Catena Aurea 13803

vv. 3-9

13803 Jn 18,3-9

La Glose. Après nous avoir expliqué comment Judas put savoir le lieu où Jésus-Christ se trouvait, l'Évangéliste raconte comment il s'y rendit: «Judas ayant donc pris une cohorte, et des gens des pontifes et des pharisiens», etc. - S. Aug. (Traité 112 sur S. Jean). Cette cohorte était composée non de Juifs, mais de soldats romains. Les ennemis de Jésus l'avaient demandée au gouverneur comme pour s'emparer juridiquement du coupable, au nom de l'autorité légitime, et afin que personne ne cherchât à le délivrer de leurs mains, quoiqu'il y eût d'ailleurs une foule si nombreuse, et si bien armée, qu'elle fut capable d'effrayer et au besoin de repousser celui qui oserait prendre la défense du Sauveur. - S. Chrys. (hom. 83 sur S. Jean). Mais comment purent-ils entraîner celle cohorte dans leurs desseins? Parce qu'ils avaient affaire à des soldats prêts à tout faire pour de l'argent. - Théophyl. Ils portent avec eux des torches et des lanternes afin que Jésus-Christ ne pût leur échapper à la faveur des ténèbres.

S. Chrys. Bien souvent ils avaient envoyé des gens pour se saisir de Jésus, sans qu'ils aient pu s'emparer de sa personne, preuve évidente qu'il se livrait volontairement entre leurs mains. Aussi l'Évangéliste ajoute: Mais Jésus sachant tout ce qui devait lui arriver, s'avança et leur demanda: «Qui cherchez-vous ?» etc. - Théophyl. Il leur fait cette question, non pour connaître leurs desseins, puisqu'il savait parfaitement ce qui devait lui arriver, mais pour leur montrer que tout présent qu'il était à leurs yeux, ils ne pouvaient ni le voir ni le distinguer: «Ils lui répondirent: Jésus de Nazareth, Jésus leur dit; c'est moi». - S. Chrys. Il est au milieu d'eux, et il frappe leurs yeux de cécité, et l'Évangéliste nous fait bien voir que ce ne sont pas les ténèbres de la nuit qui les empêchèrent de reconnaître Jésus en prenant soin de nous dire qu'ils avaient avec eux des torches et des lanternes. Au défaut même de lumières, ils auraient dû le reconnaître à sa voix, et si cette troupe ne connaissait pas Jésus, comment Judas qui avait continuellement été avec lui pouvait-il ne pas le reconnaître? Aussi l'Évangéliste fait-il remarquer que Judas qui le trahissait, était aussi avec eux. Or, Jésus voulait opérer ce prodige pour leur montrer que sans sa permission, non seulement ils ne pouvaient pas se saisir de sa personne, mais qu'ils ne pouvaient meme le voir quoiqu'il fût présent au milieu d'eux. Lors donc qu'il leur eut dit: C'est moi, ils furent renversés et tombèrent par terre. - S. Aug. Où est maintenant cette cohorte de soldats? où est ce déploiement terrible d'armes menaçantes? Une seule parole, sans qu'il fût besoin d'aucune autre arme, a suffi pour frapper, pour repousser, pour jeter à terre cette troupe nombreuse dont la haine était si ardente et l'appareil armé si effrayant. C'est que Dieu était caché dans ce corps mortel, et le jour éternel était tellement voilé par la nature humaine, que les ténèbres qui voulaient le mettre à mort étaient obligées de le chercher avec des torches et des lanternes. Que fera-t-il donc au jour où il viendra juger le monde, lui qui opère de si grands prodiges au moment où il va lui-même être jugé. Maintenant Jésus-Christ, par son Évangile, fait retentir en tous lieux cette parole: «C'est moi», et cependant les Juifs attendent l'Antéchrist, et se retournent ainsi en arrière pour tomber à la renverse, parce qu'ils sacrifient les biens du ciel aux désirs des choses de la terre.

S. Grég. (hom. 9 sur Ezéch). Mais pourquoi les élus tombent-ils la face contre terre, tandis que les réprouvés tombent à la renverse? C'est que tout homme qui tombe à la renverse, tombe en aveugle, tandis que celui qui tombe le visage contre terre, voit l'endroit où il tombe? Comme les méchants tombent dans un milieu qui est pour eux invisible, on dit qu'ils tombent en arrière, parce qu'ils ne peuvent voir ce qui les suit dans ce milieu où ils sont tombés. Les justes au contraire qui s'humilient d'eux-mêmes au milieu de ces choses visibles pour mériter de s'élever jusqu'aux invisibles, tombent la face contre terre, parce que pénétrés de componction et de crainte, ils voient leur propre humiliation.

S. Chrys. Le Sauveur ne veut pas cependant qu'on puisse penser que c'est lui qui a comme amené les Juifs à le mettre à mort, en se livrant de lui-même à ses ennemis, et il fait tout ce qui était nécessaire pour les détourner de leur criminel dessein. Mais comme ils persévèrent opiniâtrement et qu'ils sont tout à fait sans excuse, il se remet lui-même entre leurs mains: «Il leur demanda encore une fois: Qui cherchez-vous? Ils lui dirent: Jésus de Nazareth».

S. Aug. Ils avaient déjà entendu cette réponse: «C'est moi», et ils ne s'étaient pas emparé de la personne du Sauveur, parce que telle était la volonté de celui qui peut tout ce qu'il veut. Cependant s'il ne leur avait jamais permis de se saisir de lui, cette troupe n'aurait pas rempli la mission qui lui avait été donnée, et lui-même n'aurait pas accompli le dessein qui l'avait fait descendre sur la terre. Maintenant qu'il a donné des preuves suffisantes de sa puissance à ceux qui voulaient s'emparer de lui, mais inutilement, qu'ils se saisissent de sa personne: ils ne feront, sans le savoir, qu'obéir à l'ordre de sa volonté: «Si donc c'est moi que vous cherchez, leur dit-il, laissez aller ceux-ci». - S. Chrys. C'est-à-dire, si c'est moi que vous cherchez, vous n'avez rien à démêler avec eux; je me livre moi-même entre vos mains, et c'est ainsi que jusqu'à la dernière heure, il donne à ses disciples des témoignages persévérants de son amour pour eux. - S. Aug. Il commande à ses ennemis, et ses ennemis exécutent ses ordres, et ils laissent aller en liberté ceux qu'il leur défend de faire périr. - S. Chrys. Aussi l'Évangéliste voulant nous montrer que ce n'était point là un acte de leur volonté, mais un effet de la puissance de celui qu'ils venaient d'arrêter, ajoute: «Afin que fût accomplie la parole qu'il avait dite: Je n'ai perdu aucun de ceux que vous m'avez donnés». Notre-Seigneur n'avait pas eu en vue dans ces paroles la mort du corps, mais la mort éternelle; l'Évangéliste les applique à la mort même corporelle. - S. Aug. Est-ce que les Apôtres devaient être pour toujours à l'abri de la mort? Pourquoi donc les perdrait-il, s'ils mouraient alors? C'est qu'ils ne croyaient pas encore en lui comme il faut croire pour ne point périr.


vv. 10-11

13810 Jn 18,10-11

S. Chrys. (hom. 83 sur S. Jean). Pierre, plein de confiance dans ce que le Sauveur venait de dire, et dans le prodige qu'il avait opéré, se met en défense contre ceux qui étaient venus pour se saisir de Jésus: «Alors Simon-Pierre qui avait une épée, la tira», etc. Mais comment celui à qui Jésus avait commandé de n'avoir ni bourse ni deux vêtements, peut-il avoir un glaive? Je crois qu'il s'était depuis longtemps muni de ce glaive dans la prévision des dangers qu'il redoutait. - Théophyl. Ou bien ce glaive était celui qui avait servi pour découper l'agneau, et que Pierre avait conservé après la cène. - S. Chrys. Mais comment encore celui à qui le Sauveur avait défendu de donner un soufflet, se rend-il homicide? Jésus lui avait défendu toute vengeance personnelle, mais ici ce n'est point lui, mais son maître qu'il cherche à venger, d'ailleurs les Apôtres n'étaient pas encore parfaits, mais nous verrons plus tard Pierre se laisser frapper sans faire aucune résistance. Ce n'est pas sans raison que l'Évangéliste remarque qu'il coupa l'oreille droite de ce serviteur; il fait ainsi ressortir l'impétuosité de l'Apôtre, qui s'attaque tout d'abord à la tête de cet homme.

S. Aug. (Traité 112 sur S. Jean). L'évangéliste saint Jean est le seul qui nous ait conservé le nom de cet homme: «Et cet homme s'appelait Malchus»; comme saint Luc est le seul qui rapporte que le Seigneur toucha son oreille et la guérit. - S. Chrys. Jésus fait ici un second miracle, et il nous apprend ainsi à faire du bien à ceux qui nous font du mal, en même temps qu'il donne un nouveau témoignage de sa puissance. L'Évangéliste donne le nom de cet homme, pour permettre à ceux qui liraient son récit, de vérifier si ce fait était vrai. Il ajoute qu'il était le serviteur du grand-prêtre, pour faire ressortir l'excessive bonté du Sauveur, qui guérit cet homme, et un homme qui venait se saisir de lui, et qui devait bientôt lui donner un soufflet. - S. Aug. Malchus veut dire qui doit régner; que signifie donc l'oreille coupée pour la défense du Seigneur, et que le Seigneur guérit lui-même? Elle est la figure du sens de l'ouïe qui est renouvelé après que tout ce qui appartenait au vieil homme a été retranché, afin qu'il serve Dieu dans la nouveauté de l'esprit et non dans la vieillesse de la lettre (Rm 7,6). Or, qui peut douter que celui qui a reçu cette grâce de Jésus-Christ, doive un jour régner avec Jésus-Christ? C'est un serviteur qui est l'objet de ce miracle, et il est la figure de l'ancienne loi qui n'engendrait que des esclaves, mais lorsqu'il a été guéri, il devient la figure de la liberté spirituelle (Ga 4,24-26). - Théophyl. L'oreille droite coupée au serviteur du prince des prêtres, est le symbole de la surdité des Juifs, surdité qui régnait surtout dans les princes des prêtres, et la guérison de cette oreille, signifie que l'intelligence sera rendue aux Juifs dans les derniers temps, lors de l'avènement d'Elie.

S. Aug. Le Sauveur désapprouva l'action de son disciple, et lui défendit d'aller plus loin: «Jésus dit à Pierre: Remets ton épée dans le fourreau». Il voulait ainsi lui enseigner la patience, et en même temps que ce fait fût écrit pour notre instruction. - S. Chrys. Ce n'est point seulement en le menaçant que Jésus réprime le zèle de Pierre (comme saint Matthieu le rapporte); mais il lui donne un autre motif plus propre à le consoler: «Ne boirai-je donc point le calice que mon Père m'a donné ?» Nouvelle preuve que ce qui arrivait ne devait pas être attribué à la puissance de ses ennemis, mais à sa permission, et que loin d'être opposé à son Père, il lui obéissait jusqu'à la mort. - Théophyl. Il se sert de la comparaison du calice pour montrer combien la mort qu'il allait souffrir pour le salut des hommes, lui souriait comme l'objet de ses plus vifs désirs. - S. Aug. Il déclare que son Père lui a donné à boire le calice de sa passion dans le sens de ces paroles de l'Apôtre: «Il n'a pas épargné son propre Fils», (Rm 8,32) mais il l'a livré pour nous tous, cependant celui qui doit boire ce calice en est lui-même l'auteur, suivant ces paroles du même Apôtre: «Jésus-Christ nous a aimés, et s'est livré lui-même pour nous». (Ep 5,2)


vv. 12-14

13812 Jn 18,12-14

Théophyl. Après avoir épuisé tous les moyens propres à détourner les Juifs de tout criminel dessein, sans avoir pu y parvenir, Notre-Seigneur leur permit de s'emparer de lui et de l'emmener: «Alors la cohorte, le tribun et les satellites des Juifs se saisirent de Jésus», etc. - S. Aug. Ils se saisirent de celui dont ils ne s'étaient point approchés, et ils ne comprirent pas cette invitation du prophète: «Approchez-vous de lui, et vous serez éclairés» (Ps 34,6) S'ils s'étaient approchés de lui dans ces dispositions, ils se seraient emparé de lui, non pour le mettre à mort, mais pour le recevoir dans leurs coeurs. En s'emparant de la sorte de sa personne sacrée, ils s'éloignent beaucoup plus encore de lui, et ils enchaînèrent celui à qui ils auraient bien plutôt demandé de briser leurs propres chaînes; et peut-être s'en trouvait-il parmi eux qui lui dirent plus tard, comme à leur libérateur: «Vous avez rompu mes liens» (Ps 115,6) Après que les ennemis du Sauveur se furent rendus maîtres de sa personne par la trahison de Judas, l'Évangéliste, pour montrer que ce traître n'avait pas agi dans un but louable et utile, mais dans une intention criminelle et condamnable, ajoute: «Et ils l'emmenèrent d'abord chez Anne», etc. - S. Chrys. Ils triomphent de joie du haut fait qu'ils viennent d'accomplir, et promènent Jésus comme un trophée de leur victoire. - S. Aug. (Traité 113 sur S. Jean). L'Évangéliste donne la raison de cette manière d'agir: «Parce qu'il était beau-père de Caïphe, qui était grand-prêtre cette année-là». Saint Matthieu, qui voulait abréger son récit, se contente de dire qu'ils amenèrent Jésus chez Caïphe, car il ne fut conduit chez Anne d'abord, que parce qu'il était le beau-père de Caïphe, et nous pouvons conclure de là que c'est Caïphe qui voulut qu'il en fût ainsi. - Bède. Il voulait, ce semble, faire condamner Jésus par un de ses collègues, pontife comme lui, afin de diminuer le crime dont il allait se rendre coupable. Peut-être aussi la maison d'Anne était située de manière à ce qu'on ne pût passer devant sans entrer, ou bien encore, cela se fit par suite d'un conseil tout divin qui voulait associer dans un même crime ceux qui l'étaient déjà par les liens du sang. Ce que dit ici l'Évangéliste, que Caïphe était grand-prêtre cette année-là, paraît contraire à la loi d'après laquelle il ne devait y avoir qu'un seul grand-prêtre, qui, après sa mort, avait son fils pour successeur, mais il faut se rappeler que le souverain pontificat était alors déshonoré par l'ambition des prétendants. - Alcuin. En effet, Josèphe rapporte que Caïphe avait racheté cette année de pontificat. Il n'y a donc rien d'étonnant qu'un grand-prêtre inique ait été l'auteur d'un jugement inique, car souvent celui qui parvient au sacerdoce par avarice, le conserve par des moyens injustes.

S. Chrys. Mais de peur que l'idée de chaînes et de liens ne jetât le trouble dans notre esprit, l'Évangéliste rappelle une prophétie d'après laquelle la mort de Jésus devint le salut du monde: «Or, Caïphe était celui qui avait donné ce conseil aux Juifs: Il est avantageux qu'un seul homme meure pour tout le peuple». La force de la vérité est si grande, que ses ennemis eux-mêmes sont obligés de lui rendre hommage.


vv. 15-18

13815 Jn 18,15-18

S. Aug. (de l'acc. des Evang., 3. 6) Tous les évangélistes ne racontent pas dans le même ordre le renoncement de Pierre, qui vint s'ajouter aux outrages auxquels le Sauveur fut en butte pendant cette nuit. Saint Matthieu et saint Marc ne le placent qu'après le récit de ces outrages, saint Luc raconte tout d'abord le triple renoncement de cet Apôtre. Saint Jean commence le récit de la chute de Pierre à ces paroles: «Cependant Simon Pierre suivait Jésus, ainsi qu'un autre disciple avec lui». - Alcuin. Il suivait son Maître par amour, quoique la crainte ne le lui faisait suivre que de loin. - S. Aug. Il serait peut-être téméraire d'affirmer quel est ce disciple, puisque l'Évangéliste ne nous dit point son nom, cependant, c'est sous cette dénomination générale que saint Jean a coutume de se désigner, en ajoutant: «Celui qu'aimait Jésus». Peut-être donc est-ce lui-même dont il est ici question. - S. Chrys. Il cache ici son nom par un sentiment d'humilité. L'action qu'il raconte est des plus glorieuses, puisqu'il est le seul qui suive Jésus, et que tous les autres ont pris la fuite. Cependant il donne à Pierre la première place dans son récit, et il semble céder à la nécessité en parlant de lui-même. Il vous apprend en même temps toute la valeur de son récit sur les faits qui se sont passés dans la cour du grand-prêtre, et dont il a été le témoin oculaire. Mais il se dérobe aux éloges qu'il méritait en ajoutant: «Or, ce disciple était connu du grand-prêtre». Il ne cherche donc point à se prévaloir comme d'un acte héroïque d'avoir suivi Jésus seul jusque chez le grand-prêtre, et il en donne la raison pour ne pas laisser supposer qu'il a fait preuve en cela de courage et d'élévation de caractère. Quant à Pierre, l'amour le conduisit jusque-là, mais la crainte le retint à la porte: «Mais Pierre se tenait dehors à la porte». - Alcuin. Celui qui devait renier le Seigneur, se tenait dehors, et il n'était pas en Jésus-Christ, parce qu'il n'osait pas reconnaître et confesser hautement Jésus-Christ.

S. Chrys. L'Évangéliste nous fait voir que Pierre lui-même serait entré dans l'intérieur de la maison si on le lui eût permis: «L'autre disciple, qui était connu du grand-prêtre, sortit donc et parla à la portière, et elle fit entrer Pierre». Il ne le fit pas entrer lui-même, parce qu'il suivait Jésus-Christ et se tenait près de lui. «Cette servante qui gardait la porte dit à Pierre: «Etes-vous aussi des disciples de cet homme? Il lui répondit: Je n'en suis point». Que dites-vous là, ô Pierre? n'est-ce pas vous qui avez dit, il y a peu d'instants: «Et s'il le faut, je donnerai ma vie pour vous ?» (Mt 26,35) Qu'est-il donc arrivé, que vous ne puissiez même pas supporter la question d'une simple servante? Ce n'est point un soldat qui vous interroge, c'est une pauvre portière. Et encore ne lui dit-elle pas: Etes-vous le disciple de ce séducteur? mais: «Etes-vous le disciple de cet homme ?» question qui paraissait dictée par un sentiment de compassion. Elle lui dit: «Etes-vous aussi ?» parce que Jean était dans l'intérieur de la cour.

S. Aug. Mais qu'y a-t-il d'étonnant que Dieu ait prédit la vérité, et que l'homme se soit trompé en présumant trop de lui-même? Or, nous devons remarquer, dans cette première négation de Pierre, qu'on renonce Jésus-Christ non seulement quand on nie qu'il soit le Christ, mais quand on nie que l'on est chrétien. En effet, Notre-Seigneur n'avait pas dit à Pierre: Vous nierez que vous êtes mon disciple, mais: «Vous me renierez moi-même» (Mt 26,34 Lc 22,51); Pierre a donc renié Jésus-Christ, en niant qu'il fût son disciple. Et que fit-il autre chose en cela que de nier qu'il fût chrétien? Combien d'enfants et de jeunes filles on a vu, par la suite, mépriser la mort pour confesser hautement le nom de Jésus-Christ, et entrer dans le royaume des cieux en lui faisant violence, ce que ne put faire alors celui qui avait reçu les clefs du royaume des cieux ! Voilà pourquoi Notre-Seigneur avait dit: «Laissez ceux-ci s'en aller, car je n'ai perdu aucun de ceux que vous m'avez donnés». Et si Pierre s'en était allé après avoir renié Jésus-Christ, sa perte était infaillible.

S. Chrys. (Serm. sur Pierre et Elie). C'est donc par un secret dessein que la Providence permit que Pierre tombât le premier, pour que la vue de sa propre chute lui inspirât plus de douceur pour les pécheurs. En effet, Dieu permit que Pierre, qui était le maître et le docteur de l'univers, succombât et obtînt son pardon, pour donner aux juges des consciences la loi et la règle de miséricorde qu'ils devraient suivre à l'égard des pécheurs. C'est pour cela, je pense, que Dieu n'a point confié aux anges la dignité du sacerdoce, parce qu'étant impeccables ils auraient poursuivi sans miséricorde le péché dans ceux qui le commettent. C'est un homme, sujet à toutes les passions, que Dieu établit au-dessus des autres hommes, afin que le souvenir de ses propres faiblesses lui inspire plus de douceur et de bonté pour ses frères.

Théophyl. Il en est qui cherchent, mais vainement, à justifier Pierre, en disant qu'il a renoncé à Jésus-Christ parce qu'il voulait toujours être avec lui, et marcher constamment à sa suite. Il savait, disent-ils, que s'il se donnait pour un des disciples de Jésus, il en serait aussitôt séparé, et qu'il ne lui serait plus permis ni de le suivre ni de le voir; il feint donc d'être du nombre des archers du grand-prêtre, de peur que la tristesse de son visage ne le fit reconnaître et chasser dehors: «Or, les serviteurs et les satellites étaient rangés autour d'un brasier, parce qu'il faisait froid, et se chauffaient; et Pierre aussi était debout parmi eux, et se chauffait». - S. Aug. On n'était point en hiver, et cependant il faisait froid, comme il arrive d'ordinaire à l'équinoxe du printemps. - S. Grég. (Moral., 2, 2). Déjà Pierre avait laissé refroidir dans son âme le feu de la charité, et il réchauffait la fièvre de sa faiblesse à l'amour de la vie présente, comme au feu des persécuteurs.


vv. 19-21

13819 Jn 18,19-21

S. Chrys. (hom. 83 sur S. Jean). Comme les ennemis de Jésus ne pouvaient produire aucun chef d'accusation contre lui, ils l'interrogent sur ses disciples: «Le grand-prêtre interrogea donc Jésus touchant ses disciples». Il lui demanda sans doute où ils étaient, dans quel but il les avait réunis; et son dessein, en cela, était de l'accuser comme séditieux ou comme auteur de nouveautés, et n'ayant personne pour s'attacher à lui, à l'exception de ses seuls disciples. - Théophyl. Il l'interroge encore «sur sa doctrine», c'est-à-dire en quoi elle consistait, si elle était différente de la loi et opposée à la doctrine de Moïse, afin de trouver l'occasion de le perdre, comme l'antagoniste de Dieu - Alcuin. Ce n'est point, en effet, par le désir de connaître la vérité qu'il interroge le Sauveur, mais afin d'avoir un motif de l'accuser et de le livrer au gouverneur romain pour le faire condamner; mais le Seigneur pesa tellement les termes de sa réponse, que, sans taire la vérité, il ne parut pas vouloir se défendre: «Jésus lui répondit: J'ai parlé publiquement au monde, j'ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple, où tous les Juifs s'assemblent», etc.

S. Aug. (Traité 113 sur S. Jean.) Ici se présente une question qu'il ne faut point passer sous silence. Notre-Seigneur ne parlait pas ouvertement à ses disciples, mais leur promettait que viendrait un jour où il leur parlerait sans aucun voile; comment donc peut-il dire qu'il a parlé publiquement au monde? D'ailleurs il parlait beaucoup plus clairement à ses disciples quand il s'éloignait avec eux de la foule, car c'est alors qu'il leur expliquait les paraboles qu'il proposait au peuple, sans lui en découvrir le sens. «J'ai parlé publiquement au monde», ne signifie donc autre chose que: Beaucoup m'ont entendu. On peut dire encore qu'il ne leur parlait pas ouvertement, parce qu'ils ne le comprenaient pas. D'un autre côté, s'il enseignait ses disciples en particulier, ce n'était cependant pas en secret, car on ne parle pas en secret, lorsqu'on enseigne devant tant de témoins, surtout si l'intention de celui qui parle devant peu de personnes soit qu'elles fassent connaître à un plus grand nombre ce qu'il leur a enseigné. - Théophyl. Notre-Seigneur se rappelle ici ces paroles du Prophète: «Je n'ai point parlé en secret, ni dans quelque coin obscur de la terre». (Is 45,19)

S. Chrys. Ou bien: Il a parlé dans le secret, il est vrai, mais non pas comme ils le pensaient, par crainte, et comme un homme qui cherche à exciter des troubles, mais parce que les vérités qu'il enseignait dépassaient l'intelligence d'un grand nombre. Or, pour rendre son témoignage encore plus digne de foi, il ajoute: «Pourquoi m'interrogez-vous? Interrogez ceux qui ont entendu ce que je leur ai dit, ils savent ce que je leur ai enseigné». C'est-à-dire, pourquoi me questionner sur mes disciples? Interrogez mes ennemis, qui m'ont constamment tendu des embûches. Voilà le langage d'un homme plein de confiance dans la vérité de son enseignement, car une démonstration péremptoire (ou une preuve invincible) de la vérité, c'est d'invoquer en sa faveur le témoignage de ses ennemis. - S. Aug. Les choses qu'ils avaient entendues sans les comprendre, ne pouvaient offrir aucun juste sujet d'accusation; et, toutes les fois qu'ils étaient venus le questionner pour le tenter et trouver matière à l'accuser, il leur avait répondu de manière à déjouer toutes leurs ruses, et à frapper d'impuissance toutes leurs calomnies.


vv. 22-24

13822 Jn 18,22-24

Théophyl. Après que Jésus eut ainsi invoqué le témoignage des assistants, un serviteur du grand-prêtre voulant se mettre à couvert du soupçon qu'il était un des admirateurs de Jésus, le frappa au visage: «Après qu'il eut dit cela, un des satellites, là présent, donna un soufflet à Jésus, disant: Est-ce ainsi que tu réponds au grand-prêtre ?» - S. Aug. (de l'accord des Evang., 1, 6). Nous avons ici une preuve qu'Anne était grand-prêtre, car Jésus n'avait pas encore été envoyé à Caïphe, lorsque cet homme lui fit cette observation, et saint Luc lui-même rapporte au commencement de son Évangile, qu'Anne et Caïphe étaient tous deux grands-prêtres. - Alcuin. Ici s'accomplit cette prophétie: «J'ai abandonné mes joues à ceux qui me frappaient» (Is 50,6). Or, Jésus frappé injustement, répond avec douceur: «Si j'ai mal parlé, montrez ce que j'ai dit de mal; mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ?»

Théophyl. C'est-à-dire, si vous trouvez quelque chose à reprendre dans ce que je viens de dire, prouvez que j'ai mal parlé; si vous ne le pouvez pas, pourquoi cet acte de cruauté? Ou bien encore, si l'enseignement que j'ai donné dans les synagogues est blâmable, faites-le connaître au prince des prêtres; si au contraire cet enseignement est irrépréhensible à ce point que vous en étiez dans l'admiration, pourquoi me frappez-vous maintenant, puisque vous ne pouviez vous empêcher d'admirer auparavant ?

S. Aug. (Traité 113 sur S. Jeun). Quoi de plus vrai, de plus doux, de plus juste que cette réponse? Si nous considérons attentivement celui qui a reçu ce soufflet, qui de nous ne voudrait voir celui qui l'a frappé, ou consumé par le feu du ciel, ou englouti par la terre entr'ouverte, ou la proie d'un démon furieux, ou victime d'un châtiment semblable et plus effrayant encore? Quoi de plus facile à celui qui a créé le monde que de mettre sa puissance au service de sa justice, s'il n'avait mieux aimé nous enseigner la patience par laquelle nous triomphons du monde. On nous demandera peut-être: Pourquoi le Sauveur n'a-t-il pas fait ce qu'il a commandé lui-même aux autres? Ne devait-il pas souffrir cet affront en silence et tendre l'autre joue, à celui qui le frappait? Nous dirons que Notre-Seigneur est allé plus loin, en répondant avec douceur et en ne tendant pas seulement l'autre joue à celui qui le frappait, mais en abandonnant son corps tout entier pour être cloué sur la croix. Il nous apprend ainsi que nous devons accomplir les préceptes de patience qu'il nous a donnés, moins par des actes extérieurs où l'ostentation peut avoir part, que par les sentiments du coeur. Il peut arriver, en effet, qu'un homme présente l'autre joue avec la colère dans le coeur. Notre-Seigneur a donc beaucoup mieux agi en répondant la vérité sans la moindre aigreur, et on se montrant paisiblement disposé à supporter patiemment des outrages plus sanglants encore.

S. Chrys. (hom. 83 sur S. Jean). Quelle était la conduite naturelle à tenir? C'était, ou de prouver que Jésus avait tort, ou de se rendre à son observation. Mais ce n'est pas ce qu'ils font, car tout ce qui se passait n'avait aucune apparence de l'égalité, mais tout était l'oeuvre du désordre et de la violence. Ne sachant plus que faire, ils envoient Jésus chargé de chaînes à Caïphe: «Et Anne l'envoya lié à Caïphe le grand-prêtre». - Théophyl. Ils s'imaginèrent qu'étant plus rusé que son beau-père, il pourrait trouver contre Jésus un chef d'accusation qui mériterait la mort. - S. Aug. D'après saint Matthieu, c'était chez Caïphe qu'on le conduisit dès le commencement, parce qu'il était grand-prêtre de cette année. En effet, Anne et Caïphe remplissaient alternativement chaque année la charge de grand-prêtre, et il est probable que c'est sur la volonté de Caïphe, que Jésus fut d'abord conduit chez Anne, ou que leurs maisons étaient situées de manière qu'on ne pouvait passer devant la maison d'Anne sans y entrer. - Bède. De ce que l'Évangéliste dit qu'il l'envoya lié, il ne faut pas conclure qu'il le fût seulement alors pour la première fois. Jésus fut enchaîné lorsqu'on se saisit de lui. Anne l'envoya donc, chargé de chaînes à Caïphe, comme on le lui avait amené. Il put se faire aussi qu'on le débarrassât un instant de ses liens pendant qu'on l'interrogeait, et qu'après cet interrogatoire, on l'enchaîna de nouveau pour l'envoyer ainsi à Caïphe.


vv. 25-27

13825 Jn 18,25-27

S. Aug. (Tr. 113 sur S. Jean). Après avoir rapporté comment Anne envoya Jésus enchaîné à Caïphe, l'Évangéliste revient à l'endroit du son récit où il avait laissé Pierre pour raconter le triple reniement de ce disciple dans la maison d'Anne: «Cependant Simon Pierre était là, debout, et se chauffant». Il rappelle donc ici ce qu'il avait dit plus haut. - S. Chrys. (hom. 83 sur S. Jean). Dans quel engourdissement était plongé cet Apôtre si plein d'ardeur lorsqu'on voulait s'emparer de Jésus ! Le voilà devenu comme insensible, et Dieu le permet, pour vous apprendre combien est grande la faiblesse de l'homme lorsqu'il l'abandonne à lui-même. On le questionne de nouveau, et il nie pour la seconde fois: «Ils lui dirent donc: Et vous, n'êtes-vous pas aussi de ses disciples ?»

S. Aug. (de l'accord des Evang., 3, 6). Nous voyons ici que ce n'est point devant la porte, mais lorsqu'il se chauffait devant le brasier, que Pierre renia Jésus pour la seconde fois, ce qui n'aurait pu avoir lieu, s'il ne fût rentré après être sorti dehors, comme le raconte saint Matthieu. Ce n'est pas, en effet, lorsqu'il fût sorti dehors, que cette autre servante le vit, mais au moment même où il sortait, et c'est alors qu'elle le remarqua et qu'elle dit à ceux qui étaient là, c'est-à-dire, à ceux qui se chauffaient avec lui dans l'intérieur de la cour: «Celui-ci était aussi avec Jésus de Nazareth» (Mt 26,71). Pierre qui était déjà sorti, ayant entendu ces paroles, rentra, et à toutes les affirmations de ceux qui étaient présents, répondit avec serment: «Je ne connais point cet homme» (Mt 26,72). L'évangéliste saint Jean raconte ainsi le second reniement de saint Pierre: «Ils lui dirent donc: Et vous, n'êtes-vous pas aussi de ses disciples ?» C'est-à-dire, lorsqu'il rentrait, ce qui nous confirme dans la pensée que ce ne fut pas seulement cette autre servante dont parlent saint Matthieu et saint Marc, mais une autre encore dont parle saint Luc, qui firent à Pierre la question qui détermina le second reniement de cet Apôtre; c'est pour cela que saint Jean emploie ici le pluriel: «Ils lui dirent donc». Le même Évangéliste poursuivant son récit, raconte ainsi le troisième renoncement: «Un des serviteurs du grand-prêtre lui dit», etc. Saint Matthieu et saint Marc se servent du pluriel pour désigner ceux qui firent à Pierre cette nouvelle question; saint Luc ne parle que d'un seul, ainsi que saint Jean, qui ajoute cette circonstance, qu'il était parent de celui à qui Pierre coupa l'oreille. Cette divergence s'explique facilement si l'on considère que saint Matthieu et saint Marc ont l'habitude de mettre le pluriel pour le singulier, ou qu'un de ceux qui étaient présents, affirmait avec plus de force, comme ayant vu Pierre dans le jardin, tandis que les autres ne pressaient Pierre que sur l'attestation de celui qui l'avait vu.

S. Chrys. Mais le jardin ne lui rappelle le souvenir, ni des promesses qu'il y a faites, ni de cet amour si ardent dont il avait protesté à plusieurs reprises: «Pierre le nia de nouveau et aussitôt le coq chanta». - S. Aug. (Traité 113). Voici la prédiction du médecin qui est accomplie, et le malade convaincu de présomption, car ce que nous voyons se réaliser, ce n'est pas la promesse de Pierre: «Je donnerai ma vie pour vous» (Jn 13,37), mais la prédiction de Jésus: «Vous me renierez trois fois» (Lc 22,61). - S. Chrys. Les évangélistes s'accordent tous pour raconter le triple reniement de saint Pierre, non pour accuser ce disciple, mais pour nous apprendre quel mal c'est de ne pas tout remettre entre les mains de Dieu, et de placer sa confiance en soi-même. Bède. Dans le sens allégorique, le premier reniement de Pierre figure ceux qui, avant la passion du Sauveur, ont nié qu'il fût Dieu; le second représente ceux qui, après sa résurrection, ont nié à la fois sa divinité et son humanité. De même le premier chant du coq figure la résurrection du chef; le second, la résurrection de tout le corps qui aura lieu à la fin du monde. La première servante, qui fut l'occasion du premier renoncement de Pierre, représente la cupidité; la seconde, le plaisir des sens; le serviteur, ou les serviteurs du grand-prêtre, les démons qui nous portent à renoncer Jésus-Christ.



Catena Aurea 13803