Catena Aurea 12740


CHAPITRE VIII


vv. 1-11

12801 Jn 8,1-11

Alcuin. (1) Notre-Seigneur, aux approches de sa passion, avait coutume de passer le jour dans le temple de Jérusalem pour y prêcher la parole de Dieu et y opérer des miracles en preuve de sa divinité; il retournait le soir à Béthanie où il demeurait chez les soeurs de Lazare, et le lendemain il revenait à Jérusalem pour y recommencer les mêmes oeuvres. C'est d'après cette coutume qu'après avoir enseigné tout le jour dans le temple le dernier jour de la fête des Tabernacles, nous le voyons se retirer le soir sur le mont des Oliviers, selon la remarque de l'Évangéliste. - S. Aug. (Traité 33 sur S. Jean). Où convenait-il que le Christ enseignât, si ce n'est sur le mont des Oliviers, sur la montagne des parfums, sur la montagne de l'onction? En effet, le nom de Christ vient d'onction, et le mot grec ñßìá chrême veut dire en latin unctio onction. Or, Dieu nous a donné cette onction pour faire de nous de forts lutteurs contre le démon. - Alcuin. L'onction procure du soulagement aux membres fatigués et souffrants. Le mont des Oliviers signifie aussi la sublimité de la bonté du Sauveur, parce que le mot grec ëåïò veut dire en latin misericordia, miséricorde. La nature de l'huile se prête parfaitement à cette signification mystérieuse, car elle surnage au-dessus de tous les autres liquides, et comme le chante le Psalmiste: Ses miséricordes sont au-dessus de toutes ses oeuvres (Ps 144,9). «Et dès le point du jour il retourna dans le temple», pour nous donner un symbole de sa miséricorde qu'il faisait éclater aux yeux des fidèles, concurremment avec la lumière naissante du Nouveau Testament. En effet, en revenant au point du jour, il annonçait l'aurore de la grâce de la loi nouvelle.

Bède. Il voulait encore signifier que dès qu'il commença d'habiter par sa grâce dans son temple, c'est-à-dire dans son Eglise, la foi en lui trouva des adhérents dans toutes les nations: «Et tout le peuple vint à lui, dit l'Évangéliste, et s'étant assis, il les enseignait». - Alcuin. L'action de s'asseoir signifie l'humilité de l'incarnation. Lors donc que le Seigneur fut assis, le peuple vint à lui, parce qu'en effet, lorsqu'il se fut rendu visible par son incarnation, un grand nombre commencèrent à écouter ses enseignements et à croire en celui que son humanité rapprochait d'eux. Mais tandis que les simples et les humbles sont dans l'admiration des paroles du Sauveur, les scribes et les pharisiens lui font des questions, non pour s'instruire, mais pour tendre des pièges à la vérité: «Alors les scribes et les pharisiens lui amenèrent une femme surprise en adultère, et ils la placèrent au milieu de la foule, et ils lui dirent: Maître, cette femme vient d'être surprise en adultère». - S. Aug. (Traité 33). Ils avaient remarqué l'excessive douceur du Sauveur, car c'est de lui que le Roi-prophète avait prédit: «Avancez-vous, soyez heureux, et établissez votre règne par la vérité, par la douceur et par la justice» (Ps 44,5). Il nous a donc apporté la vérité comme docteur, la douceur comme notre libérateur, et la justice comme celui qui connaît tout. Lorsqu'il ouvrait la bouche, la vérité éclatait dans ses paroles; on admirait sa douceur dans le calme et la modération qu'il gardait vis-à-vis de ses ennemis, ils cherchent donc à lui tendre un piège sur le troisième point, celui de la justice. Voilà, en effet, ce qu'ils se dirent entre eux: S'il déclare qu'il faut renvoyer cette femme, il n'observera pas les prescriptions de la justice; car la loi ne pouvait commander de faire quelque chose d'injuste; aussi ont-ils soin d'apporter le témoignage de la loi: «Or, Moïse, dans la loi, nous a ordonné de lapider les adultères». Mais Jésus, pour ne point perdre la réputation de douceur qui l'a rendu aimable au peuple, déclarera qu'il faut la renvoyer sans la punir. Ils lui demandent son avis sur ce point: «Vous donc que dites-vous ?» En agissant de la sorte, se disaient-ils, nous trouverons l'occasion de l'accuser, et nous le traduirons comme coupable et prévaricateur de la loi. C'est la réflexion que fait l'Évangéliste: «C'était pour le tenter qu'ils l'interrogeaient ainsi, afin de pouvoir l'accuser».

Mais le Seigneur, dans la réponse qu'il leur fait, restera fidèle à la justice, sans s'écarter de sa douceur habituelle: «Mais Jésus, se baissant, écrivait du doigt sur la terre». - S. Aug. (de l'acc. Des Evang., 4, 18). Il signifiait ainsi que le nom de ces hommes ne serait pas écrit dans le ciel, où ses disciples devaient se réjouir de voir leurs noms écrits; ou bien, il voulait montrer que c'est en s'humiliant (comme l'indiquait l'action de se baisser), qu'il opérait des miracles sur la terre; ou bien enfin, il voulait enseigner que le temps était venu d'écrire la loi, non plus sur une pierre stérile, mais sur une terre qui pourrait produire des fruits. - Alcuin. La terre est en effet le symbole du coeur humain qui produit ordinairement le fruit des bonnes et des mauvaises actions; le doigt qui doit sa souplesse à la flexibilité des articulations, figure la subtilité du discernement. Jésus nous apprend donc à ne pas condamner aussitôt et avec précipitation le mal que nous pouvons apercevoir dans nos frères, mais à rentrer humblement dans notre conscience, et à l'examiner à fond et avec le plus grand soin, comme avec le doigt du discernement. - Bède. Quant au sens qu'on peut appeler historique, Jésus, en écrivant de son doigt sur la terre, prouvait que c'était lui qui avait autrefois écrit la loi sur la pierre.

«Comme ils continuaient à l'interroger, il se redressa». - S. Aug. (Traité 34). Il ne leur dit pas: Elle ne doit pas être lapidée, pour ne pas se mettre en opposition avec la loi; encore moins leur dit-il: Qu'elle soit lapidée, car il n'est point venu perdre ce qu'il avait trouvé, mais chercher ce qui avait péri. Quelle est donc sa réponse? «Que celui de vous qui est sans péché, jette le premier la pierre contre elle». C'est la voix de la justice elle-même: Que la pécheresse soit punie, mais non point par les pécheurs, que la loi soit exécutée, mais non par les prévaricateurs de la loi. - S. Grég. (Moral., 14, 13 ou 15). Celui qui ne commence point par se juger tout d'abord, est incapable de porter un jugement juste sur les autres; malgré les renseignements extérieurs qu'il peut recueillir, il ne peut apprécier avec équité le mérite des actions du prochain, si la conscience de son innocence personnelle ne lui donne pas une règle sûre de jugement.

S. Aug. (Traité 34). Après les avoir ainsi percés du trait de la justice, le Sauveur ne daigne même pas jeter un regard sur leur humiliation, il détourne les yeux: «Et se baissant de nouveau, il écrivait sur la terre». - Alcuin. On peut dire encore que le Sauveur, comme cela arrive souvent, paraissait faire une chose, tout en fixant son attention sur une autre, pour leur laisser la liberté de se retirer. Il nous apprend en même temps d'une manière figurée qu'avant de reprendre nos frères de leurs fautes, comme après avoir rempli le devoir de la correction, nous devons examiner sérieusement si nous ne sommes pas coupables des mêmes fautes ou d'autres semblables. - S. Aug. (Traité 34). Frappés tous par la voix de la justice comme par un trait perçant et se reconnaissant coupables, ils se retirèrent les uns après les autres: «Ayant entendu cette parole, ils s'en allèrent l'un après l'autre, à commencer par les plus anciens». - La Glose. C'étaient peut-être les plus coupables, ou du moins ceux qui connaissaient plus leurs crimes.

S. Aug. (Traité 34). Ils restèrent deux, la misère et la miséricorde, c'est-à-dire qu'il ne resta que Jésus et la femme qui était au milieu de la foule. Cette femme, je le suppose, fut saisie d'effroi, elle pouvait craindre d'être punie par celui qu'il lui était impossible de convaincre de péché. Mais ce bon Sauveur qui avait confondu ses ennemis par le langage de la justice, leva sur elle les yeux de la douceur et lui fit une question: «Alors, Jésus, se relevant, lui dit: Femme, où sont ceux qui vous accusaient? Personne ne vous a condamnée? Elle répondit: Personne, Seigneur». Nous avons entendu la voix de la justice, entendons maintenant la voix de la douceur: «Et Jésus lui dit: Ni moi non plus je ne vous condamnerai», bien que vous ayez pu le craindre, parce que vous n'avez pas trouvé de péché en moi. Quelle est donc, cette conduite, Seigneur? Vous vous montrez favorable au péché? Non, assurément. Ecoutez ce qui suit: «Allez, et ne péchez plus». Vous le voyez donc, le Seigneur condamne le péché, mais il ne condamne pas l'homme; s'il favorisait le péché, il aurait dit à cette femme: Allez et vivez comme vous l'entendez. Soyez assurée que je serai votre libérateur, quelque énormes que soient vos crimes, je vous délivrerai de l'enfer et de ses supplices, mais tel n'est point son langage. Que ceux qui aiment dans le Seigneur la douceur et craignent la vérité, pèsent avec attention ces paroles: «Car le Seigneur est plein de douceur et de droiture» (Ps 24,8).


v. 12

12812 Jn 8,12

Alcuin. Le pardon que Notre-Seigneur venait d'accorder à cette femme, pouvait faire naître dans l'esprit de ceux qui ne voyaient en lui qu'un homme le doute qu'il pût remettre les péchés, aussi croit-il devoir mettre dans un plus grand jour sa puissance divine: «Jésus leur parla de nouveau, disant: Je suis la lumière du monde». - Bède. Remarquez qu'il ne dit pas: Je suis la lumière des anges, ou la lumière du ciel, mais: «La lumière du monde», c'est-à-dire des hommes qui demeurent dans les ténèbres, selon cette prophétie de Zacharie dans saint Luc: «Pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort». - S. Chrys. (hom. 52 sur S. Jean). Ou bien encore, comme ils avaient toujours à la bouche la Galilée, et qu'ils doutaient s'il n'était pas un prophète, il veut leur prouver qu'il n'est pas un des prophètes, mais qu'il est le maître de l'univers entier: «Jésus leur parla de nouveau, disant: Je suis la lumière du monde», et non pas seulement la lumière de la Galilée, de la Palestine, de la Judée.

S. Aug. (Traité 34). Les Manichéens ont cru que le soleil qui éclaire les yeux de notre corps était Notre-Seigneur Jésus-Christ; mais l'Eglise catholique condamne cette interprétation, car Notre-Seigneur Jésus-Christ n'est point ce soleil qui a été créé, mais celui par lequel le soleil a été créé. Toutes choses, en effet, ont été faites par lui, et cette lumière qui a créé le soleil s'est faite visible pour nous sous le soleil, elle s'est couverte de la chair comme d'un nuage, non pour obscurcir, mais pour tempérer son éclat, c'est donc en parlant à travers le nuage de la chair, que la lumière indéfectible, la lumière de la sagesse a dit aux hommes: «Je suis la lumière du monde». - Théophyl. Vous pouvez vous servir de ces paroles pour combattre l'erreur de Nestorius. Notre-Seigneur, en effet, n'a pas dit: La lumière du monde est en moi, mais: «Je suis la lumière du monde»; car celui qui paraissait être un homme ordinaire, était en même temps le Fils de Dieu et la lumière du monde; et le Fils de Dieu n'habitait pas seulement dans l'homme, comme le prétendait sans fondement Nestorius.

S. Aug. (Traité 31). Le Sauveur vous rappelle des yeux du corps aux yeux du coeur par les paroles qui suivent: «Celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de vie; car il ne lui suffisait pas de dire: «Il aura la lumière», mais il ajoute: «De vie». Ces paroles du Sauveur s'accordent avec ces autres du psaume 33: «Nous verrons la lumière dans votre lumière, parce qu'en vous est une source de vie». Dans les choses extérieures qui sont à l'usage du corps, la lumière est différente de la source. La gorge altérée cherche la source, les yeux demandent la lumière; mais en Dieu la lumière est la même chose que la source, Dieu est tout à la fois la lumière qui brille pour vous éclairer, et la source qui coule pour étancher votre soif. L'effet de la promesse est au futur, dans les paroles du Sauveur, ce que nous devons faire est au présent: «Celui qui me suit, aura», il me suit actuellement par la foi, il me possédera plus tard dans ma nature. Suivez ce soleil visible, vous irez nécessairement à l'Occident, où il se dirige lui-même; et quand vous ne voudriez pas l'abandonner, il vous abandonnera lui-même. Votre Dieu, au contraire, est tout entier en tout lieu, et il n'aura jamais pour vous de couchant, si vous n'avez pas pour lui de défaillance. Les ténèbres les plus à craindre sont celles des moeurs et non les ténèbres des yeux, on du moins ce ne sont que les ténèbres des yeux intérieurs à l'aide desquels on distingue non le blanc du noir, mais le juste de l'injuste. - S. Chrys. (hom. 52). C'est dans un sens spirituel qu'il faut entendre ces paroles: «Il ne demeure pas dans les ténèbres», c'est-à-dire, il ne demeure pas dans l'erreur. Le Sauveur donne ici des éloges à Nicodème et aux serviteurs envoyés par les pharisiens, tandis que pour ces derniers il laisse à entendre qu'ils sont des artisans de ruses et de fraudes, qu'ils sont dans les ténèbres et dans l'erreur, mais que cependant ils ne triompheront point de la lumière.



vv. 13-18

12813 Jn 8,13-18

S. Chrys. (hom. 52 sur S. Jean). Notre-Seigneur venait de déclarer qu'il était la lumière du monde, et que celui qui le suivait ne marchait pas dans les ténèbres; les Juifs cherchent à détruire l'effet de ces paroles: «Alors les pharisiens lui dirent: Vous vous rendez témoignage à vous-même», etc. - Alcuin. Ils s'expriment vis-à-vis du Sauveur, comme s'il était le seul à se rendre témoignage, quoiqu'il fût certain que bien longtemps avant son incarnation, il s'était fait précéder par un grand nombre de témoins qui prédirent les mystères de sa vie.

S. Chrys. (hom. 52). Le Sauveur combat à son tour la raison qu'ils viennent de lui opposer: «Jésus leur répondit: Bien que je rende témoignage de moi-même, mon témoignage est vrai». Parlant de la sorte, il se conforme à l'opinion des Juifs, qui pensaient qu'il n'était qu'un homme, et il donne la raison de ce qu'il vient d'avancer: «Parce que je sais d'où je viens et où je vais», c'est-à-dire, que je suis de Dieu, Dieu moi-même, et Fils de Dieu. Il ne s'exprime pas aussi clairement suivant son habitude de voiler sous un langage plein d'humilité les vérités les plus élevées. Or, Dieu est pour lui un témoin assez digne de foi. - S. Aug. (Traité 35 sur S. Jean). En effet, le témoignage de la lumière est véritable, soit qu'elle se découvre elle-même, soit qu'elle se répande sur d'autres objets. Un prophète annonce la vérité, mais à quelle source a-t-il puisé ses oracles? A la source même de la vérité. Jésus pouvait donc parfaitement se rendre témoignage à lui-même. Il déclare qu'il sait d'où il vient et où il va, et il veut parler de son Père, car le Fils rendait gloire au Père qui l'avait envoyé, à combien plus forte raison l'homme doit-il glorifier le Dieu qui l'a créé? Toutefois le Fils de Dieu ne s'est point séparé de son Père en venant vers nous, de même il ne nous a pas délaissés en retournant vers lui. Qu'y a-t-il en cela d'étonnant puisqu'il est Dieu? Au contraire, cela est impossible à ce soleil visible, qui, lorsqu'il tourne vers l'Occident quitte nécessairement l'Orient. Or, de même que ce soleil visible répand sa lumière sur le visage de celui qui a les yeux ouverts et sur celui de l'aveugle, avec cette différence que l'un la voit et l'autre ne la voit pas: ainsi la sagesse de Dieu, c'est-à-dire, le Verbe de Dieu, est présent en tous lieux, même aux yeux des infidèles qui ne peuvent le voir, parce qu'ils n'ont pas les yeux du coeur. C'est donc pour établir cette différence entre ceux qui lui sont fidèles et les Juifs ses ennemis, comme entre les ténèbres et la lumière, que le Sauveur ajoute: «Pour vous, vous ne savez ni d'où je viens ni où je vais». Ces Juifs voyaient donc en lui un homme et ne pouvaient croire qu'il fût Dieu, c'est pourquoi il leur dit encore: «Vous, vous jugez selon la chair, lorsque vous dites: Vous rendez témoignage de vous-même, votre témoignage n'est pas véritable». - Théophyl. C'est-à-dire, vous me voyez revêtu d'un corps mortel, vous concluez que je ne suis qu'un homme, et vous ne voulez pas croire que je suis Dieu, c'est en quoi vous vous trompez en jugeant selon la chair. - S. Aug. (Traité 36). Comme vous ne pouvez comprendre que je sois Dieu, et que vous ne voyez en moi qu'un homme, vous regardez comme une témérité présomptueuse que je me rende témoignage à moi-même, car tout homme qui veut se rendre un témoignage favorable encourt le soupçon d'orgueil et de présomption. Les hommes sont faibles de leur nature, ils peuvent dire la vérité, ils peuvent aussi mentir, mais pour la lumière elle est incapable de mentir.

S. Chrys. (hom. 52). Ou bien encore, vivre selon la chair, c'est vivre d'une manière coupable, ainsi juger selon la chair, c'est faire des jugements injustes. Et comme ils pouvaient lui dire: Si nous jugeons injustement, pourquoi ne pas démontrer l'injustice de nos jugements, pourquoi ne pas nous condamner? Il ajoute: «Moi, je ne juge personne». - S. Aug. (Traité 36). Ce qui peut s'entendre de deux manières: Je ne juge personne actuellement, comme il dit dans un autre endroit: «Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde». Il ne nie pas le pouvoir qu'il a de juger, il en diffère l'exercice. Ou bien encore, il venait de leur dire: «Vous, vous jugez selon la chair», et il ajoute: «Pour moi, je ne juge personne», sous-entendez selon la chair, c'est-à-dire, que Jésus-Christ ne juge pas comme il a été jugé. Car afin que chacun reconnaisse que le Sauveur est juge dès maintenant, il ajoute: «Et si je juge, mon jugement est vrai».

S. Chrys. (hom. 52). Tel est donc le sens de ses paroles, si je vous dis: «Je ne juge personne»; ce n'est pas que je ne sois sûr de mon jugement, car si je voulais juger, mon jugement serait juste, mais le temps déjuger n'est pas encore venu. Il leur annonce ensuite indirectement le jugement futur en ajoutant: «Parce que je ne suis pas seul, mais moi et mon Père qui m'a envoyé», et leur apprend que son Père doit se joindre à lui pour les condamner. Il répond ainsi en se conformant à leurs pensées, car ils ne croyaient pas que le Fils fut digne de foi, à moins de joindre le témoignage du Père à son propre témoignage.

S. Aug. (Traité 36). Mais si le Père est avec vous, comment vous a-t-il envoyé? Donc, Seigneur, votre mission, c'est votre incarnation. Le Fils de Dieu incarné, le Christ était donc avec nous sans qu'il eût quitté son Père, parce que le Père et le Fils étaient partout en vertu de l'immensité divine. Rougissez donc, disciple de Sabellius, car Jésus ne dit pas: Je suis le Père, et en même temps: Je suis le Fils, mais: «Je ne suis pas seul, parce que mon Père est avec moi». Distinguez donc les personnes, faites cette distinction par l'intelligence, reconnaissez que le Père est le Père, et que le Fils est le Fils, mais ne dites pas: Le Père est plus grand, le Fils lui est inférieur. Ils ont une même substance, une même éternité, une égalité parfaite. Donc, dit le Sauveur, mon jugement est vrai, parce que je suis le Fils de Dieu. Comprenez cependant dans quel sens le Père est avec moi, je ne suis pas son Fils, de manière à être séparé de lui, j'ai pris la forme de serviteur, mais je n'ai pas perdu celle de Dieu.

Après avoir parlé du jugement, il en vient au témoignage: «Il est écrit dans votre loi que le témoignage de deux hommes est vrai». - S. Aug. (contr. Faust., 16, 13). Les manichéens vont-ils trouver dans ces paroles un nouveau sujet de calomnie, parce que le Sauveur ne dit pas: Il est écrit dans la loi de Dieu, mais; «Il est écrit dans votre loi ?» Qui ne reconnaît ici une expression consacrée dans les Écritures? Votre loi signifie ici la loi qui vous a été donnée, de même que l'Apôtre appelle son Évangile (Rm 2), l'Évangile qu'il déclare avoir reçu, non par un homme, mais par la révélation de Jésus-Christ. (Ga 2)

S. Aug. (Traité 36). Ces paroles que Dieu dit à Moïse: «Que tout soit assuré par la déposition de deux ou trois témoins», (Dt 19,18) ne laissent pas de soulever une grande difficulté et paraissent renfermer un sens mystérieux; car il peut arriver que deux témoins se rendent coupables de mensonge. La chaste Suzanne était accusée par deux faux témoins (Da 13); le peuple juif tout entier se rendit coupable de calomnies atroces contre Jésus-Christ (Mt 27); comment donc entendre ces paroles: «Tout sera assuré par la déposition de deux ou trois témoins», si nous n'y voyons une allusion mystérieuse à la sainte Trinité, qui possède éternellement l'immuable vérité? Recevez donc, dit le Sauveur, notre témoignage, si vous ne voulez éprouver la rigueur de notre jugement; je diffère le jugement, mais je ne diffère point le témoignage: «Or, je rends moi-même témoignage de moi», etc. - Bède. Nous voyons dans bien des passages de l'Ecriture, que le Père rend témoignage à son Fils, comme dans le Psaume 2: «Je vous ai engendré aujourd'hui», et dans saint Matthieu (3 et 17), où le Père dit de lui: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé».

S. Chrys. (hom. 52). Ou bien encore, si l'on prend cette parole dans le sens le plus simple, elle présente une véritable difficulté. Parmi les hommes, il a été établi que toute déposition doit être appuyée sur le témoignage de deux ou trois témoins, parce qu'un seul témoin n'est pas digne de foi; mais comment faire à Dieu l'application de cette règle? Cependant cette proposition n'a point d'autre raison d'être. Parmi les hommes, lorsque deux témoins déposent sur un fait qui ne leur est point personnel, leur témoignage est vrai, parce que c'est le témoignage de deux personnes distinctes, mais si l'un des deux vient à se rendre témoignage à lui-même, ce ne sont plus deux témoins, il n'y a plus qu'un seul. Notre-Seigneur ne s'est donc exprimé de la sorte que pour montrer qu'il n'est pas inférieur à son Père, autrement il n'aurait pas dit: «Moi et mon Père qui m'a envoyé». Considérez encore que sa puissance n'est en rien au-dessous de celle de son Père. Lorsqu'un homme est par lui-même digne de foi, il n'a pas besoin d'un autre témoignage, lorsqu'il s'agit d'un fait qui lui est étranger; mais dans une affaire personnelle où il a besoin du témoignage d'autrui, il n'est plus également digne de foi. Ici c'est tout le contraire, le Sauveur rend témoignage dans sa propre cause, tout en ayant pour lui le témoignage d'un autre, et il se déclare digne de foi.

Alcuin. On peut encore entendre ces paroles dans ce sens: Votre loi reçoit comme vrai le témoignage de deux hommes qui peuvent être trompés et tromper eux-mêmes, ou faire des déclarations fausses et incertaines, pourquoi donc refusez-vous d'admettre comme véritable le témoignage de mon Père et le mien, qui a pour lui la garantie de la plus haute vérité ?


vv. 19-20

12819 Jn 8,19-20

S. Aug. (Traité 37 sur S. Jean). Notre-Seigneur avait reproché aux Juifs de juger selon la chair, et ils justifient la vérité de ce reproche, en prenant dans un sens charnel le Père dont il leur parlait: «Ils lui dirent donc: Où est votre Père», etc. C'est-à-dire, nous vous avons entendu dire: «Je ne suis pas seul, mais moi et le Père qui m'a envoyé»; cependant nous ne voyons que vous, montrez-nous donc que votre Père est avec vous.

Théophyl. Il on est qui voient dans ces paroles des Juifs, une intention d'outrager le Sauveur et de le couvrir de mépris; ils lui demandent insolemment où est son Père, comme s'il était le fruit de la fornication, ou comme s'il était le Fils d'un père inconnu ou d'un homme d'une condition obscure, tel qu'était Joseph, qui passait pour être son père. Ils semblent lui dire: Votre père est un homme sans considération, sans nom dans le monde, pourquoi nous parler sans cesse de votre Père? Ce n'est point par le désir de s'instruire, mais pour éprouver le Sauveur qu'ils lui adressent cette question; aussi ne veut-il pas y répondre, et il se contente de leur dire: «Vous ne me connaissez, ni moi ni mon Père».

S. Aug. (Traité 37). C'est-à-dire, vous me demandez où est mon Père, comme si vous me connaissiez déjà, comme si je n'étais que ce que vous voyez. Or, c'est parce que vous ne me connaissez pas, que je ne veux pas vous faire connaître mon Père; vous ne voyez en moi qu'un homme, et par-là même vous me cherchez un Père qui ne soit aussi qu'un homme. Mais comme indépendamment de ce que vous voyez, je suis encore autre chose que vous ne voyez pas, et qu'inconnu de vous, je vous parle; de mon Père qui vous est également inconnu, il faudrait que vous me connaissiez d'abord avant de connaître mon Père: «Si vous me connaissiez, ajoute-t-il, peut-être connaîtriez-vous mon Père». - S. Chrys. (hom. 52). En leur parlant de la sorte, il leur fait voir qu'il ne leur sert de rien de connaître le Père, s'ils ne connaissent le Fils.

Orig. (Traité 19 sur S. Jean). Il semble y avoir contradiction entre ce que dit ici Notre-Seigneur: «Vous ne me connaissez ni moi ni mon Père», et ce qu'il a dit plus haut: «Vous savez qui je suis et d'où je suis». Mais cette espèce de contradiction disparaît, lorsqu'on fait attention que ces paroles: «Vous savez qui je suis», s'adressent à quelques habitants de Jérusalem, qui disaient: «Est-ce que les chefs de la nation ont reconnu qu'il était le Christ ?» Tandis que c'est aux pharisiens que le Sauveur dit: «Vous ne me connaissez pas». Cependant il est vrai que dans ce qui précède, nous voyons Jésus dire aux habitants de Jérusalem: Celui qui m'a envoyé est véridique, et vous ne le connaissez pas. On se demande donc, comment il a pu dire ici: «Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père», alors que les habitants de Jérusalem, à qui il dit ailleurs: «Vous savez qui je suis», n'ont pas connu son Père. Nous répondons que le Sauveur parle tantôt de lui en tant qu'il est homme, et tantôt en tant qu'il est Dieu. Ces paroles: «Vous savez qui je suis», doivent s'entendre de lui comme homme; et ces autres: «Vous ne me connaissez pas», veulent dire: Vous ne me connaissez pas comme Dieu. - S. Aug. (Traité 37). Que signifient ces paroles: «Si vous me connaissiez vous connaîtriez mon Père», si ce n'est: «Mon Père et moi nous ne faisons qu'un» (Jn 10,30). Lorsque vous rencontrez une personne qui ressemble à une autre, vous dites tous les jours: Si vous avez vu l'une, vous avez vu l'autre, et c'est la ressemblance parfaite de ces deux personnes qui vous fait tenir ce langage. Voilà aussi pourquoi Notre-Seigneur dit aux Juifs: Si vous me connaissiez, vous connaîtriez mon Père, non que le Père soit le Fils, mais parce que le Fils est semblable au Père.

Théophyl. Que les ariens rougissent en entendant ces paroles, car si, comme ils le prétendent, le Fils est une simple créature, comment celui qui connaît cette créature peut connaître par là même Dieu. Est-ce que celui qui connaît la nature d'un ange, connaît par là même la nature divine? Donc puisque celui qui connaît le Fils, connaît le Père, le Fils est nécessairement consubstantiel au Père.

S. Aug. (Traité 37). Cette locution «peut-être», qui parait être une expression dubitative, est une parole de reproche; ainsi les hommes s'expriment d'une manière dubitative sur des choses qu'ils regardent comme certaines, par exemple, dans un mouvement d'indignation contre votre serviteur, vous lui dites: Tu me méprises, veuille y réfléchir, peut-être suis-je ton maître. C'est ainsi que Notre-Seigneur s'exprime vis-à-vis des Juifs infidèles, lorsqu'il leur dit: «Peut-être connaîtriez-vous aussi mon Père».

Orig. Examinons ici l'opinion de certains hérétiques qui prétendent pouvoir prouver clairement par ces paroles, que le Dieu qu'adoraient les Juifs n'était pas le Père de Jésus-Christ; car, disent-ils, c'est aux pharisiens qui adoraient un Dieu maître du monde, que le Sauveur tenait ce langage. Or, il est certain que les pharisiens n'ont jamais connu un Père de Jésus différent du Créateur du monde. En parlant de la sorte, ces hérétiques ne réfléchissent pas sur le langage ordinaire des Écritures. En effet, qu'un homme veuille nous exposer les notions sur la divinité, qu'il doit à l'instruction que lui ont donnée ses parents, sans prendre soin d'y conformer sa conduite; nous disons qu'il n'a pas la connaissance de Dieu; voilà pourquoi l'Ecriture dit des fils d'Héli, par suite de leur méchanceté, qu'ils ne connaissaient pas Dieu; (1S 2,12) c'est ainsi que les pharisiens eux-mêmes n'ont pas connu Dieu, parce qu'ils ne vivaient pas conformément aux préceptes du Créateur. Il y a d'ailleurs une autre manière d'entendre la connaissance de Dieu. En effet, connaître Dieu, c'est autre chose que de croire simplement en Dieu. Nous lisons dans le Ps 45,10: «Soyez dans le repos et considérez que c'est moi qui suis Dieu». Qui ne reconnaîtra que ces paroles sont écrites pour le peuple, qui croit en Dieu créateur de cet univers? Il y a une grande différence entre la foi jointe à la connaissance, et la foi seule. Jésus aurait pu avec raison dire aux pharisiens à qui il reproche de ne connaître ni son Père ni lui: Vous ne croyez pas à mon Père; car celui qui nie l'existence du Fils, nie par là même l'existence du Père, c'est-à-dire qu'il n'admet le Père ni par la foi, ni par la connaissance. Suivant l'Ecriture, il y a encore une autre manière de connaître quelqu'un, c'est de lui être uni. Aussi Adam connut sa femme lorsqu'il lui fut uni; (Gn 4) celui qui s'attache à une femme, connaît cette femme, et celui qui s'attache au Seigneur, devient un seul esprit avec lui, (1Co 6,17) et connaît Dieu. S'il en est ainsi, les pharisiens n'ont connu ni le Père, ni le Fils. Enfin il y a aussi une différence entre connaître Dieu, et connaître le Père, c'est-à-dire qu'on peut connaître Dieu sans connaître le Père. Ainsi dans le nombre presque infini de prières que nous trouvons dans l'ancienne loi, nous n'en trouvons aucune où Dieu soit invoqué comme Père, les Juifs le priaient et l'invoquaient comme Dieu et Seigneur, pour ne pas prévenir la grâce que Jésus devait répandre sur le monde entier, en appelant tous les hommes à l'honneur de la filiation divine, suivant ces paroles: «J'annoncerai votre nom à mes frères» (Ps 21)

«Jésus parla de la sorte, dans le parvis du Trésor, lorsqu'il enseignait dans le temple». - Alcuin. Le mot gaza dans la langue persane signifie richesse, et le mot grec öõëÜîáé signifie conserver, c'était l'endroit du temple où l'on conservait les offrandes. - S. Chrys. (hom. 53 sur S. Jean). Le Sauveur parlait comme maître et docteur dans le temple, ce qui aurait dû les toucher davantage: mais ce qu'il disait les blessait, et ils l'accusaient de se faire égal à Dieu le Père. - S. Aug. (Traité 37) Il montre une grande confiance sans mélange d'aucune crainte, car il pouvait ne rien souffrir, à moins qu'il ne le voulût: «Et personne ne se saisit de lui, dit l'Évangéliste, parce que son heure n'était pas encore venue». Il en est qui, en entendant ces paroles, prétendent que Jésus était soumis aux lois du destin. Mais si le mot latin fatum (destin) vient du verbe fari, qui veut dire parler, comment admettre que le Verbe, la parole de Dieu, soit esclave du destin? Où sont les destins? Dans le ciel, direz-vous, où ils dépendent du cours et des révolutions des astres. Mais comment encore soumettre à ce destin celui qui a créé le ciel et les astres, alors que votre volonté à vous-même, si vous êtes conduit par la sagesse, s'élève bien au-dessus des astres. Est-ce parce que vous avez appris que le corps de Jésus-Christ a vécu sous le ciel, que vous voulez soumettre sa puissance à l'influence des cieux? Comprenez donc que «son heure n'était pas encore venue», non pas l'heure où il souffrirait la mort malgré lui, mais l'heure où il daignerait l'accepter volontairement.

Orig. (Traité 19) Toutes les fois que l'Évangéliste mentionne cette circonstance: «Jésus parla de la sorte en tel lieu», si vous voulez y faire attention, vous découvrirez que ce n'est pas sans raison qu'il s'exprime ainsi. Le Trésor était l'endroit où se conservait l'argent destiné au service du temple et à la subsistance des pauvres; les pièces de monnaie sont les paroles divines qui sont marquées à l'effigie du grand roi. Or, chacun doit concourir à l'édification de l'Eglise, en déposant dans le trésor spirituel tout ce qui peut contribuer à l'honneur de Dieu, au bien général; et puisque tous les Juifs déposaient leurs offrandes volontaires dans le trésor, il était juste aussi que Jésus mît son offrande dans le trésor, c'est-à-dire les paroles de la vie éternelle. Personne n'osa se saisir de la personne du Sauveur, tandis qu'il parlait dans le temple, parce que ses discours étaient plus forts que ceux qui voulaient s'emparer de lui, car il n'y a aucune faiblesse dans ceux qui sont les instruments et les organes du Verbe de Dieu.

Bède. Ou bien encore, Jésus parle dans le parvis du Trésor, parce qu'il parlait aux Juifs en paraboles, et il commença à ouvrir le trésor, lorsqu'il découvrit à ses disciples les mystères des cieux. Or, le trésor était une dépendance du temple, parce que toutes les prophéties figuratives de la loi et des prophètes avaient le Sauveur pour objet.



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