Catena Aurea 13011

vv. 11-13

13011 Jn 10,11-13

S. Aug. (Traité 46 sur S. Jean). Notre-Seigneur nous a déjà expliqué deux choses qu'il nous avait proposées sous le voile de la parabole; nous savons déjà qu'il est lui-même la porte, nous savons qu'il est lui-même le pasteur; il va maintenant prouver qu'il est le bon pasteur: «Je suis le bon pasteur». (Traité 47). Il avait dit précédemment que le pasteur entre par la porte; si donc il est lui-même la porte, comment peut-il entrer par lui-même? Le Fils de Dieu connaît le Père par lui-même, et nous ne le connaissons que par lui; ainsi il entre dans la bergerie par lui-même, tandis que nous n'y entrons que par lui. Nous, qui prêchons Jésus-Christ, nous entrons par la porte; Jésus-Christ, au contraire, se prêche lui-même, car la lumière se manifeste elle-même en découvrant les autres objets qu'elle éclaire. (Traité 46). Si les chefs de l'Eglise, qui sont ses enfants, sont pasteurs, comment peut-il dire qu'il n'y a qu'un seul pasteur, si ce n'est parce qu'ils sont tous les membres d'un seul et même pasteur? (Traité 47). Il a communiqué à ses membres son titre et ses fonctions de pasteur; ainsi Pierre est pasteur, les autres apôtres sont pasteurs, tous les saints apôtres sont eux-mêmes pasteurs. Mais personne d'entre nous n'ose se dire la porte; c'est une prérogative que le Sauveur s'est réservée à l'exclusion de tout autre. Il n'aurait pas ajouté au nom de pasteur la qualification de bon, s'il n'y avait de mauvais pasteurs; ce sont les voleurs et les larrons, ou du moins les mercenaires, qui sont en grand nombre. - S. Grég. (hom. 14 sur les Evang). Il propose ensuite à notre imitation l'exemple de sa bonté et de son dévouement pour ses brebis. «Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis». Il a fait lui-même ce qu'il nous enseigne; il pratique le commandement qu'il nous a imposé, il a donné sa vie pour ses brebis, afin de faire de son corps et de son sang un véritable sacrement pour nous, et rassasier de sa chair, devenue notre aliment, les brebis qu'il avait rachetées; il nous a tracé, pour que nous la suivions, la voie du mépris de la mort; il nous a donné le modèle que nous devons reproduire. Notre premier devoir est de distribuer charitablement nos biens à ses brebis; le second, de sacrifier généreusement, s'il le faut, notre vie pour elles. Mais celui qui ne sacrifie même pas ses biens pour ses brebis, quand sera-t-il disposé à sacrifier sa vie ?

S. Aug. (Traité 47) Or, le Christ n'est pas le seul qui ait donné personnellement cette preuve de charité, et cependant on peut dire que c'est lui seul qui l'a donnée, dans la personne de ceux qui étaient ses membres; car lui seul pouvait la donner sans eux, tandis qu'ils ne pouvaient, sans lui, accomplir cet acte de dévouement. - S. Aug. (Serm. 50 sur les paroles du Seig). Tous cependant ont été de bons pasteurs, non seulement parce qu'ils ont versé leur sang, mais parce qu'ils l'ont versé pour leurs brebis, et qu'ils l'ont versé non par orgueil, mais par charité. Il est des hérétiques, en effet, qui osent décorer du nom de martyre les tribulations qu'ils ont pu souffrir à cause de leurs erreurs et de leurs iniquités, et qui se couvrent de ce manteau pour pouvoir plus facilement voler et piller, parce qu'ils sont de véritables loups. Mais gardons-nous de croire que tous ceux qui livrent leur corps au supplice même du feu versent leur sang pour les brebis, c'est bien plutôt contre elles qu'ils le versent. Car, comme dit l'Apôtre: «Quand je livrerai mon corps pour être brûlé, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien» (1Co 13,3). Or, comment peut-on prétendre avoir le moindre degré de charité, quand on n'aime pas l'unité de la communion chrétienne? C'est pour nous recommander cette unité que le Seigneur ne veut point dire qu'il y a plusieurs pasteurs, mais un seul, en disant: «Je suis le bon pasteur».

S. Chrys. (hom. 89 sur S. Jean). Notre-Seigneur en vient ensuite à parler de sa passion, et à montrer qu'elle avait pour objet le salut du monde, et qu'il allait volontairement au-devant d'elle. Puis il expose de nouveau les signes distinctifs du pasteur et du mercenaire. «Mais le mercenaire et celui qui n'est pas le pasteur, à qui les brebis n'appartiennent pas, voit venir le loup, laisse là les brebis et s'enfuit». - S. Grég. Il en est quelques-uns qui, en préférant dans leur affection les avantages de la terre aux brebis elles-mêmes, perdent justement le nom de pasteur; car celui qui ne conduit pas ses brebis par un sentiment d'amour, mais pour un gain terrestre, n'est pas un pasteur, c'est un mercenaire. Le mercenaire, en effet, est celui qui tient la place du pasteur, mais ne cherche pas l'intérêt des âmes, ne soupire qu'après les richesses de la terre, et se complaît dans les prérogatives de sa dignité. - S. Aug. (Serm. 49 sur les par. du Seig). Il cherche donc dans l'Eglise autre chose que Dieu; s'il cherchait Dieu, il serait chaste, car le légitime époux de l'âme c'est Dieu, et celui qui demande à Dieu autre chose que Dieu lui-même, ne le cherche pas avec des dispositions pures.

S. Grég. - Ce n'est, du reste, que dans les temps d'épreuve qu'on peut distinguer parfaitement le pasteur du mercenaire; dans les temps de paix, le mercenaire veille ordinairement à la garde du troupeau comme le véritable pasteur: mais lorsque le loup survient, il découvre les vrais motifs qui inspiraient cette vigilance. - S. Aug. (Serm. 49 sur les par. du Seign). Le loup, c'est le démon et tous ceux qui font profession de le suivre; car, Notre-Seigneur lui-même nous dit que, tout revêtus qu'ils sont de peaux de brebis, ils sont au dedans des loups ravisseurs (Mt 7,15). - S. Aug. (Traité 46 sur S. Jean). Voici que le loup saisit la brebis à la gorge, le démon persuade à un fidèle de commettre un adultère, vous devez l'excommunier; mais cette excommunication le rendra votre ennemi déclaré, il vous tendra des pièges, et vous nuira autant qu'il le pourra; vous gardez le silence, vous ne lui faites aucun reproche; vous avez vu le loup qui venait, et vous vous êtes enfui; vous êtes resté de corps, mais vous vous êtes enfui d'esprit; car c'est par les affections que notre âme se meut, elle se répand par la foi, se resserre par la tristesse, marche par le désir, et s'enfuit par la crainte. - S. Grég. Le loup vient encore fondre sur les brebis toutes les fois qu'un homme injuste ou ravisseur opprime les fidèles et les humbles. Or, celui qui n'avait que l'extérieur du pasteur et ne l'était pas en effet, laisse les brebis et s'enfuit à son approche, parce que le danger qu'il redoute pour lui le rend incapable de résister à l'injustice; et il s'enfuit non pas en changeant de lieu, mais en privant ses brebis de son appui. A la vue des dangers que court son troupeau, le mercenaire n'est enflammé d'aucun sentiment de zèle; et il supporte avec indifférence les maux qui viennent fondre sur ses brebis, parce qu'il n'est préoccupé que de ses intérêts personnels. «Le mercenaire s'enfuit», etc. L'unique raison pour laquelle le mercenaire s'enfuit, c'est qu'il est mercenaire; et voici le sens de ces paroles: Celui qui dirige les brebis non par un sentiment d'amour, mais en vue d'un gain sordide, ne peut supporter le danger qui menace les brebis, et il redoute de l'affronter, parce qu'il craint de perdre ce qu'il aime.

S. Aug. (Tr. 46 sur S. Jean). Les Apôtres étaient des pasteurs et non des mercenaires, et pourquoi donc fuyaient-ils devant la persécution, obéissant en cela au conseil du Sauveur: «S'ils vous persécutent, fuyez» (Mt 10,23)? Frappons, quelqu'un nous ouvrira. - S. Aug. (Lett. 180 à Honor). Les serviteurs de Jésus-Christ, les ministres de sa parole et de ses sacrements peuvent fuir de ville en ville, lorsqu'un d'entre eux est l'objet spécial de la haine des persécuteurs, à la condition que l'Eglise ne soit pas abandonnée par ceux qu'épargne la persécution. Mais lorsque le danger devient commun pour tous, pour les évêques, pour les clercs, pour les simples fidèles, ceux qui ont besoin du ministère de leurs frères ne doivent pas être abandonnés par eux. Que tous donc s'enfuient alors dans des lieux de sûreté, ou que ceux qui sont obligés de rester ne soient pas privés du ministère de ceux qui doivent pourvoir à leurs besoins spirituels. Ainsi il est permis aux ministres de Jésus-Christ de fuir devant la persécution, quand ils ne laissent pas derrière eux tout un peuple qui réclame leur ministère, ou lorsque ce ministère peut être rempli par ceux qui n'ont pas les mêmes raisons de fuir. Mais si le peuple est obligé de rester et que les ministres le laissent sans secours en s'enfuyant, c'est la fuite honteuse et inexcusable des mercenaires qui n'ont aucun souci de leurs brebis.

S. Aug. (Traité 46 sur S. Jean). Parmi les bons, il nous faut donc compter la porte, le portier, le pasteur et les brebis; parmi les mauvais, les voleurs, les larrons, les mercenaires et les loups. - S. Aug. (serm. 49 sur les par. du Seig). Il faut aimer le pasteur, se garder du voleur, supporter le mercenaire, car le mercenaire peut être utile tant qu'il ne voit point le loup, le voleur ou le larron, mais à leur vue seule, il s'enfuit. - S. Aug. (Traité 46 sur S. Jean). On ne lui donne le nom de mercenaire, que parce qu'il est payé par celui qui le loue. Les enfants attendent patiemment l'héritage de leur père, le mercenaire soupire ardemment après le salaire qu'il regarde comme le prix de son travail, et cependant la gloire du divin Sauveur se répand par la bouche de chacun d'eux. Le mercenaire n'est donc nuisible que lorsqu'il fait mal et non lorsqu'il annonce la bonne doctrine: cueillez le raisin, gardez-vous des épines. Quelquefois, en effet, la grappe de raisin qu'a produite le cep de vigne, pend aux branches d'un buisson; il en est beaucoup dans l'Eglise, qui cherchent leurs avantages temporels en prêchant Jésus-Christ, la voix de Jésus-Christ se fait entendre par eux, et les brebis suivent alors, non pas le mercenaire, mais la voix de Jésus-Christ qui se fait entendre par le mercenaire.


vv. 14-21

13014 Jn 10,14-21

S. Chrys. (hom. 60 sur S. Jean). Notre-Seigneur a fait connaître dans ce qui précède l'existence de deux mauvais maîtres, l'un qui vole, égorge et pille, l'autre qui ne s'y oppose point; par le premier il veut représenter les auteurs de sédition; et par le second, confondre les docteurs des Juifs, qui ne veillaient point sur les brebis qui leur étaient confiées. Il se sépare nettement de ces deux maîtres, d'abord de ceux qui ne venaient que pour perdre en disant: «Je suis venu pour qu'elles aient la vie» (Jn 10,10), et ensuite de ceux qui voient avec indifférence les rapines des loups, en déclarant qu'il donne sa vie pour ses brebis, et comme conclusion de tout ce qui précède, il dit: «Je suis le bon pasteur». Mais comme il venait de dire que les brebis entendent la voix du pasteur et le suivent, on pouvait lui objecter: «Que dites-vous donc de ceux qui ne croient point en vous»; il ajoute donc: «Et je connais mes brebis», etc. Vérité que saint Paul confirme, lorsqu'il dit: «Dieu n'a pas rejeté son peuple qu'il a connu dans sa prescience» (Rm 11,2). - S. Chrys. Il semble dire ouvertement: J'aime mes brebis, et leur amour pour moi est le principe de leur obéissance, car celui qui n'aime pas la vérité n'en a pas la moindre intelligence. - Théophyl. Vous pouvez conclure de là quelle différence sépare le pasteur du mercenaire, le mercenaire ne connaît pas les brebis, parce qu'il les visite rarement; le pasteur les connaît en vertu de la sollicitude qu'il a pour son troupeau.

S. Chrys. Gardez-vous de croire cependant que la connaissance de Jésus-Christ et celle des brebis soit la même: «Comme mon Père me connaît, ajoute-t-il, et que moi-même je connais mon Père», etc., c'est-à-dire, je le connais avec autant de certitude qu'il me connaît lui-même, la connaissance du Père et du Fils est donc la même, il n'en est pas de même de la connaissance des brebis, car il ajoute: «Et je donne ma vie pour mes brebis». - S. Grég. (hom. 14). La preuve évidente que je connais mon Père, et que mon Père me connaît, c'est que je donne ma vie pour mes brebis, c'est-à-dire, la charité qui me porte à sacrifier ma vie pour mes brebis fait voir la grandeur de l'amour que j'ai pour mon Père. - S. Chrys. Il prouve en même temps qu'il n'est pas un imposteur, de même que le grand Apôtre voulant prouver contre les faux apôtres qu'il était un véritable maître, puisait ses raisons dans les dangers qu'il avait courus et dans les périls de mort auxquels il avait été exposé. - Théophyl. En effet, les séducteurs n'ont jamais exposé leur vie pour leur brebis, mais comme des mercenaires, ils ont abandonné ceux qui les suivaient, et le Sauveur, pour qu'on ne se saisît pas de la personne de ses disciples, dit à ses ennemis: «Laissez-les aller» (Jn 18,8).

S. Grég. Cependant comme le Sauveur était venu racheter, non seulement les Juifs, mais les Gentils, il ajoute: «J'ai encore d'autres brebis qui ne sont point de cette bergerie». - S. Aug. (serm. 50 sur les par. du Seig). Il s'adressait tout d'abord au bercail qui était composé des enfants d'Israël par le sang, il y en avait d'autres qui en faisaient partie par la foi, ils étaient encore au milieu des Gentils, ils étaient prédestinés, mais ils n'étaient pas encore réunis. Ils ne sont donc pas encore de cette bergerie, parce qu'ils n'appartiennent point par le sang à la race d'Israël, mais ils en feront un jour partie d'après la parole du Sauveur: «Il faut que je les amène», etc. - S. Chrys. (hom. 60). Il nous apprend ainsi que les uns et les autres étaient dispersés et n'avaient point de pasteurs: «Et ils entendront ma voix», paroles dont voici le sens: Pourquoi vous étonner que les premiers me suivront et entendront ma voix, quand vous verrez les autres eux-mêmes se mettre à ma suite et écouter ma voix? Il prédit ensuite l'union future des deux troupeaux: «Et il n'y aura qu'une bergerie et qu'un pasteur». - S. Grég. Il ne fait de ces deux troupeaux qu'une seule bergerie, parce qu'il unit dans les liens d'une seule et même foi les Juifs et les Gentils. - Théophyl. Tous deux, en effet, n'ont qu'un seul et même sacrement du baptême, un seul et même pasteur qui est le Verbe de Dieu. Que les manichéens comprennent donc ici que l'Ancien et le Nouveau Testament n'ont qu'un seul pasteur et un seul bercail. - S. Aug. (Traité 17). Que signifient alors ces paroles: «Je ne suis envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël ?» (Mt 15,24 C'est que le peuple d'Israël seul a joui de sa présence corporelle, et qu'il n'a pas été en personne vers les Gentils, mais qu'il leur a envoyé ses Apôtres.

S. Chrys. (hom. 60). Ce mot: «Il faut», n'exprime pas la nécessité, mais la certitude de l'événement, et comme les Juifs prétendaient que Jésus était en opposition avec le Père, il ajoute: «Mon Père m'aime, parce que je donne ma vie pour la reprendre». - S. Aug. C'est-à-dire, parce que je meurs pour ressusciter. Remarquez la force de cette expression: «Je donne ma vie». Que les Juifs cessent de se glorifier, ils pourront se déchaîner contre moi, mais si je ne consens à donner ma vie, à quoi peuvent aboutir les efforts de leur fureur? Or, l'amour que le Père a pour le Fils, n'est pas comme le prix de la mort qu'il doit soutenir, mais il l'aime en contemplant dans ce Fils qu'il a engendré sa propre nature, alors qu'en vertu de ce même amour, il consent à donner sa vie pour nous.

S. Chrys. (hom. 60). On peut dire encore qu'en parlant de la sorte, il s'accommode à notre faiblesse et veut nous dire: Quand il n'y aurait pas d'autre motif, ce qui me porte à vous aimer, c'est l'amour que mon Père a pour vous, amour qui est si grand, qu'il m'aime moi-même, parce qu'il me voit disposé à mourir pour vous. Il ne faut pas toutefois l'entendre dans ce sens, que le Père n'aimait pas auparavant son Fils, et que nous soyons la cause de cet amour. Le Sauveur veut encore prouver que ce n'est point malgré lui qu'il a enduré les souffrances de sa passion: «Personne, dit-il, ne me la ravit, mais je la donne de moi-même». - S. Aug. (de la Trin., 4, 13). Ces paroles sont la preuve que sa mort n'a été l'effet et la suite d'aucun péché personnel, mais qu'il est mort parce qu'il l'a voulu, quand il l'a voulu, et de la manière qu'il l'a voulu: «Et j'ai le pouvoir de la donner, et le pouvoir de la reprendre». - S. Chrys. Combien de fois les Juifs avaient formé le projet de le mettre à mort, il leur déclare donc que tous leurs efforts sont inutiles, s'il ne consent à donner sa vie. J'ai tellement le pouvoir de la donner, dit-il, que personne ne peut me l'arracher malgré moi, pouvoir qui n'appartient pas à tous les hommes. Ainsi nous n'avons le pouvoir de donner notre vie qu'en nous donnant la mort à nous-mêmes, et Notre-Seigneur a le véritable pouvoir de la donner. De cette vérité suit nécessairement cette autre qu'il a le pouvoir de reprendre sa vie, et il donne ainsi une preuve certaine de sa résurrection. Mais comme ils auraient pu penser qu'après qu'ils l'auraient mis à mort, il serait abandonné de son Père, il ajoute: «J'ai reçu de mon Père ce commandement», c'est-à-dire, de donner ma vie et de la reprendre. Ne croyons pas cependant qu'il ait attendu que ce commandement lui ait été donné, et qu'il ait eu besoin de l'apprendre, il veut simplement montrer ici que sa volonté est libre, et détruire tout soupçon d'opposition entre lui et son Père. - Théophyl. Ce commandement, en effet, n'exprime autre chose que la parfaite harmonie entre son Père et lui. - Alcuin. Et ce n'est point par une parole extérieure que le Verbe a reçu ce commandement, car tout commandement a sa racine dans le Verbe, Fils unique du Père. Lors donc qu'on dit du Fils, qu'il reçoit ce qu'il possède, par sa nature, ce n'est point pour amoindrir sa puissance, mais pour prouver sa génération, car c'est par la génération que le Père a tout donné à son Fils, qu'il a engendré dans toute sa perfection.

Théophyl. Après avoir parlé de lui-même en termes aussi relevés et s'être donné pour le maître de la mort et de la vie, le Sauveur tempère de nouveau son langage, et unit ainsi les choses les plus contraires dans une admirable harmonie, afin que nous le considérions, non comme inférieur à son Père, ni comme son adversaire, mais comme possédant le même pouvoir et la même sagesse.

S. Aug. (Traité 47). La manière dont Notre-Seigneur parle ici de son âme, nous prémunit contre l'erreur des apollinaristes, qui prétendent que Jésus-Christ n'a pas eu d'âme humaine, c'est-à-dire, une âme intelligente et raisonnable. Dans quel sens donc Notre-Seigneur dit-il qu'il a le pouvoir de donner son âme ou sa vie? Jésus-Christ est à la fois Verbe et homme, c'est-à-dire, Verbe, âme et chair; or, est-ce comme Verbe qu'il donne son âme ou sa vie et qu'il la reprend? Ou bien est-ce en tant qu'il est une âme humaine que l'âme se donne et qu'elle se reprend? Ou bien encore est-ce en tant qu'il est chair, que la chair donne son âme ou la reprend? Si nous disons que le Verbe de Dieu a donné son âme et l'a reprise, donc cette âme a été pendant un certain temps séparée du Verbe de Dieu, puisque la mort sépare l'âme du corps; mais non, l'âme n'a jamais été séparée du Verbe. Si nous disons au contraire que l'âme elle-même s'est donnée, c'est une proposition absurde, car si elle ne pouvait être séparée du Verbe, pouvait-elle être séparée d'elle-même? C'est donc la chair qui laisse son âme pour la reprendre ensuite, non cependant par sa puissance, mais par la puissance du Verbe qui habitait en elle.

Alcuin. Et comme la lumière luisait dans les ténèbres, et que les ténèbres ne l'ont point comprise, l'Évangéliste ajoute: «Il s'éleva de nouveau une dissension parmi les Juifs, à l'occasion de ce discours, plusieurs d'entre eux disaient: Il est possédé du démon et il a perdu le sens». - S. Chrys. Ses enseignements dépassaient la portée de l'intelligence humaine, ils l'accusaient donc d'être possédé du démon; mais il trouve des défenseurs qui savent bien le venger de cette accusation par les oeuvres qu'il a faites: «D'autres disaient: Ce ne sont pas là les paroles d'un homme possédé du démon, est-ce que le démon peut ouvrir les yeux des aveugles ?» C'est-à-dire, ces paroles ne sont pas celles d'un homme possédé du démon, mais si elles ne suffisent point pour vous convaincre, laissez-vous au moins persuader par les oeuvres. Après cette démonstration tirée des faits eux-mêmes, Notre-Seigneur se tait sur le reste, car ils n'étaient pas dignes qu'il leur répondit. Il nous enseigne aussi à pratiquer dans toute leur étendue la douceur et la longanimité. D'ailleurs ils se réfutaient eux-mêmes les uns les autres par les divisions qui existaient entre eux.


vv. 22-30

13022 Jn 10,22-30

Alcuin. Nous avons entendu le récit de la patience du Seigneur, et comment les outrages dont il est l'objet ne peuvent interrompre pour lui le ministère de la prédication du salut, mais les Juifs, plus que jamais endurcis, cherchaient à le tenter plutôt qu'à lui obéir, voici dans quelles circonstances: «Or, c'était à Jérusalem la fête de la Dédicace». - S. Aug. (Traité 48). Le mot encoenia signifiait la fête de la Dédicace du temple, car le mot grec áéíüí veut dire nouveau, et on appelait encoenia, toute dédicace de chose nouvelle. - S. Chrys. (hom. 61). C'était l'anniversaire du jour où le temple fut de nouveau consacré, au retour des Juifs de la captivité de Babylone. - Théophyl. Ils célébraient cette fête avec une grande pompe, il leur semblait que la ville de Jérusalem avait recouvré tout son éclat après une si longue captivité. - Alcuin. Ou bien encore, cette dédicace était l'anniversaire de celle qu'avait faite Judas le Machabée, car la première dédicace avait été faite par Salomon en automne, la seconde par Zorobabel et Jésus au printemps, et celle-ci avait lieu en hiver, comme le remarque l'Évangéliste: «Et c'était l'hiver». - Bède. Nous lisons en effet, qu'il fut établi sous Judas Machabée, que l'anniversaire de cette dédicace aurait lieu solennellement tous les ans.

Bède. L'Évangéliste précise l'époque de cette fête qui avait lieu en hiver, pour nous faire comprendre que le temps de la passion était proche, car ce fut au printemps suivant qu'eut lieu la passion du Sauveur, et c'est pour cela qu'il se trouvait alors à Jérusalem. - S. Grég. (2 Mor., 2). Ou bien encore, il fait mention de la saison d'hiver pour exprimer la froide méchanceté qui avait gagné les coeurs des Juifs.

S. Chrys. Notre-Seigneur s'était rendu avec un grand empressement à cette solennité, et il restait d'ailleurs de préférence dans la Judée, parce que sa passion approchait: «Et Jésus se promenait dans le temple, sous le portique de Salomon». - Alcuin. On appelait portique de Salomon, celui où ce roi se tenait ordinairement pour la prière, et qui pour cette raison avait reçu son nom, car ces portiques qui entouraient le temple, tiraient leur nom de la partie du temple qu'ils entouraient. Or, si le Fils de Dieu a voulu fréquenter le temple où l'on n'offrait que la chair des animaux sans raison, combien plus aimera-t-il à visiter notre maison de prière où se fait la consécration de son corps et de son sang.

Théophyl. Efforcez-vous aussi pendant la durée de l'hiver, c'est-à-dire, durant cette vie présente si souvent agitée par les tempêtes de l'iniquité, de célébrer la dédicace spirituelle de votre temple, en vous renouvelant sans cesse vous-même et en disposant dans votre coeur les degrés qui vous élèvent jusqu'à Dieu, alors Jésus viendra à votre rencontre sous le portique de Salomon, et vous fera jouir d'une paix assurée sous son propre toit. Mais dans la vie future, nous n'aurons plus à célébrer les fêtes solennelles de la dédicace.

S. Aug. Comme le feu de la charité s'était éteint dans le coeur des Juifs, et qu'ils brûlaient au contraire de l'ardeur de faire le mal, ce n'est point la foi qui les amenait à Jésus, c'est le désir de le persécuter: «Les Juifs donc l'entourèrent et lui dirent: Jusques à quand tiendrez-vous notre esprit en suspens? Si vous êtes le Christ, dites-nous-le ouvertement». Ils lui font cette question, non qu'ils désirent connaître la vérité, mais pour trouver occasion de le calomnier. - S. Chrys. (hom. 61). Ils ne peuvent incriminer aucune de ses actions, ils désiraient donc trouver dans ses paroles un sujet d'accusation. Et voyez jusqu'où va leur perversité: lorsqu'il les enseigne par ses paroles, ils lui disent: «Quel miracle faites-vous ?» S'il fait des miracles pour démontrer sa divinité, ils viennent lui dire: «Si vous êtes le Christ, dites-le nous ouvertement», tant ils sont dominés par l'esprit de contradiction. Remarquez encore quelle haine dans ces paroles: «Si vous êtes le Christ, dites-le nous ouvertement». Mais Jésus parlait toujours en public, il assistait à toutes les grandes solennités, et ne disait rien en secret. Ils commencent toutefois par un langage plein de flatterie: «Jusques à quand tiendrez vous notre âme en suspens ?» pour le provoquer et le faire tomber dans un piège. - Alcuin. Ils reprochent à celui qui était venu sauver les âmes de tenir leur âme en suspens et dans l'incertitude.

S. Aug. Ils cherchaient à obtenir du Sauveur cet aveu: «Je suis le Christ», et comme ils n'avaient du Christ que des idées tout humaines, et qu'ils ne comprenaient point sa divinité prédite par les prophètes, s'il leur avait répondu qu'il était le Christ, ils l'auraient accusé d'usurper la puissance royale d'après la croyance où ils étaient que le Christ devait sortir de la race de David. - Alcuin. Ils pensaient donc à le livrer au gouverneur pour le faire punir comme usurpateur du pouvoir de l'empereur Auguste, mais Notre-Seigneur leur répond de manière à fermer la bouche des calomniateurs, à faire connaître aux fidèles qu'il est vraiment le Christ, et à dévoiler les mystères de sa divinité à ceux qui ne l'interrogeaient que sur son humanité: «Jésus leur répondit: Je vous parle et vous ne me croyez point». - S. Chrys. (hom. 61). Comme ils paraissaient vouloir se rendre à l'évidence seule de ses paroles, eux que tant d'oeuvres miraculeuses n'avaient pu persuader, il confond leur malice et semble leur dire: Si vous ne croyez pas à mes oeuvres, comment croirez-vous à mes paroles? et il leur fait connaître la raison de leur peu de foi: «Mais vous ne croyez point, parce que vous n'êtes point de mes brebis». - S. Aug. (Traité 48). Il leur tient ce langage, parce qu'il les voyait prédestinés à la mort éternelle et privés à jamais de la vie éternelle qu'il avait acquise par son sang, car ce qui fait les brebis c'est leur foi et leur obéissance à leur pasteur.

Théophyl. Après leur avoir déclaré qu'ils ne sont point de ses brebis, il les engage ensuite à le devenir, et leur en donne le moyen: «Mes brebis, leur dit-il, entendent ma voix». - Alcuin. C'est-à-dire, elles obéissent de coeur à mes préceptes, «et je les connais», c'est-à-dire, je les choisis, «et elles me suivent», en marchant ici dans les voies de la douceur et de l'innocence, et en entrant ensuite dans les joies de la vie éternelle: «Et je leur donne la vie éternelle». - S. Aug. (Traité 48). Ce sont les pâturages dont il avait dit précédemment: «Il trouvera des pâturages» (Jn 10,9). Ce pâturage excellent, c'est la vie éternelle, où l'herbe, loin de se flétrir, conserve toute sa verdure, mais pour vous, vous cherchez à me calomnier, parce que vous ne songez qu'à la vie présente: «Et elles ne périront pas à jamais»; ajoutez ce qu'il sous-entend: Pour vous, vous périrez éternellement, parce que vous n'êtes pas de mes brebis. - Théophyl. Mais comment Judas a-t-il péri? Parce qu'il n'a point persévéré jusqu'à la fin. Or, Jésus-Christ ne veut parler ici que de ceux qui persévèrent, car si quelques brebis se séparent du troupeau, et cessent de suivre le pasteur, elles s'exposent aussitôt aux plus grands dangers.

S. Aug. (Traité 48). Il explique ensuite pourquoi ses brebis ne périssent point; les brebis dont il est dit: «Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui» (2Tm 2,19), ni le loup ne les ravit, ni le voleur ne les enlève, ni le larron ne les égorge, celui qui sait le prix qu'elles lui ont coûté est assuré de n'en perdre aucune. - S. Hil. (de la Trin., 7) Cette parole est le témoignage d'une puissance qui a conscience d'elle-même; mais comme tout en ayant la nature même de Dieu, il faut cependant admettre qu'il est né de lui; il ajoute: «Ce que mon Père m'a donné est plus grand que toutes choses». Il ne dissimule point qu'il est né du Père, car ce qu'il a reçu du Père, il l'a reçu par sa naissance, et non dans la suite. - S. Aug. En effet, le Fils qui est né du Père, Dieu de Dieu, n'est point devenu son égal par un accroissement successif, il l'est par sa naissance seule. Voilà donc ce que mon Père m'a donné, et ce qui est plus grand que toutes choses, c'est que je suis son Verbe, son Fils unique, la splendeur de sa lumière. On ne peut donc ravir mes brebis d'entre mes mains, parce qu'on ne peut les ravir d'entre les mains de mon Père: «Et nul ne peut ravir ce qui est entre les mains de mon Père». Si par la main nous entendons la puissance, le Père et le Fils ont une seule et même puissance, parce qu'ils ont une seule et même divinité; mais si par la main nous entendons le Fils, c'est le Fils qui est la main du Père, ce qui ne veut point dire que Dieu le Père ait des membres comme ceux du corps de l'homme, mais qu'il a tout fait par son Fils (Jn 1,3). C'est ainsi que les hommes appellent leurs mains ceux de leurs semblables, qui sont les instruments de leurs volontés. Quelquefois même l'oeuvre de l'homme est appelée sa main, parce qu'elle est le produit de sa main, c'est ainsi qu'on dit qu'un homme reconnaît sa main lorsqu'il reconnaît son écriture. Dans cet endroit la main doit s'entendre de la puissance du Père et du Fils, de peur qu'en appliquant exclusivement au Fils cette dénomination, une pensée toute charnelle ne nous fasse chercher le Fils du Fils. - S. Hil. (de la Trin., 7) La main du Fils est ici appelée la main du Père, pour vous faire comprendre par une comparaison sensible, qu'ils ont une puissance de même nature, parce que la nature et la puissance du Père se trouvent également dans le Fils.

S. Chrys. Et afin que vous ne puissiez soupçonner que la puissance du Père vient au secours de la puissance du Fils, pour mettre les brebis en sûreté, Notre-Seigneur ajoute: «Mon Père et moi nous sommes un». - S. Aug. (Traité 48). Comprenez bien ces deux mots: «Un», et: «Nous sommes», et vous ne tomberez ni dans Charybde, ni dans Scylla. En disant: «Un», il vous délivre d'Arius, et en disant: «Nous sommes», il vous débarrasse de Sabellius; s'il y a unité, il n'y a donc point de différence; si: «Nous sommes», il y a donc Père et Fils. - S. Aug. (de la Trin., 6) Il a dit: «Nous sommes un», ce qu'il est, je le suis moi-même, quant à la nature, non quant à la relation de personne à personne. - S. Hil. (de la Trin., 8) Les hérétiques contraints d'avouer la vérité de ces paroles, s'efforcent de les dénaturer par leurs interprétations mensongères aussi ridicules qu'elles sont impies. Ils cherchent donc à les expliquer dans le sens d'unité parfaite de consentement; il y a, disent-ils, unité de volonté, mais non unité de nature, c'est-à-dire, que le Père et le Fils sont un, non par leur essence, mais par la conformité parfaite de leur volonté. Ils sont un, non par le mystère d'une économie quelconque, mais par la génération de la nature divine, parce que la nature divine ne dégénère en aucune manière par cette génération. Ils sont un, en ce sens que ce qui ne peut être ravi d'entre les mains du Fils, ne peut être ravi d'entre les mains du Père; parce que le Père agit en lui et en même temps que lui; puisqu'il est dans le Père, et que le Père est en lui. Ce n'est point là l'effet d'une création, mais de la naissance; ce n'est pas la volonté, mais la puissance qui agit ici, ce n'est point une simple unanimité de sentiments qui parle ici, c'est l'unité de nature. Nous ne nions donc pas l'unanimité de sentiments entre le Père et le Fils, ce que les hérétiques nous attribuent à tort en prétendant que nous n'admettons point cette unanimité entre le Père et le Fils, parce que nous voulons voir ici autre chose que l'unanimité. Qu'ils comprennent donc dans quel sens nous affirmons cette unanimité; le Père et le Fils sont un en nature, en honneur, en puissance, et une même nature ne peut avoir des volontés différentes.



Catena Aurea 13011