Catherine, Lettres 175

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Lettre n. 193, A UN MONASTERE DE RELIGIEUSES

CXCIII (147).- A UN MONASTERE DE RELIGIEUSES. - De l'humilité et du renoncement à sa propre volonté, en suivant les traces de Jésus-Christ.



AU NOM DE JESUS-CHRIST, QUI A ETE CUCIFIE POUR NOUS, ET DE LA DOUCE MARIE

1. Très chères et bien-aimées Filles et Soeurs dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Dieu je vous écris et vous encourage dans le sang précieux de son Fils, avec le désir de vous voir dépouillées de l'ancien vêtement et revêtues du nouveau, comme vous y exhorte le doux Apôtre, lorsqu'il dit: «Induimini Dominum nostrum Jesum Christum (Rm 13,14)» Seigneur Jésus-Christ. Oui, soyez dépouillées de l'ancien vêtement, c'est-à-dire du pêché et de la crainte servile qui était sous l'ancienne loi, la crainte uniquement fondée sur la crainte de la peine. Dieu ne veut pas que son épouse s'appuie ainsi sur la crainte, mais sur la loi sainte et nouvelle de l'amour, parce que c'est le vêtement nouveau, Je vous en conjure que ce soit là le fondement de votre coeur et de votre âme, car l'âme qui est fondée sur l'amour opère de grandes choses; elle ne fuit pas la fatigue, et ne cherche pas son intérêt, mais elle cherche toujours comment elle pourra s'unir avec la chose qu'elle aime. C'est ce que font les serviteurs de Dieu. La première chose qu'ils font pour s'unir à Jésus-Christ, c'est d'éloigner cette crainte coupable qui nous ôte la lumière et nous donne les ténèbres; elle flous prive de la société de Dieu pour nous donner celle du démon; elle nous ôte la vie, et nous donne la mort.

2. Il n'en est pas ainsi de la charité véritable, de l'amour pur de Dieu et du prochain, qui nous donne la lumière, la vie, l'union parfaite avec Dieu, tellement que par le désir et l'amour, on devient un autre lui-même; on ne peut vouloir et aimer rien hors de Dieu, mais uniquement ce qu'il aime; on déteste ce qui est hors de lui, c'est-à-dire le vice, le péché, et on aime la vertu. Le tendre saint Paul disait: «Les choses que je recherchais autrefois, je les repousse maintenant pour Jésus-Christ, et leur perte m'est un gain (Ph 3,8). L'Apôtre veut dire que [1082] quand l'homme est livré à l'amour de lui-même et aux désirs déréglés de son âme, les jouissances, les consolations, les plaisirs du monde lui paraissent bons; il les aime, et s'en réjouit; mais aussitôt que l'âme se dépouille du vieil homme et veut suivre Jésus crucifié, elle volt le malheur où elle est, et déteste son premier état; elle se passionne sur le champ pour Dieu, et ne veut s'appliquer à autre chose qu'à aimer la vertu en elle et dans le prochain. Elle s'attache surtout à deux choses, parce qu'elle les trouve particulièrement dans Jésus-Christ, à la vertu d'humilité et à la charité, parce qu'elle voit que Dieu s'est humilié jusqu'à l'homme, et que pour détruire notre orgueil, il a fui les honneurs, la gloire humaine; il a embrassé la honte, les mépris, les injures, les affronts, la peine, la faim; la soif et les persécutions.

3. De même, l'épouse consacrée au Christ et qui s'est donnée à lui entièrement et sincèrement, veut aussi suivre ses traces et non son plaisir, et elle montre par là qu'elle possède. la vertu d'humilité. Je dis aussi que cette épouse se complaît dans la charité et le montre par l'amour du prochain, si bien qu'elle donnerait volontiers la vie du corps pour sauver la vie des âmes. Et ce désir, elle le conçoit en voyant son Epoux percé, immolé, cloué sur la Croix, et versant des flots de sang, non par la force des clous et de la Croix, mais par la force de l'amour qu'il a pour l'honneur de son Père et pour notre salut. Oui, l'amour a été le seul lien qui a retenu l'Homme-Dieu attaché et cloué sur la Croix. Réveillez-vous donc, et ne dormez plus dans la négligence, vous les [1083] épouses consacrées du Christ, et comme votre corps est renfermé dans le cloître, que vos désirs et vos affections soient aussi renfermés dans le coeur enflammé et ouvert de Jésus crucifié. C'est là que l'âme s'engraissera et se fortifiera dans la vertu, et aussitôt elle trouvera les deux ailes qui la feront voler à la vie éternelle, l'humilité et la charité, dont je viens de vous entretenir.

4. Je vous supplie donc, vous ma Fille, qui êtes abbesse, de travailler avec zèle au salut de nos religieuses, sans crainte et sans découragement, mais avec confiance, en pensant que vous pouvez tout par Jésus crucifié; songez que Dieu a choisi un jardinier pour arracher les vices et planter les vertus. Faites-le, je vous en conjure, et n'y apportez aucune négligence. Je vous recommande aussi de corriger celles qui vous sont confiées, car il vaut mieux donner la correction et la recevoir en cette vie que dans l'autre. Je vous prie, toutes mes Soeurs bien-aimées dans le Christ Jésus, d'être unies et transformées dans la bonté de Dieu. Que chacune connaisse bien ses défauts, c'est le moyen de conserver la paix et l'union. Car toutes les divisions viennent de ce qu'on voit les défauts des autres et non les siens, et de ce qu'on ne sait pas se supporter mutuellement. N'agissons pas ainsi, mais liez-vous dans les liens de la charité, vous aimant et vous supportant les unes les autres, pleurant avec les imparfaites, vous réjouissant avec les parfaites; et, ainsi revêtues de la robe nuptiale, nous parviendrons avec l'Epoux aux noces de la vie éternelle. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Que la paix de Dieu soit dans vos âmes [1084]






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Lettre n. 194, A L'ABBESSE DU MONASTERE

CXCIV (148). - A L'ABBESSE DU MONASTERE de Sainte-Marie des Déchaussées, à Florence. - De la vraie charité qui se trouve dans les plaies de Jésus crucifié - Des vertus propres aux religieuses.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Ma très chère Mère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir fondée dans la vraie charité, alla que vous nourrissiez et conduisiez bien vos brebis. Il est bien vrai que nous ne pourrons nourrir les autres si d'abord nous ne nourrissons pas notre âme des vraies et solides vertus, et elle ne peut se nourrir de vertus si elle ne s'attache au sein de la charité divine, où elle puise le lait de la divine douceur. Oui, ma très chère Mère, il nous faut faire comme fait le petit enfant qui désire avoir du lait: il prend le sein de Sa mère, il y applique sa bouche, et par le moyen de sa chair il attire le lait. Nous devons faire de même, si nous voulons nourrir notre âme; nous devons nous attacher au sein de Jésus crucifié, où est la source de la charité, et par le moyen de sa chair, nous y puiserons le lait qui nourrit notre âme et toutes les vertus qui en naissent; c'est par le moyen de l'humanité du Christ, car c'est l'humanité qui est soumise à la peine et qui souffre, et non la divinité; et nous ne pouvons sans peine nous nourrir de ce lait, qui vient de la charité [1085].

2. Il y a différentes sortes de peines: ce sont souvent de grands combats du démon et des créatures, avec beaucoup de persécutions, d'outrages, de mauvais traitements; ce sont là des peines pour les hommes, mais ce ne sont pas là des peines pour l'âme qui se nourrit sur le sein doux et glorieux de Jésus crucifié; car elle y trouve l'amour en y voyant l'amour ineffable que Dieu nous a montré par le moyen du tendre Verbe, et dans cet amour elle trouve la haine de ses fautes et de la loi perverse qui combat toujours contre l'esprit. Mais, au-dessus de toutes les peines que souffre l'âme qui a faim et soif de Dieu, sont les désirs ardents et passionnés qu'elle éprouve pour le salut du monde. La charité fait qu'elle est faible avec les faibles, et forte avec les forts; elle pleure avec ceux qui pleurent, et se réjouit avec ceux qui se réjouissent, c'est-à-dire qu'elle pleure avec ceux qui sont dans l'affliction du péché mortel, et elle se réjouit avec ceux qui sont dans la joie de l'état de grâce. Elle a pris la chair de Jésus crucifié, et ses peines lui font porter la croix avec lui. Les peines n'affligent pas, ne dessèchent pas l'âme; elles l'engraissent, et la rendent heureuse de suivre les traces de Jésus crucifié, et elle goûte alors le lait de la douceur divine. Et comment l'a-t-elle pris? Avec la bouche du saint désir, tellement que, s'il était possible d'avoir ce lait sans peine, et d'acquérir ainsi les vertus que fait naître le lait d'une ardente charité elle ne le voudrait pas, elle préférerait l'obtenir en soupirant pour l'amour de Jésus crucifié; car il lui semble que sous un chef couronné d'épines, il ne doit pas y avoir de membres délicats, et qu'il vaut [1086] mieux souffrir des épines avec lui, sans les choisir soi-même, mais en les recevant de Sa volonté. Et en agissant ainsi, elle ne souffre pas; c'est Jésus crucifié, son chef, qui souffre.

3. Oh! combien est douce cette tendre mère, la charité! L'âme qui la possède ne cherche pas son intérêt, c'est-à-dire ne se cherche pas pour elle, mais pour Dieu; ce qu'elle aime, ce qu'elle désire, elle mime et le désire en lui, et hors de lui elle ne veut rien posséder. Dans toutes les positions où elle se trouve, elle dépense son temps selon la volonté de Dieu. Si elle est séculière, elle veut être parfaite dans son état; si elle est religieuse, elle est dans cette vie un ange de la terre. Elle ne désire, elle n'aime rien dans le siècle; elle ne veut posséder aucune richesse, parce qu'elle voit que ce serait contre le voeu de pauvreté volontaire qu'elle a promis d'observer dans Sa profession. Elle n'aime pas et ne recherche pas la conversation de ceux qui pourraient nuire à son voeu de chasteté; elle les fuit, au contraire, comme des serpents venimeux, et elle a en aversion les grilles et le parloir. Elle écarte la familiarité des faux dévots, et revient à sa cellule comme à sa patrie, en épouse fidèle et légitime; et elle y goûte, sur le sein de Jésus crucifié, les veilles et l'humble et continuelle prière. Non seulement l'oeil du corps, mais l'oeil de l'âme veille pour se connaître elle-même, pour connaître sa faiblesse, Sa misère passée et la douce bonté de Dieu à sou égard: elle se voit aimée d'un amour ineffable par son Créateur.

4. Alors elle acquiert peu à peu la vertu de l'humilité [1087]et le saint, l'ardent désir, qui est la prière continuelle dont parle saint Paul, lorsqu'il dit que «nous ne devons jamais cesser de prier.» Ce saint désir entraîne les saintes bonnes oeuvres; car celle qui ne cesse de prier ne cesse de bien faire. Elle demeure dans sa cellule avec son Epoux, embrassant avec joie toutes les hontes et les peines qu'il lui accorde, méprisant les délices et les honneurs du monde, détruisant sa malheureuse volonté propre pour imiter l'obéissance de Jésus crucifié, qui, pour obéir à son Père et nous sauver, courut à la mort ignominieuse de la Croix; son obéissance la rend obéissante, et elle observe ainsi le voeu qu'elle a fait d'obéir. Elle ne se révolte jamais contre les ordres qu'elle reçoit, et n'examine point les motifs de celui qui commande, mais elle obéit avec empressement. C'est ainsi que fait celui qui est véritablement obéissant, tandis que le désobéissant veut toujours savoir les raisons de celui: qui commande. Celle qui fait ainsi n'observe pas la règle, mais la viole, tandis que celle qui obéit la met devant elle comme un miroir; elle aimerait mieux mourir que d'y manquer; elle est ainsi parfaitement soumise.

5. Si elle doit commander, elle est parfaite dans sa direction, en nourrissant d'abord son âme de vertus sur le sein de Jésus crucifié. Lorsqu'elle a bien su obéir et qu'elle est appelée à commander, elle aura bien élevé ses filles. En elle brillera la pierre précieuse de la justice, et elle répandra le parfum de la pureté, donnant à toutes l'exemple d'une sainte et bonne vie; et comme la charité n'est jamais sans la justice, l'âme qui la possède est juste et rend à [1088] chacun ce qui lui est dû; à elle la haine et le mépris d'elle-même; à Dieu l'amour, la gloire, l'honneur de son nom, et au prochain une tendre bienveillance et tous les services possibles. Elle agit, avec ceux qui lui sont soumis, selon les dispositions de chacun: elle travaille à augmenter la vertu de celui qui est parfait; elle corrige celui qui est imparfait et qui commet des fautes; elle punit peu ou beaucoup, selon la gravité de la faute, et selon ce qu'elle juge chacun capable de porter; mais elle ne laisse jamais une faute impunie, et cela par charité, et non par animosité: elle veut punir en cette vie, pour qu'elle ne soit pas punie en l'autre. Mais si elle n'avait pas nourri d'abord son âme comme nous l'avons dit, elle n'aurait pas la pierre précieuse de la justice, elle serait injuste dans toute sa conduite; elle volerait ce qui est à Dieu pour se l'approprier, comme ce qui est au prochain, qu'elle n'aimerait que par intérêt. Elle ne dirigerait ses filles qu'en vue d'elle-même ou des créatures, et pour ne pas leur déplaire; elle ferait semblant de ne pas voir leurs défauts; ou, si elle les reprenait, cela servirait peu, parce qu'elle ne le ferait pas avec courage et fermeté de coeur. Comme sa vie n'est pas bien réglée, elle éprouve la peur et la crainte servile, et sa correction est inefficace.

6. Je ne vois donc pas d'autre moyen que de nous attacher au sein de Jésus crucifié; c'est ainsi que nous goûterons le lait de la charité divine, qui sera la règle de nos actions. C'est parce que je comprends qu'il n'y a pas d'autres remèdes et d'autres voies, que je vous ai dit que je désirais vous voir fondée [1089] dans la vraie et parfaite charité; je vous conjure par l'amour de Jésus crucifié de vous appliquer à l'être, afin que vos brebis soient dirigées par l'exemple de votre bonne et sainte vie, et afin que les brebis qui sont hors du bercail y rentrent; retirez-les des conversations; prêchez-leur la cellule, et faites-leur aimer le choeur et les repas en commun, et non en particulier. Si vous ne le faites pas autant que vous le pouvez, Dieu vous en demandera compte et vous aurez à répondre pour vos fautes et pour les leurs. Ainsi donc, ma bien chère Mère, ne dormez plus et secouez le sommeil de la négligence. Je termine. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






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Lettre n. 195, A L'ABBESSE

CXCV (149). - A L'ABBESSE et aux Religieuses de Saint-Pierre-de-Monticelli, à Legnaia, près Florence. - Comment les épouses du Christ doivent suivre ses exemples.

(Ces religieuses suivaient la règle de Saint-Benoît. C'est à leur supérieure que Barduccio Canigiani adresse la lettre ou il raconte les derniers moments de sainte Catherine.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chères Filles dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir les vraies servantes et épouses de Jésus crucifié. Suivez ses traces de telle [1090] sorte que vous aimiez mieux mourir que de violer ses doux commandements et les conseils que vous avez promis d'observer. Oh! qu'il est doux et bon à l'épouse consacrée au Christ de suivre la voie et la doctrine de l'Esprit-Saint! Quelle est cette voie et cette doctrine? Il n'en est pas d'autre que l'amour, car toutes les vertus ne sont vertus que par l'amour. Sa doctrine n'est pas l'orgueil, la désobéissance, l'amour propre les richesses, les honneurs, les grandeurs du monde; ce ne sont pas les jouissances et le plaisir du corps. Son amour n'est pas d'aimer le prochain pour soi, car il nous a aimés pour notre bien, et il a donné sa vie pour nous avec un amour si ardent et une humilité si profonde! Vit-on jamais une humilité semblable? un Dieu s'humilier jusqu'à l'homme? la Grandeur suprême descendre à la bassesse de notre humanité? Et il s'est fait obéissant jusqu'à la mort honteuse de la Croix; il a été patient avec tant de douceur, qu'on n'a jamais entendu sortir de sa bouche un murmure; il a choisi la pauvreté volontaire, lui qui est l'éternelle et souveraine richesse, tellement que la douce Marie n'eut pas de linge pour l'envelopper; et enfin il mourut nu sur la Croix, n'ayant pas où reposer sa tête. Le doux et tendre Verbe a été rassasié de peines, revêtu d'opprobres il a aimé les injures, les mépris, les affronts, il a supporté la faim et la soif, Celui qui rassasie tous les affamés par tant de douceurs et d'amour. C'est là notre Dieu, qui n'a pas besoin de nous, et qui a travaillé à notre salut avec une persévérante ardeur, sans se laisser arrêter par notre ignorance, par notre ingratitude et par les cris des Juifs qui lui disaient de descendre [1091] de la Croix; il n'a pas cessé d'accomplir notre salut.

2. C'est la doctrine, la voie qu'il nous a tracée; et nous, misérables remplies de défauts, nous ne sommes pas des épouses fidèles, mais des adultères; nous faisons tout le contraire, car nous cherchons les jouissances, les plaisirs, les délices de l'amour sensitif, cet amour de nous-mêmes d'où naissent la discorde et la désobéissance. La cellule devient notre ennemie, tandis que nous aimons la conversation des hommes du monde ou de ceux qui vivent comme dans le monde. Notre âme veut posséder en abondance les choses temporelles, et il lui semble qu'elle serait malheureuse si elle ne les avait pas à profusion; elle s'éloigne de l'amour de son Créateur et elle néglige la prière, sa mère. Même en faisant les prières que vous êtes obligées de faire, souvent elle tombe dans l'ennui, parce que, pour celui qui n'aime pas, la moindre fatigue paraît un fardeau lourd à porter, et toute chose facile lui semble impossible à faire. Tout cela vient de l'amour-propre, qui naît de l'orgueil, et l'orgueil vient en s'appuyant sur des ingratitudes nombreuses, sur l'ignorance et la négligence dans les bonnes et saintes oeuvres.

3. Je ne veux pas, mes bien-aimées Filles, qu'il en soit ainsi de vous. Il faut qu'en épouses fidèles, vous suiviez les traces de votre Epoux; autrement vous ne pourriez observer ce que Vous avez promis, c'est-à-dire les voeux de pauvreté, d'obéissance et de chasteté. Vous savez bien que dans votre profession, vous avez apporté pour dot votre libre arbitre à votre éternel Epoux; car c'est avec un coeur libre que vous avez [1092] pris ces engagements qui sont les trois colonnes qui soutiennent la cité de notre âme et l'empêchent de tomber en ruine; tout périt dès qu'elles manquent. L'épouse doit donc être pauvre volontairement pour l'amour de Jésus crucifié, qui lui a montré la voie. La pauvreté est la richesse et la gloire des religieuses et c'est une honte pour elles quand elles ont quelque chose à donner. Savez-vous le malheur qui en résulte? C'est que cette faute entraîne toutes les autres. Car celle qui place son affection dans la possession des choses temporelles ne vit pas avec ses soeurs comme vous devez vivre; vous devez vivre en commun, la plus grande comme la plus petite, et la plus petite comme la plus grande. Si elle ne le fait pas, elle est coupable et tombera bientôt dans l'incontinence actuelle ou mentale, et puis dans la désobéissance car elle désobéit à son Ordre; elle ne veut pas être corrigée par son supérieur et elle manque à ses promesses. Alors viennent les conversations avec ceux qui vivent mal. Elle recherche les séculiers, les religieux, les hommes et les femmes dont la conversation n'est pas fondée en Dieu, et elle le fait uniquement à cause de l'avantage ou du plaisir qu'elle y trouve; ces affections, ces rapports ne vivent que de présents et de jouissances.

4. Aussi je dis que celle qui ne possède rien, qui n'a rien à donner, évite par là même toutes les relations coupables, et dès lors elle n'a plus l'occasion de dissiper son esprit et de tomber dans des souillures corporelles et spirituelles; mais elle trouve et recherche la conversation de Jésus crucifié et de ses bons serviteurs, de ceux qui aiment pour le Christ, par [1093] amour de la vertu et non par intérêt. Elle conçoit un désir et une faim de la vertu qu'il lui semble impossible de satisfaire; et comme elle voit que c'est de la prière, comme de leur mère et de leur source, que viennent la vie de la grâce et le trésor des vertus, elle fuit et se cache dans sa cellule, cherchant son Epoux et l'embrassant sur le bois de la très sainte Croix. Là elle se baigne dans les larmes et les sueurs; elle s'enivre du sang du tendre Agneau, elle se nourrit de ses soupirs et de ses ardents désirs. Voilà la vraie et royale épouse qui suit fidèlement son Epoux.

5. A l'exemple du Christ béni, qu'aucune peine n'a pu empêcher d'accomplir notre salut, l'épouse ne doit se laisser arrêter ni par la peine, ni par la fatigue, ni par la faim, et par la soif; elle travaille toujours à l'honneur de Dieu, et elle répond aux faiblesses de son corps en disant: Courage, mon âme! Ce qui te manque ici-bas te profite pour la vie éternelle. Elle n'abandonne pas les bonnes oeuvres et les saints désirs en cédant aux tentations du démon, aux faiblesses de la chair et à ces conseils perfides de l'ennemi, pires que ceux des Juifs, lui disant sans cesse: Descends de la croix de la pénitence et de la vie régulière. Elle ne doit pas se lasser de servir son prochain et de travailler à son salut, à cause de son ingratitude et de l'ignorance qui méconnaît ses services. Elle ne doit pas se lasser; car, si elle le faisait, elle paraîtrait chercher dans le prochain sa récompense, et non pas en Dieu; elle ne doit pas le faire, et préférer plutôt la mort. Supportez avec patience, mes chères Filles, vos défauts communs; en vous supportant ainsi les [1094] unes les autres, avec patience et amour, vous serez liées et unies dans les liens de la charité, et vous y trouverez une telle force, que ni les démons ni les créatures ne pourront vous séparer, si vous ne le voulez pas.

6. Soyez obéissantes jusqu'à la mort, afin d'être des épouses fidèles; et quand l'Epoux viendra vous chercher au dernier moment de la vie, vous aurez la lampe pleine, comme les vierges sages, et non vide, comme les vierges folles. Votre coeur doit être une lampe remplie d'huile, où doit briller la connaissance de vous-mêmes et de la bonté de Dieu à votre égard; c'est la lumière et la flamme de la charité, nourrie et entretenue par l'huile d'une profonde et sincère humilité; car celui qui n'a pas la lumière de la connaissance de soi-même ne peut s'humilier, il n'y a pas d'humilité possible avec l'orgueil. Quand la lampe est bien garnie, elle doit se tenir à la main, avec une droite et sainte intention pour Dieu, c'est-à-dire avec la main d'une sainte crainte, qui règle nos affections et nos désirs; je ne parle pas d'une crainte servile, mais d'une sainte crainte qui, pour tout au monde, ne voudrait pas offenser la souveraine et éternelle Bonté de Dieu.

7. Toute créature raisonnable a cette lampe, car le coeur de l'homme est une lampe; s'il la tient droite et bien remplie, avec une sainte crainte, tout va bien; mais s'il la tient avec une crainte servile, il la renverse, parce qu'il sert et qu'il aime pour lui, pour son plaisir, et non pour l'amour de Dieu. Celui-là éteint la lumière et répand l'huile, parce qu'il n'a pas la lumière de la charité ni l'huile de la véritable humilité [1095]. C'est de ceux-là que notre Sauveur a dit: «Je ne vous connais pas, et je ne sais qui vous êtes (Mt 25,12).» Je veux donc que vous soyez fortes et prudentes. Prenez votre coeur et faites-en une bonne lampe; et comme une lampe est étroite du bas et large d'en haut, votre coeur doit se rétrécir pour tout ce qui regarde le monde, le plaisir, la vanité, les délices et le bien-être, tandis qu'il doit se dilater dans sa partie supérieure, c'est-à-dire que votre coeur votre âme, vos affections, doivent se placer et se reposer en Jésus crucifié. Revêtez-vous de peines et d'opprobres pour lui; unissez-vous et aimez-vous ensemble.

8. Et vous, madame l'Abbesse, soyez la mère et le pasteur qui donne, s'il le faut, sa vie pour ses filles; empêchez-les de vivre en particulier et dans des relations qui sont la mort de l'âme et la ruine de la perfection; soyez, dans vos rapports avec les autres, un miroir de vertu; la vertu enseigne plus que les paroles. Baignez-vous dans le sang de Jésus crucifié. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






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Lettre n. 196, A L'ABBESSE

CXCVI (150). - A L'ABBESSE du monastère de Sainte-Marthe, de Sienne, et à SOEUR NICOLE, du même monastère. - De la connaissance de nous-mêmes et de la divine bonté en nous.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère et bien-aimée Mère et Soeur abbesse, et vous ma Fille et Soeur Nicole, moi, Catherine, l'inutile servante (Lc 17,10) de Jésus-Christ et la vôtre, je vous écris et je veux faire pour vous ce que fait le serviteur pour son maître: Il va et vient sans cesse. Je veux aussi aller sans cesse pour vous en la présence de notre très doux Sauveur; et en m'adressant à son ineffable charité, nous obtiendrons la grâce de faire encore comme le serviteur, et de revenir en rapportant la grâce de la connaissance de nous-mêmes et de Dieu. Il ne me semble pas possible de posséder la vertu et l'abondance de la grâce sans habiter la cellule de votre coeur et de votre âme. C'est là que nous trouverons le trésor qui est la vie, c'est-à-dire le saint abîme de la connaissance de Dieu et de nous-mêmes. De cette connaissance, très chères Soeurs, vient cette sainte haine qui nous unit à la souveraine et éternelle Vérité, parce que nous reconnaissons que nous ne sommes qu'erreur et mensonge, et que nous ne faisons que ce qui n'est pas. Nous nous haïssons alors, et nous crions avec la voix du coeur, à la vue de la bonté de Dieu: Vous êtes le seul qui êtes bon, vous êtes cette mer pacifique d'où sort tout ce qui a l'être. [1097] Mais ce qui n'est pas, c'est-à-dire le péché, n'est pas en lui.

2. Voici ce que la Vérité suprême disait à une de ses inutiles servantes: «Je veux que tu aimes toutes les créatures, parce qu'elles sont toutes bonnes et parfaites; elles sont dignes d'être aimées, puisqu'elles sont toutes faites par moi, la souveraine Bonté: toutes, excepté le péché, qui n'est pas en moi; car s'il était en moi, ma fille bien-aimée, il serait digne d'être aimé.» O amour ineffable vous voulez que nous nous haïssions à cause de notre volonté coupable, d'où vient le péché, qui n'est pas en vous. Oui, mes bien chères Soeurs dans le Christ Jésus, courons, courons, courons en mourant dans la voie de la vertu; et si vous me demandez quel sera notre cri? celui de l'Apôtre contre notre volonté coupable. Saint Paul dit: «Mortifiez les membres de votre corps» (Col 3,5); mais il ne dit pas la même chose de la volonté; il veut qu'elle soit morte, et non pas seulement mortifiée. O très doux et très cher Amour! je ne vois pas d'autre moyen que de prendre le glaive que vous aviez, mon doux Amour, dans votre coeur et dans votre âme, votre haine pour le péché, et votre amour pour l'honneur de votre Père et pour notre salut.

3. O très doux Amour! c'est ce glaive qui a percé le coeur et l'âme de votre Mère. Le Fils était frappé dans son corps, et la Mère aussi, parce que c'était sa chair. Il était bien juste qu'elle souffrit dans ce qui lui appartenait, car c'était dans son sein qu'il avait pris sa chair immaculée. O feu de charité! j'aperçois une autre ressemblance: le Fils a la forme de la [1098] chair, mais la Mère, comme une cire chaude, a reçu l'empreinte du désir et de l'amour de notre salut par le sceau du Saint-Esprit; c'est par le moyen de ce sceau que s'est incarné le Verbe divin. La Mère, comme un arbre de miséricorde, a reçu en elle l'âme ardente du Fils, qui était frappée et blessée par la volonté du Père; et, semblable à l'arbre qui porte la greffe, elle a été aussi blessée par le glaive de la haine et de l'amour. La haine et L'amour ont tellement augmenté dans la Mère et le Fils, que le Fils a couru à la mort. Son ardeur à nous sacrifier sa vie, sa faim et son désir d'obéir à son Père étaient si grands, qu'il a perdu l'amour de lui-même et qu'il a embrassé la Croix. Sa douce et tendre Mère a fait de même; elle a volontairement sacrifié l'amour de son Fils, tellement que non seulement sa tendresse ne veut pas le sauver de la mort, mais qu'elle est prête à servir d'échelle pour qu'il monte sur la Croix; et ce n'est pas étonnant, car l'amour de notre salut l'a blessée comme une flèche.

4. O vous toutes, mes Soeurs et mes Filles dans le Christ Jésus! si jusqu'à présent vous n'avez pas été consumées par le feu de ce saint désir de la Mère et du Fils, ne persévérez pas dans l'obstination de vos coeurs. Je vous en prie de la part de Jésus crucifié, que cette pierre se dissolve par l'abondance du sang généreux du Fils de Dieu. Sa chaleur est si grande, qu'il n'y a pas de froideur et de dureté qui puissent y résister. Comment ce sang peut-il les vaincre? Uniquement par la haine et l'amour dont nous avons parlé; l'Esprit-Saint le fait quand il vient dans l'âme. Je vous presse donc et je vous conjure de vous servir [1099]de ce glaive en vous; et si vous me demandez: Comment le montrerons-nous? je vous répondrai: Je veux que vous le montriez en la présence de Dieu, de deux manières. D'abord je veux que vous acceptiez le temps, non pas selon vos goûts, mais selon le bon plaisir de Celui qui est; vous vous dépouillerez ainsi de votre volonté pour vous revêtir de la sienne. Et puisque vous m'écrivez le désir que vous avez de ma visite, je veux que vous le soumettiez au joug aimable du Fils de Dieu, et que vous receviez avec respect tout ce qui arrivera, quelque pénible que ce puisse être, en pensant qu'il ne peut en être autrement pour notre bien; nous recevrons ainsi avec respect tout ce qui arrivera.

5. L'autre manière de prouver que vous voulez vous servir du glaive de la haine et de l'amour, c'est de vous soumettre au joug de la sainte obéissance. Vous surtout, madame l'Abbesse, vous devez être obéissante à Dieu, en supportant toutes les fatigues qu'il vous impose dans le gouvernement de vos brebis; et ne vous désolez pas si très souvent vous perdez la douceur de la consolation, au milieu des peines que vous vous donnez au service du prochain pour l'honneur de Dieu; car je vois qu'il en arrivait ainsi aux saints Disciples, qui méprisaient toute consolation spirituelle et temporelle. Oh! quelle consolation c'eût été pour eux de se trouver avec la Mère de la paix, la Mère du Fils de Dieu, et de vivre ensemble! Et pourtant, dès qu'ils sont revêtus du vêtement nuptial (Mt 22,11-12) du Maître, ils se livrent aux fatigues, aux opprobres et à la mort pour l'honneur de Dieu et pour le salut du prochain. Et c'est en étant ainsi séparés [1100] les uns des autres, en méprisant les consolations en en choisissant les peines, qu'ils obtinrent la vie éternelle.

6. Je veux que vous fassiez de même. Et si vous me dites: Je ne voudrais pas être absorbée par les choses temporelles, je vous répondrai que c'est nous qui les rendons temporelles, car tout procède de la Bonté suprême; tout, par conséquent est bon et parfait. Je ne veux donc pas qu'à l'occasion des choses temporelles, vous évitiez la fatigue; mais je veux que le regard toujours dirigé vers Dieu, vous soyez pleine de zèle et d'ardeur, surtout pour leurs âmes, et que comme dit saint Bernard, la charité, si elle vous flatte, ne vous trompe pas; si elle vous corrige, ne vous déteste pas. Agissez donc avec sévérité et avec douceur, selon les besoins de votre état. Ne soyez pas négligente à corriger les défauts, petits ou grands; faites en sorte qu'ils soient punis autant que la personne est capable de l'être. Si quelqu'un peut porter dix livres, ne lui en imposez pas vingt, mais ôtez-lui ce que vous pourrez; je vous en prie de la part de Celui qui a voulu porter toutes nos misères. Qu'elles se baissent pour entrer par la porte étroite de la sainte obéissance, afin que l'orgueil de leur volonté ne leur brise pas la tête.

7. Mes très chères Soeurs, ne vous fâchez pas des saintes réprimandes de votre Supérieure. Oh! si vous saviez combien est dure la réprimande que Dieu fait à l'âme qui repousse les réprimandes de cette vie, il vaut bien mieux que nos négligences, notre ignorance et notre peu d'amour soient punis par la sévérité du temps que par les rigueurs terribles de l'éternité [1101]. Soyez donc obéissantes par amour pour le tendre et doux Epoux, le Fils de Dieu, qui a été obéissant jusqu'à la mort. C'est ainsi que le glaive dont nous avons parlé tranchera, par la vertu de Dieu, le vice de l'orgueil, et que nous nous enracinerons dans la sainte charité, qui se montre par la sainte obéissance, comme l'obéissance se montre par la sainte humilité. Je ne vous dis qu'une chose: faisons une sainte prière pour pouvoir observer ce que nous avons dit. Celui qui est dans le chemin a besoin de lumière, afin qu'il ne s'égare pas dans le chemin.

8. Moi je viens de trouver une bien belle lumière, et c'est cette douce vierge, sainte Lucie de Rome, qui nous la donne. Nous demanderons aussi à la tendre Madeleine le mépris qu'elle avait d'elle-même; et Agnès, qui était un agneau de mansuétude et d'humilité, nous donnera l'humilité (Sainte Catherine avait une dévotion toute particulière à Marie-Madeleine, que Notre-Seigneur lui avait donnée pour Mère. (Vie de Sainte Catherine, IIe p., ch. 6 ) Elle parle sans doute ensuite de Sainte Agnès de Montepulciano). Ainsi voilà Lucie qui nous donne la lumière, Madeleine la haine et l'amour, Agnès l'huile de l'humilité; et la barque de notre âme ainsi fournie, nous irons visiter la demeure de la bienheureuse Marthe. De cette fervente hôtellerie, vous recevrez le Christ, l'Homme-Dieu. Elle habite maintenant la maison du Père céleste, c'est-à-dire l'Essence divine, cette essence, cette vision où j'espère que, par l'abondance du sang de Jésus-Christ, par les mérites de sa douce Mère Marie et par ceux des saints, nous goûterons et nous verrons le Christ [1102] face a face. Je vous conjure d'être zélées à lui sacrifier votre vie. Que loué soit notre doux Sauveur. Je me recommande à vous, Madame, et à toi, Nicole, ma Fille et ma Soeur; je vous prie de me recommander à Soeur Augustine et à toutes les autres Soeurs; qu'elles obtiennent de Dieu, pour moi, de quitter la voie de la négligence pour suivre, en mourant, la voie de la vérité. Je ne vous dis rien de plus sur ce sujet. Que loué soit Jésus crucifié. Amen.







Catherine, Lettres 175