. Jean répondit donc aux prêtres et aux lévites: «Je ne le suis pas», en devinant l'intention qui avait dicté leur demande. Cette question, en effet, avait pour but de savoir, non pas s'il avait le même esprit qu'Elie, mais s'il était en réalité cet Elie, qui avait été enlevé dans les cieux, et qui, sans passer par une nouvelle naissance, apparaissait de nouveau conformément à l'attente des Juifs. Ceux qui croient à la transmigration des âmes dans de nouveaux corps, diront qu'il est invraisemblable que des prêtres et des lévites pussent ignorer la naissance d'un fils, que Zacharie, prêtre si distingué, eut dans sa vieillesse, surtout lorsque saint Luc nous atteste qu'à sa naissance, tous les habitants du voisinage furent remplis de crainte, et que le bruit de ces merveilles se répandit dans tout le pays des montagnes de Judée (Lc 1,65). Peut-être, comme ils savaient qu'Elie viendrait avant Jésus-Christ vers la fin du monde, demandent-ils à Jean-Baptiste, dans le sens figuré: «Est-ce vous qui annoncez l'arrivée du Christ, qui doit venir à la fin du monde ?» Et il répond avec sagesse: «Non, ce n'est pas moi». Un grand nombre savait que Jésus était né de Marie, mais quelques-uns ne laissaient pas de tomber dans cette erreur qu'il pouvait être Jean-Baptiste, ou Elie, ou quelqu'un des prophètes; il n'y a donc rien d'étonnant que, tandis que les uns savaient parfaitement que Jean-Baptiste était fils de Zacharie, d'autres fussent dans le doute s'il n'était pas le prophète Elie qu'ils attendaient. Mais comme il avait paru plusieurs prophètes en Israël, l'objet de leur attente était surtout un prophète que Moïse avait annoncé en ces termes: «Dieu vous suscitera un prophète du milieu de vos frères, vous lui obéirez comme à moi» (Dt 18,18). C'est ce qui explique la troisième question qu'ils font à Jean-Baptiste, non pas s'il était simplement prophète, mais s'il était le prophète avec l'article, comme porte le texte grec: «Etes-vous le prophète ?» Le peuple d'Israël savait qu'aucun des prophètes n'avait été celui que Moïse avait annoncé, et qui devait, à l'exemple de ce législateur du peuple de Dieu, être le médiateur entre Dieu et les hommes, et transmettre à ses disciples le testament ou l'alliance qu'il recevait de Dieu (cf. Dt 5,5 Ex 24,7-8). Or, tandis que les Juifs refusaient de reconnaître dans Jésus-Christ ce prophète prédit par Moïse, et voulaient attribuer ce nom à un autre que lui, Jean savait que Jésus était vraiment ce prophète. Aussi répond-il: «Je ne le suis pas». - S. Aug. (Traité précéd). Peut-être répond-il de la sorte, parce qu'il était plus grand qu'un prophète, les prophètes ayant prédit le Christ longtemps à l'avance, tandis que Jean le montrait présent au milieu des hommes.

«Ils lui dirent donc: Qui êtes-vous, afin que nous donnions une réponse à ceux qui nous ont envoyés ?» - S. Chrys. (hom. 16 sur S. Jean). Voyez comme ils insistent et le pressent de nouvelles questions, et comme Jean-Baptiste leur répond avec douceur en détruisant toutes leurs fausses idées et leur faisant connaître ce qu'il était en vérité: «Il répondit: Je suis la voix de celui qui crie dans le désert». - S. Aug. (Traité précéd). Cette prophétie d'Isaïe a reçu son accomplissement dans la personne de Jean-Baptiste. - S. Grég. (hom. 7). Vous savez que le Fils unique de Dieu est appelé le Verbe du Père; or, notre langage nous aide à nous rendre compte de ce fait, que la voix doit retentir d'abord, pour que le verbe ou la parole puisse être entendue. Jean affirme donc qu'il est la voix, parce qu'il précède le Verbe, et que c'est par son ministère que le Verbe du Père a été connu des hommes. - Orig. Héracléon, dans ses réflexions absurdes sur Jean et les prophètes, reconnaît que le Sauveur est bien le Verbe, et que Jean est la voix, parce que tout prophète n'est qu'un son. Nous lui répondrons par ces paroles de l'Apôtre: «Si la trompette ne rend qu'un son confus, qui est-ce qui se préparera au combat ?» (1Co 14) Si donc la voix des prophètes n'est qu'un son, comment le Sauveur nous ordonne-t-il de recourir à cette voix? «Scrutez les Écritures, nous dit-il» (Jn 5,39). Or, Jean déclare qu'il est non pas la voix qui crie dans le désert, mais «la voix de celui qui crie dans le désert», c'est-à-dire, de celui qui se tenait debout et disait à haute voix: «Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive» (Jn 7,37). Il parle à haute voix pour se faire entendre de ceux qui étaient éloignés, et aussi pour faire comprendre à ceux qui ont l'ouïe dure, l'importance des vérités qu'il leur enseignait. - Théophyl. Ou bien encore, Jean est la voix, parce qu'il annonce ouvertement la vérité, tandis que sous la loi le langage des prophètes était couvert d'obscurité. - S. Grég. (hom. 7). Ou encore, Jean criait dans le désert, parce qu'il venait annoncer la consolation du Rédempteur à la Judée, semblable à un lieu désert et abandonné. - Orig. (Traité précéd). La voix qui crie dans le désert est nécessaire à l'âme abandonnée de Dieu, pour la ramener dans les voies droites qui conduisent à lui, sans qu'elle s'égare davantage dans les voies tortueuses du serpent mauvais, pour l'élever par la méditation jusqu'à la contemplation de la vérité sans mélange d'erreur, et faire succéder à cette méditation sérieuse la pratique des bonnes oeuvres. Voilà le sens de ces paroles: «Rendez droite la voie du Seigneur, comme a dit le prophète Isaïe». - S. Grég. (hom. 7). La voie du Seigneur va droit au coeur, lorsqu'on écoute avec humilité la parole de vérité; elle va droit au coeur lorsqu'elle le prépare à l'accomplissement des divins préceptes.



Catena Aurea 12114