Catéchisme C. Trente 3506

§ VI. - DES OEUVRES DE MISÉRICORDE.

Le septième Commandement nous impose encore une autre obligation. Il veut que nous ayons compassion des pauvres et des malheureux, et que nous sachions employer nos ressources et nos moyens pour les soulager dans leurs besoins et leur détresse. Or, ce sujet étant un de ceux qui demandent à être traités très fréquemment, d'une manière très étendue, les Pasteurs puiseront leurs développements dans les ouvrages de très saints Auteurs, comme Saint Cyprien, Saint Jean Chrysostome, Saint Grégoire de Naziance et d'autres encore qui ont écrit de si belles pages sur l'aumône. Ainsi ils n'auront aucune peine à s'acquitter de leur devoir. Ils chercheront à enflammer les Fidèles du désir et de l'ardeur de secourir ceux qui ne vivent que de la charité d'autrui. Mais surtout ils voudront leur montrer clairement combien il est pour eux nécessaire de faire l'aumône - c'est-à-dire de venir généreusement en aide aux malheureux, et par leur argent et par leurs soins - en leur rappelant cette vérité, impossible à nier, que Dieu, au jour suprême du jugement, repoussera honteusement et enverra au feu éternel de l'Enfer ceux qui auront omis et négligé le devoir de l'aumône, tandis qu'au contraire il comblera de louanges et introduira dans le ciel ceux qui auront fait du bien aux indigents. C'est Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même qui a prononcé cette double sentence: [Mt 25,34-41] " Venez, les bénis de mon Père, possédez le Royaume qui vous a été préparé " et " Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel ! "

En outre les Prêtres auront soin de citer aux Fidèles d'autres textes de la Sainte Ecriture, bien faits pour les convaincre. [Lc 6,38] " Donnez, et l'on vous donnera ! "

Ils insisteront sur cette autre promesse de Dieu, la plus riche et la plus magnifique qui se puisse imaginer: [Mc 10,19] " Personne ne quittera pour Moi (ce qu'il possède), qu'il n'en reçoive cent fois autant dans cette vie, et le salut éternel dans l'autre. "

Il ne manquera pas d'ajouter ces autres paroles du Sauveur: [Lc 6,19] " Employez les richesses d'iniquité à vous acquérir des amis, afin que lorsque vous viendrez à manquer, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels. "

Puis, en développant les différentes parties de ce devoir sacré, ils s'appliqueront à bien faire comprendre que ceux qui ne sont pas en situation de donner aux pauvres, doivent au moins leur prêter de bonne grâce, selon ce Commandement du Seigneur: [Lc 6,36] " Prêtez, sans rien espérer de votre prêt. " Et David a exprimé en ces termes le mérite d'une telle conduite: [Ps 111,5] " Heureux celui qui a compassion des pauvres et qui leur prête ! "


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§ VII. - IL FAUT SE METTRE EN ÉTAT DE FAIRE L'AUMÔNE.

Si l'on n'a pas les moyens de venir en aide à ceux qui attendent leur vie de la compassion des autres, la piété chrétienne veut qu'on se mette en état de soulager leur détresse, en s'occupant pour eux, en travaillant de ses mains, s'il le faut. Ce sera en même temps un excellent moyen de fuir l'oisiveté. C'est à quoi l'Apôtre Saint Paul exhorte tous les Fidèles par son propre exemple, quand il écrit aux Thessaloniciens: [2Th 3,7] " Vous savez bien que vous êtes obligés de nous imiter. " Et dans une autre Epître il dit encore aux mêmes: [1Th 4,11] " Appliquez-vous à vivre en repos, faites ce qui est de votre devoir, et travaillez de vos propres mains, ainsi que nous vous l'avons commandé. " Et aux Ephésiens: [Ep 4,28] " Que celui qui dérobait, ne dérobe plus désormais, mais plutôt qu'il s'occupe en travaillant des mains à quelque ouvrage utile, afin qu'il ait de quoi soulager celui qui est dans le besoin. "

Enfin il faut vivre avec frugalité, et faire en sorte d'épargner le bien d'autrui, afin de n'être pas à charge, ni insupportable aux autres. Cette vertu, qui est la tempérance, brille d'une manière admirable dans la personne de tous les Apôtres, mais elle éclate surtout dans Saint Paul, qui a le droit d'écrire en ces termes aux Thessaloniciens: [1Th 2,9] " Vous vous souvenez, mes Frères, des peines et des fatigues que nous avons essuyées en travaillant jour et nuit, pour n'être à charge à aucun de vous pendant que nous vous annoncions l'Evangile de Dieu ", et qui répète dans un autre endroit: " Nous avons été accablé de travail le jour et la nuit pour n'être à charge à personne. "



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§ VIII. - CHATIMENTS DU VOL: RÉCOMPENSES DES OEUVRES DE MISÉRICORDE.

Mais afin d'inspirer aux Fidèles une horreur plus vive encore pour toute espèce de vols, les Pasteurs auront soin de leur montrer dans les Prophètes et les autres Auteurs sacrés, combien ces actions criminelles sont en exécration devant Dieu, et quelles menaces effrayantes Il a voulu faire à ceux qui les commettent: [Am 8,4-5] " Ecoutez ceci, s'écrie le Prophète Amos, vous qui dévorez le pauvre et qui faites languir tous les indigents ; vous qui dites: quand sera passée la néoménie, afin que nous puissions vendre nos récoltes ? quand finira le Sabbat, afin que nous puissions ouvrir nos greniers ? Vous qui diminuez l'Epha, qui augmentez le poids du sicle et qui vous servez de balances trompeuses. "

Les mêmes menaces se trouvent dans Jérémie, dans les Proverbes et dans l'Ecclésiastique. Et on ne peut douter que la plupart des maux dont souffre notre siècle ne remontent à ces causes.

Au surplus, afin d'accoutumer les Chrétiens à exercer envers les pauvres et les malheureux tous les offices de libéralité et de bienfaisance qui se rapportent à cette seconde partie du septième Commandement, les Pasteurs ne manqueront pas de faire briller à leurs yeux les splendides récompenses que Dieu réserve en cette vie et en l'autre à ceux qui se seront montrés bons et charitables envers les pauvres.



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§ IX. - EXCUSES DES VOLEURS.

Il ne manque pas de gens qui cherchent à excuser même leurs vols. Aussi bien, faut-il leur déclarer positivement que leur péché sera sans excuse devant Dieu. Il y a plus loin de diminuer leur faute, ils l'aggravent singulièrement en voulant la justifier. Il ne faut donc pas tolérer le luxe et les plaisirs de certains nobles, qui pensent atténuer leur crime en soutenant que s'ils s'emparent du bien d'autrui, ce n'est ni par cupidité, ni par avarice, mais seulement pour conserver la grandeur de leur famille et de leurs ancêtres, dont la considération et la dignité périraient, s'ils ne pouvaient plus les maintenir avec le bien des autres. Il faut détruire cette erreur pernicieuse, en leur faisant voir qu'il n'y a qu'un moyen légitime de conserver et d'augmenter leurs biens, la puissance et la gloire de leurs ancêtres, c'est d'obéir à la volonté de Dieu et d'observer ses Commandements. Que le mépris de ces Commandements peut causer la ruine des familles les plus riches et les mieux établies, précipiter les rois de leur trône, et du faîte des honneurs, et obliger Dieu, en quelque sorte, à élever à leur place des hommes de basse extraction, et pour qui ils n'avaient que de la haine et du mépris. C'est ainsi que ces orgueilleux enflamment contre eux la colère de Dieu, et d'une manière terrible. Ecoutons plutôt ces paroles que le Prophète Isaïe met dans la bouche de Dieu même: [1129] " Tes princes sont infidèles ; ils sont d'intelligence avec les voleurs ; ils aiment les présents ; ils recherchent les récompenses ; c'est pourquoi voici ce que dit le Seigneur, le Dieu des armées, le Dieu fort d'Israël malheur à eux ; le temps viendra où Je me réjouirai de la perte de mes ennemis, et où Je me vengerai d'eux ; au lieu que Je te prendrai sous ma protection, et Je te purifierai de toutes tes souillures. "

D'autres, [pour essayer de se justifier] ne parlent pas de la splendeur et de la gloire de leur maison ; ils ne prennent le bien d'autrui, disent-ils, que pour mener une vie plus facile et plus élégante. Il faut les réfuter aussi et leur montrer combien leurs paroles et leurs actions sont impies, puisqu'ils ne craignent pas de mettre les avantages

et les douceurs de la vie au-dessus de la volonté et de la gloire de Dieu, que nous offensons étrangement en négligeant ses préceptes. D'ailleurs, quels avantages peut-il y avoir dans le vol qui a des conséquences si funestes ? " Le voleur, dit l'Ecclésiastique [1130], sera couvert de confusion et dévoré par les remords. " Mais en supposant même qu'il n'y ait rien de semblable à craindre, est-ce que le vol ne déshonore point le nom adorable de Dieu ? n'est-il pas contraire à sa très sainte volonté ? ne méprise-t-il pas ses préceptes les plus salutaires ? et par le fait, ne devient-il pas la source de toutes les erreurs, de tous les crimes, de toutes les impiétés ?

Faut-il ajouter que l'on entend quelquefois des voleurs soutenir qu'ils ne sont aucunement coupables, parce que s'ils prennent quelque chose, c'est à des gens riches et dans l'abondance, tellement riches, qu'ils n'en éprouvent aucun dommage, si même ils s'en aperçoivent. Cette excuse n'en est pas une. Elle est aussi misérable que criminelle.

Un autre va jusqu'à s'imaginer qu'il est parfaitement excusé, parce que, dit-il, il a contracté une si grande habitude de prendre le bien d'autrui qu'il ne peut plus s'en empêcher. Mais si ce malheureux n'écoute pas le conseil de l'Apôtre qui lui dit: [1131] " Que celui qui dérobait, ne dérobe plus, " il faudra bien qu'il s'habitue, qu'il le veuille ou non, à endurer les éternels supplices.

Plusieurs, pour excuser leurs larcins, se rejettent sur l'occasion. C'est en effet un proverbe banal, à force d'être répété, que " l'occasion fait le larron ". Mais il faut absolument les détromper, en leur rappelant que nous sommes obligés de résister à nos penchants déréglés. Car en vérité s'il fallait mettre sur-le-champ à exécution tout ce que la passion inspire, où s'arrêterait-on dans le crime, le désordre et l'infamie ? c'est donc une excuse tellement honteuse, qu'elle est plutôt l'aveu d'une extrême faiblesse de volonté, et d'une injustice criante.

D'autre part, prétendre qu'on ne pèche point, parce qu'on ne se trouve pas dans l'occasion, n'est-ce pas avouer, pour ainsi dire, que l'on pécherait sans cesse, si l'occasion ne cessait de se présenter ?

Il en est aussi qui soutiennent qu'ils sont en droit de voler pour se venger des torts dont ils ont été victimes. Il faut leur répondre, premièrement qu'il n'est permis à personne de se venger, ensuite que nul n'est juge dans sa propre cause, et que par conséquent il est encore bien moins permis de punir quelqu'un pour des injustices que d'autres auront commises contre vous.

Enfin on en rencontre qui croient que leur vol est assez justifié et non répréhensible, parce qu'ils le commettent pour payer des dettes accablantes dont ils ne pourraient se libérer autrement. A de tels hommes il faut montrer que de toutes les dettes, la plus lourde, la plus accablante pour le genre humain est celle dont nous parlons à Dieu chaque jour dans l'Oraison dominicale: Remettez-nous nos dettes ; [1132] que par suite, c'est une insigne folie d'augmenter sa dette envers Dieu, c'est-à-dire ses péchés, pour s'acquitter envers les hommes ; qu'il vaut infiniment mieux être jeté dans un cachot que d'être un jour livré aux feux éternels de l'enfer ; qu'il est bien plus terrible d'être condamné au tribunal de Dieu qu'au tribunal des hommes ; et enfin qu'ils doivent recourir avec confiance à la bonté de ce même Dieu, toujours prêt à les assister et à leur accorder tout ce qui leur est nécessaire.

Il ne manque pas d'autres prétextes dont on se sert pour essayer de justifier le vol. Des Pasteurs zélés, habiles et appliqués, les réfuteront sans peine, de manière à former et à posséder un peuple [1133] " fidèle à pratiquer les bonnes oeuvres "

[1129] Is 1,23, et seq.
[1130] Si 5,17.
[1131] Ep 4,28.
[1132] Mt 6,12.
[1133] Tt 2,14.


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Chapitre trente-sixième - Du huitième Commandement


VOUS NE PORTEREZ POINT DE FAUX TEMOIGNAGE CONTRE VOTRE PROCHAIN.

Voici une raison capable de nous faire comprendre qu'il est non seulement utile, mais nécessaire d'expliquer très souvent ce précepte, et de rappeler à tous les devoirs qu'il impose. Nous voulons parler de la déclaration si autorisée de l'Apôtre Saint Jacques, lequel ne craint pas d'affirmer que " celui qui ne pèche point en paroles est un homme parfait " [1134] et un peu plus loin ajoute: " La langue n'est qu'une petite partie du corps, et cependant quels effets ne produit-elle pas ! Il ne faut qu'une étincelle pour embraser une grande forêt ", et le reste qui est dans le même sens. - Ces paroles nous apprennent deux choses: la première, que le péché de la langue est extrêmement répandu. C'est ce que nous confirme de son côté le Prophète David. " Tout homme est menteur ", dit-il [1135], comme si ce péché était le seul qui pût s'étendre à tous les hommes. La seconde, c'est qu'il est la source de maux innombrables. Car souvent le coup de langue du médisant cause la perte de la fortune, de la réputation, de la vie, du salut même, soit pour celui qui est atteint par la médisance, parce qu'il supporte mal l'injure qu'on lui fait, et qu'il manque de courage pour ne s'en point venger, soit pour celui qui est l'auteur de l'offense, parce que, victime d'une mauvaise honte et de la crainte exagérée du qu'en dira-t-on, il ne peut se déterminer à donner satisfaction à celui qu'il a blessé. C'est pourquoi il ne faut pas manquer d'exhorter les Fidèles à rendre à Dieu les plus vives actions de grâces de ce qu'il a défendu expressément le faux témoignage, en nous donnant un précepte très salutaire, qui ne nous interdit pas seulement d'injurier les autres, mais qui nous protège encore, si on l'observe, contre les injures que les autres seraient tentés de nous faire.

Afin de garder, en expliquant ce précepte, le même ordre et la même marche que dans ceux qui précèdent, nous avons à remarquer qu'il renferme deux prescriptions distinctes: l'une négative, qui nous défend de porter faux témoignage, l'autre positive, qui nous ordonne d'écarter résolument de notre conduite toute dissimulation et tout mensonge, et de mesurer nos paroles et nos actes sur la simple vérité. Double devoir que l'Apôtre Saint Paul rappelait aux Ephésiens, quand il leur disait: [1136] " Ne séparons pas la vérité de la charité, afin de croître en Jésus-Christ dans toutes choses. "

[1134] Jc 3,2.
[1135] Ps 115,11.
[1136] Ep 4,15.


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§ I. - DU FAUX TÉMOIGNAGE.

On entend ordinairement par faux témoignage tout ce qui est affirmé et soutenu de quelqu'un, contre la vérité, en bonne ou en mauvaise part, devant la justice ou non. Cependant le faux témoignage qui nous est spécialement défendu par ce précepte, c'est celui qui se fait en justice, avec serment, contre la vérité. Car si le témoin jure par le nom même de Dieu, c'est parce qu'un témoignage qui s'appuie sur ce nom sacré n'en acquiert que plus de poids et d'autorité. Mais d'autre part comme ce témoignage est très dangereux dans ses conséquences, Dieu le défend d'autant plus fortement. C'est qu'en effet le juge lui-même n'a pas le droit de récuser des témoins qui affirment avec serment, s'ils ne tombent pas sous les exceptions prévues par la Loi, ou bien s'ils ne sont pas reconnus pour gens de mauvaise foi et sans aucune probité. Et la raison en est que la Loi divine nous ordonne expressément de tenir " pour constant et véritable le témoignage de deux ou trois perssonnes " [1137 - Dt 19,15 Mt 18,16]. - Mais afin que les Fidèles comprennent parfaitement la nature et l'étendue de ce précepte, il importe avant toutes choses de bien leur apprendre ce qu'il faut entendre par le prochain, contre qui il est défendu de porter faux témoignage.

Or, le prochain, selon l'enseignement de Notre-Seigneur Jésus-Christ, c'est tout homme quia besoin de nous, qu'il nous soit proche ou éloigné, concitoyen ou étranger, ami ou ennemi.

C'est un crime en effet de penser qu'on puisse faire un faux témoignage contre des ennemis, lorsque Dieu et notre Seigneur nous font un précepte de les aimer.

Mais il y a plus ; comme chacun de nous, dans un certain sens, est à soi-même son prochain, personne n'a le droit de porter contre soi-même un faux témoignage. Ceux qui ont le malheur de commettre un pareil crime, en se diffamant et en se couvrant de honte, se nuisent à eux-mêmes d'abord, et en même temps ils font tort à l'Eglise, comme ceux qui se suicident nuisent à la société. C'est l'enseignement formel de Saint Augustin: [1138] " Les personnes peu éclairées, dit-il, pourraient penser qu'il n'est pas défendu de se porter comme faux témoin contre soi-même, parce que dans la formule du Commandement il est dit seulement: contre le prochain ; mais que celui qui a fait contre lui-même une déposition fausse n'aille pas se croire innocent, puisque la règle de l'amour du prochain, c'est de l'aimer comme soi-même. "

Et parce qu'il nous est défendu de faire tort au prochain par le faux témoignage, il faut bien nous garder d'en conclure que le parjure nous est permis pour rendre quelque service ou procurer quelque avantage à ceux qui nous sont unis par les liens du sang ou de la Religion. Il ne faut être utile à personne par le mensonge, encore moins par le parjure. C'est pourquoi Saint Augustin, dans une lettre à Crescence sur le mensonge [1139], ne craint pas de dire, en s'appuyant sur l'autorité de l'Apôtre Saint Paul, que le mensonge doit être mis au nombre des faux témoignages, quand même il décernerait à quelqu'un de fausses louanges. Il rapporte d'abord les paroles de l'Apôtre: nous serons nous-mêmes convaincus d'avoir été de faux témoins, parce que nous avons porté témoignage contre Dieu même, en disant qu'Il a ressuscité Jésus-Christ, qu'Il n'a cependant pas ressuscité, si les morts ne ressuscitent pas, puis il ajoute: l'Apôtre regarde comme faux témoignage de dire une chose fausse de Jésus-Christ, quoiqu'elle soit à sa Gloire [1140 - 1Co 15,16].

N'arrive-t-il pas très souvent d'ailleurs que celui qui favorise quelqu'un par son faux témoignage, porte par là même préjudice à un autre ? ne met-il pas le juge dans une sorte d'erreur invincible ? Aussi qu'arrive-t-il ? le juge trompé par de faux serments est forcé de prononcer contre le droit en faveur de l'injustice.

Quelquefois même celui qui a gagné sa cause en justice, grâce au faux témoignage d'un complice, et cela impunément, celui-là, disons-nous, est tout fier de sa victoire, dès lors il rend l'habitude de corrompre des témoins, dans l'espoir qu'avec leur aide, il réussira dans toutes ses entreprises.

Le faux témoignage est également très funeste au témoin lui-même. Aux yeux de celui qu'il a criminellement servi par son serment, il n'est plus qu'un parjure et un vil imposteur ; mais par contre, en voyant que son mensonge a réussi, il se trouve encouragé au mal et prend de jour en jour des habitudes plus grandes de hardiesse et d'impiété.

Mais si la fausseté, le mensonge et le parjure sont nettement défendus aux témoins, ils le sont tout autant aux accusateurs, aux accusés, aux protecteurs, aux parents, aux procureurs, aux avocats, en un mot à tous ceux qui ont part aux jugements.

Enfin Dieu défend, non seulement devant les juges, mais même partout ailleurs, un témoignage quelconque capable de porter préjudice ou de causer quelque dommage au prochain. Il est écrit en effet dans le Lévitique, à l'endroit même où ces défenses sont faites à plusieurs reprises: [1141 - Lv 19,11] " Vous ne déroberez point, vous ne mentirez point ; et personne ne trompera son prochain. " Des paroles si claires ne permettent pas de douter que Dieu, par ce précepte, ne réprouve et ne condamne absolument tout mensonge, quel qu'il soit. David dans ses Psaumes nous l'atteste aussi, et très clairement [1142 - Ps 5,7]: " Vous perdrez, dit-il, tous ceux qui profèrent le mensonge. "

[1138] Epist.,52 ad Maced.
[1139] Cap.,12,13,14.


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§ II. - DE LA MÉDISANCE eT DE LA CALOMNIE.

Le huitième Commandement de Dieu ne nous défend pas seulement le faux témoignage, il nous interdit de plus le vice et l'habitude détestables de la médisance, cette véritable peste, qui donne naissance à une multitude incroyable d'inconvénients très fâcheux et de maux de toute espèce. Cette habitude criminelle de déchirer et d'outrager secrètement son prochain est vigoureusement condamnée en beaucoup d'endroits de nos Saints Livres. David nous dit: [1143] " Je ne recevais pas le médisant à ma table. " Et l'Apôtre Saint Jacques ajoute de son côté: [1144] " Mes Frères, ne parlez point mal les uns des autres. "

Mais l'Ecriture Sainte ne se borne pas à condamner la médisance, elle nous fournit des exemples qui mettent en pleine lumière toute l'énormité de ce crime. Ainsi Aman, par ses infâmes calomnies, enflamme tellement la colère d'Assuérus contre les Juifs, que ce prince ordonne de les faire tous périr. L'Histoire sainte est remplie de traits semblables. Les Pasteurs ne manqueront pas de les rappeler aux Fidèles, afin de les détourner de cet horrible péché.

Pour comprendre et pénétrer toute la malice de la médisance, il faut savoir qu'on blesse la réputation du prochain, non seulement en employant contre lui la calomnie, mais encore en augmentant et en exagérant ses fautes réelles. Et même si quelqu'un a commis un péché très secret dont la révélation doit nécessairement être préjudiciable à son honneur et le couvrir de honte, celui qui fait connaître ce péché, dans un lieu, dans un temps et à des personnes qui ne sont pas obligées de le savoir, doit passer à juste titre pour un calomniateur et un médisant.

Mais de toutes les calomnies, la plus coupable, à coup sûr, est celle qui s'en prend à la Doctrine catholique, et à ceux qui la prêchent. Et quiconque accorde des éloges aux propagateurs de l'erreur et des mauvais principes commet la même faute. Il faut en dire autant de ceux qui, en entendant la détraction et la médisance, non seulement ne blâment point les calomniateurs, mais les écoutent avec plaisir. C'est ce qui a fait dire à Saint Bernard et à Saint Jérôme, qu'il n'est pas facile de distinguer lequel est le plus coupable de celui qui médit, ou de celui qui écoute la médisance ; " car, disent-ils, [1145] il n'y aurait point de médisant s'il n'y avait personne pour écouter la médisance ".

On désobéit également à ce précepte, si par ses artifices on met la désunion et le désaccord entre les hommes ; si l'on se plaît à semer des dissensions, à miner et à détruire, par des rapports mensongers, les liaisons et les sociétés les mieux établies, à pousser les meilleurs amis à des inimitiés irréconciliables, et même à les armer les uns contre les autres. Détestable peste que Dieu condamne et défend quand il dit: [1146] " Vous ne serez ni délateur, ni détracteur au Milieu de mon peuple. " C'était le crime d'un bon nombre de conseillers de Saül qui s'efforçaient de le détacher de David, et l'animaient contre lui.

[1143] Ps 100,5.
[1144] Jc 4,11.
[1145] S. Hier. Epist. ad Nepot.; Div. Bern. lib.,2 de Consid. Ad Eug.
[1146] Lv 19,16.



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§ III. - LA FLATTERIE, LE MENSONGE eT LA DISSIMULATION.

Nous trouvons encore, parmi ceux qui pèchent contre ce huitième Commandement, les flatteurs, les adulateurs qui, par des complaisances et des louanges hypocrites, cherchent à s'insinuer dans l'esprit et le coeur de ceux dont ils attendent la faveur, de l'argent et des honneurs. Vils complaisants qui appellent, comme le dit le Prophète [Is 5,20], " mal ce qui est bien, et bien ce qui est mal ". Tristes gens que David nous avertit d'éloigner et de chasser de notre société, lorsqu'il nous dit: [Ps 140,5] " que le juste me reprenne par charité et qu'il me corrige, mais que le pécheur ne répande point ses parfums sur ma tête ! " encore que les flatteurs dont nous parlons ne disent point de mal de leur prochain, ils ne laissent pas de lui être très nuisibles, puisque, en le louant jusque dans ses fautes, ils sont cause qu'il persévère dans le mal, jusqu'à la fin de sa vie.

La flatterie, ou l'adulation la plus coupable en ce genre, est celle qui n'a en vue que le malheur et la ruine des autres. Ainsi Saül, pour exposer David à la fureur et au glaive des Philistins, c'est-à-dire selon lui, pour l'envoyer a une mort certaine, le flattait par ces belles paroles: [1S 18,17] " Voici Mérob ma fille aînée ; je vous la donnerai comme épouse. Soyez seulement homme de coeur, et combattez les combats du Seigneur ! " Ainsi les Juifs pour surprendre Notre-Seigneur dans ses paroles Lui disaient insidieusement: [Mt 22,16 Mc 12,14] " Maître, nous savons que vous êtes sincère, et que Vous enseignez la Voie de Dieu selon la Vérité. "

Et cependant il y a quelque chose de bien plus pernicieux encore, ce sont ces discours que des amis, des alliés, des parents n'ont pas honte de tenir à un malade mortellement atteint, et déjà prêt à rendre le dernier soupir, discours dans lesquels ils affirment à ce moribond qu'il n'est pas en danger, lui ordonnent d'être gai et souriant, le détournent de la Confession de ses péchés, comme d'une pensée trop triste, et enfin écartent de son esprit tout souci et toute idée des terribles dangers dans lesquels il se trouve.

Il faut donc éviter toute espèce de mensonge, et avant tout, celui qui peut causer au prochain un dommage considérable. Mais ne pas craindre de mentir contre la Religion ou dans des choses qui s'y rapportent, c'est joindre l'impiété à la fourberie.

Il ne faut pas oublier que Dieu est encore grièvement offensé par les injures et les outrages qu'on répand dans les libelles diffamatoires et autres productions du même genre.

Il est même indigne d'un chrétien de chercher à tromper son prochain par un mensonge joyeux ou officieux, encore que ce mensonge n'entraîne pour personne ni profit, ni perte. L'avertissement de Saint Paul sur ce point est formel. " Evitez le mensonge, dit-il [Ep 4,25], que chacun de vous parle selon la vérité ! " C'est qu'en effet, du mensonge pour rire au mensonge grave, la pente est très rapide. Le mensonge joyeux fait contracter l'habitude de mentir. Dès lors on passe pour n'être point sincère et l'on est obligé d'affirmer sans cesse avec serment pour faire croire à sa parole.

Enfin ce Commandement nous défend toute espèce d'hypocrisie ou de dissimulation. La dissimulation dans les paroles aussi bien que dans les actions est également condamnable, puisque les unes et les autres sont comme le signe et la marque de ce que nous avons dans le coeur. Voilà pourquoi Notre-Seigneur, dans ses fréquents reproches aux Pharisiens, les traite d'hypocrites.

Nous avons expliqué ce que le huitième Commandement défend. Voyons maintenant ce qu'il ordonne.



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§ IV. - A QUOI nOUS SOMMES OBLIGÉS PAR CE COMMANDEMENT.

L'objet propre de cette deuxième partie du précepte est que les tribunaux jugent avec équité et conformément aux Lois: elle a également pour but d'empêcher qu'on n'attire les causes à soi en empiétant sur les juridictions. " Car il n'est pas permis, comme le dit l'Apôtre [Rm 14,4], de juger le serviteur d'autrui, " de peur de prononcer sans une connaissance suffisante de la cause. Ce fut le crime précisément de cette assemblée des prêtres et des scribes qui condamnèrent Saint Etienne, comme ce fut aussi le péché de ces magistrats de Philippes, dont l'Apôtre a dit: [Ac 16,37] " Après nous avoir publiquement battus de verges, et sans jugement préalable, nous qui sommes citoyens romains, ils nous ont jetés en prison, et maintenant ils nous en font sortir en secret. "

Il ne faut ni condamner les innocents, ni renvoyer les coupables, ni se laisser séduire par des présents ou par la faveur, par la haine ou par l'amitié. Aussi Moise ne manque pas d'adresser aux vieillards qu'il avait établis juges d'Israël, cet avertissement célèbre: [Dt 1,16] " Jugez toujours selon la justice le citoyen comme l'étranger ; ne mettez point de différence entre les individus ; écoutez le petit comme le grand ; ne faites acception de personne, parce que vous jugez pour Dieu. "

Quant aux accusés et aux criminels, Dieu leur fait un devoir de confesser la vérité, lorsqu'ils sont interrogés selon les formes de la justice. Cette confession est un hommage éclatant à la Gloire de Dieu. C'est la pensée de Josué: Lorsqu'il exhorte Achan à dire la vérité, il lui parle de la sorte: [Jos 7,19] " Mon fils, rendez gloire au Seigneur, Dieu d'Israël. "

Et parce que ce précepte s'adresse spécialement aux témoins, le Pasteur aura grand soin d'en parler comme il convient. C'est qu'en effet ce huitième Commandement n'a pas seulement pour but de défendre le faux témoignage, mais encore de nous commander de dire la vérité. Dans les affaires humaines, le témoignage conforme à la vérité est extrêmement important. Il y a une multitude de choses que nous ne pouvons connaître que sur la bonne foi des témoins. Rien donc n'est plus nécessaire qu'un témoignage véridique dans ces choses que nous ne savons pas, et que cependant nous n'avons pas le droit d'ignorer. De là ce mot de Saint Augustin: [1156] " Celui qui tait la vérité, et celui qui profère le mensonge sont également coupables, le premier parce qu'il ne veut pas être utile, le second parce qu'il cherche à nuire. "

[1156] Attribué à Saint Augustin par Gratien, mais à tort ; on le trouve pareillement dans Saint Isidore L.,3, cap.,19.


Il peut être permis quelquefois de taire la vérité, mais il faut que ce soit hors des tribunaux. En justice, un témoin interrogé par un juge compétent, doit faire connaître la vérité tout entière, mais à condition de ne pas trop se fier à sa mémoire, et de prendre garde d'affirmer comme certain ce dont il n'est pas absolument sûr.

Les autres personnes que ce précepte oblige également à dire la vérité sont les avoués et les avocats, les procureurs et les accusateurs.

Les avoués et les avocats ne refuseront ni leurs services ni leur appui à ceux qui en ont besoin ;ils se chargeront généreusement de la défense du pauvre ; ils ne prendront point de mauvaises causes pour les soutenir, ils ne feront point durer les procès par calomnie, ou par avarice, et ils auront soin de régler leurs honoraires selon le droit et la justice.

De leur côté, les procureurs et accusateurs devront prendre bien garde de ne point se laisser entraîner par affection, par haine, ou par quelque autre passion, à poursuivre qui que ce soit sur d'iniques imputations,

Enfin la Loi de Dieu ordonne à toutes les personnes pieuses d'être toujours sincères et véridiques dans leurs entretiens et leurs discours, et de ne jamais rien dire qui puisse blesser la réputation d'autrui, pas même de ceux qui les auront offensées ou maltraitées. Elles ne doivent pas oublier en effet qu'il y a entre elles et ces malheureux l'union et les rapports qui existent entre les membres d'un même corps.



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§ V. - MOTIFS DE DÉTESTER LE MENSONGE.

Afin que les Fidèles se détournent plus facilement du vice abject du mensonge, le Pasteur leur en fera voir toute la honte et l'énormité. Dans nos Saints Livres, le démon est appelé le père du mensonge. " Parce qu'il n'est point demeuré dans la vérité, nous dit l'Apôtre Saint Jean [1157], il est menteur et père du mensonge. "

Pour essayer de détruire un désordre si funeste, le Pasteur ajoutera à cette parole de Saint Jean, tous les maux que le mensonge apporte avec lui ; et comme ces maux sont innombrables, il lui suffira de faire connaître ceux d'entre eux qui sont autant de sources d'où dérivent tous les autres.

Et d'abord, pour montrer combien l'homme faux et menteur offense Dieu grièvement, et à quel degré il encourt sa haine, il citera cette parole de Salomon dans les Proverbes: [1158]" Il y a six choses que le Seigneur hait, et une septième qui est en abomination devant Lui: des yeux altiers, une langue calomniatrice, des mains qui versent le sang innocent, un coeur qui médite des pensées mauvaises, des pieds prompts à courir au mal, un homme menteur, un témoin faux. " Dés lors qui pourrait préserver des derniers châtiments celui que Dieu poursuit d'une haine si terrible ?

Et puis, comme le dit l'Apôtre Saint Jacques [1159], " Quoi de plus odieux et de plus infâme que d'employer la même langue à bénir Dieu votre Père et à maudire les hommes qui sont créés à son image et à sa ressemblance, comme si une fontaine pouvait, par la même ouverture, donner une eau douce et une eau amère ! " Et en effet, cette langue qui tout à l'heure louait Dieu et Le glorifiait, ne Le couvre-t-elle pas maintenant de honte et d'opprobre, autant qu'elle le peut, par les mensonges qu'elle profère ? Aussi les menteurs sont-ils exclus de la béatitude céleste. Car à cette demande que David fait à Dieu: [1160] " Seigneur, qui demeurera dans vos tabernacles ? " le Saint-Esprit répond " Celui qui dit la vérité dans la sincérité de son coeur, et dont la langue ne connaît pas l'artifice. "

[1157] Jn 8,42.
[1158] Pr 6,16 etc.
[1159] Jc 3,9.
[1160] Ps 14,1-2.

Ce qui fait encore que le mensonge est un très grand mal, c'est qu'ils constitue une maladie de l'âme presque incurable. Car le péché que l'on commet en accusant quelqu'un d'un faux crime, ou bien en blessant son honneur et sa réputation, ce péché ne peut être remis qu'autant que le calomniateur a réparé son tort envers sa victime. Mais précisément, ainsi que nous l'avons déjà remarqué, cette réparation est très difficile à faire, parce qu'on se trouve retenu par une fausse honte ou par un faux point d'honneur. D'où il suit que celui qui est coupable de ce péché est pour ainsi dire voué aux supplices éternels de l'enfer. Personne en effet n'a le droit d'espérer qu'il obtiendra le pardon de ses calomnies et de ses diffamations, tant qu'il n'aura pas satisfait à celui dont il a souillé l'honneur et la réputation, soit publiquement et en justice, soit dans des entretiens privés et familiers.

Enfin les suites funestes du mensonge s'étendent très loin, et nous atteignent tous. La fausseté et le mensonge font disparaître la vérité et la confiance, qui sont les liens nécessaires de la société, et sans lesquels les rapports entre les hommes tombent dans une confusion telle que le monde ressemble à un véritable enfer.

Le Pasteur comprendra dés lors qu'il doit exhorter les Fidèles à éviter de trop parler. La modération dans les paroles fait fuir les autres péchés, et surtout elle est un préservatif assuré contre le mensonge, vice auquel échappent difficilement ceux qui parlent trop.




Catéchisme C. Trente 3506