Catena Aurea 13306

vv. 6-11

13306 Jn 13,6-11

Orig. (Traité 32 sur S. Jean). De même qu'un médecin, qui est chargé de plusieurs malades à la fois, commence par ceux dont l'état réclame premièrement ses soins; ainsi Jésus-Christ, en lavant les pieds de ses disciples, qui étaient couverts de poussière, commence par ceux qui étaient plus souillés, et vient en dernier lieu à Pierre, comme ayant moins besoin d'avoir les pieds lavés: «Il vint donc à Simon Pierre», à qui la propreté presque entière de ses pieds conseillait la résistance: «Et Pierre lui dit: Quoi ! Seigneur, vous me laveriez les pieds», etc. - S. Aug. Que signifient ces paroles: «Vous, à moi ?» Elles demandent à être méditées plutôt qu'expliquées, de peur que la langue ne puisse rendre entièrement ce que l'âme a pu en comprendre dignement. - S. Chrys. On peut dire encore que bien que Pierre fût le premier, il est probable que le traître insensé s'était assis à table avant lui, ce que l'Évangéliste semble avoir voulu indiquer, quand il dit: «Il commença à laver les pieds», et ensuite: «Il vint à Pierre». - Théophyl. D'où il faut conclure qu'il ne commence point par Pierre, et cependant aucun autre parmi les disciples n'eût osé se placer avant Pierre pour le lavement des pieds.

S. Chrys. On demandera peut-être aussi comment il se fait qu'aucun autre disciple ne se soit opposé à ce que Jésus lui lavât les pieds, à l'exception de Pierre, qui donnait ainsi à Jésus un témoignage éclatant de son amour et de son respect; et il semble qu'on pourrait conclure de là que le Sauveur n'avait lavé les pieds, avant lui, qu'au seul traître, qu'il vint ensuite à Pierre, et que la leçon qu'il lui donne s'adresse à tous les disciples. En effet, si Notre-Seigneur avait commencé à laver les pieds d'un autre disciple, ce disciple l'en aurait empêché par les mêmes paroles que Pierre. - Orig. Ou bien encore, tous présentaient leurs pieds au Sauveur, en disant que celui qui était si élevé au-dessus d'eux ne leur lavait pas les pieds sans raison; mais Pierre, ne prenant conseil que de son profond respect pour Jésus, ne voulait point présenter ses pieds pour que Jésus les lavât; souvent, en effet, l'Ecriture nous montre Pierre plein d'ardeur pour exprimer ce qui lui paraissait le meilleur et le plus utile. - S. Aug. Ou bien encore, nous ne devons point penser que Pierre seul, de tous les disciples, se soit opposé avec un respect mêlé d'effroi à l'action du Sauveur, tandis que les autres eussent souffert que Jésus leur lavât les pieds; car on ne peut admettre qu'il les eût lavés à d'autres auparavant, et qu'il ne fût arrivé à Pierre qu'en second lieu (car qui ne sait que le bienheureux Pierre était le premier des disciples ?) Il a donc commencé par Pierre. Quand il commença à laver les pieds de ses disciples, il vint d'abord à celui par lequel il commença, c'est-à-dire à Pierre, et c'est alors que Pierre exprima ce sentiment de frayeur et d'étonnement que tous les autres auraient éprouvé également.

«Jésus lui répondit: Vous ne savez pas maintenant ce que je fais, mais vous le saurez par la suite». - S. Chrys. C'est-à-dire l'utilité de cet enseignement, et comment l'humilité suffit pour conduire jusqu'à Dieu. - Orig. Ou bien le Seigneur veut nous faire comprendre que cette action cache un mystère; en effet, en lavant leurs pieds et en les essuyant, il les rendait éclatants de blancheur, comme il convenait à ceux qui devaient évangéliser la vertu (Rm 10 Is 52), montrer le chemin de la sainteté, et marcher par celui qui a dit: «Je suis la voie» (Jn 14,6). Jésus devait déposer ses vêtements avant de laver les pieds de ses disciples, afin de rendre plus purs encore leurs pieds, qui l'étaient déjà, ou pour recevoir sur son propre corps les souillures de leurs pieds, en ne gardant que le linge dont il était ceint; car, «il a lui-même porté toutes nos langueurs» (Is 53). Remarquez encore qu'il ne choisit pas d'autre temps pour laver les pieds de ses disciples que celui où le diable était déjà entré dans le coeur de Judas pour lui inspirer le dessein de livrer le Sauveur à ses ennemis, et où le mystère de la rédemption des hommes allait s'accomplir. Avant ce moment, il n'eût point été opportun que Jésus leur lavât les pieds; car, qui leur aurait rendu cet office dans le temps qui devait s'écouler jusqu'à sa passion? On ne pouvait non plus choisir le temps même de la passion; car il n'y avait point un autre Jésus pour leur laver les pieds; ni le temps qui la suivit, car alors leurs pieds furent purifiés par l'Esprit saint; c'est à ce mystère que le Seigneur fait allusion, quand il dit à Pierre: «Vous n'êtes pas capable de le comprendre, mais vous le comprendrez plus tard, lorsqu'une lumière divine vous en donnera l'intelligence».

S. Aug. Cependant Pierre, comme épouvanté de ce que le Sauveur voulait faire, continue de s'opposer à une action dont il ignorait le motif; il ne peut souffrir de voir Jésus-Christ s'humilier jusqu'à ses pieds, et il lui dit: «De l'éternité vous ne me laverez les pieds». C'est-à-dire, jamais je ne le souffrirai; car ce qui ne se fait de l'éternité, ne se fait jamais - Orig. Nous apprenons, par cet exemple, qu'on peut dire dans une bonne intention, mais par ignorance, une chose qui n'est point avantageuse. Pierre, en effet, ignorant combien cette action du Sauveur devait lui être utile, s'en excuse en exprimant un doute plein de respect et de douceur: «Quoi ! Seigneur, vous, me laver les pieds ?» Ensuite il va plus loin: «Jamais vous ne me laverez les pieds ?» et s'oppose ainsi à une action qui devait le faire entrer en communication intime avec le Sauveur. En s'exprimant de la sorte, non seulement il reprend Jésus de l'inconvenance qu'il y a pour lui de laver les pieds de ses disciples, mais il reproche aussi aux autres Apôtres de céder à ce désir inconvenant en présentant leurs pieds à Jésus. Comme ce refus de Pierre ne pouvait lui être avantageux, Notre-Seigneur ne voulut point lui donner raison: Jésus lui répondit: «Si je ne vous lave point, vous n'aurez point de part avec moi». - S. Aug. Le Sauveur dit: «Si je ne vous lave», bien qu'il ne s'agisse que des pieds seuls, comme on dit: Vous marchez sur moi, alors qu'on ne marche que sur les pieds.

Orig. Comment ceux qui refusent d'entendre dans un sens tropologique ou moral ce passage et d'autres semblables, pourront-ils expliquer que celui qui a dit à Jésus, par un sentiment de respect: «Vous ne me laverez jamais les pieds», n'ait point de part avec lui pour ce seul fait de n'avoir point eu les pieds lavés par Jésus, comme s'il s'agissait d'un crime énorme? Nous devons donc présenter à Jésus les pieds, c'est-à-dire les affections de notre âme, afin que nos pieds soient éclatants de blancheur, surtout lorsque nous aspirons à des grâces plus hautes et que nous voulons être du nombre de ceux qui évangélisent les biens du ciel.

S. Chrys. Jésus, au lieu de faire connaître à Pierre les motifs de sa conduite, lui fait des menaces, parce que Pierre n'était point alors en état d'être persuadé; mais dès qu'il entend le Sauveur lui dire: «Vous le saurez par la suite», il n'insiste pas et ne lui dit pas: Faites-le moi savoir actuellement pour que j'accède à votre désir; la menace seule qui lui est faite d'être séparé de Jésus, le détermine à se rendre. - Orig. Nous nous servons de cette parole du Sauveur contre ceux qui prennent la résolution indiscrète de faire des actions qui doivent leur être nuisibles; car, en leur montrant qu'en persévérant dans ce dessein indiscret et téméraire, ils n'auront point de part avec Jésus, nous leur persuadons d'y renoncer, lors même qu'emportés par la vivacité de leurs désirs, ils auraient donné à leur résolution la sanction du serment.

S. Aug. (Traité 56 sur S. Jean). Mais Pierre, dans le trouble où le jettent à la fois l'amour et la crainte, redoute plus de perdre Jésus-Christ que de le voir s'humilier jusqu'à ses pieds, et Simon-Pierre lui dit: Seigneur, non seulement les pieds, mais les mains et la tête». - Orig. Jésus ne voulait point laver les mains de ses disciples, pour montrer le mépris qu'il faisait de ce que disaient les pharisiens: «Vos disciples ne lavent point leurs mains lorsqu'ils se mettent à table pour manger» (Mt 15,2). Il ne voulait point non plus laver la tête, qui reflétait l'image et la gloire du Père, et il lui suffisait que Pierre présentât ses pieds. «Jésus lui répondit: Celui qui est pur n'a plus besoin que de se laver les pieds, et il est pur tout entier». - S. Aug. Il est pur tout entier, à l'exception des pieds; ou si ce n'est ses pieds, qu'il a besoin de laver; car l'homme, dans le baptême, est lavé tout entier, sans excepter même les pieds; mais lorsque sa vie se trouve ensuite mêlée au commerce humain, il foule nécessairement la terre aux pieds. Les affections du coeur humain sans lesquelles cette vie mortelle ne peut ni exister ni se concevoir, sont comme les pieds; et les choses de la terre nous affectent et nous impressionnent à ce point que si nous prétendons n'être coupables d'aucun péché, nous nous trompons nous-mêmes (1Jn 1,8); mais si nous confessons nos péchés, celui qui a lavé les pieds de ses disciples nous remet nos péchés, et purifie jusqu'à nos pieds, par lesquels nous sommes en contact avec la terre. - Orig. Je regarde comme impossible que les extrémités de l'âme et ses parties inférieures ne contractent pas de souillures, quelle que soit la réputation de vertu et de perfection dont on jouisse aux yeux des hommes. Il en est même beaucoup qui, après leur baptême, sont couverts des pieds jusqu'à la tête de la poussière de leurs crimes; mais ceux qui sont ses véritables disciples n'ont d'autre besoin que d'avoir les pieds lavés.

S. Aug. (Lettr. 108 à Seleuc). De ce qui est dit ici, nous pouvons conclure que Pierre était déjà baptisé. Nous pouvons admettre, en effet, que les disciples, par le ministère desquels Jésus baptisait, avaient eux-mêmes reçu le baptême, soit le baptême de Jean, suivant l'opinion de quelques-uns, soit (ce qui est plus probable) le baptême de Jésus-Christ, car celui qui a bien voulu remplir l'humble office de laver les pieds à ses disciples, n'a point dédaigné de leur administrer lui-même le baptême, afin que ceux qui devaient être les ministres de son baptême fussent eux-mêmes baptisés. C'est pour cela que le Sauveur ajoute: «Vous êtes purs, mais non pas tous». - S. Aug. (Tr. 58 sur S. Jean). L'Évangéliste nous explique lui-même le sens de ces paroles, en ajoutant: «Car il savait quel était celui qui devait le trahir, c'est pour cela qu'il leur dit: Vous n'êtes pas tous purs». - Orig. Ces paroles: «Vous êtes purs», s'adressent donc aux onze disciples, et cette restriction: «Mais non pas tous», s'applique à Judas, dont la conscience était souillée, premièrement, parce qu'au lieu de prendre soin des pauvres, il dérobait l'argent qui leur était destiné, et en second lieu, parce que le démon était déjà entré dans son coeur pour lui inspirer de trahir Jésus-Christ. Notre-Seigneur lave les pieds à ses disciples, quoiqu'ils fussent purs, parce que la grâce de Dieu ne s'arrête pas à ce qui est seulement nécessaire; et, comme le dit saint Jean: «Celui qui est pur doit encore se purifier» (Ap 22,11). - S. Aug. Ou bien, Notre-Seigneur parle de la sorte à ses disciples, parce qu'étant déjà lavés, ils n'avaient plus besoin que de se laver les pieds, car tant que l'homme vit au milieu de ce monde, il foule la terre avec ses affections qui sont comme les pieds de l'âme et contracte des souillures inévitables. - S. Chrys. Ou bien encore, le Sauveur ne leur dit pas qu'ils sont purs, dans ce sens qu'ils soient purifiés de leurs péchés, puisque la victime qui devait les effacer n'était pas encore offerte, mais il veut parler de la pureté de l'intelligence, car ils étaient déjà délivrés des erreurs judaïques.


vv. 12-20

13312 Jn 13,12-20

S. Aug. (Traité 58 sur S. Jean). Notre-Seigneur se rappelle qu'il a promis à Pierre l'explication de ce qu'il venait de faire, lorsqu'il lui a dit: «Vous saurez par la suite (ce que j'ai fait) »; et il commence à lui en faire connaître la raison: «Après donc qu'il leur eut lavé les pieds, il reprit ses vêtements, et s'étant remis à table, il leur dit: Savez-vous ce que je viens de vous faire ?» - Orig. Notre-Seigneur parle ici, ou d'une manière interrogative, pour leur faire comprendre la grandeur de cette action, ou dans le sens impératif pour réveiller leur attention. - Alcuin. Dans le sens allégorique, c'est après avoir consommé l'oeuvre de notre purification et de notre rédemption par l'effusion de son sang qu'il reprend ses vêtements en ressuscitant et en sortant du tombeau le troisième jour, revêtu de son corps, doué d'immortalité. Et il s'assied de nouveau en montant au ciel, en prenant place à la droite de Dieu son Père, d'où il doit venir pour nous juger.

S. Chrys. (hom. 91 sur S. Jean). Ce n'est pas à Pierre seul qu'il s'adresse, mais à tous les Apôtres, comme s'il leur disait: Vous m'appelez tous votre Seigneur et votre Maître. Notre-Seigneur en appelle ici à leur propre témoignage, et afin que ce témoignage ne pût être soupçonné de flatterie, il s'empresse d'ajouter: «Et vous avez raison, car je le suis en effet». - S. Aug. Le sage donne à l'homme ce précepte: «Que ce ne soit point ta bouche qui te loue, mais la bouche de ton prochain» (Pr 27,2). Car la vaine complaisance est dangereuse pour l'homme qui doit éviter l'orgueil. Mais pour celui qui est au-dessus de tout, quelques louanges qu'il se donne, il ne peut s'élever au-dessus de ce qu'il est, et on ne peut légitimement accuser Dieu d'arrogance. En effet, c'est à nous et non pas à lui qu'il importe de connaître Dieu, et personne ne peut le connaître, si celui-là qui seul a cette connaissance ne daigne nous la communiquer. Si donc il s'abstient de se louer lui-même pour éviter le reproche d'aimer la vaine gloire, il nous prive des leçons de la sagesse. Mais comment la vérité peut-elle craindre la tentation d'orgueil? Personne ne peut lui reprocher de se donner le nom de maître, même celui qui ne verrait en lui qu'un homme, car il ne fait en cela que ce que font tous les jours les hommes qui enseignent les différentes branches des connaissances humaines et qui prennent, sans se rendre coupables d'arrogance, le nom de professeurs. Toutefois on ne pourrait supporter qu'un homme s'arrogeât le titre de seigneur de ses disciples qui seraient eux-mêmes de condition distinguée suivant le monde. Mais lorsque Dieu parle, ne craignez aucun orgueil d'une si grande élévation, aucun mensonge de la part de la vérité, nous avons tout profit à nous soumettre à cette hauteur, à obéir à cette vérité. Vous avez donc raison de m'appeler votre Maître et votre Seigneur, car je le suis en effet, et si je ne l'étais pas, vous auriez tort de tenir ce langage. - Orig. (Traité 32 sur S. Jean). Ceux à qui Dieu dira à la fin du monde: «Retirez-vous de moi, vous qui opérez l'iniquité» (Mt 7,23) ne disent pas comme il le faut: «Seigneur», mais pour les Apôtres, ils appellent légitimement Jésus, Maître et Seigneur, car ce n'est point l'hypocrisie, mais le Verbe de Dieu qui leur dictait ce langage.

«Si donc je vous ai lavé les pieds, moi votre Seigneur et votre Maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres». - S. Chrys. Le Sauveur prend le terme de comparaison dans un ordre de choses plus élevé pour nous engager à faire une action qui doit nous coûter beaucoup moins, car pour lui il est notre Maître, tandis que pour nous, c'est à nos frères, serviteurs comme nous, que nous rendons cet office: «Je vous ai donné l'exemple, afin que vous fassiez comme je vous ai fait moi-même. - Bède. Notre-Seigneur a commencé par pratiquer ce qu'il devait ensuite enseigner, selon ces paroles: «Jésus commença par faire». (Ac 1,1) Voilà, bienheureux Pierre, ce que vous ne saviez pas, et ce dont le Sauveur vous promettait l'explication.

Orig. Il nous faut examiner s'il est nécessaire que tout disciple qui veut accomplir dans sa perfection la doctrine de Jésus-Christ, doit pratiquer comme une oeuvre d'obligation le lavement extérieur des pieds, d'après ces paroles: «Vous devez vous laver les pieds les uns des autres»; mais cette coutume ne se pratique plus ou se pratique rarement. - S. Aug. La plupart accomplissent ce devoir d'humilité lorsqu'ils se donnent mutuellement l'hospitalité, et les chrétiens se le rendent les uns aux autres, même dans ce qu'il a d'extérieur. Sans aucun doute, il est mieux et plus conforme à la vérité de le rendre extérieurement, en sorte qu'un chrétien ne dédaigne pas de faire ce qu'a fait Jésus-Christ lui-même, car lorsque notre corps s'incline et s'abaisse jusqu'aux pieds de nos frères, le sentiment de l'humilité se trouve ou excité dans notre coeur, ou affermi s'il y était déjà. Mais indépendamment de cette interprétation morale, est-ce qu'un frère ne peut purifier son frère de la contagion du péché? Confessons-nous mutuellement nos péchés, pardonnons-nous réciproquement nos fautes, prions pour les fautes les uns des autres, et nous nous serons en quelque sorte mutuellement lavé les pieds. - Orig. On peut dire encore que ce lavement spirituel des pieds ne peut avoir pour principal auteur que Jésus seul, et ce n'est que secondairement que les disciples peuvent le pratiquer conformément à ces paroles: «Vous devez vous laver les pieds les uns aux autres». En effet, Jésus a lavé les pieds de ses disciples comme Maître, et ceux de ses serviteurs comme Seigneur; or, le but que se propose le maître, c'est de rendre son disciple semblable à lui, c'est le but que s'est proposé le Sauveur; il veut que ses disciples deviennent semblables à leur Maître, à leur Seigneur, et qu'ils n'aient point de servitude, mais l'esprit des enfants qui leur fait dire à Dieu: «Mon Père» (Rm 8,15). Avant donc qu'ils deviennent comme le Maître et comme le Seigneur, ils ont besoin qu'on leur lave les pieds comme à des disciples qui ne sont point suffisamment instruits, et qui sont encore soumis à l'esprit de servitude. Mais lorsque l'un d'eux s'élève jusqu'au rang de maître et de seigneur, alors il peut imiter celui qui a lavé les pieds de ses disciples, et laver les pieds des autres par la doctrine en qualité de maître.

S. Chrys. Pour les exciter encore davantage à remplir ce devoir, il ajoute: «En vérité, en vérité je vous le dis, le serviteur n'est pas plus grand que le maître, ni l'apôtre plus grand que celui qui l'a envoyé,» c'est-à-dire, si j'ai agi de la sorte, à plus forte raison, vous devez faire de même. - Théophyl. Il donne ici aux Apôtres une leçon nécessaire. Ils devaient tous être élevés un jour à des dignités plus ou moins importantes, il s'applique donc à modérer les sentiments ambitieux qui les porteraient à s'élever les uns au-dessus des autres. - Bède. Et comme la connaissance de ce qui est bien sans la pratique est un titre, non de félicité, mais de condamnation, selon ces paroles: «Celui qui connaît le bien et ne le pratique pas, est coupable de péché» (Jc 4,17), le Sauveur ajoute: «Si vous savez ces choses, vous serez bienheureux, pourvu que vous les pratiquiez». - S. Chrys. Tous peuvent arriver à savoir, mais tous ne parviennent pas à pratiquer. Le Sauveur condamne ensuite en termes couverts la conduite de son traître disciple: «Je ne dis pas ceci de vous tous». - S. Aug. C'est-à-dire, il en est un parmi vous qui n'aura point part à ce bonheur et qui ne fera point ces choses: «Je sais ceux que j'ai choisis». Quels sont-ils? ceux qui seront heureux, en accomplissant les commandements du Sauveur. Ainsi Judas ne fut pas choisi de la sorte; comment donc expliquer ce qu'il dit dans un autre endroit: «Est-ce que je ne vous ai pas choisis tous les douze ?» Judas a-t-il donc été choisi pour une oeuvre où il était nécessaire, sans être choisi pour cette félicité dont Notre-Seigneur vient de dire: «Vous seriez bienheureux si vous les pratiquez ?»

Orig. Voici une autre explication: Je ne pense pas qu'on puisse rattacher logiquement ces paroles: «Je ne dis pas ceci de vous tous», à ces autres: «Vous serez bienheureux, pourvu que vous pratiquiez ces choses», car on peut dire avec vérité de Judas, aussi bien que de tout autre: Il sera heureux s'il fait ces choses; mais je crois qu'il faut les rattacher à la proposition qui précède: «Le serviteur n'est pas plus grand que son maître, ni l'apôtre plus grand que celui qui l'a envoyé» (Jn 13,16), car Judas n'était ni serviteur de la parole divine, puisqu'il était esclave du péché, ni apôtre, puisque le démon était entré dans son coeur. Le Seigneur donc qui connaît ceux qui sont à lui, ne connaît pas ceux qui lui sont étrangers; c'est pour cela qu'il ne dit pas: Je connais tous ceux qui sont ici présents, mais: «Je connais ceux que j'ai choisis», c'est-à-dire, je connais mes élus.

S. Chrys. Toutefois, comme il ne veut point contrister le grand nombre de ses disciples, il ajoute: «Mais il faut que cette parole de l'Ecriture soit accomplie: Celui qui mange le pain avec moi lèvera le pied contre moi». Il montrait ainsi qu'il n'ignorait pas qu'on devait le trahir, ce qui eût dû suffire pour retenir le perfide Judas. Et remarquez qu'il ne dit pas: Il me trahira, mais: «Il lèvera le pied contre moi», pour faire ressortir la ruse et les embûches cachées qu'on devait employer contre lui. - S. Aug. (Traité 59). Que signifient, en effet, ces paroles: «Il lèvera le pied contre moi», si ce n'est: Il me foulera aux pieds? Sous cette expression figurée, il veut désigner son traître disciple. - S. Chrys. Il dit: «Celui qui mange le pain avec moi», c'est-à-dire, celui que j'ai nourri, celui qui a partagé ma table. Ne soyons donc point scandalisés, si nous essuyons quelque injure de nos serviteurs ou de quelqu'un de nos inférieurs, en considérant l'exemple de Judas, qui, malgré les bienfaits infinis dont Jésus l'avait comblé, paya son bienfaiteur par la plus noire des trahisons. - S. Aug. Ceux qui avaient été choisis se nourrissaient du corps du Seigneur; Judas, au contraire, mangeait le pain du Seigneur contre le Seigneur; ceux-ci mangeaient la vie, celui-là mangeait son châtiment, car celui qui mange ce pain indignement, dit l'Apôtre, mange sa propre condamnation (1Co 11,29).

«Je vous dis ceci dès maintenant, et avant que la chose se fasse, afin que lorsqu'elle arrivera, vous me reconnaissiez pour ce que je suis», c'est-à-dire, pour celui que cette prophétie avait pour objet. - Orig. Jésus ne dit pas aux Apôtres: Afin que vous croyiez en général, comme s'ils ne croyaient point, mais il veut leur dire: Afin que non contents de croire vous arriviez à pratiquer. Il leur recommande de persévérer dans la foi, et de ne s'exposer à aucune des occasions qui pourraient la leur faire perdre. Et en effet, parmi tous les motifs de crédibilité sur lesquels reposait la foi des disciples, ils eurent celui de voir s'accomplir les prophéties qui avaient Jésus-Christ pour objet.

S. Chrys. (hom. 72). Les Apôtres devaient bientôt partir pour prêcher l'Évangile et pour être exposés à toute sorte d'épreuves, il les console donc par avance de deux manières: d'abord en leur promettant d'être lui-même leur consolateur: «Vous serez heureux, pourvu que vous pratiquiez ces choses» (Jn 13,17); puis en leur prédisant que les hommes eux-mêmes s'empresseront de leur prodiguer les secours dont ils auront besoin: «En vérité, en vérité je vous le dis, celui qui reçoit celui que j'ai envoyé, c'est moi-même qu'il reçoit». - Orig. En effet celui qui reçoit l'envoyé de Jésus, reçoit Jésus, qui demeure dans celui qu'il a envoyé, et celui qui reçoit Jésus, reçoit son Père; donc recevoir celui que Jésus envoie, c'est recevoir le Père lui-même. On peut encore donner cette explication. Celui qui reçoit mon envoyé, arrive jusqu'à me recevoir moi-même, mais celui qui me reçoit, non dans la personne d'un de mes envoyés, mais qui me reçoit même lorsque je viens dans les âmes, reçoit mon Père, de sorte que mon Père et moi nous demeurions en lui.

S. Aug. (Traité 59). Les ariens, en entendant ces paroles, s'empressent de recourir à ces degrés, qui au lieu de les élever sur les hauteurs de la vie, les précipitent dans l'abîme de la mort. Autant, disent-ils, l'Apôtre diffère du Seigneur qui l'envoie, autant le Fils diffère du Père. Mais lorsque le Sauveur fait cette déclaration: «Mon Père et moi nous ne sommes qu'un» (Jn 10,30 il ne permet pas le moindre soupçon de différence entre le Père et le Fils. Comment donc devons-nous entendre ces paroles du Seigneur: «Celui qui me reçoit, reçoit celui qui m'a envoyé ?» Si nous voulons les entendre dans ce sens que le Père et le Fils ont une même nature, la conséquence naturelle de ces autres paroles: «Celui qui reçoit mon envoyé, me reçoit», paraît devoir être que le Fils et l'envoyé ont aussi une même nature. On pourrait donc supposer que le Sauveur a voulu dire: Qui reçoit celui que j'ai envoyé me reçoit en tant qu'homme, mais qui me reçoit comme Dieu, reçoit celui qui m'a envoyé. Toutefois, en s'exprimant de la sorte, ce n'est point l'unité de nature qu'il voulait faire ressortir dans la personne de celui qui est envoyé, mais l'autorité de celui qui envoie; si donc vous considérez Jésus-Christ dans Pierre, vous y trouverez le maître du disciple; si au contraire vous considérez le Père dans le Fils, vous trouverez le Père du Fils unique.


vv. 21-30

13321 Jn 13,21-30

S. Chrys. (hom. 72 sur S. Jean). Notre-Seigneur venait d'offrir cette double consolation à ses Apôtres, qui devaient bientôt parcourir le monde entier, mais il se trouble à la pensée que le traître disciple devait en être privé: «Lorsqu'il eut dit ces choses, Jésus se troubla en son esprit», etc. - S. Aug. (Traité 60 sur saint Jean). Ce n'était pas la première fois que cette pensée lui venait dans l'esprit, mais il allait désigner si clairement celui qui devait le trahir, qu'il ne lui serait plus possible de rester caché parmi les autres, et c'est une des causes de son trouble. D'ailleurs, Judas allait bientôt sortir pour amener les Juifs et leur livrer le Sauveur, et Jésus était encore troublé par les approches de sa passion, par les dangers qui le menaçaient, et par la trahison imminente de son perfide disciple, dont il connaissait par avance les intentions. (Traité 6l). Notre-Seigneur «voulu nous apprendre aussi par ce trouble, que lorsque la nécessité force l'Eglise de séparer de faux frères de son sein avant la moisson, ce ne doit jamais être sans un grand sentiment de trouble. Or, il fut troublé, non dans sa chair, mais dans son esprit; car au milieu de ces scandales, le trouble des hommes vraiment spirituels ne vient pas d'un sentiment répréhensible, mais de la charité qui leur fait craindre qu'en arrachant l'ivraie, on ne déracine en même temps le bon grain (Mt 13) - (Traité 60). Que ce trouble ait eu pour cause ou un sentiment de compassion pour Judas, qui allait se perdre, ou les approches de sa mort, ce n'est point par faiblesse d'âme, mais par un acte de sa puissance que Jésus se trouble; car ce trouble n'est point forcé, il est tout à fait volontaire, il se troubla lui-même, comme il est dit plus haut. Or, ce trouble est une source de consolation pour les membres faibles de son corps, c'est-à-dire, de son Eglise, que Jésus apprend à ne point se regarder comme coupables, si le trouble s'empare de leur âme aux approches de la mort de ceux qui leur sont chers. - Orig. (Traité 32). Jésus est troublé en esprit, c'est-à-dire que ce sentiment humain était produit par la puissance de l'esprit. En effet, si tous les saints vivent, agissent et souffrent en esprit, à combien plus forte raison devons-nous l'assurer de Jésus, le premier et le chef de tous les saints.

S. Aug. (Traité 60). Périssent donc tous les raisonnements des stoïciens, qui prétendent que l'âme du sage doit être complètement inaccessible au trouble; de même qu'ils prennent la vanité pour la vérité, ils regardent l'insensibilité comme un indice de la force de l'âme. L'âme du chrétien peut donc légitimement être troublée, non par la souffrance, mais par un sentiment de compassion. (Traité 61). Jésus dit: «L'un de vous», par le nombre, non par le mérite; l'un de vous par l'apparence et non par sa vertu.

S. Chrys. Mais comme il n'avait pas désigné le traître par son nom, ils sont tous de nouveau saisis de frayeur: «Les disciples donc se regardaient l'un l'autre, ne sachant de qui il parlait». Leur conscience ne leur reprochait aucun dessein de ce genre, et cependant cette déclaration du Sauveur l'emportait dans leur esprit sur leurs propres pensées. - S. Aug. (Traité 61). Leur pieuse tendresse pour leur maître ne les empêchait pas, sous l'impression d'un sentiment de faiblesse naturelle, de concevoir ces soupçons les uns à l'égard des autres. - Orig. Ils se rappelaient d'ailleurs par l'expérience qu'ils avaient de la faiblesse humaine, que la vertu, chez les parfaits, n'est point à l'abri de la mutabilité, et que les désirs les plus louables peuvent facilement se changer en désirs contraires.

S. Chrys. Tous donc étant saisis de crainte, et Pierre, leur chef, tout tremblant lui-même, Jean, comme le disciple bien-aimé, inclina sa tête sur la poitrine de Jésus: «Or, un des disciples de Jésus, que Jésus aimait, reposait sur son sein». - S. Aug. C'était Jean, l'auteur de cet Évangile, comme il le déclare plus loin lui-même. En effet, lorsque les écrivains sacrés racontent un fait où il est question d'eux-mêmes, ils ont coutume d'en parler comme d'une tierce personne. Et en effet, en quoi peut souffrir la vérité du récit, lorsque les choses sont dites telles qu'elles sont, et qu'en même temps l'écrivain échappe au danger de la vanité ?

S. Chrys. Si vous désirez connaître la cause d'une si grande familiarité de la part de Jean, c'était l'amour de Jésus pour lui, c'est pour cela qu'il ajoute: «Celui qu'aimait Jésus». Jésus aimait tous les autres Apôtres, mais il avait pour celui-ci une affection plus spéciale. - Orig. Je pense que Jean, reposant sur le sein du Verbe, veut nous apprendre qu'il goûtait un doux repos dans la considération des mystères secrets du Verbe. - S. Chrys. Il voulait encore montrer par là qu'il était innocent du crime de trahison, et il s'exprime de la sorte pour ne point vous laisser penser que Pierre lui fit signe comme à quelqu'un qui lui serait supérieur en dignité. En effet, l'Évangéliste ajoute: «Simon-Pierre lui fit signe et lui dit: Qui est celui dont on parle ?» En toutes circonstances, nous voyons Pierre comme emporté par la vivacité de son amour; comme il en a déjà été repris par le Sauveur, il ne prend plus lui-même la parole, et cherche à savoir ce qu'il désire par l'intermédiaire de Jean, car le saint Évangile nous montre partout Pierre, plein de ferveur, et vivant dans une grande intimité avec Jean.

S. Aug. Remarquez ici cette manière de s'exprimer sans parler, et par un simple signe. Il lui fît signe dit l'Évangéliste, et il lui demande, c'est-à-dire, il lui demande par le signe même qu'il faisait; car si la pensée seule est un véritable langage, comme l'atteste l'Ecriture dans ce passage: «Ils dirent en eux-mêmes» (Jn 12,19), combien plus peut-on parler par signes, puisqu'alors on manifeste au dehors par une expression quelconque la pensée qu'on a conçue dans son coeur? - Orig. On peut dire encore que Pierre commence par faire signe, et que non content de ce signe, il fit cette question: «Quel est celui dont il parle ?»

«C'est pourquoi ce disciple s'étant penché sur la poitrine de Jésus, lui dit: Seigneur, qui est-ce ?» Précédemment l'Évangéliste avait dit sur le sein, il dit maintenant sur la poitrine. - Orig. On peut dire encore qu'il était couché sur le sein de Jésus, et qu'ensuite il monta plus haut et reposa sur sa poitrine. Il semble que s'il ne se fût point reposé sur la poitrine de Jésus, et qu'il fût resté couché sur son sein, le Seigneur ne lui aurait pas fait connaître ce que Pierre désirait savoir. En reposant donc en dernier lieu sur la poitrine de Jésus, il nous apprend qu'il était le disciple privilégié de Jésus, par l'effet d'une grâce plus haute et plus abondante. - Bède. Ce repos qu'il prend sur le sein et sur la poitrine de Jésus, n'est pas seulement la preuve de l'amour du Sauveur pour lui, mais le présage de ce qui devait arriver, c'est-à-dire, que Jean devait puiser sur la poitrine de Jésus cette voix qui devait retentir et qu'aucun des siècles précédents n'avait entendue. - S. Aug. (Traité 61 sur S. Jean). Le sein est en effet ici la figure d'un mystère caché, et le sein de la poitrine est comme la source secrète de la sagesse.

S. Chrys. (hom. 72). Cependant Notre-Seigneur ne fait pas encore connaître par son nom le traître disciple: «Jésus lui répondit: C'est celui à qui je présenterai le pain trempé». Cette manière de le faire connaître avait pour but de lui faire changer de résolution; et puisqu'il n'avait point rougi de s'asseoir à la même table que son divin Maître, il devait rougir au moins en mangeant le même pain.

«Et ayant trempé du pain, il le donna à Judas Iscariote, fils de Simon». - S. Aug. (Traité 62). On ne peut admettre, avec quelques lecteurs superficiels, que Judas reçut alors seul le corps du Seigneur; nous devons admettre au contraire que le Sauveur avait déjà distribué le sacrement de son corps et de son sang à tous ses disciples, et que Judas était du nombre, au témoignage de saint Luc (Lc 22). Ce ne fut qu'après la communion que, suivant le récit de saint Jean, le Seigneur fit connaître celui qui devait le trahir en lui donnant un morceau de pain trempé. Peut-être, par ce pain trempé, voulut-il désigner l'hypocrisie du traître disciple, car tout ce qui est trempé n'est point pour cela purifié, et quelquefois une chose est souillée, par cela seul qu'elle est trempée; si au contraire ce morceau de pain trempé est le symbole d'une grâce particulière, l'ingratitude de Judas, après le nouveau bienfait, rend plus juste encore sa réprobation.

«Et quand il eut pris ce morceau, Satan entra en lui». - Orig. Remarquez que Satan n'était pas tout d'abord entré dans le coeur de Judas, il lui avait seulement suggéré la pensée de trahir son Maître, ce ne fut qu'après ce morceau qu'il entra dans son âme. Prenons donc bien garde que le démon ne fasse pénétrer dans notre âme quelques-uns de ses traits enflammés, car s'il y réussit, il redouble ses efforts pour entrer lui-même. - S. Chrys. Tant que Judas fit partie du corps des Apôtres, le démon n'osait s'emparer entièrement de lui, il se contentait de l'attaquer extérieurement, mais lorsqu'il l'eût fait connaître et qu'il l'eût séparé des autres disciples, il se trouva plus libre pour se saisir de sa personne. - S. Aug. Ou bien: «Satan entra en lui», dans ce sens qu'il prit complètement possession de celui qui lui appartenait déjà, car il était déjà dans Judas, lorsque ce perfide disciple convint avec les Juifs du prix de sa trahison, comme saint Luc le dit clairement: «Or, Satan entra en Judas, surnommé Iscariote, l'un des douze; et il s'en alla conférer avec les princes des prêtres et les officiers du temple, sur les moyens de le leur livrer» (Lc 22,3-4). Il était donc au pouvoir de Judas, lorsqu'il vint se mettre à table avec Jésus, mais après qu'il eut reçu ce morceau de pain, Satan entra en lui, non plus comme pour tenter un homme qui lui fût étranger, mais pour posséder plus pleinement celui qui lui appartenait déjà. - Orig. Il était juste, à mon avis, qu'après que ce morceau de pain lui fut présenté, il perdit le bien dont il était indigne et qu'il croyait posséder, et qu'ainsi dépouillé de ce bien, le démon pût entrer plus facilement dans son âme.

S. Aug. Il en est qui disent: Est-ce qu'un morceau de pain pris sur la table du Seigneur, a pu avoir pour effet de livrer à Satan l'entrée du l'âme de ce perfide disciple? Nous répondons que nous devons apprendre par là avec quel soin nous devons éviter de recevoir les grâces du ciel dans de mauvaises dispositions, car si Dieu traite si sévèrement celui qui ne discerne pas (c'est-à-dire, qui ne distingue pas des autres aliments) le corps du Seigneur, quelle sera la condamnation de celui qui, sous les dehors de l'amitié, s'approche de sa table avec un coeur hostile ?

«Et Jésus lui dit: Ce que vous faites, faites-le vite». On ne peut dire avec certitude à qui s'adressent ces paroles, car Notre-Seigneur a pu dire également à Judas ou à Satan: «Ce que vous faites, faites-le vite», en provoquant, pour ainsi dire, son ennemi au combat, ou en pressant le traître disciple d'aider à l'accomplissement du mystère, qui devait être le salut du monde, et dont il pressait l'exécution, loin de vouloir la retarder. - S. Aug. Toutefois, il ne commande pas le crime, il le prédit simplement, non point pour hâter la perte de son perfide disciple, que pour accomplir au plus tôt l'oeuvre du salut des nommes. - S. Chrys. Ces paroles: «Ce que vous faites, faites-le au plus vite, ne sont ni un ordre ni un conseil, mais un reproche, et une preuve que le Sauveur ne voulait mettre aucun obstacle à la trahison de son disciple: «Aucun de ceux qui étaient à table ne comprit pourquoi il lui disait cela». Une difficulté assez grande se présente ici, et on se demande comment les disciples qui avaient demandé quel était celui dont Jésus parlait (Jn 13,24), n'aient pas compris la réponse du Sauveur: «Celui à qui je présenterai un morceau de pain trempé» (Jn 13,26). Il faut donc admettre que Jésus fit cette réponse à voix basse, de manière que personne ne l'entendit, et que Jean, qui reposait sur son sein, lui fit précisément cette question à l'oreille, pour ne point faire connaître celui qui devait le trahir; car, si le Sauveur l'eût clairement désigné, Pierre eût pu le mettre à mort. C'est pour cela que l'Évangéliste dit qu'aucun de ceux qui étaient à table ne comprit pourquoi il lui disait cela, pas même Jean, qui ne pouvait penser qu'un disciple de Jésus put se porter à cet excès de scélératesse, ne pouvant soupçonner dans les autres l'idée d'un crime dont il était si éloigné lui-même. Les Apôtres ne comprirent donc point le véritable motif des paroles de Jésus. L'Évangéliste nous apprend dans quel sens ils les entendirent en ajoutant: «Quelques-uns pensaient que, comme Judas avait la bourse, Jésus lui avait dit: Achetez ce dont nous avons besoin pour la fête», etc.

S. Aug. Notre-Seigneur avait donc une bourse, dans laquelle il conservait les offrandes des fidèles destinées à pourvoir aux besoins de ses disciples et au soulagement des pauvres. Telle fut la première institution de la propriété ecclésiastique. Lors donc que le Sauveur nous ordonne de ne point songer au lendemain (Mt 6), ce précepte n'est pas une défense faite aux fidèles de ne conserver aucun argent, mais un avertissement de ne point servir Dieu en vue de l'argent, et de ne jamais sacrifier la justice par crainte de la pauvreté. - S. Chrys. Aucun des disciples de Jésus ne lui apportait d'argent; mais l'Évangéliste nous fait entendre ici que de pieuses femmes fournissaient à Jésus ce qui lui était nécessaire pour son entretien. Or, celui qui ordonne à ses apôtres de ne porter ni sac, ni bâton, ni argent, portait lui-même une bourse pour subvenir aux besoins des pauvres, afin de nous apprendre que celui même qui embrasse une vie de pauvreté et de crucifiement à tout ce qui est dans le monde, doit cependant avoir une grande sollicitude pour les pauvres; car Notre-Seigneur a fait beaucoup de choses dans sa vie, uniquement pour notre instruction.

Orig. Le Sauveur avait dit à Judas: «Ce que vous faites, faites-le au plus vite», et le traître disciple n'obéit que sur ce point à son Maître; aussitôt qu'il a reçu ce morceau de pain, il se hâte d'accomplir, sans aucun retard, son criminel dessein. «Judas, ayant donc pris ce morceau de pain, sortit aussitôt». Et, en effet, il sortit, non seulement en quittant la maison où il se trouvait, mais en se séparant tout à fait de Jésus. Quant à moi, je pense que Satan, qui était entré dans Judas, après qu'il eut reçu ce morceau de pain, ne pouvait supporter d'être plus longtemps dans le même lieu que Jésus; car il ne peut y avoir aucun point de contact entre Jésus et Satan. Il n'est pas inutile de rechercher pourquoi l'Évangéliste, qui nous rapporte que Judas reçut ce morceau de pain, n'ajoute pas qu'il le mangea. Est-ce qu'en effet Judas ne mangea point le morceau de pain? Ne peut-on pas dire que, lorsqu'il eut pris ce morceau de pain, le démon, qui lui avait suggéré la pensée de trahir son Maître, craignant qu'en mangeant de ce pain il ne renonçât à son dessein, se hâta d'entrer en lui aussitôt qu'il l'eut reçu des mains du Sauveur, et le fit sortir aussitôt de la maison? On peut dire encore, avec autant de raison, que de même que celui qui mange indignement le pain du Seigneur ou boit indignement son calice, le mange et le boit pour sa condamnation; ainsi Jésus donna ce pain aux uns pour leur salut, et à Judas pour sa perte; en sorte que Satan entra en lui aussitôt qu'il l'eut reçu.

S. Chrys. L'Évangéliste ajoute: «Or, il était nuit», pour faire ressortir l'audace téméraire de Judas, que le temps ne dut ni retenir ni détourner de son dessein. - Orig. Cette nuit extérieure et sensible était d'ailleurs la figure des ténèbres, qui s'étendaient sur l'âme de Judas. - S. Grég. (Moral., 2, 2). La circonstance du temps fait ressortir la nature et la fin de l'action, et l'Évangile nous fait voir Judas accomplissant dans la nuit son oeuvre de trahison, parce qu'il ne devait jamais en concevoir de repentir.



Catena Aurea 13306