Sur la Trinité de Boèce Pars3 Qu.5 Art.4

Article 4: En est-il de même de la science divine?

Objections:

1. Il semble que la science divine ne roule pas sur les choses étrangères au mouvement et à la matière. En effet, il semble que la science divine s’occupe surtout de Dieu; mais nous ne pouvons arriver à la connaissance de Dieu que par le moyen des effets visibles qui sont constitués dans le mouvement et la matière. (Rm 1,20) : "Les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis la création du monde par la connaissance que ses créatures nous en donnent." Donc la science divine ne fait pas abstraction du mouvement et de la matière.

2. De plus, ce à quoi le mouvement convient d’une certaine manière n’est pas entièrement étranger au mouvement et à la matière, mais le mouvement convient à Dieu d’une certaine manière, c’est pourquoi il est dit de la sagesse divine, (Sg 7,24): "Qu’elle est mobile et plus mobile que toutes les choses mobiles." Et saint Augustin dit, livre VIII sur la Genèse, que Dieu se meut sans temps et lieu, et Platon a affirmé que le premier moteur se mouvait de lui-même. Donc la science divine qui traite de Dieu, n’est pas totalement étrangère au mouvement.

3. De plus la science divine ne traite pas seulement de Dieu, elle s’occupe aussi des anges. Mais les anges se meuvent par leur choix, parce que de bons qu’ils étaient, il en est qui sont devenus mauvais, et même suivant le lieu, comme on le voit dans ceux qui reçoivent une mission. Donc les choses qui sont l’objet de la science divine ne sont pas entièrement étrangères au mouvement.

4. De plus, ainsi que semble le dire le Commentateur au commencement de la Physique, tout ce qui existe est ou matière pure, ou forme pure, ou un composé de matière et de forme; mais l’ange n’est pas une forme, parce que il serait ainsi un acte pur, ce qui n’appartient qu’à Dieu; il n’est pas non plus matière pure. C’est donc un composé de matière et de forme; et ainsi la science divine ne fait pas abstraction de la matière et de la forme.

5. De plus la science divine, qui est classée comme troisième partie de la philosophie spéculative, est la même chose que la métaphysique, dont le sujet est l’être, et spécialement l’être qui est substance, comme on le voit dans la Métaphysique; mais l’être et la substance ne font pas abstraction de la matière, autrement on ne trouverait aucun être matériel; donc la science divine ne fait pas abstraction de la matière.

6. De plus, suivant Aristote dans le I Poster, c’est le propre de la science de s’occuper non seulement du sujet, mais des parties et des passions du sujet; mais l’être est le sujet de la science divine, comme il a été dit. Donc il lui appartient de traiter de tous les êtres; mais la matière et le mouvement sont des êtres d’un certain genre, donc la science divine n’en fait pas abstraction.

7. De plus, comme le dit le Commentateur dans le livre 1 de la Physique, la science divine se sert de trois causes pour opérer ses démonstrations, à savoir, la cause efficiente, la cause formelle et la cause finale; mais on ne peut envisager la cause efficiente sans envisager le mouvement; il en est de même de la fin, comme il est dit dans le livre III de la Métaphysique. C’est pourquoi, dans les mathématiques qui sont immobiles, il n’y a point de démonstration par le moyen de ces causes. Donc la science divine ne fait pas abstraction du mouvement.

8. De plus, dans la théologie il est question de la création du ciel et de la terre, des actes humains et de beaucoup d’autres choses semblables, qui contiennent en elles-mêmes la matière et le mouvement. Donc il ne paraît pas que la théologie fasse abstraction de la matière et du mouvement.



Cependant:

Il y a contre tout cela ce que dit Aristote dans le livre VI de la Métaphysique, que la philosophie première s’occupe des choses séparées de la matière et immobiles. Or la philosophie première est la science divine, comme il est dit au même endroit; donc elle est abstraite du mouvement et de la matière.

De plus, la science la plus noble s’occupe des êtres les plus nobles; mais la science divine est la plus noble des sciences. Donc les êtres immatériels et immobiles étant les plus nobles, ils seront l’objet de la science divine.

De plus Aristote dit au commencement de la Métaphysique que la science divine a pour objet les premiers principes et les causes; or toutes ces choses sont immatérielles et immobiles; elles sont donc l’objet de la science divine.



Réponse:

co.1. Pour comprendre parfaitement la question, il faut savoir quelle est la science qui doit être appelée science divine. Il faut par conséquent savoir que toute science qui considère un genre subjecté doit aussi considérer les principes de ce genre, puisque toute science n’est parfaite que par la connaissance des premiers principes, comme le dit clairement Aristote au commencement de sa Physique. Mais il y a deux sortes de principes. Il y en a qui existent en eux-mêmes, d’autres d’une nature complète, et sont néanmoins principes des autres, comme les corps célestes sont des sortes de principes des autres corps inférieurs, et les corps simples des corps mixtes, et ces principes ne sont pas seulement considérés dans les sciences comme des principes, mais comme étant en eux-mêmes certaines choses; et pour cette raison non seulement on s’en occupe dans la science qui a pour objet principiata; mais ils constituent une science séparée par eux-mêmes, comme par rapport aux corps célestes il y a une certaine partie de la science naturelle en dehors de celle où l’on traite des corps mixtes. Il y a d’autres principes qui ne sont pas en eux-mêmes d’une nature complète, mais qui sont seulement les principes des natures, comme l’unité de nombre, le point de la ligne, la forme et la matière du corps physique; c’est pourquoi on ne traite de ces principes que dans la science qui s’occupe de principiatis.

co.2. Comme dans chaque genre déterminé il y a des principes communs qui s’étendent à tous les principes de ce genre, de même tous les êtres, en tant qu’ils communiquent dans l’être, ont certains principes qui sont les principes de tous les êtres, lesquels principes peuvent être appelés communs de deux manières, suivant Avicenne, in sua sufficientia.

Par prédication, comme lorsque je dis que la forme est commune à toutes les formes, parce qu’elle s’applique à chacune;

Par causalité, comme nous disons qu’un soleil unique est le principe de toutes les choses générables.

Or tous les êtres ont un principe commun non seulement suivant le premier mode que désigne Aristote dans le livre II de la Métaphysique, en disant que tous les êtres ont le même principe suivant l’analogie, mais encore suivant le second mode, de sorte qu’il y ait certaines choses numériquement les mêmes principes de toutes choses, selon que, par exemple, les principes des accidents sont ramenés aux substances, et les principes des substances corruptibles aux substances incorruptibles, et ainsi, suivant un certain degré et un certain ordre, tous les êtres sont ramenés à certains principes. Et comme ce qui est pour tout le principe de l’existence doit être surtout un être, comme il est dit dans le livre II de la Métaphysique, ces principes doivent en conséquence être très complets, et pour cette raison se trouver parfaitement en acte, de manière à n’avoir absolument rien de la puissance, parce que l’acte est supérieur et plus puissant que la puissance, comme il est dit dans le livre X de la Métaphysique. Il faut donc, pour cette raison, qu’ils soient étrangers à la matière qui est puissance, et au mouvement qui est l’acte de ce qui existe en puissance; telles sont les choses divines, parce que tout ce qui est divin existe surtout dans cette nature immatérielle et immobile, comme il est dit dans le livre VI de la Métaphysique.

co.3. Donc les choses divines de ce genre étant les principes de tous les êtres et étant néanmoins en elles d’une nature complète, peuvent être traitées de deux manières: l’une suivant qu’elles sont les principes communs de tous les êtres, l’autre suivant qu’elles sont certaines choses en elles-mêmes. Mais comme à l’égard de ces premiers principes, quoique très connus en eux-mêmes, l’intellect est comme l’oeil du hibou par rapport à la lumière du soleil, ainsi qu’il est dit dans le livre II de la Métaphysique, nous ne pouvons les atteindre par les lumières naturelles de la raison, qu’en tant que nous y sommes conduits par les effets, et c’est de cette manière que les philosophes y sont parvenus, comme il est dit dans l’Epître aux Romains, invisibilia, etc Rm 1,20. C’est pourquoi ces choses divines ne sont traitées par les philosophes qu’en tant qu’elles sont les principes de toutes choses; aussi elles sont traitées dans cette doctrine qui renferme tout ce qui est commun à tous les êtres, et qui a pour sujet l’être en tant qu’être; c’est là ce qu’on appelle chez les philosophes science divine. Il y a une autre manière de connaître ces sortes de choses en dehors de leur manifestation par les effets, mais suivant qu’elles se manifestent elles-mêmes. C’est cette manière dont parle l’Apôtre, (1Co 2,11): "Il n’y a que l’Esprit de Dieu qui connaisse les choses de Dieu, etc.," et suivant ce mode les choses divines sont traitées comme subsistant en elles-mêmes, et non comme étant les principes des choses.

co.4. Ainsi donc la théologie ou science divine est de deux sortes;

l’une où l’on considère les choses divines non comme sujet de la science, mais comme principe du sujet, et cette théologie est celle dont s’occupent les philosophes, et qui s’appelle autrement, métaphysique.

L’autre qui considère les choses divines à raison d’elles-mêmes, comme sujet de la science, et cette théologie est celle qui est appelée Ecriture sainte:

l’une et l’autre théologie roule sur les choses qui sont séparées de la matière et du mouvement suivant l’être, mais diversement selon qu’une chose peut être étrangère de deux manières, à la matière et au mouvement suivant l’être. La première de telle façon qu’il soit de la nature d’une chose dite séparée de ne pouvoir en aucune manière participer à la matière et au mouvement; c’est dans ce sens que Dieu et les anges sont dits dégagés de la matière. La seconde, qu’il ne soit pas de sa nature de participer à la matière et au mouvement., mais de pouvoir être sans matière et sans mouvement, quoique cela se rencontre quelquefois: ainsi l’être, la substance, la puissance et l’acte sont dégagés de la matière et du mouvement, parce qu’ils ne dépendent pas de la matière et du mouvement suivant l’être, comme le font les mathématiques qui ne peuvent jamais exister sans matière, quoiqu’il soit possible de les concevoir sans la matière sensible. Donc la théologie philosophique traite des choses séparées (determinat de separatio) de la seconde manière, comme des principes du sujet. Au contraire, la théologie de l’Ecriture sainte traite des choses séparées de la première manière, comme des sujets, quoiqu’on y traite certaines choses qui existent dans la matière et le mouvement, suivant ce que demande la manifestation des choses divines.



Solutions:

Il faut répondre à la première difficulté que les choses qui ne sont prises dans une science que pour en manifester d’autres, n’appartiennent pas per se à la science, mais comme per accidens. En effet, dans les mathématiques on prend certaines choses naturelles, et d’après cette manière, rien n’empêche qu’il se trouve dans la science divine certaines choses participant à la matière et au mouvement.

A la seconde il faut dire que le mouvement n’est pas attribué à Dieu proprement, mais par métaphore, et cela de deux manières;

la première en tant que l’opération de l’intellect ou de la volonté est appelée mouvement, et dans ce sens on dit que quelqu’un se meut, lorsqu’il se comprend et s’aime. C’est dans ce sens que peut être vraie la parole de Platon qui dit que le premier moteur se meut lui-même, parce qu’il se comprend et s’aime, ainsi que le dit le Commentateur dans le livre VIII de la Physique.

La seconde dans le sens que la dérivation des produits des premières causes peut s’appeler procession ou mouvement quelconque de la cause vers le produit, en tant que la similitude de la cause reste dans l’effet, et ainsi la cause qui d’abord existait en elle-même, se produit dans l’effet par sa ressemblance.

C’est ainsi que Dieu, qui a imprimé sa ressemblance dans toutes les créatures, est dit sous certain rapport se mouvoir en tout, ou procéder vers tout. Saint Denis se sert fréquemment de cette locution. Et c’est suivant ce sens qu’il faut entendre, ce semble, ce passage de la Sagesse, où il est dit, "que la sagesse est plus mobile que tous les mobiles (Sg 7,24), et qu’elle embrasse tout d’une fin à l’autre." (Sg 8,1) Ce n’est pas là proprement se mouvoir, aussi la raison n’y a rien à voir.

A la troisième il faut dire que la science divine reçue par l’inspiration de Dieu ne traite pas des anges comme d’un sujet, mais seulement comme de choses prises pour la manifestation d’un sujet. Ainsi donc, dans la sainte Ecriture on s’occupe des anges comme des autres créatures; mais dans la science divine que donnent les philosophes, on s’occupe des anges qu’ils appellent des intelligences, de la même manière que de la cause première qui est Dieu, en tant, par exemple, qu’ils sont aussi eux-mêmes des principes seconds au moins par le mouvement des sphères qui ne peuvent avoir aucun mouvement physique. Or le mouvement qui provient de l’élection se ramène au mode par lequel l’opération de la volonté ou de l’intellect est appelée mode, ce qui a lieu d’une manière impropre, en prenant le mouvement dans un sens métaphorique. Or le mouvement qui se produit suivant le lieu, ne se rapporte pas à la circonscription locale, mais à l’opération qu’il exerce en tel ou tel lieu, ou à quelque autre habitude à l’égard d’un lieu tout à fait équivoque à celle d’un corps localisé à l’égard du lieu: par conséquent il est clair qu’un mouvement semblable à celui que l’on attribue aux choses naturelles ne leur convient pas.

A la quatrième il faut dire que l’acte et la puissance sont plus communs que la matière et la forme, et par conséquent, quoiqu’on ne trouve pas dans les anges une combinaison de matière et de forme, on peut néanmoins y trouver la puissance et l’acte. En effet, la matière et la forme sont des parties de ce qui est composé de matière et de forme; par conséquent on trouve cependant en eux une combinaison de matière et de forme, dont une partie est à l’égard de l’autre comme la puissance à l’acte. Or, ce qui peut être peut n’être pas, conséquemment il est possible qu’une partie se trouve avec ou sans l’autre, par conséquent la combinaison de matière et de forme, suivant le Commentateur dans le livre I Coeli et mundi [Le Ciel et le monde], et le VIIe de la Métaphysique, ne se trouve que dans les choses qui sont corporelles selon la nature. Rien n’empêche non plus qu’un accident quelconque reste d’une manière permanente dans un sujet, comme la figure dans le ciel, quoiqu’il soit cependant impossible qu’un corps céleste existe sans telle figure, parce que la figure et tous les autres accidents suivent la substance comme une cause, par conséquent le sujet se rapporte aux accidents non seulement comme une puissance passive, mais encore en quelque sorte comme une puissance active; c’est pour cela que certains accidents se perpétuent dans leurs sujets. Mais la matière n’est pas ainsi le sujet de la forme, aussi toute matière subsistant sous une forme, peut aussi ne pas s’y trouver, à moins peut-être qu’une cause extrinsèque ne la retienne, comme nous supposons, en vertu de la puissance divine, que certains corps composés de choses contraires sont incorporels, tels que les corps ressuscités. Or, l’essence de l’ange est incorruptible de sa nature, par conséquent il n’y a point en lui composition de matière et de forme. Mais comme l’ange n’a point l’être de lui-même, il est donc en puissance par rapport à l’être qu’il reçoit de Dieu, et se compare ainsi à l’être qu’il a reçu de Dieu à son essence simple, comme l’acte à la puissance. Voilà pourquoi on dit qu’ils sont composés ex quo est et quod est, de sorte qu'on entend par quo est l’être lui-même, et par quod est la nature de l’ange. Néanmoins si les anges étaient composés de matière et de forme ce ne serait point de matière sensible, car il faut que les choses mathématiques soient abstraites, et les choses métaphysiques séparées.

A la cinquième il faut dire que l’être et la substance sont dits séparés de la matière et du mouvement, non par la raison qu’il est de leur nature d’être sans matière et sans mouvement, comme il est de la nature de l’âne d’être privé de raison, mais bien par la raison qu'il n’est pas de leur nature d’être dans la matière et le mouvement, quoique parfois cela ait lieu, comme animal fait abstraction de raisonnable, quoiqu’il y ait quelque animal raisonnable.

A la sixième il faut dire que le métaphysicien s’occupe aussi de chaque être non suivant les natures particulières qui en font tel ou tel être, mais en tant qu’ils participent à la nature commune de l’être, et de cette manière la matière et le mouvement s’y rattachent aussi.

A la septième il faut dire que l’action et la passion ne conviennent pas aux êtres sous le rapport de la spéculation mais en tant qu’ils sont dans l’être, Or le mathématicien ne s'occupe des choses abstraites qu’en spéculation, et par conséquent ces choses, sous ce rapport, ne peuvent être le principe et la fin du mouvement, aussi le mathématicien ne démontre-t-il pas par la cause efficiente et finale. Quant au théologien, les choses dont il s’occupe sont des choses séparées existant dans la nature des choses; or ces sortes de choses peuvent être le principe et la fin du mouvement; c’est pourquoi rien n’empêche qu’il ne démontre par la cause efficiente et finale.

A la huitième il faut dire que, de même que la foi, qui est comme une habitude de la théologie, a pour objet la vérité première, renferme cependant dans les articles de foi certaines choses qui appartiennent aux créatures en tant qu’elles touchent d’une certaine manière à la vérité première, de même aussi la théologie traite de Dieu comme d’un sujet: elle s’empare aussi de plusieurs choses dans les créatures comme ses effets, ou comme ayant vis-à-vis de lui une habitude quelconque.


QUESTION 6: LES MODES ATTRIBUÉS À LA SCIENCE SPÉCULATIVE


On cherche ensuite quels sont les modes attribués à la science spéculative, sur cela on pose quatre questions.

Faut-il procéder dans la science naturelle rationnellement, scientifiquement dans les mathématiques et intellectuellement dans les choses divines?

Dans les choses divines faut-il mettre complètement l’imagination de côté?

Notre intellect peut-il considérer la forme divine elle-même?

Peut-on le faire par le moyen de quelque science spéculative?

Article 1: Faut-il procéder dans la science naturelle rationnellement, scientifiquement dans les mathématiques et intellectuellement dans les choses divines?

Objections:

1. Il semble qu’il ne faut pas procéder rationnellement dans les choses de la nature. En effet, la philosophie rationnelle est distinguée de la philosophie naturelle, mais le mode rationnel semble appartenir en propre à la philosophie rationnelle, c'est donc à tort qu'on l'attribue à la philosophie naturelle.

2. De plus, Aristote dans sa Physique distingue fréquemment les moyens d'arriver à certaine conclusions rationnelles et physiques. Donc il n'appartient pas à la science naturelle de procéder rationnellement.

3. De plus, ce qui est commun à toutes les sciences ne peut-être attribué en propre à l’une d’elles. Mais toute science procède par voie de raisonnement, de discours, ou des effets aux causes, ou des causes aux effets, ou d’après certains signes. Donc il ne faut pas en faire une attribution propre à la science naturelle.

4. De plus, ce qui est de raisonnement est distingué de ce qui est scientifique dans le livre VI de l'Ethique, mais la science naturelle appartient au scientifique, dont c’est à tort qu’on lui attribue de procéder rationnellement.



Deuxième problème (Sed contra):

Mais voici ce que dit Boèce à l’encontre de cela, livre V, De consolatione. La raison, lorsqu'elle considère quelque chose d’universel, sans se livrer à l’imagination, sans user des sens, perçoit néanmoins les choses qui sont du domaine de l’imagination et des sens; mais il n’appartient qu’à la seule nature de percevoir les choses qui dépendent de l’imagination et des sens. Donc c’est à juste titre que le mode rationnel est attribué à la science naturelle.

De plus il est dit dans le livre De Spiritu et Anima, que la raison considère les formes des corps; mais c’est surtout la science naturelle qu’il appartient de considérer les corps; c'est donc à bon droit qu'on attribue à la science naturelle de procéder rationnellement


11. D’un autre côté il semble que c’est mal à propos que l’on dit que les mathématiques procèdent scientifiquement. En effet, la discipline ne semble pas être autre chose que l’acception de la science; mais on acquiert la science dans toute partie de la philosophie, parce que toutes procèdent par voie de démonstration; donc il est commun à toutes les parties de la philosophie de procéder disciplinairement, il ne faut donc pas en faire un attribut propre des mathématiques.

12. De plus, plus une chose est certaine, plus il paraît que l'acquisition en est facile, mais les choses naturelles sont plus certaines, comme on le voit, que les mathématiques, parce qu’elles sont perçues par les sens qui sont la source de toute connaissance. Donc ce mode convient mieux au naturaliste qu’au mathématicien.

13. De plus comme on le voit dans le livre V de la Métaphysique, cela est le commencement de la science sur quoi l’enseignement est plus facile, mais c’est par la logique que l’on commence à apprendre, puisqu’il faut l’étudier avant les mathématiques et toutes les autres sciences. Donc le mode disciplinaire convient mieux à la logique.

14. De plus, le mode de la science naturelle et de la science divine se tire des puissances de l’âme, à savoir de la raison et de l’intellect. Donc le mode mathématique doit se tirer de même de quelque puissance de l’âme, et ainsi il n’est pas juste de dire qu’elle procède disciplinairement.

Au contraire, procéder disciplinairement c’est procéder démonstrativement et par voie de certitude: mais, comme dit Ptolomée au commencement de l’Almageste, le seul genre mathématique, lorsqu’on s’y applique, produit une conviction ferme et stable, nécessaire à ceux qui la recherchent, comme par une démonstration opérée par des moyens indubitables. Donc il appartient surtout aux mathématiques de procéder disciplinairement.

De plus, Aristote le prouve dans plusieurs passages de ses ouvrages où il appelle discipline, les sciences mathématiques.

Troisième problème (Ulterius videtur):

21. Il semble, d’autre part, que ce n’est pas un mode convenable à la science divine de procéder intellectuellement. En effet l’intellect, suivant Aristote, est la science des principes des conclusions, mais tout ce qui s’enseigne dans la science divine n’est pas principe, il y a aussi des conclusions; donc il ne convient pas à la science divine de procéder intellectuellement.

22. De plus nous ne pouvons pas opérer intellectuellement dans les choses qui excèdent la portée de l’intelligence, mais les choses divines sont au-dessus de toute intelligence, comme le dit saint Denis le premier chap. De divinis Nomin. [Des noms divins]. Et Aristote dans le livre De Causis. Donc ou ne peut pas les traiter intellectuellement.

23. De plus saint Denis dans le ch. VII De divinis Nomin. [des Noms divins], dit que les anges ont une vertu, intellectuelle, en tant qu’ils ne tirent pas la science divine des choses sensibles ou divines, mais cela surpasse la puissance le l’âme comme il est dit au même endroit. Donc comme la science divine dont il s’agit ici est la science de l’âme humaine, il semble que ce n’est pas son mode de traiter intellectuellement.

24. De plus, la théologie semble s’occuper principalement des choses qui appartiennent à la foi, mais à l’égard des choses qui appartiennent à la foi, le fin c’est de comprendre selon un autre passage d’Isaïe, (Is 7,9): "Si vous ne croyez vous ne comprendrez pas." Donc ce mode ne doit pas être donné comme le mode de la théologie mais comme la fin.



Cependant (Sed contra):

Contrairement à cela, il est dit dans le livre De Spiritu et anima, que l’intellect appartient aux esprits créés et  l’intelligence à Dieu. Or c’est là l’objet de la science divine. Donc il semble qu’il lui est propre de procéder intellectuellement.

De plus le mode de la science doit répondre à la matière mais le divines sont des choses intelligibles par elles-mêmes; donc le mode convenable à la science divine c’est de procéder intellectuellement.



Réponse (Respondeo):

co.1. Il faut dire à la première question qu'une manière de procéder dans les sciences se dit rationnelle sous trois rapports;

du côté des principes d’où elle procède,

comme lorsqu'on traite d'une chose et que pour la prouver on procède d’après les oeuvres de la raison, tels sont le genre, l’espèce, l’opposé, et les intentions considérées par les logiciens, et ainsi on appelle rationnel le mode employé dans une science en usant des propositions fourni par la logique, dont on se sert en logique comme enseignant dans les autres sciences. Mais ce mode ne peut convenir proprement à une science particulière, dans les choses où se trouve le péché, qu’en procédant de principes propres; mais cela convient proprement à l’égard de la métaphysique et de la logique, parce que [c’est commun à ces deux sciences], et qu’elles ont en quelque sorte le même sujet.

co.2. On appelle un mode rationnel d’après le terme où il s’arrête.

En effet, le dernier terme où doit conduire l’investigation de la raison est l’intelligence des principes par le moyen desquels nous jugeons; et lorsque cela arrive on ne l’appelle point mode de procéder, ou preuve naturelle, mais démonstration. Quelquefois aussi l’investigation de la raison ne conduit pas au dernier terme mais demeure en chemin, lorsqu'il reste une double issue. Cela arrive lorsqu’on procède par des raisons probables, propres à constituer une opinion ou une conviction, mais non une science. Et ainsi le mode rationnel se distingue du démonstratif. Ainsi on peut procéder rationnellement dans toute science de manière qu’on prépare par des probabilités la voie à des conclusions nécessaires. C'est là un autre mode de la logique qu’elle emploie dans les sciences démonstratives, non comme enseignement mais comme moyen: ainsi le mode rationnel est dénommé de ces deux façons par notre science. La logique qui est appelée la science rationnelle use de ces deux moyens dans les sciences démonstratives, comme le dit le Commentateur, livre Ier de la Physique.

co.3. En troisième lieu on appelle un mode rationnel d’après la puissance rationnelle,

en tant que dans ses procédés il suit le mode propre de cognition de l’âme raisonnable, et ainsi le mode rationnel est le mode propre de la science naturelle. En effet, la science naturelle dans ses procédés conserve le mode propre de l’âme raisonnable, sous deux rapports.

Sous ce rapport que de même que l’âme raisonnable tire des choses sensibles, plus connues par rapport à nous, la connaissance des choses intelligibles qui sont plus conformes à la nature, comme on le voit dans le livre Ier de la Physique, de même aussi la science naturelle procède des choses qui sont plus connues par rapport à nous et moins connues suivant la nature, et la démonstration qui se fait par le signe ou par l’effet est plus usitée dans la science naturelle.

Parce qu’elle possède ce qui est le propre de la raison, comme de discourir en allant d’une chose à une autre, et cela est mieux observé dans la science naturelle où l’on passe de la connaissance d’une chose à la connaissance d’une autre, de la connaissance de l’effet à la connaissance de la cause. Et l’on ne procède pas d’une chose à l’autre suivant la raison ce qui n’est pas différent suivant la chose, comme en procédant de l’animal à l’homme. Effectivement dans les sciences mathématiques on procède uniquement par les choses qui sont de l’essence de la chose, puisqu’elles ne démontrent que par la cause formelle, aussi on n’y démontre pas une chose par une autre chose, mais bien par la définition propre de cette chose. Quoiqu’il y ait en effet quelques démonstrations du cercle par le triangle, ou vice versa, cela n’a lieu que parce qu’il y a dans le cercle une puissance pour le triangle et réciproquement. Mais dans la science naturelle où la démonstration s’opère par les causes extrinsèques, on fait la preuve pour une chose au moyen d’une autre tout à fait extrinsèque; c’est ainsi que l’on observe parfaitement le mode rationnel dans la science naturelle; c’est pour cela que la science naturelle est de toutes la plus conforme à l’intellect de l’homme. On attribue donc le procédé rationnel à la science naturelle, non parce qu’il ne convient qu’à elle, mais parce qu’il lui convient plus qu’à toute autre.



Solutions:

Il faut répondre à la première difficulté que cette manière vient d’une procession appelée rationnelle suivant le premier mode; c’est ainsi en effet que le mode rationnel est propre à la science rationnelle et à la science divine et non à la science naturelle.

A la seconde il faut dire que cette manière vient du procédé qui est appelé naturel de la seconde manière.

A la troisième il faut dire que dans toutes les sciences on observe le mode de la raison sous ce rapport que l’on procède d’un point à un autre suivant la raison, et non d’une chose à une autre; mais cela est le propre de la science naturelle, comme nous l’avons dit.

A la quatrième il faut dire qu’Aristote dans le même endroit prend pour une même chose le raisonnement et la spéculation, d’où il est clair que cela regarde le second mode assigné. Aristote attribue dans cet endroit au raisonnement et à la spéculation les actes humains dont s’occupe la science morale à raison de sa contingence. C’est pourquoi on peut conclure de ce qui a été dit que le premier mode de rationabilité est parfaitement propre à la science rationnelle, le second à la morale, le troisième à la science naturelle.



co.11. Au second problème (ad secundam quaestionem), il faut dire qu’on attribue à la science mathématique, de procéder disciplinairement, non parce qu’elle est la seule à le faire, mais parce que cela lui convient principalement. Donc comme apprendre n’est autre chose que de recevoir la science d’un autre, nous disons que nous procédons disciplinairement quand nos procédés nous conduisent a une connaissance certaine, qui est appelée science ; ce qui arrive effectivement dans les sciences mathématiques. En effet, la science mathématique tenant le milieu entre la science naturelle et la science divine est plus certaine que l’une et l’autre. Et d’abord elle est plus certaine que la science naturelle parce que la spéculation de celle-ci appartient au mouvement et à la science absolue, puisque la science naturelle s’exerce sur la matière et le mouvement. Or de ce que la science naturelle s’exerce sur la matière, il s'ensuit qu’elle dépend de plusieurs choses, à savoir de l’observation de la matière et de la forme, des dispositions matérielles, et des propriétés qui suivent la forme dans la matière. Or lorsque pour connaître une chose il faut en étudier plusieurs, la connaissance de cette chose est plus difficile à acquérir : c’est pourquoi il est dit dans primo Posteriorum que la science la moins certaine est celle qui se compose par addition, comme la géométrie par rapport à l’arithmétique. Par la raison donc qu’elle s’exerce sur les choses mobiles et qui n’ont pas un caractère d’uniformité, sa connaissance est moins solide, parce que ses démonstrations pour la plupart sont fondées sur ce qui est parfois tout différent. Conséquemment plus une science approche des choses singulières, comme les sciences opératives, la médecine, l’alchimie, la morale, moins elle peut offrir de certitude à raison de la multitude des choses qu’il faut étudier dans ces sciences, et où l’omission de certaines choses produit de fréquentes erreurs, à raison aussi de leur variabilité.

co.12. Or les procédés de la science mathématique sont plus certains que ceux de la science divine, parce que les choses qui sont l’objet de la science divine sont plus éloignées des sens origines de nos connaissances, et relativement aux substances séparées à la connaissance desquelles conduisent d’une manière insuffisante les choses apprises par le moyen des sens, et relativement aux choses communes à tous les êtres qui sont les plus universelles et par là extrêmement éloignées des choses particulières qui tombent sous les sens. Mais les mathématiques tombent sous les sens et sont tributaires de l’imagination, comme la ligne, la figure, le nombre et autres choses de ce genre, par conséquent l’intellect recevant de l’imagination ces sortes de choses en acquiert plus facilement et plus certainement la connaissance, que d’une intelligence quelconque, voir même la quiddité de la substance, la puissance et l’acte et autres choses pareilles. On voit par là que les travaux des mathématiques sont plus faciles et plus certains que les spéculations de la théologie et de la science naturelle et beaucoup plus que dans les antres sciences opératives, c’est pour cela que celle-ci est dite avec toute raison procéder disciplinairement, c’est aussi ce que dit Ptolomée au commencement de l’Almageste. On appellerait plutôt les autres deux genres du théorique opinion que conception de la science; le théologien à raison de ce qu’il a d’invisible et d’incompréhensible, le physicien à cause de l’instabilité et de l’obscurité de la matière. Le mathématicien seul donne donc à ceux qui s’en occupent une conviction ferme et stable, en fondant ses démonstrations sur des raisons incontestables.

Il faut donc dire sur le premier point que bien que l’enseignement soit reçu dans toute science, cela a lieu avec plus de facilité et de certitude dans les mathématiques, comme on l’a dit.

Sur le second il faut dire que quoique les choses naturelles soient soumises au sens, elles n’ont pas néanmoins une grande certitude lorsqu’elles se produisent en dehors des sens à cause de leur instabilité, comme les mathématiques qui sont en dehors du mouvement dans la matière sensible suivant l’être, et ainsi elles peuvent sous le sens et dans le domaine de l’imagination.

Sur le troisième il faut dire qu’en étudiant nous commençons par ce qui est plus facile à moins que la nécessité en décide autrement. En effet, il est quelquefois nécessaire de ne pas commencer par ce qui est plus facile, mais bien par ce qui doit conduire à la connaissance de ce qui suit; dans cette hypothèse, il faut commencer par la logique, non qu’elle soit plus facile que les autres sciences, car elle offre une très grande difficulté puisqu’elle s’occupe des choses conçues secondairement; mais parce que les autres sciences dépendent d’elle, en tant qu’elle enseigne le moyen de procéder dans les autres sciences. Il faut en effet connaître le mode de la science elle-même, comme il est dit dans le IIe livre de la Métaphysique.

Sur le quatrième point, il faut dire que le mode des sciences se prend dans les puissances de l’âme suivant le mode qu'ont les puissances de l’âme dans l'action. C’est pourquoi les modes des sciences ne répondent pas aux puissances de l'âme, mais bien aux modes dont peuvent procéder les puissances de l’âme, qui sont diversifiées non seulement par rapport aux puissances, mais encore par rapport aux objets, et ainsi il n’est pas nécessaire que le mode d'une science quelconque soit dénommé par quelque puissance de l’âme. On peut dire néanmoins qu’ainsi que le mode de la physique est dénommé par la raison suivant qu'il reçoit des sens, le mode de la science divine est dénommé par l’intellect suivant qu'il considère quelque chose en Dieu. De même le mode des mathématiques est considéré suivant qu’il reçoit de l'imagination.



co.21. Au troisième problème, il faut dire que de même qu’on attribue à la philosophie naturelle de procéder rationnellement, parce que c’est surtout le mode de la raison qu’on observe en elle, de même, on attribue à la puissance divine de procéder intellectuellement, parce que on observe principale en elle le mode de l’intellect: or la raison diffère de l’intellect comme la multitude diffère de l’unité. C’est pour quoi Boèce a dit dans le livre IV De Consolat. [de la consolation], que la raison est à l’intellect comme le temps à l’éternité, le cercle au centre. En effet, c’est le propre de la raison se répandre sur plusieurs objets et d’en retirer une connaissance simple. C’est pourquoi saint Denis dit dans le livre De divin., nomin., [des Noms divins], que les âmes a raison de leur rationalité voltigent autours de la vérité, et elles diffèrent en cela des anges; mais en tant qu’elles englobent plusieurs choses en une, elles égalent les anges en quelque façon. L’intellect au contraire considère d’abord une vérité simple et tire d’elle la connaissance de toutes les autres, comme Dieu connaît tout en concevant son essence. C'est pourquoi saint Denis dit au même endroit que les esprits des anges ont l’intellectualité en tant qu’ils conçoivent uniformément les choses intelligibles des choses divines.

co.22. On voit donc par là que la considération rationnelle se termine à l’intellectuelle par la voie de résolution [secundum viam resolutionis], en tant que la raison exprime de plusieurs considérations une vérité simple. D’un autre côté la considération intellectuelle est le principe de la rationnelle par voie de composition et d’invention, en tant que l’intellect comprend plusieurs choses en une. Donc la considération qui est le terme de tout raisonnement humain est surtout une considération intellectuelle: or toute la considération de la raison opérant par résolution dans toutes les sciences se termine à la connaissance de la science divine. En effet, ainsi que nous l’avons dit plus haut, il arrive quelquefois que la raison procède d’un point à un autre suivant la chose, comme lorsque la démonstration se fait par les causes ou par les effets extrinsèques; en composant [componendo] on procède des causes aux effets comme par voie de résolution [quasi resolvendo], lorsqu'on procède des effets aux causes, par la raison que les causes sont plus simples que les effets et permanentes dans une plus grande immobilité et uniformité, et en résolvant [par voie de résolution – resolvendo autem], lorsqu’on fait tout le contraire. Le dernier terme de résolution dans cette voie se trouve quant on arrive aux causes dernières les plus simples, qui sont les substances séparées. D’autres fois, on procède d'un point à un autre suivant la raison, comme lorsqu’on procède suivant les causes intrinsèques. Il y a composition lorsqu’on procède des formes les plus universelles aux plus particulières, il y a au contraire résolution, quand on fait tout l'opposé, parce que ce qui est plus universel est plus simple. Or les choses les plus universelles sont celles qui sont communes à tous les êtres, et par conséquent le terme dernier de résolution dans cette voie est la considération de l’être et des choses qui appartiennent à l’être comme tel. Or telles sont les choses qui sont l’objet de la science divine, à savoir les substances séparées et les choses communes à tous les êtres. D’où l’on voit que sa considération est tout à fait intellectuelle. Voilà aussi pourquoi elle fournit des principes à toutes les autres sciences, en tant que la considération intellectuelle est rationnellement le principe en vertu duquel elle est appelée la philosophie première: néanmoins on ne l'apprend qu’après la physique et les autres sciences, en tant que la considération intellectuelle est le terme rationnel, à raison de quoi la métaphysique est appelée comme transphysique, parce qu’elle vient par résolution après la physique.

3.1° Il faut donc dire sur le premier point que l’on n’attribue pas à la science divine de procéder intellectuellement, comme si elle ne raisonnait pas en procédant des principes aux conclusions, mais parce que son raisonnement est très proche de la considération intellectuelle, et ses conclusions des principes.

3.2° Sur le second il faut dire que Dieu est supérieur à tout intellect créé, quant à la compréhension; mais non à l’intellect incréé, puisqu'il s'embrasse lui-même en se concevant. Il est supérieur à tout intellect in statu viae, quant à la connaissance qui roule sur le quid est, mais non quant à la connaissance qui regarde an est. Les bienheureux connaissent aussi quid est, parce qu’ils voient son essence: néanmoins la science divine n’a pas seulement Dieu pour objet, mais encore les autres choses qui n’excèdent pas l’intellect humain in statu viae, quant à ce qu’il en faut connaître.

3.3° Sur le troisième, il faut dire, ainsi qu’il a été dit, que la connaissance humaine ou la considération par rapport à son terme atteint en quelque sorte la connaissance des anges, non sous le rapport de l’égalité, mais par une certaine similitude. C’est pourquoi saint Denis dit dans le VIIe chapitre De divin. Nominibus [Des noms divins], que bon nombre d’âmes sont regardées comme dignes d’égaler l’intellect des anges par une certaine convolution, autant qu’il convient et qu’il est possible à des âmes.

3.4° Sur le quatrième il faut dire, que même les connaissances de la foi appartiennent à l’intellect principalement. Ce n’est pas en effet par les investigations de la raison que nous acquérons cette connaissance, nous ne faisons que lui donner notre assentiment par une simple perception de l’intellect. Nous disons que nous ne concevons pas, dans ce sens que l’intellect n’en a pas une connaissance pleine et entière, ce qui nous est promis comme récompense.



Sur la Trinité de Boèce Pars3 Qu.5 Art.4