Catena Aurea 13227

vv. 27-33

13227 Jn 12,27-33

S. Chrys. (hom. 67 sur S. Jean). Aux exhortations que Notre-Seigneur faisait à ses disciples, de ne craindre ni les souffrances ni la mort; ils auraient pu répondre qu'il lui était facile, à lui, qui était placé en dehors des douleurs de notre humanité, de philosopher sur la mort et de les engager à supporter des épreuves dont il était affranchi; il prévient cette objection en leur faisant voir qu'il est lui-même exposé aux mêmes dangers, et que cependant, à cause du bien qui doit en résulter, il ne craint pas la mort. C'est ce qui lui fait dire: «Et maintenant mon âme est troublée». - S. Aug. (Traité 52). J'entends ces paroles: «Celui qui hait son âme en ce monde, la garde pour la vie éternelle»; et je me sens enflammé d'un saint mépris pour le monde, et la vapeur légère de cette vie, quelque prolongée qu'elle soit, n'est rien à mes yeux, l'amour des biens éternels me fait paraître viles toutes les choses de la terre; et voilà que j'entends de nouveau le Seigneur me dire: «Maintenant mon âme est troublée». Vous commandez à mon âme de vous suivre, mais je vois que la vôtre est dans le trouble; sur quel fondement m'appuyer, si la pierre elle-même succombe? Je reconnais, Seigneur, votre miséricorde; c'est votre charité qui est la cause de votre trouble, et vous voulez ainsi consoler et sauver du désespoir, qui les perdrait, les membres si nombreux de votre corps, qui sont troublés par suite des faiblesses nécessaires de leur nature. Notre chef a donc voulu ressentir en lui toutes les affections de ses membres. Son trouble ne vient donc point d'une cause étrangère, mais comme l'Évangéliste l'a remarqué plus haut, il s'est troublé lui-même. - S. Chrys. (hom. 67). Aux approches de sa croix, il fait paraître les sentiments qui sont propres à notre humanité, une nature qui a horreur de la mort, et qui s'attache à la vie présente, et il prouve ainsi qu'il n'était point étranger aux passions de notre humanité; car ce n'est pas plus un crime de désirer conserver la vie présente que ce n'est un crime d'éprouver le besoin de la faim. Le corps de Jésus-Christ était pur de tout péché, mais il n'était pas affranchi des infirmités de notre nature; c'était l'effet et la suite non de sa divinité, mais de son incarnation.

S. Aug. (Traité 52). Enfin que l'homme qui désire suivre le Sauveur, apprenne à quel moment il doit marcher à sa suite, voici peut-être une heure terrible; on vous donne le choix, ou de commettre l'iniquité, ou de souffrir la mort, votre âme faible se trouble; écoutez ce que Jésus ajoute: «Et que dirai-je ?» - Bède. C'est-à-dire, que dirai-je que ce qui peut être une leçon pour mes membres? «Père, sauvez-moi de cette heure». - S. Aug. C'est ainsi qu'il vous montre celui que vous devez invoquer, celui à la volonté duquel vous devez subordonner la vôtre; ne regardez donc pas comme une chute pour lui l'acte par lequel il veut vous tirer de votre misère, il a pris sur lui nos infirmités, pour enseigner à ceux qui sont dans la tristesse, à dire: «Non ce que je veux, mais ce que vous voulez». C'est ce que signifient les paroles suivantes: «Mais c'est pour cela que je suis arrivé à cette heure». - S. Chrys. C'est-à-dire, je n'ai rien à dire pour me dérober à la mort qui me menace, «car c'est pour cela que je suis arrivé à cette heure»; langage dont voici le sens: Malgré le trouble et l'agitation auxquels vous êtes en proie, ne cherchez pas à vous soustraire à la mort, puisque moi-même, malgré le trouble où mon âme est plongée, je ne demande pas d'y échapper (car il faut supporter ce qui doit arriver); je ne dis pas: Délivrez-moi de cette heure, mais au contraire: «Mon Père, glorifiez votre nom». Il montre ainsi qu'il meurt pour la vérité, ce qu'il appelle la glorification du nom de Dieu. C'est en effet ce qui s'est vérifié, puisqu'après le supplice de la croix, l'univers entier devait se convertir, connaître et adorer le nom de Dieu, ce qui était autant la gloire du Fils que du Père, mais Jésus ne dit rien de ce qui lui était personnel.

«Et une voix vint du ciel: Je l'ai glorifié, et je le glorifierai encore». - S. Grég. (Moral., 28, 2). C'est par le ministère d'un ange que Dieu fit entendre ces paroles, puisque rien ne parait aux yeux, et qu'on entend seulement une voix qui vient du ciel. Comme en parlant du haut des cieux, Dieu, voulant être entendu de tous, s'est servi pour cela de l'intermédiaire d'une créature raisonnable. - S. Aug. (Traité 52). «Je l'ai glorifié», avant la création du monde, «et je le glorifierai encore» lorsqu'il ressuscitera d'entre les morts; ou bien encore, je l'ai glorifié, lorsqu'il est né d'une Vierge, lorsqu'il a fait une multitude de miracles, lorsque l'Esprit saint est descendu sur lui sous la forme visible d'une colombe; et je le glorifierai de nouveau lorsqu'il ressuscitera d'entre les morts, lorsqu'il sera exalté comme Dieu au-dessus des cieux, et que sa gloire éclatera sur toute la terre.

«Or, la foule qui était là et qui avait entendu, disait: C'est le tonnerre». - S. Chrys. Cette voix était claire, et le sens de ces paroles facile à comprendre, mais elle ne fit qu'une impression fugitive sur des esprits grossiers, charnels et indolents. Les uns ne firent attention qu'au son de la voix, les autres avaient bien remarqué que c'était une voix articulée, mais ils n'en savaient pas encore le sens, et c'est d'eux que l'Évangéliste ajoute: «D'autres disaient: Un ange lui a parlé».

«Jésus répondit: Ce n'est pas pour moi que cette voix est venue, c'est pour vous». - S. Aug. Cette voix n'apprenait donc point au Sauveur ce qu'il savait déjà, mais elle donnait cette connaissance à ceux qui en avaient besoin. De même donc que ce n'est point pour lui, mais pour nous que cette voix se fit entendre; ainsi ce n'est point pour lui, mais pour notre instruction qu'il permit que son âme fût troublée. - S. Chrys. (hom. 67). La voix du Père se fait entendre ici pour répondre à ce qu'ils ne cessaient de dire: que Jésus ne venait pas de Dieu, car comment Dieu pourrait-il glorifier celui qui ne viendrait pas de Dieu? Vous voyez que toutes les actions empreintes d'un caractère plus humble, sont faites pour les hommes et non pour le Fils, qui n'en avait nul besoin. Le Père a dit: «Je le glorifierai». Voici de quelle manière: «C'est maintenant le jugement du monde». - S. Aug. (Traité 52). Le jugement que nous attendons à la fin des siècles, sera le jugement des récompenses et des châtiments éternels. Il y a encore un autre jugement, non de condamnation, mais de discernement, c'est ce discernement que Jésus appelle jugement, aussi bien que l'expulsion du démon des âmes, qu'il a rachetées: «Maintenant le prince du monde sera jeté dehors». Gardons-nous de croire que le démon soit appelé le prince du monde dans ce sens qu'il exerce un empire absolu dans le ciel et sur la terre; le monde ici, c'est l'ensemble des hommes méchants qui sont répandus sur toute la surface de la terre. Le prince de ce monde, c'est donc le prince des méchants qui habitent le monde. Le monde est pris aussi quelquefois pour les bons qui sont également répandus par tout l'univers; c'est dans ce sens que l'Apôtre dit: «Dieu était en Jésus-Christ, se réconciliant le monde». (2Co 7) C'est de leurs coeurs que le prince du monde devait être chassé, car le Seigneur prévoyait qu'après sa passion et sa glorification, un grand nombre de peuples répandus dans tout l'univers croiraient en lui. Le démon était dans leur coeur, et il est chassé dehors quand ils renoncent au démon en embrassant la foi. Mais est-ce donc que le démon n'a pas été chassé du coeur des justes de l'ancienne loi? Pourquoi donc le Sauveur dit-il ici: «Maintenant le prince du monde va être jeté dehors ?» C'est-à-dire que ce qui ne s'est fait qu'en faveur d'un très-petit nombre, doit se réaliser pour une multitude innombrable de peuples. Mais dira-t-on encore: De ce que le démon a été chassé dehors, s'ensuit-il que tous les fidèles soient à l'abri de ses tentations? Tout au contraire, il ne cesse de tenter les hommes, mais il y a une grande différence entre attaquer extérieurement et régner dans l'intérieur de l'âme.

S. Chrys. Mais quel est ce jugement par lequel le démon est chassé? La comparaison suivante le fera comprendre: supposez un créancier impitoyable qui maltraite ses débiteurs et les jette dans les fers, et qui, emporté par sa fureur insensée, fait jeter dans le même cachot celui qui ne lui doit rien. Ce dernier lui fera expier l'injustice des mauvais traitements qu'il a soufferts et de ceux qu'il a fait souffrir aux autres. C'est ce qu'a fait Jésus-Christ; il a tiré vengeance du joug tyrannique que le démon a fait peser sur nous, et de son entreprise insolente contre Jésus-Christ lui-même. Mais comment sera-t-il jeté dehors, s'il triomphe du Sauveur lui-même? Il répond à cette objection, en ajoutant: «Et moi, quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout à moi». Comment, en effet, celui qui entraîne les autres pourrait-il être vaincu? Dire: «J'attirerai tout à moi», c'est dire plus que: «Je ressusciterai»; car de la prédiction qu'il ressusciterait, il ne s'ensuivait pas nécessairement qu'il attirerait tout à lui, mais l'expression: «J'attirerai tout à moi», supposait les deux choses. - S. Aug. Or quelles sont toutes ces choses qu'il doit attirer à lui, si ce n'est celles dont le démon doit être chassé? Remarquez qu'il ne dit pas: Je les attirerai tous, car tous les hommes n'ont pas la même foi. Ces paroles ne se rapportent donc pas à l'universalité des hommes, mais à l'ensemble de la nature humaine, c'est-à-dire, à l'esprit, à l'âme, au corps, à ce qui est en nous la cause de la pensée, de la vie, et à ce qui fait de nous des créatures visibles. Ou bien, s'il faut entendre des hommes cette expression: «Toutes choses», il faut l'appliquer aux prédestinés ou à toutes les espèces d'hommes séparés entre eux, à l'exception du péché, par d'innombrables différences. - S. Chrys. Mais comment expliquer ce que Notre-Seigneur dit plus haut, que: «Son Père nous attire ?» Parce que c'est le Père qui attire, lorsque le Fils lui-même attire. Il dit: «J'attirerai», expression qui signifie qu'il délivre les captifs de la tyrannie, et qu'il rend la liberté à ceux qui ne peuvent venir d'eux-mêmes et briser les chaînes de leur servitude. - S. Aug. Mais «si une fois je suis élevé de terre», c'est-à-dire, «lorsque je serai élevé», car il n'a aucun doute sur la réalisation prochaine du mystère qu'il doit accomplir, et c'est sa mort sur la croix qu'il désigne sous le nom d'élévation. C'est pour cela que l'Évangéliste ajoute: «Ce qu'il disait, pour marquer la mort dont il devait mourir».


vv. 34-36

13234 Jn 12,34-36

S. Aug. (Traité 47). Les Juifs ayant compris que Notre-Seigneur avait parlé de sa mort, lui demandent comment il pouvait dire qu'il devait mourir:» Le peuple lui répondit: Nous avons appris par la loi que le Christ demeure éternellement, comment dites-vous donc: Il faut que le Fils de l'homme soit élevé ?» Ils avaient conservé dans leur mémoire que le Seigneur se disait continuellement le Fils de l'homme, car le Sauveur n'avait point employé ici cette dénomination: Lorsque le Fils de l'homme sera élevé, comme précédemment: «L'heure vient où le Fils de l'homme sera glorifié». Ils avaient donc présent à l'esprit ce nom qu'il se donnait, lorsqu'ils lai font cette question: «Si le Christ demeure éternellement, comment sera-t-il élevé sur la terre ?» c'est-à-dire, comment mourra-t-il de la mort de la croix? - S. Chrys. Nous voyons ici qu'ils comprenaient un grand nombre des choses que le Sauveur leur disait dans un sens parabolique; il leur avait prédit plus haut sa mort, et ils entendent dans ce sens ce qu'il dit de son élévation. - S. Aug. Ou bien ils comprirent qu'il leur parlait de ce qu'ils avaient l'intention de faire, ce ne fut donc point une lumière reçue d'en haut, mais leur conscience agitée par le remords qui leur révèle l'obscurité de ces paroles. - S. Chrys. Voyez quelle malice dans cette question; ils ne s'expriment pas de cette manière: Nous avons appris par la loi que le Christ doit être exempt de souffrances (car dans une foule d'endroits, les saintes Écritures annoncent en même temps sa passion et sa résurrection), mais ils disent: «Nous avons appris que le Christ demeure éternellement». Et il n'y avait en cela aucune contradiction, car la passion du Sauveur n'est point devenue un obstacle à son immortalité. Mais les Juifs s'imaginaient qu'ils prouveraient par là qu'il n'était pas le Christ, parce que le Christ doit demeurer éternellement. Ils ajoutent: «Quel est ce Fils de l'homme ?» question également pleine de malice et dont voici le sens: N'allez pas dire que nous vous faisons cette question par un sentiment de haine, car nous ne savons pas de qui vous voulez parler. Notre-Seigneur leur répond en leur démontrant que sa passion n'est pas un obstacle à ce qu'il demeure éternellement: «Jésus leur dit: La lumière est encore pour un peu de temps au milieu de vous». Il leur apprend par là que la mort n'est qu'un passage, de même que la lumière du soleil ne s'éteint pas, mais se retire un peu de temps pour reparaître bientôt. - S. Aug. Ou bien encore, la lumière qui vous fait comprendre que le Christ demeure éternellement est pour un peu de temps au milieu de vous; marchez donc à cette lumière, tandis que vous en jouissez, en d'autres termes: Approchez, comprenez la vérité tout entière, c'est-à-dire, que le Christ doit mourir et vivre éternellement. - S. Chrys. Il veut parler ici du temps de cette vie tout entière, de celui qui devait précéder sa croix comme de celui qui devait la suivre, car un grand nombre crurent en lui après la passion: «De peur que les ténèbres ne vous surprennent». - S. Aug. Si vous ne voulez croire l'éternité du Christ, qu'en niant l'humiliation de sa mort.

«Et celui qui marche dans les ténèbres ne sait où il va». De quels crimes énormes les Juifs se rendent maintenant coupables ! Ils ne savent ce qu'ils font, mais tout en marchant dans les ténèbres, ils s'imaginent suivre le droit chemin, tandis qu'ils s'égarent dans une fausse voie, et c'est pour cela que le Sauveur ajoute: «Pendant que vous avez la lumière, croyez en la lumière». - S. Aug. C'est-à-dire, tandis que vous retenez encore quelque parcelle de la vérité, croyez en la vérité, pour que vous puissiez renaître à la vérité: «Afin que vous soyez des enfants de lumière». - S. Chrys. (hom. 68). C'est-à-dire, mes enfants. Au commencement de son Évangile, saint Jean dit qu'ils sont nés de Dieu, c'est-à-dire, du Père; ici, d'après ses paroles, c'est lui-même qui les engendre, pour vous faire comprendre que le Père et le Fils ont une seule et même action.

«Jésus dit ces choses, puis il s'en alla et se cacha d'eux». - S. Aug. Il ne se cacha pas de ceux qui avaient commencé à croire en lui et à l'aimer, mais de ceux qui, témoins de ces merveilles, nourrissaient contre lui une noire envie. En se dérobant ainsi à ses ennemis, il a égard à notre faiblesse, il ne déroge pas à sa puissance divine. - S. Chrys. Mais pourquoi se cacher, alors qu'ils ne cherchaient pas à le lapider, et qu'ils ne proféraient aucun blasphème? Il pénétrait le fond de leurs coeurs, il y voyait la fureur dont ils étaient animés contre lui, et il n'attendit pas qu'elle se traduisît en excès sacrilèges. Il se cache donc pour calmer ainsi leur jalousie.


vv. 37-43

13237 Jn 12,37-43

S. Chrys. (hom. 67 sur S. Jean). Notre-Seigneur connaissait la haine furieuse des Juifs, qui méditaient sa mort, et c'est le motif qui le porte à se cacher, comme l'Évangéliste semble l'indiquer par ces paroles: «Mais, quoiqu'il eût fait tant de miracles devant eux, ils ne croyaient point en lui», etc. - Théophyl. Ils furent grandement coupables de ne pas croire à de si grands miracles. Ces miracles sont ceux dont il a été parlé plus haut. - S. Chrys. Et, pour qu'on ne pût excuser leur incrédulité, en disant qu'ils ne savaient pas l'objet de la mission du Christ, l'Évangéliste apporte le témoignage des prophètes qui ont connu cet objet: «De sorte que cette parole d'Isaïe fût accomplie: Seigneur, qui a cru à votre parole, et à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé? - Alcuin. Le Prophète dit: «Qui a cru ?» pour exprimer le petit nombre de ceux qui ont cru à ce que les sainte prophètes avaient appris de Dieu et annoncé au peuple. - S. Aug. (Traité 53 sur S. Jean). Il fait assez entendre que ce bras du Seigneur c'est le Fils de Dieu lui-même, non pas que Dieu le Père ait une forme humaine, mais il l'appelle le bras de Dieu, parce que toutes choses ont été faites par lui (Jn 1). Si un homme, en effet, avait une puissance assez grande pour exécuter ce qu'il veut sans aucun mouvement de son corps, sa parole serait pour ainsi dire son bras. Cette expression ne peut nullement appuyer l'erreur de ceux qui prétendent qu'il n'y a que la personne du Père, si le Fils est son bras, puisque l'homme et le bras ne forment qu'une seule personne. Ils ne comprennent pas qu'une expression puisse être détournée de sa signification naturelle pour être appliquée à un genre de choses tout différent, à cause de certains points d'analogie et de ressemblance.

Il en est d'autres qui demandent, en murmurant, en quoi les Juifs ont été coupables, s'il fallait que la prophétie d'Isaïe fût accomplie? Nous répondons que Dieu, dans la connaissance qu'il a de l'avenir, a prédit l'incrédulité des Juifs, sans en être l'auteur; car Dieu ne force aucun homme à pécher, par là même qu'il prévoit les péchés que commettront les hommes. Ce sont leurs péchés qu'il prévoit, et non les siens. Les Juifs se rendirent donc coupables d'un crime qui avait été prévu et prédit par celui à qui rien ne peut être caché. - S. Chrys. Dans cette locution: «Afin que la prophétie d'Isaïe fut accomplie», la particule afin que n'indique pas la cause, mais l'effet; car, si les Juifs n'ont pas cru, ce n'est point parce qu'Isaïe l'avait prédit, mais c'est, au contraire, parce qu'ils devaient être incrédules, qu'Isaïe a prédit leur incrédulité. - S. Aug. Cependant les paroles qui suivent soulèvent une difficulté plus grave; en effet, l'Évangéliste ajoute: «C'est pour cela qu'ils ne pouvaient croire»; parce qu'Isaïe a dit encore «Il a aveuglé leurs yeux, et il a endurci leur coeur, de peur qu'ils ne voient des yeux, et ne comprennent du coeur», etc. Or, s'ils ne pouvaient croire, quel est le crime d'un homme qui ne fait point ce qui lui est impossible de faire? Et, ce qu'il y a de plus grave ici, c'est que Dieu paraît être la cause de leur incrédulité, puisque c'est lui qui a aveuglé leurs yeux et endurci leur coeur; car ce n'est point au démon, mais à Dieu, que l'Évangéliste attribue cet aveuglement. Mais pourquoi donc ne pouvaient-ils croire? Je réponds: Parce qu'ils ne le voulaient pas; car, de même que c'est la gloire de la volonté divine que Dieu ne puisse se démentir lui-même, ainsi c'est la faute de la volonté humaine de ne pouvoir croire à la parole divine. - S. Chrys. Cette manière de parler est passée en usage; c'est ainsi que l'on dit: Nous ne pouvons l'aimer, en rejetant sur l'impuissance de la volonté ce qui est l'effet d'une violente antipathie. L'Évangéliste se sert de cette expression: «Ils ne pouvaient pas», pour montrer qu'il était impossible que le Prophète ait fait une fausse prédiction; mais ce n'est point cette prédiction qui leur rendait la foi impossible, car Isaïe ne l'eût point faite s'ils avaient dû croire.

S. Aug. Mais, direz-vous, le Prophète indique une autre cause que leur volonté, quand il ajoute: «Il a aveuglé leurs yeux», etc. Je réponds que c'est leur volonté qui a mérité cet aveuglement, car Dieu aveugle et endurcit, en abandonnant et en refusant son secours, ce qu'il peut faire par un jugement secret, mais qui ne peut jamais être injuste. - S. Chrys. Dieu, en effet, ne nous abandonne que lorsque nous le voulons, selon ces paroles du prophète Osée: «Vous avez oublié la loi de votre Dieu, je vous oublierai moi-même». (Os 4, 6). Il parle ainsi pour nous apprendre que c'est nous qui commençons nous-mêmes l'oeuvre de notre réprobation, et qui devenons la cause de notre perte. De même que le soleil blesse une vue malade, bien que cet effet ne soit point dans sa nature, ainsi arrive-t-il pour ceux qui ne font nulle attention aux enseignements divins. Or, ces paroles de l'Ecriture: «Il a aveuglé et endurci», sont propres à jeter l'effroi dans l'âme des auditeurs. - S. Aug. Dans celles qui suivent: «Et que venant à se convertir, je les guérisse», faut-il sous-entendre la particule négative ne (c'est-à-dire que ne se convertissant pas), car la conversion est un effet de sa grâce? Ou bien n'est-ce point par un effet de la bonté de ce divin Médecin que les Juifs, pour avoir voulu établir leur justice orgueilleuse (Rm 10), aient été abandonnés et aveuglés pour un temps, afin qu'ils viennent heurter contre la pierre de scandale (Rm 9,32), que leur face soit couverte de confusion (Ps 82,17), et qu'ainsi humiliés, ils cherchent non plus cette justice personnelle qui enfle le superbe, mais la justice de Dieu, qui justifie l'impie? Car ce châtiment a été une cause du salut pour un grand nombre d'entre eux qui, repentants de leur crime, ont cru ensuite en Jésus-Christ. L'Évangéliste ajoute: «Isaïe a dit ces choses lorsqu'il a vu sa gloire et qu'il a parlé de lui». Il a vu sa gloire non telle qu'elle est en elle-même, mais sous une forme symbolique, comme il convenait que Dieu la révélât à un prophète. Ne vous laissez donc point induire en erreur par ceux qui enseignent que le Père est invisible, et que le Fils seul est visible, et qui soutiennent qu'il est une simple créature; car le Fils est également invisible dans sa nature divine, qui le rend égal au Père. Il s'est revêtu de la forme du serviteur pour se rendre visible. Mais avant même son incarnation, il s'est manifesté aux yeux des hommes sous une forme créée et non tel qu'il est. - S. Chrys. La gloire dont il parle ici est celle qui se révéla aux yeux du prophète, lorsqu'il vit Celui qui était assis sur un trône élevé, il tout ce qui est rapporté en cet endroit. l'Évangéliste ajoute: «Et qu'il a parlé de lui». Qu'a-t-il dit de lui? «J'ai vu le Seigneur assis, et j'ai entendu la voix qui me disait: Qui enverrai-je, et qui ira», etc. «Néanmoins plusieurs des sénateurs eux-mêmes crurent en lui; mais à cause des pharisiens, ils n'osaient le reconnaître publiquement, de crainte d'être chassés de la synagogue; car, ils ont plus aimé la gloire des hommes que la gloire de Dieu». - Alcuin. La gloire de Dieu, c'est de confesser publiquement le Christ: la gloire des hommes, c'est de se glorifier dans les vanités du monde. - S. Aug. L'Évangéliste condamne donc ceux qui auraient pu s'élever, par l'amour, au-dessus de ce premier degré de la foi, et triompher ainsi des tentations de la gloire humaine.


vv. 44-50

13244 Jn 12,44-50

S. Chrys. (hom. 69 sur S. Matth). Comme l'amour de la gloire humaine empêchait les princes du peuple d'avouer qu'ils croyaient en Jésus-Christ, le Sauveur s'élève avec force contre cette passion: «Jésus s'écria et dit: Celui qui croit en moi, ne croit point en moi, mais en celui qui m'a envoyé». Comme s'il leur disait: Pourquoi redoutez-vous de croire en moi? Votre foi arrive jusqu'à Dieu par moi. - S. Aug. (Traité 52 sur S. Jean). Les hommes ne voyaient que son humanité, qui voilait sa divinité, et pouvaient penser qu'il n'était que ce qu'il paraissait à leurs yeux. Le Sauveur, qui voulait que l'on crût sa nature et sa majesté égales à la nature et à la majesté de son Père, dit aux Juifs: «Celui qui croit en moi, ne croit point en moi», c'est-à-dire, en ce qu'il voit de ses yeux, mais en celui qui m'a envoyé; c'est-à-dire, en mon Père. Car, s'il pense que mon Père n'a que des fils selon la grâce, et qu'il n'a point de Fils qui lui soit égal et coéternel, il ne croit point au Père, qui l'a envoyé, parce que tel n'est point le Père, qui l'a envoyé. Et, comme il ne veut pas laisser supposer que son Père a bien engendré un grand nombre d'enfants par la grâce, mais qu'il n'est point le Père d'un Fils qui lui soit égal, il ajoute aussitôt: «Et celui qui me voit, voit celui qui m'a envoyé». C'est-à-dire, il est si vrai qu'il n'y a point de différence entre mon Père et moi, que celui qui me voit, voit celui qui m'a envoyé. Certainement c'est le Seigneur qui a envoyé les Apôtres, jamais cependant aucun d'eux n'a osé dire: «Celui qui croit en moi»; car nous croyons à l'apôtre, mais nous ne croyons pas en l'apôtre. Le Fils unique au contraire peut dire avec raison: «Celui qui croit en moi, ne croit pas en moi, mais croit en celui qui m'a envoyé». Non pas qu'il repousse la foi de celui qui croit en lui, mais il ne veut pas que cette foi s'arrête à la forme du serviteur.

S. Chrys. Ou bien encore, ces paroles: «Celui qui croit en moi, ne croit point en moi, mais en celui qui m'a envoyé», doivent être entendues dans ce sens: Celui qui reçoit l'eau d'un fleuve, ne reçoit pas l'eau du fleuve, mais l'eau qui sort de la source. Or, le Sauveur voulant montrer qu'on ne peut croire en Dieu le Père sans croire en lui, ajoute: «Celui qui me voit, voit celui qui m'a envoyé». Quoi donc, est-ce que Dieu est un corps? Non, sans doute; mais le Sauveur donne ici le nom de vision à la considération du vrai, qui se fait par l'intelligence. Il explique ensuite ce qu'est la connaissance du Père, en ajoutant: «Et moi, qui suis la lumière, je suis venu en ce monde». Comme le Père est appelé la lumière, le Sauveur emploie et s'applique partout ce nom. Il s'appelle ici la lumière, parce qu'il nous délivre de l'erreur et dissipe les ténèbres de l'intelligence; c'est pour cela qu'il ajoute: «Afin que tous ceux qui croient en moi, ne demeurent pas dans les ténèbres». - S. Aug. Il nous fait assez comprendre par là qu'il a trouvé tous les hommes plongés dans les ténèbres; mais, s'ils veulent sortir des ténèbres au milieu desquelles il les a trouvés, il leur faut croire dans la lumière qui est venue dans le monde. Dans un autre endroit, il dit à ses disciples: «Vous êtes la lumière du monde» (Mt 5,14. Il ne leur dit pas, toutefois: Vous êtes venus dans le monde comme étant la lumière, afin que tout homme qui croit en vous ne demeure pas dans les ténèbres. Tous les saints sont donc des lumières; mais c'est en croyant en Jésus-Christ qu'ils sont éclairés par lui, dont on ne peut se séparer sans retomber dans les ténèbres.

S. Chrys. Le Sauveur veut éloigner la pensée que l'impunité, dont semblent jouir ceux qui le méprisent, vient de sa faiblesse, et il ajoute: «Si quelqu'un écoute mes paroles, et ne les garde pas, je ne le juge pas». - S. Aug. Il faut entendre: Je ne le juge pas actuellement, puisqu'il dit dans un autre endroit: «Le père a donné tout pouvoir de juger à son Fils» (Jn 5,22). Pourquoi ne juge-t-il pas maintenant? Il en donne lui-même la raison: «Car je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde». C'est donc maintenant le temps de la miséricorde: viendra ensuite celui du jugement. - S. Chrys. Mais de peur que ce délai ne devienne une cause de relâchement, il rappelle l'idée de ce terrible jugement: «Celui qui me méprise et ne reçoit pas mes paroles, a quelqu'un qui le jugera». - S. Aug. Il ne dit pas: Je ne le jugerai pas au dernier jour, ce qui serait en contradiction avec ce qu'il a dit plus haut: «Il a donné tout pouvoir de juger à son Fils» (Jn 5,22). Les paroles: «Celui qui me méprise, a quelqu'un qui le jugera», donnaient naturellement lieu à cette question: Quel est celui qui jugera? Notre-Seigneur la prévient, en ajoutant: «Ce sera la parole même que j'ai annoncée qui le jugera au dernier jour». En s'exprimant de la sorte, il fait assez entendre que c'est lui-même qui doit juger au dernier jour; car il s'est affirmé lui-même, il s'est annoncé et fait connaître lui-même. Ceux donc qui n'ont point entendu sa parole, n'auront point le même jugement à subir que ceux qui ne l'ont entendue que pour la mépriser.

S. Aug. (De la Trin., 1, 12). C'est la parole annoncée par le Fils, qui jugera au dernier jour; parce que le Fils n'a point parlé de lui-même. «Car, ajoute-t-il, je n'ai point parlé de moi-même». Mais je me demande comment nous devons entendre ces paroles: «Ce n'est pas moi qui jugerai, ce sera la parole que j'ai annoncée qui jugera», puisqu'il est lui-même la parole du Père. On peut les expliquer de la sorte: Je ne jugerai pas en vertu d'un pouvoir humain, parce que je suis le Fils de l'homme, mais je jugerai par la puissance du Verbe de Dieu, parce que je suis le Fils de Dieu. - S. Chrys. Ou bien encore: «Je ne le juge pas», c'est-à-dire, je ne suis pas la cause de sa perte, qui ne doit être imputée qu'à celui qui méprise mes paroles; car, ces paroles que j'ai dites prendront le rôle d'accusateur, et enlèveront toute excuse. C'est pour cela qu'il ajoute: «La parole que j'ai annoncée, le jugera». Et quelle est cette parole? Celle que je n'ai point dite de moi-même, mais qui est la parole de mon Père, qui m'a envoyé; car c'est lui qui m'a prescrit, par son commandement, ce que je dois dire, et comment je dois parler. Toutes les vérités qu'il leur annonçait étaient donc dans leur intérêt, et aussi pour les rendre inexcusables s'ils refusaient d'y croire.

S. Aug. Or, le Père n'a point donné au Fils un commandement qu'il n'avait pas auparavant; car tous les commandements du Père émanent de la sagesse du Verbe, qui est le Verbe du Père. Notre-Seigneur dit que ce commandement lui est donné parce que celui à qui il est donné n'existe pas de lui-même. Donner au Fils ce sans quoi il n'a jamais été Fils, c'est engendrer le Fils, qui n'a jamais cessé d'exister. - Théophyl. Comme le Fils est le Verbe du Père, et qu'il révèle et qu'il explique dans toute leur vérité ce qui est dans l'intelligence du Père, il dit qu'il a reçu le commandement qui lui prescrit ce qu'il doit dire, et comment il doit parler. C'est ainsi que notre parole, lorsque nous voulons dire la vérité, ne fait qu'énoncer ce que la pensée lui suggère.

«Et je sais que son commandement est la vie éternelle». - S. Aug. Si donc le Fils est la vie éternelle, et que la vie éternelle soit le commandement du Père, quelle conclusion tirer de ces paroles, si ce n'est: Je suis le commandement du Père? Ainsi lorsqu'il ajoute: «Ce que je dis donc, je le dis selon que mon Père me l'a enseigné», il ne faut pas l'entendre dans ce sens que Dieu ait adressé une parole extérieure à son Verbe. Le Père a donc parlé au Fils de la même manière qu'il lui a donné la vie, non en lui faisant connaître ce qu'il ignorait, ou en lui donnant ce qu'il n'avait pas, mais en lui donnant ce par quoi il était son Fils. Que signifient ces paroles: «Comme il dit, je parle», si ce n'est: Je parle comme étant le Verbe? Le Père parle comme étant essentiellement vrai; le Fils parle comme étant la vérité. Celui qui est vrai a engendré la vérité; que pourrait-il donc dire à la vérité? Car la vérité n'était point dans cet état d'imperfection qui la rendit susceptible d'un accroissement quelconque de vérité.


CHAPITRE XIII


vv. 1-5

13301 Jn 13,1-5

Théophyl. Notre-Seigneur, sur le point de quitter ce monde, veut nous faire connaître l'amour qu'il avait pour les siens: «Avant la fête de Pâque, dit l'Évangéliste, Jésus sachant que son heure était venue», etc. - Bède. Les Juifs avaient plusieurs fêtes, mais la plus célèbre et la plus solennelle était celle de Pâque, comme l'Évangéliste veut le faire remarquer par ces paroles: «Avant la fête de Pâque», etc. - S. Aug. (Traité 55). Le mot pâque n'est pas un mot grec, comme quelques-uns le pensent, c'est un mot hébreu, cependant ce mot a dans les deux langues un rapport frappant d'analogie: souffrir se dit en grec p Üó6åéí, et c'est pour cela que le mot pâque a été considéré comme synonyme de passion, comme s'il tirait de là son étymologie. Dans sa langue propre, au contraire, c'est-à-dire, dans l'hébreu, le mot Pâque signifie passage, et la raison de ce nom, c'est que le peuple de Dieu a célébré pour la première fois cette fête, lorsqu'après s'être enfui de l'Egypte, il eut traversé la mer Rouge. Or, cette figure prophétique a trouvé son accomplissement véritable, lorsque Jésus-Christ a été conduit comme une brebis à la mort. C'est alors que par la vertu de son sang qui a marqué les poteaux de nos portes, c'est-à-dire, par la vertu du signe de la croix empreint sur nos fronts, nous avons été délivrés de la servitude de ce monde, comme de la captivité d'Egypte, et nous accomplissons de nouveau ce passage salutaire, lorsque nous passons du démon à Jésus-Christ, et de ce monde inconstant dans le royaume dont les fondements sont inébranlables. L'Évangéliste semble nous donner cette explication du mot pâque, lorsqu'il dit: «Jésus sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père. Voilà la Pâque, voilà le passage». - S. Chrys. (hom. 70 sur S. Jean). Il le savait auparavant, et non seulement de ce moment, et ce passage c'est sa mort.

Sur le point de quitter ses disciples, il leur donne des marques plus sensibles de son amour, c'est ce que l'Évangéliste veut nous exprimer par ces paroles: «Comme il avait aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'à la fin», c'est-à-dire, il n'oublia rien de ce que peut inspirer un grand amour. Il n'avait pas agi de la sorte dès le commencement, mais il avait été progressivement pour augmenter leur affection pour lui, et leur préparer une source de consolation au milieu des épreuves qui les attendaient. Il les appelle siens, à cause de l'intimité qu'il avait avec eux, car dans un autre endroit, il donne ce nom à ceux qui n'avaient avec lui que les rapports de nature: «Les siens ne l'ont point reçu, dit saint Jean» (Jn 1,11). Il ajoute: «Qui étaient dans le monde», parce qu'il y en avait aussi des siens parmi les morts (comme Abraham, Isaac et Jacob), mais qui n'étaient pas dans le monde. Il aima donc sans jamais cesser les siens qui étaient dans le monde, et leur donna des témoignages d'un amour parfait; c'est ce que signifient ces paroles: «Il les aima jusqu'à la fin». - S. Aug. Ou bien encore: «Il les aima jusqu'à la fin», pour les faire passer par le moyen de l'amour de ce monde à celui qui était leur chef. Que signifient, en effet, ces paroles: «Jusqu'à la fin ?» Jusque dans Jésus-Christ, car Jésus-Christ est la fin de la loi pour justifier tous ceux qui croient (Rm 10,4), la fin qui perfectionne et non la fin qui donne la mort. Il me semble qu'on pourrait encore entendre ces paroles dans ce sens trop naturel peut-être, que Jésus-Christ a aimé les siens jusqu'à la mort, mais à Dieu ne plaise que la mort ait mis fin à l'amour de celui dont elle n'a pu faire cesser l'existence, à moins qu'on ne l'entende de cette manière: Il les a aimés jusqu'à la mort, c'est-à-dire, son amour l'a porté à mourir pour eux.

«Et le souper étant fait», c'est-à-dire, étant complètement préparé et servi sur la table devant les convives, car nous ne devons pas entendre qu'il fut fait en ce sens qu'il fut tout à fait terminé; le souper durait encore, lorsque Jésus se leva de table pour laver les pieds de ses disciples, puisqu'il se remit ensuite à table, et donna un morceau de pain à son traître disciple. Quant à ces paroles: «Le démon ayant déjà mis dans le coeur de Judas», etc.; si vous me demandez ce que le démon mit dans le coeur de ce perfide disciple, je répondrai que ce fut le dessein de le trahir, cette action du démon fut une suggestion intérieure qui eut lieu, non par l'oreille, mais par la pensée, car le démon envoie pour ainsi dire ses suggestions dans les âmes pour les mêler aux pensées de l'homme. Il avait donc déjà mis dans le coeur de Judas le dessein de trahir son maître. - S. Chrys. L'Évangéliste rapporte avec un profond étonnement que le Seigneur a lavé les pieds de celui qui était déjà résolu à le trahir, et il fait ressortir la profonde malice de ce traître disciple, qui ne fut point arrêté par cette douce et intime communauté de table et de vie, qui éteint ordinairement tout sentiment de haine.

S. Aug. Avant de nous décrire la profonde humilité du Sauveur, l'Évangéliste veut nous remplir de l'idée de ses grandeurs: «Jésus sachant que son Père lui avait remis toutes choses entre les mains», etc., donc jusqu'au traître lui-même. - S. Grég. (Moral., 6, 11 ou 12). Il savait que Dieu lui avait remis entre les mains jusqu'à ses persécuteurs eux-mêmes, afin qu'il fît servir à l'accomplissement de ses desseins miséricordieux tout ce que leur cruauté à qui Dieu avait comme lâché les rênes, pourrait inventer contre lui. - Orig. (Tr. 32 sur S. Jean). Le Père lui a remis toutes choses entre les mains, c'est-à-dire, a tout remis à son action, à sa puissance, car mon Père, dit le Sauveur, ne cesse d'agir jusqu'à présent, et moi-même j'agis également (Jn 5,17). Ou bien encore, son Père a remis tout entre ses mains qui embrassent toutes choses, afin que toutes choses lui soient soumises. - S. Chrys. Ce tout qui lui est remis entre les mains, c'est surtout le salut des fidèles. Mais que cette expression ne vous fasse soupçonner rien d'humain, elle exprime simplement l'honneur que le Fils rend à son Père, et la parfaite harmonie qui existe entre eux. En effet, de même que le Père lui a remis toutes choses, lui aussi a remis toutes choses à son Père, comme le dit saint Paul: «Lorsqu'il aura remis le royaume à Dieu et au Père» (1Co 15,24). - S. Aug. Sachant qu'il sort de Dieu et qu'il retourne à Dieu, bien qu'il ne se soit pas séparé de Dieu lorsqu'il en est sorti et qu'il ne nous abandonne pas lorsqu'il retourne vers Dieu. Théophyl. Comme le Père lui avait remis toutes choses entre les mains, c'est-à-dire, le salut des fidèles, il jugeait convenable de leur enseigner tout ce qui pouvait contribuer à leur salut. Il savait également qu'il était sorti de Dieu et qu'il retournait à Dieu, il ne pouvait donc diminuer sa gloire en lavant les pieds de ses disciples, car cette gloire il ne l'avait point usurpée et il n'y a que ceux qui usurpent injustement les honneurs, qui refusent de s'abaisser dans la crainte de perdre les dignités dont ils se sont emparés sans aucun droit. - S. Aug. Alors que le Père lui avait tout remis entre les mains, il lave non pas les mains, mais les pieds de ses disciples; et lui qui savait qu'il était sorti de Dieu et qu'il retournait à Dieu, il remplit l'office qui convient, non au Seigneur Dieu, mais à un homme et à un serviteur. - S. Chrys. Il était en effet digne de celui qui est sorti de Dieu et qui retournait à Dieu, de fouler aux pieds toute enflure et tout orgueil. Ecoutons la suite: «Il se lève de table, il pose ses habits, et ayant pris un linge, il s'en ceignit; il versa ensuite de l'eau dans le bassin, et il commença à laver les pieds de ses disciples et à les essuyer avec le linge qui était autour de lui». Voyez quelle profonde humilité, non seulement dans l'action même de leur laver les pieds, mais dans les circonstances qui l'accompagnent, car ce n'est pas avant de se mettre à table, c'est après que tous sont assis qu'il se lève, et non seulement il leur lave les pieds, mais il pose ses vêtements, il se ceint d'un linge, et verse de l'eau dans le bassin, sans donner cette commission à un autre; il veut tout faire lui-même pour nous apprendre avec quel soin nous devons pratiquer les oeuvres de charité.

Orig. Dans le sens allégorique, le dîner qui est le premier repas a été servi à ceux qui ne sont encore qu'initiés avant qu'ils soient arrivés au terme du jour spirituel qui s'accomplit dans cette vie, tandis que le souper est le dernier repas, celui qu'on sert à ceux qui ont atteint une perfection plus grande. On peut dire encore que le dîner c'est l'intelligence des Écritures anciennes, tandis que le souper, c'est la connaissance des mystères cachés dans le Nouveau Testament. Je pense que ceux qui doivent prendre ce dernier repas avec Jésus et s'asseoir à la même table au dernier jour de cette vie, ont besoin d'être purifiés, non point dans les parties les plus élevées du corps et de l'âme, mais dans les parties extrêmes et qui sont en contact nécessaire avec la terre. L'Évangéliste raconte qu'il commença à laver les pieds de ses disciples (car il acheva plus tard cette opération), parce que les pieds des apôtres avaient été salis selon cette parole: «Vous serez tous scandalisés cette nuit à mon occasion» (Mt 26,13) Il acheva ensuite ce lavement des pieds, en donnant à ses apôtres une pureté qu'ils ne devaient plus perdre.

S. Aug. Il a déposé ses vêtements, lorsqu'il s'est anéanti lui-même, lui qui était Dieu; il s'est ceint d'un linge, lorsqu'il a pris la forme de serviteur; il a versé de l'eau dans un bassin pour laver les pieds de ses disciples, lorsqu'il a versé son sang sur la terre pour laver toutes les souillures de nos péchés, il a essuyé leurs pieds avec le linge dont il était ceint, lorsqu'il affermit les pas des évangélistes, par la chair mortelle dont il était revêtu; avant de se ceindre avec le linge, il quitta les habits dont il était revêtu; mais pour prendre la forme d'esclave dans laquelle il s'est anéanti, il n'a point quitté ce qu'il avait, il a pris seulement ce qu'il n'avait pas. Lorsqu'il fut crucifié, il fut dépouillé de ses vêtements, et après sa mort son corps fut enveloppé dans un linceul, et sa passion tout entière a pour fin de nous purifier.





Catena Aurea 13227