Catena Aurea 13418

vv. 18-21

13418 Jn 14,18-21

S. Aug. (Traité 75 sur S. Jean). Notre-Seigneur ne veut point laisser croire à ses disciples qu'il leur donne l'Esprit saint pour le remplacer, comme s'il ne devait plus être avec eux, et c'est pour cela qu'il leur dit: «Je ne vous laisserai point orphelins». Le mot orphelins signifie la même chose que le mot pupilles, l'un est grec, l'autre latin. Ainsi, bien que le Fils de Dieu nous ait donnés à son Père comme des enfants adoptifs, il veut lui-même nous témoigner une tendresse toute paternelle.

S. Chrys. (hom. 75). Le Sauveur leur avait dit tout d'abord: «Vous viendrez là où je vais»; mais comme il fallait attendre un long espace de temps, il leur promet l'Esprit saint, et parce qu'ils ne comprenaient pas l'excellence de ce don, il leur promet sa présence dont ils étaient si avides, en leur disant: «Je viendrai à vous». Mais il ne veut pas qu'ils recherchent sa présence telle qu'ils en ont joui jusqu'à présent, il exclut indirectement ce genre de présence quand il ajoute: «Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus», c'est-à-dire: Je viendrai à vous, mais non pas comme par le passé, en demeurant chaque jour tout entier au milieu de vous. Et pour prévenir cette objection: Pourquoi donc avez-vous dit aux Juifs: «Bientôt vous ne me verrez plus ?» Il leur dit: «C'est vers vous seuls que je viendrai». - S. Aug. Le monde le voyait alors des yeux du corps revêtu d'une chair visible, mais il ne voyait pas le Verbe, qui était caché sous l'enveloppe d'un corps sensible, de même qu'après sa résurrection, il a donné cette chair, non seulement à voir, mais à toucher à ses disciples, tandis qu'il en a dérobé la vue à ses ennemis; peut-être est-ce pour cela qu'il dit: «Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus, mais pour vous, vous me verrez». Cependant, comme au jour du jugement, le monde, c'est-à-dire, ceux qui sont exclus de son royaume, le verront de leurs yeux, je crois qu'il a surtout voulu désigner ce temps de la fin du monde où il disparaîtra pour toujours des yeux des réprouvés, et ne sera plus vu que de ceux qui l'aiment. Et s'il se sert de cette locution: «Encore un peu de temps», c'est que ce qui parait long aux yeux des hommes, est toujours très-court aux yeux de Dieu.

«Parce que je vis et que vous vivrez aussi». - Théophyl. C'est-à-dire, bien que je doive souffrir la mort, cependant je ressusciterai: et vous aussi vous vivrez, c'est-à-dire, vous serez dans la joie, lorsque vous me verrez, et dès que j'apparaîtrai, vous ressusciterez comme des morts qui sortent du tombeau. - S. Chrys. Il veut parler ici non de la vie présente, mais de la vie future, et tel est le sens de ces paroles: La mort de la croix ne me séparera point de vous pour toujours, mais elle ne fera que me cacher un instant à vos yeux.

S. Aug. Pourquoi dit-il de lui au présent: «Parce que je vis», et d'eux au futur: «Et que vous vivrez ?» C'est parce qu'il leur promettait pour l'avenir la vie de la chair ressuscitée, telle qu'il devait bientôt la manifester le premier dans sa personne. En effet, sa résurrection devait suivre presque immédiatement sa mort, et c'est pour cela qu'il dit au présent: «Je vis», pour exprimer le terme prochain de sa résurrection. Mais comme la résurrection des siens devait être différée jusqu'à la fin des siècles, il ne leur dit pas: Vous vivez, mais: «Vous vivrez». Nous vivrons en vertu de sa vie, car si c'est par un homme que la mort est entrée dans le monde, c'est aussi par un homme qu'aura lieu la résurrection des morts (1Co 15,21). Et dans ce jour (où s'accomplira cette promesse de vie), vous connaîtrez (par intuition, ce dont la foi nous donne ici la connaissance), que je suis dans mon Père, et vous en moi, et moi en vous», parce qu'en effet, lorsque nous vivrons de cette vie qui aura complètement détruit la mort, nous verrons alors s'accomplir ce qu'il a commencé lui-même, c'est-à-dire, qu'il soit en nous et que nous soyons en lui. - S. Chrys. Ou bien encore, au jour de ma résurrection, vous connaîtrez, parce que leur foi devint pleine de certitude lorsqu'ils le virent ressusciter et revenir au milieu d'eux; car la puissance de l'Esprit saint, qui leur enseignait toutes choses était grande. Quant à ces paroles: «Je suis dans mon Père», c'est le langage de l'humilité, et quand il ajoute: «Et vous en moi, et moi en vous», il veut parler de son humanité, du secours qui vient de Dieu, car l'Ecriture emploie très souvent des mots semblables, mais qu'elle entend dans un sens différent, suivant qu'elle les applique à Dieu ou aux hommes. - S. Hil. (de la Trin., 8) Ou bien en s'exprimant de la sorte, il veut que nous croyions qu'il est dans son Père par sa nature divine, que nous sommes en lui par sa naissance corporelle, et qu'il est encore en nous par le mystère de son sacrement, comme il l'atteste lui-même: «Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui» (Jn 6,56).


Alcuin. Or, c'est par l'amour et par l'observation de ses commandements que s'accomplira cette union parfaite qu'il a commencée lui-même, et en vertu de laquelle il est en nous, et nous en lui. Et ce n'est pas seulement à ses Apôtres qu'est promis ce bonheur, mais à tous les hommes: «Celui qui a mes commandements et qui les garde», etc. - S. Aug. Celui qui les a dans sa mémoire et les garde dans sa vie; celui qui les a dans ses discours et qui les garde dans ses oeuvres; celui qui les a par son attention à les écouter et qui les garde par sa fidélité à les pratiquer; celui qui les a en les observant et qui les garde par une constante persévérance: voilà celui qui m'aime véritablement, la preuve de l'amour doit être dans les oeuvres, ou alors il n'est plus qu'une dénomination stérile. - Théophyl. Voici, en effet, le vrai sens de ces paroles: vous pensez me donner un témoignage d'amour en vous attristant de ma mort, mais pour moi la preuve de l'amour véritable, c'est l'observation de mes commandements. Or, quelle sera la récompense de cet amour? «Celui qui m'aime sera aimé de mon Père, et je l'aimerai aussi». - S. Aug. Mais qu'est-ce à dire: «Je l'aimerai», comme s'il n'avait pas aimé jusque-là? Il répond à cette difficulté en ajoutant: «Et je me manifesterai à lui», c'est-à-dire, je l'aimerai pour me manifester à lui et lui donner la claire vision comme récompense de sa foi. Maintenant Jésus nous aime pour nous amener à la foi, il nous aimera alors pour nous conduire à la vision des cieux; et nous aussi nous aimons maintenant en croyant ce que nous verrons un jour, et nous aimerons alors en voyant ce qui est l'objet de notre foi.

S. Aug. (Lett. 112 à Paulin., chap. 10) Or, il a promis de se manifester à ceux qui l'aiment comme un seul Dieu avec son Père, et non corporellement comme il a été vu dans ce monde par les méchants eux-mêmes. - Théophyl. Ou bien encore, comme il devait leur apparaître après sa résurrection dans un corps glorieux et plus rapproché de la divinité, il leur fait cette prédiction afin qu'ils ne le prennent point pour un esprit ou pour un fantôme, et que bannissant tout sentiment de défiance, ils se rappellent qu'il se manifeste à eux pour les récompenser d'avoir observé ses commandements, et qu'ils persévèrent dans cette observance pour jouir toujours de cette manifestation.


vv. 22-27

13422 Jn 14,22-27

S. Aug. (Traité 76 sur S. Jean). Notre-Seigneur venait de dire: «Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus, mais pour vous, vous me verrez». Judas, non pas le traître surnommé Iscariote, mais celui dont l'Epître est au rang des Écritures canoniques, Judas lui demande l'explication de ces paroles: «Judas, non pas l'Iscariote, lui dit: Seigneur, d'où vient que vous vous manifesterez à nous et non au monde ?» Il lui demande donc la raison pour laquelle il doit se manifester, non pas au monde, mais à ses disciples, le Seigneur lui donne cette raison, c'est qu'il est aimé des uns et qu'il n'est pas aimé des autres. Jésus lui répondit: «Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera», etc. - S. Grég. (hom. 30 sur les Evang). La preuve de l'amour ce sont les oeuvres; l'amour de Dieu ne peut jamais être oisif, dès qu'il existe, il opère de grandes choses, s'il refuse d'agir, ce n'est qu'un simulacre d'amour.

S. Aug. L'amour qui distingue et sépare les saints des partisans du monde, est cet amour qui inspire un même esprit à ceux qui habitent (Ps 68,7) dans la maison où le Père et le Fils font leur demeure, en répandant leur amour sur ceux à qui ils doivent se manifester un jour. Il y a donc une certaine manifestation intérieure de Dieu, complètement inconnue des impies, à qui Dieu le Père ne se manifeste jamais. Quant au Fils, ils ont pu le voir, mais seulement dans sa chair, cette manifestation ne ressemble nullement à l'autre, elle ne peut d'ailleurs leur être toujours présente, elle ne dure qu'un peu de temps, et loin d'être pour eux une cause de joie et de récompense, elle est bien plutôt un principe de jugement et de condamnation: «Et nous viendrons à lui». Le Père et le Fils viennent à nous, lorsque nous venons nous-mêmes à eux; ils viennent à nous en nous secourant, nous venons à eux en obéissant à leur inspiration, ils viennent à nous en nous comblant de leur lumière, nous venons à eux en la contemplant, ils viennent à nous en nous remplissant de leurs dons, nous venons à eux en les recevant. Cette vision n'a aucun rapport avec les sens extérieurs, elle est tout intérieure, et cette demeure n'est point passagère, elle est éternelle: «Et nous ferons en lui notre demeure». - S. Grég. Dieu vient dans certaines âmes et n'y demeure pas, parce que si le repentir leur fait tourner les regards vers Dieu, elles oublient ce repentir aux approches de la tentation, et retombent dans leurs anciens péchés, comme si elles ne les avaient jamais pleurés. Celui donc qui aime Dieu d'un amour véritable, voit le Seigneur venir en lui et y établir sa demeure, parce qu'il est tellement pénétré de l'amour de Dieu, qu'il lui reste fidèle dans le temps même de la tentation, et il aime véritablement Dieu, parce que le plaisir criminel ne peut triompher de son âme en lui arrachant son consentement.

S. Aug. Mais devons-nous admettre que l'Esprit saint reste étranger à cette demeure que le Père et le Fils font dans l'âme de celui qui les aime? Alors que signifieraient ces paroles que le Sauveur a dites précédemment de l'Esprit saint: «Il demeurera au milieu de vous, et il sera en vous», à moins qu'on ne pousse l'absurdité jusqu'à penser que lorsque le Père et le Fils arrivent, le Saint- Esprit s'éloigne comme pour laisser la place à ceux qui lui sont supérieurs? La sainte Ecriture va du reste au-devant de cette grossière objection, lorsqu'elle dit: «Afin qu'il demeure en vous éternellement». L'Esprit saint sera donc éternellement dans la même demeure avec le Père et le Fils, parce qu'il ne peut venir sans eux, et qu'ils ne peuvent venir sans lui. C'est pour établir la distinction des personnes de la sainte Trinité, que quelques opérations sont attribuées nominativement à chacune des personnes, mais il ne faut jamais en exclure les autres personnes, parce qu'il n'y a qu'une seule et même nature dans la Trinité.

S. Grég. Plus on se livre aux plaisirs bas et terrestres, plus on s'éloigne de l'amour des biens célestes. «Celui qui ne m'aime pas, poursuit Notre-Seigneur, ne garde point mes commandements». L'amour du Créateur exige donc le concours de la langue, du coeur et de la vie. - S. Chrys. (hom. 75 sur S. Jean). On peut encore donner cette explication: Judas pensait qu'ils ne verraient le Sauveur que comme nous voyons les morts pendant notre sommeil, et c'est pour cela qu'il lui fait cette question: «D'où vient que vous vous manifesterez à nous et non au monde ?» Langage qui revient à celui-ci: Malheur à nous ! Vous allez mourir, et vous ne nous apparaîtrez plus que comme les morts ont coutume d'apparaître. C'est pour détruire ce soupçon que Notre-Seigneur leur dit: «Mon Père et moi, nous viendrons à lui», c'est-à-dire, je me manifesterai de même que mon Père. «Et nous ferons en lui notre demeure»; ce qui éloigne toute idée de sommeil et de songe; il ajoute: «Et la parole que vous avez entendue n'est pas de moi, mais de mon Père, qui m'a envoyé». C'est-à-dire, celui qui n'écoute pas ma parole, n'aime ni mon Père, ni moi. Le Sauveur s'exprime de la sorte, parce qu'il ne dit rien qui soit en dehors de son Père, ou qui ne soit conforme à son bon plaisir. - S. Aug. Peut-être est-ce pour établir une distinction, que lorsqu'il s'agit de ses propres paroles, le Sauveur parle au pluriel: «Celui qui ne m'aime pas, ne garde pas mes commandements»; tandis que lorsqu'il parle au singulier de sa parole, c'est-à-dire du Verbe du Père, il ne dit point que c'est sa parole, mais celle du Père, c'est-à-dire lui-même. En effet, il n'est point son Verbe, mais le Verbe du Père; de même qu'il n'est point son image, mais l'image du Père; de même qu'il n'est point son Fils, mais le Fils du Père. C'est donc avec raison qu'il attribue à l'auteur de son être ce qu'il fait comme étant son égal, puisque c'est de lui qu'il a reçu ce qui lui donne cette parfaite égalité.

S. Chrys. Parmi les choses que le Sauveur venait de leur dire, les unes étaient claires, les autres étaient restées incomprises; il ajoute donc, pour calmer le trouble de leur âme: «Je vous ai dit ceci, demeurant avec vous». - S. Aug. (Traité 77) Cette demeure qu'il vient de promettre pour l'avenir, est toute différente de celle qu'il déclare exister actuellement. La première est toute spirituelle, et se réalise au dedans de l'âme; l'autre est extérieure et accessible aux yeux du corps comme au sens de l'ouïe. - S. Chrys. Or, pour les préparer à supporter plus patiemment la privation de sa présence corporelle, il leur promet que son départ sera pour eux la cause des biens les plus abondants, car tant qu'il restait au milieu d'eux d'une manière visible, sans que l'Esprit saint vint en eux, ils ne pouvaient comprendre aucune vérité importante. Aussi Notre-Seigneur ajoute: «Mais le Paraclet, l'Esprit saint, que mon Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit». - S. Grég. Le mot grec ðáñÜëçôïò veut dire en latin avocat ou consolateur. L'Esprit saint est appelé avocat, parce qu'il intercède auprès de la justice du Père en faveur des pécheurs qui se sont égarés, et en inspirant l'esprit de prière à ceux qu'il remplit de ses dons. On lui donne aussi le nom de consolateur, parce qu'il délivre de l'affliction et de la tristesse les âmes que la pensée de leurs crimes plongent dans une mer d'amertumes, en leur faisant entrevoir l'espérance du pardon. - S. Chrys. Il leur représente encore l'Esprit saint comme consolateur, en vue des tribulations dont ils allaient être assaillis.

Didyme. (De l'Esprit saint, liv. 2) Le Sauveur affirme que l'Esprit saint est envoyé par le Père en son nom, et le nom du Sauveur est celui de Fils, qui exprime à la fois l'unité de nature et la distinction des personnes. En effet, il est exclusivement le propre du Fils de venir au nom du Père, en conservant les relations qui existent du Père le Fils; aussi nul autre n'est venu au nom du Père, mais plusieurs sont venus au nom du Seigneur Dieu tout-puissant. De même donc que les serviteurs qui viennent au nom de leur maître rappellent le souvenir de leur maître, par cela seul qu'ils sont ses serviteurs et ses subordonnés; ainsi le Fils qui vient au nom de son Père porte et rappelle son nom par cela seul qu'il est reconnu pour le Fils unique de Dieu. Par cela donc que l'Esprit saint est envoyé par le Père au nom du Fils, il montre les liens étroits qui l'unissent au Fils; aussi est-il appelé l'Esprit du Fils, et par la grâce de l'adoption, il donne à ceux qui veulent le recevoir le titre et les droits d'enfants de Dieu. Or, ce divin Esprit, qui est envoyé par le Père et qui vient au nom du Fils, enseignera toutes choses à ceux dont la foi eu Jésus-Christ est parfaite, c'est-à-dire tous les mystères et les secrets spirituels de la vérité et de la sagesse, et il les enseignera non comme les hommes enseignent les arts et la sagesse, à force d'étude et d'habilité, mais cet Esprit de vérité les enseignera comme étant lui-même par essence la doctrine et la sagesse, et répandra invisiblement dans les âmes la science des choses divines.

S. Grég. La parole de celui qui enseigne demeure nécessairement infructueuse si l'Esprit saint n'est présent dans le coeur de celui qui reçoit ses enseignements. Que personne donc n'attribue à celui qui enseigne l'intelligence des vérités qui sortent de ses lèvres, car sans la présence de ce maître intérieur, la langue de celui qui enseigne travaille inutilement à l'extérieur. Le Créateur lui-même ne parle point à l'homme pour son instruction, à moins que l'Esprit saint ne lui parle on même temps par son onction. - S. Aug. Mais est-ce donc que le Fils parle et que l'Esprit saint enseigne, de manière que nous entendions les paroles du Fils, et que l'enseignement de l'Esprit saint nous en donne l'intelligence? C'est donc la Trinité tout entière qui parle et qui enseigne; mais si l'action de chacune des divines personnes ne nous était présentée comme distincte et séparée, la faiblesse humaine ne pourrait en aucune manière la comprendre.

S. Grég. (hom. 30). Examinons encore pourquoi le Sauveur dit de l'Esprit saint: «Il vous suggérera toutes les choses», etc., ce qui parait indiquer un ministère inférieur. Mais il faut nous rappeler que le mot suggérer a quelquefois le sens de fournir, de donner, et on dit de l'Esprit invisible qu'il suggère, non qu'il nous inspire la science puisée dans les régimes inférieurs, mais parce qu'il la tire des profondeurs cachées aux yeux des hommes. - S. Aug. Ou bien encore ces paroles: «Il vous suggérera», c'est-à-dire il vous rappellera, doivent nous faire comprendre que c'est pour nous un devoir de ne jamais oublier que ses salutaires enseignements ont pour objet et pour fin la grâce que l'Esprit nous remet en mémoire. - Théophyl. L'Esprit saint a donc tout ensemble enseigné et remis en mémoire; il a enseigné les vérités que Jésus-Christ n'avait pas voulu faire connaître à ses disciples, parce qu'ils n'étaient pas capables de les comprendre; et il les a fait ressouvenir de celles que le Sauveur leur avait enseignées, mais dont ils avaient perdu la mémoire par suite de l'obscurité des choses elles-mêmes ou de la lenteur de leur intelligence.

S. Chrys. Ces discours du divin Maître jetaient le trouble dans leur âme, en leur représentant les persécutions et les combats qu'ils auraient à soutenir après que Jésus les aurait quittés; il les console donc de nouveau en leur disant: «Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix». - S. Aug. Il nous laisse la paix dans ce monde, afin qu'elle nous serve à vaincre nos ennemis et à nous aimer les uns les autres; il nous donnera sa paix dans le siècle futur, où nous régnerons sans avoir à craindre ni les attaques des ennemis, ni les dissentiments avec nos frères. Or, c'est lui-même qui est notre paix, et lorsque nous croyons qu'il est et lorsque nous le verrons tel qu'il est. Mais pourquoi, lorsqu'il dit à ses disciples: «Je vous laisse la paix», ne dit-il point: Ma paix, tandis que dans la proposition suivante il dit: «Je vous donne ma paix ?» Devons-nous sous-entendre ce pronom ma dans la phrase où il n'est pas exprimé? Ou bien y a-t-il ici quelque vérité cachée? Par sa paix, il veut que nous entendions celle dont il jouit lui-même. Quant à la paix qu'il nous laisse pendant cette vie, c'est plutôt notre paix que la sienne. Le Sauveur n'a en lui aucun élément de guerre intérieure, parce qu'il n'y a en lui aucun péché; tandis que la paix que nous pouvons avoir en ce monde ne nous empêche pas de dire: «Pardonnez-nous nos péchés». De même encore la paix règne entre nous, parce que nous croyons à l'amour mutuel que nous avons les uns pour les autres; mais cette paix n'est point parfaite, parce que nous ne pouvons pénétrer réciproquement les pensées secrètes de nos coeurs. Je sais toutefois que l'on peut entendre ces paroles du Sauveur dans le sens d'une simple répétition de la même pensée. Il ajoute: «Je ne vous la donne pas comme le monde la donne»; c'est-à-dire, je ne la donne pas comme la donnent les hommes qui aiment le monde. Ils s'accordent mutuellement la paix, afin de pouvoir jouir des biens de ce monde sans inquiétude et sans crainte; et s'ils laissent la paix aux justes en ce sens qu'ils ne les persécutent pas, ce ne peut être une paix véritable, parce qu'il ne peut y avoir de véritable entente là où les coeurs sont séparés. - S. Chrys. D'ailleurs, la paix qui n'est qu'extérieure est souvent très-dangereuse, et n'est d'aucune utilité pour ceux qui la possèdent.

S. Aug. (serm. 59 sur les par. du Seign). La paix, c'est la sérénité de l'âme, la tranquillité de l'esprit, la simplicité du coeur, le lien de l'amour, l'union intime de la charité; celui qui n'aura point voulu observer ce divin testament de la paix, ne pourra parvenir à l'héritage du Seigneur, et il ne peut espérer d'être en paix avec Jésus-Christ, s'il est en guerre avec un de ses frères en Jésus-Christ.


vv. 27-31

13427 Jn 14,27-31


S. Chrys. (hom. 75 sur S. Jean). Ces paroles du Sauveur à ses disciples: «Je vous laisse ma paix» (Jn 14,27) leur faisaient pressentir son départ et pouvaient leur inspirer un sentiment de trouble; il se hâte donc de leur dire: «Que votre coeur ne se trouble point et ne s'effraie point». (Jn 14,27) Ce double sentiment était produit en eux l'un par l'amour, l'autre par la crainte.

S. Aug. (Traité 78 sur S. Jean). Ce qui pouvait être pour eux une cause de trouble et d'effroi, c'est que Jésus les quittait (quoiqu'il dût revenir), et que pendant cet intervalle, le loup pouvait profiter de l'absence du pasteur pour fondre sur le troupeau: «Vous avez entendu, leur dit le Sauveur, que je vous ai dit: Je m'en vais et reviens à vous». (Jn 14,28) Il s'en allait en tant qu'homme, et il restait en tant que Dieu. Mais pourquoi ce trouble et cet effroi, puisqu'en se dérobant à leurs regards, Jésus n'abandonnait pas leur coeur? Or, pour leur faire comprendre que c'était comme homme qu'il leur avait dit: «Je m'en vais et je reviens à vous»; il ajoute: «Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je m'en vais à mon Père», (Jn 14,28) etc. C'est en tant qu'il n'était pas égal au Père, que le Fils devait aller à son Père, d'où il devait revenir juger les vivants et les morts. Mais en tant qu'il est égal à celui qui l'a engendré, il ne se sépare jamais de son Père, mais il est tout entier avec lui en tout lieu en vertu de cette divinité qu'aucun lieu ne peut limiter. Aussi le Fils de Dieu, égal à son Père dans la forme de Dieu (car il s'est anéanti lui-même sans perdre la forme de Dieu, mais en prenant la forme de serviteur - (Ph 2), est plus grand que lui-même, puisque la forme et la nature de Dieu qu'il n'a point perdues, sont plus grandes que la forme et la nature de serviteur qu'il a prises. A ne considérer que cette forme de serviteur, le Fils de Dieu est inférieur, non seulement au Père, mais à l'Esprit saint; sous ce rapport Jésus-Christ enfant était inférieur à ses parents, puisqu'il leur était soumis dans son enfance, comme l'Évangile nous l'apprend (Lc 2). Reconnaissons donc en Jésus-Christ deux natures, la nature divine, qui le fait égal au Père, et la nature humaine, qui le rend inférieur au Père. Or, ces deux natures ne font point deux Christs, mais un seul Christ; de sorte qu'il n'y a pas en Dieu quaternité, mais trinité. Or, Notre-Seigneur dit: «Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je m'en vais à mon Père». (Jn 14,28) Félicitons, en effet, la nature humaine, de ce que le Fils unique de Dieu a daigné la prendre pour la placer dans les cieux, au sein de l'immortalité, de ce que la terre a été élevée si haut, et de ce que la poussière, devenue incorruptible, s'est assise à la droite le Dieu le Père. Qui ne se réjouirait, s'il aime Jésus-Christ, qui n'applaudirait de voir sa nature revêtue de l'immortalité dans la personne du Christ, et d'espérer obtenir lui-même un jour cette immortalité par les mérites de Jésus-Christ ?

S. Hil. (de la Trin., 9) Ou bien encore, si le Père est plus grand que moi, en vertu de l'autorité de celui qui donne, est-ce que le Fils ne lui est pas inférieur, par-là même qu'il reconnaît avoir reçu de son Père? Oui, celui qui donne est plus grand, mais le Fils n'est pas inférieur, puisque son Père lui donne d'être un seul et même Dieu avec lui. - S. Chrys. On peut encore donner cette explication: Les Apôtres ne savaient pas en quoi consistait cette résurrection qu'il leur avait prédite, en leur disant: «Je m'en vais et je reviens à vous», (Jn 14,28) et ils n'avaient pas encore de lui une idée convenable, tandis qu'ils regardaient le Père comme infiniment plus grand et plus élevé. Il leur dit donc: «Vous craignez que je ne sois pas assez puissant pour me secourir moi-même, et vous ne pouvez croire que je revienne vous voir après ma mort sur la croix; mais au moins vous devriez vous réjouir de m'entendre dire que je vais à mon Père qui est plus grand que moi, et qui est assez puissant pour renverser tous les obstacles». Il accommodait ainsi son langage à la faiblesse de ses disciples, et c'est pour cela qu'il ajoute: «Et je vous le dis maintenant, avant que cela arrive, afin que quand ce sera arrivé, vous croyiez». (Jn 14,29)

S. Aug. (Traité 79 sur S. Jean). Que veulent dire ces paroles? Est-ce que l'homme ne doit pas croire bien plutôt ce qui lui est proposé comme l'objet de sa foi avant son accomplissement? Le véritable mérite de la foi, c'est de croire ce qu'on ne voit point, car cet Apôtre à qui Jésus a dit: «Vous avez cru parce que vous avez vu» (Jn 20,29), il a vu une chose et en a cru une autre, il a vu en Jésus-Christ un homme, et il a cru qu'il était Dieu. On dit bien, il est vrai, qu'on croit ce que l'on voit, qu'on en croit à ses propres yeux, mais ce n'est point là cette foi qui s'établit dans nos coeurs; les choses que nous voyons ne sont que le moyen par lequel nous croyons celles que nous ne voyons pas. Ces paroles: «Quand cela sera arrivé», (Jn 14,29) signifient donc qu'après qu'il sera mort, ils le verront de nouveau plein de vie, et qu'en le voyant ils croiront fermement qu'il était le Christ, fils de Dieu, qui a pu opérer un tel prodige et le prédire avant de l'accomplir. Et ils le devaient croire, non d'une foi nouvelle, mais d'une foi plus complète, ou si l'on veut, d'une foi qui avait faibli au moment de sa mort, mais qui s'était ranimée lors de sa résurrection.

S. Hil. (de la Trin., 9) Notre-Seigneur leur fait connaître ensuite ce qui devait lui mériter la gloire qui devait suivre sa mort: «Je ne vous parlerai plus guère». (Jn 14,30) - Bède. Il s'exprime de la sorte, parce que le moment approchait où on allait se saisir de sa personne et le mettre à mort: «Car le prince de ce monde vient». - S. Aug. Quel est ce prince du monde si ce n'est le démon? Il n'est point toutefois le prince de toutes les créatures, mais seulement des pécheurs. Aussi lorsque l'Apôtre nous dit: «Nous avons à combattre... contre les princes de ce monde» (Ep 6,12), il ajoute: «De ce monde de ténèbres», c'est-à-dire, du monde composé des hommes impies; «et il n'a rien en moi», (Jn 14,30) parce que le Fils de Dieu était venu sans péché, et la très-sainte Vierge n'avait pas conçu et enfanté sa chair d'une source empoisonnée par le péché. Mais alors, pouvait-on lui dire: Pourquoi devez-vous souffrir la mort, si vous êtes sans péché, puisque la mort est la peine du péché? Il prévient cette objection en ajoutant: «Mais afin que le monde connaisse que j'aime mon Père, et que selon le commandement que mon Père m'a donné, ainsi je fais; levez-vous, sortons d'ici». (Jn 14,31) En effet, il était encore à table avec ses disciples, lorsqu'il leur adressait le discours qui précède; il dit: «Allons», en se dirigeant vers le lieu où on devait se saisir de sa personne pour le livrer à la mort, bien qu'il n'eût aucunement mérité la mort; mais son Père lui commandait de mourir, et il voulait donner l'exemple de l'obéissance par amour.

S. Aug. (contr. le disc. des Ar., 2) L'obéissance du Fils à la volonté et aux ordres de son Père, n'est point une preuve même parmi les hommes, de la diversité et de l'inégalité de nature entre le Père qui commande et le Fils qui obéit, et il y a ici quelque chose de plus, c'est que Jésus-Christ n'est pas seulement Dieu, en quoi il est égal à son Père, mais il est homme aussi, et par conséquent d'une nature inférieure à celle de son Père. - S. Chrys. (hom. 76 sur S. Jean). On peut dire encore que ces paroles: «Levez-vous, sortons d'ici», (Jn 14,31) sont le commencement d'un autre ordre d'idées. Le temps, comme le lieu, étaient pour les disciples une cause naturelle de crainte et d'effroi. Ils étaient dans un endroit connu et ouvert de toutes parts; la nuit était profonde, et ils ne prêtaient qu'une médiocre attention aux paroles du Sauveur, tournant les yeux de côté et d'autre, et s'imaginant toujours voir entrer ceux qui devaient les attaquer. Ce que le Sauveur venait de leur dire: «Je ne vous parlerai plus guère (cf. Jn 7,33), car le prince de ce monde est venu (Jn 14,30)», ajoutait à leur frayeur. Jésus les voyant sous cette impression en entendant ses paroles, les conduit dans un autre lieu, où la pensée qu'ils étaient plus en sûreté leur laisserait plus de liberté d'esprit pour écouter attentivement les grandes vérités qu'il avait à leur révéler.


CHAPITRE XV


vv. 1-3

13501 Jn 15,1-3

S. Hil. (de la Trin., 9) Notre-Seigneur se lève et se hâte d'aller consommer le mystère de sa passion par l'amour qui le porte à exécuter les ordres de son Père. Cependant il veut expliquer auparavant le mystère de son incarnation, en vertu de laquelle nous lui sommes unis, comme les branches sont unies à la vigne: «Je suis la vraie vigne», dit-il à ses disciples. - S. Aug. (Traité 80 sur S. Jean). Le Sauveur parle ici comme étant le chef de l'Eglise, dont nous sommes les membres, comme le médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme (1Tm 5). En effet, les branches de la vigne sont de même nature que la tige. Mais lorsque Notre-Seigneur dit: «Je suis la vraie vigne», a-t-il ajouté le mot vraie par opposition à la vigne, qu'il prend ici pour terme de comparaison? Car on lui donne le nom de vigne dans un sens figuré et non au littéral, de même qu'on lui donne les noms d'agneau, de brebis et d'autres encore, où la réalité extérieure existe bien plutôt dans les choses qui sont prises comme objets de comparaison. En disant: «Je suis la vraie vigne», il a donc voulu se séparer de cette vigne, à laquelle Dieu dit, par son Prophète: «Comment vous êtes-vous changée en amertume, ô vigne étrangère ?» (Jr 2,21). Et comment serait-elle la vraie vigne, elle qui, au lieu de fruits qu'on attendait, n'a produit que des épines? (Is 5)

S. Hil. (de la Trin., 9) Mais le Sauveur a soin de distinguer la majesté divine de son Père de l'humble nature dont il s'est revêtu dans son incarnation, et il le représente comme étant le vigneron intelligent qui cultive cette vigne: «Et mon Père est le vigneron». - S. Aug. Nous cultivons Dieu, et Dieu nous cultive; mais nous cultivons Dieu non pour le rendre meilleur, nous le cultivons en l'adorant et non en le labourant; tandis que Dieu nous cultive pour nous rendre meilleurs que nous ne sommes; c'est notre âme qui est l'objet de cette culture, et il ne cesse d'extirper tous les mauvais germes de notre coeur, de l'ouvrir par sa parole comme avec le soc de la charrue, d'y jeter la semence de ses commandements, et d'en attendre le fruit de la piété.

S. Chrys. Mais Jésus-Christ se suffit à lui-même, tandis que les disciples ont un grand besoin de la main du laboureur; aussi ne dit-il rien de la vigne elle-même, il ne parle que des branches: «Toute branche qui ne porte point de fruit en moi, il la retranchera». Ce fruit c'est la vie de la grâce, et Notre-Seigneur nous apprend ainsi que sans les oeuvres, nous ne pouvons lui être unis. - S. Hil. (de la Trin., 9) Quant aux branches inutiles et infructueuses, il les coupera et les jettera au feu. - S. Chrys. Ceux mêmes qui sont arrivés à une haute vertu ont besoin de l'opération de ce céleste vigneron, et c'est pour cela qu'il ajoute: «Et la branche qui porte du fruit il l'émondera, afin qu'elle en porte davantage». Il veut parler ici des tribulations qui les attendaient, et Il leur enseigne que les épreuves les rendront plus forts et plus vigoureux, de même qu'on rend la branche de la vigne plus féconde en la taillant et en l'émondant.

S. Aug. Mais qui peut se glorifier d'être si pur dans cette vie, qu'il n'ait point besoin d'être purifié encore davantage, puisque si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes? (1Jn 1,8) Dieu purifie donc ceux qui sont déjà purs, afin que cette pureté plus grande, soit aussi la cause d'une plus grande fécondité. Or, Notre-Seigneur Jésus-Christ est la vigne, sous le même rapport qui lui fait dire: «Mon Père est plus grand que moi» (Jn 14,28). Mais lorsqu'il dit: «Mon Père et moi ne sommes qu'un» (Jn 10,30), il est également le vigneron. Et il n'est point vigneron, comme ceux qui ne peuvent que donner leur travail extérieur, son opération va jusqu'à produire l'accroissement intérieur. Aussi se représente-t-il aussitôt comme celui qui émonde aussi la vigne: «Déjà, leur dit-il, vous êtes purs, à cause des paroles que je vous ai dites». Voilà donc qu'il émonde les branches, ce qui est l'office du vigneron et non de la vigne. Mais pourquoi ne dit-il pas: Vous êtes déjà purs, à cause du baptême dans lequel vous avez été lavés? Parce que, dans l'eau du baptême, c'est la parole qui purifie. Otez la parole, et l'eau n'est plus que de l'eau ordinaire. La parole vient se joindre à l'eau, et forme le sacrement. Or, d'où peut venir à l'eau cette si grande vertu de purifier le coeur en touchant le corps, si ce n'est de la parole, et non pas de la parole simplement dite, mais de la parole qui est crue? Il faut distinguer, en effet, dans la parole, le son qui passe de la vertu qui demeure. Cette parole de la foi a une telle puissance dans l'Eglise de Dieu, que par celui qui croit, qui offre, qui bénit, qui répand l'eau, elle purifie l'enfant, qui est encore incapable de croire - S. Chrys. Ou bien encore, tel est le sens de ces paroles: Vous êtes purs, à cause des paroles que je vous ai dites. C'est-à-dire, vous avez reçu la lumière de la doctrine, et vous êtes délivrés des erreurs judaïques.



Catena Aurea 13418