Catherine, Lettres 182

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Lettre n. 197, A SOEUR BATHELEMI DELLA SETA

CXCVII (151).- A SOEUR BATHELEMI DELLA SETA, religieuse du monastère de Saint-Etienne, à Pise. - Du vêtement royal de la charité qui couvre la honte du péché et détruit le froid de l'amour-propre.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteur de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtue du vêtement royal, c'est-à-dire du vêtement de la plus ardente charité; car c'est ce vêtement qui couvre la nudité, cache la honte, réchauffe et consume la froideur. Je dis qu'il couvre la nudité: l'âme créée à l'image et à la ressemblance de Dieu (Gn 1,26) qui possède l'être, n'atteindrait pas sans la grâce divine, la fin pour laquelle elle a été créée. Il faut donc d'abord avoir le vêtement de la grâce que nous recevons dans le saint baptême [1103] par la vertu du sang de Jésus-Christ. Avec ce vêtement, les enfants qui meurent avant l'âge de raison possèdent la vie éternelle; mais nous qui sommes épouses, et qui avons le temps, si nous n'avons pas un vêtement d'amour pour le céleste Epoux, en reconnaissance de son ineffable charité, nous pourrons dire que cette grâce que nous avons reçue dans le baptême est inutile. Nous avons besoin d'élever nos coeurs et nos désirs par la vraie connaissance de nous-mêmes, de la bonté de Dieu à notre égard et de l'amour ineffable qu'il nous porte; car si l'intelligence connaît et voit, le coeur ne peut s'empêcher d'aimer, et la mémoire de retenir son bienfaiteur. Et ainsi l'âme attire l'amour par l'amour, et se trouve revêtue; sa nudité est couverte.

2. Je dis que ce vêtement cache la honte, et cela de deux manières. Le repentir éloigne d'abord la honte du péché; et par la honte que l'âme a d'avoir offensé son Créateur, le vêtement de l'amour de la vertu lui est rendu. Elle honore Dieu, et en recueille le fruit; car dans toutes nos oeuvres et nos désirs, Dieu ne veut que la fleur de l'honneur, et nous laisse le fruit. Vous voyez que le vêtement de la charité couvre la honte du péché. Je dis encore qu'il ôte une autre honte, celle que causent l'amour-propre, la sensualité et les jugements du monde. La volonté qui est moite à elle-même dans toutes les choses passagères ne voit plus cette honte; elle se réjouit au contraire des mépris, des affronts, des outrages et des injustices, et elle est heureuse quand elle est foulée aux pieds du monde. Elle se réjouit pour l'honneur de Dieu, de ce que le monde l'accable d'injures [1104], le démon de tentations et la chair de ses révoltes contre l'esprit. Elle s'en réjouit par haine et par vengeance contre elle-même, pour devenir semblable à Jésus crucifié, se trouvant indigne de la paix et du repos d'esprit. Elle n'a pas honte d'être tourmentée et bafouée par ces trois ennemis, le monde, la chair, le démon, parce que sa volonté sensible est morte, et qu'elle s'est revêtue de la souveraine et éternelle volonté de Dieu. Elle reçoit tout avec respect et amour, perce qu'elle voit que Dieu a tout permis par amour et non par haine, et que nous devons avoir, en recevant, le même sentiment que celui qui donne. Il lui est doux de désirer la honte, parce que, avec cette bonté elle chasse l'autre.

3. Oh! combien est heureuse l'âme qui possède une si douce lumière! car elle déteste nos passions et celles des autres, et elle aime les peines qui en tiennent. Notre passion est la sensualité, et celle des autres sont les persécutions du monde. Reconnaissez-vous donc, ma très chère Fille, digne de la peine et indigne de la récompense qui suit la peine. Les peines seront les broderies de votre vêtement royal. Vous savez bien que l'Epoux céleste a fait de même; il a brodé sur son vêtement les peines, les fouets, les mépris, les tourments, les outrages, et enfin la mort honteuse de la Croix.

4. J'ai dit encore que le vêtement royal échauffe et consume la froideur; il échauffe par le feu de la plus ardente charité, qui parait dans les transports du désir qu'on a pour l'honneur de Dieu et le salut du prochain, dont on supporte les défauts. Celui qui l'a se réjouit avec les serviteurs de Dieu qui se réjouissent [1105], et il pleure avec les coupables qui devraient pleurer; il a compassion, et gémit de l'offense qu'ils commettent contre Dieu, et il souffrirait avec joie toute sorte de peines et de tourments pour les ramener à l'état de ceux qui se réjouissent et vivent dans l'amour des douces et royales vertus. Ce vêtement détruit la froideur, c'est-à-dire la froideur de l'amour-propre, qui aveugle l'âme et lui ôte la connaissance d'elle-même et de Dieu, qui la prive de la vie de la grâce et engendre l'impatience; et alors la racine de l'orgueil étend ses rameaux, et l'âme offense Dieu et offense le prochain par son amour déréglé, elle devient insupportable à elle-même, et se révolte sans cesse contre l'obéissance. Tout ce mal vient de l'amour-propre; mais le vêtement dont nous parlons le détruit, le consume, et ramène l'âme dans la lumière de la grâce divine.

5. Elle ne marche pas dans les ténèbres, mais elle suit en vérité la voie de l'Agneau sans tache immolé pour nous, et elle entre par la porte de Jésus crucifié, aux noces du Père céleste. Là, elle est affermie et tranquille en Dieu; elle ne craint pas que le monde, le démon et la chair l'en puissent séparer; elle n trouvé une vie sans mort, un apaisement sans dégoût et une faim sans souffrance. Oui, c'est assez: portez, portez, supportez; ne refusez aucun fardeau, si vous voulez gagner à la fin beaucoup. Ne serait-il pas odieux que l'épouse suivit une autre voie que l'Epoux, et vous ne pourrez le faire qu'en étant vêtue comme lui. Aussi je vous ai dit que je désirais vous voir revêtue du vêtement royal, c'est-à-dire de la charité infinie du Roi éternel. Je ne vous en dis [1106] pas davantage. Cachez-vous dans le côté de Jésus crucifié; baignez-vous, anéantissez-vous dans son très doux sang. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






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Lettre n. 198, A SOEUR BARTHELEMI DELLA SETA

CXCVIII (152). - A SOEUR BARTHELEMI DELLA SETA, religieuse du monastère de Saint-Etienne à Pise.- De la conformité de notre volonté à celle de Dieu, et des moyens de résister aux tentations.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Ma Fille bien-aimée dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir l'épouse véritable consacrée à l'éternel Epoux. La condition de l'épouse véritable est de n'avoir qu'une volonté avec son époux; elle ne peut plus vouloir que ce qu'il veut, et il lui semble qu'il est impossible de penser autre chose que lui, c'est-à-dire consentir à d'autres pensées. Je ne vous dis pas que d'autres pensées ne puissent venir; vous ne pouvez l'empêcher, ni vous ni aucune créature, car le démon ne dort jamais. Dieu le permet pour entretenir son épouse dans une sainte sollicitude, et pour la faire croitre dans la vertu; c'est pour cela que Dieu permet souvent que l'esprit soit stérile, obscur et si tourmenté de mauvaises pensées, qu'il semble impossible de penser à Dieu, et de se rappeler seulement son nom [1107].

2. Prends garde, ma Fille, lorsque tu éprouves cela en toi-même, de tomber dans le dégoût, dans un trouble déréglé, et d'abandonner tes exercices et la prière, parce que le démon te dit: Pourquoi ne pas quitter cette prière que tu fais sans amour et sans désir; il vaudrait mieux ne pas la faire? Persévère, et ne te laisse pas troubler; mais réponds généreusement: J'aime mieux pour Jésus crucifié m'exercer à souffrir les peines, les ténèbres et les combats que de ne rien faire pour jouir du repos. C'est ce que font les parfaits; s'ils pouvaient éviter l'enfer, avoir leur bien-être en cette vie, et obtenir ainsi la vie éternelle, ils ne le voudraient pas, tant ils aiment ressembler à Jésus crucifié. Ils préfèrent suivre la voie de la Croix que d'être exempts de peines. Quel plus grand bonheur peut avoir l'épouse que de ressembler à son époux, et d'être vêtue du même vêtement? Puisque Jésus crucifié, pendant sa vie, n'a pas choisi autre chose que la Croix et les peines, dont il a été couvert comme d'un vêtement, son épouse doit trouver son bonheur à porter le même vêtement; et parce qu'elle voit l'Epoux l'aimer sans mesure, elle l'aime et le reçoit avec tant d'amour et de désir, que la langue ne pourrait jamais l'exprimer.

3. Mais ta souveraine et éternelle Bonté, pour la faire arriver à ce parfait amour et pour la conserver dans l'humilité, permet que son esprit soit désolé par bien des combats, afin que la créature se connaisse elle-même et qu'elle voie son néant; car si elle était quelque chose, elle éloignerait la peine quand elle voudrait; mais elle ne le peut pas, parce qu'elle n'est rien. En le comprenant, elle s'humilie dans son néant, et elle reconnaît la bonté de Dieu, qui lui a donné l'être par grâce avec tous les dons qu'il y a ajoutés. Tu me diras: Quand j'éprouve tant de peines et de combats, je ne puis voir autre chose que la confusion, et il me semble qu'il est impossible de concevoir quelque espérance, tant je me sens misérable. Je te répondrai, ma Fille bien-aimée, que si tu cherches, tu trouveras Dieu dans la bonne volonté. Admettons que tu éprouves de grands combats, ta volonté ne cesse pas de vouloir Dieu, et c'est pour cela que tu souffres et que tu t'affliges, parce que tu crains d'offenser Dieu. Il faut donc être dans la joie et l'allégresse, et ne pas se laisser abattre par les combats, en voyant que Dieu nous conserve notre volonté bonne, et qu'il nous donne l'horreur du péché mortel.

4. Je me souviens que j'ai entendu dire une fois à une servante de Dieu les paroles que la douce Vérité suprême lui avait adressées (C'est son histoire que sainte Catherine rapporte. (Voir Vie de sainte Catherine, Ier p., ch. 12.). Elle était très éprouvée par la peine et la tentation; et elle était surtout troublée, parce que le démon lui disait: «Tu as beau faire, tu souffriras ainsi toute ta vie, et tu iras ensuite en enfer.» Alors elle répondit généreusement et sans crainte, avec une sainte haine d'elle-même. «Je ne refuse pas la peine, car je l'ai choisie pour ma consolation; et si, à la fin, je vais en enfer, je ne laisserai pas de servir mon Créateur; je mérite d'aller en enfer, puisque j'ai offensé la [1109] douce Vérité suprême; et si Dieu me donne l'enfer, il ne me fait pas injure, car je lui appartiens.» Alors notre Sauveur, au milieu de cette humilité sincère, dissipa les ténèbres et les tentations du démon, comme le soleil paraît quand tombe le brouillard; il lui accorda la grâce de sa présence. Elle répandait des flots de larmes, et s'écriait dans l'ardeur de son amour: «O doux et bon Jésus! où étiez-vous quand mon âme était si affligée?» Le doux Jésus, l'Agneau sans tache, lui répondait: «J'étais près de toi, car je suis fidèle; et je ne m'éloigne jamais de la créature, si la créature ne s'éloigne pas de moi par le péché mortel.»

5. Cette âme poursuivait ce doux entretien, et disait: «Si vous étiez avec moi, comment ne vous sentais-je pas? Comment se peut-il qu'étant près du feu, je ne sentais pas sa chaleur; je ne sentais que le froid, la tristesse, l'amertume, et il me semblait que j'étais remplie de péchés mortels.» Et Notre-Seigneur lui répondait doucement: «Veux-tu que je te montre, ma fille, comment par ces tentations, tu n'es pas tombée en péché mortel, et comment j'étais près de toi? dis-moi ce qui fait le péché mortel? la seule volonté. Le péché et la vertu sont dans le consentement de la volonté; il n'y a pas de péché ni de vertu dans ce qui n'est pas fait volontairement. Ta volonté n'y était pas; car si elle y avait été, tu aurais pris plaisir aux pensées mauvaises du démon; mais parce qu'elle n'y était pas, tu gémissais et tu souffrais par crainte de m'offenser. Tu vois bien que c'est dans la volonté que se trouve le péché ou la vertu. Je te dis que ces combats ne doivent [1110] pas te faire tomber dans un trouble déréglé mais je veux que de ces ténèbres, tu tires la lumière de la connaissance de toi-même. Par cette connaissance tu acquerras la vertu d'humilité, et tu te réjouiras dans ta bonne volonté, parce que tu comprendras que j'habite alors secrètement en toi. Cette volonté est le signe que j'y suis; car si ta volonté était mauvaise, je n'y serais pas par ma grâce. Sais-tu comment j'habite alors en toi? De la même manière que j'étais sur le bois de la Croix, et j'agis avec vous comme mon Père agissait avec moi.»

6. «Pense, ma fille, que sur la Croix j'étais heureux, et je souffrais. J'étais heureux par l'union de la nature divine avec la nature humaine; et cependant la chair souffrait, parce que le Père céleste avait retiré à lui la puissance. Il me laissait souffrir; mais il n'avait pas retiré l'union qui l'unit toujours à moi. Ainsi, pense que j'habite de la même manière dans l'âme. Je retire souvent à moi la consolation, mais je ne retire pas la grâce; la grâce ne se perd jamais que par le péché mortel. Sais-tu pourquoi je fais cela? Uniquement pour conduire l'âme à la perfection; tu sais que l'âme ne peut être parfaite sans les deux ailes de l'humilité et de la charité. L'humilité s'acquiert par la connaissance de soi-même que donne le temps des ténèbres, et la charité s'acquiert en voyant que mon amour lui a conservé une bonne et sainte volonté. Aussi je te dis que l'âme sage, en voyant qu'il en résulte un si grand bien, devient ensuite plus calme, et préfère ces temps d'épreuves à tout autre; ce n'est pas pour un autre motif que je permets les tentations du démon. Je t'ai dit le [1111] moyen: pense combien ces épreuves sont nécessaires à votre salut. Si l'âme n'était pas quelquefois sollicitée par de nombreuses tentations, elle tomberait dans la négligence et perdrait l'ardeur de ses désirs et de sa prière, tandis qu'au moment du combat elle se tient sur ses gardes par crainte de l'ennemi; elle met en défense le château de son âme en recourant à moi qui suis sa force.»

7. «Le démon ne pense pas que je lui permets de vous tenter pour vous faire avancer dans la vertu, et il vous tente pour vous faire tomber dans le désespoir. Lorsque le démon tente quelqu'un qui s'est consacré à mon service, il ne prétend pas le faire tomber sur-le-champ dans le péché, parce qu'il voit bien qu'il aimerait mieux alors mourir que de m'offenser. Mais que fait-il? Il s'applique à le troubler en lui disant: «Toutes ces pensées et ces combats ne te servent de rien.» Vois la malice du démon, qui n'a pas pu vaincre par le premier moyen, et qui triomphe souvent par le second, avec les apparences de la vertu. Je ne veux pas que tu suives sa volonté perverse, mais je veux que tu écoutes la mienne, comme je te l'ai dit; c'est la règle que je te donne, et je veux que tu l'enseignes aux autres, quand il le faudra.»

8. Ma fille bien-aimée, je te dis la même chose; je veux que tu agisses ainsi, et que tu sois un miroir de vertus, en suivant les traces de Jésus crucifié; ne cherche et ne désire que la Croix, comme doit le faire une épouse fidèle rachetée par le sang de Jésus crucifié. Tu sais bien que tu es son épouse, qu'il t'a épousée, toi et toute créature, non pas avec un [112] anneau d'argent, mais avec l'anneau de sa chair. Vois ce doux petit enfant, qui, le huitième jour de sa naissance, t'offre cet anneau dans la Circoncision. O abîme! Ô profondeur ineffable de charité, comme vous aimez l'humanité, votre épouse! O vie qui êtes la vie de toute chose, vous l'avez tirée des mains du démon, qui la possédait comme si elle lui appartenait: vous la lui avez prise en le trompant par votre nature humaine, et vous l'avez épousée avec votre chair; vous avez donné votre sang comme arrhes, et vous avez enfin tout payé en immolant votre corps. Oui, ma Fille, enivre-toi de ce sang et fuis la négligence; cours avec ardeur, et brise avec ce sang la dureté de ton coeur, afin qu'il ne se referme plus par ignorance, par négligence, ou par le fait de quelque créature. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






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Lettre n. 199, A SOEUR BARTHELEMI DELLA SETA

CXCIX (153).- A SOEUR BARTHELEMI DELLA SETA, au monastère de Saint-Etienne, à Pise.- De la vraie lumière, qui nous fait connaître et haïr la sensualité.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Ma Fille bien-aimée dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir la vraie et [1113] parfaite lumière, cette lumière qui dissipe nos ténèbres et nous dirige dans la voie de la vérité; elle nous fait connaître notre imperfection et le malheur qu'elle cause, et aussi l'excellence de la perfection. Combien elle nous est utile, et combien elle est agréable à Dieu! Par cette lumière nous arrivons à la haine parfaite de la sensualité et de l'imperfection, et nous parvenons à l'amour de la vertu, tellement que l'âme ne peut chercher, vouloir ou désirer autre chose que ce qui la porte à la vertu. Elle ne refuse pas les peines et les épreuves; elle les embrasse, au contraire, elle les aime, parce qu'elle voit bien qu'elle ne peut par une autre voie satisfaire son désir d'acquérir la vertu, qu'elle aime; et elle se fait un chemin de la doctrine de Jésus-Christ crucifié, qu'elle suit avec une grande ardeur; elle ne veut savoir que Jésus crucifié (1Co 2,2). Sa volonté ne lui appartient pas, car elle est morte et anéantie dans la douce volonté de Dieu, à laquelle elle s'est unie par amour; et elle demeure avec Dieu, car alors Dieu est dans l'âme par la grâce, et l'âme est en Dieu. Elle s'élève au-dessus d'elle-même, c'est-à-dire au-dessus de tout sentiment sensitif, et elle goûte la douceur de l'éternelle vérité, cette vérité qui se connaît dans la douce volonté de Dieu à la lumière de la sainte Foi; elle voit dans le sang de l'Agneau que sa volonté ne veut autre chose que notre sanctification.

2. La vérité est que Dieu a créé l'homme à son image et ressemblance, pour lui donner la vie éternelle, et pour rendre louange et gloire à son nom. Par la faute d'Adam, cette vérité ne s'accomplissait [1114] pas dans l'homme, et alors Dieu nous donna le Verbe son. Fils unique, et lui imposa cette grande tâche de racheter le genre humain avec son sang; et le Fils de Dieu, transporté d'amour, courut à la mort honteuse de la très sainte Croix. Il ne fut arrêté dans son obéissance ni par la mort, ni par les peines, ni par les injures et les outrages qu'il recevait; mais, comme un vaillant et généreux capitaine, il fit une enclume de son corps, et ne recula pas devant notre ingratitude. Ainsi fait l'âme qui, à la lumière, a reconnu cette vérité; elle ne recule pas devant les murmures et devant les attaques du démon, devant les ténèbres de l'esprit, et devant les faiblesses de la chair, qui combat contre l'esprit; mais elle foule toutes les choses aux pieds de son amour, elle est constante et persévérante, et plus elle souffre, plus elle se réjouit.

3. Il faut donc chercher cette vraie et parfaite lumière, et repousser avec haine ce qui peut nous la ravir, c'est-à-dire l'amour de nous-mêmes. Nous parviendrons à cette haine, lorsque nous nous renfermerons dans la cellule de la connaissance de nous-mêmes, où nous trouvons l'amour ineffable de Dieu pour nous, et avec cet amour nous chasserons l'amour-propre, parce que l'âme qui se voit aimée vie peut s'empêcher d'aimer. Alors une lumière surnaturelle brille aux yeux de notre intelligence, et cette lumière nous conduit à la perfection; mais sans cette lumière, nous ne pourrions y parvenir. C'est pour cela que j'ai dit que je désirais vous voir à cette vraie et parfaite lumière; et je veux que vous travailliez autant que vous le pourrez à l'avoir en [1115] vous. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu; Doux Jésus, Jésus amour.




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Lettre n. 200, A SOEUR CONSTANCE

CC (154).- A SOEUR CONSTANCE, religieuse au monastère de Saint-Abundio, près Sienne.- De la lumière et du repos que donne le sang de JésusChrist.



(Le monastère de Saint-Abundio, ou de Sainte-Abonde, de l'Ordre de Saint-Benoît, est à un mille de Sienne.- Il était très aimé par le bienheureux Jean Colombini, qui voulut y être enterré, et par sainte Catherine de Sienne, qui y reçut de grandes grâces.)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Ma Fille bien-aimée dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je t'écris et t'encourage dans son précieux sang, avec le désir de te voir baignée, anéantie dans le précieux sang du Fils de Dieu, parce que je vois que dans le souvenir de ce sang, se trouve le feu d'une ardente charité, et que dans la charité ne se trouvent jamais la tristesse et le trouble. Je veux que tu mettes toutes tes affections dans ce sang. Oui, enivre-toi de ce sang; brûle et consume l'amour-propre qui peut être en toi, et que le feu de cet amour éteigne le feu de la crainte et de l'amour de toi-même. O glorieux et précieux Sang! tu es devenu pour nous un bain, un baume pour nos [1116] blessures. Oui, ma Fille, c'est un bain, et dans ce bain tu trouves la chaleur, l'eau et le lieu du repos. Je te dis que dans ce bain glorieux, tu trouves la chaleur de la charité divine, qui l'a donné par amour; tu trouves le lieu, c'est-à-dire le Dieu éternel, où est le Verbe, et où il était dès le commencement (Jn 1,1); tu trouves l'eau dans le Sang, car du Sang sort l'eau de la grâce, et il y a un mur qui arrête nos regards. O ineffable et très douce Charité! vous avez pris le mur de notre humanité, qui a couvert l'éternelle et suprême divinité de l'Homme-Dieu; et cette union a été si parfaite, que la mort, que rien n'a pu la faire cesser. Quelle douceur, quel repos, quelle consolation dans ce sang! car on y trouve le feu de la divine charité et la vertu de la souveraine et éternelle Déité. Tu sais que c'est la vertu de la divine Essence qui fait la valeur du sang de l'Agneau; tu sais que si l'homme seul eût été sans Dieu, son sang n'aurait pu nous sauver; mais c'est par l'union de Dieu à l'homme que le sacrifice de son sang fut accepté.

2. Ce sang est donc bien glorieux! C'est un parfum d'agréable odeur qui détruit l'infection de notre iniquité; c'est une lumière qui dissipe les ténèbres, non seulement les ténèbres extérieures du péché mortel, mais encore les ténèbres de ce trouble déréglé qui s'empare souvent de l'âme sous l'apparence d'une fausse humilité; c'est ce trouble qu'excitent dans le coeur ces pensées Ce que ta fais n'est pas agréable à Dieu; tu es en état de damnation. Peu à peu le trouble augmente et obscurcit, sous l'apparence de l'humilité, la vue de l'âme, qui se dit: Tu vois bien que tes péchés te rendent indigne de toute grâce, de toute [1117] faveur. Et alors elle s'éloigne souvent de la sainte Communion et des autres exercices spirituels. C'est le démon qui cause cette erreur et ces ténèbres. Je dis que si toi ou d'autres vous vous anéantissez dans le sang de l'Agneau sans tache, ces illusions ne s'empareront pas de votre esprit; ou, si elles y entrent, elles n'y resteront pas, et elles seront chassées par la foi vive et l'espérance, placées dans ce sang. Tu les mépriseras en disant: Je puis tout par Jésus crucifié, qui est en moi et qui me fortifie (Ph 4,13); et quand même je devrais tomber en enfer, je ne veux pas abandonner mes exercices. Ce serait une grande folie de se jeter avant le temps dans la confusion de l'enfer.

3. Excite donc en toi le feu de l'amour, ma très chère Fille; ne te trouble pas et réponds-toi à toi-même: Quelle comparaison y a-t-il entre mon iniquité et l'abondance de ce sang répandu avec tant d'amour? Je veux bien que tu voies ton néant, ta négligence, ton ignorance, mais je ne veux pas que tu les voies dans les ténèbres de la confusion, mais à la lumière de la Bonté divine, que tu trouves en toi. Apprends que le démon ne veut que vous arrêter à la seule connaissance de vos misères, tandis que cette connaissance doit toujours être accompagnée de l'espérance dans la miséricorde divine. Sais-tu comment il faut faire? ce que tu fais quand tu entres la nuit dans ta cellule, pour dormir. Tu trouves d'abord ta cellule, puis tu vois ton lit; la première chose est nécessaire, mais tu ne t'en contentes pas, et tu cherches des yeux le lit où tu dois prendre ton repos. Tu dois faire de même lorsque tu es entrée [1118] dans la cellule de la connaissance de toi-même. Je veux que tu ouvres l'oeil de ton intelligence avec amour, que tu traverses ta cellule, et que tu ailles vers le lit de la douce Bonté que tu trouves en toi. Tu vois bien que l'être t'a été donné par grâce, et non par obligation.

4. Vois, ma Fille, ce lit est couvert d'une couverture de pourpre teinte dans le sang de l'Agneau immolé et consumé pour nous; c'est lit le lit de ton repos, qu'il ne faut quitter jamais. Tu vois qu'il n'y a pas de cellule sans lit, et de lit sans cellule. Que ton âme se nourrisse de cette Bonté de Dieu; elle peut s'y engraisser, car avec le lit tu trouves la nourriture, la table et le serviteur. Le Père est la table, le Fils est la nourriture, le Saint-Esprit lui-même devient un lit de repos. Sois persuadée que si tu veux te borner à la connaissance de toi-même, tu seras toujours dans la confusion; tu verras la table et le lit préparés, et tu n'en profiteras pas par la connaissance de la bonté divine; tu ne recevras pas la paix et le repos, tu en seras privée, et tu ne porteras aucun fruit. Je te conjure donc par l'amour de Jésus crucifié de rester dans ce doux et glorieux lit de repos. Je suis certaine que tu le feras si tu te noies dans le précieux sang. Aussi je t'ai dit que je désirais te voir baignée et noyée dans le sang du Fils de Dieu. Je termine. Demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu [1119].





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Lettre n. 201, A SOEUR MADELEINE ALESSA

CCI (155).- A SOEUR MADELEINE ALESSA, au monastère de Sainte-Abonde, près Sienne.- Du vêtement royal de la charité, et du renoncement de soi-même par l'obéissance.

(Cette lettre répète en partie avec quelques variantes, la lettre CXCVII)



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Ma très chère Fille dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir revêtue du vêtement royal, du vêtement d'une ardente charité. Ce vêtement couvre la nudité, cache la honte, réchauffe et détruit le froid. Je dis qu'il couvre la nudité: si l'âme, créée à l'image et ressemblance de Dieu (Gn 1,26), avait l'être sans avoir la grâce divine, elle n'atteindrait pas la fin pour laquelle elle a été créée; Il faut donc avoir d'abord le vêtement de la grâce, que nous recevons dans le saint baptême par la vertu du sang de Jésus-Christ. Avec ce vêtement, les enfants qui meurent dans leurs premières années, possèdent la vie éternelle; mais nous, les épouses qui avons le temps, si nous, ne revêtons pas un vêtement d'amour pour l'Epoux céleste, en reconnaissant son ineffable charité, nous pourrons dire que cette grâce que nous avons reçue dans le baptême reste nue. Il faut donc que nous excitions notre amour et notre désir en [1120] ouvrant l'oeil de l'intelligence pour nous connaître et pour connaître en nous la bonté de Dieu et l'amour Ineffable qu'il a pour nous; car l'intelligence qui connaît et qui voit ne peut s'empêcher d'aimer, et la mémoire de retenir son bienfaiteur; et ainsi l'amour attire l'amour, et l'âme se trouve revêtue; sa nudité est couverte.

2. Je dis que ce vêtement cache la honte de deux manières. D'abord le regret du péché en éloigne la honte; la honte que l'âme ressent d'avoir offensé son Créateur lui a rendu le vêtement de l'amour des vertus; elle honore Dieu et y trouve sa récompense, car, dans tout ce que nous faisons et désirons, Dieu ne veut que la fleur de l'honneur, et nous le fruit de la récompense. Vous voyez donc que ce vêtement cache la honte du péché; je dis, de plus, qu'il ôte une autre honte, celle qui vient de la sensibilité de l'amour-propre et des jugements du monde. La volonté est morte à elle-même et à toutes les choses qui passent; non seulement elle ne rougit pas, mais elle se réjouit de la honte, des mauvais traitements, des mépris, des outrages et des injures; elle aime à se voir foulée aux pieds du monde; elle est heureuse pour l'honneur de Dieu, lorsque le monde la poursuit de ses injures, le démon de ses tentations, et la chair de ses révoltes contre l'esprit; elle s'en réjouit par vengeance et par haine contre elle-même, pour ressembler à Jésus crucifié, se croyant indigne de la paix et de la tranquillité d'esprit. Elle n'a pas honte d'être abaissée et tourmentée par ses trois ennemis, par le monde, la chair et le démon, parce que sa volonté sensitive est morte et revêtue du vêtement de la souveraine et éternelle [1121] bonté de Dieu. Elle reçoit tout avec respect et amour, parce qu'elle voit que Dieu permet tout par amour et non par haine; et nous recevons avec amour ce qui nous est donné avec amour. Aussi il lui est doux de désirer la honte, parce qu'avec cette honte elle chasse la honte.

3. Oh! combien est heureuse l'âme qui possède cette douce lumière! car non seulement elle hait ses inclinations et celles des autres, mais elle aime les peines que causent ces inclinations, qui sont pour nous la sensualité, et pour les autres les persécutions du monde, c'est-à-dire la haine coupable de celui qui persécute. Ma bien chère Fille, juge-toi donc digne de la peine et indigne du fruit qui suit la peiné. Ce seront là les broderies que tu porteras sur ton royal vêtement; tu sais bien que le céleste Epoux s'en est fait un semblable, car il a brodé sur son vêtement les peines, les fouets, les mauvais traitements, les outrages, et enfin la mort honteuse de la Croix.

4. Je dis que ce vêtement échauffe et détruit la froideur il échauffe par la chaleur de la charité, qui se manifeste par l'ardent désir de l'honneur de Dieu, dans le salut du prochain, dont elle fait supporter les défauts. Celui qui la possède se réjouit avec les serviteurs de Dieu qui se réjouissent, et pleure avec les coupables qui devraient pleurer; il pleure par compassion et par regret de l'offense qu'ils font à Dieu, et il se livre à toutes sortes de peines et de tourments pour le ramener à l'état de ceux qui se réjouissent et qui vivent dans l'amour des douces et royales vertus. Ce vêtement consume [1122] aussi le froid de l'amour-propre, qui aveugle l'âme et l'empêche de se connaître et de connaître Dieu. L'amour-propre ôte la vie de la grâce et engendre l'impatience; la racine de l'orgueil étend ses rameaux; l'homme offensa Dieu et le prochain par un attachement déréglé, et il devient insupportable à lui-même. Il est toujours en guerre avec l'obéissance, et il fait tout par amour de lui-même.

5. Aussi, ma très chère et bien-aimée Fille, je veux que tu perdes tout amour-propre qui vient de la sensualité, car il ne serait pas bien que l'épouse du Christ aimât autre chose que son Epoux. Il faut, à la lumière de la raison, embrasser les vertus; autrement tu ne pourrais pas traverser les orages de cette vie ténébreuse; il faut les .passer sur la barque de la sainte obéissance, où tu es entrée; sans elle tu n'arriveras pas au port de la vie véritable, où tu dois t'unir avec le céleste Epoux. Pense que si l'amour-propre la conduit sur l'écueil de la désobéissance, elle se brisera; tu feras naufrage et tu perdras ton trésor, c'est-à-dire la récompense des saintes résolutions que tu as prises en faisant voeu d'obéissance dans ta profession. Délivre-toi donc de cet amour pour ne pas périr; et comme une fidèle épouse, dresse généreusement dans ta barque le mât de l'humble Agneau sans tache, ton Epoux, c'est-à-dire la très sainte Croix avec la voile de son obéissance. Tu vois bien que c'est cette voile de l'obéissance à son Père qu'il a déployée; et il a couru, avec le vent impétueux de l'amour et de la haine du péché de la sensualité, jusqu'à la mort honteuse de la très sainte Croix [1123].

6. Agis de même, ma Fille, avec une obéissance prompte, une humilité sincère, avec l'amour de Dieu et du prochain, supportant et aimant charitablement tes soeurs, sans trouble d'esprit et sans murmure; porte et supporte tout ce que tu entends et vois de ton prochain; reçois avec respect les réprimandes qui te seront faites, pensant qu'elles viennent de l'amour, et non de la haine. Tu éviteras ainsi le mépris et la peine; tu auras l'amour de la vertu, la haine et l'horreur du vice et de l'amour déréglé de toi-même, parce que tu auras reçu les enseignements du doux et bon Jésus, qui est la règle, la voie et la doctrine. Il t'a enseigné cette doctrine par son obéissance, ne fuyant pas la peine, mais accomplissant les ordres de son Père au milieu des opprobres, des outrages, des injures, des murmures, sur l'arbre de la très sainte Croix. Il te montre la voie,. car cette voie de la Croix qu'il a suivie, toi et toute créature raisonnable, vous devez la suivre, supportant toutes les peines, les tourments, les ennuis, pour son amour, déployant sur le mât de Jésus crucifié, la voile de l'amour et du désir, par une persévérante prière.

7. La prière porte et rapporte: elle porte nos désirs pleins de la haine de nous-mêmes et de l'amour de la vertu, éprouvés dans la charité du prochain, et elle rapporte la volonté de Dieu; et lorsque l'âme la connaît, elle se l'applique par de saintes et bonnes oeuvres. Alors tu te trouveras dépouillée de ton amour-propre et revêtue du vêtement nuptial. Autrement tu ne serais pas une épouse véritable, et tu ne pourrais résister aux murmures qui, je le sais [1124], t'ont causé de la peine. Je ne veux pas que tu t'en affliges, car c'est la voie que doivent suivre les vrais serviteurs de Dieu. Celui qui le fait est exempt de peine, et jouit de la paix et du repos. C'est pourquoi je t'ai dit que je désirais te voir dépouillée de l'amour-propre sensitif et revêtue du vêtement royal, afin que tu ne souffres pas de l'obéissance et des murmures, et que tu sois dans la paix et dans le calme, goûtant Dieu par la grâce jusqu'à ce que tu en jouisses dans l'éternelle vision, où toutes les peines sont finies, et où on reçoit le fruit des vertus qui suit les peines. Que Dieu vous donne, à toi et aux autres soeurs, sa douce, son éternelle bénédiction. Je finis. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.







Catherine, Lettres 182