Catena Aurea 14112

vv. 12-14

14112 Jn 21,12-14

S. Aug. (Traité 123 sur S. Jean). La pêche étant terminée, le Seigneur invite ses disciples à manger: «Jésus leur dit: Venez, mangez». - S. Chrys. (hom. 87 sur S. Jean). Nous ne voyons pas ici qu'il ait mangé avec eux, mais saint Luc le dit expressément. Il le fit du reste, non pas que sa nature eût encore besoin d'aliments, mais pour s'accommoder à la faiblesse de ses disciples et leur donner ainsi une nouvelle preuve de sa résurrection. - S. Aug. (de la cité de Dieu, 13, 22). Quant aux corps des justes, tels qu'ils seront après la résurrection, ils n'auront plus besoin de l'arbre de vie pour se garantir des maladies et de la décrépitude qui conduisent à la mort, ni des aliments matériels qui apaisent le besoin si souvent pénible de la faim et de la soif, parce qu'ils seront revêtus du don assuré d'une immortalité qu'ils ne pourront plus perdre, immortalité qui, en les affranchissant de la nécessité de se nourrir, leur en laissera la faculté. En effet, les corps ressuscites seront affranchis, non de la faculté, mais du besoin de boire et de manger. C'est ainsi que Notre Seigneur, après sa résurrection, voulut boire et manger avec ses disciples dans une chair toute spirituelle, quoique très véritable, non par le besoin qu'il avait de nourriture, mais en vertu de la faculté qui lui en était restée.

«Et nul de ceux qui étaient assis n'osait lui demander: Qui êtes-vous ?» - S. Aug. (Traité 123 sur S. Jean). C'est-à-dire, nul d'entre eux n'osait élever des doutes sur la réalité de la personne du Sauveur, car l'évidence de la vérité était si grande, qu'aucun d'eux n'osait, non seulement nier, mais même douter que ce fût lui, car s'ils avaient eu quelque doute, ils l'auraient interrogé. - S. Chrys. Ou bien l'Évangéliste fait cette réflexion, parce que les disciples n'osaient plus lui parler avec la même liberté qu'auparavant; ils étaient assis en silence et dans l'attitude du plus grand respect, les yeux fixés sur lui, et à la vue des propriétés différentes de son corps, ravis d'admiration et d'étonnement, ils auraient voulu l'interroger. Mais comme ils savaient que c'était le Seigneur, la crainte les arrêtait, et ils se contentaient de manger ce qu'il leur distribuait avec une autorité souveraine. Il ne lève point ici les yeux au ciel, et il n'agit plus comme un homme, pour leur apprendre que ce qu'il faisait autrefois était la suite de ses abaissements volontaires: «Et Jésus vint, prit le pain, et le leur donna», etc.

S. Aug. Dans le sens mystique, le poisson rôti représente Jésus-Christ dans sa passion. Il est le pain descendu du ciel, et l'Eglise lui est incorporée pour avoir part au bonheur éternel. Il leur dit: «Apportez quelques-uns des poissons que vous venez de prendre, afin que nous tous qui avons cette espérance, nous sachions que nous entrons en participation d'un si grand mystère dans la personne de ces sept disciples (nombre où l'on peut voir l'universalité des fidèles), et que nous sommes associés à leur félicité.

S. Grég. Ce dernier repas que Jésus fait avec sept de ses disciples, nous enseigne que ceux-là seuls qui sont remplis des sept dons de l'Esprit saint, auront part avec lui à l'éternel festin. Le cours du temps s'accomplit et se mesure par espaces de sept jours, et ce nombre est souvent pris pour le symbole de la perfection. Ceux donc qui, dans ce dernier et éternel festin, se nourriront de la présence de la vérité, sont ceux que le zèle pour leur perfection élève au-dessus des choses de la terre.

S. Chrys. Le Sauveur ne restait pas longtemps avec ses disciples, et n'avait plus avec eux les mêmes rapports que précédemment, c'est pour cela que l'Évangéliste ajoute: «Ce fut la troisième fois que Jésus apparut à ses disciples, depuis qu'il était ressuscité des morts. - S. Aug. Ce nombre de trois doit s'entendre, non de l'ordre des apparitions elles-mêmes, mais des jours où elles eurent lieu. Ainsi il leur apparut le jour même de sa résurrection, puis huit jours après, lorsque Thomas crut après l'avoir vu de ses yeux, et encore le jour de cette pêche miraculeuse, et ensuite aussi souvent qu'il le voulut jusqu'au quarantième jour où il monta au ciel. - S. Aug. (de l'acc. des Evang., 3, 25). Nous trouvons dans les quatre évangélistes, dix apparitions du Seigneur après sa résurrection. Il apparut la première fois aux saintes femmes, près du sépulcre; la seconde, lorsqu'elles revenaient du sépulcre; la troisième fois à Pierre; la quatrième aux deux disciples qui allaient à Emmaüs; la cinquième à plusieurs disciples dans Jérusalem; la sixième aux onze Apôtres et à Thomas; la septième sur les bords de la mer de Tibériade; la huitième aux onze Apôtres, sur une montagne de Galilée, selon saint Matthieu; la neuvième, comme le rapporte saint Marc, à ce dernier repas après lequel ils ne devaient plus manger avec lui sur la terre; la dixième fois enfin, le jour même de son ascension, alors qu'il n'était déjà plus sur la terre, mais qu'il s'élevait dans les cieux.


vv. 15-17

14115 Jn 21,15-17

Théophyl. Après le repas, Jésus confie à Pierre, et non pas à d'autres, le gouvernement de toutes les brebis qui étaient dans le monde: «Lors donc qu'ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre», etc. - S. Aug. (Traité 123 sur S. Jean). Le Sauveur interroge, bien qu'il sût ce qu'il demandait, car il savait parfaitement que, non seulement Pierre l'aimait, mais qu'il l'aimait plus que tous les autres.

Alcuin. Simon est appelé fils de Jean, parce que son père s'appelait Jean. Dans le sens mystique, Simon veut dire obéissant, et Jean signifie grâce. C'est à juste titre que Pierre est appelé obéissant à la grâce de Dieu, pour faire voir que s'il aime Jésus-Christ d'un amour plus ardent, ce n'est point à ses mérites, mais à la grâce de Dieu qu'il en est redevable.

S. Aug. (Serm. sur la pass). Lorsque le Seigneur fut sur le point d'être mis à mort, Pierre fut saisi de crainte et renia son divin Maître, car c'est la crainte de la mort qui lui fit renier Jésus-Christ; mais maintenant qu'il est ressuscité, que pourrait-il craindre encore, puisque la mort a reçu elle-même dans sa personne le coup de la mort? «Il lui répondit donc: Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime». Sur cette assurance que Pierre lui donne de son amour, Jésus lui confie le soin de son troupeau. Il lui dit: «Paissez mes brebis», comme si Pierre n'avait point d'autre occasion de manifester son amour pour Jésus-Christ, qu'en devenant un pasteur fidèle de ses brebis sous l'autorité du Prince de tous les pasteurs. - S. Chrys. (hom. 88 sur S. Jean). Rien ne nous rend plus dignes de la bienveillance divine comme le soin que nous prenons du prochain. Notre-Seigneur donne cette charge à Pierre de préférence à tous les autres Apôtres, parce qu'il était le premier entre tous les Apôtres, la bouche des disciples, et la tête du sacré collège, et c'est pour cela qu'après lui avoir pardonné son reniement, il l'établit le chef de ses frères. Il ne lui reproche pas de l'avoir renié, mais il lui dit: «Si vous m'aimez, soyez à la tête de vos frères, montrez maintenant cet amour dont vous avez fait constamment preuve, et sacrifiez pour mes brebis cette vie que vous étiez prêt, disiez-vous, à donner pour moi».

«Jésus lui dit de nouveau: Simon, fils de Jean, m'aimez-vous ?» - S. Aug. (Traité 123 sur S. Jean). C'est avec raison que Jésus demande à Pierre: «M'aimez-vous ?» et que sur la réponse qu'il lui fait: «Je vous aime», Jésus lui dit: «Paissez mes agneaux». Nous voyons ici que l'amour et la dilection sont une seule et même chose, car la troisième fois le Seigneur ne lui dit pas: Diligis me, avez-vous pour moi de la dilection? mais: Amas me, m'aimez-vous. Jésus lui dit une troisième fois: «Simon, fils de Jean, m'aimez-vous ?» Jésus demande à Pierre pour la troisième fois s'il l'aime, à son triple renoncement correspond une triple confession, il faut que sa langue devienne l'organe de son amour comme elle l'a été de sa crainte, et que le témoignage de sa parole soit aussi explicite en présence de la vie qu'il l'a été devant la mort qui le menaçait. - S. Chrys. Trois fois Jésus lui fait la même question, et trois fois aussi il lui renouvelle la même recommandation, pour nous apprendre quel prix il attache à la direction de ses brebis, et que c'est à ses yeux la preuve la plus grande d'amour. - Théophyl. C'est de là qu'est venu l'usage de la triple promesse exigée de ceux qui demandent à recevoir le baptême.

S. Chrys. A cette troisième question, le trouble s'empare de l'âme de Pierre: «Pierre fut contristé de ce que Jésus lui demandait pour la troisième fois: M'aimez-vous ?» Il tremble au souvenir de sa conduite passée, il craint de se tromper en croyant qu'il aime Jésus, et de mériter de nouveau la rude leçon qu'il a reçue par suite de la trop grande confiance qu'il avait dans ses propres forces. C'est donc auprès de Jésus-Christ qu'il cherche son refuge: «Et il lui dit: Seigneur, vous connaissez toutes choses», c'est-à-dire, les secrets les plus intimes du coeur pour le présent et pour l'avenir. - S. Aug. (Serm. 50 sur les par. du Seig). Ce qui l'attriste, c'est de se voir renouveler cette question par celui qui savait parfaitement ce qu'il demandait et qui avait inspiré à Pierre les assurances qu'il donnait de son amour. Il répond donc en toute vérité, et c'est du fond de son coeur qu'il fait sortir ces accents d'un véritable amour: «Vous savez que je vous aime». - S. Aug. (Traité 124 sur S. Jean). Pierre n'ajoute pas: Plus que ceux-ci, il ne répond que sur ce qu'il sait de lui-même, car il ne pouvait connaître le degré d'amour qu'avaient les autres disciples pour Jésus, puisqu'il ne pouvait lire dans le fond de leur coeur: «Jésus lui dit: Paissez mes brebis», c'est-à-dire, donnez un témoignage de votre amour en paissant le troupeau du Seigneur, comme vous avez donné une preuve de votre timidité en reniant le pasteur.

Théophyl. On peut établir une différence entre les agneaux et les brebis; les agneaux sont ceux qui commencent à faire partie du troupeau; les brebis sont les âmes qui ont atteint la perfection. - Alcuin. Paître les brebis, c'est fortifier ceux qui croient en Jésus-Christ, pour que leur foi ne vienne pas à défaillir, pourvoir, lorsqu'il le faut, aux nécessités temporelles de ceux qu'on dirige, s'opposer à leurs ennemis, et ramener ceux d'entre eux qui s'égarent. - S. Aug. (Traité 123 sur S. Jean). Ceux qui paissent les brebis de Jésus-Christ, dans l'intention d'en faire leurs propres brebis plutôt que de les attacher à Jésus-Christ, sont convaincus de s'aimer au lieu d'aimer Jésus-Christ, d'être conduits par le désir de la gloire, de la domination ou de l'intérêt plutôt que par la charité qui ne se propose que d'obéir, de secourir et de plaire à Dieu. Gardons-nous donc de nous aimer nous-mêmes, au lieu d'aimer Jésus-Christ; en paissant ses brebis, cherchons ses intérêts plutôt que les nôtres. Celui qui s'aime au lieu d'aimer Dieu, ne s'aime pas véritablement, car puisqu'il ne peut vivre par lui-même, en n'aimant que soi il se condamne à la mort. Ce n'est donc point s'aimer véritablement que de s'aimer d'un amour qui fait perdre la vie. Lorsqu'au contraire on aime celui qui nous fait vivre, en ne s'aimant pas soi-même, on s'aime beaucoup plus, puisqu'on refuse de s'aimer pour aimer davantage celui qui est pour nous le principe de la vie. - S. Aug. (Serm. sur la pass). Il s'est trouvé des serviteurs infidèles qui ont divisé le troupeau de Jésus-Christ, et qui, par leurs rapines, se sont amassé une certaine fortune. Vous les entendez dire: Ce sont là mes brebis, que venez-vous faire près de mes brebis, prenez garde que je vous retrouve parmi mes brebis. Si nous tenons nous-mêmes ce langage, et qu'à leur exemple, nous disions aussi: Mes brebis; c'en est fait, Jésus-Christ a perdu ses brebis.


vv. 18-19

14118 Jn 21,18-19

S. Chrys. (hom. 88 sur S. Jean). Après avoir enseigné à Pierre le véritable caractère de l'amour qu'il devait avoir pour lui, il lui prédit le martyre qu'il devait souffrir pour son nom, et nous apprend ainsi comment nous devons l'aimer nous-mêmes: «En vérité, en vérité, je vous le dis, lorsque vous étiez plus jeune, vous vous ceigniez vous-même, et vous alliez où vous vouliez». Jésus lui rappelle le temps de sa jeunesse, parce qu'en effet, pour les affaires de la terre, le jeune homme seul a de la valeur, le vieillard n'en a presque point. Dans les choses divines, au contraire, c'est dans la vieillesse que la vertu a plus d'éclat, plus d'habileté, plus d'application, sans que l'âge y apporte aucun obstacle. Or, comme Pierre voulait toujours être au milieu des dangers avec Jésus-Christ, le Sauveur lui dit: «Ayez confiance, j'accomplirai votre désir; ce que vous n'avez pas souffert dans votre jeunesse, vous le souffrirez dans votre vieillesse»; preuve que Pierre n'était alors ni jeune ni vieux, mais dans la force de l'âge.

Orig. (sur S. Matth). Remarquez qu'il n'est pas facile de trouver quelqu'un de ceux qui sont prêts à quitter immédiatement cette vie. C'est pour cela que Jésus dit dès maintenant à Pierre: «Lorsque vous serez devenu vieux, vous étendrez vos mains».

S. Aug. (Traité 123 sur S. Jean). C'est-à-dire vous serez crucifié, et pour vous conduire au supplice, un autre vous ceindra et vous conduira où vous ne voudrez pas. Jésus prédit d'abord l'événement et ensuite la manière dont il devait s'accomplir. Ce n'est pas lorsqu'il fut crucifié, mais avant d'être attaché à la croix, qu'il fut conduit là où il ne voulait pas. Il voulait bien être dépouillé de son corps pour être avec Jésus-Christ, mais, s'il eût été possible, il aurait désiré entrer dans la vie éternelle sans passer par les angoisses de la mort. C'est malgré lui qu'il fut conduit au supplice, mais c'est par sa volonté qu'il a triomphé des horreurs de cette mort et qu'il s'est dépouillé de ce sentiment de crainte et de répugnance pour la mort, sentiment tellement inhérent à notre nature que la vieillesse même ne put l'éteindre dans saint Pierre. Mais quelles que soient les souffrances dont la mort se montre environnée, nous devons en triompher par la force de l'amour que nous avons pour celui qui, étant notre vie, a voulu souffrir la mort pour nous. Car s'il n'y avait que peu ou point de souffrance à endurer pour mourir, la gloire des martyrs serait beaucoup moins grande. - S. Chrys. Jésus lui dit: «Vous serez conduit là où vous ne voudrez point», à cause de ce sentiment naturel à l'âme qui fait qu'elle se sépare malgré elle du corps par un sage conseil de la Providence divine qui s'oppose ainsi aux funestes desseins d'un grand nombre qui auraient fini leurs jours par une mort violente. L'Évangéliste élève ensuite plus haut nos pensées: «Jésus dit cela indiquant par quelle mort il devait glorifier Dieu». Il ne dit pas: de quelle mort il devait mourir, pour nous apprendre que c'est un honneur et une gloire de souffrir pour Jésus-Christ. Or, jamais le chrétien ne consentirait à souffrir la mort pour Jésus-Christ si son esprit n'avait la certitude qu'il est vraiment Dieu. Aussi la mort des saints est-elle pour nous une preuve certaine de la gloire de Dieu.

S. Aug. (Traité 123 sur S. Jean). Telle fut donc la fin de Pierre. Après avoir renié Jésus-Christ, il l'aima de tout son coeur, et, sous l'impulsion de cet amour parfait il souffrit la mort pour celui pour qui, par une précipitation coupable, il avait promis de sacrifier sa vie. Il fallait d'abord, en effet, que Jésus-Christ souffrît la mort pour le salut de Pierre avant que Pierre donnât sa vie pour la foi de Jésus-Christ qu'il annonçait.


vv. 19-23

14119
Jn 21,19-23

S. Aug. (Traité 124 sur S. Jean). Après avoir prédit à Pierre par quelle mort il devait glorifier Dieu, il l'invite à marcher à sa suite: «Et après avoir ainsi parlé, il lui dit: «Suivez-moi». Mais pourquoi le Sauveur dit-il à Pierre seul: «Suivez-moi», sans adresser la même invitation aux autres qui étaient présents et qui le suivaient comme des disciples suivent leur maître? Or, si par ces paroles Jésus l'appelle au martyre, Pierre est-il donc le seul qui ait souffert pour la vérité chrétienne? Est-ce que Jacques n'était pas là, lui que nous savons avoir été mis à mort par Hérode? On répondra peut-être à cela que Jacques n'ayant pas été crucifié, Jésus put dire exclusivement à Pierre: «Suivez-moi», parce que non seulement il devait souffrir la mort, mais la mort de la croix, à l'exemple de Jésus-Christ.

Théophyl. Pierre ayant appris qu'il devait souffrir la mort pour Jésus-Christ, lui demande si Jean doit mourir de la même mort. «Pierre s'étant retourné vit le disciple que Jésus aimait», etc. - S. Aug. Il se nomme le disciple que Jésus aimait parce qu'en effet Jésus avait pour lui un amour plus intime et plus tendre que pour les autres, et c'est pour cela que, pendant la cène, il le fit reposer sur sa poitrine. Je crois que le Sauveur a voulu ainsi nous donner une haute idée de l'excellence de l'Évangile que Jean devait annoncer. Il en est qui pensent (et ce ne sont pas les interprètes les moins distingués des saintes Écritures) que l'amour plus particulier de Jésus pour Jean avait pour cause la chasteté que cet Apôtre avait toujours inviolablement gardée depuis sa première enfance.

«Pierre donc, l'ayant vu, dit à Jésus: Seigneur, mais celui-ci, que deviendra-t-il?» - Théophyl. C'est-à-dire, suivant l'explication de quelques interprètes, est-ce qu'il ne doit pas mourir aussi?

«Jésus lui dit: Je veux qu'il demeure ainsi jusqu'à ce que je vienne; que vous importe ?» - S. Aug. Et il lui répète: «Suivez-moi», paroles qui semblent nous indiquer que Jean ne le suivrait point, parce qu'il voulait qu'il restât jusqu'à ce qu'il vint lui-même. Il semble qu'on ne pourrait facilement admettre d'autre interprétation de ces paroles que celle qui vint à l'esprit des disciples qui étaient présents: «Le bruit courut donc parmi les frères que ce disciple ne mourrait point». Mais Jean lui-même combat cette interprétation en ajoutant: «Et Jésus ne lui dit pas: Il ne mourra point, mais je veux qu'il demeure ainsi jusqu'à ce que je vienne, que vous importe ?» On peut insister cependant si l'on veut, et dire qu'à la vérité Notre-Seigneur n'avait pas dit que «ce disciple ne mourrait point», mais que c'est le sens qui résulte des paroles rapportées par saint Jean. - Théophyl. On peut dire encore: Jésus-Christ n'a point nié que Jean dût mourir (car tout ce qui naît doit mourir), mais il lui a dit simplement: Je veux qu'il demeure, c'est-à-dire qu'il vive jusqu'à la fin du monde, et c'est alors qu'il souffrira pour moi le martyre. Voilà pourquoi il en est qui prétendent que Jean vit encore, et qu'il doit être mis à mort par l'antéchrist, après avoir annoncé le nom de Jésus-Christ avec Elie et Enoch. On montre, il est vrai, son tombeau, mais il y est entré vivant pour en sortir bientôt après.

S. Aug. Il en est même qui vont jusqu'à dire que dans son tombeau, que l'on montre encore à Ephèse, Jean y est enseveli dans le sommeil plutôt que dans la mort, et ils en donnent pour preuve que la terre qui recouvre son tombeau se soulève et fait comme jaillir des flots de poussière, ce qu'ils attribuent obstinément à l'effet de sa respiration. Mais pourquoi le Sauveur aurait-il accordé, comme une grâce privilégiée au disciple qu'il aimait plus que les autres, un sommeil du corps aussi prolongé, tandis que par la gloire éclatante du martyre il a délivré Pierre du fardeau de ce corps terrestre et l'a mis en possession de ce bonheur que saint Paul désirait si vivement lorsqu'il disait: «Je désire d'être dégagé des liens du corps pour être avec Jésus-Christ ?» (Ph 1,23). Si donc il faut en croire la renommée sur le fait en question, nous dirons que Dieu le permit pour relever la mort de son disciple qui n'a pas été rehaussée par la gloire du martyre, ou pour toute autre cause qui nous est inconnue. Cependant il reste toujours à résoudre cette question: Pourquoi le Seigneur a-t-il pu dire d'un homme qui devait mourir: «Je veux qu'il demeure ainsi jusqu'à ce que je vienne ?»

Il nous est également intéressant d'examiner pourquoi le Sauveur avait pour Jean un amour plus particulier, alors que Pierre aimait son divin Maître plus que les autres. Autant que je puis en juger, je serais porté à dire que celui qui a pour Jésus-Christ un plus grand amour vaut mieux que les autres, tandis que celui qui est plus aimé de Jésus-Christ est plus heureux, si je voyais comment défendre en cela la justice de notre divin Rédempteur. Je vais donc essayer de résoudre cette importante et difficile question. L'Eglise connaît deux vies différentes que la prédication divine lui a enseignées, l'une est la vie de la foi, l'autre la vie de la claire vision; la première est personnifiée dans l'apôtre Pierre, à cause de la primauté de sa dignité apostolique; l'autre dans l'apôtre Jean. Jésus dit à Pierre: «Suivez-moi», tandis qu'en parlant de Jean, il dit: «Je veux qu'il demeure ainsi jusqu'à ce que je vienne», paroles dont voici le sens: Pour vous, suivez-moi en supportant, à mon exemple, les souffrances de cette vie; quant à lui, qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne le mettre en possession des biens éternels. Ou pour parler plus clairement encore: Que la vie active parfaite me suive en imitant l'exemple que je lui ai donné dans ma passion, et que la vie contemplative, qui ne fait que commencer ici-bas, demeure jusqu'à ce que je vienne lui donner toute sa perfection. Cette expression demeurer ne doit pas s'entendre dans le sens de rester, être permanent, mais dans le sens d'attendre, parce que la vie dont Jean est la figure aura son parfait accomplissement lorsque Jésus-Christ viendra. Or, dans cette vie active, plus nous aimons Jésus-Christ, plus aussi nous sommes délivrés facilement du mal. Cependant Jésus nous aime moins dans l'état où nous sommes, et il nous en délivre pour que nous n'y restions pas éternellement. Dans la vie du ciel, au contraire, il nous aime davantage, parce qu'il n'y aura plus rien en nous qui lui déplaise et dont il doive nous délivrer. Que Pierre donc aime Jésus-Christ afin que nous soyons délivrés de cette vie mortelle; que Jean soit aimé par lui, afin que nous possédions l'immortalité sans crainte de la perdre. Si vous demandez maintenant pourquoi Jean, qui figurait la vie où Jésus est plus aimé, l'aimait cependant moins que Pierre, je répondrai: C'est parce que le Sauveur a dit: «Je veux qu'il demeure (c'est-à-dire qu'il attende) jusqu'à ce que je vienne», c'est parce que nous n'avons pas encore, mais que nous attendons dans l'avenir cet amour plus parfait que Jésus nous donnera lorsqu'il viendra. Voilà ce qui nous est figuré dans la personne de Pierre, qui aime davantage Jésus-Christ, mais qui en est moins aimé, parce que le Sauveur nous aime moins dans l'état d'épreuve que dans la vie bienheureuse; et nous-mêmes nous aimons moins la contemplation de la vérité telle qu'elle doit se dévoiler un jour, parce que nous n'en avons encore ni la connaissance, ni la possession. C'est ce qui nous est figuré par Jean, qui aime Jésus-Christ moins que Pierre. Que personne cependant ne songe à séparer ces deux illustres apôtres, car tous deux vivaient de cette vie qui se personnifiait dans Pierre, comme tous deux devaient vivre un jour de cette vie dont Jean était la figure.

La Glose. Ou bien encore ces paroles: «Je veux qu'il demeure ainsi», veulent dire: Je ne veux pas qu'il termine sa vie par le martyre, mais qu'il attende en paix la délivrance de son corps, lorsque je viendrai le mettre en possession de la félicité éternelle.

Théophyl. Ou bien autrement, par ces paroles: «Suivez-moi», le Seigneur le place à la tête de tous les fidèles; et ce mot: «Suivez-moi», emporte l'imitation générale de toutes ses paroles, de toutes ses actions. Il lui prouve aussi par là l'amour qu'il a pour lui, car ce sont ceux que nous aimons le plus que nous voulons voir à notre suite.

S. Chrys. Si l'on me demande comment se fait-il donc que Jacques ait occupé le siège de Jérusalem? Je répondrai, parce que Pierre a été établi maître du monde entier. «Pierre s'étant retourné, vit le disciple que Jésus aimait, qui, pendant la cène, s'était reposé sur sa poitrine, et lui avait demandé: Seigneur, quel est celui qui vous trahira ?» Ce n'est pas sans raison que l'Évangéliste rappelle cette circonstance de la cène, il veut nous faire voir quelle grande confiance animait Pierre après son renoncement. Pendant la cène, il n'avait pas osé interroger le Sauveur, mais avait fait signe à Jean de l'interroger à sa place, et c'est à lui qu'est confiée la suprême juridiction sur ses frères. Et non seulement il ne laisse plus à un autre le soin d'interroger son divin Maître sur ce qui le concerne, mais lui-même l'interroge désormais sur ce qui peut intéresser les autres. Comme le Seigneur venait de lui faire les plus grandes promesses, de lui confier le soin de l'univers entier, de lui prédire son martyre, et de constater solennellement que l'amour de Pierre pour lui était plus grand que celui des autres, Pierre, dans le désir que Jean entre en partage d'aussi grandes prérogatives, dit à Jésus: «Mais celui-ci, que deviendra-t-il ?» C'est-à-dire: Est-ce qu'il ne suivra pas la même voie? En effet, Pierre aimait beaucoup Jean, et leur union nous est attestée par l'Évangile et par le livre des Actes. C'est ainsi que Pierre veut rendre à Jean ce que Jean a fait autrefois pour lui. Il croit que Jean voudrait bien demander ce qui doit lui arriver, mais qu'il n'ose le faire, il interroge donc le Sauveur à sa place. Mais ils devaient être chargés la direction de tout l'univers, et ne pouvaient plus rester réunis comme ils l'avaient été jusqu'à présent, ce qui eût été un véritable préjudice pour le monde tout entier; le Seigneur répond donc à Pierre, selon le texte grec: «Si je veux qu'il demeure ainsi jusqu'à ce que je vienne, que vous importe? Quant à vous, suivez-moi», c'est-à-dire, ne vous occupez que de l'oeuvre qui vous est confiée, et accomplissez-la soigneusement, pour celui-ci, si je veux qu'il demeure, que vous importe ?

Théophyl. Il en est qui entendent ces paroles: «Jusqu'à ce que je vienne», dans ce sens: Jusqu'à ce que je vienne contre les Juifs qui m'ont crucifié, et que je les frappe par les armes des Romains. On rapporte, en effet, que cet Apôtre vécut dans ces mêmes lieux jusqu'au temps de Vespasien, sous lequel la ville de Jérusalem devait être prise. Ou bien encore: «Jusqu'à ce que je vienne», c'est-à-dire, jusqu'à ce que je l'envoie annoncer l'Évangile. Quant à vous, je vous destine le pontificat du monde entier, et c'est pour cela que je vous dis: «Suivez-moi»; pour lui qu'il demeure ici jusqu'au jour où je lui donnerai sa mission comme à vous.

S. Chrys. L'Évangéliste exprime ensuite et redresse l'opinion des disciples, comme nous l'avons dit plus haut.



vv. 24-25

14124 Jn 21,24-25

S. Chrys. (hom. 88 sur S. Jean). Comme le récit de saint Jean est appuyé sur les faits et les documents les plus certains, il n'hésite pas à produire son propre témoignage: «C'est ce même disciple qui rend témoignage de ces choses et qui les a écrites». Nous avons pour habitude, lorsque nous rapportons des faits d'une véracité incontestable, de produire à l'appui notre propre témoignage; c'est ce que fait à plus forte raison celui qui écrivait sous l'inspiration du Saint-Esprit. Voilà pourquoi les autres Apôtres disaient eux-mêmes: «Nous sommes témoins de ces faits» (Ac 2,32). Saint Jean ajoute: «Et qui les a écrites». Il est le seul qui parle de la sorte parce qu'il a écrit le dernier sur l'ordre qu'il en a reçu de Jésus-Christ. Voilà pourquoi il parle si fréquemment de l'amour de Jésus-Christ pour lui, faisant ainsi connaître indirectement la cause secrète qui le porte à écrire, et appuyant son récit sur le privilège particulier d'être l'ami de Jésus-Christ: «Et nous savons que son témoignage est vrai», car il avait été présent à tous les événements qu'il raconte; il était là lorsque Jésus-Christ fut crucifié; c'est à lui que le Sauveur daigne confier sa mère, preuve du grand amour que Jésus avait pour lui, et de la certitude de tous les faits qu'il raconte. Si quelques-uns restent incrédules, ce qu'il dit en terminant doit les amener à la foi: «Jésus fit encore beaucoup d'autres choses». Il est donc évident que je n'ai pas écrit dans le but unique d'être agréable à Jésus-Christ, puisque tant de faits qui existent, j'en ai raconté beaucoup moins que les autres évangélistes; j'en ai laissé un très-grand nombre, choisissant de préférence les injures et les outrages faits à sa personne. Or, celui qui écrit pour donner de la gloire à son héros, doit au contraire passer sous silence ce qui, dans sa vie, porte un caractère d'ignominie, et ne s'attacher qu'aux faits éclatants. - S. Aug. (Traité 124 sur S. Jean). Il ajoute: «Si on les écrivait en détail, je ne pense pas que le monde entier pût contenir les livres qu'il faudrait écrire». Il ne faut pas entendre ces paroles dans ce sens, que l'étendue du monde entier ne suffirait point à contenir tous ces livres, mais que la capacité des lecteurs du monde entier ne suffirait pas à les comprendre. On peut dire aussi que souvent les expressions, tout en respectant la vérité des choses, paraissent cependant aller au-delà, ce qui arrive, non point lorsqu'on met dans son jour une chose obscure ou douteuse, mais quand on exagère ou qu'on atténue une vérité claire par elle-même. Cependant, en parlant, ainsi, on ne s'écarte pas de la voie de la vérité, car ces expressions qui vont au-delà de ce qu'on veut dire, ne trahissent nullement l'intention de tromper dans celui qui les a employées. Cette manière de parler, s'appelle en grec hyperbole, et cette figure ne se rencontre pas seulement ici, mais dans d'autres endroits de l'Ecriture. - S. Chrys. Ou bien encore, il faut rapporter ces paroles à la puissance divine de celui qui accomplissait ces oeuvres admirables; en effet il lui était beaucoup plus facile de faire les oeuvres qu'il voulait, qu'il ne nous l'est à nous de les raconter, car il est le Dieu béni au-dessus de toutes choses dans les siècles des siècles.





Catena Aurea 14112