Catherine, Lettres 142

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Lettre n. 250, A SANO DE MACO

CCL (242). - A SANO DE MACO, lorsque la sainte était à Pise. - De la force et de la paix qu'on trouve dans la Croix.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1.Très cher Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous encourage dans le précieux sang du Fils de Dieu, avec le désir de vous voir un vrai chevalier combattant fortement contre toutes les illusions du démon; car nous sommes sur ce champ de bataille où nos ennemis nous attaquent de toute part. Vous, comme un vrai et généreux chevalier, plein d'un ardeur nouvelle, marchez contre eux avec la résolution de leur tenir toujours tête pour ne pas être tué ou prisonnier. Un homme est prisonnier quand il est dans un lieu d'où il ne peut sortir à son gré; de même, nous, si nous tournons la tête de notre volonté, si nous abandonnons nos saintes résolutions, et si nous obéissons aux suggestions du démon, nous serons dans la pire de toutes les prisons; nous aurons perdu la liberté, nous serons les serviteurs et les esclaves du péché.

2. Si vous me dites, très cher Fils: Je suis faible contre tant d'ennemis; je vous répondrai: Je l'avoue, nous sommes par nous-mêmes faibles et:sujets à tomber pour la moindre chose; mais la divine Providence agit dans nos âmes, nous fortifie et nous ôte toute faiblesse. Espérez donc, et croyez fermement [1323] que l'âme qui espère en Dieu est toujours secourue par lui, et le démon ne peut lui faire aucune violence, parce que la vertu de la très douce et très sainte Croix l'arrête et lui ôte toutes ses forces contre nous. L'homme. par l'ineffable bonté de Dieu, est fortifié et délivré de toute faiblesse et de toute infirmité. Par le souvenir de la très sainte Croix, nous devons concevoir l'amour de la vertu et la haine du vice. Nous sommes la pierre où est placé l'étendard de la Croix; mais nous ne pouvons pas dire que nous l'avons, s'il n'est pas affermi en nous. Et sachez-le bien, ni les clous, ni la Croix, ni la pierre n'auraient pu retenir l'Homme-Dieu sur la Croix, sans l'amour qu'il avait pour l'homme; c'est donc à nous qu'appartient le prix de son sang, et ce souvenir fait mépriser les honneurs et aimer les injures, les outrages, les affronts; la richesse désire la pauvreté, la concupiscence devient continence et pureté. L'âme bannit toute jouissance, tout désir déréglé, et se revêt seulement des vraies et solides vertus; elle ne se plaît qu'en Jésus-Christ, elle n'estime et ne veut savoir que Jésus crucifié. Elle dit: «Je ne me plais, et ne veux me glorifier que dans mon Seigneur Jésus-Christ; c'est à cause de son amour que le monde me méprise et que je méprise le monde (Ga 11,14).»

3. Courage donc, mon Fils, puisque ce souvenir est si doux, qu'il dissipe toute amertume et rend la vie aux morts; prenez la sainte Croix dans cette route où l'homme pèlerin et voyageur a besoin de s'appuyer sur ce bâton sacré jusqu'à ce qu'il soit [1324] arrivé au but ou l'âme trouvera le repos et la paix dans sa fin. Oh! combien lui sont douces les fatigues qu'elle a supportées dans ce voyage! Quelle paix, quel repos, quelle douceur reçoit et goûte l'âme, lorsqu'elle trouve au port l'Agneau immolé qu'elle a cherché sur la Croix, et qui s'est fait sa table, sa nourriture, son serviteur! Elle trouve le lit de la divine essence, où elle se repose et où elle dort, parce qu'elle a détruit cette loi perverse qui, pendant son pèlerinage, se révoltait sans cesse contre son Créateur. Que l'âme se réjouisse donc, qu'elle tressaille d'allégresse, qu'elle prenne avec un ardent désir le véritable étendard de la très sainte Croix, sans aucune crainte de ne pouvoir persévérer dans la vie qu'elle a commencée; mais qu'elle dise: Par Jésus crucifié, je puis tout porter (Ph 4,13) et tout faire jusqu'à la mort.

4. Vous m'avez écrit, au sujet de la douce Providence, que Dieu se montre dans les petites choses pour vous fortifier et vous encourager à supporter toutes les attaques et à espérer toujours en sa Providence. C'est un motif de ne renoncer jamais à votre sainte résolution, quelque chose qu'il arrive. Je crois que si vous ne prenez plus la douce nourriture, il est à craindre que vous n'ayez commis quelque excès. Je ne vous dis rien à ce sujet. Bénissez toute votre famille dans le Christ Jésus. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1325] .





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Lettre n. 251, A SANO DE MACO

CCLI (243).- A SANO DE MACO, à Sienne.- De la foi et de ses rapports avec l'amour et l'espérance.- Exemple de la Cananéens.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher et bien-aimé Frère dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de voir en vous cette vertu de la sainte Foi et de la persévérance qui était dans la Cananéenne. Elle y était si grande, qu'elle mérita que le démon fût chassé de sa fille; et même Dieu, pour manifester combien sa foi lui était agréable, voulut lui remettre son autorité en lui disant: «Qu'il soit fait à votre fille ce que vous voulez (Mt 15,28).» O glorieuse et excellente vertu! c'est vous qui montrez le feu de la divine charité quand elle est dans l'âme, car l'homme peut-il avoir la foi et l'espérance sans aimer? Toutes ces vertus se tiennent ensemble, et l'amour n'existe pas non plus sans la foi et l'espérance. Ce sont là trois colonnes qui maintiennent la force de notre âme, si bien que rien ne peut la renverser, ni le vent de la tentation, ni les paroles injurieuses, ni les flatteries des créatures, ni l'amour terrestre de sa femme et de ses enfants. Toujours elle est soutenue par ces colonnes inébranlables. Faisons donc comme cette Cananéenne, et, en voyant passer le Christ dans [1326] notre âme, tournons-nous vers lui par un saint désir, par une vraie contrition, par une horreur sincère du pêché, et disons-lui: Seigneur, délivrez ma fille, c'est-à-dire mon âme, car le démon la tourmente par de nombreuses tentations et des pensées mauvaises, Et si nous persévérons, si nous tenons ferme notre volonté pour qu'elle ne cède pas, et qu'elle ne s'abaisse pas à aimer quelque chose hors de Dieu; si nous nous humilions, et si nous nous estimons indignes de la paix et du repos, nous pouvons attendre avec foi, patience et espérance, supportant tout pour Jésus crucifié, et nous dirons avec saint Paul: «Je puis tout, non par moi, mais par Jésus crucifié, qui est en moi et qui me fortifie (Ph 4,13).» Alors nous entendrons cette douce parole que votre fille, que votre âme soit guérie comme vous le voulez.

2. C'est ainsi que l'infinie bonté de Dieu montre quel trésor l'âme a reçu dans son libre arbitre; car ni les démons ni les créatures ne peuvent la contraindre au péché, si elle ne veut pas. O très cher Fils dans le Christ Jésus! considérez avec foi et persévérance jusqu'à la mort ces paroles qui ont été dites. Sachez que quand l'homme a été créé, Dieu lui a dit aussi. Qu'il te soit fait selon ta volonté, c'est-à-dire: je te fais libre; tu ne seras soumis qu'à moi.» O ineffable! ô doux feu d'amour! comme vous nous montrez et vous nous prouvez l'excellence de la créature; vous avez tout créé pour le service de votre créature raisonnable, et vous avez fait cette créature pour vous servir [1327].

3. Mais nous, pauvres misérables, nous allons aimer le monde, ses pompes et ses plaisirs, et cet amour fait perdre à l'âme sa puissance; il la rend la servante et l'esclave du péché, il lui donne pour maître le démon. Oh! que ce maître est dangereux! car il cherche et prépare toujours la mort de l'homme. Non, il ne faut pas servir un tel maître; mais je veux que nous soyons de ces âmes passionnées pour Dieu, en nous rappelant toujours que nous sommes des esclaves rachetés par le sang de l'Agneau.

4. L'esclave ne peut se vendre et servir un autre maître. Nous n'avons pas été rachetés à prix d'or, ni même par l'amour seulement, mais par le sang. Que nos coeurs et nos âmes se brisent donc d'amour. Hâtons-nous de servir et de craindre le doux et bon Jésus, en pensant qu'il nous a tirés de la prison et de l'esclavage du démon, qui nous possédait véritablement; il a droit à la récolte, puisqu'il a payé et déchiré notre obligation (Col 2,14). Et comment a-t-il acquis ce droit à la récolte? Lorsqu'il s'est fait esclave en revêtant notre humanité. Hélas! n'était-ce pas assez qu'il ait payé la dette que nous avions contractée? Et quand l'a-t-il payée? Sur le bois de la très sainte Croix, en donnant sa vie pour nous rendre la vie de la grâce que nous avions perdue. O ineffable, ô très douce Charité! vous avez détruit l'obligation que l'homme avait souscrite au démon; vous l'avez déchirée sur le bois de la très sainte Croix. Le parchemin vient de l'Agneau, et l'Agneau sans tache nous a écrits sur lui-même, mais il a déchiré le parchemin. Que nos âmes prennent courage, car nous avons un nouvel écrit; et celui par lequel notre ennemi notre [1328] adversaire, pouvait nous réclamer, a été mis en pièces. Courons donc, très doux Fils, avec un saint et vrai désir; embrassons la vertu en nous rappelant le doux Agneau immolé avec un si ardent amour. Je ne vous en dis pas davantage.

6. Sachez qu'en cette vie, nous ne pouvons avoir autre chose que les miettes qui tombent de la table, les miettes que la Cananéenne demandait (Mt 15,27 Mc 7,28). Ces miettes sont les grâces que nous recevons, et qui tombent de la table du Maître; mais quand nous serons dans la vie durable, où nous goûterons Dieu, où nous le verrons face à face, alors nous aurons les mets de la table. Ne fuyez donc pas la peine; je demanderai pour vous des petites miettes et de la nourriture comme pour un fils; et vous, combattez généreusement. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






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Lettre n. 252, A SANO DE MACO

CCLII (244).- A SANO DE MACO, à Sienne.- On ne doit rien craindre en s'appuyant sur Jésus-Christ.- Il faut désirer souffrir, être méprisé, et donner sa vie pour lui.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Frère et Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris et je vous encourage dans son précieux sang, avec le désir de vous [1329] voir uni et fondé sur le vrai fondement, sur Jésus crucifié. C'est la pierre vive (1P 2,4) sur laquelle doit être appuyé, tout édifice solide et sûr; et sans elle rien ne peut avoir de stabilité. C'est ce que disait l'ardent saint Paul: "Personne ne peut trouver un fondement solide, si ce n'est sur la pierre vive, qui est Jésus crucifié (1Co 3,11). C'est le seul fondement que Dieu nous ait donné". Et vraiment, très cher Frère et Fils dans le Christ Jésus, je comprends bien que c'est la vérité; car si l'âme est fondée sur le Christ, aucun vent d'orgueil et de vaine gloire ne peut la jeter par terre; ses fondements, sont creusés dans une humilité profonde (Mt 7,25), parce qu'elle voit Dieu s'humilier jusqu'à l'homme, pour le sauver.

2. Les flots de l'avarice, des plaisirs du monde et de la chair ont beau s'enfler, ils ne peuvent renverser par terre cette âme, parce qu'elle est appuyée, affermie sur cette Pierre (Lc 6,48 Mt 7,25), qui n'a jamais ressenti les mollesses des plaisirs et des jouissances corporelles, mais qui s'est durcie dans la peine et la douleur. Aussi, l'âme qui se passionne pour le Christ ne peut vouloir que souffrir avec lui les opprobres, les affronts, la faim, la soif, le chaud, le froid, les injures, le déshonneur, et elle donnera enfin avec joie sa vie pour l'amour de lui. L'âme se réjouit et se dilate quand elle se voit digne de souffrir les outrages et les moqueries du monde pour le doux et bon Jésus. C'est ce que nous lisons des saints Apôtres, qui se réjouirent, quand ils commencèrent à être méprisés et bafoués pour le nom de Jésus. C'est ainsi que mon âme désire nous voir fondés en Jésus crucifié, de telle sorte, que ni les flots de la tribulation, ni le vent de la tentation [1330], ni le démon avec ses erreurs, le monde avec ses séductions, la chair avec ses honteux plaisirs, ne puissent jamais nous séparer de la charité du Christ et de celle du prochain (Rm 8,35-39).

3. Ne vous alarmez pas des paroles que le démon sème par le moyen des créatures pour troubler votre âme ou celles de mes chers fils et filles dans le Christ Jésus; car depuis longtemps il est habile à se servir de la langue des méchants; souvent même, par la permission de Dieu, il se sert de la langue des serviteurs de Dieu pour troubler les autres serviteurs de Dieu.

4. Par la grâce de notre doux Sauveur, nous sommes arrivés ici à Avignon, il y a déjà vingt-six jours (Sainte Catherine logea à Avignon dans la maison de Jean de Regio. Cette maison était une grande tour très large; elle fut jointe au collège des Pères Jésuites, et on y montrait la chambre qu'avait occupée notre sainte. Vingt-trois disciples de sainte Catherine l'avaient accompagnée, et étaient nourris aux frais du Souverain Pontife. (Voir Gigli, t. II, p. 329.). J'ai parlé au Saint-Père, à quelques cardinaux, et à d'autres seigneurs de la cour; et la grâce de notre doux Sauveur a beaucoup fait pour l'affaire qui nous amène ici. Réjouissez-vous en Notre-Seigneur Jésus-Christ, et soyez pleins de confiance. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour. Nous sommes arrivés à Avignon, le 18 juin 1376 [1331].






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Lettre n. 253, A SANO DE MACO

CCLIII (245). - A SANO DE MACO et à ses autres fils, à Sienne.- De la vertu de persévérance, et de la force nécessaire pour l'obtenir.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très cher Fils dans le Christ Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir forts et persévérants jusqu'à la fin de votre vie; car je sais que, sans la persévérance, personne ne peut plaire à Dieu et recevoir la couronne de la récompense (Mt 10,22 Mt 24,13). Celui qui persévère est toujours fort, et la force le fait persévérer. C'est donc un besoin, une nécessité d'avoir le don de la force, parce que nous sommes assiégés de nombreux ennemis.

2. Le monde nous attaque avec ses plaisirs et ses ruses, le démon avec ses tentations, et en se servant de la langue des hommes pour nous accabler d'injures, de murmures, et pour nuire souvent à nos affaires; et en cela, son unique but est de nous détourner de l'amour et de la charité du prochain. La chair se lève aussi avec sa sensualité, pour combattre contre l'esprit. Nous sommes donc entourés d'ennemis; mais il ne faut pas les craindre d'une crainte servile, parce que ces ennemis ont été vaincus par le sang de l'Agneau sans tache [1332].

3. Nous devons courageusement répondre et résister au monde par le mépris de ses plaisirs, de ses honneurs, en pensant qu'il n'y a en lui rien de stable et de durable. Il nous promet une longue vie avec une jeunesse florissante, et de grandes richesses, et tout cela disparaît. La vie est remplacée par la mort, la jeunesse par là vieillesse, la richesse par la pauvreté, et nous nous acheminons sans cesse vers notre dernier instant. Il faut donc ouvrir l'oeil de notre intelligence, et voir combien est malheureux celui qui se fie à de telles promesses. De cette manière, on arrivera à mépriser et à détester ce qu'on aimait d'abord. Il faut résister généreusement aux ruses du démon en considérant sa faiblesse, car il ne peut vaincre que celui qui veut être vaincu. Le chrétien résistera donc avec une foi vive, une ferme espérance avec une sainte haine de lui-même; et cette haine le rendra patient au milieu des tentations, des épreuves, des tribulations du monde; et de quelque côté qu'elles viennent, il les portera toutes avec une véritable patience, s'il hait sa propre sensualité, et il aimera à rester sur la Croix avec Jésus crucifié.

4. Sa foi vive lui donnera une volonté conforme à celle de Dieu, et il étouffera dans son coeur et son esprit tout jugement humain; il verra en tout la volonté de Dieu, qui ne cherche et ne veut autre chose que notre sanctification. Il ne se scandalisera pas de son prochain. Il ne murmurera pas, et ne condamnera pas celui qui parle contre lui; il se condamnera plutôt lui-même, en voyant que Dieu permet qu'il soit tourmenté pour son bien. Oh! combien est heureuse cette âme qui prend l'habitude de juger ainsi! Elle [1333] ne condamne pas les serviteurs du monde qui lui font injure; elle ne juge pas les serviteurs de Dieu, en voulant les diriger à sa manière, comme font tant de superbes présomptueux qui, sous prétexte de l'honneur de Dieu et du salut des âmes, croient pouvoir murmurer, en disant Cette manière d'agir ne me plaît pas. Et non seulement ils se troublent, mais ils troublent les autres par leurs paroles, en leur persuadant que C'est l'amour du bien qui les fait parler.

5. Mais celui qui ouvre les yeux trouvera le ver de la présomption, qui le trompe et le fait juger selon ses opinions, et non selon les mystères et les voies saintes et variées que Dieu suit à l'égard de ses créatures. Que l'orgueil de l'homme soit confondu, et qu'il apprenne que, dans la maison du Père éternel, il y plusieurs demeures (Jn 14,2); qu'il ne prétende plus donner des lois à l'Esprit-Saint, qui est la loi, la règle même, et qu'il ne mesure plus ce qui ne peut être mesuré. Ce n'est pas ainsi que fait le vrai serviteur de Dieu qui s'est revêtu de son éternelle volonté; il respecte, au contraire, les voies, les oeuvres et la conduite de ses serviteurs, parce qu'il ne les juge pas, venant de l'homme, mais de Dieu. Quand les choses nous déplaisent et ne vont pas à notre gré, il faut supposer et croire qu'elles sont agréables à Dieu. Nous ne devons et nous ne pouvons juger rien que ce qui est évidemment et manifestement un péché. Et encore, l'âme qui aime Dieu et qui s'est perdue elle même, n'exprime que le regret et la peine que lui cause l'offense faite contre Dieu; elle est pleine de compassion pour l'âme de celui qui a commis [1334] l'offense, et elle se livrerait volontiers à toutes sortes de tourments pour le salut de cette âme.

6. C'est à cette perfection que je vous invite, mes Fils bien-aimés: appliquez-vous avec un saint zèle à l'acquérir; pensez que vous arriverez à cet état en jugeant bien toutes choses sans vous scandaliser, sans vous affecter, tandis qu'en les jugeant mal, vous tomberez dans le péché, les murmures et les injustices envers les serviteurs de Dieu. Tout cela vient de la passion et de l'orgueil enraciné, qui nous pousse à juger la volonté de l'homme. Celui qui l'écoute tourne la tête en arrière, et ne persévère pas dans l'amour du prochain. Il n'a jamais un amour fort et persévérant; il a l'amour imparfait des disciples du Christ avant la Passion. Ils l'aimaient parce qu'ils jouissaient de sa présence; leur amour n'était pas fondé sur la vérité, mais sur leur jouissance, sur leur plaisir. Aussi faiblit-il quand ils furent privés de sa présence; ils ne surent pas souffrir avec le Christ, et la crainte leur fit prendre la fuite (Mt 26,56 Mc 14,50). Prenez garde, prenez garde que cela ne vous arrive. Vous vous réjouissez beaucoup de sa présence, mais vous n'avez qu'un feu de paille pour l'absence; le moindre vent, la moindre pluie l'éteint, dès que vous ne le voyez plus; et il ne reste rien qu'une fumée noire qui obscurcit votre conscience. Et tout cela arrive parce que nous nous sommes faits les juges de la volonté des hommes, de la conduite, des actions, des voies des serviteurs de Dieu, sans voir en tout sa douce volonté. Qu'il n'en soit plus ainsi, pour l'amour de Jésus crucifié; mais soyez des Fils fidèles, forts et persévérants dans le Christ, le doux [1335] Jésus, et de cette manière vous triompherez des tentations du démon et des paroles qu'il vous dit par la langue des hommes.

7. Notre dernier ennemi est notre chair misérable, avec ses appétits sensuels. On en triomphe par la chair du Christ, flagellée et percée sur le bois de la très sainte Croix; on la dompte par le jeûne, les veilles, la prière continuelle, par les désirs ardents du saint amour. Oui, nous vaincrons, nous déferons nos ennemis par la vertu du sang de Jésus-Christ. Vous accomplirez ainsi sa volonté et mon désir, car je gémis en voyant votre imperfection. J'espère que l'infinie Bonté consolera mon âme à votre sujet. Aussi je vous conjure de n'être pas négligents, mais pleins de zèle. Ne soyez pas des feuilles qui volent à tous les vents; soyez fermes, constants, vous aimant avec une vraie charité fraternelle, et supportant mutuellement vos défauts. Je verrai à cela si vous aimez Dieu, et je ne désire pas autre chose que de vous voir dans cette union parfaite. Noyez-vous dans le sang de Jésus crucifié, cachez-vous dans ses très douces plaies. Je ne vous en dis pas davantage.

8. Je vous recommande le monastère de Sainte-Marie des Anges. Ne vous étonnez pas si je n'y viens pas; les bons fils font plus quand leur mère n'est pas présente, que quand elle est présente, parce qu'ils veulent montrer l'amour qu'ils ont pour leur mère et s'en faire plus aimer. Je vous prie, Sano, de lire cette lettre à tous mes enfants; priez tous Dieu pour nous, afin que nous accomplissions ce que nous avons commencé pour son honneur et le salut [1336] des âmes; n'ayons pas d'autres désirs, et poursuivons notre oeuvre malgré ceux qui voulaient et veulent l'empêcher. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Que Dieu vous remplisse de ma très douce grâce. Doux Jésus, Jésus amour.






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Lettre n. 254, A SANO DE MACO

CCLIV (246). - A SANO DE MACO, et à ses autres fils dans le Christ, lorsqu'elle était à Florence.- Elle se réjouit de la paix conclue avec le Souverain Pontife, et les invite à rendre grâces à Dieu.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir de bons Fils qui servent fidèlement notre doux Sauveur, afin de rendre avec plus de zèle grâce et hommage à son nom.

2. O très chers Fils, Dieu a entendu la voix et les cris de ses serviteurs, qui depuis si longtemps pleurent en sa présence et gémissent sur ceux qui étaient morts. Les voilà ressuscités de la mort ils sont revenus à la vie, des ténèbres à la lumière. Mes très chers Fils, les boiteux marchent, les sourds entendent, les aveugles voient (Mt 11,5 Lc 7,22) et les muets parlent; ils crient de toutes leurs forces: La paix, la paix! Oui, la paix [1337]: quelle joie de voir les enfants revenir à l'obéissance de leur père, et recouvrer ses bonnes grâces après avoir pacifié leurs âmes! Et comme des personnes qui commencent à voir, ils disent: Grâces vous soient rendues, Seigneur, de nous avoir réconciliés avec notre Saint-Père. On appelle saint maintenant le doux Agneau, le Christ de la terre, qu'on appelait autrefois hérétique et Patarin (Les Patarins étaient des hérétiques du XIIe siècle, qui furent condamnés par les Souverains Pontifes, et par le troisième concile de Latran. Ils propageaient les mêmes erreurs que les Vaudois.). On lui donne le titre de père, qu'on lui refusait; et je ne m'en étonne pas, car le nuage est dissipé, le temps est devenu serein. Réjouissez-vous, réjouissez-vous, mes Fils bien-aimés;. pleurez de joie et de reconnaissance en présence de l'éternel et souverain Père; mais ne soyez pas contents encore, et demandez que l'étendard de la très sainte Croix se lève bientôt. Réjouissez-vous dans le Christ le doux Jésus: que vos coeurs éclatent en voyant la grandeur de l'infinie bonté de Dieu: maintenant la paix est faite, malgré tous ceux qui voulaient l'empêcher; le démon infernal est vaincu. Samedi soir a paru l'olivier de la paix, à une heure de nuit, et aujourd'hui à vêpres, tout a été terminé (Cette paix obtenue avec tant de peine par sainte Catherine, fut conclue dans le mois de juillet 1378. Elle fut ratifiée par Urbain VI, le 1er octobre suivant.).

3. Samedi soir, notre ami a été arrêté avec un compagnon (Il s'agit sans doute d'Etienne Maconi. (Voir la lettre CCLXIL), et à huit heures, l'hérésie était heureusement [1338] enchaînée. La paix est conclue, et il est maintenant en prison. Priez Dieu pour lui, afin qu'il reçoive la vraie lumière, la vraie connaissance. Baignez-vous noyez-vous dans le sang de Jésus crucifié; aimez-vous les uns les autres. Je vous envoie l'olivier de la paix. Demeurez dans la sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour.






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Lettre n. 255, A SANO DE MACO

CCLV (247). - A SANO DE MACO, et à tous les autres séculiers, ses fils dans le Christ, à Sienne.- De la voie de Jésus-Christ, et de la voie du démon.



AU NOM DE JESUS CRUCIFIE ET DE LA DOUCE MARIE


1. Très chers Fils dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l'esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir affermis dans la vertu de la très sainte Foi. Cette foi est une lumière qui éclaire l'oeil de l'intelligence, et lui fait voir et connaître la vérité. En connaissant une chose bonne, on l'aime; mais en ne la connaissant pas, on ne peut l'aimer, et en ne l'aimant pas, on ne peut la connaître. Cette lumière est donc nécessaire; car sans elle nous marcherons dans les ténèbres, et celui qui marche dans les ténèbres doit s'y perdre.

2. Cette lumière nous enseigne la voie, et nous montre le but; elle nous fait connaître ceux qui nous [1339] appellent à deux festins bien différents, et elle nous fait discerner Celui qui donne la vie et celui qui donne la mort. O doux et bien aimés Fils! quels sont ceux qui nous invitent, et quelles sont leurs voies? Je vous le dirai Le premier est le Christ béni, qui nous invite à boire l'eau vive de la grâce; c'est ce qu'il faisait lorsqu'il criait dans le Temple: " Que celui qui a soif vienne à moi et boive (Jn 7,37), car je suis la fontaine d'eau vive (Jn 4,10)." Il est bien véritablement une fontaine. De même qu'une fontaine contient l'eau et la laisse passer par le mur qui l'entoure, de même le doux et tendre Verbe, qui contient son éternelle Divinité unie à l'humanité, répand le feu de la divine charité par le mur ouvert de Jésus crucifié; car ses très douces plaies ont versé son sang mêlé au feu, puisqu'il a été répandu par le feu de l'amour.

3. C'est à cette fontaine que nous puisons l'eau de la grâce; car c'est par la vertu de la Divinité, et non pas uniquement par l'humanité, qu'a été expiée la faute de l'homme. L'humanité a souffert la peine sur la Croix, et par la vertu de la Divinité, notre faute a été expiée; nous avons été rétablis dans la grâce. Notre-Seigneur est donc bien véritablement la fontaine d'eau vive, et il nous invite à boire avec une grande douceur d'amour, Mais il dit: Qui a soif vienne à moi; il n'invite pas celui qui n'a pas soif, et ne lui dit pas: Qu'il vienne à moi. Oh! comme s'exprime bien l'éternelle Vérité! car personne ne peut aller au Père si ce n'est par lui. Il l'assure dans le saint Evangile: Celui qui veut parvenir à la vision [1340] du Père, qui est la vie éternelle, doit suivre la doctrine du Verbe, qui est la voie, la vérité, la vie (Jn 14,6); et celui qui va par cette voie ne marche pas dans les ténèbres, mais il marche à la lumière de la très sainte Foi, et cette lumière vient de ma lumière et s'augmente en lui. Aussi nous devons dire: " Seigneur, donnez-moi votre grâce, afin que dans votre lumière, je Voie la lumière. " Il est la vérité même, et celui qui suit la doctrine du Verbe détruit et consume en lui le mensonge de l'amour-propre.

4. Il court dans cette voie avec amour et persévérance en suivant la doctrine de Jésus crucifié; cette doctrine, il l'a vue à la lumière de la Foi, lorsque le Maître est monté à la tribune de la Croix, et nous a enseigné sa doctrine, qu'il avait écrite sur son corps. Il a fait de lui-même un livre dont les lettres sont si visibles, que tout homme peut parfaitement les lire malgré la faiblesse de son intelligence et de sa vue. Que notre âme lise donc; qu'elle lise, et que, pour lire mieux, elle monte avec les pieds de son affection jusqu'à l'amour de Jésus crucifié: autrement vous ne pourriez pas bien lire. Arrivons au foyer principal de son ardente charité, que nous trouvons dans la plaie de son côté, où il nous dévoile le secret de son coeur, en nous montrant qu'une chose finie, que sa Passion qui avait des bornes, était insuffisante à manifester son amour comme il voulait le faire, et à nous donner ce qu'il voulait nous donner. Cet amour qu'il a pour nous, viles créatures, il nous le laisse par sa doctrine, pour que nous l'aimions par-dessus toute chose, et que nous aimions le prochain comme nous-mêmes (Mt 22,37-39 Mc 12,30-31 Lc 10,27); et cet amour, nous devons en donner [1341] des preuves comme il nous en a donné par ses souffrances.

5. Nous aimerons donc Dieu avec amour, et nous le témoignerons à Dieu et au prochain, si nous sommes fidèles à sa doctrine, en souffrant les peines, les opprobres, les affronts, les persécutions, les calomnies; si aucune injure n'affaiblit en nous la charité à l'égard de ceux qui nous les font, nous affligeant plus de la perte de leur âme que de notre injure. Notre-Seigneur nous enseigne encore à prier Dieu pour eux, comme il l'a fait lui-même. Lorsque les Juifs le crucifiaient, il disait: "Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (Lc 23,34)." Voyez cet ardent amour qu'il a pour nous, voyez cette patience qui couvre de confusion ceux qui s'aiment eux-mêmes, les impatients pour lesquels une parole semble être un coup de poignard, et s'ils n'en répondent pas quatre, on dirait que leur coeur va éclater de dépit. Ils montrent qu'ils marchent sans la lumière, et qu'ils n'ont pas lu le glorieux livre de Jésus-Christ. Que celui qui l'a lu supporte donc les défauts du prochain avec compassion et charité fraternelle.

6. L'homme montre encore l'amour qu'il a pour Dieu, en souffrant avec patience et respect tout ce que sa providence donne et permet, ne cherchant jamais à scruter ses pensées, et ne voyant en tout que son infinie charité. Si nous suivons de la sorte la doctrine de la patience, nous goûterons la paix au milieu des combats, et nous trouverons la santé de l'âme dans les infirmités du corps. Et ainsi nous manifesterons la lumière de la Foi, parce que la patience montre que nous avons en vérité, vu et cru que Dieu [1342] ne veut autre chose que notre sanctification, et que c'est pour cela que nous avons tout reçu avec respect et patience. Dans cette lumière aussi, se lit l'espérance que nous avons de posséder la vie éternelle, par la vertu du sang de Jésus-Christ. Nous perdons alors l'espérance en nous-mêmes, l'espérance du monde, de ses délices, de ses biens, pour espérer uniquement en Dieu, notre véritable et souverain bien. Il serait trop long de raconter ce qu'on lit dans ce livre; mais ouvrons l'oeil de l'intelligence à la lumière de la très sainte Foi, et que les pieds de notre affection nous portent à lire ce très doux livre. Nous y trouverons la prudence, la sagesse, qui a pris le démon avec l'appât de notre humanité. En lui est la justice; car pour punir la faute, il s'est livré lui-même à la mort honteuse de la Croix; il a fait une enclume de son corps pour y forger l'homme nouveau au feu de sa charité, avec le lourd marteau des grandes souffrances. En lui se trouvent la justice, la force, la tempérance, car ni la crainte pour lui-même, ni notre ingratitude, ni les cris des Juifs ne l'ont arrêté dans le sacrifice qu'il faisait à son Père (He 9,26).

7. Nous y lirons aussi cette chère petite vertu d'une humilité véritable et profonde, qu'il montra pour confondre notre orgueil; nous verrons Dieu abaissé jusqu'à l'homme, la souveraine Grandeur descendue à un tel abaissement, l'Homme-Dieu humilié jusqu'à la mort ignominieuse de la Croix. Et tous les jours, nous le voyons encore, user d'humilité et de patience à l'égard de nos iniquités. Il supporte notre ignorance, notre négligence, notre ingratitude, parce qu'il a faim de notre salut; il nous prête le temps, et [1343] nous donne de bonnes et saintes inspirations pour nous faire voir et nous prouver notre fragilité et le peu de stabilité du monde, afin que nous ne nous confiions pas en lui. Il nous appelle par ses serviteurs, par leurs paroles et par leurs exemples, et il les presse d'offrir sans cesse pour nous d'humbles et ferventes prières. Voilà ce que fait sa bonté, son humilité, pour nous apprendre à faire de même à l'égard de notre prochain. De cette manière, nous suivrons ses traces; en lisant dans ce livre, nous apprendrons la doctrine de la vérité, et nous arriverons par elle au Père; mais jamais autrement: car les vertus s'acquièrent avec peine, en faisant violence à notre faiblesse. Dans le Père ne se trouve pas la peine, mais seulement dans le Fils; et c'est par le moyen de son sang que nous avons la vie éternelle, car il a dit: " Personne ne peut aller au Père, si ce n'est par moi" (Jn 14,6), et c'est la vérité, puisqu'il est la voie, c'est-à-dire que sa doctrine est la voie de la vérité qui donne la vie.

8. Il est la fontaine d'eau vive, et il invite à boire ceux qui ont soif; et ceux qui suivent sa doctrine emplissent le vase de leur âme de l'eau de la grâce. Ils s'attachent au sein (Jn 13,23) de son humanité, et ils se désaltèrent de cette eau sacrée en buvant avec la bouche du saint désir, l'honneur de Dieu et le salut des âmes; ils sont remplis d'ardeur pour les vertus qu'ils croient pouvoir acquérir dans cette vie, et ils s'y exercent avec zèle pour ne pas perdre le temps, qui est le plus grand trésor que nous possédions. Ceux-là sont invités, mais non pas les négligents qui sont plongés dans les ténèbres du péché mortel, et [1344] qui courent par la voie de la mort comme des aveugles obstinés dans leur misère. Ces infortunés sont appelés, mais pas invités. Ils sont appelés, puisque Dieu les a créés à son image et ressemblance (Gn 1,26), et les a fait renaître à la grâce dans le sang du Verbe; mais ils ne sont pas invités, parce qu'ils ne veulent pas l'être. La loi est faite pour tous; mais à qui appartient-elle? A ceux qui l'observent. Il en est de même pour ceux qui sont invités à boire. Nous sommes tous appelés, mais quels seront les invités? Ceux qui ont soif et faim de la vertu, les altérés qui suivent avec ardeur la doctrine de Jésus crucifié, et qui regardent à la lumière de la Foi la fontaine, pour augmenter leur soif. Avec cette soif et cette lumière, nous arriverons à la source; mais sans cette lumière, nous ne pourrions jamais y arriver. J'aurais bien des choses à dire sur ceux qui sont invités, mais je ne veux pas m'étendre davantage.

9. Voyons maintenant quelle autre invitation nous recevons. Nous avons dit que le Christ, le doux Jésus, nous invitait à boire l'eau vive. Mais le démon de son côté nous invite à boire celle qu'il a pour lui-même; il a en lui la mort, et il nous invite à boire une eau de mort. Si vous lui demandez: Qu'est-ce que tu me donneras, si je te sers? Il vous répondra: Ce que j'ai pour moi; je suis privé de Dieu, et tu seras privé de Dieu; je suis dans le feu éternel où sont les flammes et les grincements de dents (Mt 8,12 Lc 13,28ss.), je suis privé de la lumière et plongé dans les ténèbres; j'ai perdu toute espérance, et j'ai pour compagnons tous ceux qui sont tourmentés et torturés dans l'enfer comme moi. Ce sont les joies et les consolations que [1345] tu auras pour ta peine. La Foi montre qu'il en est ainsi, et le fidèle ne suit jamais cette voie; ou, s'il s'y trouve, il s'en repent. Qu'il est insensé l'homme qui se prive de la lumière! car celui qui est privé de la lumière ne connaît pas son malheur.

10. Quelle est la voie où le démon nous appelle? C'est la voie du mensonge; car il est le père du mensonge (Jn 8,44), et le mensonge produit ce misérable amour-propre avec lequel l'homme aime d'une manière déréglée les honneurs, les richesses du monde, les choses visibles, les créatures et lui-même, ne craignant pas de perdre Dieu et la beauté de son âme; mais, dans son aveuglement, il se fait un Dieu de lui-même et du monde. Et ce temps, qu'il devait employer pour l'honneur de Dieu, pour son salut et celui du prochain, il le dérobe comme un voleur, et il le dépense à son propre plaisir, se réjouissant et donnant à son corps tout le bien-être possible en dehors de la volonté de Dieu. Le livre qu'il ouvre devant nous est celui de la sensualité, où sont écrits tous les vices, avec tous les mouvements d'orgueil, d'impatience et d'infidélité à l'égard de son Créateur; l'injustice, l'indiscrétion, l'impureté, la haine envers le prochain, le goût du vice et le mépris de la vertu, la grossièreté, la calomnie à l'égard du prochain, la paresse, la confusion de l'esprit, la négligence, la somnolence, l'ingratitude et les autres défauts, tout y est écrit. Si la volonté lit ce livre et apprend ces vices en les mettant volontairement en pratique, elle est infidèle et suit la voie du mensonge que lui montre le démon; elle boit en lui l'eau morte, puisquelle est privée de la grâce en cette vie, et que [1346] dans l'autre, elle reçoit avec lui, en mourant dans le péché mortel, les supplices de la damnation éternelle.

11. Voyez donc, très chers Fils, combien est nécessaire cette lumière, qui nous fait éviter un si grand mal, et qui nous conduit à un si grand bien. En y pensant, et en voyant que sans cette lumière, vous n'accompliriez pas la volonté de Dieu, qui vous a créés pour vous donner la vie éternelle, ni la mienne, qui ne veut pas autre chose; je vous ai dit que je désirais voir en vous la lumière de la très sainte Foi. Aussi je vous en conjure, et je veux que vous soyez toujours les vrais et fidèles serviteurs de Jésus crucifié. Je veux que vous le serviez complètement et sans mesure, non pas à votre manière, mais à la mienne, ne choisissant jamais le temps et le lieu que selon son bon plaisir, ne recherchant pas la consolation, ne refusant pas les peines et les combats des démons visibles et invisibles, ni les épreuves de la chair fragile, mais embrassant la voie des peines pour l'honneur de Dieu. Suivez Jésus crucifié en mortifiant votre corps par le jeûne, les veilles, par une humble et continuelle prière. Anéantissez votre volonté dans la douce volonté de Dieu, et que votre société soit celle de ses serviteurs. Quand vous êtes réunis, ne perdez par le temps en paroles oiseuses, et ne vous tourmentez pas des actions des autres en déchirant votre prochain par des murmures et de faux jugements; Dieu seul est le souverain. Juge de nous tous. Mais montrez que vous êtes réunis au nom du Christ en vous entretenant de sa bonté, des vertus des saints et de vos défauts (Cette lettre montre que les disciples de sainte Catherine qui étaient très nombreux à Sienne, suivaient une sorte de règle que leur avait donnée celle qu'ils appelaient leur mère. ); soyez forts, constants [1348] et persévérants dans la vertu. Que ni le démon ni la créature, par des menaces ou des flatteries, ne vous fassent tourner la tête en arrière, car la persévérance seule obtient la couronne. Que celui qui est attaché au monde s'en retranche sur-le-champ; qu'il n'hésite pas à s'en détacher, car le temps peut lui manquer; celui qui ne se détache pas reste toujours lié. Le souvenir du précieux Sang et la lumière de la Foi vous feront détacher parfaitement de toutes les choses qui sont en dehors de la volonté de Dieu; vous lui serez fidèles, et aussi à moi misérable.

12. Croyez bien que si je ne vous écris pas, je vous aime en vérité:cependant, et je m'occupe avec zèle de votre salut en présence de Dieu. Je veux que vous en soyez bien persuadés. Il est vrai que par ma faute et à cause de mes nombreuses occupations, je ne vo us ai pas écrit; mais prenez courage, et aimez-vous les uns les autres. Je veux plus que jamais vous voir écrits dans le livre de vie. Baignez-vous dans le sang de l'humble Agneau. Ne cessez pas de prier pour la sainte Eglise et pour notre Saint-Père, le Pape Urbain VI, qui en a maintenant grand besoin. Demeurez dans là sainte et douce dilection de Dieu. Doux Jésus, Jésus amour [1348].







Catherine, Lettres 142